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« U n soldat qui se bat a besoin de se battre pour quelque chose. Le verbe a sa part dans l’appel au courage. » Le légionnaire et écri- vain Hélie de Saint Marc connais- sait la puissance du verbe dans les âmes militaires. Une donnée essentielle pour expliquer l’émotion suscitée l’été dernier par la crise entre Emmanuel Macron et le général Pierre de Villiers, chef d’état-ma- jor des armées (Cema). Ce 13 juillet, devant la haute hiérarchie militaire réunie à l’Hôtel de Brienne, siège historique du ministère de la Défense (renommé ministère des Armées en juin dernier), à Paris, le président de la République a implicitement recadré son subordonné. « Je considère qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique », décla- ra-t-il, en martelant sèchement : « Je suis votre chef. » La veille, le Cema avait déploré, devant la commis- sion de la Défense de l’Assemblée nationale, le retrait de 850 millions d’euros dans le budget à venir. L’« exécution » du général de Villiers « Le général de Villiers, qui a été pendant des années un grand chef, apprécié et respecté de tous, a toujours traduit les préoccupations des armées dont il avait la responsabilité. Il sait, plus que quiconque, qu’elles doivent faire face à des réductions dras- tiques », commente le général Bertrand Ract-Madoux, ancien chef d’état-major de l’armée de terre (Cemat), et gouverneur des Invalides jusqu’en mai dernier. « Le général de Villiers s’est aventuré dangereusement, en imitant les communicants qui peuplent le ministère des Armées. L’affaire en serait sans doute restée là si le président n’était pas un jeune coq, immature et impulsif… », estime pour sa part un « strasseux » (membre de la haute hiérarchie, dans le jargon mili- taire). Dès le 19 juillet, le général François Lecointre fut nommé au poste de Pierre de Villiers. Ce dernier quitta le ministère des Armées le jour même, applaudi par ses hommes en haie d’honneur. Car l’armée s’est levée pour défendre son « chef ». « Ce sont le Cema et les chefs d’état-major qui nous représentent, explique un officier supérieur. Nous comptons sur leur capacité à résister aux politiciens de mauvais esprit, qui profitent de notre loyauté et de notre résilience. » Redoutant des sanctions, les militaires et civils de la Défense sollicités pour cette enquête répondront presque tous de manière anonyme. « Chez nous, des gens se font virer pour délit d’opinion. On ose avec les soldats ce qu’on n’oserait faire avec personne ! », dénonce l’un d’eux, qui souhaiterait voir « des formes de syndicat » exister dans les armées. Quatre mois plus tard, l’affaire Villiers n’a pas été oubliée. « Le “Je suis votre chef” d’Emmanuel Macron a laissé des traces, divulgue-t-on au minis- tère des Armées. Il nous a rappelé Nicolas Sarkozy traitant les militaires d’“amateurs” à la suite d’un accident de tir, en juin 2008. » Le général Bruno Cuche avait démissionné de son poste de Cemat, en signe de protestation. Au même moment, Nicolas Sarkozy faisait publier la nouvelle édition du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale prévoyant des coupes drastiques dans le budget. Sans cesse des réductions budgétaires En effet, tous les gouvernements de la V e Répu- blique n’ont eu de cesse de réduire la part du budget destiné à la Défense (voir graphique p. 14). Elle a constitué une variable d’ajustement permanente pour réduire le déficit croissant de l’État. Par ailleurs, la fin de la guerre froide, l’illusion dans les années 1990 d’un « nouvel ordre mondial » prospère et pacifique, et la professionnalisation des armées, enclenchée à Système Louvois, opération Sentinelle, Opex… Le blues des militaires Enquête Quatre mois après le limogeage du général Pierre de Villiers, sur fond d’inquiétudes budgétaires, des militaires s’interrogent, sans tabou, sur leur avenir. 202 964 militaires et 60 386 civils de la Défense composaient les armées françaises en 2015. Parmi eux, 108 449 étaient rattachés à l’armée de terre, 42 607 à l’armée de l’air et 36 331 à la marine. Les principales opé- rations extérieures se déroulaient en 2016 : - au Sahel : 3 500 mili- taires (opération Barkhane) - au Proche-Orient : 1 000 en Irak et Syrie (Chammal) et 900 au Liban (Daman). SOURCE : MINISTÈRE DES ARMÉES. REPÈRES À LA UNE 12 www.famillechretienne.fr - Famille Chrétienne n° 2078 du 11 au 17 novembre 2017

Le blues des militairesmarcantog/amicale/images/stories/humeur_des... · On compte vingt morts dans les rangs français ... et les militair s ... proximité des casernes et bases

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«Un soldat qui se bat a besoin de se battre pour quelque chose. Le verbe a sa part dans l’appel aucourage. » Le légionnaire et écri-vain Hélie de Saint Marc connais-

sait la puissance du verbe dans les âmes militaires. Une donnée essentielle pour expliquer l’émotion suscitée l’été dernier par la crise entre Emmanuel Macron et le général Pierre de Villiers, chef d’état-ma-jor des armées (Cema). Ce 13 juillet, devant la haute hiérarchie militaire réunie à l’Hôtel de Brienne, siège historique du ministère de la Défense (renommé ministère des Armées en juin dernier), à Paris, le président de la République a implicitement recadré son subordonné. « Je considère qu’il n’est pas digne d’étaler certains débats sur la place publique », décla-ra-t-il, en martelant sèchement : « Je suis votre chef. » La veille, le Cema avait déploré, devant la commis-sion de la Défense de l’Assemblée nationale, le retrait de 850 millions d’euros dans le budget à venir.

