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Dimanche XXXI du Temps Ordinaire - Année A À lʼécoute de la Parole Debout dans le Temple de Jérusalem, à quelques jours de sa Passion, Jésus apostrophe vi- goureusement les consciences des scribes et Pharisiens : leur conduite ne correspond pas à la Loi quʼils enseignent. Il stigmatise leur amour des « larges franges et phylactères », qui masque mal leur hypocrisie. Le petit peuple qui écoute Jésus doit être protégé de ce scandale et apprendre à ne chercher quʼen Dieu la source ultime de la paternité et de lʼenseignement : « Vous nʼavez quʼun seul Père… Vous nʼavez quʼun seul Maître… » Voir lʼexplication détaillée Méditation Avec ces paroles si fortes, Jésus veut-il nous interdire toute pratique de la paternité spiri- tuelle dans lʼÉglise ? Et comment certains pourraient-ils « enseigner la doctrine » si Jésus en est le seul maître exclusif ? Voir la méditation complète Bonne lecture, bonne prière ! P. Nicolas Bossu LC

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Dimanche XXXI du Temps Ordinaire - Année A

À lʼécoute de la Parole

Debout dans le Temple de Jérusalem, à quelques jours de sa Passion, Jésus apostrophe vi-goureusement les consciences des scribes et Pharisiens : leur conduite ne correspond pas à la Loi quʼils enseignent. Il stigmatise leur amour des « larges franges et phylactères », qui masque mal leur hypocrisie.

Le petit peuple qui écoute Jésus doit être protégé de ce scandale et apprendre à ne chercher quʼen Dieu la source ultime de la paternité et de lʼenseignement : « Vous nʼavez quʼun seul Père… Vous nʼavez quʼun seul Maître… »

Voir lʼexplication détaillée

Méditation

Avec ces paroles si fortes, Jésus veut-il nous interdire toute pratique de la paternité spiri-tuelle dans lʼÉglise ? Et comment certains pourraient-ils « enseigner la doctrine » si Jésus en est le seul maître exclusif ?

Voir la méditation complète

Bonne lecture, bonne prière ! P. Nicolas Bossu LC

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À lʼécoute de la Parole

Les écritures de ce dimanche nous présentent deux manières opposées dʼêtre un ministre sacré : celle de saint Paul, qui se comporte « comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons » ; celle des scribes et pharisiens qui sʼinstallent confortablement « dans la chaire de Moïse » en méprisant le peuple et les intérêts de Dieu. Jésus dénonce sans mé-nagement un cléricalisme orgueilleux et mortifère : un avertissement pour toutes les généra-tions de prêtres.

Avant lʼavènement du Christ, Dieu avait souvent exprimé son courroux contre les pasteurs dʼIsraël. Rappelons-nous le terrible procès quʼIl avait engagé par la bouche de son prophète Ezéchiel (Ez 34) et cette déclaration vigoureuse :

« Ainsi parle le Seigneur Dieu. Voici, je me déclare contre les pasteurs. Je leur reprendrai mon troupeau et désormais, je les empêcherai de paître mon troupeau. Ainsi les pasteurs ne se paîtront plus eux-mêmes. J'arracherai mes brebis de leur bouche et elles ne seront plus pour eux une proie. » (Ez 34,10)

Avant lʼExil, ces pasteurs étaient toutes les personnes constituées en autorité : rois et nobles, scribes et prêtres, chefs de lʼarmée… Quelques siècles après, lorsquʼécrit Malachie (vers 450 av. J.-C.), la situation sʼest encore détériorée : la monarchie a disparu, la prophétie aussi, Israël nʼest plus une puissance militaire. Ne reste que la classe sacerdotale qui, dans le Temple de Jérusalem, sʼacquitte non seulement du service du culte, mais aussi de la di-rection spirituelle du peuple par lʼinterprétation de la Loi. Le livre de Malachie dresse un ré-quisitoire implacable contre ces prêtres qui devraient être garants de lʼalliance de Dieu avec Lévi. En effet:

- Leurs offrandes sont viciées (Vous amenez l'animal dérobé, le boiteux et le malade, et vous l'amenez en offrande. Puis-je l'agréer de votre main ? Ml 1,13) ;

- Ils se marient avec des étrangères, en répudiant leurs premières femmes juives, ce qui trouble lʼascendance sacerdotale et tend à introduire des cultes païens à Jérusa-lem (Ml 2,10 sq.) ;

- Ils ne remplissent pas fidèlement leur rôle de « guides spirituels » et leur fonction dʼexplication et dʼapplication de la Loi : « Vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour la multitude » (Ml 2,8).

Le résultat est dramatique : « vous avez détruit mon alliance avec mon serviteur Lévi » (v.8). Ce sacerdoce est sur le point de disparaître ; il laissera la place au nouveau sacerdoce ins-tauré par le Christ, comme lʼexplique le Catéchisme en reprenant la Lettre aux Hébreux :

« Institué pour annoncer la parole de Dieu (cf. Ml 2, 7-9) et pour rétablir la communion avec Dieu par les sacrifices et la prière, ce sacerdoce [celui de lʼAncienne Alliance] reste pourtant impuissant à opérer le salut, ayant besoin de répéter sans cesse les sacrifices, et ne pouvant aboutir à une sanctification définitive (cf. He 5, 3 ; 7, 27 ; 10, 1-4), que seul devait opérer le sacrifice du Christ. »1

Le livre de Malachie est le dernier de lʼAncien Testament pour le canon chrétien ; il reflète une situation historique proche de celle que trouvera Jésus lors de sa venue à Jérusalem.

1 Catéchisme, nº1540, http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P4N.HTM

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Ses récriminations contre les « scribes et pharisiens », eux aussi chargés de la Loi, suivent la même inspiration prophétique que Malachie : cʼest pourquoi nous écoutons, en première lecture, les reproches du prophète (Ml 2). Certaines expressions un peu fortes ont été lais-sées de côté par la liturgie : « Voici que je vais vous briser le bras et vous jeter des ordures à la figure - les ordures de vos solennités - et vous enlever avec elles » (Ml 2,3).

Au sein de ce déluge de reproches brillent deux phrases très belles, comme des perches lancées vers le Nouveau Testament, qui ne se trouvent dʼailleurs quʼà quelques chapitres de distance (lorsque Ml 3 sʼachève, Mt 1 commence) :

- « Je suis un grand roi, et mon nom inspire la crainte parmi les nations » (Ml 1,14). Nous retrouverons cette théologie du « nom divin » en arrière-plan des paroles de Jésus dans lʼévangile du jour ;

- « Nʼavons-nous pas tous un seul Père ? » (Ml 2,10). Une intuition profonde qui sera réalisée par Jésus, le Fils unique qui nous ouvre à la paternité divine.

Alors quʼil vit ses derniers jours à Jérusalem, poursuivi par des ennemis qui cherchent à le prendre en défaut, Jésus enseigne dans le Temple avec une liberté de parole qui surprend. Le chapitre 22 de Matthieu a présenté deux scènes au cours desquelles Jésus a magistra-lement déjoué les pièges des Pharisiens (sur lʼimpôt), puis des Sadducéens (sur la résurrec-tion des morts). Comme une torche qui brille au milieu des ténèbres, il a dévoilé tout le sens de la Loi avec le double commandement de lʼamour (22,34-40), avant de relancer la polé-mique religieuse par une « contre-attaque » sur lʼorigine du Messie (vv.41-45) dont lʼeffet est immédiat : « à partir de ce jour, personne nʼosa plus lʼinterroger » (v.46).

Jésus profite de cet ultime instant de respect dans le Temple, où ses adversaires lʼécoutent encore avant la Passion. Ses apostrophes vigoureuses -lʼexpression « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! » est répétée sept fois (Mt 23, 13 etc.) - réussiront-elles à convertir leurs cœurs ?

