lazzarato - Biopolitique bioeconomique

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    Biopolitique/Bioconomiemardi, 13 septembre 2005Lazzarato, Maurizio

    La gnalogie du capitalisme amorce par Foucault la fin des annes 70 branle ce que nous croyons savoir dulibralisme. Le constat dAdam Smith conserve toute sa force : le politique (droits) et lconomie (intrts) ne sont

    ni superposables, ni rconciliables. Le gouvernement libral se propose dy rpondre. Englober et passer par

    lextrieur , telles sont ses tches, et elles connaissent deux modalits dapplication depuis lors, qui sont aussi

    deux techniques de normalisation. La premire, prdominante, soccupe du gros : la discipline. La seconde, active

    et souterraine, soccupe des dtails : la scurit. Elle cerne de plus prs les multiplicits, la vie, les conduites. Une

    vritable politique des multiplicits supposerait, bien davantage encore, de passer par lextrieur des agents

    que nous tenons pour naturels ou spontans, mais qui sont lobjet dun souci et dune r-institution constants : le

    march, lentreprise, le travailleur.

    The genealogy of capitalism sketched by Foucault at the end of the 1970s shakes up whatever we thought weknew about liberalism. Adam Smiths observation retains all its relevance : politics (rights) and the economy

    (interests) are neither to be superposed nor to be reconciled. Liberal governance attempts to face this fact. Its

    tasks of circumventing, encircling, reaching from the outside are mediated by two modalities of application, which

    correspond to two techniques of normalisation : the first one (discipline), predominant, deals with the bigger

    items ; the second one (security), active in the underground, deals with the details. It corners more closely the

    multiplicities, life and the conducts. A true politics of multiplicities would suppose an intervention from the outside

    of the agents we take for natural or spontaneous, but which are the objects of a constant care and re-

    institution : market, firms, workers.

    Les dbats passionns sur le libralisme pendant la campagne rfrendaire europenne ont-ils contribu en

    quoi que ce soit rendre intelligible la logique librale ? la lecture des deux cours de Michel Foucault rcemment

    publis, Scurit, territoire, population et Naissance de la biopolitique, il est permis den douter.

    En retraant une gnalogie et une histoire du libralisme, ces livres ouvrent une lecture du capitalisme qui

    diffre la fois du marxisme, de la philosophie politique et de lconomie politique, et notamment en ce qui

    concerne la relation entre conomie et politique, et la question du travail.

    Foucault introduit une nouveaut remarquable dans lhistoire du capitalisme : le problme de la relation entre

    conomie et politique est rsolu par des techniques et des dispositifs qui ne viennent ni de la politique, ni de

    lconomie. Cest ce dehors , cet autre quil sagit dinterroger. Le fonctionnement, lefficacit, la force du

    politique et de lconomie, tels que nous les connaissons aujourdhui, ne drivent pas des formes de rationalit

    internes ces logiques, mais dune rationalit qui leur est extrieure et que Foucault appelle le gouvernement

    des hommes .

    Le gouvernement est une technologie humaine que ltat moderne a hrite de la pastorale chrtienne

    (technique spcifique que lon ne trouve ni dans la tradition grecque, ni dans la tradition romaine) et que le

    libralisme a inflchie, modifie, enrichie, transforme de gouvernement des mes en gouvernement des

    hommes. Gouverner peut se traduire par la question : comment conduire la conduite des autres ? Gouverner, c

    est exercer une action sur des actions possibles. Gouverner consiste agir sur des sujets qui doivent tre

    considrs comme libres.

    Foucault avait dj parl de gouvernement pour expliquer les dispositifs de rgulation et de contrle des malades,

    des pauvres, des dlinquants ou des fous.. Dans cette gnalogie du libralisme, la thorie des micro-pouvoirs est

    mise contribution pour expliquer les phnomnes massifs de lconomie, avec des innovations majeures. La

    macro-gouvernementalit librale nest possible que parce quelle exerce ses micro-pouvoirs sur une multiplicit.

    Les deux niveaux sont insparables. La thorie des micro-pouvoirs est une question de mthode, de point de vue,

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    et non dchelle (lanalyse de populations spcifiques comme les fous, les prisonniers, etc.).

    conomie et politique

    Pourquoi la relation entre conomie et politique devient-elle problmatique au milieu du XVIIIme sicle ?