L’« exécution » du général de Villiers « Le général de Villiers, qui a été pendant des

années un grand chef, apprécié et respecté de tous, a toujours traduit les préoccupations des armées dont il avait la responsabilité. Il sait, plus que quiconque, qu’elles doivent faire face à des réductions dras-tiques », commente le général Bertrand Ract-Madoux, ancien chef d’état-major de l’armée de terre (Cemat), et gouverneur des Invalides jusqu’en mai dernier. « Le général de Villiers s’est aventuré dangereusement, en imitant les communicants qui peuplent le ministère des Armées. L’affaire en serait sans doute restée là si le président n’était pas un jeune coq, immature et impulsif… », estime pour sa part un « strasseux » (membre de la haute hiérarchie, dans le jargon mili-taire). Dès le 19 juillet, le général François Lecointre

fut nommé au poste de Pierre de Villiers. Ce dernier quitta le ministère des Armées le jour même, applaudi par ses hommes en haie d’honneur.

Car l’armée s’est levée pour défendre son « chef ». « Ce sont le Cema et les chefs d’état-major qui nous représentent, explique un officier supérieur. Nous comptons sur leur capacité à résister aux politiciens de mauvais esprit, qui profitent de notre loyauté et de notre résilience. » Redoutant des sanctions, les militaires et civils de la Défense sollicités pour cette enquête répondront presque tous de manière anonyme. « Chez nous, des gens se font virer pour délit d’opinion. On ose avec les soldats ce qu’on n’oserait faire avec personne ! », dénonce l’un d’eux, qui souhaiterait voir « des formes de syndicat » exister dans les armées.

Quatre mois plus tard, l’affaire Villiers n’a pas été oubliée. « Le “Je suis votre chef” d’Emmanuel Macron a laissé des traces, divulgue-t-on au minis-tère des Armées. Il nous a rappelé Nicolas Sarkozy traitant les militaires d’“amateurs” à la suite d’un accident de tir, en juin 2008. » Le général Bruno Cuche avait démissionné de son poste de Cemat, en signe de protestation. Au même moment, Nicolas Sarkozy faisait publier la nouvelle édition du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale prévoyant des coupes drastiques dans le budget.

Sans cesse des réductions budgétairesEn effet, tous les gouvernements de la Ve Répu-

blique n’ont eu de cesse de réduire la part du budget destiné à la Défense (voir graphique p. 14). Elle a constitué une variable d’ajustement permanente pour réduire le déficit croissant de l’État. Par ailleurs, la fin de la guerre froide, l’illusion dans les années 1990 d’un « nouvel ordre mondial » prospère et pacifique, et la professionnalisation des armées, enclenchée à

Système Louvois, opération Sentinelle, Opex…

Le blues des militaires

Enquête Quatre mois après le limogeage du général Pierre de Villiers, sur fond d’inquiétudes budgétaires, des militaires s’interrogent, sans tabou, sur leur avenir.

202 964 militaires et 60 386 civils de la Défense composaient les armées françaises en 2015. Parmi eux, 108 449 étaient rattachés à l’armée de terre, 42 607 à l’armée de l’air et 36 331 à la marine.

Les principales opé-rations extérieures se déroulaient en 2016 : - au Sahel : 3 500 mili-taires (opération Barkhane) - au Proche-Orient : 1 000 en Irak et Syrie (Chammal) et 900 au Liban (Daman).

SOURCE : MINISTÈRE DES ARMÉES.

REPÈRES

À LA UNE

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partir de 1996, ont conduit à une réduction consi-dérable des effectifs. Nicolas Sarkozy aggrava la tendance : 54 000 postes furent supprimés pendant la période de la loi de programmation militaire (LPM) 2009-2014. Son successeur François Hollande en avait prévu 26 000 autres durant la LPM de 2014-2019, jusqu’aux attentats de janvier 2015.

« La brutalité et l’ampleur des attentats ont amené le président à stopper la déflation des effec-tifs, après qu’il eut constaté qu’elle était incompa-tible avec la volonté d’engager en permanence 10 000 militaires en soutien des forces de sécurité dans la lutte contre le terrorisme », raconte le général Ract-Madoux. Face au péril, les effectifs grossissent, pour la première fois depuis un demi-siècle. « Cer-tains surnomment en interne “promotions Coulibaly” [du nom d’un des terroristes de janvier 2015, Ndlr] les dernières promos d’officiers sorties de Saint-Cyr ! », ironise un gradé. Et malgré l’affaire Villiers, la prochaine LPM à venir devrait, à terme, consacrer la stabilité du budget des armées. « Nous n’avons jamais eu autant de pognon ! », affirme un officier supérieur, qui ajoute aussitôt : « Le gouvernement a arrêté de diminuer les effectifs, mais nous a beau-coup engagés, en France et à l’étranger. Nous avons lessivé le matériel à l’extérieur, et nous avons lessivé les hommes à l’intérieur ».