Entouré de la foule, dans lʼœil du cyclone, Jésus essaie de prévenir le scandale des petits, tous ces pauvres de cœur qui lʼont suivi avec sincérité, et que ses adversaires voudraient dé-tourner de lui: « si quelqu'un doit scandaliser l'un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d'être englouti en pleine mer ! » (Mt 18,6)

Son discours, proclamé ce dimanche (Mt 23,1-12), se déroule sur deux plans distincts : une critique de cette forme sclérosée du judaïsme quʼincarnent les « scribes et Phari-siens » (vv.2-7) ; des instructions fermes pour la vie de lʼÉglise (pour vous… vv.8-12). Comme Matthieu écrit au sein dʼune communauté judéo-chrétienne qui se détache peu à peu de la synagogue, les deux plans sʼinfluencent mutuellement. Ceci explique lʼinvitation, qui semblerait étrange dans un contexte paulinien, à « observer tout ce quʼils disent » depuis la chaire de Moïse (v.3), cʼest-à-dire la Loi dont ils sont les dépositaires.

Les défauts épinglés chez les Pharisiens sont donc un avertissement pour les responsables de la communauté chrétienne : nous y reviendrons dans la méditation.

Saint Paul, quant à lui, sʼoffre en exemple de ce quʼexige le Christ (seconde lecture : 1The 2). Il connait bien les reproches de Dieu aux pasteurs dʼIsraël, comme ceux de Ml 2, et af-firme sʼêtre comporté selon lʼesprit de Jésus qui a « donné sa vie pour ses brebis » (Jn 10). Il expose son attitude en trois points.

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Il révèle dʼabord ses sentiments maternels (comme une mère qui entoure de soins ses nour-rissons, v.7) vis-à-vis des nouveaux croyants issus du paganisme que sont les Thessaloni-ciens. Leur conversion avait ému saint Paul et les autres communautés : « On raconte là-bas comment nous sommes venus chez vous, et comment vous vous êtes tournés vers Dieu, abandonnant les idoles pour servir le Dieu vivant et véritable. » (1,9) Cette conversion fut lʼoccasion pour Paul dʼexercer une véritable paternité spirituelle (comme un père pour ses enfants, 2,11), ce qui nous permettra, dans la méditation, de compléter les paroles du Christ sur lʼunique paternité divine (vous nʼavez quʼun seul Père, celui qui est aux cieux, Mt 23,9).

Ensuite, Paul nʼa voulu recevoir aucune rétribution matérielle pour son annonce de lʼÉvangile. Il a exercé son métier de tanneur comme à Corinthe (cf. Ac 18,3), pour gagner son pain quotidien. Une différence de taille avec les prêtres dénoncés par Malachie, ou les Pharisiens par Jésus, qui vivaient confortablement aux dépens de leurs ouailles.

Enfin, Paul avait soin de transmettre lʼÉvangile comme une Parole qui le dépassait, la Bonne Nouvelle propagée par lʼEsprit Saint, « qui est à lʼœuvre en vous, les croyants ». Là aussi il se démarque des pasteurs dʼIsraël qui mêlaient souvent à la Loi des traditions humaines, dʼoù le reproche cinglant de Jésus dans lʼune des polémiques qui lʼopposent aux Pharisiens : « vous avez annulé la parole de Dieu au nom de votre tradition... les doctrines qu'ils ensei-gnent ne sont que préceptes humains ! » (Mt 15,6.11). Cette « parole de Dieu », que Paul a transmise aux Thessaloniciens sous forme orale, sera ensuite mise par écrit pour devenir le Nouveau Testament. Dʼoù le devoir, pour les responsables chrétiens, de ne pas en altérer lʼauthenticité par lʼajout de traditions humaines.

