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LE LOGEMENT D’ABORD | PRÉCARITÉ DES PAYSANS | AMOUR ET HANDICAP | TRAVAIL SOCIAL ET MIGRANTS

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SOMMAIRE

5 Édito

6 J’embrasse pas Amourethandicap

9 EntretienavecSheilaWarembourgdiplôméeensexologie

11 Pouroucontrelesassistantssexuels?

12 ReportageaufoyerdevieJulesVerneàOrvault

14 Portraitd’uncoupledepersonnesdéficientes

16La règle du jeu Coopéreroufusionner,

contrainteouopportunité?

18 Morceauxchoisisdel’évènement«Transversale»(novembre2011)

20 Analysesurlesenjeuxdelamutualisationentrestructures

22 Témoignagedel’associationAPAHRCsursonprojetavortédefusion

23 Témoignagedesacteursd’unregroupementrégional

24 Viens chez moi, j’habite chez une copine

Lelogementd’abord

26 Analysedecettepolitiqueetdesamiseenœuvre

30 Reportageautourduthèmedel’accompagnementdanslelogement

33 EntretienavecÉtiennePintedéputé(UMP)desYvelines

36 EntretiensavecLoïcCantin(FNAIM44)etJean-MarieBarcat(URPACT)

39 AnalysesurlaplacedesmigrantsdanslapolitiqueduLogementd’abord

42 Carteblancheautourd’unerencontreavecMichelBertreux,architecte

44 Et au milieu coule une rivièrePrécaritédespaysans

46 Reportagephotoauprèsd’unefamilled’agriculteursenVendée

54 Papa est en voyage d’affaires Travailsocialetmigrants

56 Reportageàl’ANEF-FERRER

58 EntretienavecMalikaLimane,formatriceàl’ARIFTS

60 Reportagedansuncentrededistributionalimentaire

62 Un après-midi de chien L’animaldansl’actionsociale

64 Billet«Z’avezpasvuMirza?»

65 Sériedequatreportraitssurlaplaceduchien

69 ReportageaucentreSaint-BenoitàNantes

72 ReportageàHauteGoulaine,oùlamaisonderetraiteaadoptéunchien

74 Ils crèvent l’écran Témoignagesextraits

dereportagesvidéos

LeCanardSocial|LeHors-Série|Janvier2012|Page3

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Photo:A.Penna

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J’EMBRASSE PAS

L’amour, est-ce que c’est pareil quand on est dif férent ? S’aimer, se faire des papouilles ou plus encore, ça donne quoi quand on est handicapé ? Quand le corps ne répond pas ou quand l’esprit est flouté, comment répondre à ses désirs ? Vivre ensemble, se projeter, cultiver son intimité, autant d’enjeux longtemps restés inaccessibles aux personnes handicapées. Avec le temps, les tabous sont tombés, mais les réponses concrètes pour rendre possible les rapprochements intimes et amoureux ne sont pas toujours évidentes.

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REPORTAGE { Par David ProchassonJ’EMBRASSE PASAmour et handicap

I l y a eu des pleurs, des rires. Ils le reconnais-sent : tout n’a pas été facile. Mais les langues se sont déliées, la parole s’est libérée et les esprits

apaisés. Depuis 2005, 14 résidents du foyer de vie Jules Verne à Orvault livrent leurs sentiments et leurs angoisses au Salon du Compliqué. Dans cet espace de causerie, chaque semaine, tout ce que l’on n’ose pas dire s’exprime sans tabou ni cen-sure. Des questions existentielles y sont soulevées : la vie, la mort mais aussi l’amour, la vie affective et la sexualité.

Le Salon du compliqué est né en 2004 dans les murs du foyer de vie Saint Donatien (44). À son initiative : Hassina Mokrani, aide médico-psychologique (AMP). Elle a poursuivi dès l’an-née suivante le travail à Orvault. « Je voulais faire 

émerger une parole  vraie  », explique-t-elle. À partir du roman de Georges Pérec, Je me souviens, les rési-dents du foyer ont été invités à livrer des souvenirs personnels. Puis ils ont travaillé avec la Maison de la poésie : « Utiliser la littérature permet d’ouvrir au monde, de déployer les affects et de libérer la parole », considère Hassina Mokrani.

