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Dimanche XXI du Temps Ordinaire - Année B LʼEucharistie, entre le Cœur de Jésus et le nôtre Le « discours du pain de vie » sʼest achevé : un silence gênant remplit la synagogue de Ca- pharnaüm. Les foules, naguère enthousiastes, sʼen vont peu à peu ; même la plupart des disciples abandonnent le Christ. Ne reste quʼun petit groupe qui sʼexprime par la bouche de Pierre (Jn 6). À lʼécoute de la Parole Josué, au moment de terminer sa vie, place le peuple dʼIsraël devant un choix fondamental : veut-il observer lʼAlliance (Jos 24) ? De même Jésus adresse une question cruciale aux Douze, et à nous-mêmes : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » (Jn 6) Voir lʼexplication détaillée Méditation La conclusion de ce chapitre 6 de saint Jean nous permet dʼassister à une confrontation dramatique entre le Cœur de Jésus, qui se livre dans lʼEucharistie, et les hésitations du cœur humain, qui ne sait pas accueillir ce don. Voir la méditation complète Pour aller plus loin Les disciples de Jésus butent ce dimanche sur les limites de leur raison et ne parviennent pas à faire le pas de la foi. Nous pouvons lire avec profit le texte dʼune audience de Benoît XVI de 2012 sur « le carac- tère raisonnable de la foi en Dieu ». Il est également possible de relire tout ou partie de lʼencyclique « Fides et Ratio » du pape Jean-Paul II.

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  • Dimanche XXI du Temps Ordinaire - Anne B

    LEucharistie, entre le Cur de Jsus et le ntre Le discours du pain de vie sest achev : un silence gnant remplit la synagogue de Ca-pharnam. Les foules, nagure enthousiastes, sen vont peu peu ; mme la plupart des disciples abandonnent le Christ. Ne reste quun petit groupe qui sexprime par la bouche de Pierre (Jn 6).

    lcoute de la Parole Josu, au moment de terminer sa vie, place le peuple dIsral devant un choix fondamental : veut-il observer lAlliance (Jos 24) ?

    De mme Jsus adresse une question cruciale aux Douze, et nous-mmes : Voulez-vous partir, vous aussi ? (Jn 6)

    Voir lexplication dtaille

    Mditation La conclusion de ce chapitre 6 de saint Jean nous permet dassister une confrontation dramatique entre le Cur de Jsus, qui se livre dans lEucharistie, et les hsitations du cur humain, qui ne sait pas accueillir ce don.

    Voir la mditation complte

    Pour aller plus loin Les disciples de Jsus butent ce dimanche sur les limites de leur raison et ne parviennent pas faire le pas de la foi.

    Nous pouvons lire avec profit le texte dune audience de Benot XVI de 2012 sur le carac-tre raisonnable de la foi en Dieu .

    Il est galement possible de relire tout ou partie de lencyclique Fides et Ratio du pape Jean-Paul II.

    https://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/audiences/2012/documents/hf_ben-xvi_aud_20121121.htmlhttp://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/encyclicals/documents/hf_jp-ii_enc_14091998_fides-et-ratio.html

  • lcoute de la Parole

    Le peuple dIsral doit rpondre au Seigneur qui le place devant un choix libre et crucial : cest le thme des lectures de ce dimanche. Nous proclamons dans lvangile la dernire partie du chapitre 6 de saint Jean, qui dcrit lattitude des auditeurs face au discours de J-sus sur le Pain de vie. La plupart, saisis de perplexit, sen vont ; un petit groupe persvre dans la sequela Christi (la suite du Christ), autour des aptres. De mme, Josu la fin de sa mission avait mis le peuple dIsral devant un choix fondamental : voudront-ils demeurer fidles lAlliance ? La premire lecture nous fait couter la rponse positive du peuple : Cest lui notre Dieu ! (Jos 24). Alliance du Sina renouvele Sichem par Josu ; Nou-velle Alliance tablie par Jsus dans lEucharistie : Dieu a besoin de ladhsion libre de son peuple pour quelles soient effectives.