La liturgie de ce dimanche propose enfin de trouver dans le psaume 131 (130) lʼattitude juste. Pour ne pas tomber dans les défauts des Pharisiens ou des prêtres dénoncés par Ma-lachie, lʼhumilité est nécessaire : « je nʼai pas le cœur fier ni le regard ambitieux… » (v.1). Au lieu de se croire adulte, indépendant et auto-suffisant, il faut prendre le chemin de lʼenfance spirituelle : « Mon âme est en moi comme un enfant » (v.2). Le psaume invite à imiter les pauvres gens qui se tiennent humblement dans un coin de lʼéglise, tout envahis par un sen-timent de respect amoureux vis-à-vis dʼun Dieu qui est Père plein de bonté : « je tiens mon âme égale et silencieuse… ». Le résultat sera la paix profonde de lʼâme, dʼune conscience qui se sait en communion avec son Seigneur, même si les circonstances extérieures peuvent être très difficiles. Saint Paul, au milieu de ses labeurs apostoliques, aura prié ainsi ce Psaume : « Attends le Seigneur, Israël, maintenant et à jamais ! » (v.3).

Homme juif avec talit (châle de prière)

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Méditation : Pères et Maîtres comme Jésus Lʼévangile de ce dimanche est des plus difficiles à commenter pour un prêtre, théologien de surcroît, cʼest-à-dire appelé à « enseigner dans la chaire de Moïse ». Surtout sʼil aime la li-turgie (les larges franges), en particulier la messe quʼil doit présider souvent en prenant la « place dʼhonneur dans la synagogue ». Les fidèles lʼappellent « père », malgré lʼinjonction de Jésus ; pour peu quʼil aime aussi les relations sociales, et les salutations sur les places publiques, il semblerait être en contradiction totale avec le message du Christ ! Nos traditions et usages catholiques, surtout autour du sacerdoce, auraient-ils annulé la force du message évangélique ?

La paternité spirituelle Commençons par résoudre une apparente contradiction entre les lectures. Dans lʼévangile, Jésus affirme : « Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous nʼavez quʼun seul Père, celui qui est aux cieux » (Mt 23,9) ; de son côté, lʼapôtre Paul se compare « à une mère qui entoure de soins ses nourrissons » (1The 2,7) et affirme souvent dans ses lettres sa paternité spirituelle. Devrions-nous donc opposer la paternité divine et celle de lʼapôtre ? Une seule phrase de Paul suffit pour régler la question : « C'est pourquoi je fléchis les ge-noux en présence du Père de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom. » (Eph 3,14-15).

Toute paternité, humaine et spirituelle, vient de Dieu qui en est la source. Cʼest par déléga-tion de Dieu et en son nom que les hommes sont pères ou maîtres. Celui qui exerce lʼautorité dans lʼÉglise lʼexerce pour le compte de Dieu, en vue du bien commun, car la paternité légi-time est issue de lʼamour et ordonnée à lʼamour. Par ailleurs il ne le fait valablement que sʼil est lui-même soumis à Dieu.

Il est clair que le Christ est venu nous révéler la paternité de Dieu, et quʼil nous y introduit par le mystère de sa personne ; cette paternité se réalise par lʼincorporation à son Corps mys-tique, cʼest-à-dire par lʼaction conjointe de lʼEsprit et de lʼÉglise. Le Catéchisme le résume ainsi :

« La grâce est une participation à la vie de Dieu, elle nous introduit dans lʼintimité de la vie trinitaire : Par le Baptême le chrétien participe à la grâce du Christ, Tête de son Corps. Comme un ʻfils adoptifʼ, il peut désormais appeler Dieu ʻPèreʼ, en union avec le Fils unique. Il reçoit la vie de lʼEsprit qui lui insuffle la charité et qui forme lʼÉglise. »2

Saint Paul peut donc, en tant que ministre de la grâce, revendiquer une véritable paternité, en dépendance et par participation à celle du Père, parce que le Christ lui-même agit en lui. Lʼexhortation appuyée de Jésus dans lʼÉvangile est à comprendre dʼaprès sa tournure sémi-tique, et interdit à lʼhomme de sʼattribuer à lui-même lʼorigine et la fin de la paternité spiri-tuelle. Mais Il nʼempêche pas sa participation à ce mystère, bien au contraire : Il la suscite sans cesse pour le bien des âmes. Le Concile Vatican II nous offrait cette précieuse explica-tion sur lʼaction de lʼhomme qui collabore à celle de Dieu :

