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LE BÉBÉ ET LE JEU Daniel Marcelli , Florence Raffeneau Martin Média | « Le Journal des psychologues » 2012/6 n° 299 | pages 18 à 23 ISSN 0752-501X DOI 10.3917/jdp.299.0018 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2012-6-page-18.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Martin Média. © Martin Média. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Martin Média | Téléchargé le 30/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © Martin Média | Téléchargé le 30/05/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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LE BÉBÉ ET LE JEU

Daniel Marcelli, Florence Raffeneau

Martin Média | « Le Journal des psychologues »

2012/6 n° 299 | pages 18 à 23 ISSN 0752-501XDOI 10.3917/jdp.299.0018

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-le-journal-des-psychologues-2012-6-page-18.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Martin Média.© Martin Média. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans leslimites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de lalicence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit del'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockagedans une base de données est également interdit.

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Du jeu solitaire au jeu avec un partenaire, le bébé s’approprie son corps comme

les objets environnants. Ce faisant, de plus en plus actif, il devient autonome

et acteur de la relation. Ces jeux qui participent pleinement au développement

psychoaffectif du bébé lui permettront d’accéder au « faire semblant » qui signera

sa subjectivité.

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Le jeu chez l’enfant : penser, se construire

Introduction

Activité universelle présente chez les adultes comme chez les enfants, le jeu pourrait cependant appa-

raître comme une activité futile, voire inutile, dans l’enfance : apparemment, il ne « joue » pas de rôle spécifique dans la satisfaction des besoins vitaux comme peut le faire l’apaisement de la faim, de la soif, etc. Or, on le sait depuis longtemps, le fait de jouer participe aux développe-ments cognitif et affectif, à la découverte du monde extérieur et de celui des inte-ractions sociales.Jean Piaget avait déjà évoqué la place du jeu dans le développement de l’enfant lorsqu’il a décrit différents stades d’évo-lution de ces activités ludiques (Piaget J. et al., 1955) :– le stade sensori-moteur, de 0 à 2 ans : l’enfant ne joue qu’en présence de l’objet.

Il passe d’une phase purement réflexe de son activité à la découverte qu’il lui est possible « dans son corps et par son corps […] d’agir dans le monde et sur le monde » (Roullier B., 1990) ;– le stade représentatif, de 2 à 6 ans, où l’enfant accède progressivement au sym-bolisme. Les jeux d’imitation, de construc-tion, de destruction, de déguisement sont au premier plan ;– le stade des opérations concrètes et le stade des opérations formelles, au cours desquels les jeux sociaux s’épanouissent. Mais ce n’est pas l’objet du présent travail.Les jeux de l’enfant ont attiré l’attention des premiers psychologues, psychiatres et psychanalystes sensibles au déve-loppement de l’enfant, mais aussi des philosophes, sociologues ou anthropolo-gues sensibles à l’universalité du jeu. La question se posait, à l’époque, de savoir si le jeu dérivait plutôt des croyances et rites