    Foucault lexplique ainsi : lart de gouverner du souverain doit sexercer dans un territoire et sur des sujets de

    droits, mais cet espace est habit depuis le XVIIIme sicle par des sujets conomiques qui ne dtiennent pas de

    droits, mais qui ont des intrts. Lhomo conomicus est une figure absolument htrogne et non superposable,non rductible, lhomo juridicus ou lhomo legalis.

    Lhomme conomique et le sujet de droits donnent lieu deux processus de constitution absolument

    htrognes : le sujet de droits sintgre lensemble des sujets de droits par une dialectique de la renonciation.

    La constitution politique suppose en effet que le sujet juridique renonce ses droits, quil les transfre quelquun

    dautre.

    Lhomme conomique sintgre, quant lui, lensemble des sujets conomiques (constitution conomique), non

    pas par un transfert de droits, mais par une multiplication spontane des intrts. On ne renonce pas son

    intrt. Au contraire, cest en persvrant dans son intrt goste quil y a multiplication et satisfaction des

    besoins de tous.

    Lmergence de cette irrductibilit de lconomie la politique a donn lieu un nombre invraisemblabledinterprtations. Ce problme est videmment au centre du travail dAdam Smith, puisquil se trouve

    historiquement et thoriquement ce tournant. Et cest ce tournant que, depuis deux sicles, tous les

    commentateurs reviennent sans cesse. Pour Adelino Zanini, qui rsume peut-tre de la faon la plus complte ce

    dbat, Smith nest pas le fondateur de lconomie politique, mais le dernier philosophe moral qui cherche

    dterminer la raison pour laquelle thique, conomique et politique ne se recouvrent plus, ne constituent plus un

    ensemble cohrent et harmonieux( [1]). Adam Smith aboutit, selon Zanini, la conclusion suivante : le rapport

    entre conomie et politique ne peut ni se rsoudre, ni sharmoniser, ni se totaliser. Et il laisse la solution de cette

    nigme une postrit... qui na pas vraiment suivi le chemin quil avait trac.

    Pour Hannah Arendt, lconomie politique introduit la ncessit, le besoin, lintrt priv (oikos) dans lespace

    public, cest--dire tout ce que la tradition classique grecque et romaine dfinissait comme non politique. Cest decette faon que lconomie, en occupant la sphre publique, dtriore de faon irrversible le politique.

    Pour Carl Schmitt, la logique de lconomie politique est un facteur de dpolitisation et de neutralisation du

    politique parce que la lutte mort entre ennemis se transforme en concurrence entre hommes daffaires (les

    bourgeois), parce que ltat se mue en socit, et lunit politique du peuple en multiplicit sociologique de

    consommateurs, de travailleurs et dentrepreneurs. Si, pour Hannah Arendt, cest la tradition classique que

    lconomie rend inoprante, pour Schmitt, cest la tradition moderne du droit public europen.

    Pour Marx, la division entre le Bourgeois (sujet conomique) et le Citoyen (sujet de droits) est une contradiction

    quil faut interprter de manire dialectique. Le Bourgeois et le Citoyen sont dans un rapport de structure

    superstructure. La ralit des rapports de production sloigne dans les cieux de la politique, en les mystifiant. La

    rvolution est la promesse de rconciliation de ce monde divis.Foucault propose une solution absolument originale . Premirement, la relation entre ces diffrents domaines

    politique, conomique et thique ne peut plus renvoyer une synthse, une unit dont rvent encore, de faon

    diffrente, Schmitt, Arendt et Marx. Deuximement, ni la thorie juridique, ni la thorie conomique, ni la loi ni le

    march, ne sont capables de concilier cette htrognit. Il faut un nouveau domaine, un nouveau champ, un

    nouveau plan de rfrence qui ne sera ni lensemble des sujets de droits, ni lensemble des sujets conomiques.

    Les uns et les autres ne seront gouvernables que dans la mesure o lon pourra dfinir un nouvel ensemble qui

    les enveloppera, en faisant apparatre non seulement leur liaison ou leur combinaison, mais aussi toute une srie

    dautres lments et dintrts.

