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  MASTER 1 PSYCHANALYSE ANNEE UNIVERSITAIRE 2011 – 2012 Elément Constitutif 1 er  semestre 2011 Enseignant : Madame Sophie MARRET MALEVAL Thématique du cours : LE SURMOI DE FREUD A LACAN Sujet du devoir : LE CA, LE MOI, LE SURMOI DANS LE CONTE DE GRIMM RAIPONCE

LE CA LE MOI

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  • MASTER 1 PSYCHANALYSE

    ANNEE UNIVERSITAIRE 2011 2012

    Elment Constitutif 1er semestre 2011

    Enseignant :

    Madame Sophie MARRET MALEVAL

    Thmatique du cours :

    LE SURMOI DE FREUD A LACAN

    Sujet du devoir :

    LE CA, LE MOI, LE SURMOI DANS LE CONTE DE GRIMM

    RAIPONCE

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    LE CA, LE MOI, LE SURMOI DANS LE CONTE DE GRIMM : RAIPONCE

    Riches et intemporels, les contes merveilleux procurent loccasion de les revisiter au travers de lanalyse qui peut en tre faite. Leur tude nous permet alors de dceler la manire dont ils font cho auprs des instances psychiques de chacun dentre nous. Cest ainsi que dans la plupart dentre eux il est un personnage, qui, par sa troublante rcurrence mriterait lui seul quune tude approfondie lui soit consacre. Il sagit du personnage de la sorcire dans la Belle au bois dormant, ou la martre dans Blanche Neige, ou encore logresse ou la mangeuse denfants dans le Petit Poucet. Ce personnage archtypique dans une acception issue des travaux de Hannah Arendt pourrait tre qualifi dincarnation du mal radical. Une approche Jungienne a encourag Marie Louise Von Frantz a nommer ce personnage du conte lombre. Arrtons-nous un instant sur la notion dombre en ce quelle implique une dualit conceptuelle propre ce vocable. Si lombre soppose la lumire en ce quelle apparat grce elle, lombre est aussi utilement entendue comme la partie non claire dun corps, sa partie - demeure dans lombre - en quelque sorte.

    Cette double nature applique la sorcire ne pouvait pas nous laisser longtemps indiffrent et nous a encourags nous livrer lanalyse dun des contes de Grimm dans lequel cette sorcire sillustrait avec une vigueur clatante. Pour effectuer notre travail nous avons choisi le conte intitul Raiponce parce que la sorcire est laxe autour duquel sordonne la structure du conte. Nous avons effectu notre analyse la lumire de la seconde topique freudienne mais aussi des travaux de Jacques Lacan.

    Nous nous proposons dans un premier temps de prsenter les personnages sous langle freudien et de revisiter ainsi leur psychologie pour dplier les composantes de la seconde topique. La deuxime partie de notre expos consacre la structure narrative du conte et au droulement de lhistoire sera loccasion de mettre en exergue larticulation des trois composantes de cette topique et la spcularit de certains de leurs traits. Cette partie nous permettra alors daborder lobjet a dans le conte et limpratif de jouissance.

    Christophe PERROT Tel : 06.22.30.49.59 Mail : [email protected]

    Universit Paris 8 Dpartement Psychanalyse Anne 2011/2012 Master 1 Semestre 1

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    I. Les personnages du conte Raiponce la lumire de la seconde topique Freudienne.

    Bien que le conte recle cinq personnages, deux dentre eux : le mari et le prince ne nous paraissent pas constituer des entits signifiantes part entire et nous montreront comment ils sanalysent davantage comme des avatars ou des prolongements des autres personnages. Nous circonscrirons donc notre analyse la prsentation des trois personnages principaux : La Mre, Raiponce, La Sorcire.

