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L'autorité à l'école, mode d'emploi Le dernier livre de Martine Boncourt, préfacé par Philippe Meirieu, sort en août aux éditions ESF. Claudine est allée à la pêche aux infos en avantpremière. Claudine : Martine : Claudine : Martine : A lire...

L'autorité à l'école, mode d'emploi

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CHANTIERS n°21 /22 Juillet-Août 2013

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L'autorité à l'école, mode d'emploiLe dernier livre de Martine Boncourt,

préfacé par Philippe Meirieu,sort en août aux éditions ESF.

Claudine est allée à la pêche aux infos en avant­première.

Claudine : L’autorité, qu’est-ce qui t’a motivéeà écrire sur ce sujet ?

Martine : C'est vrai qu'entre la poésie et l 'autorité,on peut avoir l 'impression d'un sacré saut qualita-tif ! Dans les faits, pas tant que ça. Tout dépendde quelle autorité on parle. Mais pour répondreplus directement à ta question, mon intérêt pourle sujet trouve son origine dans ma fonction deformatrice en IUFM pendant des années. En tantque tel le, j 'al lais rendre visite à de jeunes ensei-gnants pour les aider à démarrer dans la profes-sion. Tu connais ça. Or, je constatais presquetoujours que, mis à part quelques irréductiblesacquis aux méthodes plus ou moins frontales, laplupart s'essayaient aux pédagogies « actives »et tentaient de reproduire ce qu'i ls avaient apprisen cours – je parle de l 'époque d'avant la destruc-tion massive de l 'école publique par Sarkozy, oùla formation des enseignants était sans doutebien imparfaite, mais avait le mérite d'exister. Etsouvent, la démarche était cohérente avec le pro-jet, avec les objectifs annoncés, en incluant destentatives « d'actorisation » de l 'enfant. Mais çane marchait pas. Trop de bruit, d'excitation, demouvements, en un mot, pas de discipl ine. Or, onle sait, sans elle dans la classe, on ne peut rienfaire. J 'aurais pu alors parler de pédagogie Frei-net ou Institutionnelle, ce qui aurait été, ou puêtre, une solution à condition toutefois d'assurerun véritable suivi, mais ça je n'en avais pas lesmoyens institutionnels. Et je pense qu'i l n'y a pasde meil leure façon de dévoyer, de trahir, de« récupérer », comme on disait autrefois, notrepédagogie que de la transmettre vite et partiel le-ment en l 'instrumental isant, par exemple ici, pourtenter d'asseoir son autorité, ce que j'ai vu tropsouvent faire avec le Conseil des enfants.Lorsque les gens sont prêts à passer à autrechose, c'est à eux de faire le pas vers nous, l ibre-ment.

Alors, assise au fond de la sal le, je me suis miseà observer tout ce qui m'entourait, tous ces petitsgestes qui passent souvent inaperçus, comme jel 'avais toujours fait en classe avec les enfants.Mais là, sans perdre de vue les élèves et en parti-cul ier leurs réactions immédiates, je focalisaismon attention sur l 'enseignant, sur ses mouve-ments, ses moindres mots ou expressions de vi-sage, tout ce qui génère, sans qu'on en aittoujours conscience, de l 'agitation en face, surtoutlorsque, comme les enfants, on a des antennesultrasensibles au langage non verbal ou paraver-bal. Et je notais scrupuleusement ce qui meparaissait être facteur de dysfonctionnement ou, àl 'inverse, ce qui pouvait avoir une incidence posi-tive sur le comportement des enfants. Nous enparl ions ensuite et l 'enseignant en faisait – ou non– son miel.

J 'ai gardé tous ces compte rendus, les ai retra-vail lés, regroupés en dix chapitres portant sur lesdifférents aspects de la voix, dont les tics ver-baux, la forme et le contenu latent du discours,sur le corps, mais aussi sur le premier jour declasse, sur la sanction, sur l 'édification des règlesde vie et la réunion des enfants. Et voilà le tra-vail !

Claudine : On dit de certains enseignantsqu’ils ont une autorité naturelle, mais est-ceque ça peut s’apprendre ?

Martine : Personnellement, je n'aime pas beau-coup cette idée d'autorité naturel le ou de cha-risme parce qu'el le relève de l'idéologie du donque Bourdieu a parfaitement démontée dans Lareproduction, comme étant l ’un des moyensconstruits de toute pièce par la bourgeoisie pourlégitimer son pouvoir sur autrui. Voyez qui,comme par hasard, possède ce charisme ? Sta-tistiquement, ceux chez qui le positionnement so-cial a forgé toute l 'assurance et tout le verbe

Alire..