    Pour que la gouvernementalit conserve son caractre global, pour quelle ne se spare pas en deux branches (art

    de gouverner conomiquement et art de gouverner juridiquement), le libralisme invente et exprimente unensemble de techniques (de gouvernement) qui sexercent sur un nouveau plan de rfrence et que Foucault

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    appelle la socit civile , la socit ou le social . La socit civile nest pas ici lespace o se fabrique

    lautonomie par rapport ltat, mais le corrlatif des techniques de gouvernement. La socit civile nest pas une

    ralit premire et immdiate, mais quelque chose qui fait partie de la technologie moderne de la

    gouvernementalit. La socit nest ni une ralit en soi, ni quelque chose qui nexiste pas, mais une ralit de

    transaction, au mme titre que la folie ou la sexualit. Au croisement des relations de pouvoir et de ce qui sans

    cesse leur chappe, naissent des ralits de transaction qui sont en quelque sorte une interface entre gouvernants

    et gouverns. Cest ce croisement, dans la gestion de cette interface, que se constitue le libralisme comme art

    de gouvernement. Cest ce croisement qui nat la biopolitique.

    Lhomo conomicus nest donc pas pour Foucault latome de libert inscable face au pouvoir souverain, il nest

    pas llment irrductible au gouvernement juridique, mais un certain type de sujet qui permettra un art de

    gouverner de se limiter, de se rgler selon les principes de lconomie et de dfinir une manire de gouverner le

    moins possible . Lhomo conomicus est le partenaire, le vis--vis, llment de base de la nouvelle raison

    gouvernementale qui se formule partir du XVIIIme sicle.

    Le libralisme nest donc pas dabord, et proprement parler, une thorie conomique, ni une thorie politique,

    mais un art de gouverner qui assume le march comme test, comme instrument dintelligibilit, comme vrit et

    mesure de la socit. Par socit , il faut entendre lensemble des relations juridiques, conomiques,

    culturelles, sociales, etc., tisses par une multiplicit de sujets. Et par march , il ne faut pas comprendre

    marchandisation . Pour Foucault le XVIIIme sicle ne marque pas lentre dans le premier livre du Capital,

    avec lalination et le renversement des rapports des hommes en choses dtermins par lchange de

    marchandises, le secret quil faudrait arracher ces dernires, etc. Le march nest pas dfini par linstinct de

    lhomme changer. Il ne sagit pas non plus du march dont parle Braudel, qui, comme tel, ne serait jamais

    rductible au capitalisme. Par march , il faut toujours entendre, non pas galit de lchange, mais

    concurrence et ingalit. Ici, les sujets ne sont pas des marchands, mais des entrepreneurs. Donc le march est

    celui des entreprises et de leur logique diffrentielle et ingalitaire.

    Le libralisme comme gouvernement des dispositifs de pouvoir htrognes

    Foucault explique les modalits de fonctionnement de la rationalit gouvernementale de faon tout aussi originale.Elle ne fonctionne pas selon lopposition de la rgulation publique (tat) et de la libert de lindividu qui

    entreprend, mais selon une logique stratgique. Les dispositifs juridiques, conomiques et sociaux ne sont pas

    contradictoires, mais htrognes. Htrognit, pour Foucault, signifie tensions, frictions, incompatibilits

    mutuelles, ajustements russis ou manqus entre ces diffrents dispositifs. Tantt le gouvernement joue un

    dispositif contre lautre, tantt il sappuie sur lun, tantt sur lautre. Nous sommes confronts une espce de

    pragmatisme qui a toujours comme mesure de ses stratgies le march et la concurrence. La logique du

    libralisme ne vise pas le dpassement, dans une totalit rconcilie, de diffrentes conceptions de la loi, de la

    libert, du droit, du processus que les dispositifs juridiques, conomiques et sociaux impliquent. La logique du

    libralisme soppose, selon Foucault, la logique dialectique. Cette dernire fait valoir des termes contradictoires

    dans un lment homogne qui promet leur rsolution dans une rconciliation. La logique stratgique a pourfonction dtablir les connexions possibles entre des termes disparates, et qui restent disparates.

    Foucault dcrit une politique de la multiplicit qui soppose aussi bien au primat de la politique revendiqu par

    Arendt et Schmitt, quau primat de lconomie de Marx. Au principe totalisant de lconomie ou du politique,

    Foucault substitue la prolifration de dispositifs qui constituent autant dunits de consistance, de degrs dunit

    chaque fois contingents. Aux sujets majoritaires (sujets de droits, classe ouvrire, etc.), il substitue les sujets

    minoritaires , qui oprent et constituent le rel par lagencement et laddition de bouts, de morceaux, de

    parties chaque fois singuliers. La vrit de ces parties ne se trouve dans le tout ni politique, ni

    conomique.

    travers le march et la socit se dploie lart de gouverner, avec une capacit toujours plus fine dintervention,

    dintelligibilit, dorganisation de lensemble des rapports juridiques, conomiques et sociaux, du point de vue dela logique de lentreprise.