    Par ailleurs le conte prsente une unit narrative et larticulation des vnements seffectue selon une chronologie spcifique. Afin de respecter cette chronologie nous avons choisi de prsenter les personnages selon leur ordre dintervention dans lhistoire. Avouons que cette chronologie servait aussi notre dessein en ce quelle respecte lordre de structuration des entits de la seconde topique : Le Ca, le Moi et le Surmoi. Enfin, cet agencement spcifique de la premire partie de notre expos trouvera un cho dans la seconde partie prservant la cohrence mthodologique de notre dveloppement. En procdant ainsi nous avons alors pu isoler les substrats qui permettent au conte de progression mais aussi les substrats psychiques sur la base desquels se construit la psych.

    1. La mre ou lamoralit dun Ca pulsionnel

    Le conte dbute par lintervention active de la mre. Il est tout dabord question delle propos de sa grossesse tant espre puis rapidement linconscience et la nature minemment pulsionnelle qui caractrisent ce personnage sont mises en exergue. Apparat donc rapidement la pulsion de vie et subtilement dj, de manire trs voile, la pulsion mortifre qui caractrise la mre et qui est oriente vers son enfant natre. Nous aurons loccasion de revenir plus loin les particularits de chacune de ses deux pulsions mais relevons sans attendre la finesse des frres Grimm davoir su identifier la tension dynamique permanente qui rgit ces deux pulsions qui sont lapanage du Ca. La pulsion de mort a pour objet le produit de la pulsion rotique : lenfant. Ceci signe lambivalence de ces pulsions et leur nature consubstantielle.

    Dans la conception freudienne de la psych le Ca, prsent la gense est m par un unique principe de plaisir qui ne connat ni lespace, ni le temps, ni la morale et qui donc mconnat linterdit. Cest en cela que les salades par leur nature inaccessible puisque extrieure la mre et son univers provoquent chez elle le dsir. Le symbole des salades dans ce conte est rapprocher de la symbolique du sein maternel pour lenfant et du sentiment de compltude suscit par sa succion et lingestion du lait. Il convient dajouter que la pulsion de la mre prsente un caractre rptitif inhrent aux pulsions puisque la satisfaction procure par la salade accrot le lendemain son dsir den manger de nouveau.

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    Nous noterons que la consubstantialit des pulsions de vie et de mort introduite par Freud ds 1923 dans les Essais de Psychanalyse sexprime aussi par le fait que la mre dclare que faute de satisfaction de la pulsion de vie suscites par la vue rpte des salades elle en mourra. Le caractre irrationnel des pulsions qui anime le Ca de manire permanente est ici parfaitement illustr.

    2. Raiponce ou la quadrature du Moi

    Bien que l'accouchement de la mre ne soit pas spcifiquement relat la chronologie nous encourage placer l'hrone comme seconde instance constitue. Ceci n'est d'ailleurs pas dpourvu d'intrt lorsque l'on sait que le Moi est issu du Ca confront la ralit extrieure. Dans ce conte, linfortune Raiponce figure donc le Moi en ce quil est constitu partir des influences intrieure du Ca en prise aux perceptions extrieures. Ne dune pulsion rotique de sa mre, incarnation du Ca, Raiponce nen a pas moins t sacrifie par sa gnitrice sur lautel du Surmoi la demande de la sorcire qui incarne cette instance. Ce sacrifice primal a pour mobile la double satisfaction pour le Ca : celle de dtourner sa pulsion de vie dun objet sur un autre : de son enfant vers des salades mais aussi dassouvir une pulsion mortifre puisque la mre ne peut ignorer ce quil risque dadvenir de son enfant en le livrant comme le fait.

    En effet, en dpit des garanties offertes par la sorcire, la mre sait depuis toujours que la sorcire avait beaucoup de pouvoir et que tout le monde la craignait. Cette pulsion thanatophile est habilement mise en uvre et sopre en silence contrairement la pulsion de lEros plus voyante dans le conte. La mre ne souhaite pas, comme dans certains autres contes par exemple, la mort physique de sa fille mais seulement sa rduction un tat vgtatif. Cette assimilation de Raiponce un vgtal sillustre dans le prnom qu'elle Raiponce et qui lui sera donn par la Sorcire dont nous verrons qu'elle incarne le Surmoi asservissant ainsi le Moi. Le Ca par sa pulsion mortifre et le Surmoi par la tyrannie quil exerce sur le Moi sallient contre le Moi. La mre livre alors Raiponce aux mains du Surmoi qui promet dtre une bonne mre et de prserver ainsi la vie physique de Raiponce pour exercer plus durablement sa tyrannie sur elle.