Professeur de psychiatrie de l’enfant et de

l’adolescent, Faculté de médecine

et CH Henri-Laborit, Poitiers

Daniel Marcelli

Praticien hospitalier, CH Henri-Laborit,

Poitiers

Florence Raffeneau

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culturels – position brillamment exposée par Roger Caillois (1958) – ou si le jeu trou-vait précisément sa source chez l’enfant (ou le « petit » des diverses espèces ani-males, comme on peut l’observer avec le « jeu » de petits chiens ou chats), position de Jean Piaget (1955), de Jean Château (1954) et de bien d’autres. Au-delà des descriptions des jeux, les psychanalystes s’emparèrent rapidement de la question, puisque le jeu est conçu comme un analogue du discours libre : les enchaînements ludiques prennent une signification semblable à celle de l’association libre d’un patient adulte en analyse. Le jeu devient ainsi un instru-ment, un « médiateur » de la relation thé-rapeutique, témoignant de l’articulation entre ce que le sujet veut dire, ou se dire, et les achoppements, les résistances, le travail souterrain de l’inconscient. Anna Freud, tout comme Melanie Klein utili-sèrent (certes, à partir d’un point de vue dynamique opposé) le jeu de l’enfant dans leur approche thérapeutique, sans toutefois approfondir l’essence même de cette activité ludique, poursuivant simplement les premières approches de Sigmund Freud. En effet, pour ce dernier, l’analyse du jeu de l’enfant, tel celui de « la bobine », autorise une ouverture vers l’inconscient sur le même modèle que l’interprétation des œuvres d’art de Léo-nard de Vinci ou des rêves de l’homme aux rats (Freud S., 1920). Jeu, créativité et rêve opèrent comme des traducteurs, des intercesseurs de l’inconscient. Il reviendra à Donald W. Winnicott de faire le lien entre l’utilisation du jeu comme instrument thérapeutique privilégié et la description du jeu comme facteur de construction du psychisme et de la subjectivité. Il n’est pas sans intérêt de comparer le « jeu de la spatule » qu’il décrit chez un enfant de 8/9 mois (Winnicott D. W., 1941) au jeu de la bobine décrit par Sigmund Freud chez un enfant de 18/20 mois (Freud S., 1920). Si l’un et l’autre sont des jeux de disparition/(ré)apparition, de partir/revenir, le jeu de la spatule, en revanche, est un jeu qui se réalise en présence et avec l’adulte, là où le jeu de la bobine se joue en l’absence de l’adulte. Si le premier est à l’évidence de l’ordre du pré-symbolisme, celui d’une absence qui ne peut pas encore « se représenter », le second fait entrer de plain-pied l’enfant dans le symbolisme, dans le jeu du « faire semblant » ; mais la question principale, celle que nous vou-drions soulever ici, est celle du passage de l’un à l’autre.

Le jeu chez le bébéLa question du jeu chez le bébé concerne plus particulièrement cette période spéci-fique du développement sensori-moteur où l’ensemble des échanges avec le bébé passe par le corps. Le fait de jouer, pour l’enfant, est indissociable des aspects affectifs de son développement. Donald W. Winnicott a énoncé cette importance du jeu aussi bien pour le développement de l’enfant que pour la consultation théra-peutique : « Au cours des années préscolaires, le jeu est pour l’enfant le principal moyen de résoudre les problèmes affectifs qui sont du ressort de son développement, c’est aussi un des moyens dont dispose l’enfant pour s’ex-primer, un moyen de raconter et de poser des questions » (Winnicott D. W., 1957). Le jeu est inhérent à la notion de plaisir, indivi-duel ou partagé.Mais qu’en est-il plus particulièrement de cette question chez le bébé ? Il est clair que le jeu est indissociable de la question du corps, des échanges sensoriels, mais aussi de l’interaction. La capacité de jouer du bébé dépendra donc de son âge, de ses capacités développementales intrin-sèques et de son environnement.

Pourquoi les bébés jouent-ils ?

On peut classer les jeux chez le bébé en deux grandes catégories : les jeux « soli-taires », où le bébé, seul, manipule des objets ou des parties de son corps ; les jeux avec un partenaire, où le bébé, surtout au début, apparaît plus comme celui avec lequel on joue, voire celui dont on se joue, même si, très rapidement, le bébé devien-dra un partenaire actif de ces séquences d’engagement/désengagement ludiques. Les jeux solitaires ont été largement décrits, en particulier par Jean Piaget, et font partie de la stratégie d’appropria-tion et de connaissance du monde par le bébé, aussi bien de son corps propre que des objets environnants. Il faut toutefois, au plan neuromoteur, que le « réflexe de grasping » ait disparu et que la préhension par la paume de la main soit remplacée par une préhension pouce/doigt. Ces jeux, en forme de manipulation répétitive soutenant l’éveil cognitif du bébé, ont fait l’objet de nombreuses descriptions, nous n’y insisterons pas, si ce n’est pour montrer qu’ils ne sont peut-être pas aussi solitaires qu’on le dit, comme cela est observé dans l’activité des « jeux libres ». En revanche, les jeux relationnels participent largement du développement de ce qu’on nomme

aujourd’hui « les interactions » : ces acti-vités ludiques qui se déploient en dehors des échanges liés aux soins primaires, comme la toilette ou l’alimentation, sont un des processus permettant au bébé « d’accéder à l’intersubjectivité, aux modalités du fonctionnement triadique, au langage et à la symbolisation » (Golse B., 2004). Ces activités évolueront, s’enrichiront au cours de la première année de vie en fonction de l’évolution des capacités développemen-tales et relationnelles du nourrisson.

