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    Graud Poumarde

    Le Cercle Proudhon ou l'impossible synthseIn: Mil neuf cent, N12, 1994. pp. 51-86.

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    Poumarde Graud. Le Cercle Proudhon ou l'impossible synthse. In: Mil neuf cent, N12, 1994. pp. 51-86.

    doi : 10.3406/mcm.1994.1108

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1994_num_12_1_1108

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_mcm_105http://dx.doi.org/10.3406/mcm.1994.1108http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1994_num_12_1_1108http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1994_num_12_1_1108http://dx.doi.org/10.3406/mcm.1994.1108http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_mcm_105
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    Le Cercle Proudhonou l impossible synthse

    GRAUD POUMARDEEn histoire, les ides reues offrent souvent une rsistanceopinitre aux travaux qui viennent les contredire. Zeev Sternhellprsentait encore rcemment Georges Sorel comme un prefondateur, un penseur du fascisme, accolant sa photographiecelle de Jacques Doriot, qui a combattu pour cetteidologie1. La rputation sulfureuse de l'auteur des Rflexionssur la violence est en partie lie sa participation suppose auCercle Proudhon. Ce petit groupe, dont l'activit fut des plus

    phmres, a, en effet particulirement souffert des querelles etpolmiques engages sur l'historiographie des mouvements del'extrme-droite franaise. Parce que ses membres prtendaientraliser une union entre royalistes et syndicalistes2, que des* La matire de cet article est tire de : Graud Poumarde,Le Cercle Proudhon: une synthse impossible? 1911-1914, mmoire de matrise sous la direction de L. Le Van-Lemesle, Histoire,Universit de Paris I, 1992, 255 f., avec une bibliographie, desnotices biographiques et le tableau des confrences du Cercle en

    annexes. Il est dpos et consultable Paris, au Fonds Sorel dela Bibliothque du Muse Social, rue Las Cases, la bibliothquedu CRHMSS, rue Malher, la Bibliothque de l'Ecole normalesuprieure, rue d'Ulm.1. Qu'est-ce que le fascisme ? Le refus de la modernit ,entretien avec Zeev Sternhell, l'Histoire, n 162, janvier 1993,p. 46.2. Georges Valois dclare ainsi propos de leur dernier repascommun, le 2 juin 1914, au Caf Voltaire : les convives prsents[...] reprsentaient en nombres gaux, l'ancien monde conservateurt l'ancien monde rvolutionnaire (Georges Valois, Lesenseignements de cinq ans : 1909-1914 , prface de La Monarchieet la classe ouvrire, nlle d., Paris, Nouvelle Librairie Nationale,1914,p.CXIII).

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    tmoins plus ou moins loigns ont accrdit cette rencontre3,il a permis certains de conclure une orientation rvolutionnairee l'Action franaise, dont il trs proche, d'autresde dceler dans la France de la Belle Epoque l'origine d'un fascisme la franaise .

    L'opposition entre une Action franaise audacieuse et trscontestataire, avant 1914, et l'Action franaise des annes 20et 30, sclrose et conservatrice, fait dsormais partie des topode l'historiographie de ce mouvement. On voque la saigne opre par la guerre dans ses rangs, l'abandon des positions ouvriristes et l'intrt nouveau pour la socit rurale, la chape del'idologie maurrassienne qui s'abattrait sur des militants vieillissants et embourgeoiss. Dans ce contexte, le Cercle Proudhonillustrerait merveille le dynamisme des premiers temps, l 'effervescence intellectuelle et le bouillonnement culturel qui rgnaientalors dans les locaux du journal. D'emble, c'est pour son originalit que le Cercle est tudi dans les travaux de BertrandRenouvin ou Batrice Cakiroglou 5. Les auteurs s'en tiennent audiscours officiel de ses reprsentants, sans tenter aucun momentd'en prouver la validit, de vrifier si la rencontre fructueuseproclame trouve une traduction dans les faits.

    C'est Zeev Sternhell cependant que l'on doit la vritableexhumation de cette socit de pense. S'appuyant principalementur le dpouillement des archives de la Prfecture de Policeet du ministre de l'Intrieur et sur une lecture exhaustive desgroupes qu'il tudie, l'historien adopte un axe novateur dans lesrecherches sur l'extrme-droite, en faisant de la France le laboratoire o se forgent les synthses originales du vingtime si-

    3. Henri Massis, par exemple, voque, nostalgique, ces moments : c'tait aussi les discussions passionnes du Cercle Proudhon, o, l'appel d'Henri Lagrange, ce jeune prodige, et lamain dans la main des ouvriers, on dcidait de courir ensemblesus aux conservateurs, l'Action librale du pantouflard M. Piou, la Ligue des Patrouillottes, car tous, tudiants et jeunes ouvriers,se rejoignaient dans une mme aversion commune pour lesmous, les enrichis, les nantis (Henri Massis, Maurras et notretemps, cit par Jean-Loup Bernanos, Bernanos la merci despassants, Paris, Pion, 1986, p. 113).4. Bertrand Renouvin, L'Action franaise devant la questionsociale. 1899-1944, Thse de 3e cycle, Universit d'Aix-Marseille II,1973.5. Batrice Cakiroglou, Les Monarchistes rvolutionnaires, re

    her hes sur l'aile gauche de l'Action franaise, Thse de 3e cycle,Universit de Paris VIII - Vincennes, 1976.52

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    cle e, et particulirement le fascisme, dont il ralise une minutieuse gnalogie depuis le boulangisme jusqu'au non-conformismees annes 30. Cette analyse repose sur un postulatlimpide emprunt Georges Valois, Nationalisme + Socialisme = Fascisme 7, que Zeev Sternhell traduit par la conjonction partir de la droite nationaliste, antilibrale et antibourgeoise, d'une part, et de la gauche socialiste et socialisante,d'autre part, d'lments galement dcids briser la dmocratielibrale 8.Traquant toute esquisse de cette rencontre dans divers mouvements, Zeev Sternhell a jug que le Cercle Proudhon avait unrle suffisamment important dans l'laboration de l'idologie fasciste pour terminer son deuxime ouvrage 9 par son vocation. Ilapparat de fait comme l'aboutissant d'une longue succession, lepoint d'orgue de cette sensibilit prfasciste repre auparavantdans la Ligue des Patriotes, le syndicalisme jaune, ou dans la raction antidmocratique de l'extrme-gauche 10. Il formele creuset o vont se fondre pour la premire fois des hommesissus de ces deux traditions qui font le fascisme, le nationalismeet le socialisme, pris ici dans sa variante syndicaliste-rvolutionnairea position historique cl du Cercle Proudhon justifiel'attention que lui accorde Zeev Sternhell dans sa dmonstration.En effet fond en 1911, il perdure jusqu'en 1914 ; il est donc ladernire manifestation de prfascisme reprable avant la guerre,la dernire avant la naissance du fascisme physique qui lasuit de prs, et par suite, sa manifestation la plus acheve.L'auteur tient enfin la synthse socialiste nationale u qu'ilrecherchait. Le fascisme est sous nos yeux, ou presque, car cerefus d'un foss [entre activistes des deux extrmes], considrcomme artificiel, est l'origine du Cercle Proudhon, qui propose une idologie laquelle le fascisme n'aura que peu de choses rajouter 12. Voil le Cercle rejet de manire dfinitivedu ct d'une idologie unanimement condamne. Rien n'est

    6. Zeev Sternhell, La Droite rvolutionnaire, 1885-1914. Lesorigines franaises du fascisme, Paris, Seuil, 1978, p. 24.7. Georges Valois, Le Fascisme, Paris, Nouvelle Librairie Nationale 1927, p. 21.8. Zeev Sternhell, Ni droite, ni gauche. L'idologie fascisteen France, Paris, Seuil, 1983, p. 10.9. Zeev Sternhell, La Droite rvolutionnaire..., op. cit., pp. 391-396.10. Ibid., p. 318.11. Ibid., p. 385.12. Ibid., p. 31.53

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    moins satisfaisant : bien des gards, l'analyse de Zeev Sterahell,qui porte essentiellement sur les Cahiers du Cercle Proudhon, estsubordonne aux exigences de sa dmonstration. L'historien envient par suite gommer toute spcificit du Cercle pour n'enfaire qu'un moment d'une synthse qu'il a piste au cours de sontravail. Il ne peut viter en conclusion de sombrer dans unconfusionnisme tonnant, dans un mlange trange de courants etde traditions diffrents, dans des rapprochements souvent abusifs d'hommes et d'ides loigns, exprims dans des formulesrapides 13. L'tiquette fasciste en vient donc occulter le CercleProudhon. Le lecteur ressent, lire Zeev Sternhell, une insatisfaction, un vide, d'autant plus cruel que, par-del l'expos austre des ides, il devine la vie anime d'une socit de pense.Indiscutablement, il faut, avec Jacques Julliard, mettre au comptede la mthode utilise par l'historien ce dfaut de connaissance.Son livre illustre un retour la vieille histoire des ides, cellequi se contente de leur agencement interne, de leur transcendance, e leur filiation, mais non de leur insertion dans un tempset dans un lieu 14. Certes, l'auteur a le mrite d'avoir soulignl'intrt historique des ides du Cercle Proudhon, toutefois, sesanalyses demandent tre compltes et nuances par une redcouverte du temps et du lieu de ces ides, c'est--dire deleur environnement humain, de ce matriel tangible sur lequelachoppe la main de l'historien.Un groupe d'intellectuels n'a pas la structure fige que nousoffrent ses productions, il est plutt, l'image de la pense, enperptuel mouvement, charg de diversit et donc d'humanit.Tentons, par consquent, de percevoir, travers l'cheveau complexe des discours convenus, l'cho des discussions tardives, lebruissement des amitis ou des haines, ce foisonnement de lavie qui n'a certainement pas manqu d'animer cette petite socitde pense. S'il est un thme qui a soulev le plus de polmiques,c'est prcisment cette volont d'union, ce dsir d'une synthsenouvelle qu'affichent les principaux protagonistes du Cercle. Les

    13. La littrature fasciste de l'entre-deux-guerres Drieu,Brasillach, Rebatet ou Cline n'a que fort peu de choses ajouter aux thmes dvelopps par Barres, Le Bon, Drumont,Berth ou Sorel. Mis part le motif ancien combattant et lesrfrences Rome ou Berlin, on croirait avoir sous les yeuxune version modernise du Testament d'un Antismite ou desCahiers du Cercle Proudhon (ibid., p. 406) .14. Jacques Julliard, Sur un fascisme imaginaire : proposd'un livre de Zeev Sternhell, Annales E.S.C., n 4, juillet-aot1984, p. 849.54