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    Population / classes

    Le gouvernement sexerce toujours sur une multiplicit que Foucault appelle, dans le langage de lconomie

    politique, population . Pour Foucault, le gouvernement comme gestion globale du pouvoir a toujours eu pour

    objet la multitude , et les classes (les sujets conomiques), les sujets de droits et les sujets sociaux en font

    partie.

    Dans lanalyse du capitalisme, la ligne de discrimination se fait entre des techniques et des savoirs qui ont comme

    objet la multiplicit-population, et dautres qui ont pour objets les classes. Depuis le dbut du capitalisme, le

    problme de la population a t pens en termes de bioconomie, alors que Marx avait essay de contourner la

    population (la multitude , dans le langage du pouvoir) et den vacuer la notion mme, pour la retrouver sous

    la forme non plus bioconomique, mais historico-politique, de laffrontement de classe et de la lutte de classe.

    La population doit tre saisie sous un double aspect. Par un bout, cest lespce humaine et ses conditions de

    reproduction biologiques (rgulation des naissance et de la mortalit, gestion de la dmographie, risques lis la

    vie, etc.), conomiques et sociales, mais par un autre bout, cest le Public, lOpinion publique. Les conomistes et

    les publicistes naissent en effet au mme moment, comme le note Foucault. Le gouvernement vise, depuis le

    XVIIIme sicle, agir sur lconomie et sur lOpinion. Laction du gouvernement stend donc de lenracinement

    sociobiologique de lespce jusqu la surface de prise offerte par le Public, comme autant de dispositifs de pouvoir

    - et non pas comme appareils idologiques dtat .

    De lespce aux publics, on a l tout un champ de ralits nouvelles, de nouvelles manires dagir sur les

    comportements, sur les opinions, sur les subjectivits, pour modifier les manires de dire et de faire des sujets

    conomiques et des sujets politiques.

    Discipline et scurit

    Nous avons encore une vision disciplinaire du capitalisme, alors que, selon Foucault, ce sont les dispositifs de

    scurit qui tendent primer. La tendance qui saffirme dans les socits occidentales vient de loin, de la

    Polizeiwissenschaft, cest celle de la socit de scurit qui englobe, utilise, exploite, perfectionne sans les

    supprimer, les dispositifs disciplinaires et de souverainet, selon la logique stratgique de lhtrognit.Il faut distinguer discipline et scurit. La discipline enferme, fixe des limites et des frontires, tandis que la

    scurit garantit et assure la circulation. La premire empche, la seconde laisse faire, incite, favorise, sollicite. La

    premire limite la libert, la seconde est fabricatrice, productrice de libert (libert de lentreprise ou de lindividu

    entrepreneur). La discipline est centripte, elle concentre, elle enferme ; la seconde est centrifuge, elle largit,

    elle intgre sans cesse de nouveaux lments dans lart de gouverner.

    Soit lexemple de la maladie. La maladie peut tre traite soit de faon disciplinaire, soit selon la logique de la

    scurit. Dans le premier cas (celui de la lpre), on essaie dannuler la contagion en sparant les malades et les

    non-malades, en enfermant et isolant les premiers. Les dispositifs de scurit, linverse, en sappuyant sur de

    nouvelles techniques et de nouveaux savoirs (la vaccination), prennent en compte lensemble de la population

    sans discontinuit, sans rupture entre malades et non-malades. travers les statistiques (autre savoir indispensable aux dispositifs scuritaires), on dessine une cartographie

    diffrentielle de la normalit en calculant le risque de contagion pour chaque tranche dge, pour chaque

    profession, pour chaque ville, et, lintrieur de chaque ville, pour chaque quartier. On aboutit ainsi un tableau

    retraant les diffrentes courbes de normalit partir de reprages des risques. La technique scuritaire vise

    rabattre les courbes les plus dfavorables, les plus dviantes, sur la courbe la plus normale.