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Évacuation d’un soldat français blessé au Mali. On compte vingt morts dans les rangs français depuis

les débuts de l’opération Barkhane en août 2014.

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Aux côtés de nos soldatsLe soutien de l’arrière (les civils et les militaires qui ne participent pas aux opérations) est vital pour le moral des armées. Parmi les nombreuses associations et initiatives soutenant les militaires français, voici trois idées concrètes pour les mois à venir.

• Le Bleuet de FranceApparu au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Bleuet de France est un clin d’œil à la fleur qui poussait dans les tranchées. Symbole de mémoire et de solidarité, sa vente sert à financer les œuvres de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre. Le Bleuet se porte traditionnellement le 8 mai et le 11 novembre. Il est l’équiva-lent du poppy (coquelicot), très

populaire en Grande-Bretagne et au Canada. www.bleuetdefrance.fr

• Noël des soldatsDepuis 2015, l’Aumônerie protestante aux armées rassemble des dons pour envoyer des colis alimentaires et des équipements aux militaires mobilisés sur le territoire national et à l’extérieur. Les aumôniers les distribueront pour Noël. www.aumonerieprotestante.fr ; [email protected]

• Parrainer un soldat en OpexCréée en 1985, la Fédération nationale des anciens des missions extérieures se donne pour mission d’envoyer à chaque militaire hors de France un colis alimentaire, avec un dessin d’enfant et l’adresse d’un parrain. www.fname.info ; [email protected] •

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Mobilisant sept mille soldats sur le terri-toire national, l’opération Sentinelle demeure un facteur fragilisant. « Les militaires sont lassés quand ce type de mission revient trop souvent », pointe un colonel, qui évoque également le ras-le-bol sus-cité par les équipements vétustes. Cette colère est palpable chez les hommes revenus des opérations extérieures (Opex), surtout au Mali : « Certains véhicules ont deux fois l’âge de leur conducteur ! »

Le fragile moral des troupesL’instabilité et le versement aléatoire des soldes

frappent aussi le moral des troupes. De l’aveu una-nime des responsables militaires, le logiciel Louvois, qui les gère depuis 2007, a été un désastre. Les retards de paiement, trop-perçus et interdits bancaires sont devenus monnaie courante. Le système a été progres-sivement dompté, même si des problèmes demeurent : « Nous sommes payés au lance-pierre, avec deux mois de retard, et je passe ma vie à me battre avec la paperasse… », s’emporte Frédéric, réserviste.

Pour rassurer ses hommes, le ministère des Armées a prévu plusieurs mesures. Le remplaçant de Louvois, Source Solde, doit arriver d’ici à 2021. Un plan famille a été présenté fin octobre (voir p. 16-17). Le renou-vellement du matériel est amorcé. Quant à l’opéra-tion Sentinelle, les heures supplémentaires ont été défiscalisées, ce qui constitue un encouragement non négligeable pour les militaires du rang. « Le pro-blème, c’est qu’Emmanuel Macron refuse de laisser

trop de place à la ministre des Armées, Florence Parly. Il ne veut pas d’un ministère régalien puissant, comme c’était le cas avec Jean-Yves Le Drian sous le quinquennat précédent. Nicolas Sarkozy faisait pareil, en nommant des hommes de paille à la Défense », décrypte-t-on en haut lieu.

Soufflé lors de la campagne présidentielle à Emmanuel Macron par Dominique Trinquand, ex-représentant militaire français aux Nations unies, le projet d’un service national obligatoire d’un mois pour les 18-21 ans fait également son chemin, sans convaincre. « Si c’est pour faire une halte-garderie dans les lycées, c’est jouable. S’il faut organiser la vie et la mixité dans les casernes, c’est pour l’instant infaisable techniquement. D’autant plus que la pro-portion de ‘'fauves'' dans la jeunesse est devenue alar-mante : il va y avoir des morts ! », redoute un cadre.

Une sensibilité politique à fleur de peauAppréhender les armées, c’est revenir à cette équa-

tion de base : le soldat est un outil, au service du poli-tique, avec qui il a des rapports complexes. « Nous sommes très sensibles aux preuves d’amour : est-ce que tel homme d’État a fait son service militaire ? Est-ce qu’il vient aux obsèques de soldats ? Est-ce qu’il salue le drapeau ? Au final, nous avons très peu de sens poli-tique », résume un colonel. Jusqu’à l’affaire Villiers, Emmanuel Macron était très apprécié par la hiérarchie. « Il était piquant de voir de nombreux gradés, qui avaient rejoint La Manif pour tous en 2013, devenir ses plus chauds partisans lors de la présidentielle ! », raille un responsable du ministère.

