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1 LCL Arbaretier Cours N° 8 : la Deuxième Guerre mondiale : Weserübung. L’opération « Weserübung » déclenchée le 9 avril 1940 qui se termina fin juin avec la reddition des derniers combattants norvégiens fut la première opération interarmées de la Seconde Guerre mondiale, tant au plan de ses objectifs stratégiques, qu’à celui de son système de commandement ou de sa planification et enfin de sa conduite. Cette opération fut conduite dans un environnement où prévalaient la supériorité navale britannique et l'imminence d'une campagne déclenchée à l'ouest. L’état-major allemand avait également intégré pour la première fois sous un même commandement des moyens appartenant aux trois composantes Terre Air et Mer. J’insisterai durant cette communication sur l’aspect interarmées de la préparation de cette opération. 1. Les objectifs stratégiques : En septembre 1939, alors que la France et l’Empire britannique ont déclaré la guerre à l’Allemagne nazie, Hitler, après avoir dégarni sa frontière occidentale, met l’ensemble de ses forces aériennes et terrestres dans la guerre contre la Pologne qu’il réussit à vaincre en trois semaines avec le concours des Soviétique, qui en vertu du pacte signé un mois auparavant, participent à la curée. Au début de l’année 1940, alors que les Soviétiques ont attaqué la Finlande depuis la fin novembre, Hitler se concentre sur le « Plan jaune » visant à défaire les Français et les Britanniques à l’Ouest. Toutefois, l’Amiral Erich Raeder, le chef de la Kriegsmarine, lui suggère dès le 20 octobre 1939 d’attaquer le Danemark et la Norvège en vue de désenclaver la marine allemande face à la Royal Navy. En effet, la marine allemande ne voulait pas recommencer le cauchemar de la bataille du Jutland en 1916 après laquelle elle dût rester au port pendant presque deux ans. En outre, l’importance de la Norvège pour l’Allemagne s’expliquait également par son rôle dans son approvisionnement en minerais de fer suédois. Près des trois quarts des minerais de fer utilisés par l’Allemagne provenaient de Suède. Pour reprendre la célèbre expression de la propagande française de cette époque, il ne fallait pas que « la route du fer fût coupée ». Enfin, comme l’illustrait les écrits d’un stratégiste naval allemand de l’entre-deux guerres, l’amiral Wolfgang Wegener, dans Seestrategie des Weltkrieges, publié en 1929,

LCL Arbaretier Cours N° 8 : la Deuxième Guerre mondiale

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Page 1: LCL Arbaretier Cours N° 8 : la Deuxième Guerre mondiale

1

LCL Arbaretier

Cours N° 8 : la Deuxième Guerre mondiale : Weserübung.

L’opération « Weserübung » déclenchée le 9 avril 1940 qui se termina fin juin avec la

reddition des derniers combattants norvégiens fut la première opération interarmées de la

Seconde Guerre mondiale, tant au plan de ses objectifs stratégiques, qu’à celui de son

système de commandement ou de sa planification et enfin de sa conduite. Cette opération

fut conduite dans un environnement où prévalaient la supériorité navale britannique et

l'imminence d'une campagne déclenchée à l'ouest. L’état-major allemand avait également

intégré pour la première fois sous un même commandement des moyens appartenant aux

trois composantes Terre Air et Mer.

J’insisterai durant cette communication sur l’aspect interarmées de la préparation de cette

opération.

1. Les objectifs stratégiques :

En septembre 1939, alors que la France et l’Empire britannique ont déclaré la guerre à

l’Allemagne nazie, Hitler, après avoir dégarni sa frontière occidentale, met l’ensemble de

ses forces aériennes et terrestres dans la guerre contre la Pologne qu’il réussit à vaincre

en trois semaines avec le concours des Soviétique, qui en vertu du pacte signé un mois

auparavant, participent à la curée. Au début de l’année 1940, alors que les Soviétiques

ont attaqué la Finlande depuis la fin novembre, Hitler se concentre sur le « Plan jaune »

visant à défaire les Français et les Britanniques à l’Ouest. Toutefois, l’Amiral Erich Raeder,

le chef de la Kriegsmarine, lui suggère dès le 20 octobre 1939 d’attaquer le Danemark et

la Norvège en vue de désenclaver la marine allemande face à la Royal Navy. En effet, la

marine allemande ne voulait pas recommencer le cauchemar de la bataille du Jutland en

1916 après laquelle elle dût rester au port pendant presque deux ans. En outre,

l’importance de la Norvège pour l’Allemagne s’expliquait également par son rôle dans

son approvisionnement en minerais de fer suédois. Près des trois quarts des minerais de

fer utilisés par l’Allemagne provenaient de Suède. Pour reprendre la célèbre expression

de la propagande française de cette époque, il ne fallait pas que « la route du fer fût

coupée ».

Enfin, comme l’illustrait les écrits d’un stratégiste naval allemand de l’entre-deux

guerres, l’amiral Wolfgang Wegener, dans Seestrategie des Weltkrieges, publié en 1929,

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il était primordial que l’Allemagne s’emparât des côtes scandinaves, avant la prochaine

guerre afin de lui éviter l’enclavement maritime, comme au cours de la précédente, qui

l’empêcherait d’avoir accès au grand large et cantonnerait sa marine à un rôle de second

plan comme au cours de la Première Guerre mondiale.