    On est donc confront deux techniques qui produisent deux types de normalisation diffrents. La discipline

    rpartit les lments partir dun code, dun modle, dune norme qui dtermine le permis et le dfendu, le

    normal et lanormal. La scurit est une gestion diffrentielle des normalits et des risques, quelle ne considre ni

    comme bons, ni comme mauvais, mais comme un phnomne naturel, spontan. Elle dessine une cartographie de

    cette distribution, et lopration de normalisation consiste faire jouer les unes par rapport aux autres lesdiffrentielles de la normalit.

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    Alors que la souverainet capitalise un territoire, alors que la discipline architecture un espace et pose comme

    problme essentiel une distribution hirarchique et fonctionnelle des lments, la scurit va amnager un milieu

    en fonction des vnements ou des sries des vnements possibles, sries quil va falloir rguler dans un cadre

    multivalent et transformable. ( [2])

    La scurit intervient sur des vnements possibles et non sur des faits. Elle renvoie lalatoire, au temporel,

    ce qui est en train de se faire. la diffrence de la discipline, la scurit est une science des dtails. Les choses

    de la scurit sont des choses de chaque instant, alors que les choses de la loi sont dfinitives, permanentes et

    importantes.

    Vitalpolitik

    Foucault relativise la puissance ontologique spontane de lentreprise, du march et du travail, la force

    constitutive des sujets majoritaires (entrepreneurs et travailleurs). Au lieu den faire les sources de la

    production de la richesse (et de la production du rel), comme le font les marxistes de faon spculaire, ou

    comme le fait lconomie politique, il montre quils sont plutt les rsultats de laction dun ensemble de dispositifs

    qui activent, sollicitent, investissent la socit . Entreprise, march et travail ne sont pas des puissances

    spontanes : le gouvernement libral doit les rendre possible, les faire exister.

    Le march, par exemple, est un rgulateur conomique et social gnral, mais il nest pas pour autant unmcanisme naturel que lon trouverait au fondement de la socit, comme le pensent les marxistes et les libraux

    classiques. Au contraire, les mcanismes du march (les prix, les lois de loffre et de la demande) sont fragiles. Il

    faut chaque fois crer les conditions pour les faire marcher. La gouvernementalit assume le march comme ce

    qui limite lintervention de ltat, mais ce nest pas pour neutraliser ses interventions, cest pour les requalifier.

    Le rapport entre tat et march est trs bien mis en lumire par la thorie et la pratique des ordolibraux

    allemands. Les interventions librales peuvent bien tre aussi nombreuses que les interventions keynsiennes

    ( La libert du march ncessite une politique active et extrmement vigilante ( [3]), elles visent en fait autre

    chose et ont un autre objet. Ces interventions ont comme finalit la possibilit du march. Lobjectif est celui de

    rendre possible la concurrence, laction des prix, le calcul partir de loffre et de la demande, etc. Non pas

    intervenir sur le march, mais pour le march, disent les ordolibraux. Il ne faut pas intervenir sur le march,puisque cest le principe dintelligibilit, le lieu de vridiction, la mesure.

    Sur quoi va-t-on donc intervenir ? Selon les libraux allemands, il faut agir sur des donnes qui ne sont pas

    directement conomiques, mais qui sont les conditions dune ventuelle conomie de march. Le gouvernement

    doit intervenir sur la socit elle-mme, dans sa trame et dans son paisseur. La politique de la socit ,

    comme ils lappellent, doit prendre en charge et en compte les processus sociaux pour faire place, en leur sein,

    un mcanisme de march. Pour que le march soit possible, on doit agir sur le cadre gnral : sur la

    dmographie, sur les techniques, les droits de proprit, les conditions sociales, les conditions culturelles,

    lducation, les rgulations juridiques, etc. La pense conomique des libraux aboutit, pour rendre le march

    possible, penser une politique de la vie (Vitalpolitik) : ...une politique de la vie, qui ne soit pas oriente

    essentiellement, comme une politique sociale traditionnelle, laugmentation des salaires et la rduction dutemps de travail, mais qui prenne conscience de la situation vitale densemble du travailleur, sa situation relle,

    concrte, du matin au soir, du soir au matin ( [4]).

    Il semble que la troisime voie de Tony Blair sinspire de ce libralisme continental, plutt que du

    nolibralisme amricain.