Façonnés par les valeurs patriotiques, l’autorité et le mérite, beaucoup de militaires vivent douloureu-sement les choix politiques de ces dernières décen-nies. Leur vote est difficile à évaluer. En 2015, se basant sur les résultats dans les bureaux situés à proximité des casernes et bases de l’armée et de la gendarmerie, l’Ifop estimait que 51 % d’entre eux sou-tenaient le Front national. Mais un seul sondage ne suffirait pas à traduire toutes les sensibilités qui tra-versent l’institution, où l’on exalte la grandeur de la France comme la fraternité au-delà des clivages eth-niques. Ainsi, nombreux sont ceux qui écoutent avec plaisir Jean-Luc Mélenchon. « C’est lui a le mieux com-pris les besoins des armées ! », s’exclame un général. De quoi ravir Djordje Kuzmanovic, son porte-parole pour les questions de défense. « Nous refusons la logique américaine de “guerre totale au terrorisme” sans but clair et sans fin, qui nourrit l’islamisme », s’insurge cet ancien officier des troupes de marine, en blâmant les orientations de la récente Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, com-mandée par Emmanuel Macron. « L’Europe de la défense est le nouveau nom de la Communauté euro-péenne de défense (1), qui nous dépossède de notre souveraineté ! » « Nous sommes sensibles au souci gaullien d’indépendance de la France », confirme un officier, qui note toutefois la forte influence du

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Le budget des armées a toujours été une variable d’ajustement pour réduire le déficit de l’État.

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À LA UNE

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néoconservatisme, ce courant justifiant l’alignement sur les États-Unis, et l’ingérence occidentale dans le monde, au nom des droits de l’homme.

Une armée, pour quoi faire ?Même si elles déplorent l’actuel spectacle d’une

Libye à feu et à sang, les armées ont participé avec enthousiasme au conflit de 2011, qui a précipité la chute de Mouammar Kadhafi. « C’est notre apanage, et aussi sans doute une de nos plus lourdes servi-tudes acceptées, que d’être un bras armé et non un juge de l’action politique », confie un officier de marine, qui fut aux premières loges de cette guerre. « On observe malheureusement que de nombreux conflits, considérés comme des succès tactiques, ont déçu, les effets politiques n’ayant pas été à la hauteur de nos ambitions. Car, pour paraphraser le général de Villiers, il ne faut pas seulement gagner la guerre, il faut surtout gagner la paix ! », insiste

le marin, qui en profite pour rappeler que la France est, par son territoire, la deuxième puissance mari-time du monde : « Notre avenir passe par la mer dans un monde globalisé qui donne encore plus d’importance aux flux maritimes, aux enjeux de sécurité navale, que par le passé. Ne pas le voir serait passer à côté de notre destin. »

Aux politiques, donc, de ne pas délaisser les armées, notamment sur les théâtres d’opérations extérieures où elles sont déployées. « La seule force militaire au Sahel et en République centrafricaine est efficace, mais insuffisante. Il faudrait que les solutions politiques soient reconnues par tous les acteurs des conflits, et qu’elles soient accompagnées par de véritables perspectives de développement », commente Aline Leboeuf, chercheuse à l’Ifri.

Enfin, que la France entende ce qui sonne autant comme une promesse qu’un avertissement, de la part d’un officier de l’armée de terre : « Les mili-taires sont prêts à donner leur vie, à condition qu’on leur donne les moyens d’accomplir leurs missions, et qu’on leur promette que l’arrière tiendra. » •

Pierre Jova(1) Projet d’armée européenne, rejeté par les députés gaullistes

et communistes, et donc non ratifié par la France en 1954.

Suite p. 16-17.

Pour la première fois depuis un demi-siècle, face au péril terroriste, les effectifs grossissent.

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Enquête Subissant de plein fouet l’évolution de la société civile et de l’armée, les femmes de militaires continuent de soutenir leurs maris dans la tempête. Un combat difficile.

Femmes de militaires

Sur tous les fronts

Ce sont des femmes tout-terrain. Un mari souvent absent, des déménagements en cadence avec leurs lots de casse-tête :

logement, établissement scolaire des enfants, nouveau job à trouver. Et coûte que coûte un moral d’acier malgré le stress généré par les missions à haut risque accomplies par leurs époux au Mali, en Afghanistan, en Irak.

Plus qu’un homme, la femme du mili-taire a épousé un métier. Pas n’importe lequel. Un métier exceptionnel, « dont les circonstances peuvent le conduire au sacrifice suprême », précise le sta-tut général des militaires. Un métier exceptionnel dont les contraintes pèsent de plus en plus lourdement sur leur équilibre et sur leur vie familiale.