    La premire lecture : la grande assemble de Sichem (Jos 24) Josu convoque le peuple dIsral Sichem pour une grande Assemble : sa vie est sur le point de sachever (sa mort est mentionne au verset 29), et sa mission est termine puisquil a conquis tout le pays. Ce dernier pisode conclut donc le livre de Josu en mon-trant laccomplissement de lordre que le Seigneur avait donn au successeur de Mose :

    Mose, mon serviteur, est mort ; maintenant, debout ! Passe le Jourdain que voici, toi et tout ce peuple, vers le pays que je leur donne aux Isralites. Tout lieu que foulera la plante de vos pieds, je vous le donne, comme je l'ai dit Mose. Depuis le dsert et le Liban jus-qu'au grand Fleuve, le fleuve Euphrate tout le pays des Hittites, et jusqu' la Grande mer, vers le soleil couchant, tel sera votre territoire. (Jos 1,2-4)

    Aprs bien des pripties, entre exploits guerriers et manuvres diplomatiques, le rsultat est l : Josu s'empara de tout le pays, exactement comme le Seigneur l'avait dit Mose, et il le donna en hritage Isral, selon sa rpartition en tribus. Et le pays se reposa de la guerre (Jos 11,23). Mais une nouvelle menace surgit, celle de linfidlit religieuse : la terre conquise tait parseme de divinits, Isral va-t-il abandonner celle du Sina pour sadapter sa nouvelle situation sdentaire ? Certaines tribus ont dj commenc improviser un culte elles, comme le montre le rcit du sanctuaire construit par les fils de Ruben et de Gad prs du Jourdain ; une guerre civile est vite de justesse car les autres tribus voulaient pas-ser les coupables au fil de lpe (chap. 22) Linfidlit se gnralisera de manire drama-tique sous les Juges avec lesquels se poursuit lhistoire du peuple, en attendant ltablissement de la royaut :

    Le peuple servit le Seigneur pendant toute la vie de Josu et toute la vie des anciens qui survcurent Josu et qui avaient connu toutes les grandes uvres que le Seigneur avait opres en faveur d'Isral. [] Et quand cette gnration son tour fut runie ses pres, une autre gnration lui succda qui ne connaissait point le Seigneur ni ce qu'il avait fait pour Isral. Alors les Isralites firent ce qui est mal aux yeux du Seigneur et ils servirent les Baals. Ils dlaissrent le Seigneur, le Dieu de leurs pres, qui les avait fait sortir du pays d'gypte, et ils suivirent d'autres dieux parmi ceux des peuples d'alentour. (Jg 2,6.10-12).

    Pour essayer de prvenir cet cueil mortel, Josu convoque donc tout le peuple et lui rap-pelle lessentiel de lHistoire sainte, depuis Abraham jusqu la conqute de Canaan en pas-sant par les prodiges de Mose, dans un discours qui est omis par la liturgie, faute de place (Jos 24,3-14). Josu rappelle comment Dieu a dploy son bras puissant en faveur des Isralites et exige en retour la fidlit lAlliance. Il insiste sur deux points :

    - Tout ce qui sest accompli est luvre du Seigneur et non celle du peuple Ils ne sont rien sans lui : Les Hittites, les Guirgashites, les Hivvites, les Jbusens : je les ai li-

  • vrs entre vos mains. Jai envoy devant vous des frelons, qui ont chass les deux rois amorites ; ce ne fut ni par ton pe ni par ton arc ; Je vous ai donn une terre qui ne vous a cot aucune peine, des villes dans lesquelles vous vous tes installs sans les avoir bties, des vignes et des oliveraies dont vous profitez aujourdhui sans les avoir plantes (v. 13)

    - En retour, il ne leur est demand quune seule chose: sattacher au Seigneur dun cur non partag, un engagement trs difficile tenir. En effet, aprs une premire rponse positive Loin de nous dabandonner le Seigneur pour servir dautres dieux (v 16), Josu revient la charge, en exposant la difficult de la tche, comme pour signifier quil sagit l dun travail de longue haleine, le travail de toute une vie : Vous ne pouvez pas servir le Seigneur, car il est un Dieu saint, il est un Dieu jaloux, qui ne pardonnera ni vos rvoltes ni vos pchs (v 19).