    Le travail et les travailleurs

    De la mme manire quil faut passer lextrieur du march , il faut passer aussi lextrieur du travail

    pour saisir sa puissance . Et passer lextrieur, cest passer par la socit et la vie . Pour rendre

    possible le travail, le gouvernement libral doit investir la subjectivit du travailleur, cest--dire ses choix, sesdcisions. Lconomie doit devenir conomie des conduites, conomie des mes (la premire dfinition du

    gouvernement par les Pres de lglise redevient dactualit !).

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    Les nolibraux amricains adressent une critique paradoxale lconomie politique classique et notamment

    Smith et Ricardo. Lconomie politique a toujours indiqu que la production dpend des trois facteurs de

    production (la terre, le capital et le travail), mais dans ces thories le travail est toujours rest inexplor .

    Bien sr, selon Foucault, on peut dire que lconomie dAdam Smith commence par une rflexion sur le travail,

    dans la mesure o cette dernire est la clef de lanalyse conomique, mais lconomie politique classique na

    jamais analys le travail en lui-mme, ou plutt elle sest employe le neutraliser sans cesse et le neutraliser

    en le rabattant exclusivement sur le facteur temps.

    Le travail est un facteur de production bien quil soit en lui-mme passif, et il ne trouve demploi et dactivit que

    grce un certain taux dinvestissement. Cette critique vaut aussi pour la thorie marxienne.

    Pourquoi les conomistes classiques, tout comme Marx, ont-ils, paradoxalement, neutralis le travail ? Parce que

    leur analyse conomique se rsume ltude des mcanismes de la production, de lchange et de la

    consommation, et laisse ainsi chapper les modulations qualitatives du travailleur, ses choix, ses comportements,

    ses dcisions. Les nolibraux veulent, au contraire, tudier le travail comme conduite conomique, mais comme

    conduite conomique pratique, mise en uvre, rationalise, calcule par celui qui travaille.

    Cest la thorie du capital humain , labore entre les annes 60 et 70, que Foucault utilise pour illustrer ce

    passage, cet approfondissement de la logique du gouvernement.

    Du point de vue du travailleur, le salaire nest pas le prix de vente de sa force de travail. Cest un revenu. Et un

    revenu de quoi ? De son capital, cest--dire dun capital humain indissociable de celui qui le dtient, un capital

    qui fait corps avec le travailleur. Du point de vue du travailleur, donc, le problme est celui de la croissance, de

    laccumulation, de lamlioration de son capital humain.

    Former et amliorer le capital, quest-ce que cela veut dire ? Faire et grer des investissements dans lducation

    scolaire, dans la sant, dans la mobilit, dans les affects, dans les relations de toutes sortes (le mariage par

    exemple), etc. En ralit, il ne sagit pas dun travailleur au sens classique du terme (Marx), puisque le problme

    est celui de la gestion du temps de la vie dun individu et non seulement la gestion de son temps de travail. Et

    cela partir de la naissance, puisque ses performances futures dpendent aussi de la quantit daffects qui lui est

    donne par les parents, capitalise en revenu par lui et en revenu psychique par les parents.

    Pour transformer le travailleur en entrepreneur et en investisseur, il faut donc passer lextrieur du travail.

    Les politiques culturelles, sociales, ducatives dfinissent les cadres larges et mouvants lintrieur desquels

    voluent les individus qui choisissent. Et les choix, les dcisions, les conduites, les comportements sont des

    vnements, des sries dvnements quil sagit prcisment de rguler par des dispositifs scuritaires.

    On passe de lanalyse de la structure, du processus conomique, lanalyse de lindividu, de la subjectivit, de

    ses choix et des conditions de production de sa vie.

    quel systme de rationalit cette activit de choix doit-elle obir ? Aux lois du march, au modle de loffre et

    de la demande, au modle cots / investissements qui sont gnraliss dans le corps social tout entier, pour en

    faire un modle des rapports sociaux, un modle de lexistence mme, un rapport de lindividu lui-mme, au

    temps, lentourage, lavenir, au groupe, la famille, dans le sens que lconomie est ltude de la manire

    dont sont alloues des ressources rares des fins alternatives. ( [5])Contrairement au point de vue de Polanyi et de lcole de la rgulation, la rgulation du march nest pas un

    correctif son dveloppement dsordonn, mais son institution.

    Pourquoi ce renversement de point de vue ? Parce que ce quil faut prendre en compte est un problme

    relativement nglig par lconomie : le problme de linnovation. Si innovation il y a, si lon cre du nouveau, si

    on dcouvre des formes nouvelles de productivit, tout cela nest rien dautre que le rsultat de lensemble des

    investissements que lon a fait au niveau de lhomme lui mme .