La mère découvre son bébé : les tout premiers mois…

Au cours des deux premiers mois, la vie du bébé est orchestrée par le rythme de ses besoins primaires, les moments d’éveil sont assez brefs au début, et s’allongent progressivement. Le bébé profite de quelques moments ludiques au cours ou au décours de ces soins primaires. Ces moments de jeu ont lieu essentiellement lors des échanges relationnels, notam-ment entre sa mère et lui. Celle-ci, active au début, va « chercher son bébé » par sa voix, son regard, et lui procure du plaisir : c’est le temps des caresses, des cha-touilles, qui permettent au bébé d’éprou-ver une sensation de plaisir sans encore rire aux éclats, mais d’éprouver un plaisir que l’adulte partage avec lui, prélude à ce qui, ultérieurement, deviendra un véritable « accordage affectif ». Si ce temps n’a pas de véritable fonction vitale, il participe aux soins, au « holding » cher à Donald W. Winnicott où le psy-chisme maternel étaye le psychisme du bébé par ses échanges vocaux, visuels et tactiles, modalités « transmodales » de l’interaction qui se fondent dans la mélodie rythmique porteuse précisément de la qualité affective. Le bébé éprouve du plaisir. Il s’agit d’un moment de bien-être brut, essentiellement sensoriel, mais qui lui permet d’investir petit à petit son propre corps, créant ainsi une première enveloppe corporelle par l’intégration des sensations et perceptions sensorielles, grâce au portage par la mélodie et le regard maternels, vecteur des affects positifs et de l’amour qu’elle porte à son enfant. Bien sûr, ce moment privilégié n’est possible que dans la mesure où une certaine sérénité, une certaine quiétude, existent antérieurement pour la mère et le bébé, et au sein de leur relation. Cette acti-vité qualifiée de « ludique », dans le sens où elle n’a pas pour objectif d’apporter un soin indispensable aux besoins vitaux,

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témoigne du déploiement progressif des interactions, soutenu par la capacité de rêverie maternelle, première ébauche d’une contenance psychique.

Et la girafe arrive…

Petit à petit, le nouveau-né grandit. Ses capacités d’éveil et d’attention pro-gressent, ses compétences motrices et visuelles émergent (disparition de la pré-hension palmaire automatique, ébauche de préhension pouce/paume, capacité visuelle d’accommodation). Il est mainte-nant capable de fixer son attention sur son environnement, capable d’attention par-tagée, mais également capable d’attraper des objets. Sa préhension est bien malha-bile, mais l’étayage maternel, le fait qu’on lui permette d’accéder à des jouets et objets adaptés à ses petites mains, objets attirants par leurs propriétés intrinsèques (couleur, bruit, sensation tactile), lui donne envie de les manipuler, de les utiliser. C’est l’heure de la girafe ! À 3-4 mois, il n’est pas question encore d’aller explorer le monde qui l’entoure, mais de porter son attention sur les objets que l’on met à sa portée, que l’on offre à sa main. Le bébé aime s’en sai-sir, les toucher, les explorer ; il les porte à sa bouche, exploration satisfaisante qui n’est pas sans rappeler le plaisir de la succion. Ce passage de l’objet par la bouche donne au bébé la possibilité, dans un second temps, de passage d’une main à l’autre.Ainsi, l’exploration de l’objet lui permet aussi de découvrir son propre corps, d’abord une main, puis sa bouche, puis les deux mains, réunissant petit à petit ses deux hémicorps selon un axe vertical. Certaines conditions sont nécessaires pour permettre à l’enfant de franchir cette étape. C’est initialement sous le regard bienveillant de l’adulte qu’il pourra se sen-tir en sécurité pour saisir le jouet et le saisir en toute tranquillité.Il est intéressant de constater que cette activité n’a pas toujours lieu dans l’inter-action avec l’adulte, mais aussi lorsqu’il est à proximité, dans une attention plus lointaine, occupé à une autre activité en présence du bébé. Nous pouvons en rap-procher la notion d’« activité libre » telle qu’elle a pu être évoquée dans les travaux de l’institut Pikler-Lóczy. Il ne s’agit pas de laisser un bébé seul, mais de lui créer un espace adéquat, physique et psychique, pour des temps de jeux libres. « Le bébé [ainsi] laissé libre se saisit des nouvelles possibilités apportées quotidiennement par la maturation de son système sensori-moteur, il