UnpuzzleAu Salon du compliqué, on échange comme on joue au puzzle : une parole en amène une autre. Naturellement. « La parole émerge parce qu’on invite les  personnes  à  penser  par  elles-mêmes. On  est  parfois persuadé  qu’à  cause  de  leur  déficience  intellectuelle, elles ne peuvent pas penser. C’est faux, bat en brèche Hassina Mokrani. Il faut y croire et ne pas avoir peur de se confronter à la difficulté de l’Autre. » 

Ces discussions ouvertes ont fait émerger des questions récurrentes : « Qui  suis-je,  comment  ren-contrer  l’Autre,  faire  les  bébés,  faire  l’amour ? » Pour en parler, dans le prolongement du Salon du com-pliqué, Hassina Mokrani a fait appel en 2008 à des sages-femmes avant de collaborer avec le Centre de planification et d’éducation familiale (CPEF) du CHU de Nantes. Huit fois par an, les résidents rencontrent une intervenante sur les thèmes de la vie affective. Ils sont également invités à confiner dans des classeurs individuels leurs sentiments et angoisses. Un préalable au travail de la psychologue qui intervient chaque semaine au foyer.

SoulageruneangoisseLe plus souvent, les préoccupations des personnes accueillies relèvent du sentiment amoureux plus que de la sexualité. Comment rencontrer l’Autre est une question récurrente, source d’angoisse pour les résidents. « Ça me met en difficulté de ren-contrer une fille », reconnaît Florian. En ce moment, je suis amoureux de quelqu’un mais je ne sais pas si elle l’est de moi, ça m’inquiète. »

Alexis, lui, fait état du chemin parcouru. « Avant, j’étais un peu violent et mal à l’aise, j’avais des problèmes de comportement. Ça m’a aidé et ça m’a motivé qu’on m’invite à parler. Avec les filles, je ne savais pas comment faire,  s’il  fallait  y aller direct  ou attendre un peu. La rencontre était compliquée et angoissante. Maintenant, je sais : si on fait direct, ça va pas le faire. »

Respectdel’intimitéetdelaloiDe sexualité, il est question au Salon du compliqué mais sans jamais outrepasser les règles de l’intimité. « Il est violent, pour la personne

Au « Salon du Compliqué », la vie affective sans tabouAufoyerdevieJulesVerne,unexternatdel’AdapeiàOrvault(44)pourpersonneshandicapéesmentales, lesprofessionnelsabordent lesquestionsdesexualitéetdevieaffectiveauseinduSalonducompliquéouavecl’aidedeprofessionnelsextérieursàl’établissement.Untravaildefunambuleentrelanécessitédeprotéger,lebesoindesoulagerlessouffrancespsychologiquesetlerespectdel’intimité.

«Aveclesfilles,jenesavaispascommentfaire.Maintenant,jesais:sionfaitdirect,çavapaslefaire»

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REPORTAGE { Par David Prochasson

accueillie, de dire si le rapport sexuel s’est fait ou pas. Et ça ne nous concerne pas, nous, encadrants », précise Hassina Mokrani. Les professionnels cherchent d’abord à écouter la parole des personnes. « Ils ne pensent pas forcément comme nous. Il est important qu’ils viennent exposer leurs difficultés et qu’on trouve ensemble des  solutions,  sans  amener  nos  propres  réponses », ex-plique Nelly Tatard, chef de service au foyer de vie Jules Verne.

La sexualité est également abordée sous le prisme de la loi. « C’est  ce  qu’on a  le  droit  de  faire  ou pas, se lance Vivien. On n’a  par  exemple  pas  le  droit  de toucher le sexe de quelqu’un. » Pour ce jeune résident, la loi est un guide qu’il aime réinterroger pour se rassurer : « Ça m’aide à grandir, à devenir adulte. » Sur la table, un classeur rappelle à tous les règles : « Le rapport sexuel est interdit avec des enfants, il doit être consenti avec des adultes », indique le schéma.