    Relevons quil est fort pertinemment que les frres Grimm ont attribus Raiponce les caractristiques du Moi en faisant d'elle la fille dune crature incarnant le Ca. En effet Raiponce et sa mre sont de la mme chair et ont t initialement indivise illustrant ainsi labsence de frontire distincte entre le Moi et le Ca comme lindique le schma ci-aprs.

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    Nous savons depuis Freud que le Moi est en lien avec lextrieur et qu ce titre il enregistre des perceptions. Ces perceptions sont pour lui de mme nature que les pulsions qui animent le Ca. Nous comprenons alors clairement pourquoi Raiponce est lincarnation du Moi en ce quelle est en lien avec lextrieur et comme telle capable de perceptions. Au fil du conte Raiponce le dmontrera en tentant de communiquer avec lextrieur et traitera ses perceptions partir des influences intrieures en provenance du Ca, c'est--dire des rminiscences de ce que lui a transmis sa mre.

    Cette approche nous renseigne sur le chant de Raiponce. Raiponce peroit en effet des lments en provenance de lextrieur, en loccurrence elle souffre dune pauvret relationnelle et dune immense solitude. Pour autant, elle tente dy rpondre sur un mode pulsionnel en chantant dune voix mlodieuse. Le chant peut tre interprt comme une pulsion libidinale sublime pour la rendre acceptable par le tyrannique Surmoi. Cette notion nous semble rapprocher de la conception freudienne du Moi en tant que centre de rgulation et non de lieu de matrise.

    Raiponce se fait lassistante du Surmoi que nous allons examiner maintenant et auquel elle obit inconditionnellement.

    3. La sorcire ou la complexit dun Surmoi tyrannique.

    Lorigine de linstance souveraine quest le Surmoi remonte la priode de la disparition du complexe ddipe, vers lge de cinq ans environ. A cette poque les parents interdisent lenfant oedipien de raliser son dsir incestueux. Cet interdit deviendra dans le Moi un ensemble dexigences morales et de prohibition que le sujet simposera lui-mme. Cest cette autorit intriorise et diffrencie au sein du Moi que la psychanalyse nomme Surmoi. Le Surmoi est la trace psychique de la rsolution du conflit de loedipe et de la renonciation par lenfant du premier choix dobjet quest sa mre.

    La formation de lidal du Moi est le rsultat de labandon de ce premier choix dobjet. Nous pourrions dire que lidal du Moi est une fraction rsiduelle des premiers choix dobjets du Ca. Or le premier objet de la mre dans le conte nest-il pas lenfant tant dsir quelle attend ? Ne labandonne-t-elle pas au profit des salades ? En dautres termes il nous apparat que la mre sans renoncer la pulsion qui loriente vers son enfant, se dtourne de sa progniture au profit de salades. Observons que cet abandon est contemporain de lapparition de la sorcire Gottel qui incarne le Surmoi form partir de linterdiction du premier choix dobjet de la mre. Par la captation de lenfant son profit, la sorcire inscrit le nouveau n comme premier choix dobjet interdit pour le Ca incarn par la mre.

    Cest en grande partie en raison du rle central de la sorcire toutes les tapes du conte que nous avons choisi dillustrer la seconde topique freudienne

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    par lanalyse de ce conte plutt que de tout autre. En effet, par lomnipotence exerce ici par la sorcire nous avions lillustration de la tyrannie qui caractrise linstance surmoque et qui sexerce sur les autres entits de la psych.

    La loi surmoque ninterdit pas le dsir, elle interdit sa pleine satisfaction. Cest par la peur dtre castr que lenfant est contraint se soumettre linterdit parental et renoncer la ralisation de son dsir libidinal sans pour autant lanantir. Lenfant fait sienne la Loi par identification la figure parentale qui le fait renoncer au premier choix dobjet. Dans le conte, lenfermement contraint de Raiponce et la prsence exclusive de la sorcire ses cots, prive dans un premier temps, lhrone de tout comparatif. Par la suite, lenfermement dont elle est victime nempche en rien lexistence de ses dsirs mais la prive de leur concrtisation.