2. La planification interarmées :

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3

Dans son ordre à l’OKW du 14 décembre, Hitler stipula que la planification d’une

opération en Norvège devait être gardée dans un cercle très limité. Ce même jour, le

chef d’état-major de l’armée de terre, Brauchitsch, apprit qu’une opération préventive

en Norvège inclurait aussi le Danemark. De fait, il ordonna à son état-major d’acquérir

des cartes géographiques et à son bureau renseignement de commencer à collecter des

informations sur ces deux pays. A l’OKW, le Generalmajor1 Alfred Jodl, le chef du bureau

opérations, prit en main le travail préliminaire. Son journal quotidien montre qu’il

discuta la question de la Norvège avec le chef d’état-major et vraisemblablement aussi

les gens de l’état-major de la Luftwaffe, dans le mesure où il pensait qu’une telle

opération serait essentiellement aérienne. Le 19 décembre, il en rendit compte à Hitler

qui le chargea de cette planification qui devait rester au niveau de l’OKW. Le 20

décembre, Jodl et le Generaloberst2 Keitel, le chef de l’OKW, discutèrent des possibilités

de reconnaissance en Norvège et considèrent l’attribution de missions aux attachés de

l’air ainsi qu’aux spécialistes du renseignement (Abwehr), en particulier l’escadron de

reconnaissance stratégique Rowel qui était supposé échapper aux moyens de détection

en volant à très haute altitude. Vers la fin du mois de décembre, le bureau opérations de

l’OKW mit en forme sous l’appellation « Studie Nord3 »un inventaire sommaire des sujets

principaux politiques et militaires concernant la Norvège. Hitler ordonna que cette étude

restât au niveau de l’OKW4.

Dans le même temps, l’organisation de Rosenberg avait également œuvré. Sa première

mission avait été de convaincre le ministère des affaires étrangères (Auswärtiges Amt) de

trouver les fonds nécessaires pour soutenir l’action de Quisling. Le ministère des affaires

étrangères et le département de politique internationale du parti nazi avaient été des

adversaires depuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Le cas de Quisling en Norvège était jugé

comme particulièrement sensible par le ministère des affaires étrangères car il risquait de

mettre en danger la toute neuve amitié germano-soviétique que le ministre Joachim von

Ribbentrop considérait comme le couronnement de son œuvre. Rosenberg réussit toutefois

à s’assurer un paiement initial de 200 000 Mark Or à la destination de Quisling en vue

d’encourager son installation. Il était aussi prévu de le ravitailler en denrées immédiatement

convertibles telles que le sucre et le charbon.

1 Général de division.

2 Général d’armée.

3 Ou étude nord.

4 Cf volume 3, page 13 du journal du général Halder, le chef d’état-major de l’OKH.

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4

Une fois Quisling reparti pour Oslo, Rosenberg nomma le Reichsamtleiter Hans-Wilhelm

Scheidt comme officier de liaison auprès de Quisling. A Oslo, Scheidt trouva que les

diplomates de l’ambassade allemande croyaient très peu dans la probabilité d’une invasion

britannique et voulaient mener leurs affaires loin de Quisling en vue d’éviter toute

compromission. Toutefois, l’attaché naval, au contraire, offrit son assistance à Scheidt et

devint vite son principal collaborateur. Depuis le début, les Allemands pensaient que le coup

d’état proposé par Quisling avait trop de risques d’échouer. Ils préféraient laisser lentement

évoluer la situation et orientaient les efforts de Quisling vers la fourniture de

renseignements militaires à leur profit. La plupart des sommes d’argent envoyées

d’Allemagne servit à subventionner la propagande et à soutenir la parution du journal

hebdomadaire du Parti d’Union Nationale. Quisling envoyait ses comptes rendus à

Rosenberg qui les passait ensuite à Hitler. Raeder restait en contact avec Quisling à travers

son attaché naval à Oslo. Cependant, l’OKW resta indifférent et ne demanda apparemment

jamais conseil à Quisling ni ne prêta une quelconque attention à ses propositions5.

A la fin de l’année, le projet norvégien des Allemands était encore vague. Le 30 décembre,

Rader, de nouveau dit à Hitler qu’il ne fallait pas laisser tomber la Norvège dans les mains

des Britanniques. Raeder craint alors que les Britanniques entreprennent de manière cachée

ce qu’il appelle une « occupation froide » des principaux sites stratégiques du pays. Il incita 5 In Rosenberg, Die politische Vorbereitung der Norwegen Aktion, 15 Juni 1940. EAP 250-d-18-42/2.

Page 5: LCL Arbaretier Cours N° 8 : la Deuxième Guerre mondiale

5

alors Hitler à se préparer à une telle possibilité. Toutefois son sentiment d’agir dans

l’urgence n’était pas partagé par d’autres responsables militaires allemands, comme cela fut

démontré deux jours plus tard lorsque Keitel et Halder se mirent d’accord sur le fait qu’un

changement d’attitude allemand ne dépendrait que du niveau de menace de la part des

Britanniques à l’égard de la neutralité norvégienne6. Par ailleurs, l’intérêt d’Hitler

augmentait progressivement mais lentement, en fonction des bruits rapportés par la presse

d’une possible intervention alliée en Finlande contre les Soviétiques. Il est également

possible qu’Hitler ait appris la tentative des Britanniques le 6 janvier 1940 en vue d’obtenir

des Norvégiens un accord concernant la possibilité pour la Royal Navy de patrouiller dans

les eaux territoriales norvégiennes. Le 10 janvier, avec un retard de presque deux semaines,

Hitler communiqua l’étude Nord de l’OKW aux états-majors d’armées.