    Il recueille alors une rponse encore plus dtermine : Mais si ! Nous voulons servir le Sei-gneur (v 21). La rponse est donc unanime et enthousiaste : le peuple reconnat sincrement les bnfices reus (cest Lui qui nous a fait monter dgypte qui a accompli tous ces signes) et sengage servir Dieu, qui sest rvl jaloux, lexclusion de toute autre divini-t.

    Cette crmonie de renouvellement de lAlliance a lieu Sichem : gographiquement, la ville occupe une position centrale pour les douze tribus ; elle deviendra la capitale du riche royaume du nord, Isral. Surtout, elle a t consacre par les Patriarches : cest l que se trouve le chne de Mor o Dieu est apparu Abraham (Gn 12,6) ; Jacob y a dress sa tente (Gn 33,18), do la tradition du puits de Jacob o Jsus rencontrera la Samari-taine Ce mme Jacob y avait enterr les statuettes des dieux trangers qui infestaient sa famille : Ils donnrent Jacob tous les dieux trangers qu'ils possdaient et les anneaux qu'ils portaient aux oreilles, et Jacob les enfouit sous le chne qui est prs de Sichem (Gn 35,4). Quelques sicles aprs, Josu essaie lui aussi denfouir dfinitivement ces dieux trangers qui tentent le peuple et risquent de le dtourner de sa fidlit au Seigneur.

    Lvangile : les disciples abandonnent Jsus (Jn 6) Par ses miracles, ses enseignements et ses exorcismes, Jsus a lui aussi rassembl les Isralites autour de Lui en Galile. Lanonymat des auditeurs (les foules, les Juifs), dans le chapitre 6 de saint Jean, que nous terminons cette semaine, permet dy reconnatre tout le peuple croyant dIsral. Attirs par la prdication incomparable de Jsus, ils ont t frapps par la multiplication des pains et ont cru trouver en lui un nouveau Mose (nos pres ont mang la manne dans le dsert, v31). Ils ont peut-tre aussi pens la figure de Josu, qui avait introduit le Peuple dans la terre promise. La manne avait alors cess de tomber du ciel et les fils dIsral avaient pu se nourrir enfin des produits du pays , en clbrant la Pque. Les plus lettrs dentre eux, en coutant le discours du Pain de vie (Jn 6), auront saisi de nombreuses allusions :

    Les Isralites camprent Gilgal et y firent la Pque, le quatorzime jour du mois, le soir, dans la plaine de Jricho. Le lendemain de la Pque, ils mangrent du produit du pays : pains sans levain et pis grills, en ce mme jour. Il n'y eut plus de manne le lendemain, o ils mangeaient du produit du pays. Les Isralites n'ayant plus de manne se nourrirent ds cette anne des produits de la terre de Canaan. (Jos 5,10-12)

    Nous avons vu, les semaines prcdentes, que le Christ a utilis ces thmes scripturaires pour essayer dinitier ses auditeurs aux profondeurs du mystre eucharistique. Nous limaginons volontiers transport par lenthousiasme du moment : aprs tant de sicles de prparation, tant de soins prodigus par son Pre, le moment est venu de partager le mys-tre des mystres, le Dieu qui livre sa vie pour lhomme et perptue cette offrande par

  • lEucharistie qui nous ouvre la vie trinitaire. Le peuple dIsral serait comme un oiseau dont Il a pris soin pour le faire grandir. La rponse du peuple Sichem fut une tape de cette croissance. Aprs les nombreux mandres de lhistoire dIsral, Il veut que cet oiseau prenne son envol et accde aux hauteurs de lAmour offert en sacrifice.

    Trop haut et trop vite ? Le rsultat est trs dcevant : ce nest pas seulement la foule qui ne veut pas prendre son envol, elle qui est entre en opposition avec les paroles rvolution-naires de Jsus, ce sont aussi ses disciples (, mathts). Le terme, rpt trois fois, dsigne ceux qui sont enseigns par Jsus et qui devraient donc recevoir et appro-fondir ses Paroles pour en vivre. Mais ils prfrent demeurer attachs leurs repres habi-tuels et refusent de faire le pas de la foi. Moment de grande amertume pour Jsus et tour-nant dans sa mission : Beaucoup de ses disciples sen retournrent et cessrent de laccompagner (v.66).