    En synthse de cette premire partie nous pouvons que la relation qui existe entre la sorcire et Raiponce illustre bien la structure des liens qui unissent le Surmoi et le Moi. Les soins physiologiques attentifs prodigus par la sorcire Raiponce, rendent compte du fonctionnement du Surmoi comme dun impratif de jouissance en liant le tu dois, il faut issu des introjections avec limpratif dinterdiction tu ne dois pas en lien direct avec linvestissement dobjet. Il est alors permis de penser que le vortex de ce conte est de mettre en exergue la manire dont le Surmoi senracine dans la question de la jouissance.

    II. La structure narrative du conte, les liens des personnages et larticulation des instances psychiques.

    Lhistoire de ce conte est celle dun jeune couple qui a longtemps dsir un enfant. La femme se trouve enfin enceinte mais alors par la fentre arrire de leur maison le couple dispose dune vue sur un potager o pousse en particulier de la mche, autrement nomme Raiponce (Rapuntzel en langue allemande). Cette salade particulirement magnifique exalte les dsirs de la femme au point quelle maigrit et dprit de nen pouvoir consommer. La situation est telle quelle prtend quelle en mourra si elle nen obtient pas derechef. A ce stade de lhistoire la mre est lunique personnage prsent dans le conte le pre ne jouant pour lheure aucun rle encore. Cette prminence de la mre incarnant le Ca renvoie lunicit conceptuelle de la psych du nourrisson pour qui sa mre et lui ne font quun. Ce ne sera qu partir de la naissance de Raiponce que celle-ci constituera un personnage part entire.

    Nous apprenons rapidement que le jardin appartient une sorcire. Lorganisation spatiale du cadre du conte donne un clairage sur lorganisation psychique selon Freud. De la maison univers clos, qui figure linconscient, sige du Ca, la mre peut apercevoir le jardin , univers galement circonscrit, avec la prcision que ces deux univers distincts sont contigus et que le jardin ne dispose daucun accs naturel puisquil est ceint dun haut mur . Observons que le jardin est un espace vgtatif cultiv et organis et qu ce titre nous hypothtisons quil figure le prconscient dont il est spar par le mur et dont

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    lorganisation le distingue de lunivers chaotique du Ca. Lorganisation et la culture du jardin illustrent la conception freudienne selon laquelle les contenus et processus inconscients ne sauraient passer dans le prconscients sans subir de transformation. Le haut mur dont il est question dans le conte peut utilement figurer la dlimitation entre linconscient et le prconscient exprime dans le schma ci-dessus. La transformation des contenus psychiques que Freud voque apparat dans le conte par la culture du potager, la matrise de la nature, ainsi que par la difficult de franchissement pour accder de lun lautre. En effet laccs au potager semble ne pouvoir se raliser que de nuit par opposition au jour, quau prix dune escalade prilleuse du mur, le mari se transformant pour loccasion en voleur en passant dun univers lautre.

    La suite du conte rvle que cest par affection pour sa femme que le mari qui laimait beaucoup vole donc un peu de mche que son pouse consomme aussitt. Sapercevant du larcin la sorcire permet au mari de prendre autant de mche quil le dsire condition que lenfant natre lui appartienne. Dans sa terreur le pre consent ce march et le jour de laccouchement la sorcire apparat rclamant son tribut. Le mari

    Le mari dont le rle sest successivement limit tre le gniteur, le voleur nest quun instrument au service de son pouse. Dailleurs, ne lgitime pas son larcin en raison de lamour quil porte son pouse, mconnaissant les rgles sociales et linterdit ? Lorsquil a rencontr la sorcire et dispos alors dun pouvoir dcisionnel dans le march quelle lui a propos, cest sous lempire de la terreur qu a agi signant l son fonctionnement psychique infantile qui renvoie au comportement pulsionnel de son pouse dont il nest quun excutant. Cest en raison de linconsistance de ce personnage quil ne nous a pas sembl significatif de lui consacrer davantage dimportance.

