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Le champagne 1 Le vin en Champagne avant le vin de Champagne A Des vins gallo-romains aux vins de la Montagne Les historiens sʼaccordent aujourdʼhui pour affirmer que ce nʼest pas en lʼhonneur de lʼempereur Probus quʼa été érigée la Porte de Mars à Reims, mais plutôt en lʼhonneur de Jules César, sur ordre dʼAgrippa, à la toute fin du premier siècle avant Jésus-Christ. Probus a sans doute redonné aux autochtones de la Gaule le droit de vinifier, mais il nʼy a pas de preuves que ceux de la région champenoise en aient profité. Le village, appelé Durocortorum, était alors la capitale des Rèmes. Le territoire des Rèmes sʼétendait jusquʼà la Belgique actuelle. Ce village allait devenir la ville des futurs rois de France et le berceau du champagne : Reims. Si la vigne a été importée dans le sud de la Gaule dès le début du VIe siècle avant Jésus-Christ par des colons grecs (phocéens), ce nʼest quʼau IIIe siècle que les premiers vignobles se dessinèrent au nord de la Loire, grâce aux Romains. La Bourgogne et la Moselle furent les premières régions septentrionales exploitées avant la Champagne, au Ve siècle. Évêque de Reims entre 459 et 533, saint Rémi a largement contribué, par sa légende et les miracles qui y sont associés, au prestige du vin de la région. Cependant, selon lʼanalyse des écrits historiques médiévaux dont la plupart sont apocryphes, la réalité dʼun vin reconnu en Champagne est à établir au VIIIe siècle. Lʼordre monastique instauré par saint Benoît, dans la deuxième moitié du VIe siècle, voit lʼéclosion dʼabbayes en Champagne au début du VIIe siècle. Celles de Saint-Rémi et de Saint- Pierre à Reims, de Saint-Pierre à Hautvillers, de Saint-Pierre à Châlons, de Saint-Sauveur à Vertus, de Saint-Basle à Verzy, de Sainte-Marie à Avenay ou de Saint-Pierre- Saint-Paul à Orbais en témoignent. Dʼautres abbayes se bâtiront au cours des siècles, comme lʼabbaye de Molesme et celles de Saint-Martin à Épernay, de Notre-Dame à Sézanne ou celles de Saint- Nicaise et de Saint-Denis à Reims. Lʼordre cistercien, plus austère que lʼordre bénédictin, voit le jour en 1155 grâce à saint Bernard, qui crée lʼAbbaye de Clairvaux, héritière spirituelle de Cluny. Quatorze abbayes cisterciennes seront bâties dans la Marne. Elles contribueront toutes à lʼessor du vignoble champenois. Les conflits de royaumes et les traités qui en découlent instaurent les premiers découpages de vignobles, dès le IXe siècle. Lʼexploitation des vignes est déjà partagée et administrée sérieusement entre villages viticoles, officiellement reconnus par les pouvoirs. Pourtant, les invasions périodiques de barbares et les nombreuses famines qui parsèmeront la fin du millénaire enrayeront considérablement la viticulture. Les comtes de Troyes deviennent Comtes de Champagne, le système féodal se consolide où clergé – lʼarchevêché de Reims – et noblesse unissent leur pouvoir et leur richesse dans des causes communes comme les croisades (1095), mais se provoquent et se querellent dans lʼexploitation des terres. Le paysan exploité, qui est aussi un vigneron, en subit les conséquences. La Champagne du Haut Moyen Âge dʼalors nʼest pas reconnue pour son vin, mais pour son commerce du drap. Pendant trois siècles, le vin local est consommé par la noblesse et sa commercialisation est difficile en raison dʼun système de transport (fluvial et routier) médiocre et dangereux. Jusquʼau XIVe siècle, cʼest le commerce du drap entre les Flandres, les Pays-Bas et la Bourgogne qui fait la renommée de la Champagne. Cʼest au travers du succès de lʼindustrie du drap et de la dentelle que les vins de quelques villages vont se distinguer. Reims et Châlons