L’état-major naval fut le seul état-major d’armée qui accorda une quelconque attention à

l’étude Nord. Le 13 janvier, eut d’ailleurs lieu une révision de l’étude Nord au niveau de cet

état-major naval. Comme cela fut résumé dans le compte rendu fait ensuite par l’état-major

naval, l’étude Nord partait du principe que l’Allemagne ne tolérerait aucune présence

britannique sur le territoire ou les eaux territoriales norvégiennes et que seulement une

occupation préventive de la part de la Wehrmacht pourrait décourager et empêcher les

Britanniques d’y procéder. D’après l’OKW, l’opinion scandinave était devenue défavorable à

l’Allemagne depuis les débuts de la guerre de Finlande. Cette opinion ne pourrait nullement

devenir plus favorable à l’Allemagne au fur et à mesure que cette guerre de Finlande se

poursuivrait et il était fort à parier que toute invasion de la Norvège de la part des

Britanniques ne fasse l’objet que d’une résistance très molle et très sommaire de la part des

Norvégiens. L’OKW pensait également que les Britanniques utiliseraient comme prétexte

pour intervenir toute action offensive allemande sur le front occidental. L’étude Nord

recommandait qu’un état-major particulier interarmées aux ordres d’un général de la

Luftwaffe s’occupât de la préparation détaillée d’un plan d’opérations. La marine fournirait

alors le chef d’état-major de cet état-major et l’armée de terre le chef du bureau opérations.

Du 14 au 19 janvier, l’état-major naval travailla sur une extension de l’étude Nord. Cette

extension prévoyait pour la marine de soutenir et d’exécuter le débarquement de troupes

sur les ports principaux norvégiens d’Oslo à Tromsö. Le principe de surprise était considéré

comme étant essentiel au succès de l’opération. Au cas où la surprise serait garantie, aucune

opposition sérieuse n’était attendue durant la phase navale de l’opération, et ce, au-moins

durant le transport des troupes. L’état-major naval allemand ne considérait pas la flotte de

guerre norvégienne comme représentant une quelconque menace y compris contre les

navires les plus légers de la Kriegsmarine.

6 Cf journal d’Halder, volume 3, page 13.

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6

Les forces d’assaut possibles étaient composées soit de la 22e division aéroportée (de la

Luftwaffe) soit d’une division de montagne. Le transport était assuré par la 7e division

aérienne (pour la division parachutiste et aéroportée ainsi que leur poste de

commandement) et par la marine. La première possibilité étudiée était de transporter les

troupes qui n’iraient pas par voie aérienne, par voie maritime et en particulier à l’aide de

navires marchands transformés pour l’occasion en navires de transport de minerais.

L’état-major naval supposa que le Danemark, la Suède et l’Union Soviétique seraient

concernés par l’opération d’une manière ou d’une autre. Il recommanda l’acquisition de

bases au Danemark, en particulier sur la côte septentrionale du Jutland, comme étant un

moyen de s’approcher discrètement du passage entre la Norvège et les îles Shetland et

comme facilitant le contrôle du détroit de Skagerrak. Une assurance pourrait être donnée à

l’Union Soviétique concernant l’occupation temporaire des ports du nord de la Norvège,

seulement lors de la guerre. Dans le cas de la Suède, la garantie de l’achat et du transport

par l’Allemagne du minerai de fer produit constituerait pour elle le seul moyen de

sauvegarder son indépendance.

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Durant les premières semaines de janvier 1940, l’attention d’Hitler était encore entièrement

attirée par le plan d’une offensive à l’ouest de l’Europe, qu’il souhaitait mettre en œuvre

avant la fin du mois. Toutefois, à cause des prévisions météorologiques qui devenaient de

moins en moins favorables dans la deuxième moitié du mois, Hitler annonça le 20 janvier

que les opérations ne pourraient probablement pas débuter avant le mois de mars. En

conséquence, il devint nécessaire de considérer la situation en Scandinavie sous une

perspective nouvelle dès lors que l’ajournement de l’offensive allemande pourrait donner

aux Alliés le temps d’intervenir dans le nord.

Le 23 janvier, Hitler rappela l’étude Nord. La création d’un groupe de travail au sein de l’OKL

(l’état-major de la Luftwaffe) fut annulée et l’ensemble du travail complémentaire serait

dorénavant effectué au sein de l’OKW. Hitler fit ainsi d’une pierre deux coups, en plaçant

d’une part, la planification de l’opération en Norvège à un niveau plus important et sur de

meilleures bases et d’autre part, en imposant une norme de sécurité des opérations jamais

auparavant réalisée, et ce, suite à l’incident de l’avion qui avait atterri en Belgique avec les

plans des opérations à l’ouest ainsi livrés aux Alliés. Le 27 janvier, Keitel expliqua dans une

lettre adressée aux chefs d’armées de terre, de mer et de l’air qu’Hitler désormais allait

personnellement diriger la planification d’une opération en Scandinavie en reprenant l’étude

Nord et en tenant compte de la conduite générale de la guerre. Keitel allait superviser les

travaux de planification et un groupe de travail pluridisciplinaire allait servir de noyau du

futur état-major opérationnel et serait constitué au sein de l’OKW. Chaque armée devait

fournir un officier qui aurait non seulement une aptitude à planifier et conduire une

opération mais qui aurait également des connaissances en logistique et en organisation. Le

nom attribué à l’opération serait « Weserübung 7».

L’état-major de Weserübung fut rassemblé pour la première fois le 5 février 1940 et fut

installé au sein d’une section spéciale de l’OKW, au sein du bureau opérations du bureau de

défense nationale. L’officier le plus ancien était le capitaine de vaisseau Krancke, alors

commandant le croiseur Scheer. Pour la première fois, le contrôle direct d’un état-major

opérationnel était retiré au commandement d’une armée (terre, air ou mer) et directement

remis à l’état-major personnel d’Hitler : l’OKW. Ce geste, quoique justifié par le caractère

particulier de l’opération qui était planifiée, constitua une vassalisation à Hitler des

commandants en chef des armées ainsi que de leurs états-majors. Cela expliqua sans doute

les réactions violentes de l’armée de terre et de l’armée de l’air qui eurent lieu les semaines

suivantes. Toutefois, contrairement à ce qui fut écrit par la suite, notamment que les

Allemands avaient collecté du renseignement militaire sur la Scandinavie bien avant le début

de la guerre, l’état-major Krancke débuta son travail avec des ressources très modestes.