les découvre à petits pas, s’exerce à les maîtri-ser et, ce faisant, se prépare au prochain pas, devenant de cette façon agent actif de la conti-nuité de son développement et d’une bonne intégration des acquis » (Tardos A. et al., 2010). L’enfant a la possibilité de réguler lui-même son activité libre, en changeant d’activité, en sollicitant l’interaction par ses babillages si ce temps lui semble trop long, en cherchant des moments de repos ; il ne s’agit pas alors de le stimuler, mais de lui permettre d’exercer sereinement cette activité libre.

Le temps des chatouilles et de la surprise…

À côté de ces moments de jeu où l’adulte se trouve plus à distance ou en observa-teur bienveillant, il existe des moments d’inter action plus active où le dévelop-pement d’une attention mutuelle semble être l’enjeu primordial. On le sait, le bébé présente une appétence au visage humain auquel il ne s’habitue pas et éprouve tou-jours un certain plaisir à le voir, ce qui se manifeste clairement au troisième mois par la réaction du sourire face au visage humain. Cette reconnaissance est encore indifférenciée dans la mesure où le bébé réagit à tous les visages, mais cela repré-sente quand même une première notion d’altérité. Dans ce contexte, la ques-tion de l’interaction reste fondamentale, notamment dans ses aspects qualitatifs. En effet, entre 3 et 6 mois, la possibilité de moments d’attention partagée entre le bébé et l’adulte qui prend soin de lui modifie foncièrement les modalités de l’interaction, puisqu’il ne s’agit plus d’une approche essentiellement sensori-motrice, mais d’un échange où les deux partenaires de l’interaction agissent l’un sur l’autre, dans un partage émotionnel qui doit alors être de qualité et que Daniel Stern (1989) a si bien décrit sous le terme d’« accordage affectif ». Cette phase d’attention partagée auto-rise non seulement l’échange d’émo-tions, d’affects et de perceptions qui passent de l’un à l’autre des partenaires, mais surtout l’émergence d’un sens que l’adulte (la mère en général) transfère au bébé par ses mots, sa prosodie, son « discours ». Le jeu est alors un support essentiel de ces moments d’attention partagée. On le perçoit aisément dans le jeu des chatouilles, notamment celui de « la petite bête qui monte ». Ce jeu interactionnel tient un rôle majeur dans le développement psychoaffectif de l’enfant

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c’est la place de l’autre » et, grâce aux jeux interactifs comme le « coucou-caché » ou la « petite bête », cet écart est investi de plaisir (Marcelli D., 2007). Car, après la surprise, vient le temps de la réunion jubilatoire du « J’t’ai eu ! ». Cette « prime de plaisir » donne au bébé la possibilité de supporter l’incertitude, l’inattendu ou l’insolite, « pré-conditions indispensables pour investir son proche environnement et développer ses capacités d’apprentissage » (Marcelli D., 1992). En revanche, lors de ces jeux, si la séquence des chatouilles se répétait à l’identique sans aucune surprise, le bébé se désintéresserait rapidement de l’activité ludique, par accoutumance, sans avoir la possibilité d’investir de plaisir cet écart : il est des bébés pour lesquels tout écart entre ce qui est attendu et de ce qui advient représente une véritable catastrophe !