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    perspectives ouvertes par les tendances actuelles de l 'historiographie, qui associe l'intrt port aux ides un intrt complmentaire pour leur substrat humain, pour le milieu qui lesporte, encouragent l'historien confronter l'hypothse thoriqued'une rencontre effective entre syndicalistes et royalistes l'tudeminutieuse et dtaille des membres du Cercle Proudhon. GeorgesNavet, dans une courte tude sur la figure de Proudhon travers le prisme des publications du Cercle, y a dcouvert des contradictions non leves et des -peu-prs non interrogs ,des ambiguts fondamentales qui, en dfinitive, auraient frappde strilit sa production. L'auteur doute que l'entreprise ait t fconde 15. Ce doute, mis rencontre des analyses de ZeevSternhell, mrite d'tre approfondi par un retour aux faits. L'enjeu n est simple : il s'agit de savoir si le Cercle a jou vritablementans l'immdiat-avant-guerre ce rle de ple de rassemblement qu'on lui attribue. Pour ce faire, il convient dans unpremier temps d'envisager les tapes de sa constitution, afin dele situer dans le paysage politique de l'poque, puis d'examinersa composition, pour valuer son ventuelle originalit.Les premiers pas : l'exprience de la Cit franaise

    Contrairement ses futures orientations de l'entre-deux-guerres qui la tourneront vers les questions rurales, l'Action franaise est attire ses dbuts par le monde ouvrier. L'histoiredes annes qui prcdent la fondation du Cercle Proudhon estcelle de la recherche ttonnante d'une alliance avec le proltariat.Ds 1902, en effet Jacques Bainville, analysant les articlespublis par Lagardelle dans le Mouvement socialiste, soulve l espoir des monarchistes :

    A l'extrme-gauche socialiste, il est des thoriciens quin'hsitent pas proscrire, eux aussi, de leur langage lemot dmocratie, aprs avoir critiqu le fait dmocratique 1B.

    Un rendez-vous est alors pris ; les germes, qui donnent naissance une dizaine d'annes plus tard au Cercle Proudhon, sontdj en place. Le terrain commun d'action est cit : l'opposition15. Georges Navet, Le Cercle Proudhon (1911-1914) entre lesyndicalisme rvolutionnaire et l'Action franaise , Mil neuf cent,Revue d'histoire intellectuelle, n 10, 1992, pp. 62-63.16. Jacques Bainville, Antidmocrates d'extrme gauche *,

    l'Action franaise, 15 juillet 1902, p. 121.55

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    la dmocratie, les allis potentiels reprs: des intellectuels,des thoriciens. Cette prescience de Bainville n'empche pasle mouvement monarchiste de se fourvoyer durant plusieursannes dans des chemins de traverse et de se tenir ainsi loigndu syndicalisme-rvolutionnaire, lment de loin le plus dynamique au sein de la classe ouvrire. Ce n'est qu'aprs un longcheminement spar des deux traditions antidmocratiques qu'unepremire tentative peut avoir lieu en 1910 autour d'un projetavort de revue, lui-mme simple prlude la constitution duCercle Proudhon.La Cit franaise devait runir, autour d'un titre symbolique,des monarchistes et d'anciens rdacteurs du Mouvement socialiste. C'est l'volution de Georges Sorel et l'adhsion de GeorgesValois au nationalisme intgral qui permettent cette rencontre.Le dialogue dbouche sur un projet, dont l'chec, avant mmequ'un seul numro ne paraisse, permet aux royalistes de tirer desleons qui se rvleront utiles au moment de la fondation duCercle Proudhon.Georges Valois vient des milieux intellectuels de l'anarchie.Dans les dernires annes du xixe sicle, il a frquent le groupede YArt social et rencontr cette occasion Pelloutier, Dele-salle, Jean Grave des Temps nouveaux, Augustin Hamon, directeurde l'Humanit nouvelle, journal o il assumera pendant unan des fonctions de secrtaire . Il participe aussi au combatdreyfusard. Il a alors tout juste vingt ans. Ds 1900, cependant,il amorce une rvision de ses positions qui le conduit progressivementau royalisme. En 1906, Valois publie L'Homme quivient, vritable mise au point aprs une drive intellectuellede plusieurs annes, il se retrouve alors catholique, monarchiste et, disons le mot, seul 18. Paul Bourget, auquel il porteson ouvrage, lui conseille de rencontrer Maurras.L'entrevue des deux hommes a lieu en mars 1906 ; elle suscite l'enthousiasme de Valois. Toutefois, en entrant l'Actionfranaise, il n'abandonne pas ses anciennes ides qui conserventune forte imprgnation syndicaliste. Nanmoins, il parvient peu peu s'imposer comme le spcialiste des problmes sociauxdans ce mouvement. Il agit d'abord ses marges : ds son premier numro, la Revue critique des ides et des Uvres, forme de

    17. Yves Guchet, Georges Valois, Paris, Erasme, 1990, pp. 24-25. 18. Ibid., p. 74.56

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    jeunes gens maurrassiens, mais d'esprit indpendant, accueille lesrsultats de Enqute sur la monarchie et la classe ouvrire.Pendant un an, du 25 avril 1908 au 10 mai 1909 (n 26), lajeune revue publie les rponses des personnes interroges accompagnes des commentaires de Valois. Cette entreprise permet son auteur de faire son entre dans le dbat social et d'y imposer es vues. Il est bientt charg des relations avec le mondeouvrier et prsente chaque anne, au Congrs de l'organisationmonarchiste, un rapport sur les succs de sa propagande.Sous l'impulsion de Valois, les efforts de sduction dployspar l'Action franaise portent sur la frange la plus rsolue dusyndicalisme, sur les antidmocrates de gauche. Il se montrel'infatigable artisan de ce rapprochement tant espr mais toujours report. Georges Sorel est alors une des premires victimesde ses assiduits.En effet peu avant la guerre, Georges Sorel semble un tempsse rapprocher de l'extrme-droite. Un faisceau de prsomptions,telles que la revendication par le fascisme italien de son hritageintellectuel, ou les accusations de sympathies monarchistes lances par Lagardelle contre son ancien collaborateur, a pu accrditer la thse d'une drive de l'auteur des Rflexions sur la violence. Sorel entame effectivement un dialogue avec les monarchistes, qui manque d'aboutir la cration d'une revue commune. Le philosophe rencontre Valois pour la premire fois en1898, lorsqu'il vient apporter le texte de L'avenir socialiste dessyndicats l'Humanit nouvelle. Il est difficile de savoir quelfut leur degr de relation par la suite. Valois a lu ses ouvrageset s'est imprgn de la pense du philosophe. Ils se retrouventsans doute lors des visites hebdomadaires de Sorel au journal.Devenu monarchiste, Valois tente de rallier son matre cettecause et le sollicite plusieurs reprises. Il lui adresse d'abord lequestionnaire de son Enqute et accorde sa rponse la premire place lors de sa publication. Sorel, dont les Rflexions surla violence viennent de paratre en librairie, y rpond avec unegrande prudence. Toutefois, les manuvres ne cessent pas. Enaot 1908, la Revue critique rcidive et publie un article de samain, paru auparavant dans il Divenire sociale, qui condamnecatholiques libraux et socialistes clairs 19.

    19. Georges Sorel, Le modernisme dans la religion et dansle socialisme , Revue critique des ides et des livres, n 8, 10 aot1908, pp. 177-204.

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    L'anne suivante, les vnements conduisent le philosophe rectifier ses conceptions sociales. II noue alors des liens plustroits avec les milieux royalistes. Une double dception lepousse, en effet interrompre sa collaboration au Mouvementsocialiste en septembre 1909. Le dpart de Griffuelhes du secrtariat de la CGT, l'chec complet de la grve des postiers lanceen mai manifestent une vritable dbcle du syndicalisme-rvolutionnaireui ruine les espoirs que l'auteur des Rflexions plaait en lui. Il les reporte alors sur l'Action franaise dont ildresse un portrait logieux dans un article intitul La droutedes mufles, publi par il Divenire sociale. Profitant de ce moment d'incertitude, Valois revient la charge : en septembre1909, il ralise avec un autre rdacteur de la Revue critique,Pierre Gilbert, une interview du matre sur l'affaire Ferrer. Elleest aussitt publie par l'Action franaise. D'autant que Soreln'y mnage pas ses mots quand il s'agit de fltrir Aristide Briandou de dnoncer la manipulation des classes laborieuses par lespoliticiens.En 1910, le rapprochement de Sorel et de la droite nationaliste va s'affirmer ouvertement 20. Aprs un nouvel article quilui est consacr par Charles Maurras, au dbut de l'anne, l'Action franaise publie un article de la main mme du philosophe le seul qu'il lui donnera obtenu grce l'insistance deGeorges Valois. Ce papier, intitul Rveil de l'me franaise :Le Mystre de la charit de Jeanne d'Arcs, tait destin en premier lieu au Gaulois d'Arthur Meyer. Au mois de mars 1910, uneviolente polmique clate entre ce journal et l'Action franaise.Valois crit alors Pguy, l'intermdiaire, pour qu'il renonce donner cet article et lui propose les colonnes du quotidien deMaurras. Dans le mme temps, il intervient auprs de Sorel.Grce aux pressions de Valois, l'article parat donc la fois enitalien, dans la Voce, et en franais, dans l'Action franaise, le14 avril 1910.Ds lors, les relations entre Valois et Sorel s'intensifient. Dansla correspondance que Sorel entretient avec Edouard Berth, lenom du monarchiste revient frquemment. Une fois l'affaire del'article sur Pguy rgle, il fait part son disciple du dsir qu'aValois de rencontrer Berth 21. C'est donc Sorel qui pousse vers les

    20. Pierre Andreu, Notre matre, M. Sorel, Paris, Grasset,1953, p. 59.21. Lettre de Georges Sorel Edouard Berth, le 27 mars 1910, 57, in Cahiers Georges Sorel, n 4, 1986, p. 105. Publies dans