En cause ? Pour une part, une évolution de la société. « Aujourd’hui,

beaucoup de femmes de militaires travaillent, ce qui alourdit leur emploi du temps, surtout lorsque leur mari s’absente. Cela les rend également moins disponibles pour bien comprendre l’univers de l’armée. Contrairement à leurs aînées, elles assistent rarement aux cérémonies, et communiquent moins entre elles », analyse Florence Lendroit, présidente de l’Anfem (Asso-ciation nationale des femmes de mili-taires). Mariée à un militaire depuis trente ans, Bénédicte, 53 ans, souligne aussi un changement de mentalités : « Les jeunes générations acceptent moins les impondérables et les sacri-fices. Cette évolution n’épargne pas le monde militaire. »

Certes. Mais les raisons principales de ce malaise se trouvent surtout dans la réduction du budget de la Défense,

qui impacte autant le quotidien des hommes sur le terrain que celui de leur famille. Dans certaines régions, les logements attribués aux militaires sont vétustes, inadaptés à la configuration familiale, ou font cruellement défaut, notamment en région parisienne. « L’ap-partement qui nous était destiné ne s’est finalement pas libéré à temps, raconte Sophie, 34 ans. Nous avons dû nous rabattre dans l’urgence sur un logement privé, plus coûteux et trop éloigné des écoles des enfants. Nous avons perdu les 500 € de frais d’ins-cription engagés, et trouvé un nouvel établissement scolaire seulement dix jours après la rentrée des classes. »

Des absences à répétitionAutres conséquences de ces res-

trictions budgétaires : l’accélération du rythme des Opex (opérations exté-rieures), auxquelles s’est greffée, depuis les attentats de janvier 2015, l’opéra-tion Sentinelle. « Mon mari est parti à quatre reprises en huit ans, autant que son père en vingt ans », calcule Marine, 27 ans.

Des absences répétées de plus en plus mal vécues, d’autant qu’à peine rentrés de l’étranger, les maris repartent en mission Sentinelle pour deux mois consécutifs. « C’est plus difficile à sup-porter que les Opex car ils sont proches de nous sans que nous ayons le droit de leur rendre visite », souligne Sandrine, 29 ans, femme de sous-officier. L’année dernière, l’époux de Sophie est parti à Paris du 1er décembre au 31 janvier. « Nous n’avons pas passé Noël ensemble. Il surveillait la tour Eiffel. Ça rajoute des absences et ce n’est pas gratifiant. Ce n’est pas pour ça qu’il s’est engagé. Il est rentré dépité. »

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RIV

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Manifestation à Paris en

août dernier du collectif

Femmes de militaires

en colère.

À LA UNE

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Sans parler des conditions parfois indignes dans lesquelles les soldats sont contraints d’exercer leurs mis-sions. « Ils sont mal nourris, et logés dans des gymnases ou des caves infes-tés de rats, poursuit Sandrine. On se dit “Ce sont des militaires donc ils peuvent le supporter”. Est-ce ainsi qu’on traite des hommes prêts à se sacrifier pour leur pays ? »

À ce manque de considération s’a-joutent les ratés du système de verse-ment des soldes Louvois, qui a plongé de nombreuses familles dans des situa-tions financières catastrophiques. « Nous ne sommes pas, ou mal, ou trop payés, résume Tiphaine. Les primes tombant de façon aléatoire et les feuilles de soldes étant illisibles, nous ne savons jamais si le montant est exact. Certains ont reçu des sommes dérisoires, autour de 40 € ! Nous, nous avons dû rembour-ser un trop-perçu. Par chance, nous avions des économies, mais certains ont dû emprunter auprès de leur banque. »

Une grande solidaritéHeureusement, les épouses savent

qu’elles peuvent compter les unes sur les autres. « Il y a entre nous une grande solidarité, se réjouit Véronique. Nous

traversons les mêmes difficultés, nous nous comprenons. C’est vital, parce que la vie d’une femme de militaire est en tel décalage que nous nous heur-tons souvent à l’incompréhension de notre entourage : une sage-femme qui ne comprend pas pourquoi notre mari n’est pas présent le jour de l’accou-chement, des copines persuadées que nous bénéficions de tas d’avantages en nature… »

Elles peuvent aussi s’appuyer sur l’aumônier militaire du régiment, le « padre », ainsi que la paroisse voisine. « Dans une ville de garnison, le curé connaît les problèmes auxquels nous sommes confrontées et sait trouver les mots pour nous soutenir », confie Marine, qui a lancé un groupe de prière des mères.

Prier comme si l’action était inutile et agir comme si la prière était insuffi-sante… Attachées à une certaine idée de l’armée, encouragées par la démis-sion du général de Villiers, des femmes ont lancé un collectif dont les revendi-cations ont été en partie entendues par Florence Parly, la ministre des Armées (voir ci-dessous). Elles ont gagné une bataille. Mais elles n’ont pas encore gagné la guerre. • Élisabeth Caillemer

« Pas de soldats forts sans familles heureuses »« Je vous ai comprises ! » C’est, en substance, ce qu’a déclaré aux épouses de militaires Florence Parly, la ministre des Armées, en présentant son plan d’accompagnement des familles le 31 octobre dernier. « Il n’y a pas de soldats forts sans familles heureuses », a-t-elle rappelé, avant d’énoncer une douzaine de mesures phares destinées à améliorer les conditions de vie des militaires et de leur famille. Parmi elles : l’augmentation des offres de gardes d’enfants, l’amélioration des conditions d’hébergement, une meilleure anticipation des mutations, et la hausse des aides aux blessés

hospitalisés. Trois cent millions d’euros de crédits nouveaux seront débloqués sur les cinq années à venir. Porte-parole du collectif Femmes de militaires en colère, Mercedes Crépin se dit satisfaite de ces annonces, dont elle va suivre la mise en œuvre – en particulier la prise en charge des hommes atteints du syndrome post-traumatique de guerre, son cheval de bataille. Ce plan spécifique pour les familles (habituellement évoquées au sein des plans des conditions de vie des militaires) est une première. Une conséquence de la démission du général de Villiers ? • É. C.