    Alors que la synagogue est dserte petit petit par les incrdules, un petit groupe se forme autour de Jsus : les saintes femmes, quelques miraculs, les Douze, trs probablement d-sorients et profondment troubls. Eux non plus ne comprennent pas mais ils lui sont pro-fondment attachs et sentent que, sans lui, leur vie tombe en ruines.

    Le Christ, devant lampleur de lchec, leur en explique la raison : sa proposition consistait vivre de lesprit en abandonnant la chair et ses raisonnements : cest lesprit qui fait vivre, la chair nest capable de rien (v.63). Il invite avoir confiance en sa Parole qui transmet une lumire trop aveuglante pour lintelligence naturelle avec des expressions comme manger ma chair, boire mon sang . Il faut progresser, non par les moyens hu-mains naturels, mais en passant dans le registre de lEsprit, envoy par le Pre : pour que la foi repose, non sur la sagesse des hommes, mais sur la puissance de Dieu (1Co 2,5).

    Sen remettre totalement lui et non pas eux-mmes ; lcher prise. Non pour renoncer la raison humaine, mais pour quelle soit claire de plus haut par plus grand queux. Non plus adhrer la tradition des anciens , lAlliance renouvele Sichem, mais au don du Pre qui ouvre la nouveaut quest la personne du Christ.

    Personne ne peut venir moi si cela ne lui est pas donn par le Pre (v.65) : cette phrase ne constitue pas une excuse pour ne pas croire. Cest plutt une invitation accueil-lir ce que le Pre inspire au fond du cur, tous les hommes pour autant quils y prtent at-tention ; accueillir le don du Pre et le laisser en toute confiance nous guider vers Jsus.

    Cette parole est surtout une confirmation pour le petit groupe des fidles, qui sont blouis face un mystre qui les dpasse ; un appel prendre conscience de leur foi et laffirmer. Saint Matthieu nous rapporte cette exclamation du Christ : Je te bnis, Pre, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir cach cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir rvl aux tout-petits (Mt 11,25).

    Car ils sont l, ces tout-petits , et leurs curs sont assez ouverts pour que Jsus y envoie lEsprit qui leur permet daccder avec lui au mystre. Par une simple question, qui rappelle celle de Josu en premire lecture, Il provoque la confession de Pierre qui ne lui vient pas de la chair et du sang , mais du Pre : Nous croyons et nous savons que tu es le Saint de Dieu . Laptre se fait le porte-voix de ce que le petit groupe des fidles ressent au moment o il se resserre autour du Matre dans la tempte.

    Simon utilise ici lexpression saint de Dieu ( , ho haguios tou theou) par laquelle les dmons avaient reconnu lidentit profonde de Jsus dans la synagogue de Ca-pharnam : Que nous veux-tu, Jsus le Nazaren ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais

  • qui tu es : le Saint de Dieu. (Mc 1,24, cf. Lc 4,34). Les aptres avaient alors entendu ce titre, blasphmatoire quand il est attribu un homme, et lavaient reu avec perplexit ; mais depuis, leur cur et leur esprit ont t travaills par lEsprit la vue des actes poss par Jsus, notamment la multiplication des pains et la tempte apaise qui ouvrent le cha-pitre 6. Cet itinraire intrieur et personnel transparat derrire les verbes utiliss au parfait : littralement, nous sommes arrivs croire et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu . Daprs les synoptiques, cest cette confession de Pierre qui lui vaut sa primaut, proclame explicitement par Jsus (cf. Mt 16,16).

    Jean rapporte, en rponse, une autre parole de Jsus : N'est-ce pas moi qui vous ai choi-sis, vous, les Douze ? et lun dentre vous est un diable (v.70). Cest ici le cur bless de Jsus qui est mis en lumire, et le mystre de lamour rejet. Jsus a choisi et aim ces hommes sans mrite de leur part, et pourtant lun deux va rpondre ce don immense par la trahison.

    Il se cache en effet dans ce groupe une pine qui blesse profondment le Cur de Jsus : Judas Iscariote refuse de croire, il est de ceux qui pensent que ces paroles sur le Pain de vie sont rudes et impossibles entendre ; mais il na pas le courage de sloigner et saccroche peut-tre son statut daptre, ses esprances de libration nationale, ses pro-jets personnels, ou la bourse du groupe quil administre Cest la premire fois dans lvangile de Jean quapparat le tratre ; Jsus en est parfaitement conscient : il savait qui tait celui qui le livrerait (v.64) ; Il affirme mme : lun dentre vous est un dmon (v.70), dans lespoir damorcer un processus de gurison en indiquant le mal. On en connat lissue tragique, et Jean soulignera sa dchance morale, lors de lonction Bthanie : il tait vo-leur et, tenant la bourse, il drobait ce qu'on y mettait (Jn 12,6).