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L'autorité à l'école, mode d'emploiLe dernier livre de Martine Boncourt,

préfacé par Philippe Meirieu,sort en août aux éditions ESF.

Claudine est allée à la pêche aux infos en avant­première.

Claudine : L’autorité, qu’est-ce qui t’a motivéeà écrire sur ce sujet ?

Martine : C'est vrai qu'entre la poésie et l 'autorité,on peut avoir l 'impression d'un sacré saut qualita-tif ! Dans les faits, pas tant que ça. Tout dépendde quelle autorité on parle. Mais pour répondreplus directement à ta question, mon intérêt pourle sujet trouve son origine dans ma fonction deformatrice en IUFM pendant des années. En tantque tel le, j 'al lais rendre visite à de jeunes ensei-gnants pour les aider à démarrer dans la profes-sion. Tu connais ça. Or, je constatais presquetoujours que, mis à part quelques irréductiblesacquis aux méthodes plus ou moins frontales, laplupart s'essayaient aux pédagogies « actives »et tentaient de reproduire ce qu'i ls avaient apprisen cours – je parle de l 'époque d'avant la destruc-tion massive de l 'école publique par Sarkozy, oùla formation des enseignants était sans doutebien imparfaite, mais avait le mérite d'exister. Etsouvent, la démarche était cohérente avec le pro-jet, avec les objectifs annoncés, en incluant destentatives « d'actorisation » de l 'enfant. Mais çane marchait pas. Trop de bruit, d'excitation, demouvements, en un mot, pas de discipl ine. Or, onle sait, sans elle dans la classe, on ne peut rienfaire. J 'aurais pu alors parler de pédagogie Frei-net ou Institutionnelle, ce qui aurait été, ou puêtre, une solution à condition toutefois d'assurerun véritable suivi, mais ça je n'en avais pas lesmoyens institutionnels. Et je pense qu'i l n'y a pasde meil leure façon de dévoyer, de trahir, de« récupérer », comme on disait autrefois, notrepédagogie que de la transmettre vite et partiel le-ment en l 'instrumental isant, par exemple ici, pourtenter d'asseoir son autorité, ce que j'ai vu tropsouvent faire avec le Conseil des enfants.Lorsque les gens sont prêts à passer à autrechose, c'est à eux de faire le pas vers nous, l ibre-ment.

Alors, assise au fond de la sal le, je me suis miseà observer tout ce qui m'entourait, tous ces petitsgestes qui passent souvent inaperçus, comme jel 'avais toujours fait en classe avec les enfants.Mais là, sans perdre de vue les élèves et en parti-cul ier leurs réactions immédiates, je focalisaismon attention sur l 'enseignant, sur ses mouve-ments, ses moindres mots ou expressions de vi-sage, tout ce qui génère, sans qu'on en aittoujours conscience, de l 'agitation en face, surtoutlorsque, comme les enfants, on a des antennesultrasensibles au langage non verbal ou paraver-bal. Et je notais scrupuleusement ce qui meparaissait être facteur de dysfonctionnement ou, àl 'inverse, ce qui pouvait avoir une incidence posi-tive sur le comportement des enfants. Nous enparl ions ensuite et l 'enseignant en faisait – ou non– son miel.

J 'ai gardé tous ces compte rendus, les ai retra-vail lés, regroupés en dix chapitres portant sur lesdifférents aspects de la voix, dont les tics ver-baux, la forme et le contenu latent du discours,sur le corps, mais aussi sur le premier jour declasse, sur la sanction, sur l 'édification des règlesde vie et la réunion des enfants. Et voilà le tra-vail !

Claudine : On dit de certains enseignantsqu’ils ont une autorité naturelle, mais est-ceque ça peut s’apprendre ?