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Entretien Celui qui fut le commandant des forces terrestres jusqu’en août dernier passe en revue les enjeux qui préoccupent les militaires.

Le général Arnaud Sainte-Claire Deville :

« Il faut soutenir l’armée, et pas seulement le 14 Juillet »

Lors de la crise de juillet der-nier, le général de Villiers a-t-il dit tout haut ce que le monde militaire pensait tout bas ?

Au départ, chacun était dans son rôle. D’un côté, le président en tant que chef des armées, que les militaires, légalistes, n’ont jamais contesté. De l’autre, le général de Villiers, chef d’état-major des armées, qui avait pour rôle de mettre en place des réformes en vue de rester à niveau.

Pour le général, priver le budget 2017 de 850 millions d’euros avait des conséquences dommageables sur notre modèle d’armée complet, capable de répondre aux enjeux d’aujourd’hui et d’anticiper les problématiques du futur. Il était de son devoir de décrire la réalité devant les parlementaires.

La suite des événements m’a beau-coup choqué sur la forme, et j’aurais aimé que nous ne donnions pas ce spectacle… C’est un principe de base, chez nous, de ne pas reprendre un supérieur devant ses subordonnés. Peut-être des conseillers avaient-ils expliqué au président qu’il fallait faire preuve d’autorité. Que cela plairait aux militaires… Mais ce choix a été, en réalité, catastrophique !

La tension entre les moyens et les objectifs n’est-elle pas un grand clas-sique dans l’Histoire militaire fran-çaise ? La menace terroriste a-t-elle changé la donne ?

Oui, cette tension entre les moyens et les missions a toujours existé. Mais le nouveau contexte est plus exigeant. Il y a la nouveauté des menaces sur

notre territoire, avec les attentats de 2015, et un engagement terrestre important dans le cadre des opérations extérieures, sans oublier le retour d’États puissants, comme la Russie et la Chine, sur la scène internationale. Des efforts bud-gétaires ont été faits. La courbe a com-mencé à s’infléchir, mais nous sommes loin de maintenir nos capacités.

Les griefs sur le coût humain et l’efficacité de l’opération Sentinelle vous semblent-ils justifiés ?

Nous l’avions un peu oublié, avec notre armée professionnelle qui se projetait à l’étranger : la mission pre-mière d’une armée est de défendre sa population. Cet engagement est donc normal.

Par ailleurs, j’ai pu mesurer toutes les évolutions de Sentinelle. Nous sommes passés d’une présence statique, usante et peu efficace, à un déploiement d’action dynamique, en mouvement, plus en phase avec la logique militaire.

L’autre difficulté était de gérer la surcharge : maintenir 10 000 hommes sur Sentinelle néces sitait de recruter 11 000 soldats supplémentaires. Cela ne s’est pas fait en un jour ! En atten-dant, les soldats disponibles ont été très fortement mobilisés : certains ont fait plus de 250 jours hors de chez eux… Aujourd’hui, nous avons nos 11000 hommes, et l’opération Sen-tinelle est mieux vécue par les soldats.

Selon le dernier rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, seuls 65 % des militaires du rang rempilent dans l’armée de terre après un premier contrat. Comment l’expliquez-vous ?

La fidélisation est le grand défi des armées professionnelles. Mais cette

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Le général Arnaud Sainte-Claire Deville, en septembre 2014.

À LA UNE

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situation n’est pas surprenante, et je vous assure que les Britanniques et les Allemands ont bien plus de difficultés que nous. C’est aussi une conséquence de la « génération zapping » ! Certains viennent chercher une expérience tem-poraire. Ce phénomène-là existe éga-lement chez les saint-cyriens : alors que, jeune lieutenant, je m’engageais pour la vie, la moitié d’entre eux partent aujourd’hui voir autre chose.

Certes, des unités ont perdu des hommes à cause du poids de Sentinelle sur leur vie de famille. Mais j’en ai aussi vu où l’effectif avait augmenté, avec des jeunes qui voulaient justement servir pour cette opération !

Avez-vous noté un réveil patrio-tique depuis les attentats de 2015 ?

Je le crois. Il y a, dans notre pays, une jeunesse et des familles qui savent ce qu’est le sacrifice, et qui sont prêtes à tout. J’ai accompagné beaucoup de parents de soldats tués. Ils me disaient simplement : « Nous sommes fiers de notre fils. » L’amour de la patrie et du drapeau est encore très présent dans les profondeurs de la société française.

Il y a dix ans, la France ralliait le commandement militaire intégré de l’Organisation du traité de l’At-lantique nord (Otan) : n’avons-nous pas perdu en indépendance géo- stratégique ?

