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EHESS Le Béthel, ordre religieux jéhoviste? Author(s): Régis Dericquebourg Source: Archives de sciences sociales des religions, 25e Année, No. 50.1 (Jul. - Sep., 1980), pp. 77-88 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30125169 . Accessed: 18/06/2014 02:41 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archives de sciences sociales des religions. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.108.40 on Wed, 18 Jun 2014 02:41:01 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Le Béthel, ordre religieux jéhoviste?

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Le Béthel, ordre religieux jéhoviste?Author(s): Régis DericquebourgSource: Archives de sciences sociales des religions, 25e Année, No. 50.1 (Jul. - Sep., 1980), pp.77-88Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/30125169 .

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Arch. Sc. soc. des Rel., 1980, 50/1 (juillet-septembre), 77 - 88. Rdgis DERICQUEBOURG

LE BITIHEL ORDRE RELIGIEUX J1HOVISTE? (*)

Jehovah's Witnesses refuse the principle of monastic life. Yet the Watch Tower has headquarters (a Bethel) in every country, where there are permanent members for administrative, printing and translation purposes. These permanent members lead a com- munity life very similar to a religious order. The author enlarges the comparison by using analogical traits in order to see if the Bethel may be considered a religious order within J.W. movement. He confronts the characteristics of religious order as proposed by E. Goffman and Michael Hill to those of the Bethel. His conclusion is that the Bethel is a type of Curia-order, closer to Tibetan than to Western monachism.

Les T6moins de J6hovah refusent le principe de la vie religieuse >, au sens technique du catholicisme; ils considbrent que leur champ d'activit6 est le monde, et le retrait physique n'entre pas dans leur conception de la vie chritienne, tout entibre tourn6e vers le prosl61ytisme. Cependant I'observation des congr6ga- tions locales conduit

. penser que, par sa pratique religieuse (non-participation

t bon nombre d'activit6s sociales, non-fr6quentation des gens du monde >, selon leur expression p6jorative), le T6moin se coupe de la pratique sociale. Constatant ce fait, Czatt affirme : < Les adeptes de cette croyance constituent un exemple moderne de ces gens religieux qui doivent vivre par n6cessit6 dans le monde mais qui ne veulent pas faire partie des institutions existantes > (1).

Ce retrait social des croyants de la Tour de Garde rappelle le retrait des membres des ordres religieux. Les sociologues ont d6jh montr6 les analogies qui existent entre ces deux institutions. Ainsi pour Jean S6guy (2), elles ont en commun un 61itisme religieux et une intensit6 religieuse particulibre; pour le

(*) Cet article repr6sente une version 6court6e du chapitre 6 de notre thse: << Les Thmoins de Jdhovah, dynamique d'un groupe religieux et rapport d l'institution. Essai de description psychologique, 3" cycle, Paris, Universit6 Rend-Descartes, 1979.

(1) M. Stacey CZATT, The International Bible Students : Jehovah's Witnesses, Yale, Studies in Religion, ns 4 (printed by the Mennonite Press, Scottdale, Pa.), 1933, p. 28 (se trouve au British Museum).

(2) Jean SAGUY, << Une sociologie des soci6tds imagindes >, Annales. E.S.C., mars-avril 1971.

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Pare Congar rapportant Troeltsch : s L'ordre est l'eccl6sification de la secte > (3). Michael Hill (4), quant A lui, aprbs avoir compar6 les caractbres de son type id6al de l'ordre religieux et le type id6al de la secte construit par Bryan Wilson, conclut B leur analogie sauf sur trois points : 1) un ordre religieux n'existe qu'en tant que partie d'une Eglise; 2) dans les ordres religieux, Q la diff6rence des sectes, les membres doivent 8tre c61ibataires; 3) les religieux travaillent en premier lieu i leur perfection individuelle alors que le sectaire agit uniquement A des fins apostoliques. Enfin, les sectes et les ordres religieux ont en commun, en plus de leur caractdre volontaire, de leur 6litisme et de leur intensit6, l'asc6- tisme des membres, asc6tisme dans le monde pour les uns, asc~tisme hors du monde pour les autres, qui les distingue de l'ensemble des pratiquants ordinaires des Eglises. D'autre part, on constate que la secte des Shakers a v6cu sur le mode de l'ordre religieux (5).

Ce rapprochement entre la pratique du T6moin de J6hovah et la < vie religieuse > constituerait un chapitre psychosociologique B lui seul. Mais une analogie bien plus flagrante retiendra ici notre attention : celle qui existe entre le B6thel et l'ordre religieux. Dans la plupart des pays oi leur militantisme les conduit, les T6moins de J6hovah installent un B6thel (ou maison de Dieu) qui est A la fois le siege administratif autonome, le lieu d'impression de tracts et de brochures, ainsi qu'un relai de l'information entre le siege mondial de Brooklyn (lui-mime un B6thel) et les congr6gations indigines. Ces B6thels ont la parti- cularit6 de rassembler des gens, g6n6ralement B vie, le plus souvent des hommes c61libataires (mais des femmes et des couples sans enfants g charge peuvent y &tre admis), qui y vivent en s'adonnant B des activit6s d'administration, d'imprimerie et de < manutention principalement > (nous a dit un membre du B6thel parisien). Ces personnes sont, selon l'expression de l'organisation de la Tour de Garde, a vou6es J6hovah Dieu >.