7 Ce qui signifie exercice Weser (un nom de rivière allemande).

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L’état-major naval et l’OKW fournirent à Krancke ce qui ne devait constituer qu’un tout

début de planification et malgré les renseignements qui avaient été déjà collectés sur

l’armée et les infrastructures militaires norvégiennes, qui se révélèrent par la suite justes et

donc utiles, tout cela ne fut pas d’une importance décisive. Ainsi les cartes et les

informations de niveau général furent-elles apportées par des sources très diverses comme

les guides et brochures touristiques et les tableaux d’études hydrographiques. La nécessité

absolue de conserver le secret de la planification constitua sans nul doute également un

handicap. Toutefois en approximativement trois semaines, l’état-major Krancke produisit un

plan d’opérations qui était exploitable. Le plan Krancke, pour la première fois, dirigea son

attention et ses efforts sur les aspects techniques et tactiques de l’opération planifiée. De

même que l’état-major naval l’avait fait auparavant, Krancke basa son plan sur la division de

la Norvège en six zones d’une égale importance stratégique.

1. La région autour du fjord d’Oslo. 2. La bande étroite du sud de la Norvège entre Langesund et Stavanger. 3. Bergen et ses environs. 4. La région de Trondheim. 5. Narvik. 6. Tromsö et le Finnmark.

Contrôler ces espaces aux dimensions restreintes mais renfermant la plupart de la

population, de l’industrie et du commerce de la Norvège revenait en effet à en contrôler

l’ensemble du territoire. Pour cette raison, l’état-major Krancke proposa d’exécuter

simultanément des débarquements à Oslo, Christiania, Arendal, Stavanger, Bergen,

Trondheim et Narvik. Il considérait Tromsö et le Finnmark comme étant des objectifs de

nature secondaire pour l’Allemagne et ne lui semblaient avoir de la signification qu’en raison

des deux aérodromes qui se situaient à côté de Tromsö. La capture des sept zones

portuaires devait selon l’état-major Krancke avoir pour conséquence la perte de 8 des 16

régiments norvégiens ainsi que de l’ensemble de leur artillerie et de leurs aérodromes.

L’opération devrait être conduite par un corps d’armée comprenant la 22e division

d’infanterie aérotransportée, la 11e brigade d’infanterie motorisée, une division de

montagne et six régiments renforcés d’infanterie. Les troupes de débarquement seraient

transportées par une flotte de navires de guerre rapides et par les avions de transport de la

7e division aérienne, ce qui représenterait ainsi 8 groupes de transport aérien et à peu près 5

bataillons de parachutistes pour la première vague. Les avions de transport de la 7e division

aérienne transporteraient en trois jours les éléments constituant la seconde vague, c'est-à-

dire le gros de la 22e division d’infanterie. Le reliquat des troupes de débarquement des

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quatrième et cinquième vagues arriverait ensuite via des navires de transport les 4e et 5e

jours. Avec le plan Krancke, la moitié du transport des troupes serait effectué par la mer et

l’autre moitié par la terre, à l’exception des troupes pour Narvik et Trondheim dont le

transport ne se ferait que par la mer en raison des distances. L’armée de l’air fournirait

également un soutien en bombardiers et en chasseurs.

L’état-major Krancke croyait que l’occupation serait restreinte aux sept zones portuaires

principales. Il ne prévoyait pas que les forces armées norvégiennes montreraient une

volonté et une capacité d’offrir une quelconque résistance efficace. En outre, il pensait

qu’après les débarquements, la position allemande pourrait être consolidée par des moyens

diplomatiques. Le gouvernement norvégien se verrait concéder pour les affaires intérieures

autant d’indépendance que possible. Les forces armées, sauf sur la frontière finlandaise,

seraient réduites aux cadres indispensables et tout ordre de mobilisation se devrait

d’obtenir l’approbation préalable de l’Allemagne. Les forces allemandes prendraient sous

leur contrôle direct les forteresses et les dépôts de ravitaillements.

L’action délibérée du Cossack convainquit Hitler que les Britanniques n’avaient plus

aucunement l’intention de respecter la neutralité norvégienne. Ainsi donc, il demanda le 19

février une accélération de la planification de Weserübung. Sur la suggestion de Jodl, Hitler

décida de confier la planification de cette opération à un général de corps d’armée et à son

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état-major. A cet effet, il désigna le général commandant le XXIe corps d’armée, Nikolaus von

Falkenhorst8, qui avait lui-même acquis une expérience de la guerre en Scandinavie, lorsqu’il

avait combattu les Bolcheviks en Finlande en 1918, en tant qu’officier opérations au sein de

la division von der Goltz. En outre, le général von Falkenhorst revenait juste de la campagne

de Pologne où il s’était illustré à la tête du XXIe corps d’armée. Parlant le même jour à

Rosenberg, Hitler décida de laisser tomber le plan de Quisling visant à s’emparer du pouvoir

en Norvège, le gardant toutefois en réserve au cas où les Britanniques décideraient

d’intervenir directement en Norvège, obligeant les Allemands à protéger leurs propres voies

de ravitaillement en minerais.

Le 21 février à midi, Falkenhorst se vit directement recevoir sa mission d’Hitler qui consistait

à planifier et à conduire l’opération Weserübung en Norvège. Ce plan se divisait en deux

objectifs : d’une part devancer les Britanniques en Norvège en occupant d’emblée les ports

et les localités les plus importantes, en particulier Narvik qui était le port d’embarquement

du minerai de fer destiné à l’Allemagne ; et d’autre part, prendre le contrôle de l’intérieur du

pays en vue d’empêcher toute résistance de la part des Norvégiens en y rendant impossible

toute collaboration avec les Britanniques9. Le lendemain, une fois que Falkenhorst avait

revu le plan de Krancke et qu’il en eut préparé une première estimation, Hitler confirma sa

8 Nikolaus von Falkenhorst, ayant alors 54 ans, était le descendant d’une famille aristocratique de Breslau qui

avait germanisé son nom de von Jastrzembski en von Falkenhorst.