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    monarchistes celui qui, plus tard, signera Jean Darville dans lesCahiers du Cercle Proudhon. Lui-mme reste un peu en rserve,indcis. La lettre suivante apprend qu'un djeuner vient d'trefix, mais le philosophe croit bon de ne pas y assister 22. Lors decette rencontre, des moyens d'action communs sont sans doutevoqus. A Berth qui cherche une revue o publier un articlesur Pguy, Valois propose les pages de la Revue critique. Sorel,averti, dconseille la publication son ami : J'estime qu'il estdangereux pour vous de vous compromettre fond avec lesamis de Valois 23. Leurs relations ne cessent pourtant pas. Et,soit en vue de renforcer ces liens naissants, soit pour disposerd'un support o dbattre librement, un projet de revue nat auprintemps 1910. Elle est mentionne pour la premire fois dansune lettre de Sorel Berth date du 17 juin24. Quelques moisaprs la rencontre Berth-Valois, le rapprochement des deux traditions antidmocratiques s'institutionnalise, s'officialise par lafondation d'une revue, la Cit franaise. Le pari est audacieux,l'entreprise sans prcdent: il appartient la revue de matrialiser cette union historique en train de s'laborer. Le projetest lanc, la parution du premier numro est prvue pour novembre910, une brochure d'information comprenant une dclaratione principe et trois articles est mme tire et distribue. Enjuin 1910, Sorel est encore plein d'illusions sur le succs de l'entreprise: Les diteurs recherchent les revues qui doivent leuramener des lecteurs de bon aloi. Ce sera le cas de celle qu'onveut fonder 25.Le comit directeur de cet organe comprend Georges Sorel,Edouard Berth, Georges Valois et Pierre Gilbert. Les quatrehommes se connaissent. Gilbert accompagnait Valois lorsqu'ils'entretint avec l'auteur des Rflexions... sur l'affaire Ferrer.Berth et Gilbert ont d se rencontrer ce fameux djeuner dominical d'avril 1910, chez Georges Valois. Berth, qui collaboraitavec Sorel au Mouvement socialiste, a quitt la revue en mmetemps que lui, ayant suivi un parcours semblable. Gilbert, sousles nos 3, 4 et 5 des Cahiers Georges Sorel et 6 de Mil neuf cent,ces lettres constituent, pour la priode 1904-1922, un documentintressant et encore peu exploit sur la vie intellectuelle del'poque.22. Ibid.23. Lettre de Georges Sorel Edouard Berth, le 24 avril 1910, 60, ibid., p. 111.

    24. Lettre de Georges Sorel Edouard Berth, le 17 juin 1910, 63, ibid., p. 117.25. Ibid.

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    son vrai nom Crabos, employ au ministre de la Guerre, faitpartie de la seconde gnration de l'Action franaise. Rdacteur la Revue critique des ides et des livres, il y publie surtout des pages de critique littraire, mais se soucie paralllementdes questions sociales. Vient ensuite s'ajouter la liste, sur recomm nd tion de Sorel, Jean Variot, de la Guerre sociale. Ilsemble que, pour des motifs stratgiques, les fonctions de direction oient revenues Sorel et ses amis. Georges Sorel, en effetassume la charge de la direction de la revue, avec Edouard Berthpour codirecteur, et Jean Variot comme secrtaire de rdaction.Arguant de craintes dont Sorel lui aurait fait part, Valois propose Berth dans une lettre :

    Au lieu d'apparatre comme deux groupes bien distinctsd'origine se rencontrant sur un terrain commun, nous mettrions en avant le groupe Sorel, et nous groupe AF, nousnous prsenterions comme vos invits et nous vous remercierions d'avoir bien voulu nous accueillir parmi vous et denous laisser toute libert d'expression, ce serait une bonnefaade. Et ainsi il apparatrait que l'organe serait entirement n organe cr pour Sorel o il reoit ses amis 2e.

    Ce retrait de faade des rdacteurs d'Action franaise explique a position minente des autres. Reste prciser la naturedes rticences de Sorel. Il vient d'tre victime d'une attaque deMaurice Reclus, parue dans le Gil Bias du 23 mai. Sorel s'taitdj plaint, plus d'un an auparavant, de ce genre de rumeur. Ilest clair que le philosophe veut viter les confusions qu'entraneritnvitablement la prsence au sein d'une mme revue de sonnom ct de celui des monarchistes. S'il accepte un rapprochement afin d'entamer une discussion, il n'entend pas du toutse convertir la monarchie, ni laisser croire qu'il est sur cettevoie. Il n'appose pas moins sa signature au bas de la dclarationui fixe les orientations du groupe.Malgr tous les efforts dploys, l'entreprise s'arrte. Laparution est d'abord repousse au 1 dcembre, alors que toutest prt ds octobre. Sorel annonce ensuite Edouard Berth, le17 novembre, qu'il renonce la direction [de la revue] . Ilen demeure simple collaborateur27. Toutefois, dix jours plus

    26. Lettre de Georges Valois Edouard Berth, le 3 juin 1910,ibid., p. 138.27. Lettre de Georges Sorel Edouard Berth, le 17 novembre1910, n 69, ibid., 1986, p. 125.60

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    tard, il lui confie: Je regarde maintenant l'entreprise commemorte ; il n'y a plus prononcer sur elle que les dernires prires 28. Il confirme ce jugement le lendemain dans une lettreadresse Benedetto Croce : La revue dont je vous avaisenvoy le programme ne paratra pas ; il y a eu trop de complications 29. En deux mois, d'octobre novembre, ces complications ont eu raison des efforts de plusieurs annes, fait voleren clats le petit groupe patiemment runi par Georges Valois, ettransform en chec un projet prometteur.En fait, ds le dpart, un lger dsaccord oppose les monarchistes et Georges Sorel sur le ton donner la revue. Il s'enouvre Berth :

    Je crois que la revue projete devra, pour russir, avoirune allure plus calme que celle que conoit Valois ; il fauten bannir autant que possible le caractre politique30.

    Quelques mois plus tard, il voque nouveau cette divergence, avec plus de vhmence cette fois :// faudra nous opposer radicalement ce que la revue

    entre dans l'actualit de la politicaillerie ; Valois se trompetotalement quand il croit que nous avons qualit pour prononcer des jugements sur le monde ; nous n'avons pas encore l'autorit ncessaire. Vous avez vu avec quelle vigueurje me suis oppos ses ides sur ce point 31.

    Ce qui, au dbut, n'est qu'un diffrend sur les orientationsde la publication, menace de se transformer en querelle. Il sembleque les royalistes aient tent d'entraner l'quipe sur le terraindes luttes politiques, pour en venir sans doute, tt ou tard, laquestion monarchique. C'est ce que Sorel, souhaitant, nousl'avons vu, une collaboration sans compromission, se refuse faire. Valois essayerait ainsi de le manipuler: l'intrt est detaille, avec le philosophe dans ses rangs, ou parmi ses sympathi-28. Lettre de Georges Sorel Edouard Berth, le 27 novembre1910, n 70, ibid., p. 127.29. Lettre de Georges Sorel Benedetto Croce, le 28 novembre910, cite in ibid., p. 127, n. 149.30. Lettre cite, n 63, ibid., p. 118.31. Lettre de Georges Sorel Edouard Berth, le 11 novembre1910, n 68, ibid., pp. 123-124.

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    sants, l'Action franaise pourrait s'enorgueillir d'une recrue prestigieuse. Profres par sa voix, les imprcations antidmocratiquesagneraient en influence. Par consquent, une fois les postes honorifiques concds, on assiste une sourde lutte d'influence au sein de la rdaction, les deux partis cherchant enprendre le contrle rel.Cette rivalit explique peut-tre l'hostilit qui nat, courantnovembre, entre Valois et Variot, dont Sorel s'alarme dans sacorrespondance32. Le philosophe prend prtexte de la menaced'exclusion qui flotte sur Variot pour amorcer son dsengagement:l annonce Berth qu'il renonce la direction de larevue. Le vritable problme restait toutefois celui du contrlede la publication, comme en tmoignent les calculs de l'auteurdes Rflexions :

    Pour russir, il me fallait une autorit indiscute, afinde pouvoir carter la copie faible; j'avais cette autorit,puisque je disposais de trois voix sur cinq. Le dpart deVariot aurait tout chang. [...] Je demeure collaborateur ;nous avons donc toujours trois voix sur cinq 33.Sorel, connaissant les divergences de fond qui l'opposent Valois, souhaite se rserver un droit de regard sur les articles;

    sa position de directeur et la majorit dont il dispose la rdaction ui confrent assez de poids. Il avoue cependant Berth: II m'a sembl qu'on cherchait esquiver mon contrle. Sadmission signifierait alors son refus de cautionner de son noml'ventuelle drive de la Cit franaise vers les polmiques royalistes. Il prcise : Je me tiens toujours prt donner les 400pages de collaboration, si nous ne versons pas dans les criaille-ries d'Action franaise. II conseille alors son correspondantde prendre la direction de la revue. Soit que ce dernier ait refus,soit que la querelle en soit arrive un point excluant toute co llaboration, le projet est abandonn ds la fin du mois de novembre.Avant mme d'avoir pu produire une uvre commune, legroupe clate. Dans la polmique qui oppose ses membres, il estdifficile d'attribuer les responsabilits. L'intrt d'un tel procsdemeure douteux. Relevons simplement quelques faits. La pro-

    32. Ibid., p. 123.33. Lettre cite, n 69, ibid., p. 125.

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    position vient du ct des monarchistes, elle intervient vraisemblablement peu aprs la rencontre Valois-Berth. Ils montrent untel empressement qu'ils vont jusqu' renoncer tous les postesde direction pour vaincre les dernires hsitations de Sorel, quiles prend au mot et entend assumer pleinement son autorit. Cerenoncement n'tait toutefois que feinte, puisque trs vite desdiffrends clatent entre les deux tendances. Valois tirera lesleons de ces dconvenues, et lorsqu'il entreprend en 1911 derenouveler une telle entreprise, il le fait selon d'autres modalits.Aprs cet chec, Sorel s'loigne des milieux monarchistes. Variotlui offre alors de diriger une revue qui sera cette fois entirement lui. Il en annonce la cration Berth, le 3 fvrier : Vous trouverez ci-joint le prospectus de l'Indpendance que Variot estparvenue mettre sur pied et qui parat devoir marcher. Le premier numro parat le 1 mars 34. Berth reste dans le sillagede Valois, il s'est lui aussi brouill avec Variot et a refus departiciper son journal 35. Il fera partie des fondateurs du CercleProudhon, signant d'un pseudonyme transparent, Jean Darville 36,la Dclaration qui figure au premier numro des Cahiers.