« Aucune créature en effet ne peut jamais être mise sur le même pied que le Verbe incarné et rédempteur. Mais tout comme le sacerdoce du Christ est participé sous des formes di-verses, tant par les ministres que par le peuple fidèle, et tout comme lʼunique bonté de Dieu se répand réellement sous des formes diverses dans les créatures, ainsi lʼunique médiation

2 Catéchisme, 1997, http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P6T.HTM

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du Rédempteur nʼexclut pas, mais suscite au contraire une coopération variée de la part des créatures, en dépendance de lʼunique source. »3

Cʼest ainsi que la tradition catholique attribue une grande importance à la figure du « père ». Elle parle de Pères de lʼÉglise, de pères synodaux, et les grands ordres réguliers de leur « Père Saint Benoît », Saint François ou Saint Dominique.

LʼÉglise reconnaît par ailleurs la fonction de « père spirituel », ou « directeur spirituel », ou encore « accompagnateur ». Il ne sʼagit pas de tomber dans lʼinfantilisme pour celui qui se laisse guider, ni de revendiquer une autorité abusive pour celui qui guide, au détriment de lʼunique autorité de Dieu ; il sʼagit plutôt de reconnaître que le Seigneur investit certains membres de son Église dʼun charisme particulier pour aider les autres. Ce grand maître de vie spirituelle que fut saint François de Sales, si prompt à susciter la liberté et la croissance personnelle, nous offre ce conseil dans ce domaine :

« Puisquʼil vous importe tant, Philothée, dʼaller avec un bon guide en ce saint voyage de dé-votion, priez Dieu avec une grande instance quʼil vous en fournisse dʼun [directeur spirituel] qui soit selon son cœur, et ne doutez point ; car, quand il devrait envoyer un ange du ciel, comme il fit au jeune Tobie, il vous en donnera un bon et fidèle. Or, ce doit toujours être un ange pour vous cʼest-à-dire, quand vous lʼaurez trouvé, ne le considérez pas comme un simple homme, et ne vous confiez point en icelui ni en son savoir humain, mais en Dieu, le-quel vous favorisera et parlera par lʼentremise de cet homme, mettant dedans le cœur et de-dans la bouche dʼicelui ce qui sera requis pour votre bonheur ; si que vous le devez écouter comme un ange qui descend du ciel pour vous y mener. Traitez avec lui à cœur ouvert, en toute sincérité et fidélité, lui manifestant clairement votre bien et votre mal, sans feintise ni dissimulation : et par ce moyen, votre bien sera examiné et plus assuré, et votre mal sera corrigé et remédié ; vous en serez allégée et fortifiée en vos afflictions, modérée et réglée en vos consolations. Ayez en lui une extrême confiance mêlée dʼune sacrée révérence, en sorte que la révérence ne diminue point la confiance, et que la confiance nʼempêche point la révé-rence ; confiez-vous en lui avec le respect dʼune fille envers son père, respectez-le avec la confiance dʼun fils envers sa mère : bref, cette amitié doit être forte et douce, toute sainte, toute sacrée, toute divine et toute spirituelle. »4

Maîtres à lʼécole du Maître Lʼinterdiction de Jésus de se faire attribuer le titre de « Rabbi » ou de « maître » est à com-prendre dans la même logique : un évêque ou un théologien serait bien fou sʼil sʼattribuait à lui-même la Révélation ! Leur raison doit toujours demeurer humblement ouverte au mystère, en se gardant des idéologies qui voudraient nous enfermer dans des systèmes purement humains… Mais cela ne détruit pas le devoir dʼenseigner lʼÉvangile, rappelé par le Concile :