9 Kriegstagebuch du Gruppe XXI à la date du 21 février 1940. AOK 20 180/5.

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mission. Le 26 février débuta à Berlin le travail d’un état-major restreint sélectionné par

Falkenhorst.

Le 28 février, Falkenhorst en rendit compte à Keitel et lui demanda l’attribution d’un poste

de commandement provisoire de corps d’armée et deux divisions en vue de conduire les

opérations contre le Danemark. Le même jour, Jodl proposa à Hitler d’étudier Weserübung

indépendamment de la préparation de l’attaque à l’ouest (Fall Gelb10) et ce, à la fois en

terme d’espace-temps et de troupes à utiliser. Ainsi l’OKW décida-t-il ensuite de minimiser le

nombre de troupes parachutistes employées dans l’attaque contre la Norvège, et ce, au

profit de l’attaque à l’ouest. L’allocation d’unités parachutistes à Weserübung par l’OKW fut

de fait réduite à 4 compagnies (au lieu d’une division). De même, l’OKW décida-t-il ensuite

de retirer un régiment parachutiste à la 22e division d’infanterie. Hitler approuva ces

changements le 29 février ainsi que l’attaque du Danemark. Ayant validé le plan

d’opérations militaire ainsi amendé, Hitler appela ensuite Rosenberg pour lui dire qu’il

n’aurait plus besoin du soutien actif de Quisling, quel que soit sa forme.

Le premier mars, dans sa « directive Weserübung », Hitler établit les besoins généraux

concernant cette opération et donna l’ordre de planifier officiellement la conquête de la

10 Littéralement le Cas Jaune, ou bien Plan Jaune. L’attaque contre la Pologne avait été ainsi nommé Fall Weiss

ou Plan Blanc.

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Scandinavie (conquête limitée au Danemark et à la Norvège). Les objectifs étaient

respectivement l’anticipation et les contre-mesures face à une possible intervention

britannique en Scandinavie et dans la zone de la Mer baltique, ainsi que la protection

nécessaire pour l’industrie allemande des lignes maritimes d’approvisionnement en minerai

de fer suédois et dans un deuxième temps, la conquête de bases avancées en Scandinavie en

vue de mieux menacer ultérieurement les îles britanniques. L’idée générale de conduite de

cette opération était celle d’une « protection armée de la neutralité des pays scandinaves ».

Ainsi en termes de volume de troupes consacrées à ce type d’opération, était-il important de

pallier le nombre par l’effet de surprise et l’audace. L’opération Weserübung consisterait en

deux opérations distinctes, Weserübung Nord qui consistait en l’occupation de la Norvège

par les voies maritimes et aériennes, et en cas du refus de collaborer des Danois,

Weserübung Süd qui comprenait l’occupation pacifique du Danemark avec notamment un

débarquement sur l’île de Sjaelland, après la conquête par voie terrestre et du Jutland de

Fuenen. Le débarquement sur Sjaelland pourrait être étendu plus tard en cas de résistance

des Danois. En tant que commandant du 21e CA, Falkenhorst serait le chef et le coordinateur

de la planification de ces deux opérations et dépendrait à ce titre directement d’Hitler. Les

forces à utiliser seraient prises aux trois armées séparément. Hitler ne voulait ainsi aucune

implication directe des trois commandants d’armées, qui risquerait ainsi de compromettre le

secret et l’efficacité de cette planification. Les forces aériennes utilisées pour Weserübung

seraient placées ainsi sous le contrôle tactique du 21e CA durant la durée de l’opération et

l’emploi des forces navales et aériennes pour l’opération se ferait-il ainsi indépendamment

des commandements de la Luftwaffe et de la Kriegsmarine.

La parution de la directive du Führer provoqua rapidement une vague de protestations et

d'objections de la part des commandements de l'armée de terre et de l'aviation. Avec

l'imminence du déclenchement de la campagne occidentale, aucune de ces deux armées ne

voulaient distraire de forces du théâtre principal d'opérations. L'armée de terre n'avait

nullement modifié son jugement défavorable déjà exprimé par Halder le 5 octobre 1939. En

outre, beaucoup de sentiments personnels étaient impliqués dans ces appréciations du fait

de la non-implication de ces deux commandements dans la préparation de cette opération.

Halder nota ainsi dans journal le 2 mars 1940 qu'Hitler n'avait échangé aucun mot avec le

commandant en chef de l'armée11 concernant la préparation de l'opération en Norvège.

Avant tout, l'armée de terre s'opposait à l'organisation des unités terrestres faite

indépendamment de l'OKH par l'OKW.

11 Brauchitsch

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13

Au contraire des deux autres commandements d'armées, le commandement naval adopta et

valida de bon cœur la directive du Führer. Durant la réunion du 2 mars, le commandement

naval déclara qu'il ne s'agissait plus désormais d'une planification militaire mais d'une

planification avant tout économique et politique. Prenant le contre-pied des attitudes

défendues par lui en janvier dernier, le commandement naval conclut : « Il ne s'agit plus

simplement aujourd'hui d'améliorer et d'obtenir des seuls avantages militaires en

comparant les avantages et inconvénients de la possibilité d'exécuter cette opération

Weserübung en mettant en avant des facteurs d'ordre purement militaire, mais bien au

contraire, pour les forces armées de s'adapter à la vitesse de l'éclair aux conditions

politiques et aux nécessités.

Le commandement naval recommandait qu'Hitler fût informé des difficultés qui persistaient

vers la réalisation réussie de Weserübung ainsi que de la détermination de la Kriegsmarine

« d'abandonner tous les scrupules et d'évacuer toutes les difficultés qui surviendraient en

utilisant toutes ses forces »12.