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Le champagne 1 Le vin en Champagne avant le vin de Champagne A Des vins gallo-romains aux vins de la Montagne Les historiens sʼaccordent aujourdʼhui pour affirmer que ce nʼest pas en lʼhonneur de lʼempereur Probus quʼa été érigée la Porte de Mars à Reims, mais plutôt en lʼhonneur de Jules César, sur ordre dʼAgrippa, à la toute fin du premier siècle avant Jésus-Christ. Probus a sans doute redonné aux autochtones de la Gaule le droit de vinifier, mais il nʼy a pas de preuves que ceux de la région champenoise en aient profité. Le village, appelé Durocortorum, était alors la capitale des Rèmes. Le territoire des Rèmes sʼétendait jusquʼà la Belgique actuelle. Ce village allait devenir la ville des futurs rois de France et le berceau du champagne : Reims. Si la vigne a été importée dans le sud de la Gaule dès le début du VIe siècle avant Jésus-Christ par des colons grecs (phocéens), ce nʼest quʼau IIIe siècle que les premiers vignobles se dessinèrent au nord de la Loire, grâce aux Romains. La Bourgogne et la Moselle furent les premières régions septentrionales exploitées avant la Champagne, au Ve siècle. Évêque de Reims entre 459 et 533, saint Rémi a largement contribué, par sa légende et les miracles qui y sont associés, au prestige du vin de la région. Cependant, selon lʼanalyse des écrits historiques médiévaux dont la plupart sont apocryphes, la réalité dʼun vin reconnu en Champagne est à établir au VIIIe siècle. Lʼordre monastique instauré par saint Benoît, dans la deuxième moitié du VIe siècle, voit lʼéclosion dʼabbayes en Champagne au début du VIIe siècle. Celles de Saint-Rémi et de Saint-Pierre à Reims, de Saint-Pierre à Hautvillers, de Saint-Pierre à Châlons, de Saint-Sauveur à Vertus, de Saint-Basle à Verzy, de Sainte-Marie à Avenay ou de Saint-Pierre- Saint-Paul à Orbais en témoignent. Dʼautres abbayes se bâtiront au cours des siècles, comme lʼabbaye de Molesme et celles de Saint-Martin à Épernay, de Notre-Dame à Sézanne ou celles de Saint-Nicaise et de Saint-Denis à Reims. Lʼordre cistercien, plus austère que lʼordre bénédictin, voit le jour en 1155 grâce à saint Bernard, qui crée lʼAbbaye de Clairvaux, héritière spirituelle de Cluny. Quatorze abbayes cisterciennes seront bâties dans la Marne. Elles contribueront toutes à lʼessor du vignoble champenois. Les conflits de royaumes et les traités qui en découlent instaurent les premiers découpages de vignobles, dès le IXe siècle. Lʼexploitation des vignes est déjà partagée et administrée sérieusement entre villages viticoles, officiellement reconnus par les pouvoirs. Pourtant, les invasions périodiques de barbares et les nombreuses famines qui parsèmeront la fin du millénaire enrayeront considérablement la viticulture. Les comtes de Troyes deviennent Comtes de Champagne, le système féodal se consolide où clergé – lʼarchevêché de Reims – et noblesse unissent leur pouvoir et leur richesse dans des causes communes comme les croisades (1095), mais se provoquent et se querellent dans lʼexploitation des terres. Le paysan exploité, qui est aussi un vigneron, en subit les conséquences. La Champagne du Haut Moyen Âge dʼalors nʼest pas reconnue pour son vin, mais pour son commerce du drap. Pendant trois siècles, le vin local est consommé par la noblesse et sa commercialisation est difficile en raison dʼun système de transport (fluvial et routier) médiocre et dangereux. Jusquʼau XIVe siècle, cʼest le commerce du drap entre les Flandres, les Pays-Bas et la Bourgogne qui fait la renommée de la Champagne. Cʼest au travers du succès de lʼindustrie du drap et de la dentelle que les vins de quelques villages vont se distinguer. Reims et Châlons

resteront jusquʼau XVe siècle les villages viticoles incontournables de la Champagne. Leurs courtiers nʼauront de cesse dʼessayer de vendre leurs vins à la cour de France qui boit essentiellement les vins de Bourgogne et de Paris. Les vins dʼAÿ, de Vertus, de Cumières ou de Damery sont parfois cités par les poètes, mais leur région dʼorigine nʼest pas encore reconnue, alors quʼon parle déjà des vins dʼAnjou, de la Loire ou de la Provence. Du XIIIe siècle au XVIIe siècle, la Champagne, passant aux mains des différentes dynasties régnantes, est meurtrie par les conflits, les pestes et les famines. Sa production de vin est artisanale et communautaire, elle souffre périodiquement des vicissitudes de ces changements et de ces fléaux. Il faut attendre Le Grand Siècle et la centralisation des pouvoirs régnants qui voit, entre autres, des travaux considérables comme la construction de routes, de voies fluviales et dʼenceintes fortifiées autour de villes carrefours, pour que la Champagne sʼimpose en tant que région viticole à part entière. Ses vins sont ceux « de la Rivière » (la Marne) ou « de la Montagne » (Reims) et les villages, qui autrefois produisaient les meilleurs raisins, deviennent des références de qualité quʼon inscrit sur les bouteilles.