    Une politique de croissance ne peut pas tre simplement indexe au problme de linvestissement matriel, du

    capital physique dune part et du nombre de travailleurs multipli par les heures de travail, de lautre. Ce quil faut

    modifier cest le niveau et le contenu du capital humain et, pour agir sur ce capital , il faut mobiliser une

    multiplicit de dispositifs, solliciter, inciter, investir la vie .Foucault requalifie la Biopolitique comme une politique de la socit et non plus seulement comme

    rgulation de la race (Agamben) o une srie de dispositifs htrognes intervient sur lensemble des

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  • 8/9/2019 lazzarato -Biopolitique bioeconomique

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    conditions de la vie, en visant la constitution de la subjectivit par une sollicitation des choix, des dcisions des

    individus. Cest en ce sens que le pouvoir est action sur des actions possibles , intervention sur des

    vnements.

    On a (...) limage de lide ou le thme-programme dune socit o il y aura optimisation des systmes de

    diffrence, dans laquelle le champ serait laiss libre aux processus oscillatoires, dans laquelle il y aura une

    tolrance accorde aux individus et aux pratiques minoritaires, dans laquelle il y aura une action non pas sur les

    joueurs, mais sur les rgles du jeu et enfin dans laquelle il y aura une intervention qui ne serait pas de type de

    lassujettissement interne des individus, mais une intervention de type environnementale. ( [ 6])

    Les dispositifs scuritaires dfiniront un cadre assez lche (puisque, prcisment, il sagit de laction sur des

    possibles) lintrieur duquel, dune part, lindividu pourra exercer ses libres choix sur des possibles

    dtermins par dautres et au sein duquel, dautre part, il sera suffisamment maniable, gouvernable, pour

    rpondre aux alas des modifications de son milieu, comme le requiert la situation dinnovation permanente de

    nos socits.

    la lecture de ces cours, on pourrait croire Foucault fascin par le libralisme. Ce quil intresse dans le

    libralisme est en ralit une politique de la multiplicit. La gestion du pouvoir comme gestion de la multiplicit.

    Ces textes telluriques, o lon voit fonctionner les circuits crbraux de Foucault, avec leurs connexions et

    disjonctions synaptiques abruptes, semblent nous inviter considrer le pouvoir, non comme quelque chose qui est,

    mais comme quelque chose qui se fait (et qui se dfait aussi bien !). Ce qui existe, ce nest pas le pouvoir, mais

    le pouvoir en train de se faire, en prise directe avec les vnements, travers une multiplicit de dispositifs,

    dagencements, de lois, de dcisions, qui ne sont pas un projet rationnel et prconu ( un plan ), mais qui

    peuvent faire systme, totalit. Un systme et une totalit toujours contingents.

    Si la philosophie franaise est depuis longtemps, dans ses dveloppements les plus intressants, une philosophie

    de la multiplicit, la politique franaise est, depuis plus longtemps encore, une politique de la totalit, de lun, de

    lunit. Cest ici que la droite et la gauche (marxiste et socialiste) franaises se rejoignent. Nous en avons eu

    rcemment confirmation avec la campagne rfrendaire sur lEurope. Le soir des rsultats, la droite et la gauche

    se sont immdiatement renfermes dans le tout rassurant de la Nation, dont elles ntaient au fond jamais

    sorties, mais elles ont fait appel aussi, et le mme soir, un autre tout, inefficace et rassurant lui aussi, pourrsoudre le problme du chmage : lemploi (le travail rduit sa forme emploi). La politique de la totalit ne

    connat pas le dehors .

    Limpuissance des tenants du oui et du non renvoie une mme impossibilit : celle de penser et

    pratiquer une politique de la multiplicit qui passe lextrieur de tous les touts substantialiss : travail,

    march, tat, nation.

    [1] Adelino Zanini, Adam Smith. Economia, morale, diritto, Bruno Mondadori, 1977 et Genesi imperfetta. Il

    governo delle passioni in Adam Smith, G. Chiapelli, 1995.

    [2] Michel Foucault, Scurit ,territoire, population, Gallimard / Seuil, 2004, p. 22

    [3] Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, Gallimard / Seuil, 2004, p. 139

    [4] Ibidem, p. 164

    [5] Ibidem, p. 247

    [6] Ibidem, p. 265

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