Nous n'avons pas pu nous rendre au B6thel parisien. Cependant, des descrip- tions de B6thel faites par le mouvement de la Tour de Garde lui-mame (6), ou par d'autres auteurs (7), existent, et nous avons 6t6 frapp6s par l'analogie entre la vie dans ces B6thels et la vie religieuse. Nous avons voulu voir s'il y avait une identit6 entre ces deux modes de vie. Pour ce faire, nous nous sommes enquis des caractbres des ordres religieux et nous les avons rapproch6s des caract6ristiques du B6thel. Notre comparaison contredit le refus de la < vie religieuse au sens catholique proclame par les T6moins de J6hovah eux- mimes. Mais L6o Moulin (8) fait remarquer que < toutes les grandes religions du monde connaissent ou ont connu des manifestations de la vie monastique, le bouddhisme aussi bien que le judaisme, le christianisme aussi bien que l'islam >, et que < mime le protestantisme qui, B bien des 6gards, est une r6action anti- monastique caractris~e, retrouve petit B petit, depuis un siacle, le chemin de la vie secrete , puisqu'il existe la communaut6 de Taiz6, ou les communaut6s

(3) Yves CONGAR, Vraie et fausse riforme dans l'Eglise, Paris, Ed. du Cerf, 1950, p. 289. (4) Michael HILL, The Religious Order, Londres, Heinemann, 1973. (5) Henri DESROCHE, Les Shakers amiricains, Paris, Ed. de Minuit, 1955. (6) WATCHTOWER TRACT AND BIBLE SOCIETY (WTBS), Ta parole est une lampe pour

mon pied, 1968, pp. 205-206. Tous les ouvrages de la WTBS sont publi~s g Brooklyn. (7) Marley COLE, Jehovah's Witnesses, Londres, Allan a. Unwin Ltd, 231 p. (8) L~o MOULIN, Le Monde vivant des religieux, Paris, Calmann-Lvy, 1964, pp. 40-41.

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LE BETHEL

anglicanes apparues au XIXe sidcle, et que l'on a vu naitre, sous l'impulsion de W. Monod, la communaut6 des s protestants franciscains > regroupant des r6form6s, des luth6riens, des orthodoxes, des anglicans et des vieux-catholiques.

Cette remarque montre l'universalit6 de la o vie religieuse mais elle prouve 6galement qu'il peut se produire un fait paradoxal : une Eglise peut refuser par principe la vie monastique et voir des tentatives de vie monastique se manifester en son sein. Moulin nous autorise 6galement B transformer r'impres- sion premiere, selon laquelle il y a quelque chose de commun entre le B6thel j6hoviste et l'ordre religieux, en une hypothise. A la lumibre de cet auteur, nous pouvons nous demander si les T6moins de J6hovah ont r6ellement 6chapp6 g la fascination de I'ordre religieux, et s'ils n'ont pas recr66 dans leurs sieges nationaux et mondial une vie proche de la ( vie religieuse .

L'origine des Bethels remonte au proph~te Russell. Celui-ci fit construire le premier aux Etats-Unis en 1889; il s'appelait < la maison de la Bible >. C'etait un immeuble en briques de trois 6tages oiz logeaient Russell et ses assistants, et qui servait de sibge mondial au mouvement des < Etudiants de la Bible . Apris la scission de 1917 entre les partisans de Johnson (minoritaires) et ceux de Rutherford (majoritaires) A propos de la succession du 4 proph~te > Russell, ce batiment devint la propri6t6 des Rutherfordistes, qui prirent en 1931 le nom de T6moins de J6hovah. Sullivan Wakefield (9) d~crit dans les termes suivants la vie qui s'y menait du temps de Russell (1907) :

a N'6tant qu'au nombre de trente, nous formions r6ellement une Sfamille > (...). Nous mangions, dormions, travaillions et adorions Dieu tous dans cet immeuble. Sous I'estrade de la chapelle il y avait un bassin pour les baptemes ,.

Les b6thl61iens imprimaient et exp6diaient des tracts et des brochures, faisaient un travail administratif, mais surtout ils avaient le privilige de partager leur existence avec le proph~te Russell, le sup6rieur charismatique de la maison.

Actuellement les membres du Bethel de Brooklyn partagent leur existence avec celle du pr6sident et de l'6quipe qui produit les 6crits < inspir6s par Dieu ; ils jouent done un r61e dans la transmission de la litt6rature et des ordres. Cette proximit6 g la source sacr6e d'6mission doctrinale et pratique fait, selon l'expres- sion des T6moins, a l'ambiance th6ocratique du B6thel. A un degr6 moindre, elle se retrouve dans les assembl6es nationales et internationales, ot un repr6- sentant de Brooklyn prend la parole dans l'extra-quotidien du lieu, du temps, de la pratique, du rassemblement nombreux... Ainsi le B6thel apparait comme un lieu par excellence of se vit au maximum le d~ji du Royaume proclam6 et attendu par les T6moins. II repr6sente, comme l'ordre religieux catholique, le lieu exemplaire de la dimension eschatologique d'une religion par ailleurs institu- tionalis6e dans le pas encore.