Nous avions certes quitté la struc-ture intégrée de l’Otan en 1966, mais coopérions toujours avec elle. Notre retour nous a permis d’obtenir des postes stratégiques en son sein. Cet engagement ne comporte, pour nous, aucun caractère automatique : nous avons toujours une grande liberté d’ac-tion, et nous n’allons pas engager nos unités dans n’importe quel conflit.

Pourtant, la France participe désor-mais aux manœuvres de l’Otan sur la frontière russe. N’est-ce pas nous entraîner dans une logique guerrière qui n’est pas la nôtre ?

Nous avons décidé de rejoindre le dispositif de présence avancée de l’Otan en Pologne et dans les Pays baltes. C’est un témoignage fort de solidarité avec ces pays, qui ressentent une réelle inquiétude vis-à-vis des Russes, liée à l’Histoire. Il faut rester raisonnable : je ne pense pas que Vladimir Poutine ait des plans d’invasion ! Mais la remise à niveau de l’armée russe et l’impor-

Il y a, dans notre pays, une jeunesse et des familles qui savent ce qu’est le sacrifice, et qui sont prêtes à tout.

l’arrière – c’est-à-dire des hommes politiques, mais aussi des civils ?

Ils attendent que l’arrière comprenne qu’ils font un métier pas comme les autres ! Le caractère exceptionnel du service de la France, au prix de nos vies, exige des politiques qu’ils nous en donnent les moyens, et de l’opinion publique, qu’elle nous appuie. Il ne faut pas soutenir l’armée seulement le 14 Juil-let ! Cela doit passer par des attentions et des gestes du quotidien, comme le Bleuet de France [voir encadré p. 13].

J’ai eu le triste privilège d’accueillir aux Invalides des cercueils de soldats tués en opération : nous aimerions voir la population leur rendre hommage en nombre, même si de plus en plus de civils le font. Ces choses assez simples font partie de ce soutien de l’arrière, dans les moments joyeux comme dans les douloureux. •

Propos recueillis par Pierre Jova et Samuel Pruvot

Suite et fin p. 20.

tance de son dispositif dans cette zone nécessitent que l’on reste vigilant.

La popularité de l’armée en fait-elle le dernier rempart de la République ?

Il y a un vrai basculement. Dans les années 1970-1980, nous sentions un fort antimilitarisme, incarné par l’ad-judant Kronenbourg dessiné par Cabu. Aujourd’hui, c’est l’adjudant Kronen-bourg qui est perçu comme le sauveur de la société ! On le voit bien avec les débats sur le retour d’un service natio-nal. Notre institution s’appuie sur des valeurs solides, sur lesquelles nous construisons des personnalités très fortes, et il est normal qu’un pays en quête de repères s’y rattache.

Mais l’armée est là pour former des soldats et défendre la population, pas pour régler tous les maux de la société. Nous pouvons y prendre part, avec notre pédagogie et une expé-rience, mais nous ne pouvons pas supplanter d’autres acteurs.

Qu’attendent les militaires de

Penser déjà à l’armée de demainNé en 1959, Arnaud Sainte-Claire Deville a choisi l’arme blindée. Aujourd’hui directeur des relations institutionnelles France et Europe du groupe industriel d’armement Nexter (lointain héritier des arsenaux royaux), il a été le commandant des forces terrestres, à Lille, de 2014 à 2017.Il y a, chez ce haut gradé, un savant mélange de raison et d’audace qui lui permet de jauger avec lucidité les relations toujours précaires entre le monde militaire et le pouvoir. Un sens évident du drapeau et de l’abnégation, avec une pointe de lyrisme.Pour autant, le général n’est pas rêveur. Il est persuadé que l’armée est là pour

servir sans état d’âme malgré les fourberies qui pullulent dans les allées du pouvoir. Il s’agit fondamentalement de défendre le territoire et ses concitoyens. Ni plus ni moins.Méthodique, cet homme des frontières (il a servi et commandé au sein du 3e régiment de hussards en Allemagne) pense l’armée avec une longueur d’avance. À l’horizon 2030, la plupart des pays européens vont devoir remplacer leur parc de blindés lourds. Le général Sainte-Claire planche déjà sur le char (MGCS) et l’artillerie du futur (CIFS). Comme s’il voulait démontrer que la tradition militaire était tout sauf statique. • S. P.

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La Grande Muette ne l’est plus tant que ça. Depuis quelques années, les langues se délient. Les mili­taires parlent, écrivent. De Bertrand

Soubelet, ex­numéro trois de la gendarme­rie, qui dit ses quatre vérités lors d’une commission parlementaire, à Vincent Desportes, auteur d’un livre retentissant, La Dernière Bataille de France (Gallimard), en passant par Henri Pinard­Legry, président de l’Asso ciation de soutien à l’armée fran­çaise (Asaf), ou Bruno Dary, ancien chef du 2e Rep, les généraux dénoncent l’insurmon­table contradiction dont ils sont victimes : un pouvoir qui leur donne toujours plus de missions (opérations extérieures, gardien­nage des lieux stratégiques…) et toujours moins de moyens pour les remplir.