    Le discours du Pain de vie a donc provoqu une grande crise, au sens dun vnement qui force choisir, prendre parti, pour sengager plus fermement ou pour se retirer dans lombre. Les deux possibilits sont clairement soulignes par saint Jean : pour les uns, la pa-role de Jsus est rude, qui peut lentendre ? (v.60). Entendre , au sens hbreu du terme, cest--dire lcoute obissante et fidle, si familire la piti juive : coute, Isral, le Seigneur notre Dieu est lunique (Dt 6,4). Impossible de suivre le Christ dans un dis-cours o Il veut tre littralement mang, bu ! Pour les autres, reprsents par Pierre, ce sont au contraire des paroles de vie ternelle (v.68), une expression qui synthtise bien lenseignement de Jsus sur le Pain recevoir pour vivre avec le Pre dans lternit de son amour (cf. v.57).

  • Le pain de vie parmi nous

    Mditation : lEucharistie, entre le Cur de Jsus et le ntre

    Le chapitre 6 de saint Jean met en scne deux ralits opposes : dun ct, le cur de J-sus qui vient de dvoiler les profondeurs de lEucharistie, et contemple davance le don quIl fera de lui-mme Jrusalem. Un amour qui se donne et accepte tous les risques de ce don, sans prendre de garanties, avec simultanment linnocence dun enfant qui saventure dans une fort pleine de dangers, et la fermet du Matre qui sait o ses paroles le mneront : au Golgotha.

    De lautre ct, les faiblesses, limites et hsitations du cur humain : les autorits reli-gieuses dIsral ont depuis longtemps condamn le Christ ; les foules ont t un temps atti-res par le pain multipli mais refusent le Pain de vie ; les disciples perdent pied dans une ascension trop rapide et beaucoup dentre eux sen vont ; Judas ferme son cur et sengage sur un chemin de perdition ; seul un petit groupe persvre, des mes simples qui ne veulent pas abandonner le Matre, et lEsprit souffle puissamment sur eux.

    Le Cur du Christ invitant le cur humain la foi : ce sera le thme de notre mditation.

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  • Un cur du mais persvrant Lcrivain Franois Mauriac a donn une belle description de la scne finale du chapitre 6 de Jean. Ce texte peut nous aider pour planter le dcor de notre mditation :

    Plusieurs se retirrent donc qui lavaient suivi jusqualors. Mais lun de ceux que Jsus venait de dcevoir jamais ne se joignit pas eux : lhomme de Qurioth [Judas] rentra dans sa fureur. Il a t jou, flou. Mais il y a quelque chose encore tirer de cet homme peut-tre ? Judas occupe en cet instant mme la pense de Jsus. Il savait, dit saint Jean, qui tait celui qui le trahirait. La foule murmurante se disperse. Le Fils de lhomme na plus besoin de chercher le dsert pour fuir les importuns. Inutile quil monte dans la barque. Il est all trop loin. Labandon commence. Dans la synagogue sombre, il ne reste plus que douze hommes dconcerts qui ne trouvent rien lui dire. Il les regarde lun aprs lautre ; et tout coup cette question si tendre et si triste, si humaine aussi : et cette fois cest le Dieu qui scarte un peu devant le Fils de la femme : Et vous aussi, vous voulez vous en aller ? Alors Simon-Pierre, croyant parler au nom de tous, scrie : Seigneur, qui irions-nous ? Vous avez les paroles de la vie ternelle. ce cri qui devrait consoler labandonn, rien ne rpond dabord. Il y a l douze visages tourns vers la face douloureuse. Mais il suffit de lun deux pour obscurcir toute la lumire qui resplendit sur les onze autres. Jsus dit en-fin : Nest-ce pas moi qui vous ai choisis, vous douze ? Et cest sans doute voix plus basse quil ajoute la parole accablante : Et lun de vous est un dmon. 1