    Arrtons-nous un instant ici que la particularit de la manifestation de la pulsion de mort dans ce conte. Dans dautres contes merveilleux, tel Hansel et Gretel, la Belle au Bois Dormant ou encore Blanche Neige, linstance surmoque est incarne par la martre. Ce personnage lance alors sa maldiction sur le Moi figur par la jeune fille, la princesse, lenfant innocente dont la martre souhaite lanantissement physique. Cest ainsi que Blanche Neige est incite consommer une pomme empoisonne, la martre souhaitant plonger La Belle au Bois Dormant dans un si long sommeil quil sapparente une mort physique et psychique. Ces contes illustrent les composantes de la mlancolie mises en vidence par Freud dans Deuil et Mlancolie. Il y voque la structure psychotique de la mlancolie avec notamment suspension de lintrt pour le monde extrieur et perte de la capacit daimer. Le Moi du patient mlancolique est alors appauvri et vide au point de prsenter une atonie morbide.

    Dans le conte Raiponce, les liens subtils qui unissent le Ca au Surmoi sont dune autre nature et illustrent les caractristiques du deuil telles que Freud les a mises en vidence dans le mme ouvrage. Selon Freud en effet, le patient endeuill se caractrise par une perte pathologique de lestime de soi avec

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    maintien de lexistence de lobjet imaginaire perdu. Laffect du deuil sexprime par la difficult dabandonner des liens qui unissent lendeuill lobjet. La fixation du sujet sur lobjet disparu permet au sujet de maintenir artificiellement lexistence de lobjet. Raiponce, par laction conjugue de sa mre et de son pre est livre la sorcire qui assure quelle se comportera avec lenfant en bonne mre lui assurant ainsi une vie physique florissante puisquelle deviendra la plus belle enfant sous le soleil . Pour autant Raiponce, tout comme le sujet endeuill sera psychiquement appauvrie. Cest prcisment le schma dcrit par Freud car le patient endeuill na pas de pulsion morbide pour lui-mme mais il peine admettre la disparition ou la mort de lobjet. Raiponce elle aussi a une vie physique satisfaisante mais une vie psychique rduite un tat vgtatif.

    La suite du rcit permet de mieux comprendre encore comment le Surmoi srige en instance souveraine de la psych autour de laquelle les mouvements du Moi sont articuls. Jusqu lge de douze ans, autrement dit symboliquement , tant que lenfant peut tre inconditionnellement attache la sorcire, cette dernire prodigue Raiponce les soins dune bonne mre entretenant avec elle un lien fusionnel propre inciter Raiponce linvestir comme objet a. Aprs cela, ds que la nubilit sous entendue de Raiponce survient et quelle est alors expose au rel, la sorcire lenferme dans une tour dpourvue douverture sans porte ni fentre. Seule existe une petite ouverture en haut de la tour. Relevons la singularit avec laquelle la sorcire a soin denfermer Raiponce au milieu de la fort univers vgtatif sil en est afin de mettre Raiponce labri de toute source externe de sollicitation pulsionnelle et de la prserver ainsi de tout risque de jouissance dclare effrayante par le Surmoi.

    Raiponce passe ainsi plusieurs annes comme sil sagissait dune chose naturelle et ses uniques visites sont celles prodigues quotidiennement par sa bonne mre qui incarne la Loi juste et procurant la bonne nourriture. Ce passage du conte permet didentifier les trois postures psychiques indispensables la sortie oedipienne de lenfant : renoncer la jouissance interdite, conserver le dsir envers cette mme jouissance considre comme inaccessible et sauver son pnis et plus largement prserver son intgrit psychique et physique.