« Les évêques sont les hérauts de la foi, amenant au Christ de nouveaux disciples, et les docteurs authentiques, cʼest-à-dire pourvus de lʼautorité du Christ, prêchant au peuple qui leur est confié la foi qui doit régler leur pensée et leur conduite, faisant rayonner cette foi sous la lumière de lʼEsprit Saint, dégageant du trésor de la Révélation le neuf et lʼancien

3 Concile Vatican II, Lumen Gentium nº62, http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-

ii_const_19641121_lumen-gentium_fr.html 4 Saint François de Sales, Introduction à la vie dévote, partie I chapitre IV (de la nécessité dʼun directeur pour entrer et faire

progrès dans la dévotion), disponible ici : http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/francoisdesales/viedevote/partie1.htm#_Toc523293587

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(cf. Mt 13, 52), faisant fructifier la foi, attentifs à écarter toutes les erreurs qui menacent leur troupeau (cf. 2 Tm 4, 1-4). »5

La sévérité des paroles du Christ dans lʼévangile de ce dimanche invite ceux qui sont en charge de la communauté à une double vigilance : aborder tout exercice de lʼautorité avec le cœur miséricordieux dʼun père, et fuir toute incohérence entre la vie et la doctrine car on prêche beaucoup mieux par lʼexemple que par la parole… Cʼest ainsi que saint Jean Chry-sostome interprétait la dénonciation des scribes et Pharisiens par Jésus :

« Ces paroles enferment un double reproche, et font voir une double malignité dans les per-sonnes que le Sauveur accuse. La première est cette sévérité avec laquelle ils exigeaient une si grande perfection de ceux quʼils conduisaient; et la seconde est leur mollesse propre, et la liberté quʼils prenaient de vivre comme il leur plaisait. Ce sont deux conditions entière-ment opposées à celles que doit avoir un véritable pasteur, qui doit être comme un juge sé-vère et inflexible à lʼégard de lui-même, et qui doit être en même temps plein de douceur et de charité pour ceux quʼil gouverne. Les pharisiens, au contraire, se conduisaient tous dʼune manière tout opposée. Ils réduisaient tout leur devoir à faire de beaux discours et à parler beaucoup aux hommes. Ils nʼavaient de vertu quʼen paroles. Ainsi, ils étaient durs et impi-toyables envers tout le monde, parce quʼils nʼavaient pas lʼexpérience de cette doctrine toute sainte, qui sʼapprend par lʼaction et par la pratique. »6

On notera que, face à lʼincohérence des maîtres du troupeau, Jésus nʼinvite pas à la déso-béissance ou à la contestation ; bien au contraire : « tout ce quʼils vous diront, faites-le » (Mt 23,3). Il invite à distinguer la Loi quʼils enseignent et qui vient de Dieu et à la pratiquer, de lʼapplication quʼils en font, qui est partiale et dévoyée. Cʼest lʼesprit du monde qui pousse à la polémique et voudrait que chaque chrétien érige son propre jugement en ultime instance : lʼunité de lʼEglise en serait atteinte en plein cœur. Ecoutons au contraire ces conseils dʼun excellent orateur du grand siècle, le père Bourdaloue :

« [Jésus-Christ] vous a lui-même marqué la conduite que vous avez à tenir, quand ces mi-nistres assis sur la chaire de Moïse manqueraient à vous donner l'édification qu'ils vous doi-vent. Il vous a dit qu'alors il fallait vous attacher à la pureté de leur doctrine, et non pas à la corruption de leurs mœurs ; que vous seriez jugés sur les vérités qu'ils vous auraient annon-cées, et non pas sur la vie qu'ils auraient menée ; que vous deviez les écouter, et non pas les imiter; obéir à leurs ordres, et non pas faire selon leurs œuvres ; et qu'étant au reste ses ministres, qu'exerçant en son nom une puissance et une autorité légitimes, malgré leurs dé-sordres, ou vrais, ou prétendus, il ne vous était point permis de les mépriser, parce que vos mépris retomberaient sur le maître qui les a envoyés : Qui vos spernit me spernit [qui vous rejette me rejette, Lc 10,16]. »7