L’ouverture au tiers

Jusqu’ici, le jeu s’est déroulé dans une union dyadique, même si l’écart provo-qué par la surprise commence à ouvrir l’espace, à créer une brèche dans cette dyade. L’introduction d’un tiers, d’un accès

jeu, en particulier le jeu de la surprise, va permettre au bébé de tolérer ces écarts, ces manquements (Marcelli D., 2000). En effet, lorsqu’il joue avec son partenaire interactif, notamment au jeu de chatouille ou du « coucou-caché », chacun des par-tenaires – la mère d’abord, le bébé un peu plus tard – va introduire un écart entre ce qui est attendu et ce qui advient. Cet écart, anodin au premier abord, est fondamen-tal : il permet au bébé d’éprouver du plaisir à l’inattendu, de ne pas en être désorga-nisé ! La surprise crée « une brèche dans la continuité des anticipations attendues par le bébé » (Marcelli D., 2007), la relation vacille pour une fraction de seconde, en lien avec le manquement maternel lequel est aussitôt compensé par le plaisir des retrou-vailles se manifestant dans l’éclat de rire du bébé et de sa mère : « J’t’ai eu ! », lui dit-elle triomphante en le serrant dans ses bras. Ce jeu de tromperie et de surprise, par ce bref manquement maternel, qui amène ensuite rires et détente donnant place au plaisir, permet au bébé de se dégager progres-sivement de la symbiose d’avec sa mère, ce qui introduit « une symbolique tierce dans l’interaction mère-enfant ». « L’écart entre ce qui est attendu et ce qui advient :

(Marcelli D., 1992 ; 2000 ; 2007). En effet, tous les soins du quotidien apportés au bébé et qui se répètent de façon régulière, donc repérable au cours de la journée, lui permettent d’assimiler et d’anticiper ce qui va se passer. Ce sont les « macrorythmes » du quotidien : lever, toilette, repas… La répétition est alors un facteur organisateur fondamental pour la capacité de mémo-risation et d’anticipation nécessaire au développement de la cognition. De plus, en permettant d’inscrire durablement la trace d’une perception, cette répétition offre au bébé la possibilité d’assurer un sentiment de continuité d’existence. En effet, toutes ces activités fixes au cours de la journée favorisent chez le bébé le développement d’un sentiment de confiance grâce à la continuité et la pré-visibilité de ces actes, et lui permettent donc de s’approprier sa continuité d’être. Ainsi « sa continuité narcissique s’étaye sur la confirmation et la satisfaction de ses attentes » (Marcelli D., 2007). Or, cette répétition à l’identique est iné-luctablement mise à mal dans la mesure où surviendront immanquablement des moments de discontinuité, des évène-ments imprévisibles et inattendus. Le

Le jeu est indissociable de la question du corps, des échanges sensoriels et de l’interaction.

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Le jeu chez l’enfant : penser, se construire