Le 3 mars, Hitler appela à une plus grande vitesse dans la préparation de Weserübung, Il vit

la nécessité d'agir rapidement et avec force en Norvège et interdit tout retard dans la

préparation des différentes armées. Il voulait que les forces soient rassemblées pour

l'opération le 10 mars et prêtes à partir le 13 mars, de manière à être en mesure de

débarquer en Norvège approximativement le 17 mars. Il décida de mettre en œuvre

Weserübung avant le plan Gelb13 , laissant ainsi un espace temporel de 3 jours entre les deux

opérations.

Ainsi les planifications de Weserübung et de Gelb, furent-elles désormais menées de

manière tout à fait indépendante l'une de l'autre. La 7e division aérienne et la 22e division

d'infanterie furent ainsi attribuées à Gelb. En conséquence, il ne fut plus possible, comme

lors de la planification effectuée par le plan Krancke, de considérer en Scandinavie des

opérations aéroportées de grande envergure.

3. La décision d'Hitler

12 Naval War Diary , vol 7, page 10.

13 Le plan d'invasion du Luxembourg, des Pays-Bas, de la Belgique et de la France.

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14

Après le 5 mars, le déroulement détaillé de l'opération Weserübung devint la principale

préoccupation du plus haut niveau de commandement. Lors d'une conférence avec Hitler,

Raeder déclara que l'exécution de l'opération Weserübung devenait urgente. Il maintenait

en effet que les Britanniques poursuivaient leur intention d'intervenir en Norvège et en

Suède au prétexte d'envoyer des troupes pour soutenir les Finlandais. Une telle opération

pouvait interdire à l'Allemagne toute importation de minerai de fer et être ainsi décisive

contre l'Allemagne. Il caractérisa l'opération Weserübung comme étant à l'opposé de tout

principe de la guerre navale, puisque l'Allemagne devait faire face durant cette opération à

une force navale britannique très supérieure. Ne disposant pas de la suprématie navale,

l'Allemagne devait alors, pour atteindre ses buts, mettre en œuvre le principe de Surprise14.

Le 12 mars, alors que le progrès des pourparlers de paix entre Finlandais et Soviétiques

prenaient de vitesse les propositions de soutien des Alliés aux Finlandais, Hitler ordonna une

accélération de la planification de Weserübung et demanda au groupe 21 d'inclure dans ses

calculs des opérations d'urgence. La Kriegsmarine annula toute autre opération que

Weserübung le 4 mars, et maintint dans les ports les sous-marins en vue de cette opération.

Le 11 mars, les sous-marins à long rayon d'action furent envoyés vers les principaux ports

norvégiens en vue d'en interdire l'accès au corps d'expédition allié15.

L'OKW en conclut alors que comme leur prétexte avait disparu, les Alliés n'interviendraient

plus en Norvège pour l'instant. Hitler était tenté de partager leur opinion mais il songeait

également que les Britanniques n'abandonneraient leur objectif stratégique de couper les

importations de minerais de fer que l'Allemagne recevait en provenance de Suède, et qu'à

cette fin, ils interviendraient donc dans les eaux territoriales norvégiennes. Il pensait

qu'ensuite, les Alliés seraient amenés à envoyer des troupes occuper des ports et des bases

aériennes en Norvège. Selon son opinion, les territoires scandinaves étaient devenus une

sphère d'intérêts pour les deux belligérants et resterait «une aire d'insécurité» pour

l'Allemagne tant que l'opération Weserübung n'aurait pas été déclenchée. Pour ce faire, il

réaffirma son intention de mener cette opération peu de temps avant le déclenchement de

Gelb.

Jodl et Raeder furent totalement d'accord avec le raisonnement d'Hitler, mais d'autres

officiers dans le petit cercle associé à Weserübung commencèrent à avoir des doutes.

L'adjoint de Jodl, le colonel Warlimont, suggéra même de laisser tomber l'opération

Weserübung, dans la mesure où l'opération Gelb devait fixer un nombre important de forces

terrestres et aériennes françaises et britanniques pendant une période importante. Des

14 Führer's conferences, 1940-1 page 20.

15 Gruppe XXI, Ia, Kriegstagebuch Nr 1, 12 mars 40.

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15

pensées identiques avaient commencé à germer parmi les membres de l'état-major de

Falkenhorst. Jodl se plaignit que les « trois chefs » de Falkenhorst commençaient à s'occuper

d'affaires qui ne les concernaient pas, car les représentants des états-majors naval et aérien

auprès de Falkenhorst y avaient été détachés en tant que chefs naval et aérien. Krancke

voyait ainsi plus d'inconvénients que d'avantages dans la réalisation de Weserübung.

Il semblait qu'Hitler, malgré l'expression de sa détermination, eût préféré au-moins un

ajournement temporaire de l'opération. Entre temps, la décision avait été prise. En outre, du

point de vue de la Kriegsmarine, l'exécution de l'opération devenait urgente car d'autres

opérations navales avaient été suspendues en raison de Weserübung et parce qu'après le 15

avril, les nuits sous les latitudes septentrionales deviendraient trop courtes pour permettre

la propre couverture aérienne des forces navales. Dans son compte rendu du 26 avril,

Raeder déclara à Hitler que, bien qu'il n'y eût aucun besoin d'anticiper une intervention

britannique en Norvège dans un avenir proche, il croyait fermement que l'Allemagne se

devait tôt ou tard de faire face à la question de déclencher ou non l'opération Weserübung.

Lui-même conseilla de déclencher l'opération au plus tôt. Hitler fut d'accord et promit de

définir la date du déclenchement de l'opération Weserübung en fonction de la prochaine

période de pleine lune qui commencerait le 7 avril.