Pour v6rifier notre hypoth~se d'une analogie entre le B6thel et les ordres religieux, il nous faut confronter leurs caract6ristiques. Nous chercherons celles

(9) WTBS, Annuaire des Thmoins de Jehovah, 1975.

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de l'ordre dans deux etudes : Asiles de Goffman (10) et The Religious Order (11) de Michael Hill.

Dans Asiles, Goffman range l'ordre religieux parmi les institutions totali- taires. Par consequent, la description de ces dernibres, qui constitue la vis&e de I'ouvrage, fournit des caract~ristiques propres aux ordres religieux que nous pouvons utiliser pour comparer ceux-ci aux B6thels (12). Ces caractdristiques sont : le retrait, la programmation des activit~s, la contiguit6 entre les membres, la mutilation de la personnalit6, la prise en charge totale des individus, et le contr61e permanent exerc6 sur eux.

De son c6t6, Michael Hill, dans son livre The religious Order, propose un type id6al de l'ordre religieux qui pr6sente les traits suivants : 1) les ordres religieux n'existent qu'en tant qu'616ments d'une Eglise, m~me s'il y a parfois des tensions entre eux; 2) bien qu'il fasse partie d'une Eglise, l'ordre religieux conserve un certain degr6 d'autonomie morale et organisationnelle; 3) sans se montrer pour autant dualiste et rejeter le monde comme totalement mauvais, I'ordre religieux refuse tout compromis sur sa conception de l'6thique 6vang61ique, et prend ses distances avec les rapports sociaux ordinaires; 4) l'ordre religieux exige de ses membres un engagement total; 5) l'ordre religieux est constitu6 de communaut6s locales et forme toujours une sorte de communaut6 familiale et un groupe participant de fagon permanente au rituel; 6) l'ordre religieux demande une ob6issance bien plus grande de ses membres que l'Eglise dont il fait partie n'en demande i ses ouailles ou g son clerg6 s6culier; 7) l'ordre religieux est i

l'origine un mouvement de laics, et conserve partiellement ce caractdre par la suite, en d6pit d'une cl6ricalisation croissante; celle-ci favorise le contr6le de la hibrarchie sur l'ordre; 8) l'ordre religieux est un groupe de a virtuoses > qui se tient B une interpr6tation sans compromis de l'6thique des Evangiles, interpr6- tation que I'Eglise approuve mais qu'elle n'exige pas des croyants ordinaires; 9) le religieux recherche avant tout la perfection personnelle, que celle-ci soit d6finie en termes de but social ou individuel, ou de vie active ou contemplative; 10) la qualit6 de religieux peut Stre acquise ou maintenue en donnant des preuves d'un mdrite particulier.

Les traits sp6cifiques de l'ordre religieux que nous venons d'inum6rer s'appliquent-ils au B6thel j6hoviste ?

LE RETRAIT

Selon Goffman, les membres d'une institution totalitaire entretiennent ordi- nairement des rapports limit6s avec le systdme social. Cet isolement porte atteinte A la personnalit6 du membre. En ce qui concerne les ordres religieux, le retrait a d6ji commenc6 avant l'entr6e. En g6n6ral, la < recrue > a d6ji partiellement rompu avec son univers familial et < l'institution ne fait que trancher un lien

(10) S. GOFFMAN, Asiles, Paris, Ed. de Minuit, 1966. (11) Op. cit. (12) On retrouve ces traits : s6paration de la vie profane et de la vie de saintet6,

asc&tisme pratiqu6 en vue d'obtenir une perfection individuelle, caractbre volontaire, vis~e de saintet6 personnelle, totalitarisme.