    Les origines du Cercle Proudhon

    Quelques lignes suffisent Georges Valois pour voquerdans ses mmoires, sur un ton volontairement neutre, l 'exprience du Cercle Proudhon37. Peut-tre masquent-elles le souvenir mu de cette soire inaugurale du 16 dcembre 1912, otout semblait encore possible. Le Cercle Proudhon ne nat cependant pas lors de cette manifestation mmorable, au cours delaquelle, en prsence de Charles Maurras, il se rvle enfin aumonde, o ses membres les plus en verve lancent de vibrantsappels aux bonnes volonts, o la figure du grand Proudhon est exhume des dcombres sous lesquels les dmocrates la maintenaient. Sa prparation occupe une partie de l'anne 1911. Entrel'ide initiale et la formule prsente en dcembre, le projet a

    34. Lettre de Georges Sorel Edouard Berth, le 3 fvrier1911, n 77, ibid., n 5, 1987, p. 144.35. Ibid., p. 145.36. Il reprend ainsi le nom d'un des quatre personnages deses Dialogues socialistes de 1901, Edouard Darville (GeorgesNavet, Le Cercle Proudhon... , art. cit., p. 20) .37. Georges Valois, D'un sicle l'autre, Paris, Nouvelle Li-brai Nationale, p. 257.63

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    firme : Les Franais qui se sont runis pour fonder le CercleProudhon sont tous nationalistes 43.Point de rencontre l'origine du projet, le Cercle Proudhonnat officiellement l'extrme-droite. Ce fait important permettra d'expliquer par la suite son volution. Nous n'avonstrouv aucun document supplmentaire concernant cette priodede fonctionnement du Cercle qui se situe avant son largissement des non-monarchistes : l'Action franaise ne mentionnepas ses ventuelles runions, il ne se fait pas connatre par despublications. Cette priode est cependant des plus brves, puisque, rapidement, le Cercle s'ouvre d'autres milieux. Surgitalors l'espoir, cher au cur de Valois, d'une alliance entre lesdeux extrmes: Au cours de l't 1911, l'ide premire setransforme, et le Cercle devient commun aux nationalistes etaux antidmocrates dits de gauche M. La petite socitaccueille ainsi des hommes issus des milieux syndicalistes quis'insrent dans une structure nationaliste prexistante. Ils sontles invits des monarchistes, et par consquent se trouvent d emble en position d'infriorit. Le schma de la Cit franaisese reproduit, mais invers. A la revue, c'est Valois et Gilbertqui taient officiellement accueillis par Sorel et Berth. Cetteunion prside une nouvelle naissance du Cercle, voque nonsans lyrisme par Henri Lagrange :

    Malgr l'industrie des intellectuels, des tratres et despoliticiens, malgr la vigilance intresse et la svre surveillance exerce par tous les fonctionnaires et par tous lesmercenaires de la Ploutocratie internationale, des citoyensfranais, nationalistes et syndicalistes, franchirent les barrages policiers, et, se rejoignant, connurent qu'ils taient demme chair et de mme langue, et pareillement ennemis desutopies dmocratiques et de la tyrannie capitaliste. De cetterencontre naquit le Cercle Proudhon 4S.

    Cration nationaliste l'origine, le Cercle devient dans l'esprit mme de ses membres la manifestation la plus labore d'unealliance prometteuse. Les textes des Cahiers insisteront sur sadiversit, sur ses richesses humaines : Le groupe initial, ainsi43 Les VIII, Dclaration , Cahiers du Cercle Proudhon,V cahier, janvier-fvrier 1912, p. 1.44. Georges Valois, Notre premire anne, art. cit., p. 157.45. Henri Lagrange, L'uvre de Sorel... , art. cit., pp. 126-

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    tendu, comprend des hommes d'origines diverses, de conditionsdiffrentes, qui n'ont point d'aspirations politiques communes 46.Ses activits demeurent encore secrtes au retour des grandesvacances. Un entrefilet qui parat dans l'Action franaise ils'agit de la premire mention de l'organisation dans les colonnesdu quotidien stipule: Les membres du Cercle Proudhonsont pris de se runir le mardi 3 octobre, 9 heures du soir,au lieu de la premire runion pour examiner le programme desrunions et travaux de 1911-1912 47. Communiqu sibyllin quis'adresse quelques initis et prouve que le Cercle existe biencomme structure organise avant le 16 dcembre. Il choisit cependant ette date pour dvoiler son jeu: un programme dense derunions et de confrences, une ambition leve, celle d'organiser a cit franaise, une revue en prparation, le soutien desplus minentes personnalits de l'Action franaise. Cette soireconstitue la premire manifestation publique d'une entreprisesecrtement prpare depuis plusieurs mois, coup d'clat rvlant au grand jour les alliances contractes dans l'ombre, maisqui n'est en dfinitive que la troisime tape d'une cration.Les itinraires des premiers membres du Cercle passent parla Revue critique des ides et des livres. Cette publication formeun vivier dans lequel Lagrange et Valois vont puiser leurs collaborateurs. L'historien dispose de deux listes permettant de comptabiliser une partie de ces adhrents. A la fin de la Dclaration'intention, qui ouvre les travaux du groupe, huit signatures sont apposes. On relve Jean Darville, Henri Lagrange,Gilbert Maire, Ren de Marans, Andr Pascalon, Marius Riquier,Georges Valois et Albert Vincent 48. La Revue critique a publi,quelques semaines auparavant, une liste lgrement diffrente,qui comprend Jean Darville, Albert Delafosse, Pierre Galland,Jean Herluison, Henri Lagrange, Gilbert Maire, Ren de Marans,Andr Pascalon et Georges Valois49. Au total onze personnesqui forment le premier noyau du groupe, parmi lesquelles dix ontcollabor, collaborent ou collaboreront la Revue critique.Ren de Marans l'a dirige plusieurs annes, avant de cder sa

    46. Les VIII, Dclaration , art. cit., p. 1.47. L'Action franaise, 1er et 3 octobre 1912.48. Les VIII, Dclaration , art. cit., p. 2.49. Le Cercle Proudhon , Revue critique des ides et deslivres, 10 janvier 1912. Des notices biographiques succinctes concernant es personnages ont t tablies dans Graud Poumarde,Le Cercle Proudhon..., op. cit.66

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    place Eugne Marsan. Galland, Valois et Lagrange y tiennentchacun une chronique en 1911. Herluison, Darville, MariusRiquier et Delafosse y publient des articles. Gilbert Maire etAndr Pascalon la rejoignent en 1913. Mieux, sur l'ensembledes membres que nous avons russi identifier, soit 35 individus, 6, prs de la moiti d'entre eux, ont entretenu des liensavec la publication. Rien d'tonnant cela, puisque GeorgesValois, voquant les annes 1910-1911, se rappelle: Le centrede nos travaux tait la Revue critique des ides et des Uvres.C'est l que nous tenions, presque chaque soir, des runionsd'une animation extraordinare 50. L'historique de la revue,publi dans le premier numro d'aprs-guerre, rappelle com-plaisamment l'atmosphre de bouillonnement intellectuel qu'onrespirait dans ses locaux de la rue de Rennes :

    Ds Je dbut, et mme dans la petite gazette mensuellequi avait prcd la fondation de la revue, notre grouped'tudes avait t suivi par des jeunes gens au nom desquels les nomenclatures de la politique quotidienne auraientattach des tiquettes bien diverses, lorsqu'elles n'auraientpas t embarrasses d'en trouver une qui convienne. Parla suite, le Cercle de nos collaborateurs n'avait pas cessde s'tendre. Et nos amis les plus proches assurant la publication et la rdaction rgulire, nous avions le plaisir devoir la Revue critique, choisie pour lieu de rencontre pardes crivains de toute origine.

    Jeunesse, enthousiasme et libert, tels sont les trois mots quicaractrisent l'esprit qui y rgne. Valois a toute latitude pour yfaire des adeptes ou pour inviter ses amis s'exprimer dans sespages. Edouard Berth publie un premier article dans cette revuele 10 octobre 1910. Aprs l'chec de la Cit franaise, il maintient sa collaboration avec un second papier en avril 1911, intitul Le procs de la dmocratie 51. Son zle le conduit assister le mme mois au dner d'anniversaire de la publication 5Z.

    50. Georges Valois, Notre deuxime anne, Cahiers duCercle Prciidhon, 5e et 6e cahiers, juillet 1913, p. 255.51. Edouard Berth, La rforme et la critique positive,Revue critique, n 60, 10 octobre 1910, pp. 44-60. Id., Le procsde la dmocratie , ibid., n 72, 10 avril 1911, pp. 9-46.52. Le dner de la Revue Critique , Revue critique, n 74,10 mai 1911.67

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    De mme, Marius Riquier, fondateur avec Emile Janvion dujournal Terre libre, en novembre 1909, participe l'enqute surles manuels scolaires lance par la Revue critique. C'est doncdans ce cadre que se nouent les relations, les alliances, les amitis qui aboutissent la fondation du Cercle Proudhon.Mais aprs celle-ci, Iqs liens avec la revue vont peu peu sedtriorer. En guise d'explication, Valois voque l'volution descentres d'intrt de ses rdacteurs :

    [En 191 1] la Revue critique devenait presque exclusivement littraire, ce qui ne paraissait pas permettre unlarge dveloppement nos tudes. Il tait regrettable d'yrenoncer, parce que, les uns et les autres, nous y avions travaill pendant plusieurs annes et nous avions acquis unpublic. Mais l'hsitation tait impossible, notre objectifri tait pas la conqute des salons littraires .La conclusion est invitable : Nous fmes donc obligs denous sparer d'excellents amis et nous dcidmes de fonder leCercle Proudhon. La naissance du Cercle Proudhon, dans les premiers moisde l'anne 1911, est donc loin d'tre spontane. Sa cration inter

    vient aprs un long ttonnement, aprs plusieurs tentatives souvent infructueuses, menes par l'Action franaise pour se rapprocher du monde ouvrier. Une alliance entre le mouvementmonarchiste et le syndicalisme rvolutionnaire, ce n'est pas audpart une vidence. Cet historique a permis de mettre en valeurle rle majeur jou par Georges Valois dans la conceptualisation,puis la ralisation pratique, de cette union. Il en est sans contestele matre d'uvre intellectuel et l'artisan patient. Son parcoursle prdispose cette fonction de mdiation entre deux mondesqui s'ignorent, voire se combattent. Pass de l'anarcliisme aumonarchisme, ptri par la lecture de Sorel et Maurras, il est lapreuve vivante de la possibilit de la synthse envisage. D'autrepart, la localisation de la gense du Cercle, la droite du paysage politique, vient d'tre clairement tablie. Le mouvementmonarchiste prouve pour les classes laborieuses une curiosit,

    53. Marius Riquier, Les manuels scolaires : les manuels delecture , Revue critique, n 62, 10 novembre 1910, pp. 285-315.Id., Les lectures scientifiques (manuels scolaires) , ibid., n 70,10 mars 1911, pp. 575-587.54. Georges Valois, D'un sicle l'autre, op. cit., p. 257.68

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    un intrt, voire un vritable engouement, sentiments qui sontloin d'tre rciproques. Autrement dit, le Cercle n'est en aucuncas, au dpart, le fruit d'une rencontre prexistante entre syndicalistes et royalistes. Il se conoit, au contraire, comme la structure, forme au sein de l'Action franaise, qui doit permettrecette rencontre, comme un cadre destin accueillir de nouvelles recrues issues des milieux rvolutionnaires. Certes, si quelques gars comme Edouard Berth sont prsents ds la premire heure, l'essentiel du travail de propagande et de recrutement este cependant faire. En dcembre 1911, malgr l enthousiasme de ses membres et leurs ambitions leves, le CercleProudhon ressemble encore une outre gonfle de promesses ; ilfaut dsormais savoir si les fondateurs pourront les tenir.La nbuleuse du Cercle Proudhon