Le 2 avril, après s'être assuré que les commandants en chef de la Luftwaffe, de la

Kriegsmarine aient vérifié les bonnes conditions météorologiques de l'opération,

notamment que les mouvements maritimes en mer Baltique ne soient pas gênés par les

glaces, Hitler désigna le 9 avril comme étant le jour du déclenchement de l'opération

Weserübung (Weser Tag) à 5h15 du matin.

4. La Kriegsmarine

L’opération Weserübung était extrêmement vulnérable durant sa phase navale, dès lors

que l’ensemble de la marine allemande ne pouvait d’emblée rivaliser avec la marine

britannique.

Une intervention de la Royal Navy sur l’opération Weserübung durant la phase 1 pourrait

ainsi avoir pour conséquences, à la fois l’échec de l’opération et la destruction de la

Kriegsmarine. En conséquence la planification a mis l’accent sur la surprise. En vue de

réaliser l’effet de surprise, la vitesse d’exécution et un timing très précis étaient absolument

nécessaires. Il fut ainsi décidé de transporter les troupes d’assaut sur des bâtiments de

guerre.

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Les navires de guerre ne pouvaient guère transporter d’équipements lourds ou de

grandes quantités de ravitaillements pour les troupes à terre et les destroyers

épuiseraient leur chargement en carburant lors des trajets vers Narvik et Trondheim.

En vue de faire face à cette situation, et aussi parce que les Britanniques pourraient

intercepter tous les navires faisant route vers le nord le long des côtes occidentales

norvégiennes, une fois l’opération déclenchée, un échelon de ravitaillement et un

échelon de transport et (Ausfuhrstaffel) fut créé. Les navires y étaient « déguisés » en

cargos ordinaires et devaient rejoindre les ports norvégiens avant les navires de

combat.

Le mouvement principal de troupes de débarquement et de ravitaillement logistique

devait être réalisé par huit échelons maritimes de transport.

Concernant la marine, la phase la plus délicate, selon Raeder, était la phase du retour

des navires en Allemagne. Il était confiant dans le fait que les premières opérations

de débarquement puissent avoir lieu avec succès, si l’effet de surprise était maintenu

jusqu’au dernier moment, mais une fois les troupes et le matériel débarqués, les

navires attireraient lors de leur trajet retour, au large des côtes septentrionales et

occidentales de la Norvège, des forces navales britanniques qui leur seraient bien

supérieures. Raeder voulait que les navires des groupements de Narvik et de

Trondheim rejoignent aussi vite que possible le SCHARNHORST et le GNEISENAU de

manière à percer ensemble en direction de leurs ports d’origine, alors que les navires

de Bergen et du sud pourraient revenir par eux-mêmes en utilisant la couverture des

côtes aussi longtemps que possible. Cette intention de l’amiral Raeder allait à

l’encontre de celle d’Hitler et de l’OKW, ainsi que de l’OKL, qui préféraient que les

navires restassent à leur port de destination de manière à pouvoir appuyer les

troupes débarquées avec leur artillerie et leurs moyens de défense antiaérienne. Cela

en outre pourrait renforcer le moral de ces troupes débarquées. Raeder au contraire

défendait le point de vue selon lequel aucun destroyer ne devait laisser seul un

croiseur et ne devait rester en arrière à Narvik ou à Trondheim à un moment où le

destin de la Kriegsmarine était encore en suspens. Cette question fut tranchée le 2

avril lorsqu’Hitler déclara qu’il n’approuvait pas personnellement la décision de

retirer les navires immédiatement mais qu’il ne voulait pas non plus interférer trop

fortement dans des matières appartenant purement à la guerre navale.

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5. Le groupe XXI

La campagne de Norvège, dépendant pour son succès à parts égales des trois armées :

terre, air et mer de la Wehrmacht, fut la première opération réellement interarmées de

l’armée allemande et même de la Seconde guerre mondiale. Dans sa directive

« Weserübung », datée du 1er mars 1940, l’état-major du groupement XXI, issu du 21e CA, fut

directement mis aux ordres d’Hitler. Cet état-major travailla à partir de l’infrastructure

réservée à l’OKW et recevait ses ordres, soit de l’OKW, soit d’Hitler directement. Le chef des

opérations de l’OKW, le général Jodl, et sous ses ordres, le colonel Walter Warlimont, chef

du bureau de la défense nationale, servaient tous deux de coordinateurs dans le cas où les

demandes du groupement XXI incluaient des demandes faites aux commandements

d’armées : l’OKH, l’OKL ou le SKL.

Aux débuts du XXIe groupement, un état-major complètement interarmées avait été

initialement envisagé, incluant notamment les officiers de la Luftwaffe et ceux de l’armée de

terre. Toutefois, suite aux protestations de la Luftwaffe, cette dernière conserva le

commandement opérationnel de ses unités. A la fin, le général von Falkenhorst, chef du

groupe XXI, ne fut réellement que le commandant des opérations terrestres. L’OKL et l’OKM

conduisaient ainsi leurs propres planifications indépendamment mais en collaboration avec

le groupement XXI en lui assignant un contrôle opérationnel à certains de leurs

commandements subordonnés. Les représentants de la Luftwaffe et de la Kriegsmarine au

sein de l’état-major Krancke restèrent ainsi au sein du groupement XXI où ils maintinrent la

liaison avec leurs armées respectives. Le commandement des unités aériennes fut confié au

Xe corps aérien placé sous les ordres du général Hans Geissler. Pour ce qui fut de la

Kriegsmarine, l’état-major naval du SKL réalisa la planification soutenu par les états-majors

qui commanderaient les opérations en mer : le groupement naval Ouest (responsable de la

mer du Nord et de la côte atlantique de la Norvège) et le groupement naval Est (responsable

de la mer Baltique, du Kattegat et du Skagerrak).