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qui avait dj~i commenc6 t se relacher s (13). Cette constatation s'applique aux T6moins de J6hovah entrant au B6thel. En effet, la pr6f6rence est accord6e aux pionniers. Or, ceux-ci ont d6ji marqu6 une rupture avec la vie professionnelle (ils ont abandonn6 leur travail pour consacrer tout leur temps a la pr6dication), avec la famille 6galement (car nomm6s sur un territoire parfois 61oign6, ils se sont d6ja distanci6s d'elle). Ils se sont aussi d6jt diff6renci6s du style de vie de la soci6t6 globale, oblig6s qu'ils sont de vivre avec les faibles indemnit6s qu'ils regoivent du Mouvement. L'entr6e au B6thel, qui est le plus souvent d6finitive, ne fait que consacrer un retrait de fait d6ja 6vident. Le peu de temps dont disposent les b6theliens pour entretenir des rapports avec s le monde s accentue encore, d6sormais, la distanciation i son 6gard. En g6n6ral, les membres du B6thel sont c6libataires. Ils travaillent chaque jour, sur place, du lundi au vendredi pendant huit heures et quarante minutes, et le samedi pendant quatre heures. Ils emploient leurs soir6es g 6tudier des 6crits de la Tour de Garde, ou B participer aux r6unions de la congr6gation. Ils vouent leur temps libre du samedi et leurs dimanches au pros61ytisme de porte en porte et g I'administration des congr6gations voisines. Par exemple, t Londres, la plupart des b~theliens ( doivent servir dans quelques-unes des cinquante congr6gations londoniennes >. Quelques-uns se rendent 6galement pendant le week-end dans des congr6gations 61oign6es. Ceux qui ne font pas ce service pratiquent leur ministbre avec la congr6gation de Paddington, dont la direction est rattach6e au B6thel (14). L'emploi du temps du B6thel de Paris montre que, au cours de leur vie entibre- ment consacr6e i la secte, les membres ne sortent que pendant de courts moments pendant lesquels ils se trouvent encore en compagnie de coreligionnaires, ce qui confirme le retrait. Ainsi, il est dit (15) que le ' lundi soir, les membres 6tudient ensemble la legon pour la semaine dans la Tour de Garde, qu'ils assistent i

' l'6cole du ministbre th~ocratique > (16) organis6e par la famille les autres soirs; le samedi apris-midi et le dimanche, ils assistent au ' ministbre du champ (17) et s'occupent de leurs affaires personnelles. Nombre de frbres du B6thel servent en tant que surveillants de congr6gation, ou serviteurs minist6riels, et ceux d'entre eux qui sont orateurs qualifi6s ont aussi le privilege de faire des discours publics dans des congr6gations voisines. Leur emploi du temps est bien rempli mais il procure d'abondantes r6compenses spirituelles s. Nous remarquons une autre forme de retrait dans la volont6 des membres du B6thel de faire appel le moins possible au monde > du point de vue 6conomique. Ainsi le quartier g6n6ral de Brooklyn tire sa nourriture d'une ferme qui lui appartient; r6cemment il a fait installer sur place des groupes 61ectrog~nes afin de d6pendre au minimum de l'6nergie fournie par l'Etat. Les b6theliens brooklynois pensent ainsi pouvoir continuer a fonctionner en cas de graves ou de troubles. Par ailleurs, Czatt constate, en 1933, que le B6thel am6ricain disposait de cordonniers et de

(13) E. GOFFMAN, op. cit., p. 58. (14) WTBS, Les Tmnoins de JIhovah dans les desseins divins, 1971, p. 23. (15) WTBS, Ta Parole, p. 205. (16) Cours de pr6dication qui a lieu pendant une heure chaque semaine. Les T6moins

y apprennent I'art de se pr6senter de porte en porte, de faire de courts sermons afin de deveniI de bons pr6dicateurs et de bons orateurs. Cette bcole est dirig6e par un a serviteur t l'6cole thbocratique > qui conseille les Timoins en vue de les am6liorer dans ces deux domaines.

(17) Pr6dication systimatique de porte en porte sur un territoire (partie d'une ville ou d'un village) attribuC. Chaque T6moin de J6hovah est un pr6dicateur.

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coiffeurs. On peut voir dans ces faits une volont6 de vivre en autarcie au moins partielle, comme dans les monastdres. En ce qui concerne la d6personalisation, cons6quence du retrait selon Goffman, mentionnons que Schnell a insist6 sur la robotisation des membres du B6thel, soumis & des cadences de travail intenses, qui doivent abandonner toute idle personnelle et r6p~ter des bribes de la doctrine j6hoviste, sous peine d'etre accuses de < picher contre l'esprit > (18). Les Thmoins de J6hovah ordinaires se situent < hors du monde , mais les b~theliens le sont un peu plus en raison de l'absence d'obligation d'effectuer un travail profane Sdans le monde .

LA PROGRAMMATION DES ACTIVITES

Au Bethel comme dans la communaut6 religieuse, la vie se d6roule selon un emploi du temps rip6titif et pr6cis.

Goffman 6crit, a propos des institutions totalitaires - parmi lesquelles il range les s maisons religieuses > - que toutes les p6riodes d'activit6 sont r6gles selon un programme strict, en sorte que toute tache s'enchaine avec la suivante Sun moment d~termin6 B l'avance, conform6ment ai un plan impos6 d'en-haut, par un systhme explicite de riglement dont l'application est assur6e par une 6quipe administrative. Les diff6rentes activit6s ainsi impos6es sont enfin regrou- p~es selon un plan unique et rationnel, consciemment congu pour r~pondre au but officiel de l'institution > (19). Nous trouvons au Bethel une programmation des activit6s conforme a celles indiqu6es par Goffman. Nous apprenons ainsi que chaque jour les membres du Bethel commencent de bonne heure (B 6 heures 30) leurs activit6s quotidiennes; que, r~unis g table le matin, ils examinent un texte biblique et son commentaire, et qu'aprbs le petit d6jeuner ils travaillent huit heures quarante par jour et quatre heures le samedi. Les frbres sont appel&s par une sonnerie a se lever, i prendre un bain, a assister au petit d6jeuner avec action de grice, et a la pause du repas de midi accompagn6 d'une lecture biblique (20). Les activit6s journalibres ne sont pas seules a &tre programmees puisque le rythme des activit6s religieuses en soiree est aussi fix6. Les T6moins de J6hovah justifient la programmation des activit6s de cette fagon : II est n6cessaire que la vie au B6thel soit bien ordonn6e. Aucune autre fagon de faire les choses ne saurait plaire au Seigneur. C'est la raison pour laquelle un r~gle- ment a &t6 6tabli qui r6git la marche de toute la maison. Une liste imprim~e de ces r~gles est remise g tout chr6tien qui s'engage dans le service du B6thel et il lui est demands d'6tudier ce riglement et de I'observer (21).