UneréflexionidentitaireAu-delà de l’amour et de la sexualité, le travail est aussi une réflexion psychologique pour com-prendre qui on est avant d’aller vers l’Autre. « La sexualité  renvoie à  la pulsion de vie, à  la naissance », souligne Hassina Mokrani. Longtemps mutique et asocial, Vincent avait pris l’habitude de se réfugier dans la cabane du jardin. Il n’en parle pas par ha-sard. « Pour moi, c’est comme le ventre de ma maman », explique ce jeune adulte. Cette cabane, c’est mon lieu. Mais je sais que je dois me séparer d’elle pour aller vers les autres. » Alexis a consulté un psychologue pour couper le lien fusionnel avec sa mère. « Avant, mes réflexions partaient dans tous les sens. Je suis plus serein 

maintenant. J’ai envie de trouver une fille, de faire ma vie mais ma mère, maintenant, a peur que je lui échappe. » 

UneréponseàdessituationsdélicatesCe travail autour de la vie affective et de la sexuali-té est aussi une réponse à certains comportements. Contrairement à un internat, le temps passé dans le foyer Jules Verne est d’abord un temps de travail. L’histoire d’un couple relève en théorie de la vie privée. Ce qui n’empêche pas les professionnels de faire parfois face à des situations délicates. Nelly Tatard se souvient d’avoir surpris deux résidents en partie nus : « Ils étaient dépassés par les événements. Notre  rôle  est  de  protéger  les  personnes  pour  s’assurer que chacun est  consentant dans  la  relation. » La chef de service cite la relation entre deux personnes aux âges très différents. « Comment  intervenir  sans censure ? Tant qu’on n’est pas sûr d’avoir bien compris la relation, on reste vigilant. Au risque d’engendrer une grande souffrance psychologique. » 

Lorsqu’il s’agit de très jeunes adultes, la famille est associée à la réflexion. « On fait face à des attitudes très différentes : des familles ont pu être meurtries dans leur  désir  d’enfant  ou  blessées  par  des  professionnels, explique Nelly Tatard. On doit être  très  respectueux de leur point de vue. » Et garder, bien sûr, une oreille attentive aux angoisses, aux points de vue des personnes accueillies. Un travail d’équilibriste, en somme, pour permettre aux résidents de construire au mieux leur identité.

AuSalonducompliqué.HassinaMokrani,aidemédico-psychologique,reçoittouslesmardisquatorzerésidentsdufoyerJulesVerneàOrvault(44)pour

lesaideràexprimerleursquestionnements(photo:D.Prochasson).

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Photo:F.Lossent

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VIENS CHEZ MOI,J’HABITE CHEZ UNE COPINE

Logement d’abord ! Est-ce un ordre ? Un vœu ? Un espoir ? Non, c’est une politique ! Louable. Amener chacun au logement. Les plus pauvres, les plus cassés. Les familles, les isolés. Quel que soit leur parcours, à tous, leur permettre d’habiter quelque part. D’avoir une porte à pousser le soir pour rentrer. Qui peut dire non à ça ? Qui oserait critiquer ? Car enfin, sans logement, comment vivre ? Ah ! Il semble qu’il y ait un problème. Voire plus d’un. Toujours cette foutue question de moyens. La mise en œuvre coince ? Sans oublier les cas particuliers qui empêchent toujours la simplicité ! Ne me dites pas qu’on n’a pas tout prévu…

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VIENS CHEZ MOI, J’HABITE CHEZ UNE COPINE Le logement d’abord

C hangement, réforme, refondation : la po-litique du Logement d’abord peut donner le vertige car ce n’est pas un simple ajus-

tement. Elle est censée être un véritable tournant pour le secteur de l’hébergement et de l’accès au logement. Mais comment négocier le virage ? Le gouvernement en a fait le cœur de son chantier national prioritaire 2008-2012 pour les personnes sans-abri ou mal logées. Avec un VRP très investi : Benoist Apparu, le secrétaire d’État au Logement. Avant même qu’elle produise ses premiers effets, la nouvelle approche se heurte au scepticisme des

professionnels de ter-rain. Benoist Apparu l’a bien compris, lui qui est monté au charbon fin 2011 pour arrondir les angles et tenter de faire avancer la réforme au cours d’Assises natio-nales et régionales sur le Logement d’abord.

Sur l’objectif, tout le monde est sur la même lon-gueur d’onde: « Dans notre  idée, rappelle Benoist Apparu, le logement n’est pas nécessairement le point d’arrivée d’un parcours d’insertion : il peut être le point de départ et c’est là qu’il y a une bascule. L’hébergement doit être subsidiaire, mais pas superflu non plus. » Sur le principe, la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale rejoint la vo-lonté gouvernementale : « On est tous d’accord pour dire qu’il faut passer à un autre système », confirme Jocelyn Leclerc, le délégué de la FNARS en Pays de la Loire.