Martine : Personnellement, je n'aime pas beau-coup cette idée d'autorité naturel le ou de cha-risme parce qu'el le relève de l'idéologie du donque Bourdieu a parfaitement démontée dans Lareproduction, comme étant l ’un des moyensconstruits de toute pièce par la bourgeoisie pourlégitimer son pouvoir sur autrui. Voyez qui,comme par hasard, possède ce charisme ? Sta-tistiquement, ceux chez qui le positionnement so-cial a forgé toute l 'assurance et tout le verbe

nécessaires. Ça n'a rien de naturel, rien qui soitdonné par la nature. Non, je crois que nous exer-çons un vrai métier, qui s'apprend – y compris larelation à l 'autre où s'inscrit l 'autorité, et ce de plu-sieurs manières, dont le compagnonnage. Si onn'y croit pas, si on n'est pas persuadé que ce mé-tier est fait d'une multitude de gestes profession-nels et donc non naturels, dans ce cas, onaccrédite tout discours visant à ridicul iser re-cherche et mil itantisme. Comme ceux qui parlentde « pédagogisme ».

Claudine : I l y a actuellement pléthore d'ou-vrages sur l'autorité. En quoi le tien apporte-t-il des éléments neufs ?

Martine : Je n'ai naturel lement pas pu tout l ire surle sujet, mais la plupart des ouvrages que j'aiconsultés étaient très théoriques et s'adressaientdavantage à un lectorat d'universitaires ou dechercheurs. Je suis convaincue de l'intérêt d'unethéorisation ou en tout cas d'une bonne réflexionsur la pédagogie dans laquelle on s'engage.Même si au départ cet engagement est affaire detripes ou de conviction, le cheminement se ren-force peu à peu par un argumentaire bien étayésur ce plan. Donc, sans négliger cet aspect quitient l ieu, pour moi, de fondation solide, ce qui estpeut-être « nouveau », c'est le côté « pratique »de l'autorité. Ce côté qui relève autant de prisesde conscience un peu forcées sur ce qui d'ordi-naire n'est précisément pas conscient, que de re-cettes. Oui, je dis bien « recettes ». Un mot queles grands spécial istes de l 'éducation détestent(« sans doute parce qu'i ls n'en connaissent pas »,disait un de mes professeurs-chercheurs « éclai-rés»), mais que, pour ma part, j 'uti l ise volontierset pas seulement par provocation. Parce qu'on nepeut pas réinventer le monde à chaque instant etque l 'expérience des autres peut aider à franchirplus rapidement des paliers, surtout quand lesenjeux sont aussi importants. Et cet engouementdes néophytes pour les petits savoir-faire ne peutpas être méprisé, sous prétexte qu'i l faut avoir dela hauteur, que ça fait « cuisine », bricolage, etc.

Le titre de mon livre : L'autorité à l 'école, moded'emploi, a été choisi par mon éditeur pour entrerdans une collection. Le mien était à la fois plusmodeste et, selon moi, plus éclairant : L'autoritédans la classe : de la recette au geste profession-nel. Or qu'est-ce qui fait passer du statut de re-cette à celui, plus « noble », de gesteprofessionnel ? C'est une attitude qui participed'une appropriation de cette gestuel le, une atti-tude qui consiste à vouloir intégrer, « emmail ler »si l 'on peut dire, cette gestuel le et ce qui la fondeà ses propres connaissances, dans ses scripts

antérieurs, pour devenir l 'auteur de son agircMais i l existe bien entendu un lien entre toutesces recommandations, c'est l 'éthique, ou, pourprendre un terme plus englobant : la pédagogie.

Claudine : Et c'est comme ça que l'autorité, enlien avec le type de pédagogie dans laquelleelle se pense et se construit, est en lien aussiavec un positionnement politique.

Martine : Tout à fait, car c'est le propre de la pé-dagogie que d'avoir en l igne de mire (conscientou non d'ai l leurs) le type de citoyen qu'el lecherche à promouvoir. Ainsi selon ce projet, lesmoyens éducatifs, les méthodes, l 'autorité aux-quels on a recours peuvent diverger de manièreradicale. Car i l n'y a pas d’acte pédagogique ouéducatif, si dérisoire soit-i l en apparence, qui nesoit porteur d'intentionnalités et de conséquences.Le dressage, par exemple, est en effet d'une effi-cacité empiriquement attestée pour fabriquer defuturs hommes soumis, obéissants et dépen-dants. Mais si mon objectif, en tant qu'enseignant,est de promouvoir en l 'élève un être autonome,auteur de lui-même et de ses apprentissages, sa-chant réfléchir de manière critique, sachant doncprendre de la distance et transférer ce qu'i l a ap-pris de manière personnelle, c'est bien à d’autresréférents éducatifs, et sans pour autant lâcher lecap de l'efficacité, que je dois me rapporter. Lapolitique est bien à l 'école ; el le est là, dans cechoix des méthodes.