(18) W.J. SCHNELL, Trente ans esclave des Timoins de Jdhovah (traduit par Barry CLARCK, iditi par le Timoignage Evangilique auprbs des Timoins de J6hovah, coll. Viens et Vois ), 1974, p. 96 et p. 15.

(19) E. GOFFMAN, op. cit., p. 48. (20) WTBS, Ta Parole, op. cit., p. 205. (21) WTBS, Les Thmoins de Jdhovah, op. cit., pp. 115-116.

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LE BETHEL

LES V{EUX

Les religieux prononcent des voeux qui constituent une d6claration d'enga- gement dans la vie conventuelle aprbs une p6riode de noviciat. Au B6thel, il n'existe pas de noviciat, mais les pionniers (donc ceux qui ont montr6 leur engagement dans le mouvement en pratiquant une vie religieuse de qualit6 dans le monde), y sont admis en priorit6 et donc, bien souvent, il s'agit d'un engagement qui prolonge un engagement au service de la secte. En un sens, la vie de pionnier est done le lieu oii le futur et 6ventuel b6thelien fait ses preuves et d6montre sa capacit6 B une cons6cration plus entibre au service de l'organisation th6ocra- tique. C'est un noviciat sur le tas, en certains points semblable B celui que l'on observe dans certains instituts s6culiers r6cents. D'autre part, au moment de d'admission, les membres du B6thel remplissent un questionnaire et signent une d6claration selon laquelle ' ils sont pleinement vou6s au Seigneur et en complet accord avec la Soci6t6 >. Nous pouvons rapprocher cette d6claration des voeux monastiques, car le novice d6cide de s'engager vis-a-vis de Dieu mais aussi vis-A-vis d'une communaut6 d'accueil.

I1 est curieux de constater que cette d6marche est parallkle B celle du baptime (profession de foi et cons6cration au service de la Soci6t6). L'entr6e au B6thel ressemble B un bapt~me sans eau; elle est naissance A une vie nouvelle, comme dans le cas de I'entr6e au monastbre oii la profession religieuse est qualifi6e de < second baptdme > par de nombreux th6ologiens.

LA COMMUNAUTE DES BfTHELIENS

Les membres du B6thel se trouvent toujours ensemble. Une description du B6thel ambricain, datant de 1929, donne une id6e de la proximit6 des membres. Nous apprenons qu'il y a 120 chambres avec le confort moderne adapt6 g une famille de 180 personnes, dont la plupart sont des jeunes frbres. Le but de ceci est de maintenir une bonne 6quipe de travailleurs. Parfois, deux personnes partagent une chambre A deux lits. On trouve aussi une grande salle de r6union oi a les frdres peuvent se retrouver pour jouer de la musique ou bavarder ,. La communaut6 dispose d'une bibliothbque < oix l'on peut 6tudier le soir dans la tranquillit6 >, ainsi que de salles de musique pour enseigner et pratiquer le chant ainsi que divers instruments pour la pr6paration des programmes radiophoniques >. I1 y a < d'autres pieces oii des machines g 6crire sont mises s la disposition des frdres, ce qui leur permet de composer des discours qu'ils doivent prononcer A la radio ou ailleurs > (22). Nous voyons done que l'agence- ment des lieux oblige t la contiguit6 dans un grand nombre d'activit6s. Les repas, le travail, les cultes rassemblent toujours tous les membres et les sou- mettent au regard des uns et des autres. La plupart des occupations se faisant a sur place >, I'individu ne se s6pare jamais des autres pour aller chez le coiffeur on aller porter ses chaussures i r6parer hors du B6thel (23). Or, Goffman

(22) WTBS, Annuaire, 1973. (23) M.S. CZATT, vers 1930, donnait cette description : < Tous les membres de la commu-

naut6 B6thel mangent g la table commune et dorment dans des chambres pareilles. Ils sont nourris, blanchis, log6s. Il y a une cordonnerie oi le travail est fait B bas prix. Dans l'usine il y a une 6choppe de coiffeur oh l'on peut se faire coiffer et raser sans perdre de temps >.

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considbre que dans toute institution totalitaire ' chaque phase de l'activitE quoti- dienne se d6roule, pour chaque participant, en relation de promiscuit6 totale avec un grand nombre d'autres personnes soumises aux m~mes traitements et aux m~mes obligations >. Ce qu'il formule ainsi : < en ragle g6n6rale, le reclus n'est (...) jamais (...) isol6, il y a toujours une personne susceptible de le voir ou de l'entendre, ne serait-ce que ses compagnons de r6clusion (24).