L’hébergementaudétrimentdulogement?Ce qui fait débat, c’est l’application de la réforme. Car c’est bien sur les moyens de la mise en œuvre qu’il y a des points de blocages. La « refondation » impacte 3000 opérateurs en France et certains ont peur d’y laisser des plumes, à commencer par les professionnels de l’hébergement. « Ne commençons pas par  supprimer des places d’hébergement alors  que le secteur est sous tension. Aujourd’hui, on se projette sur  l’avenir, mais ne mettons pas  la charrue avant  les bœufs », prévient Éric Lepage, directeur de struc-ture à Tours et représentant interrégional de la FNARS.

Question budget, le ministre a les mots et les chiffres pour rassurer. « J’ai  entendu  certains  dire que nous fermions l’hébergement avant de disposer des logements, a-t-il déclaré en décembre dernier à Paris lors des assises nationales. C’est  faux,  nous n’avons jamais eu autant de places d’hébergement qu’au-jourd’hui. » Depuis 2007, le nombre de places a en effet augmenté de quasiment 30 % pour atteindre aujourd’hui 116 000 places ouvertes dans le sec-teur de l’hébergement. Sauf que les associations estiment que cet effort reste insuffisant au regard de l’augmentation des besoins. L’impossibilité du 115 à répondre à toutes les sollicitations en atteste tous les jours. Par ailleurs, les licenciements et les réductions d’activité de ces derniers mois dans les structures démontrent que les associations ont été clairement fragilisées par les coupes budgétaires du printemps 2011. L’annonce, fin septembre par François Fillon, de rallonges a bien permis d’apporter de l’oxygène, mais sur le terrain, le mal était déjà fait. Quoi qu’il en soit, Benoist Apparu

La stratégie du « Logement d’abord » reste encore très théoriqueSortir de la logique d’escalier de l’hébergement pour favoriser l’accès directau logement pérenne: pour l’État, le Logement d’abord est une politiquestratégique. Pour tous les acteurs concernés, aussi. Mais si chacun adhère àl’intention,lamiseenœuvredecetteréformeambitieuseestsourcedetensionsetd’interrogations.Quelest lesensduLogementd’abordàlafrançaise?Avecquelsmoyens?Lechantierpeineàavanceralorsquelesbesoinsaugmentent:aveclacriseéconomiqueetsocialecombinéeà lacrisedu logement,130000SDFet3,5millionsdemallogésattendentdesréponsesurgentes.

«Onesttousd’accordpourdirequ’ilfautpasseràunautresystème»

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ANALYSE { Par Frédéric Lossent

assure qu’« avec le Logement d’abord, notre objectif n’est clairement pas de faire des éco-nomies… mais ça ne veut pas dire qu’on n’en fera pas. »

Accompagnementlégerouintensif?Autre question essentielle qui ressort des débats, la notion d’accompagne-ment pour les ménages qui ont connu une longue période d’exclusion. Où placer le curseur ? Au niveau de l’AVDL, (Accompagnement Vers et Dans le Lo-gement) plutôt adapté aux publics peu désocialisés ? Ou au niveau de l’« accom-pagnement social global personnalisé», préconisé par la FNARS ? Cette ques-tion du suivi des personnes dans l’accès au logement est par exemple centrale pour un acteur comme l’Office public HLM de Limoges. Le bailleur social de la Haute-Vienne développe une activité de logement adapté avec des associa-tions, mais il constate qu’il ne suffit pas de proposer un toit et quatre murs à des personnes marquées par l’isolement.

« Par moment, nous avons l’impression d’être un immense CHRS sans le personnel qui va avec », reconnaît Dorothée Chabaudie de l’Office public.

La notion d’accompagnement intensif ressort en particulier d’une étude sur une expérimentation en Suède, « le pays européen le plus avancé en matière de housing first (logement d’abord, NDLR), selon Ruth Owen de la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans abri (FEANTSA). Les  ser-vices  d’accompagnement  y  ont  un  rôle  cen-tral pour les soins, le logement et l’emploi. » Ainsi, dans l’expérience finlandaise, un employé s’occupe de 10 personnes en formule « logement accompagné » mais la prise en charge est beaucoup plus forte en « logement accompagné intensif » avec un employé pour 2,5 personnes. Entre les deux, la nuance est de taille. Et, pour l’instant, impossible de savoir si l’État fera le choix de don-ner aux professionnels les moyens d’un accompagnement « plus plus » pour les publics qui le nécessitent.