    Lvangile de Jean insiste sur la science de Jsus : Il savait en effet depuis le com-mencement quels taient ceux qui ne croyaient pas, et qui tait celui qui le livrerait (v.64). Mais quels sentiments provoquait cette science ? Une douleur trs profonde, certes, surtout face lobstination et la rsistance de Judas, lun des Douze, cest--dire lun de ceux quIl aimait au point de vouloir lui confier lglise. Cette pine lui rappelait que son chemin le m-nerait la Passion, que le don de lAmour serait rejet par les hommes et que mme les plus proches de ses disciples seraient incapables de le suivre jusqu la Croix. Lencyclique Hau-rietis Aquas sur le Sacr Cur nous introduit la profondeur de ces sentiments :

    Son Cur tait particulirement affect par l'amour et la crainte lorsque devant l'immi-nence de son atroce passion et la rpulsion naturelle que lui causaient ses immenses souf-frances et la mort, il s'cria : Mon Pre, s'il est possible, que ce calice s'loigne de moi !. C'est avec un amour invincible et une profonde tristesse, qu'aprs avoir reu le baiser du tratre, il lui adressa ces paroles qui apparaissent comme le suprme appel adress par son Cur trs misricordieux l'ami qui, imprgn avec une obstination extrme de sentiments impies et infidles, devait le livrer ses bourreaux : Ami, tu es l pour cela ? C'est par un baiser que tu livres le Fils de l'homme ! ; au moment de subir le supplice immrit de la croix, il dit, avec une commisration et un amour trs profond, aux saintes femmes qui pleu-raient sur lui : Filles de Jrusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mmes et sur vos enfants... ; car, si l'on traite ainsi le bois vert, qu'en sera-t-il du sec ? 2

    Essayons de percevoir les sentiments douloureux du Christ, tout en notant sa dtermination tout au long du discours sur le Pain de vie : apparat alors la grandeur de son me et la force de lamour qui jaillit dun Cur dchir mais dtermin se donner jusquau bout. Saint Claude La Colombire lexprime ainsi :

    Il ne trouve dans le cur des hommes que duret, qu'oubli, que mpris, qu'ingratitude : il aime, et il n'est point aim, et on ne connat pas mme son amour, parce qu'on ne daigne

    1 Franois Mauriac, Vie de Jsus, Flammarion 1936, p.123-4. 2 Pie XII, encyclique Haurietis Aquas (1956), n32.

  • pas recevoir les dons par o il voudrait le tmoigner, ni couter les tendres et secrtes dcla-rations qu'il en voudrait faire notre cur. 3

    Le cur de lhomme, hsitant et incrdule Ces sentiments du Cur de Jsus dbordent sur toute lhistoire humaine. Dune certaine manire, cest toute lhumanit qui se tient dans la synagogue de Capharnam et coute les paroles qui sont esprit et vie , cette invitation recevoir la foi que propose un Christ dautant plus aimant quIl est dsarm. chaque poque sa forme dabandon. Le processus de scularisation, dans le monde occidental, en est sans doute lexpression actuelle. Des socits ont suivi le Christ pendant longtemps, jusqu ce quune gnration soit choque par ses paroles, et nadhre plus la foi chrtienne, la rejetant mme violemment. Dans le dbat intellectuel de laprs-guerre, le pre de Lubac crivait lucidement :

    Le diagnostic le plus triste et le plus alarmant porter sur notre poque, cest quelle a perdu, au moins en apparence, le got de Dieu. Lhomme se prfre Dieu. Alors il d-tourne le mouvement qui le mne lui ; ou, ne pouvant rellement le dtourner, il sacharne linterprter faux. Il simagine avoir liquid les preuves [de lexistence de Dieu]. Il appuie sur les critiques, et ne pousse pas au-del. Il se dtourne de ce qui risquerait de le con-vaincre. Si le got revenait, soyons srs que les preuves de [lexistence de] Dieu repara-traient bien vite aux yeux de tous ce quelles sont en effet si lon a gard leur me plus claires que le jour. 4