Notons que l'expression a la famille du B6thel apparait dans la description de 1929, g juste titre, semble-t-il, car le B6thel est une famille l61argie de rempla- cement : pour le b&thelien, ce groupe de < frbres selon l'esprit > prend la place de la fraternit6 charnelle et le responsable a l'autorit6 et le pouvoir d'un pare. Or, selon la formule pr6cit6e de Michael Hill, l'ordre est une sorte de < commu- naut6 familiale ; M. Weber fait la m~me constatation (25). Sur ce point encore, nous d6couvrons une analogie entre le B6thel et l'ordre religieux.

LA PRISE EN CHARGE FINANCIERE DES MEMBRES

Dans les < maisons religieuses > l'individu est lib6r6 du souci de financer son existence. Il n'a pas non plus g entretenir des rapports 6conomiques avec l'extbrieur. Le 4 monastbre > pourvoit aux besoins de l'individu, mais ne lui accorde aucun salaire en retour de son activit6 ou de son engagement. L'argent est banni des 6changes inter-individuels de groupe. Au B~thel, il en va de m~me (26). Les entrants sont en g6n6ral des pionniers. Ceux-ci ont pris l'habitude de vivre dans le monde avec le peu d'argent accord6 par la Soci6t6 de la Tour de Garde, et un petit pourcentage pergu sur leurs ventes de livres et brochures. Au Btthel, ils ne regoivent presque plus d'argent : sauf une petite allocation mensuelle pour couvrir leurs frais personnels ainsi qu'une aide annuelle pour acheter quelques vttements. On leur donne aussi des choses materielles n6ces- saires grace aux contributions que les Thmoins de J6hovah du monde entier envoient au B6thel. En revanche, comme nous l'avons d6ji vu, ils sont log6s, nourris et blanchis. Ce sort est 6galement partag6 par le pr6sident de la secte qui, par exemple, ne pergoit pas les droits d'auteurs qui devraient provenir de ses 6crits. Czatt affirme que chacun au Bethel ressent une 6galit6 financibre (27). Schnell 6crit (28), g propos du Bethel allemand, en 1926 : ' rappelez-vous que tous les fr~res travaillaient pour si peu d'argent qu'ils 6taient presque incapables de s'acheter des chaussettes >. Nous pouvons appliquer & ce que nous venons de d6crire la constatation de Goffman selon laquelle les institutions totalitaires sont incompatibles avec la structure de base de notre soci6t6 qu'est le travail salari6 (29).

(24) E. GOFFMAN, op. Cit., p. 68. (25) Max WEBER, Economie et Socihtd, Paris, Plon, 1972. (26) WTBS, Ta Parole, p. 206. (27) M.S. CZATT, op. cit., p. 27. (28) W.J. SCHNELL, op. cit., p. 38. (29) E. GOFFMAN, op. Cit., p. 53.

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LE BETHEL

LA MUTILATION DE LA PERSONNALITi

En entrant dans la vie religieuse le novice est cens6 naitre g une vie nouvelle et perdre son ancienne personnalit6. Il se d6pouille des attributs de son identit6, tels que ses objets personnels, ses v~tements profanes... Dans la pratique ordinaire, les T6moins de J6hovah pr6sentent cette caract6ristique. Le T6moin doit renoncer B fumer, il doit parfois renoncer g ses cheveux longs. On attend de lui certaines modifications de son cadre de vie : qu'il enlbve de son domicile des ornements qui pourraient $tre des symboles paiens, par exemple des photographies de parents, car il ne faut pas vouer un culte g un homme. Au B6thel, il n'y a plus aucune place pour les attributs de l'identit6. Une anecdote rapport6e par Schnell (30) apparait significative & cet 6gard : en 1925, au B6thel de Magdebourg, le pr6sident de la filiale allemande portait une longue barbe comme celle de Russell, fondateur et prophite du mouvement. II avait sollicit6 une presse a imprimer du bureau de Brooklyn. Lors de son passage en Allemagne, Rutherford lui dit publiquement qu'il aurait cette presse & condition de se couper la barbe. Cette barbe 6tait le signe de son identification & Russell et un 616ment de sa personnalit6. Il se coupa la barbe. Autres exemples de blessures narcissiques : Schnell raconte qu'un jour le responsable des achats se trouva sur la sellette en pr6sence de toute la << famille > parce qu'il avait oubli6 d'acheter un venti- lateur. s Qu'il 6tait mal & I'aise pendant que le juge faisait de lui la cible de son brilant sarcasme!> s'exclame cet ex-T6moin (31). Ces pratiques ressemblent & la mortification des religieux au chapitre des coulpes. Cette anecdote montre aussi l'exigence d'une ob6issance sans faille. Un T6moin n'appartenant pas au B6thel n'aurait pas subi un tel affront pour cet oubli. On lui aurait montr6 son erreur < avec tact . La mutilation de la personnalit6 apparait done li6e avec une attente de < virtuosit6 exemplaire de la part des b6theliens; on peut consid6rer ceux-ci comme un groupe de virtuoses & l'int6rieur d'une organisation plus vaste, ce qui est la d6finition que Weber donne du < monachisme > (32).