La division en trois du commandement fut particulièrement mise en évidence durant les

débarquements initiaux. Durant les phases de transport, la marine avait plein

commandement à tous les niveaux en mer et l’aviation dans les airs. Afin d’amender dans sa

substance le plan, il fallut obtenir l’agrément du groupement XXI. Durant les

débarquements, le commandement passa ensuite à l’officier le plus gradé de l’armée de

terre présent sur chaque plage, dont les demandes en appuis aérien et maritime devaient

être satisfaites le plus vite possible. Sur chaque plage, l’officier en charge du

commandement des unités terrestres était responsable à la fois des opérations terrestres et

de la sécurité ; la marine désignait un commandant de port pour prendre à sa charge la

défense côtière, et là où des unités aériennes étaient disponibles, l’officier le plus gradé de

l’armée de l’air était responsable de la sécurité aérienne. Un parmi les trois, généralement le

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plus gradé, était désigné commandant des forces armées. En cas d’urgence, il était autorisé à

donner des ordres aux trois armées à l’intérieur de son secteur. Globalement, il était

supposé que chaque armée reçoive des ordres à, travers ses propres canaux.

6. Les forces au sol en Norvège

L'ordre d'opérations n°1 en vue de l'occupation de la Norvège, basée sur la directive d'Hitler

du 1er mars, fut édité et diffusé par le groupement XXI le 5 mars. Il concernait les opérations

de débarquement et la consolidation des têtes de pont sur les plages. Deux possibilités

furent envisagées.

Dans premier cas, le gouvernement norvégien se verrait confier la responsabilité de l'ordre

public car sa souveraineté serait respectée. Les troupes norvégiennes seraient traitées avec

tact.

Dans le deuxième cas, au cas où les troupes allemandes rencontreraient de la résistance, les

débarquements seraient réalisés en utilisant la force (de toute nature), les têtes de ponts

seraient sécurisées et les centres d’entraînement de l'armée norvégienne seraient occupés.

La destruction complète de l'armée norvégienne n'était pas considérée comme étant un

objectif réalisable dans un avenir proche, compte tenu de la dimension du territoire et de la

difficulté du terrain. Toutefois, on pensait que les localités choisies comprenaient l'ensemble

la majorité des endroits requis pour rassembler les différentes unités norvégiennes, ce qui

permettrait d'en empêcher la mobilisation et la concentration en vue du contrôle de

l'ensemble du territoire. Les équipes de débarquement devaient tenter des opérations

contre des forces situées à l'intérieur du territoire, seulement si cela ne remettait pas en

cause la défense des têtes de pont sur les plages. Les tentatives de débarquement des alliés

devaient être combattues et repoussées, mais les pertes non nécessaires devaient être

évitées. Au cas où les forces ennemies seraient supérieures, les troupes devaient se retirer à

l'intérieur du pays jusqu'à ce qu'une contre-attaque puisse être lancée.

7. Les forces au sol au Danemark

Le groupement XXI diffusa l'ordre n°1 pour l'occupation du Danemark le 20 mars et le plan

« Weserübung Süd » fut travaillé en détails dans l'ordre n° 3 du corps d'armée que le XXXIe

corps d'armée finit et diffusa le 21 mars. Le XXXIe corps d'armée, organisé en vue de tirer

avantage des conditions et du terrain au Danemark favorables à des opérations motorisées,

devait être composé des 170e (infanterie sur camions) et 198e divisions d'infanterie, de la

11e brigade d'infanterie motorisée (équipée de Panzer I et II) et de trois trains blindés. Les

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forces aériennes fournissaient une compagnie de parachutistes et une compagnie

motocycliste du régiment Hermann Göring et deux bataillons d'artillerie antiaérienne.

8. La force aérienne

Le Xe corps aérien qui avait œuvré contre les navires marchands britanniques et contre la

Royal Navy était renforcé d’un certain nombre d’aéronefs divers pour l’opération

Weserübung .

L’ordre d’opérations du Xe corps aérien pour le « Weser Tag » fut rédigé et diffusé le 20

mars, accompagné des ordres de détail destinés aux unités subordonnées. La principale

force de bombardement fut constituée d’une escadre renforcée de deux groupes (moins

deux escadrons). Elle était en alerte sur les bases allemandes en vue de combattre les forces

britanniques. Un escadron devait atterrir à Stavanger le jour W et opérer contre les forces

navales britanniques depuis cet emplacement. Les bombardiers restants devaient se

contenter de faire des vols de démonstration de force au-dessus de la Norvège et du

Danemark.

9. La planification politique

Afin de préserver le secret, la participation de bureaux civils à la planification de

Weserübung fut interdite et les préparatifs d’ordre politique furent pris en charge à

l’intérieur du bureau de défense nationale de la division opérations de l’OKW. C’est là que

furent pensées et écrites les mesures concernant l’économie, l’administration et la

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diplomatie qui furent ensuite transmises aux agences concernées en temps utile en vue de

leur exécution. Le principal objectif était de dissuader les gouvernements danois et

norvégien d’opposer une quelconque résistance armée et de les persuader de supporter

l’occupation allemande. En contrepartie de leur acceptation, ces gouvernements se

verraient conserver leur souveraineté à l’intérieur de leurs frontières et bénéficieraient

d’une aide économique.

En conclusion, cette première opération interarmées allemande, remarquablement

planifiée, fut un succès seulement presque total dans la mesure où, si les objectifs

assignés furent brillamment atteints, près de la moitié des grandes unités de surface

de la Kriegsmarine furent détruites ou neutralisées. Ce succès fut néanmoins sans

lendemain car, contrairement à ce que préconisait Raeder, la Norvège ne fut

nullement le point de départ du siège des îles britanniques en vue de leur

neutralisation, puis de leur conquête, après le succès du « Fall Gelb ». ... Mais Hitler

n’écoutait jamais ses marins….