Cette contradiction, au vrai, n’est pas nou ­velle. Ce qui est nouveau, c’est sa dénon­ciation publique. Mais, c’est en réalité un retour aux sources. Car l’armée ne s’est pas toujours tue. Si, sous la IIIe République, elle était surnommée la Grande Muette parce que les militaires n’avaient pas le droit de vote, cela ne les empêchait pas de s’expri mer, ni de publier. L’exemple le plus connu est celui du colonel de Gaulle qui, dans l’entre­deux­guerres, donnait publiquement son avis à travers livres et articles sur la stratégie mili­taire. En 1934, dans Vers l’armée de métier, il réclamait que l’armée adopte l’arme blindée. N’était­ce pas justifié ?

La pensée stratégique doit s’exprimer librement

À l’étranger, la chose est courante. En Grande­Bretagne, les grands chefs militaires savent être critiques vis­à­vis des choix de leurs supérieurs politiques, ce qui ne choque personne et n’a jamais provoqué de limo­geage. Idem aux États­Unis, où les géné­raux sont invités à penser en dehors des clous (« Think out of the box »). En France, il y a un blocage. Depuis le traumatisme algérien – notamment le putsch d’Alger –, une chape de plomb s’est abattue sur les responsables militaires. « La plupart des

revues militaires disparaissent dans les années 1960 », regrette le général Desportes dans La Dernière Bataille de France. Et les officiers sont relégués aux aspects tech­niques de leur métier, les choses sérieuses étant réservées à l’étage politique. Or, pour­suit­il, il est naturel qu’ils puissent donner leur avis sur la stratégie, tout simplement parce qu’ils ont été formés pour cela !

« L’expression libre des militaires sur les problèmes stratégiques n’est pas seule­ment légitime, elle est nécessaire, écrit le général Desportes. D’abord, parce que la guerre et la stratégie sont des exercices dia ­lectiques. » Et de citer le général Beaufre, grand stratégiste disparu en 1975 : la straté­gie est un « processus d’innovation perma­nente ». Ensuite, parce que « la stratégie est trop complexe pour être saisie par un seul esprit ». Il est indispensable de passer la pensée stratégique au crible des militaires, qui disposent non seulement de la culture

historique – cela, les civils peuvent l’avoir –, mais aussi de l’expérience pratique du combat, du maniement des hommes et des armes, qu’ils sont les seuls à posséder. Pourquoi se passerait­on de leur expertise ?

Outre l’atrophie de la pensée stratégique, il est à craindre, si l’on sabre systématique­ment les officiers qui donnent leur avis de manière un peu carrée – c’est souvent leur fa çon de faire –, de favoriser les confor­mistes, les béni­oui­oui, les « yes­man », comme disent les Anglo­Saxons, et d’éli­miner les fortes personnalités dont l’armée a besoin. « Un commandement supérieur comprimant systématiquement la pensée de ses subordonnés ne pouvait s’éton­ner de voir à ses côtés, aux heures sombres, de simples pions au lieu d’énergiques auxi­liaires », écrivait le maréchal Foch à propos de la défaite de 1870.

Et la discipline, et le devoir de réserve ? La discipline, qui fait la force des armées comme chacun sait, n’est nullement in com­patible avec la liberté de penser et de parler. Le général Dary, dans une tribune publiée par l’Asaf, citait ce mot de Vauban s’adres­sant à Louis XIV : « Sire, je ne peux à la fois vous plaire et vous servir ! » Tout est dit. •

Charles-Henri d’Andigné

De plus en plus nombreux sont les officiers qui s’expriment publiquement sur le rôle de l’armée, ses besoins, ses moyens, sa stratégie. Une nécessité, plaident-ils.

Grandes gueules de la Grande Muette

Sur Internet, les « milis » tirent à vue« C’est une nouveauté de l’époque », constate un colonel : les réseaux sociaux, et en premier lieu Facebook, abritent une vaste communauté militaire – où se mêlent des civils sympathisants – qui n’hésite plus à s’exprimer, parfois aux limites de l’indiscipline. La page « Un paquet de Gauloises » (15 000 « J’aime ») fut ainsi créée en 2012 par des épouses, pour blâmer le système Louvois. En février 2016, « Soutien au général Piquemal » (44 000) vola au secours de l’ex-commandant de la Légion étrangère arrêté lors d’une manifestation contre l’immigration à Calais. « SOS Armée » (39 000) défendit le général Pierre de Villiers contre Emmanuel Macron.Caisse de résonance de la grogne

des troupes, les réseaux sociaux servent aussi de catalyseur pour des actions de solidarité, comme le « 22 Push Up Challenge » : des vidéos de militaires effectuant des pompes en soutien à leurs camarades souffrant de troubles post- traumatiques. Venue des États-Unis, l’idée fut « importée » à l’été 2016 par Michel Goya, historien et ancien colonel des troupes de marine, dont le blog, La voie de l’épée, est très suivi.Cet écosystème foisonnant met fin au monopole de l’expression militaire, longtemps détenu par les blogs des journalistes « défense », tels que Secret Défense, de Jean-Dominique Merchet (L’Opinion), Défense ouverte, de Jean Guisnel (Le Point), ou Le Mammouth, de Jean-Marc Tanguy. • Pierre Jova

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