Si telle doit être lʼattitude des brebis, quelle responsabilité sur les épaules du pasteur ! Où pourrait-il trouver la force et le chemin pour enseigner la vérité, si ce nʼest dans lʼimitation de son Maître ? Si des maîtres sont incohérents cʼest parce que la finalité de la Loi leur reste extérieure et quʼils nʼen ont pas perçu le sens profond : lʼamour miséricordieux de Dieu qui veut pédagogiquement transformer les cœurs pour les rendre dignes de lui. Jésus nous offre à lʼinverse un exemple parfait de cohérence entre la doctrine et lʼaction : Il a signé les Béati-

5 Concile Vatican II, Lumen Gentium nº25, http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-

ii_const_19641121_lumen-gentium_fr.html 6 Saint Jean Chrysostome, Homélies sur lʼévangile de Matthieu, LXXII, nº1, disponible ici :

file:///C:/Users/cesrat2/Documents/ARCHIVES/0%20Saints/www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/chrysostome/matthieu/072.html 7 Bourdaloue, Sermon pour le deuxième dimanche de lʼAvent (édition Cattier 1864, p. 40), disponible ici :

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/bourdaloue/vol1/avent01/004.htm

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tudes par le sang de sa Croix. Cʼest ainsi que Benoît XVI entendait en filigrane, dans la dé-nonciation des Pharisiens par Jésus, lʼappel du Sacré Cœur :

« La bonne doctrine doit être accueillie, mais elle risque dʼêtre contredite par une conduite incohérente. Cʼest pourquoi Jésus dit : “Faites donc et observez tout ce quʼils pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes” (Mt 23, 3). Lʼattitude de Jésus est exactement à lʼopposé : Il pratique le premier le commandement de lʼamour quʼil enseigne à tous, et il peut dire que cʼest un poids léger et aisé parce quʼil nous aide à le porter avec lui (cf. Mt 11, 29-30). »8

À nous qui sommes chargés du troupeau de Dieu, à ceux aussi qui exercent une quelconque autorité pour la transmission de lʼÉvangile en communauté, ou en famille, Dieu pose cette question : comment diriges-tu ceux qui te sont confiés ? Avec ton propre cœur, parfois dur et dominateur, qui recherche lʼapplication de la Loi pour elle-même et pour ta propre gloire, ou avec le cœur de Dieu, un cœur humble et paternel qui veut attirer à lui les âmes et les sauver par amour ?

Cʼest à cette école que sœur Faustine nous invite à entrer. Si nous nʼavons « quʼun maître, le Christ », demandons-lui de nous enseigner lʼunique nécessaire pendant cette vie, qui est de lʼaimer toujours :

« Ô plaie de la miséricorde, Cœur de Jésus, cache-moi dans ta profondeur comme une goutte de ton propre sang et ne mʼen laisse pas sortir pour lʼéternité ! Enferme-moi dans tes profondeurs et enseigne-moi toi-même comment tʼaimer ! Amour éternel, façonne toi-même mon âme pour quʼelle soit capable dʼun amour réciproque pour toi. Ô Amour vivant, rends-moi capable de tʼaimer toujours ! Je veux éternellement répondre à ton amour par la récipro-cité. Ô Christ, un seul de tes regards mʼest plus cher que des milliers de monde, que le ciel entier ! Tu peux, Seigneur, rendre mon âme telle quʼelle puisse te comprendre dans toute ta plénitude, tel que tu es. Je sais et je crois que tu peux tout, puisque tu as daigné te donner à moi si généreusement, je sais que tu peux être plus généreux encore ; fais-moi entrer dans ton intimité aussi loin que peut lʼêtre la nature humaine !»9

8 Benoît XVI, Angelus du 30 octobre 2011, https://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/angelus/2011/documents/hf_ben-

xvi_ang_20111030.html 9 Sainte Faustine (Héléna Kowalska), Petit Journal, disponible ici, nº1630.