à l’autre, qui apparaît (entre autres) dans le jeu, se manifestera de plus en plus à partir de 6/7 mois, dans tous les secteurs d’activité du bébé et donc également dans le jeu.En abordant « la trans-subjectivité », nous avons montré l’importance de l’attention partagée, puis conjointe, soutenue par l’échange des regards pour que le bébé puisse accéder progressivement à cet espace psychique qui n’est pas réduc-tible au seul fonctionnement cérébral ou neurocognitif (Marcelli D., 2010). La trans-subjectivité, à partir de l’existence « d’une asymétrie constitutive et consti-tuante » au sein de la dyade mère-bébé, désigne le fait que « la clef du sens passe de l’un à l’autre », c’est-à-dire que « l’un [l’adulte en général, la mère en particulier] transfuse à l’autre [le bébé] quelque chose qui a trait à la signification que peut prendre le flot inéluctable de stimulations d’allure chaotique qui assaille continûment le système perceptivo-sensoriel du bébé » (Marcelli D., 2010). Après les jeux d’attention partagée, tels que nous les avons évoqués, arrivent les jeux d’attention conjointe au cours desquels la mère introduit un objet qui va devenir le centre de la relation. Dans un ballet de regards allant du partenaire à l’objet, et vice versa, chacun des partenaires peut fixer son attention sur cet objet sans nécessairement le manipuler (contrai-rement à la phase d’expérimentation manipulatoire avec la girafe), attention soutenue par l’énonciation des qualités intrinsèques de l’objet par la mère. Ce jeu baigne largement dans un riche partage affectif. « Ainsi, l’attention conjointe constitue le paradigme de la situation triadique, bien avant la présence d’un troisième personnage, mais la figurant en quelque sorte » (Marcelli D., 2009). Elle délimite le futur espace tiers, espace qui ne sera ni le bébé ni la mère (Golse B., 2004).Enfin, à l’introduction d’un objet externe au cours du jeu s’associent nécessaire-ment, mais secondairement, l’obligation et l’intérêt de montrer cet objet pour l’obtenir. L’enfant tend le bras vers l’objet convoité, le parent va alors nommer cet objet, mettant en mots le geste de l’enfant et, par là même, son désir ainsi identifié. Le bébé regardera alternativement l’ob-jet et sa mère ; « l’intention est comprise, énoncée et partagée. Dans cette séquence, si le bébé agit la part proto-impérative, la mère transfuse et transfère la part déclarative » (Marcelli D., 2009). Quelques semaines plus tard, le bébé tend la main vers l’objet

en même temps qu’il cherche du regard sa mère. Le pointage « proto-déclaratif » est installé, prérequis indispensable à l’instau-ration du langage et des diverses activités symboliques.

Le jeu du poupon ou de la dînette : faire semblant…

Quand ce pointage proto-déclaratif est bien installé apparaissent petit à petit les jeux de « faire semblant ». Ce « tout petit » – pas encore un « petit enfant », mais déjà plus un bébé ni un nourrisson – se met à jouer, quand il est seul, « en présence de quelqu’un », à donner à manger à son poupon, puis à le coucher, puis à le faire participer aux actes de la vie quotidienne (Winnicott D. W., 1958). Ce « tout petit » est alors capable de se décentrer de lui-même pour, temporairement, être un « autre que lui-même » : ce bébé qu’il a été il n’y a pas si longtemps ou cette mère qui lui donne encore ce biberon. Or, pour aller ainsi vers un autre que soi-même, il faut que cet autre habite en soi, mais il faut aussi que ce soi-même commence à avoir un minimum de consistance ne serait-ce que pour pou-voir le retrouver après s’en être éloigné. Même si cette image de soi n’est pas tout à fait pensable par ce tout jeune enfant, lequel, certes, n’est pas encore parvenu à la capacité réflexive de se penser soi-même, il n’en reste pas moins que, pour quitter temporairement ce « soi » et jouer à être un autre que soi, il faut que cet écart ait été investi. Le jeu du « faire semblant » est un jeu sur cet écart, un jeu sur le « je » ! Si au début du jeu de « faire semblant », l’enfant joue « sérieusement » à donner le biberon sans introduire nul écart, rupture, refus, l’enfant se met rapidement à com-plexifier le scénario, inventant des détour-nements, des refus, des gronderies, bref : à jouer de la tromperie et de la surprise administrée tantôt au poupon, tantôt, un peu plus tard, à la « mère » imaginaire don-nant ce biberon. Ce jeune enfant intègre alors un « décalage au carré », un décalage sur un décalage, puisqu’il se décale de lui-même pour être une maman donnant le biberon, mais il se décale aussi de sa réalité d’enfant pour être le bébé imaginaire qui reçoit un biberon d’une mère imaginaire…L’enfant se met à jouer de cet écart, à jouer avec cet écart ! Le jeu de « faire sem-blant » constitue un véritable marqueur de l’émergence subjective. Au cours de ce type de jeu, ce petit enfant joue avec son « je » de façon encore taiseuse, mais ce silence témoigne du travail imaginaire