    La suite du conte rvle que lorsque la sorcire voulait voir Raiponce elle lappelait et celle-ci lchait ses cheveux permettant Gottel daccder jusqu elle. Observons l comment le Moi est alors lassistant du Surmoi au sens Freudien ds lors que la sorcire a besoin du concours actif de Raiponce pour parvenir jusqu elle. Cest dailleurs ce mme procd quutilisera le prince pour parvenir jusqu Raiponce, mais dautres fins bien sr. Une fois encore limprgnation du Moi par le Surmoi est telle que pour parvenir Raiponce le prince devra lui aussi, la premire fois, imiter la sorcire et appeler Raiponce pour parvenir jusqu elle. Ce passage illustre la prgnance du Surmoi sur le Moi, le second ne disposant daucune autre rfrence que celles auxquelles le Surmoi lui permet daccder. Relevons ici encore une particularit fort loquente du rcit pour nous clairer sur la conception de la notion de jouissance que Lacan dveloppera amplement par la suite. Dans ses travaux Freud parle

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    abondamment de la nvrose traumatique qui ressemble lhystrie mais qui sen distingue cliniquement par les signes de souffrance du sujet. Freud indique que ce type de nvrose est dclench par leffroi rsultant du surgissement dun danger auquel le sujet ne sattendait pas. Or le conte nous apprend que Raiponce fut effraye de voir entrer un homme que ses yeux navaient jamais aperu . Le rigoureux travail de linstance surmoque effectu par la sorcire depuis lenfance de Raiponce semble, au moins momentanment, porter ses fruits puisque de prime abord, Raiponce opre un refoulement de la pulsion susceptible de lui apporter la jouissance interdite. Il est aussi probable dans une acception moins psychanalytique et plus mtaphorique de relever langoisse de Raiponce lors de la perte de sa virginit ou tout au moins de cette perspective.

    La tyrannie du Surmoi sexprime dans la comparaison du poids de la sorcire sur les cheveux compar celui du prince mme si dans un premier temps Raiponce semble ne pas identifier la nature toxique des liens qui lunissent Gottel. Se sachant dmasque en dpit des prcautions prises pour mettre en place linterdit, la sorcire saisit rageusement la chevelure de Raiponce, la chevelure mme qui en a permis Raiponce sa rencontre avec lobjet a dans lAutre. Une fois leffroi initial dissip, cest grce sa chevelure et laccs procur au prince que Raiponce a pu raliser la coupure signifiante au sens lacanien saffranchissant alors de lidentification primordiale lobjet phallique quincarnait Gottel jusqu lors. Il y a donc dans le conte une castration du Moi par le Surmoi, sur lorgane mme ayant permis ce Moi la coupure avec le premier objet a.

    Cette tyrannie surmoque ne sarrte pas l car la vielle Gottel sen prend maintenant au prince en le trompant. Victime expiatoire, il perd la vue et est ainsi symboliquement castr par laction du terrible Surmoi et de facto priv de la jouissance dont il sest rendu coupable. Cette mtaphore est rapprocher de la crainte darrachement des yeux de Nathanael dans lHomme aux Sables. En effet perdre les yeux par lesquels sopre la transgression de linterdiction de connatre, cest replonger le coupable dans les tnbres de lignorance. Pour notre part nous justifions le fait que le Prince en lui-mme est un avatar de Raiponce dans la mesure o il nest pas directement aveugl par la Sorcire mais il choisit de se jeter de la tour, symbole phallique et ses yeux furent blesss ce qui le rendit aveugle. Le Prince par son geste se soumet donc la tyrannie du Surmoi incarn par la sorcire alors mme quil na jamais vcu sous son emprise et quil lui aurait t plus ais qu Raiponce en tout cas de sen affranchir. Le prince nous apparat donc moins comme une entit autonome que comme le pendant masculin de Raiponce. Il serait cependant injuste et trop rducteur de nattribuer quune fonction spculaire au Prince. Ajoutons que la les yeux et les circonstances dans lesquelles le prince perdu la vue symbolisent la transgression littrale, le franchissement du seuil paternel dont il sest rendu coupable en escaladant la tour et en voulant possder le phallus. La relation sexuelle quil a eue avec Raiponce se double dune transgression intellectuelle. Le Prince a dcouvert lorigine de la vie : cest par le regard quelle saccomplit. Connatre, cest voir. Il nest donc pas surprenant que la castration symbolique quil sinflige frappe le mme organe que celui qui a prsid la transgression laquelle il sest livr. Nous retrouvons du reste l le pendant de la chevelure de Raiponce voqu plus haut.