    En l'absence de registre dtaill, il apparat impossible d'nu-mrer exhaustivement les adhrents du Cercle. Seules quelqueslistes parues dans la Revue critique, \ts Cahiers ou l'Actionfranaise fournissent des indications sur sa composition. Deuxd'entre elles concernent les fondateurs ou les tout premiers membres du groupe 55, deux autres relvent les signatures apposes aubas de proclamations du Cercle56, la dernire mentionne lesconvives prsents au dner donn en hommage Georges Sorel 57.Trente-cinq individus sont ainsi recenss, tous ont frquent un moment le Cercle Proudhon. Cette liste ne saurait tre dfinitive, de nouveaux documents pouvant rvler d'autres part ic ipants ; elle n'en est pas moins reprsentative : Valois, deuxreprises, dans les pages des Cahiers, n'estime pas plus d'unevingtaine d'individus les effectifs de la petite socit de pense.Son objectif tait clair, runir une vingtaine de personnespour l'tude de l'conomie moderne et la recherche des principes d'une conomie nouvelle 58. Vingt, tel semble le chiffre

    55. Le Cercle Proudhon, art- cit., p. 91. Les VIII, Dclaration , art. cit., p. 2.56 Dclaration du Cercle Proudhon , Cahiers du CercleProudhon, 3e et 4e cahiers, mai-aot 1912, p 175. A CharlesMaurras , Action franaise, 30 janvier 1913.57. Hommage Georges Sorel*, Cahiers du Cercle Proudhon, 3e et 4e cahiers, mai-aot 1912, p. 110. Remarquons quecet hommage tait tout fait gratuit : il ne saurait en rien prsumer des opinions de Georges Sorel qui n'a pas assist cedner et se tenait loign des activits du Cercle.58. Georges Valois, * Notre premire anne , art. cit., p. 150.69

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    moyen atteint par l'assistance lors des runions hebdomadaires 59.Les listes signales corroborent ces affirmations : celle du dnercomprend vingt-deux noms, pour les dclarations des 3 avril1912 et 29 janvier 1913, on compte . respectivement dix-neufet dix-sept personnes. Stabilit des effectifs qui masque les changements, les renouvellements. En dfinitive, c'est une quarantaine e personnes qui participrent sans doute aux activits duCercle.

    Il est vraisemblable que des membres nous chappent. Valoisprcise qu'au dner du 27 mai 1912, sont prsents la plupartdes personnes qui ont suivi les sances de travail du Cercle 60.Il en manque donc, et rien ne prouve que les absents se trouvent parmi les nouveaux noms apparus dans les autres recensions. D'autres part, les indications dont nous disposons ne nouspermettent pas de cerner avec prcision les arrives ou lesdparts des membres du Cercle. Le fait de ne pas tre cit dansune liste ou deux ne signifie pas forcment que l'on a rompu aveclui. Ces zones d'ombre qui subsistent nous incitent par consquent la plus grande prudence dans le traitement des informations rcoltes. D'autant qu'un simple nom signifie en lui-mme peu de choses, s'il n'est pas accompagn de renseignementsupplmentaires, et dans certains cas, il n'a pas t possible d'en obtenir.

    Le caractre fragmentaire de notre documentation nous aconduit adopter des grilles de lecture simples. L'tude des adhrents du Cercle sera ainsi envisage dans deux perspectives essentielles, le rle qu'ils tiennent dans les activits du groupe et leurrpartition entre monarchistes et syndicalistes. Nous tenteronsensuite d'esquisser un portrait-type de ces membres qui permettra une approche plus statistique des donnes.

    Plusieurs critres, en fonction des activits proposes, peuvent tre retenus pour envisager la place qu'occupe chacun ausein du groupe, la participation aux reunions, la rdaction d'articles our les Cahiers, l'intervention lors de confrences, auxquels s'ajoute ventuellement la qualit de fondateur. L'examende chaque cas d'aprs ces quatre perspectives permet larpartition en trois sous-groupes de l'ensemble des personnes

    59. Ibid., p. 167.60 Georges Valois, Hommage Georges Sorel , art cit.,. 110.70

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    qui peuvent avoir un lien avec le Cercle. Que l'on se reprsenteune figure forme de cercles concentriques: au centre, se placele noyau des meneurs, pour la plupart mentionns parmi lesfondateurs, ils signent rgulirement dans la revue, sont remarqus our leur assiduit, et n'hsitent pas se montrer brillantsorateurs. A proximit, dans l'anneau qui jouxte le centre, prennent place les assidus qui, par la frquentation des runion?,acquirent nos yeux le statut de membre. La zone extrieureest rserve aux sympathisants, aux curieux aussi, qu'il est difficile d'identifier ; le public des confrences, les compagnonsd'un soir de runion, les abonns ou les acheteurs au numrode la revue, forment un peuple de fantmes peine entraperuen arrire-plan du Cercle. ' '

    Sur l'ensemble des participants aux recherches du Cercle,rares sont ceux qui ont une activit ditoriale : ils ne sont quehuit avoir appos au moins une fois leur signature dans lesCahiers. Il s'agit de Jean Darville, Pierre Galland, GeorgesValois. Gilbert Maire, Henri Lagrange, Albert Vineent, Ren deMarans et Maurice Mayrel. Parmi ceux-ci, seuls Darville, Ln-grange et Valois sont prsents toutes les runions pour lesquelles nous disposons d'une liste. Ces trois sont aussi mentionns parmi les fondateurs, et nous savons quel rle determinant ils jouent au moment de la cration du Cercle : l'ide originale revient Henri Lagrange ; Berth et Valois, qui ont tousdeux particip l'exprience de la Cit franaise, s'y associentrapidement. Ces hommes forment donc le cur du groupe, ilsassurent son dynamisme et entranent leur suite les autresmembres moins brillants. Le cas de Valois est exemplaire : ildploie pour la russite de l'entreprise une activit sans limites.Il fournit aux Cahiers neuf artieles, soit 126 pages de collaborationqui reprsentent plus du tiers du total des pages publies.Sur les quatorze confrences du Cercle que nous avons recenses, il est charg pour six d'entre elles de faire l'expos. Ilapparat sous bien des aspects comme le chef officieux du petitgroupe : c'est lui qu'il revient de dresser chaque anne lebilan de ses activits ou de polmiquer avec les adversaires dclars de l'entreprise qu'il dirige. La ferveur qui se dgage deses articles signale les espoirs qu'il a placs dans cette allianceavec les syndicalistes. Darville et Lagrange l'assistent dans cettetche de direction. Le premier donne ainsi aux Cahiers troisarticles de fond, soit plus de soixante-dix pages, et- prononcedeux confrences. Aux cts de ces meneurs, ple de dyna-

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    misme dans la petite socit de pense, se distinguent les assidus *.Par ce qualificatif, nous dsignons les membres du Cerclequi se contentent de participer ses runions, ne cherchant pas publier les conclusions de leurs rflexions, ni n les exposer enpublic. Leur rle dans les activits du groupe est difficile determiner avec exactitude. Thoriquement, ils en sont les acteurs aumme titre qu'un Valois ou un Berth. Les runions hebdomadaires, ites de travail, sont destines l'examen communde diverses questions conomiques ou sociales. Elles ont pourprincipe le partage des expriences de chacun. C'est au coursde telles sances que doivent se dgager les principes organisateurse la cit franaise, qui sont par la suite exposs clairement au cours de confrences ou dans les pages des Cahiers.En fait, compte tenu de l'influence exerce par les meneurs etleurs ides, la plupart des participants sont rduits la passivit.Une minorit dcide ainsi de l'orientation idologique du Cercleet l'impose tous. Rares sont ceux qui, parmi les auditeurs, sontmentionns trois fois dans les listes. Octave de Barrai partage cethonneur avec Gndin. Pierre Lecur. Rodolphe Sudre et Jacques Toussaint. Six le sont deux fois61. Neuf ne sont prsentsqu' une seule des manifestations pour lesquelles nous disposonsde listes62. Pour ces derniers se pose avec plus d'acuit le pro- de la dure de leur engagement au Cercle. Il est probableque ce manque de rgularit trahisse un certain dsintrt pourles travaux du groupe : il nous est cependant impossible depousser plus loin l'analyse, et notamment de distinguer entreceux oui ne le frquenteraient qu'pfcodiquement, et ceux qui,l'avant ctoy un temos, l'auraient quitt par la suite.L'audience du Cercle a beau tre limite, elle existe nanmoins et dpasse sans doute les milieux troits o se recrutentses adhrents. Aprs la parution des deux premiers Cahiers,Valois dresse un constat satisfaisant :

    Nos deux premiers Cahiers nous ont valu cent abonnements, dont quarante l'dition sur Arches; la vente aunumro a t de cent exemplaires par cahier Paris seule-61. Il

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    ment; nous avons lieu d'tre satisfaits par ces premiersrsultats M.Pour un tirage de six cents cahiers par livraison, le chiffreannonc est honorable. Sans compter les envois gracieux et les

    ventes en province, plus de trois cents personnes auraient ainsi euaccs aux deux premiers numros. Tous les acheteurs ne partagent sans doute pas les ides de Valois et de ses amis, la curiosit, 'apptit intellectuel peuvent en motiver certains. Sorel, parexemple, s'abonne ds qu'il reoit un exemplaire de la revue : J'ai reu ce matin le premier des Cahiers du Cercle Proudhon ;je vais m'y abonner 6\ Gatan Pirou 65 en possdait une collection omplte qu'il a lgue la bibliothque de droit Cujas.C'est par les Cahiers que le chroniqueur de l'Echo de Paris,Junius, soucieux de reprer les manifestations originales de l'esprit, dcouvre le groupe. Ces quelques exemples permettent desouligner l'htrognit du public qui s'intresse ses activits.Sympathisants, curieux, espions aussi, ils forment une foule anonyme qui ne s'carte que pour laisser apercevoir quelques personnalits, reconnues au hasard d'une runion. Le compte rendude la premire confrence extraordinaire du Cercle, le 1 mai1912, mentionne la prsence dans la salle de MM. Henri Daganet Antonelli, de la Dmocratie sociale, ainsi que de Benja-min-R. Tucker, l'crivain amricain 66. Les autres figures demeurent lointaines. Leur nombre, leurs motivations, leurs origines nous sont inconnus. Aux marges du Cercle, il est undomaine qui chappe en partie aux investigations des historiens.Inversement, l'entreprise a suffisamment marqu les esprits pourquo'n y implique, tort ou raison, plusieurs personnalits mi-nentes, notamment Georges Sorel.