Variations sémantiques autour du Logement d’abord

Housing first ?Érigée en véritable slogan par le secrétaire d’État au Logement, Benoist Apparu, l’expression « Logement d’abord » est la traduction littérale de l’anglais « housing first ». Pourquoi se référer à une formule anglo-saxonne ? Tout simplement parce que la nouvelle stratégie hexagonale s’inspire d’ex-périences initiées en 1990 à New York en direction de personnes sans-abri « chroniques ». Des expériences reprises dans un programme national intitulé « housing first » aux États-Unis.

Si aujourd’hui le concept du Logement d’abord à la française est en cours de définition, on entend déjà certains professionnels et fonctionnaires des services de l’État en détourner la formule. Dans le genre militant : « Le Logement d’abord ? D’abord un logement ! ». Dans un registre délibérément sombre qui fait référence à la solitude des sans domicile propulsés sous un toit sans accompagnement : « Logement d’abord, logement de la mort ». Et dans un style plus nuancé, et probablement plus fédérateur : « Un chez soi d’abord » ou encore « Un logement, chaque fois que possible ».

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Photo:A.Penna

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ET AU MILIEU COULE UNE RIVIÈRE

On les a entendus pleurer les producteurs de lait, les éleveurs, les cultivateurs. Pleurer de rage, d’épuisement. De colère. Le monde paysan ne va pas bien. Une part de lui en tout cas mord la poussière tout en continuant à travailler. Travailler puis brader sa production, pour finalement vivre pauvre. Ce couple là vit cette galère depuis un moment. Le voir à l’ouvrage, jeter un œil à sa vie quotidienne, entendre sa fatigue et constater qu’il ne renonce pas, c’est l’idée de ce reportage photo. Car la photo, mieux que les mots souvent, est capable de montrer la beauté nichée derrière la réalité crue.

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La condition d’une laitière en galère

C’est un monde pudique où l’on préfère se taire quand on galère. Pourtant, de plus en plus de paysans ne parviennent plus

à vivre de leur travail. Dans les Pays de la Loire en juin 2010, plus de 500 familles d’agriculteurs subsistaient avec l’aide du RSA et ne s’en vantaient pas. Karine Brillier-Laverdure, agricultrice de 39 ans, s’est installée il y a une dizaine d’années dans une ferme près de Falleron, en Vendée, avec son mari Guillaume. Ensemble, ils produisent du lait et élèvent des moutons. Partis de zéro, ils se sont endettés pour se lancer, ont pris de plein fouet la crise du lait de 2009, traînent depuis derrière eux un « trou » financier qu’ils n’arrivent pas à combler et se débattent pour éviter le redressement judi-ciaire. Après avoir touché le RSA pendant un an, ils l’ont perdu en raison d’un mode de calcul qui prend en compte un salaire pourtant bien fictif. Pour vivre au quotidien, avec moins de 400 euros par mois, il ne leur reste que les produits de la ferme, le système D, le troc et la solidarité des proches. L’engagement du couple dans le réseau de l’Apli (association des producteurs de lait indépen-dants) a brisé son isolement et donné à Karine le déclic du militantisme. Car si Guillaume se mure dans le silence et le travail, Karine, elle, a décidé de mettre sa pudeur de côté pour parler, comme une thérapie. Témoigner de l’injustice, de la honte même qu’elle éprouve à ne pas pouvoir vivre de la production de ses bêtes. De sa colère qui la ronge comme elle-même ronge ses ongles. Du désespoir qui s’invite parfois à la table familiale. Mais aussi de son amour pour son métier et de son envie de continuer à y croire.

La première fois, j’ai rencontré cette femme en lutte et sa famille pendant l’été 2010. Je suis retournée leur rendre visite un an plus tard, à la fin de l’été 2011. Voici les tranches de vie et de paroles d’une agricultrice entre découragement et force de vie.

ET AU MILIEU COULE UNE RIVIÈREPrécarité des paysans

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Travailler à perte. « Je ne veux pas tomber dans le misérabilisme, mais vous en connaissez beaucoup des professions où l’on a le droit de vendre ses produits à perte et de se taire ? On savait que ça serait dur, que la traite c’est 365 jours sur 365, là-dessus il n’y a pas de problème. Mais aujourd’hui, on demande seulement à pouvoir payer les factures à nos fournisseurs en temps et en heure et une rémunération de 1000 euros par mois pour faire vivre notre famille dignement. »

REPORTAGE PHOTO { Par Armandine Penna

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