de création intériorisée de ce « je », avant que l’enfant ne puisse dire « je » quelques trimestres plus tard. Si le pointage proto-déclaratif est un prérequis indispensable à l’apparition du langage, le jeu de faire semblant est un prérequis indispensable à l’apparition du « je » dans le langage… On le sait, les enfants autistes n’accèdent pas au pointage proto-déclaratif, ne dévelop-pent pas de jeu de faire semblant et ont les plus grandes difficultés à dire « je ». Quand le « je » ne peut pas se déployer intérieure-ment grâce à ces jeux sur le « je », quand ces mises en scène narratives ne peuvent s’installer et s’enrichir d’une complexité croissante, quand ce jeu de l’écart ne peut ouvrir l’espace entre soi et l’autre en soi, l’activité neurocérébrale et cognitive risque de se réduire à la manipulation du même, qu’il s’agisse d’un objet quel-conque ou d’une « pensée » telle qu’un nombre ou un chiffre : un « 2 », un « 3 », un « 4 » sont des chiffres qui ne connaissent aucun écart et dont la manipulation men-tale peut occuper – on peut même dire « remplir » – sans risque de surprise le fonc-tionnement cognitif. D’aucuns appellent cela « le réel ». Répétons-le, le jeu de « faire semblant » traduit la mise en place de la subjectivité, il en est à la fois l’expression et la condition d’émergence.

Ces bébés qui ne jouent pasOn l’a vu, le jeu n’existe pas sans plaisir partagé, ce qui implique nécessairement l’existence d’interactions parents-enfant gratifiantes, contenantes et cohérentes. Qu’en est-il alors de ces bébés qui ne jouent pas ? Sigmund Freud disait : « Le contraire du jeu n’est pas le sérieux, mais la réalité. » (Freud S., 1908a.) Ainsi, les bébés confrontés dans leur réalité quotidienne à un environnement peu stable, soumis au chaos, ne peuvent repérer sereinement les macrorythmes nécessaires à la mémo-risation d’un vécu interne sécurisant, à l’intégration du sentiment continu d’exis-ter. Les jeux de chatouille et de surprise ne font plus émerger la possibilité d’un inattendu constructif, mais ne font que résonance à un imprévisible perpétuel et récurrent. Ces bébés supportent alors mal ces moments de variation au cours du jeu, se montrant hypervigilants, vite agressés par les sensations tactiles. Lors de ces jeux d’attention mutuelle, on les voit sourire timidement, s’inquiéter de ce qui va advenir. Ils essaient de décoder les attentes de leur partenaire et finissent par se dégager de l’interaction ludique par la

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fuite du regard, l’ endormissement, sorte d’effondrement corporel témoin de l’ab-sence d’intériorisation de contenance psy-chique en lien avec le défaut de « holding ». Ils pleurent rarement, comme s’ils avaient déjà perçu l’inévitable déception face à l’expression de leur détresse.Quand le bébé est encore un peu plus jeune, quelques semaines après la nais-sance, et alors qu’il existe des interac-tions fragilisées, les jeux sensori-moteurs deviennent plus déstabilisants, car ils nécessitent l’adaptation du partenaire de l’interaction à ses besoins, à son état de tension et d’éveil. Quand les sollicitations tactiles ont lieu à un moment inadéquat et peu approprié à l’état psychique du bébé, elles sont alors rapidement vécues comme menaçantes ; le bébé se raidit, ses bras et jambes se placent en hyper extension, son corps s’arc-boute dans un mouvement d’hypertonicité montrant ainsi son mal-être. Cette réponse hypertonique permet une fuite de cette relation pénible, mais, parallèlement, elle engendrera un carcan tonique, ne favorisant pas une bonne intégration de l’existence de son propre corps, unifié et contenant. Les enveloppes corporelles restent fragiles, poreuses et l’accès progressif à l’intersubjectivité peut être ainsi compromis. Bien évidemment, ces situations manifestes au cours des jeux avec le bébé auront d’autant plus d’impact qu’elles se retrouvent en général dans les autres situations d’interactions.Lorsque le clinicien rencontre ces bébés, la demande se fait souvent autour de troubles fonctionnels (sommeil, alimenta-tion) ou de troubles psychosomatiques, symptômes en lien avec des troubles interactifs précoces. Il est ainsi intéressant d’expérimenter au cours de la consultation le jeu avec le bébé, car cela nous donnera des indications sur ses capacités propres, sur les modalités de l’interaction avec un partenaire (le clinicien, le père ou la mère), mais, surtout, c’est un levier pour permettre aux parents de voir, ou plutôt de regarder, leur enfant différemment, dans un échange gratifiant et empreint de plaisir. Il n’est alors pas question d’expliquer au parent comment jouer avec son bébé, ce qui accentuerait ses failles narcissiques, le parent étant souvent blessé face à ce bébé qu’il ne comprend pas, souvent entravé dans sa fonction parentale par un passé infantile douloureux et des projections mortifères. Il s’agit de se laisser aller au plai-sir du jeu partagé, dans une sorte de rêverie qui n’est pas sans rappeler la capacité de rêverie maternelle, ici souvent défaillante.