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    Probablement la sorcire espre-t-elle que Raiponce, repentante, brise par les souffrances se soumette sa Loi et refoule ses pulsions envers le prince pour venir de nouveau chercher auprs delle lamour maternel .

    Le conte se poursuit sur lerrance des deux infortuns qui finalement se retrouvent et concrtisent alors leur recherche de lobjet a mutuel. Dune part les larmes de Raiponce rendent la vue au Prince constituant ainsi lobjet a de ce dernier tandis que que la richesse du prince qui possde un royaume est lobjet a convoit par Raiponce qui jusqu lors vivait misrablement

    Il peut tre pertinent de sarrter sur la symbolique des enfants de Raiponce manifestement obtenus des uvres du prince. Il sagit en effet de jumeaux, un garon et une fille prcise le conte.

    Il est cet gard possible davancer lhypothse selon laquelle les jumeaux figureraient le trait qu identifi Freud dans Psychologie des foules et analyse du Moi dans lequel il distingue trois types didentifications dont lune est lidentification du sujet un trait de lobjet, c'est--dire un trait commun de tous les tres qui ont t aims du sujet. Dans cette perspective ce serait alors la rptition, transgnrationnelle en quelque sorte, de ce trait dans tous les tres humains aims qui pourrait tre ici symbolise par le couple denfants analogue celui form par leurs parents. Dans ce cas nous verrions l le trait unaire nomm par Lacan et qui condense ainsi lhistoire.

    Conclusion

    Par sa richesse ce conte nous permet de revisiter lensemble de la seconde topique freudienne et permet, par la place prpondrante quil octroie la sorcire Gottel, de mettre en vidence la fois les lments constitutifs du Surmoi et sa prgnance dans la psych. La structure de la mre qui incarne le Ca nest pas moins riche denseignements puisquelle nous a permis daborder les pulsions tant celle de vie que celle de mort ainsi que leur lutte fratricide avec Raiponce pour enjeu. Lexpression de ses deux pulsions est ici conforme aux caractristiques que leur attribue Freud. Si la pulsion de vie est clairement bruyante, celle de mort nen est pas moins puissante mais nous avons vu que son mutisme sexprime par la subtilit avec laquelle elle est mise en uvre car Raiponce doit tre prserve physiquement pour que sa mort psychique soit encore plus radicale. Nous avons vu comment la mise en uvre de ces pulsions participe bien dun dsordre li au Ca. Cest la sorcire, instance surmoque, qui ralise laccomplissement de la pulsion mortifre illustrant ainsi la thse de Freud selon laquelle le Surmoi est la pure expression de la pulsion de mort. Cette participation active de la sorcire est conforme lide que le Surmoi est un impratif de jouissance. Seul le Moi tente dordonner et dapaiser la situation et cest bien Raiponce qui la fin du conte acquiert la respectabilit confre par la morale. La mre de Raiponce personnifie lamoralit du Ca tandis que la Sorcire incarne lhyper moralit en endossant les oripeaux de la bonne mre. Cest galement la sorcire par ses multiples manuvres, enfermement, mutilation, abandon qui fait preuve dune cruaut qui na dgal que celle du Ca.

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    Raiponce sinscrit dans la ligne des contes de qute et de libration et cest ce titre que sa conclusion est heureuse. La conclusion lest dautant plus que lhistoire nest constitue que daffres pour Raiponce. Jusqu son terme ce conte permet dapprhender clairement la notion Freudienne selon laquelle le Moi est une pauvre crature servant trois matres et subissant des dangers. Raiponce est tout dabord victime de la pulsion libidinale du Ca en ce quelle fut change contre des salades, puis de la svrit du Surmoi, puis elle a t aussi victime de lextrieur, dans un premier temps tout au moins, faute dy avoir t prpare, puisque cest sa rencontre avec le Prince qui a prcipit sa chute.