LIEU D'INTENSITE RELIGIEUSE

Le B6thel, comme l'ordre, est un lieu d'intensit6 religieuse. Le travail pour l'accomplissement de I'oeuvre divine qu'est I'expansion de la secte y est plus intense (imprimerie, administration), mais aussi l'activit6 religieuse y est plus 6motionnelle que dans le reste de la secte. Les T6moins de Jehovah proclament, du reste, que le B6thel est un endroit merveilleux pour servir Dieu, et que < l'ambiance th6ocratique qui rbgne au sein de ces communaut6s fournit & ceux qui en sont membres une occasion excellente de croitre spirituellement >. Ils affirment que c'est une exp6rience enrichissante que de travailler toute la journ6e en compagnie d'autres chr6tiens qui aiment J6hovah, et de savoir que le travail que 1'on fait est utile pour un si grand nombre de serviteurs de J6hovah (33).

(30) W.J. SCHNELL, op. cit., p. 26. (31) Ibid., p. 59. (32) Max WEBER, op. cit., p. 553. (33) WTBS, Ta Parole, p. 206.

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Les sectes se caract6risent en g6n~ral par une intensit6 plus forte du sentiment et de l'expression religieux. Or, le j~hovisme se d6marque des autres groupes religieux minoritaires ~ cause d'une conception diff6rente de l'intensit6 religieuse. Nous avons - ailleurs - qualifi6 cette conception de behavioriste car la pratique religieuse j6hoviste est peu 6motionnelle, les relations entre adeptes sont froides et orienties vers l'utile, l'appel g la conscience est r6duit au minimum; &tre Timoin de Jehovah consiste a &tre un porte-parole standardis6 des doctrinaires du mou- vement; &tre un bon Thmoin consiste t diffuser le discours officiel le plus possible en vue de l'expansion du mouvement; ceci se refl6tera ensuite, dans des bilans p~riodiques, sous forme de records en heures de pr6dication ou en nouvelles recrues. On le voit done, le B6thel entibrement vou6 au service de l'expansion porte aux extremes l'intensit6 apostolique en permettant, toutefois, une plus grande qualit6 des relations interpersonnelles grace Q une vie de groupe plus intense que dans le reste de l'organisation. On se trouve bien en pr6sence d'un lieu d'intensit6 religieuse, jusqu'& un certain point.

UN LIEU ELITISTE

Certaines conditions sont requises pour entrer au B6thel. II faut, en principe, &tre c6libataire - bien que cela ne soit pas indispensable - pour ~tre plus disponible. Les pionniers y sont admis de pr6f6rence. Or, les pionniers forment d6ja une elite dans le mouvement. De plus, les T6moins ordinaires les admirent parce qu'ils sont yours entiarement & la predication. Ils aiment & les inviter a leur table. La societe de la Tour de Garde encourage cette admiration. Une pr6- selection a lieu, car la demande d'entr6e au B6thel est soumise c l'avis du surveil- lant de circonscription. Les conditions d'admission sont : 8tre capable de travailler dur, avoir 6t6 un bon pr6dicateur (le pionnier a 6t6 pr6par6 & cela), et etre capable de diriger une congr6gation (les pionniers sont souvent surveillants de congregation). Le b6thelien doit etre capable de depasser les normes de travail appliqu6es ordinairement : il doit travailler sans compter son temps, plus de huit heures par jour si on le lui demande. Sa pratique religieuse est consideree par les Thmoins ordinaires comme un module id6al et ceux-ci se montrent admiratifs envers les membres du B~thel. Ils se montrent fiers de dire qu'& l'occasion d'un passage au Bethel ils ont pu donner < un coup de main . Les T6moins ordinaires peuvent aller y travailler pendant de courtes p~riodes de quelques jours. Un Thmoin de Lille disait, lors d'une reunion, aprbs un court sejour au B6thel, qu'il y avait 1& une extraordinaire ambiance de spiritualit6 et qu'il n'avait pas ressenti la fatigue. En ce cas, son sbjour au B6thel 6tait assimilable & une retraite dans un couvent.

LE CONTROLE DU COMPORTEMENT

Au Bethel, comme dans la machine panoptique de Jeremy Bentham (34), la vie est transparente. La transparence, c'est-a-dire le fait que chacun puisse toujours etre vu par quelqu'un, l61oigne la d6faillance, done le p6ch6. A Brooklyn

(34) J.A. MILLER, . Le Despotisme de l'utile : Jeremy Bentham ', Ornicar, 1975, n* 3, pp. 3-36.