Claudine : L’autorité est finalement un rapportà la loi qu’on aimerait construire sans affron-tement.

Martine : Oui, l 'autorité a mauvaise presse au-jourd'hui, à l 'heure de l 'individual isme et de ceque Bernard Stiegler appelle le « capital isme pul-sionnel ». Chacun est censé faire ce qu'i l veut,quand et comme il veut. Et pourtant, i l n'y pasd'éducation sans autorité. C'est toute la question,traitée par les psychanalystes, de l 'indispensablebarrage aux pulsions dures et naturel les qui nousaniment – et que précisément l 'éthique actuel lenourrit et encourage. Les enseignants sontcomme tout le monde, i ls n'échappent à rien decet anathème jeté sur l 'idée d'autorité. I ls agissentau départ comme si on pouvait se passer de l 'au-torité. . . pour revenir rapidement vers une attitudeplus musclée, hélas, dont i ls auraient pu éviter lerecours s'i ls avaient été formés aussi à un autretype d'autorité qui, sans céder sur l 'exigence deloyauté et de qualité dans le travail , n'a rien à voiravec l 'autoritarisme avec lequel el le est pourtantsi souvent confondue.

Alire...

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Claudine : Pourquoi les gouvernements suc-cessifs en reviennent-ils toujours à la notionde morale ?

Martine : C'est d'autant plus incompréhensiblequ'on sait très bien que « faire la morale » n'ajamais servi à grand-chose d'autre qu'à renforcerl 'incivi l i té. Même les neuro-sciences actuel lementcorroborent cette incommunicabil ité entre l 'intel-lectuel (la morale) et l 'affectif auquel est l iée lapulsion dure qu'i l s'agit de combattre par la leçon.Je ne dis pas qu'i l n'y a pas de passerel le entreles deux, entre l 'affectif et le cognitif, mais pasdans ce sens-là. Alors que l 'inverse fonctionnetrès bien : s'appuyer sur le désir ou le plaisir pourfaire réfléchir, c'est à la base même de la motiva-tion.On se demande quand les décideurs s'appuierontenfin sur les études avancées, notamment ensciences de l'éducation, pour nous concocter devéritables réformes. En réalité, on ne se le de-mande plus, tant les intentions voilées de ceuxqui ont le pouvoir sont évidentes. . .

Claudine : Quels sont les points forts de la Pé-dagogie Freinet en matière d’autorité ? Est-ceque les pédagogues Freinet ont des appuisparticuliers dans la construction de l’autori-té ?

Martine : Quand on pense à l'autorité dans lemouvement, et en particul ier quand on est plutôtorienté pédagogie institutionnelle, on pense sur-tout à l 'édification collective des règles de vie etau Conseil des enfants. D'ai l leurs, je consacredeux chapitres dans mon livre aux conditions

nécessaires à leur efficacité (en réaction à toutesles dérives auxquelles on peut assister dans desclasses). Mais Freinet pensait que les questionsde discipl ine étaient secondaires, et que l 'éduca-tion s'appuyait sur l 'exaltation du travail , commetechnique, but et raison de toute l 'activité hu-maine. I l fal lait donc travail ler les conditions deson émergence. Ainsi le travail vrai, le travailvivant, celui qui fait de l 'enfant non pas l 'acteur deses apprentissages (comme dans les pédagogiesactives) mais l 'auteur de ce qu'i l fait et in fine, delui-même, était la clé de tout le procès éducatif etdes questions y afférant, autorité comprise. Demultiples l ivres ont été écrits sur le sujet. Et jesuis d'accord avec cette idée de travail vivant,productif, créatif au centre de tout, foncièrementd'accord. Pourtant, on trouve aussi dans le mou-vement des enseignants qui souffrent du manqued'autorité. Et pas seulement, comme ail leurs,parmi les jeunes. C'est peut-être une question deregard sur soi, peut-être en rapport aussi avec lecourage d'affronter ses propres peurs. . . Je parleaussi de cette posture qui consiste à aller sebalader un peu en soi, dans ses fondationspropres, ses angoisses et ses fantasmes, commed'une nécessité. . .

Claudine : Ton livre, donc, ne s'adresse passeulement aux jeunes enseignants ?

Martine (rire) : Non.

ManoëlleCE1 Fréland

Alire..

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