    63. Note de l'administration des Cahiers , Cahiers du CercleProudhon, 3e et 4e cahiers, mai-aot 1912, p. 176.64. Lettre de Georges Sorel Edouard Berth, le 15 mars 1912,e 101, Cahiers Georges Sorel, n 5, 1987, p. 174.65. Professeur d'Economie politique la Facult de Paris,Gatan Pirou est l'auteur d'une thse qui n'a sans doute pasmanqu d'intresser les membres du Cercle Proudhon : GatanPirou, Proudhonisme et syndicalisme rvolutionnaire, Thse deDroit, Paris, A. Rousseau, 1910.66. Alain Mellet, La runion du Cercle Proudhon , l'Actionfranaise, 3 mai 1912.

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    Sorel et le Cercle : une ide reueII s'agit maintenant de dissiper dfinitivement toute quivoque son sujet. Le cas du philosophe a dfinitivement tlucid par la publication de sa correspondance avec Edouard

    Berth. Il est clair qu'aprs l'chec de la Cit franaise, Sorels'loigne de l'Action franaise et ne suit plus ses activits qued'un il distrait et lointain. Il apprend vraisemblablement lacration du Cercle par les annonces qui prcdent la confrenced'ouverture du 16 dcembre 1911, et fait part de sa dcouverte Berth, dont il ignore encore manifestement la participation l'entreprise : J'ai vu dans l'Action franaise que les royalistesont fond un Cercle Proudhon 67. D'emble, il ne mnagepas ses critiques son gard :

    Je suis persuad que les amis de Maurras sont fort lgers. Autre chose est d'admirer Proudhon en reconnaissantque le temps est venu de l'introduire dans la littraturefranaise ou de prtendre annexer Proudhon l'Actionfranaise 68.

    Ayant appris que son ami tait de l'entreprise, il tente, deuxjours plus tard, de le dissuader :En rflchissant hier soir au Cercle Proudhon, je mesuis persuad que cette entreprise est condamne ne pasavoir le moindre succs, je redoute qu'elle ne contribuequ' rendre les jeunes gens moins aptes comprendreProudhon, parce que, pour entendre celui-ci, il faut faireabstraction de tous projets politiques, et ce cercle se trouvesous des patronages qui lui donnent une couleur trs pol itique ; l'Action franaise, en subordonnant tout la poli

    tique, au seul plan scolastique de forme de gouvernement,se montre trs hostile au cours d'ides dans lequel il fautse placer pour juger Proudhon.Il me semble que vous feriez mieux de ne pas vous associer une affaire qui ne peut donner de bons rsultats69.67. Lettre de Georges Sorel Edouard Berth, le 22 dcembre1911, n 94, Cahiers Georges Sorel, n 5, 1987, p. 166.68. Ibid.69. Lettre de Georges Sorel Edouard Berth, le 24 dcembre

    1911, n 95, ibid., p. 168.74

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    Avant mme la publication de ses premires tudes sur Prou-dhon, Sorel fait preuve d'une grande lucidit propos du projet. Nourri de l'exprience de la Cit franaise, il pressent ladformation que les ides proudhoniennes risquent de subir cause de la passion politique qui rgne au sein du mouvementmonarchiste. Malgr ses rserves initiales, l'auteur des Rflexionssuit la progression du Cercle, non sans intrt, sans jamais toutefois e rejoindre: c'est, selon Pierre Andreu70, une lettre de samain qui aurait t publie dans le numro 3-4 d'aot 1912. Enjuillet 1913, la revue rcidive avec une lettre de Sorel ' Berth;cette fois, elle est signe71. Il convient toutefois de rpter quecet intrt ne dpasse jamais celui que peut prouver tout lecteur attentif et curieux des manifestations de l'esprit et excluttotalement toute participation du philosophe aux activits dugroupe.

    Une surreprsentation des monarchistesEn dfinitive, si l'on regroupe les quelques fondateurs fid

    les usqu'au bout l'entreprise, et les auditeurs les plus assidus ses runions, c'est un petit noyau ne dpassant gure la dizainede personnes qui forme les troupes les plus sres du Cercle.Sorel l'avait prdit Berth: Valois trouvera quatre ou cinqpersonnes pour le suivre 72. Ce dsintrt pour la formule contraste avec l'espoir qui inspire la Dclaration et les premiresconfrences. On s'attendait voir affluer les reprsentants lesplus divers des deux grandes traditions antidmocratiques, enfinrunies. La discussion tait ouverte, on la prvoyait longue etfructueuse. Rien de tout cela n'arrive. L'indiffrence ressentiepour cette initiative provient peut-tre de ce qu'elle ne remplitpas ses promesses, et notamment la premire d'entre elles: lessemaines passent et les syndicalistes attendus ne s'annoncent pas.

    70. Sorel collabora pourtant anonymement, sous la formed'une lettre non signe, aux Cahiers du Cercle Proudhon. LesCahiers publirent dans leur numro d'aot 1912 une lettreanonyme qui, rapproche de la correspondance de Sorel . Berth,peut lui tre attribue avec certitude (Pierre Andreu, Notrematre..., op. cit., p. 86, n. 1).71. Cite dans Georges Valois, La direction de l'oeuvre prou-dhonienne et le cas Halvy, Cahiers du Cercle Proudhon, 5e ete cahiers, juillet 1913, pp. 263-265. . ' -72. Lettre cite, n 95, p. 168. . \ ..:..-' -*:

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    Il nous appartient prsent de vrifier sur le terrain sil'alliance s'est concrtise. La biographie de chaque membredoit tre examine, afin de dterminer ses origines politiques.Les critres retenir sont, semble-t-il, vidents : deux groupessont en prsence, les nationalistes et les syndicalistes, groupesdistincts, clairement dfinis, du moins dans la rhtorique duCercle. Or sur 35 membres du Cercle Proudhon recenss, nousavons pu, pour 25 d'entre eux, soit les deux tiers, tablir clairement leur appartenance au mouvement royaliste. Cinq ne proviendraient pas du monarchisme, Albert Vincent, qui se prtend rpublicain fdraliste, Pierre Galland, qui serait unjeune syndicaliste, Marius Riquier, collaborateur de Janvion aujournal Terre libre, Maurice Mayrel, qui viendrait de la SFIO,et Jean Darville, pseudonyme d'Edouard Berth, le disciple deGeorges Sorel. L'origine des cinq autres n'a pu tre dtermine ;sa dcouverte ne modifierait pas fondamentalement des chiffresqui soulignent l'crasante domination des ligueurs au sein duCercle. Les rares syndicalistes qui s'y aventurent sont par consquent noys dans la masse. La surreprsentation des royalistesreflte la connivence qui existe au dpart entre le groupe et lemouvement de Maurras : le Cercle a t fond par des nationalistes, et ne s'est dans un premier temps adress qu' eux.L'initiative en revint quelques tudiants 73 : une partie de lajeune gnration royaliste se lance dans cette aventure, attirepar le charisme des meneurs, Valois ou Lagrange, sans douteaussi par l'atmosphre sulfureuse qui entoure cette tentativequasi alchimique de souder deux traditions qui jusqu'alors s'ignoraient, voire se combattaient. Les ans ne dpassent pas quarante ans: Berth, en 1911, a trente-six ans, Valois, trente-trois,tout comme Octave de Barrai ou Henri de Barrs, qui ont peine la trentaine. Ces trois derniers appartiennent ce queMaurras a coutume d'appeler la seconde gnration de l'Action franaise, celle qui tait appele prendre la relve desfondateurs la direction du mouvement et qui sera fauche parla Grande Guerre. Ils sont installs dans la vie. Valois travailledans l'dition, Barrs est un avocat de Bziers. Ils encadrent deleur savoir et de leur exprience des luttes les autres adhrents,dont le benjamin pourrait tre Henri Lagrange, g d' peine

    73. Georges Valois, Pourquoi nous rattachons nos travaux l'esprit proudhonien ? , Cahiers du Cercle Proudhon, 1er cahier,janvier-fvrier 1912, p. 34.76

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    dix-sept ans lorsque le Cercle est fond. La jeunesse est un desatouts du Cercle. Pierre Lecur est de la classe 1913. Il part pourle rgiment cette anne-l, rejoint par Rmy Wasier qui prfredevancer l'appel. Louis Fageau revient du service militaire lamme anne.Beaucoup appartiennent aux Camelots du Roi et s'illustrentdans les nombreuses bagarres qui agitent le pav parisien. Quel

    ques-uns sont tudiants, Bernanos apprend les lettres et le droit,Pascalon s'intresse aux mmes matires, Lagrange est lycen etRogier aux Arts-Dco. D'autres viennent d'entrer dans la vieactive, Pierre-Romain Desfosss est garagiste, visiblement tabli son compte, Jean Herluison, pseudonyme de Longnon, a co llectionn les diplmes, licenci s-lettres, lve diplm del'Ecole pratique des hautes tudes, il entre en 1909 l'Ecoledes Chartes. L'Action franaise n'hsite pas entretenir d'autrepart ceux de ses militants qui ont du mal trouver un emploi.Fageau est ainsi hberg l'Institut d'Action franaise et reoitune petite pension mensuelle. A partir de 1912, Joseph Boissieret Pierre Lecur assistent Georges Valois lorsqu'il prend ladirection de la Nouvelle Librairie Nationale. La diversit caractrise par consquent le groupe : des intellectuels y ctoient desmanuels, des nobles y rencontrent des fils du peuple. Leur jeunesse et la participation commune aux luttes du mouvement lesrapprochent.Il est difficile de discerner les liens plus profonds qui unissentces jeunes gens. Les sentiments tels que l'amiti ou l'admirationlaissent peu de traces historiques. Certains viennent sans douteau Cercle la suite de Lagrange que Dimier dcrit la tte d'unebande d'amis fidles74. Il faut aussi souligner la part importante,dans le recrutement, des clientles de Georges Valois etd'Octave de Barrai. Ils ne se lancent pas seuls dans l'entreprisemais entranent avec eux leurs amis ou collaborateurs. Valois etBarrai dirigent deux sections dynamiques de l'Action franaise,celles des XIVe et XVITP arrondissements, situes dans desquartiers populaires. Le relev systmatique, dans les colonnesdu quotidien monarchiste, des confrences prononces par lesdivers membres du Cercle a permis de dcouvrir l'origine decertains d'entre eux. Pour la section du XVIIIe, outre RmyWasier, qui en a t le secrtaire depuis sa fondation, on compte

    74. Louis Dimier, Vingt ans d'Action franaise et autres souvenirs Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1926, p. 229.