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LE BETHEL

et de son temps, Rutherford adressait publiquement des remontrances aux B6theliens pendant les repas. Ceux-ci apprenaient ainsi la faute que leur < frbre > avait commise, et comprenaient qu'il valait mieux ne pas en faire autant. Le maitre-mot de la morale benthamienne, le < no dark spot >, est appliqu6 en pratique. Schnell (35) rapporte qu'en 1926, au Bethel allemand, tout ce que l'on disait et faisait 6tait rapport6 au directeur qui r6p6tait souvent : je suis au courant dbs que vous ouvrez la bouche. Alors attention . Le contr6le se fait aussi par la soumission des activit6s au jugement de l'autorit6, ce qui apparait d6ji dans la vie du Thmoin ordinaire. Ainsi quand ceux-ci se rencontrent, hors de chez eux ou de la congregation, ils commencent par justifier l'un B l'autre pourquoi ils se trouvent l od ils se rencontrent. On peut voir dans tout cela une analogie avec les ordres religieux dans lesquels le sup6rieur doit tout savoir et tout approuver, avec cette r6serve qu'au monastbre la d6lation serait - en principe - mal vue. Ce contr6le du comportement vient 6videmment renforcer l'exigence d'une ob6issance que Schnell, en rapportant son exp6rience du B6thel de Magdebourg, qualifie d'ob6issance 4 perinde ac cadaver .

CONCLUSION

Dans ce qui pr6chde nous avons constat6 certaines analogies entre les ordres religieux et le B6thel. Cependant, il ne serait pas 16gitime de parler d'une ressemblance totale; des diff6rences se manifestent aussi.

Tout d'abord, contrairement t l'ordre, le quartier g6n6ral des T6moins de J6hovah n'a pas 6t6 cr66 pour permettre & quelques individus d'atteindre a une perfection individuelle, mime s'il se peut que certains d'entre eux utilisent cette organisation intra-sectaire pour y poursuivre un tel but priv6. Mais l'objectif officiel du B6thel est clair : travailler au service de la secte pour le salut du plus grand nombre.

Ensuite, on ne peut affirmer que le B6thel dispose d'une certaine autonomie morale et organisationnelle par rapport & la secte globale. A l'inverse, il est le sidge de l'organisation pour un pays et un des rouages de l'organisation inter- nationale. II doit transmettre les principes de la secte et veiller & leur application. Seul le B6thel de Brooklyn, dont l'6quipe dirigeante est cens6e &tre inspir6e par Dieu, peut adopter une conduite novatrice. Sauf dans le cas des Etats-Unis, il n'y a done pas d'autonomie - & aucun degr6 - dans les B6thels.

Autre diff6rence : bien que les B6theliens soient, dans une certaine mesure, retir6s du monde, il n'en demeure pas moins qu'ils ont la charge de r6gler un certain nombre de problimes administratifs concernant les rapports entre la secte et la soci6t6 (procs, interviews aux journaux). En r6alit6, pour saisir pr6cis6ment le degr6 du retrait il faudrait envisager les modalit6s de ces rapports avec < le monde >; mais sur ce point I'information manque. Le B6thel ressemble plus Sune maison d'un ordre actif ou & une congr6gation moderne qu'& un monastdre au sens strict. IL semble done qu'on puisse parler d'une analogie partielle entre la communaut6 du B6thel et l'ordre religieux. Elle trahit une contradiction du

(35) Op. cit., p. 38.

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systhme des Thmoins de Jehovah : tout membre est saint, mais les B&theliens le sont plus que les autres. Ceci rejoint - d'ailleurs - une des difficult~s du concept catholique de perfection, et la distinction entre la vertu et l'6tat (36). Mais dans le catholicisme, m~me si les ordres (actifs surtout) servent les fins de l'institution, c'est aprbs une n6gociation dans laquelle l'ordre religieux s'est subordonn6 & l'institution tout en conservant une certaine autonomic. D'odi la difficult6 situer ce dernier par rapport g la pyramide du pouvoir hierarchique- sacramentel. Par contre, chez les T6moins, le B6thel fait partie de l'organisation mime, en servant ses fins sans aucune autonomie, jouant ainsi g la fois le r61e de Curie (internationale et nationale) et d'ordre religieux. La situation est plus semblable g celle du bouddhisme thib6tain, oii les moines coiffent l'Eglise, qu'8 celle qui pr6vaut dans les ordres et congr6gations catholiques (37). Mais ici, I'aspect de main-d'oeuvre g bon march6, qui se retrouve aussi dans le catholi- cisme (38), apparait plus appuy6 : le B6thel est un ordre-curie fournissant g l'organisation des T6moins de J6hovah un personnel travaillant g temps complet dans les conditions maximales d'efficacit6 pour un minimum de d6pense. Ceci n'empiche pas le B6thel d'apparaitre aux T6moins eux-m~mes comme le lieu de leur utopie et d'un perfectionnement plus intense. Mais cette fonction n'est pas officiellement recherch6e en premier lieu.

R6gis DERICQUEBOURG

Groupe de Sociologie des Religions C.N.R.S.

(36) THOMAS D'AQUIN, Summa theologiae, 2a-2ae, q. 189, art. 3, ad. 3. (37) Max WEBER, op. cit., p. 553. (38) Ibid.

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