    Notre gnration est hritire de ce manque de got : la discussion ne porte plus sur les preuves rationnelles de lexistence de Dieu, comme au sicle dernier. La question de Dieu nintresse plus et une culture se dveloppe dsormais en dehors de la synagogue de Ca-pharnam , cest--dire loin de lglise, au gr des modes, la merci des idologies. Les membres de lEglise nen sont pas indemnes, comme le disait le pape Benot XVI :

    On est tomb inconsciemment dans l'auto-scularisation de nombreuses communauts ecclsiales ; celles-ci, esprant attirer ceux qui taient loin, ont vu s'en aller, dpouills et dus, ceux qui y participaient dj : nos contemporains, lorsqu'ils nous rencontrent, veulent voir ce qu'ils ne voient nulle part ailleurs, c'est--dire la joie et l'esprance qui naissent du fait d'tre avec le Seigneur ressuscit. Il existe actuellement une nouvelle gnration ne dans ce milieu ecclsial scularis qui, au lieu d'enregistrer une ouverture et des consensus, voit s'largir toujours plus dans la socit le gouffre des diffrences et des oppositions au magis-tre de l'glise, en particulier dans le domaine thique. Dans ce dsert de Dieu, la nouvelle gnration prouve une grande soif de transcendance. 5

    Pourtant, le Christ continue aujourdhui douvrir son Cur, de rvler le mystre incroyable de lamour de Dieu pour les hommes et de proposer lEucharistie comme moyen dunion avec lui. Il continue de vouloir tancher cette soif de transcendance des nouvelles gn-rations en les orientant vers les chemins srs de la foi qui mnent lAmour en plnitude. Comment vont- elles lui rpondre ?

    Dans nos socits, la grande majorit des hommes ignorent la proposition car elle ne par-vient pas jusqu eux ; parmi ceux qui la peroivent, comme Capharnam, seul un petit groupe y adhre. Les gnrations montantes, faute dexemple positif et cause des idolo-gies modernes, ont souvent limpression que la foi dans le Christ constitue une alination et

    3 http://www.chemindamourverslepere.com/archive/2014/02/15/meditation-priere-avec-st-claude-la-colombiere-

    5299015.html 4 H. de Lubac, Sur le chemins de Dieu, 3me dition 1983, Cerf, p. 105. 5 Benot XVI, Discours du 7 septembre 2009, https://w2.vatican.va/content/benedict-

    xvi/fr/speeches/2009/september/documents/hf_ben-xvi_spe_20090907_ad-limina-brasile.pdf

  • que lesprit doit demeurer libre sans se soumettre une autorit ; la foi peut galement tre considre comme une aberration, face une raison idoltre qui conduit pourtant, sous nos yeux, toutes sortes derrements et dexcs destructeurs.

    Face tout cela, Jsus nous dit que ses paroles sont esprit et vie : le petit groupe des croyants, coutant les affirmations tonnantes sur le Pain de vie, sentent cependant que leur raison nest pas choque, bien au contraire. Un philosophe moderne nous lexpliquait :

    La soumission de lesprit humain lesprit de Dieu nest pas la destruction de la raison, cest la perfection dernire de la raison Cest lesprit humain greff de lesprit de Dieu, si lon peut sexprimer ainsi. La raison porte alors des fruits quelle ne pouvait porter, et, comme dit la posie, rptant ce que dit la nature : Elle admire ces fruits qui ne sont pas les siens. Ces fruits sont ceux de lesprit de Dieu, devenu principe directement fcondateur de la raison humaine, qui nen conserve pas moins ses principes propres [] Quand la raison humaine se rattache Dieu par la foi lhistoire le montre, outre les nouvelles et sublimes donnes qui surviennent, ses forces naturelles grandissent, ses principes propres donnent leurs fruits naturels les plus rares, mls aux fruits divins. Quand, au contraire, la raison rompt lalliance toujours offerte tout esprit, dans tous les temps, ce refus, ce retour sur elle seule, cet iso-lement et cette ngation sacrilge extnuent mme ses forces naturelles et la conduisent, de ngation en ngation, se nier elle-mme, suicide intellectuel qui se nomme Sophis-tique 6

    Alors que, dans les pays occidentaux, le rejet et lindiffrence se gnralisent parmi les an-ciens chrtiens, des mes en recherche, nes loin du christianisme, rencontrent le Christ et adhrent sans difficult aux vrits les plus complexes de la foi, sans gard pour les esprits rudits et suprieurs qui voudraient les en dtourner. Ceux qui vanglisent peuvent en t-moigner, et laugmentation constante des baptmes dadultes dans la nuit de Pques latteste.