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    Marcel Thibault. Robert Martin et Fernand Rogier secondent,quant eux, Octave de Barrai la Fdration de la Seine.Valois a de mme ses hommes dans la place, commis de laNouvelle Librairie Nationale, Lecur et Boissier, ou militantsdu XIVe ou de Montrouge, tels que Maurice Gudin et Pierre-Romain Desfosss. Le Cercle Proudhon est donc largement investi par les royalistes lorsque les syndicalistes sont invits yparticiper. Ils ont l'avantage du nombre et de la cohsion face des individus isols, et ils vont en profiter.Rares sont les hommes prts collaborer avec les monarchistes. Nous en avons compt cinq. Ils n'ont pas de rfrencescommunes, provenant d'horizons diffrents. Ils sont pour la plupart isols, en rupture avec leur milieu d'origine. Berth voluedans le sillage de Valois, aprs avoir quitt le Mouvement socialiste Mayrel est un transfuge de la SFIO ; propos d'AlbertVincent, Valois raconte comment cet instituteur rural de tradition rpublicaine en vint progressivement s'loigner de ladmocratie pour entrer en contact avec l'Action franaise. Leursolitude transforme donc ces gars en proies faciles. Le CercleProudhon rvle alors sa vocation secrte de machine convertirles syndicalistes la monarchie. Georges Valois remarque l'occasion du bilan de la deuxime anne du groupe : Enfin,nous avons continu de chercher des rpublicains. Tous lesrpublicains du Cercle taient devenus royalistes 75. Les nouvelles recrues ne rsistent pas longtemps la pression qui s'exercesur elles. L'insistance des royalistes, le sentiment confus qu'unrefus impliquerait l'obligation de quitter le Cercle, ont finalement raison de leurs ultimes rticences. Un un, ils finissent parsouscrire aux thses de l'Action franaise, reniements qui donnent lieu la publication de vritables communiqus de victoire : Nous pouvons maintenant vous informer des rsultats

    qu'ont eus des conversations et des correspondances engages sur ce ton : Maurice Mayrel nous a dclar qu'il n'estplus rpublicain, et Albert Vincent, qui reprsentait parminous les rpublicains fdralistes, est devenu royaliste76.Lorsque Berth, l'ami de Sorel, se laisse lui aussi sduire,Valois et ses amis vont jusqu' organiser un grand djeuner enson honneur. Mieux, Maurras fait tat de ces ralliements pour75. Georges Valois, Notre deuxime anne , art. cit.,' p. 271.76. Georges Valois, Notre premire anne , art. cit., p. 163.

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    se disculper des attaques des catholiques lui reprochant de tolrer cette rfrence Proudhon au sein de son mouvement :En 1911, deux des principaux membres du CercleProudhon, tous les deux pres de famille, reprsentaient,

    eux compris, dix personnes: de ce nombre, il y en avaitsix loignes du catholicisme, sur lesquelles, aujourd'hui,l'une a abjur le protestantisme, une autre est rentre dansl'Eglise avec laquelle elle avait rompu, trois jeunes enfantsont t baptiss, et la dernire s'est place sur les m arches du temple n.La conversion ne se limite donc pas au domaine politique,elle est aussi religieuse. Le Cercle permet d'oprer un retou

    rnement complet des personnes qui le frquentent. Valois mentionne de mme cette question de la foi :Des fondateurs du Cercle Proudhon, un seul tait catholique les autres sont tous d'anciens rpublicains ou rvo

    lutionnaires. Or, sur six personnes, en 1914, deux appartiennent corps et me l'Eglise, trois autres sont absolument ntres par la philosophie et la morale catholiqueset dsirent la foi, la dernire, de formation absolument laque, ne demande qu' vivre en accord avec son cur n.

    Adhsion au nationalisme, conversion la religion catholique, telles sont les consquences manifestes de l'alliance propose par Valois. En l'occurrence, il n'y a pas de synthse, maisplutt une absorption, une lente et progressive digestion dugroupe syndicaliste. L'appellation de groupe est d'ailleurserrone. Contrairement ce qu'ont voulu faire croire les Cahiers,il n'y eut jamais en face des monarchistes qu'une poigne detransfuges de l'extrme-gauche pour concrtiser la synthse espre. Par consquent, ces brebis gares ne sauraient tre reprsentatives du mouvement ouvrier, leur passage par le Cercle estli aux vicissitudes de leurs trajectoires et non une quelconquervlation de la vrit. Les monarchistes parviennent en tout

    77. Charles Maurras, L'Action franaise et la religion catholique, extrait paru dans l'Action franaise, 20 dcembre 1913.78. Georges Valois, Quelques tentatives d'agression contre leCercle Proudhon , Cahiers du Cercle Proudhon, 2e srie, 1er cahier,'janvier-fvrier 1914, p. 92.

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    point faire triompher leurs vues. La dception guette doncassurment le lecteur qui chercherait au sein de l'entreprise,dans les pages de ses Cahiers, les traces, mme tnues, d'unetroisime voie dessine entre le syndicalisme et la monarchie.En effet lire les listes de membres dont nous disposons,une constatation s'impose : la stagnation des effectifs du Cercleautour d'une vingtaine de participants. Cette relative stabilitcache des renouvellements. Ce ne sont pas forcment les mmesnoms que l'on retrouve dans les trois documents. Elle traduitnanmoins l'impossibilit, faute de recrues issues de Pextrme-gauche, de dpasser le stade du petit cercle d'tude, de la socitde pense confidentielle, pour se constituer en mouvement plusimportant.Le faible intrt des syndicalistes pour l'entreprise conduitles proudhoniens exalter dans les Cahiers le moindre transfuge.La prsentation dtaille de ces cas pourrait en inciter d'autres franchir le pas. Un certain Maurice Mayrel, venu des rangsde la SFIO, a ainsi les honneurs de la presse. On relate les discussions laborieusement engages avec lui, pour un rsultatsomme toute assez mince : Maurice Mayrel nous a dclarqu'il n'est plus rpublicain 79. Faute d'adhsions massives, lesrdacteurs en sont rduits analyser des exemples individuelsqui permettent la poursuite de l'entreprise. Lorsque ceux-ci sefont plus rares, ils en viennent tirer gloire de leurs checs.L'vocation, sur un ton victorieux, de l'arrive au Cercle d' undes derniers rpublicains qui vivent en France, un vrai, duvieux parti, et laque, et, chose extraordinaire, un jeune M,confine au ridicule :

    Nous l'accueillmes avec honneur; il fut heureux depasser une soire avec nous; nous lui parlmes de nosespoirs et de nos volonts, qui sont ardents ; il nous parlade sa vie chez les rpublicains, ce qui tait en somme asseztriste, et il en convenait, il venait chez nous pour purifierson esprit et peut-tre pour dissoudre son inquitude, quitait grande. Nous nous quittmes cordialement, aprs luiavoir remis des livres. Quelques jours aprs, il crivait l'un de nous une lettre d'adieu. H s'tait ressaisi . [Suit

    79. Georges Valois, Notre premire anne , art. cit., pp. 162-163.80. Georges Valois, Notre deuxime anne , art. cit., p. 271.

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    la publication de cette lettre, et Valois de conclure:]C'tait trs net et d'une belle franchise. Nous remercimesl'auteur de cette lettre, non sans lui exprimer notre regret.Mais devons-nous dire qu'il est revenu parmi nous? Ilveut rester rpublicain (et nous l'entendons bien), maisc'est chez nous seulement qu'il trouve l'intelligence des problmes sociaux. Nous sommes heureux de lui souhaiterici la bienvenue, et nous le remercions du prcieux tmoignage qu'il nous apporte 81.

    L'aveu d'impuissance dbouche malgr tout sur un constatsatisfait. En l'absence de nouvelles recrues, le Cercle tend produire des images de lui-mme qui servent conforter sesorientations. A mesure que ses principales prtentions prennent l'allure de rves utopiques, se dveloppe dans les pages desCahiers un discours fig. Les deux dernires pages du derniernumro en tmoignent: reprenant les termes de la dclarationd'ouverture, Valois y raffirme les objectifs du groupe, dont leprincipal n'est autre que l'tablissement de communicationsentre syndicalistes et nationalistes 82. La boucle est boucle ;aprs plus de trois ans d'exprimentations, le voici revenu son point de dpart. Malgr l'chec patent de l'entreprise, ilmaintient avec enttement le cap. La rhtorique rptitive quitriomphe alors ne parvient pas camoufler la sclrose d'unesocit de pense qui n'est pas irrigue par des apports nouveaux.

    Le Cercle Proudhon et la gnration d'AgathonL'originalit du Cercle ne se trouve donc pas dans ses ra

    lisations, dans cette prtendue synthse qui se rvle une utopieirralisable, elle rside seulement dans le projet, dans l 'enthousiasme t les espoirs qu'il porte. Il est le reflet d'une jeunessefrmissante et impatiente. Dans ce retour la religion, au cultede la patrie, l'exaltation des valeurs hroques, on retrouvebien des caractristiques de la gnration de 1914.Raoul Girardet, posant le problme d'une possible socio-

    81. Ibid., pp. 271-272.82. Georges Valois, Quelques tentatives d'agression... , art.cit., p. 93.

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    logie du nationalisme franais, parvient ces conclusions: On peut noter, comme particulirement caractristique du m ilieu social du nationalisme franais, le rle trs important quen'ont jamais cess d'y jouer trois catgories d'adhrents: lesintellectuels, les anciens combattants, et les jeunes gens, notamment es tudiants. C'est ainsi galement que l'on peut, sansrisque et grave contresens, situer au niveau de la petite etmoyenne bourgeoisie, le centre de gravit du public nationaliste :ces petits employs, ces comptables, ces commerants, ces officiers retraits M : l'analogie avec la composition du CercleProudhon est frappante. La jeunesse y est majoritaire, et lesintellectuels, les Valois, les Lagrange, les Berth, fortement reprsents. Restent les anciens combattants, ils ne le sont pas encore,mais la plupart d'entre eux essuieront les balles allemandes en1914-1918. Quant leur position sociale, ils appartiennent cesnouvelles couches, dont l'mergence s'affirme de plus enplus. Point chez eux de grands bourgeois, ils sont la Revuecritique. Berth est un petit fonctionnaire des Affaires sociales,Valois, un grant de librairie, Albert Vincent, un instituteur.On ne rencontre pas non plus d'ouvriers ou de paysans dans leursrangs. Si la composition du Cercle reflte les mutations socialesdu temps, ses adhrents se situent en dcalage par rapport lasocit idale qu'ils cherchent organiser. Aucun d'entre euxn'appartient vritablement aux trois grandes classes que leurstravaux ont dtermines. Ds lors, le thme de la marginalitpourrait clairer l'entreprise.Les nobles du Cercle, Barrai, Barrs, Mondion ou Bruchard,n'appartiennent pas la grande noblesse, celle des Salons etdes Chteaux, qu'exalte complaisamment Valois. Du coup, leurrle n'est pas clairement dfini dans les schmas simplistes quirgissent la Cit franaise. Il n'y a pas non plus dans le groupede reprsentants de la bourgeoisie industrielle et commerciale,la vritable bourgeoisie, qui organise la production et entretientdes rapports de force avec le proltariat. Quant aux rvolutionnaires,ls sont en porte--faux avec la classe ouvrire qu'ilsprtendent reprsenter. Un Berth, thoricien d'un syndicalisme-rvolutionnaire autonome et exclusivement ouvrier, n'est pas lui-mme un proltaire. Valois ne peroit les masses laborieuses