Jouer avec le bébé dans un espace thé-rapeutique a alors deux fonctions : d’une part, donner à l’enfant un autre espace interactif, sécurisant, d’autre part, aider le parent à porter un regard bienveillant sur son bébé, ce qui favorisera leur rencontre. Celle-ci sera moins entravée par le passé infantile du parent et les affects projectifs qu’il véhicule. Le parent a accès à l’enfant réel dans ce moment de jeu, et donc de plaisir partagé ; ensuite pourront être éla-borées les difficultés parentales dans l’inte-raction, car le parent se sentira dégagé des projections qu’il attribuait initialement à son bébé. « Restaurer le pouvoir de jouer chez les parents leur permet de retrouver confiance dans la capacité d’élever l’enfant, d’inventer les rêves nécessaires à son support narcissique » (Anzieu-Premmereur C., 2004).

ConclusionÀ travers ces différentes phases évolutives d’aptitude au jeu du bébé, on comprend comment ce jeu, qui pourrait être perçu a priori comme superflu, participe pleine-ment au développement psychoaffectif du bébé : d’abord dans son approche sensori-motrice, puis dans sa part plus interactive et transubjective, enfin, dans l’accès de l’enfant à sa propre subjectivité. Le jeu permet au bébé l’intégration de ses sensations et perceptions sensorielles, l’expérimentation non traumatique de l’inattendu et de l’imprévisible, l’accep-tation des manquements maternels iné-vitables puis l’introduction d’un espace

tiers, prélude à la question de l’altérité. Le jeu soutient la capacité du bébé de se dif-férencier au sein de la relation maternelle, et donc d’accéder « en douceur », dans un second temps, à l’intersubjectivité après un passage par ce que nous avons nommé « la transubjectivité ». Ces jeux de sur-prises, de petites tromperies, sont d’abord « administrés » par une mère qui y prend du plaisir à un bébé qui n’y comprend pas grand-chose ! Par la suite, le bébé s’approprie ces décalages pour, lui aussi, jouer à surprendre l’autre, accédant ainsi à ces jeux de « faire semblant », théâtre imaginaire de la rencontre entre « je » et autrui : l’espace interne de la subjectivité et du symbolisme peut alors se déployer pleinement. Donald. W. Winnicott évoque « l’aire de la créativité » (1971). En revanche, lorsque l’interaction est entra-vée par le poids de l’histoire du parent, par les défaillances de l’environnement, les capacités de jouer du bébé sont menacées et, par là même, son accès à la subjectivité d’abord, à l’intersubjectivité ensuite. Le jeu dans les soins apportés dans les situations de troubles interactifs précoces permet au thérapeute d’entrer en relation avec le bébé, sans accentuer les failles parentales, en se laissant aller à un échange ludique et dépourvu de toute attente autre que le sen-timent de plaisir partagé. Cet échange per-met au parent de percevoir les capacités de son enfant et les siennes propres : le parent peut alors se réapproprier l’aire ludique ainsi créée et la fonction parentale se restaure. ■

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