    Dans dautres pays, des chrtiens toujours plus nombreux, donnent leur vie pour et avec le Seigneur. Plus tonnamment encore, dans des pays culturellement trs loigns du monde judo-chrtien, en Asie notamment, la foi progresse et enthousiasme. La prsence dun mil-lion de personnes la messe du pape Franois Soul, en aot 2014, en tmoigne.

    Ne nous laissons donc pas troubler mais interrogeons-nous : o en sommes-nous de notre amour sans partage et confiant que demande Dieu aux Hbreux et le Christ ses disciples ?

    Tout dabord, comment recevons-nous les vrits de foi que le Christ et lglise nous propo-sent ? Est-ce que nous acceptons tout, mme ce que nous ne comprenons pas parfaitement, dun cur joyeux et humble, ou bien est-ce que nous faisons notre tri, comme ces tribus qui, du temps de Josu, se faisaient un culte et un temple elles ? Lorsque nous ne comprenons pas, et sommes dstabiliss, cherchons-nous approfondir avec le Christ et en lui deman-dant de nous clairer, ou bien glissons-nous vers le doute et la mfiance en nous fiant nos simples capacits humaines plutt quau Christ, comme les disciples qui ont quitt le Sei-gneur ?

    Les textes de ce dimanche nous posent une autre question : comment annonons-nous la parole de Dieu ? Comme Josu, avec radicalit et exigence ou bien avec lchet, de ma-nire parcellaire, pour ne pas faire fuir ceux qui nous coutent ou ne pas ressentir la mme tristesse que Jsus, abandonn par les foules et les disciples ? Si cest le cas, rejetons ces

    6 Gratry, De la connaissance de Dieu, 9e dition 1918, tome I, p. 35-37, cit par H. de Lubac, Sur le chemins de Dieu, 3me

    dition 1983, Cerf, p. 280.

  • faiblesses et ces doutes et disons avec Pierre : Seigneur, qui irions-nous ? Tu as les pa-roles de la vie ternelle

    Prions enfin ardemment pour les nouvelles gnrations : quelles entendent les paroles su-blimes du Christ, quelles osent avancer dans lobscurit que ces paroles peuvent crer, et quelles se laissent envahir par lEsprit qui donne la vie ! Nous pouvons conclure notre mdi-tation ave cette prire de sainte Gertrude dHelfta:

    Seigneur Jsus-Christ, Fils du Dieu vivant, donnez-moi daspirer vers vous de tout mon cur, dun dsir total et dune me altre; donnez-moi de respirer en vous, comme dans lair le plus doux et le plus suave, et, du trfonds de tout mon tre, de vous appeler sans cesse dun souffle haletant, unique batitude. Seigneur dinfinie misricorde, inscrivez de votre sang prcieux vos blessures en mon cur pour quelles my fassent lire la fois votre souffrance et votre amour pour que, au plus intime de mon cur, vive jamais le souvenir de vos propres plaies pour que ne sy endorme point la douleur de la compassion qui vous est due pour que ne sy teigne point la fivre de lamour. Enfin, donnez-moi de nattacher de prix aucune crature et de ne trouver de douceur quen vous seul. 7

    7 Sainte Gertrude dHelfta, Le Hraut livre II, chapitre IV (SC 139 p. 242), voir loriginal latin : Domine Jesu Christe, Fili

    Dei vivi, da mihi toto corde, pleno Desiderio, sitienti anima ad te aspirare, et in te dulcissimo atque suavissimo respirare, ac to-tum spiritum meum et omnia interiora mea ad te qui es vera beatitudo jugiter anhelare. Scribe, misericordissime Domine, vul-nera tua in corde meo pretioso sanguine tuo, ut in eis legam tuum dolorem pariter et amorem et vulnerum tuorum memoria jugi-ter in secreto cordis mei permaneat, ut dolor compassionis tuae in me excitetur et ardor dilectionis tuae in me accendatur. Da quoque ut omnis creatura mihi vilescat, et tu solus in corde meo dulcescas.