    83. Raoul Girardet, Pour une introduction l'Histoire dunationalisme franais, Revue franaise de sciences politiques,VIII, n 37, 1958, pp. 521-522.82

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    qu' travers le prisme de concepts puiss dans ses lectures, ilne les a jamais vritablement approches. Le Cercle rassembleainsi des marginaux qui, parce qu'ils ne peroivent pas les mouvements de la socit relle, ont besoin d'en inventer une autrequi puisse justifier leur existence. Mais dans cette tentative, ilschouent encore : l'numration, plusieurs reprises, dans lespages des Cahiers, des origines sociales supposes de chacun desmembres du groupe sert avant tout conjurer leur peur de n'appartenir aucune classe dfinie.Le malaise se rpercute dans leur engagement politique. Nousavons montr combien les rares syndicalistes tents par l'aventuretaient isols, peu reprsentatifs du milieu dont ils se rclament. Il en est de mme des monarchistes du Cercle. Ceux-cimontrent une agitation, une exaltation qui parvient mme trancher avec le ton habituel, qui n'est pourtant pas des plussereins, de l'Action franaise. Leur initiative dplat par consquent la frange conservatrice du mouvement: une sombrequerelle s'ensuit, qui oppose Valois et Rivain. Cette impatiencepousse certains militants forcer la main aux dirigeants troppassifs. Bernanos84 rve d'action et de gloire, gagner par les

    84. Bernanos aurait t li au Cercle Proudhon ; mieux, iln'hsite pas s'en attribuer la paternit : Nous n'tions pasdes gens de droite. Le cercle d'tudes sociales que nous avionsfond portait le nom de Cercle Proudhon, affichant ce patronagescandaleux. Nous formions des vux pour le syndicalisme naissant. Nous prfrions courir les chances d'une rvolution ouvrire,que compromettre la monarchie avec une classe demeure, depuisun sicle, parfaitement trangre la tradition des aeux (Georges ernanos, Les grands cimetires sous la lune, Paris, Pion,1938, p. 58). Cette revendication est sans doute errone car, siBernanos avait pris part la fondation du Cercle, son auraitpris place parmi ceux cits dans la dclaration du Cahier n 1.En outre, aucun de ses amis monarchistes les plus frquemmentnumrs par ses biographes, Guy de Bouteiller, Jean-MarieMatre, Charles et Ernest de Malibran, ne semblent avoir frquent les proudhoniens, lui-mme ne figurant sur aucune deslistes que nous avons retrouves. Enfin, l'automne 1913, il quitteParis pour Rouen, o Lon Daudet lui confie la direction deVAvant-garde de Normandie. Matriellement, il lui est doncdifficile, au moins partir de 1913, de participer l'action duCercle. Considrons en dernier lieu le projet ristique des Grandscimetires. Bernanos rompt avec Maurras et dnonce le conservatisme triqu qui caractrise la Ligue dans les annes 1920-1930. Il lui oppose l'image d'une Action franaise plus combative,plus rvolutionnaire et plus gnreuse aussi, celle de son engagement d'adolescent et de jeune homme. Il voque alors leCercle, trace, ses yeux, la plus acheve, de cet esprit subversifqui animait le mouvement avant 1914. Ce faisant, il ne s'cartepas de l'image strotype, glorieuse, hroque, que les mmoires

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    armes au Portugal. En 1914, Lagrange est exclu de la Liguepour avoir prpar, avec quelques amis, un coup de force dcisifcontre la Rpublique. A la recherche d'une place dans la socit,ils se sentent paralllement l'troit dans les structures contraignantes d'une organisation fortement hirarchise qui sembleprogressivement renoncer l'insurrection pour adopter une attitude attentiste. Cette tentative d'union avec le proltariat pourrait tre le moyen inconscient de briser l'enfermement dont ilssont victimes : il ne faut pas ngliger la dimension prophtiqueque prend leurs yeux cette alliance. Elle se dessine sur fondd'un cataclysme qui doit abattre la Rpublique et les structuressociales hrites de la Rvolution. La rvolte est un remdeau mal qui ronge ces jeunes gens. Les Cahiers retentissent deleurs colres, des maldictions qu'ils profrent. Le dfaut d'analyse ue nous avons remarqu dans leurs thories n'est que lacontre-partie de leur emportement, ils tonnent contre la corruption, ontre la lchet et le dfaitisme, ils s'insurgent contre ladcadence au nom d'exigences morales traditionnelles qui sont l'occasion vigoureusement raffirmes.Une dfense acharne de la vertu concide, pour certainsd'entre eux, avec la redcouverte de la patrie et de la religion.La protection du mariage contre les atteintes des lois permissives,les rfrences un idal culturel, mlange de jansnisme et declassicisme, de rigueur morale et de dpouillement esthtique,caractrisent le discours du groupe. Proudhon, version contemporaine du Caton des Romains, paysan-soldat, pre la guerrecomme dans le travail, y est mis l'honneur. Reviennent enforce les vertus hroques, le courage, la force qui ne peuvents'exprimer que sur les champs de bataille. Aux Femmelins et leur sentimentalit ridicule sont opposes des valeurs viriles,les valeurs du Sang. A chaque page, comme un leitmotiv obsdant, resurgit invariablement le qualificatif de franais. Lesmembres du groupe ont un sentiment d'appartenance nationaleexacerb: la nation devient l'objet de tous leurs soins, ils sefont les gardiens de son intgrit. Ce sont de tels sentiments qui

    ont conserve. Que conclure de cette accumulation d'argumentscontradictoires ? La prsence de Bernanos au Cercle Proudhonn'a jamais t prouve, et la mention qu'il en fait dans lesGrands cimetires ne suffit pas l'tablir. Le jeune camelot a pufrquenter un temps le groupe, mais il y a de grandes chancespour que cette participation ne ft qu'pisodique, et sa ferveurbien moindre que celle dont il fait preuve dans son livre.84

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    animent les tudiants interrogs par Henri Massis et Alfred deTarde, dans VEnqute sur les jeunes gens d'aujourd'hui, dontles membres du Cercle sont les contemporains, sinon les frreset les cousins, ressentant avec la mme vigueur l'appel desarmes .Le Cercle Proudhon ne survit pas la dclaration de guerre.L'entreprise n'aura pas de suite aprs la victoire. Ses adhrentsn'hsitent pas rpondre la mobilisation, ils le font mmeavec ira enthousiasme partag par toute l'Action franaise. Valoisvoque l'impatience de Joseph Boissier avant le dbut des hostilits:

    Boissier murmurait : Dans quelques mois, nous serons sur les routes,avec nos cartouchires pleines.Il tait frmissant, il ne pouvait supporter Vide quenous avions t battus en 1870. Il attendait dans la fivrele jour des rparations : Cette fois, disait-il, nous aurons la victoire 85.A propos de Barrai, Maurras rappelle les efforts qu'il dploie pour se faire admettre dans le service arm dont on lui refusaitl'accs cause de sa vue , puis pour tre envoy sur la lignede feu w. Marcel Thibault doit de mme ruser pour partir,dissimulant sa main, trichant son incorporation pour aller au

    feu 87. Valois, Henri de Barrs, Bernanos, Lagrange, Darville,Vincent partent aussi. D'autres les suivent sans doute, mme sinous n'avons pas pu les identifier. Ils se montrent au front d'uncourage exemplaire : Barrs, sous-lieutenant observateur dansl'aviation, est cit deux fois pour ses actions d'clat lors de m issions prilleuses. Valois, simple soldat lors de la mobilisation,est promu pour sa valeur chef de corps-franc d'octobre 1914 fvrier 1916, puis fait sous-lieutenant en mai 1916. Cette ardeur affronter les balles ennemies, les membres du Cercle la payentcruellement. Lagrange, Barrai, Barrs et Boissier succombentau combat. Cette liste est sans doute incomplte. A la Revue

    85. Georges Valois, D'un sicle Vautre, op. cit., p. 264.86. Charles Maurras, Tombeaux, Paris, Nouvelle librairieNationale, 1921, pp. 92-93.87. Lettre de Maxime Brienne Raymond Tournay, dcembre1915, cite dans Henri Lagrange, Vingt ans en 1914, Paris, Nouvelle Librairie Nationale, 1920, p. 227.85

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    critique par exemple, c'est plus d'une dizaine de rdacteursqui trouvent la mort. Leur engagement nationaliste les conduitdonc au sacrifice de leur vie pour la patrie. Comme des centaines de milliers d'autres Franais, ils tombent au champ d'honneur. La guerre attendue est l, mais elle accouche de ruines etde carnages, et non d'une socit nouvelle.

    Dans les premiers mois de 1914, le groupe est dj moribond. Les runions ont t suspendues, la revue parat difficilement, le dynamisme de tous s'essouffle. Ils ne sont plus qu'unepoigne d'acharns, attache des slogans prims, qui se retranche de plus en plus des ralits pour sombrer dans l'utopieavec la force et l'aveuglement des dsesprs. La guerre ne provoque pas la disparition du projet, elle achve simplement dedisloquer ce qui ne tenait dj plus que par des filaments tnus.Il est indniable que la thse de l'alliance a servi camouflerune tentative pour rallier les masses ouvrires la cause monarchique. L'chec de ce dessein est flagrant : aprs trois annesd'existence, seuls quelques gars se laissent tenter. Or l'tudedes membres du Cercle a permis de souligner combien l'imbricationntre les milieux royalistes et le petit groupe tait troite dupoint de vue des militants. Le syndicaliste qui le rejoint est progressivement amen se convertir. Il n'y a donc pas synthse,mais assimilation. L'analyse des liens matriels avec le mouvement de Maurras illustrerait les mmes connivences. Soutienlogistique (prt de salles), ou appui moral (les manifestations dugroupe sont suivies par les plus grands noms de l'Action franaise), c'est toujours l'Action franaise qui se dessine derrireles activits du Cercle.