B La création du vin de Champagne mousseux À la fin du XVIIe siècle, la Champagne compte de nombreux cépages. Parmi les blancs, on rencontre essentiellement le Morillon (ou Maurillon), aussi appelé Maubard ou Mauribard, le Gouest (ou Gouais) blanc, le Meslier et, dans lʼAube actuelle, le Chasselas doré (ou Bar-sur-Aube blanc) et lʼArbanne. Parmi les raisins noirs, le Morillon noir, le Morillon taconné et le Morillon hâtif sont les plus populaires, car le Gouest (ou Gouais noir) nʼest pas apprécié. Le Fromenteau ou Frumenteau ou Fromenté, appelé ailleurs Griset, Enfumé, Avernas gris dʼOrléans ou Burot, est apprécié pour sa couleur et son comportement lors du pressurage. Le village de Sillery créera sa notoriété grâce à lui. Jusquʼalors, la vinification est pratiquement la même que dans les autres régions de France, et la plus concurrentielle pour la Champagne est la Bourgogne, dont les vins rouges sont meilleurs. Or, si les vins blancs, élaborés avec des raisins verts de la région, sont corrects, on sʼaperçoit que les vins pâles issus de raisins rouges sont bien meilleurs que tous les autres vins, rouges ou blancs. On va appeler quelque temps vin gris ce vin blanc élaboré à partir de raisins rouges, et son succès incitera dʼautres régions à tenter lʼexpérience. Les conducteurs de vignes comprennent rapidement que les grappes vendangées doivent être intactes et fraîches jusquʼau pressoir, quʼaucun jus ne doit perler qui nʼaccélère la fermentation. Le chanoine Godinot a laissé des traités explicites au sujet de la période des vendanges. La notion de fractionnement entre les vins de cuvée et les vins de taille apparaît à cette époque. Cependant, le vin blanc de Champagne, qui ne mousse pas encore, est plus fragile et sʼoxyde facilement dans les fûts de conservation et de transport. La nécessité dʼun contenant étanche devient primordiale et, vers 1670, on lʼembouteille. Ventrues et instables, les premières bouteilles sont clissées pour mieux les protéger. Leur qualité très médiocre pousse les professionnels du vin à des recherches pour améliorer ce nouveau contenant, ainsi que lʼobjet qui le ferme. La goupille de bois, entourée de chanvre et de suie, nʼest ni fiable ni pratique. Le liège, quʼon découvre grâce aux moines ibériques, la remplace rapidement. Dès le début du XVIIIe siècle, une industrie du verre et du bouchon voit ainsi le jour en Champagne. Procureur de lʼabbaye dʼHauvillers à son arrivée en 1668, Pierre dom Pérignon obtient plus tard la charge du vignoble et celle de la production des vins. La plupart des hectares de vignes en Champagne appartiennent alors aux abbayes locales. Le célèbre moine comprend que lʼassemblage des meilleurs cépages est la base dʼun bon vin. Ces cépages peuvent provenir de différentes parcelles, mais leurs qualités doivent être complémentaires. Jean Oudart, frère bénédictin de lʼabbaye de Saint-Pierre-aux-Monts de Châlons, sʼoccupera de vignes à Pierry,

Avize, Cramant, Chouilly et Épernay jusquʼà sa mort en 1742. Cadet de Pierre dom Pérignon, nous savons quʼils ont travaillé ensemble à lʼamélioration des vins de la région. Dans une lettre du 13 novembre 1700, Adam Bertin du Rocheret explique au maréchal dʼArtagnan que (« Les bons vins et plus excellents se vendent 400, 450, 500, 550 livres la queue. Les médiocrement bons qui sont pourtant bons, se vendent 300 livres, ceux dʼaprès se vendent 150 livres. Jʼomettais de vous dire que ceux des religieux dʼOviller et de Saint-Pierre sont de 800 et 900 livres. ») En fait, à la fin du règne de Louis XIV, la Champagne nʼélabore pas officiellement de vin mousseux, mais ses vins tranquilles sont enfin reconnus parmi les meilleurs du royaume de France. Ils sont mentionnés dans les écrits des auteurs de lʼépoque, et même lorsque lʼAngleterre est en guerre contre la France, les Britanniques en sont les plus fervents amateurs. Ces derniers vont, les premiers, consacrer lʼeffervescence naissante du vin champenois.

Aucune date ne stipule la création du champagne en tant que tel et aucune personne nʼen est le créateur. Pierre dom Pérignon a contribué à lʼamélioration du champagne en travaillant essentiellement sur les variétés de cépages à assembler. Il a également utilisé le liège pour boucher des bouteilles, mais il nʼest pas lʼinventeur du vin effervescent en Champagne. Le chanoine Godinot, vers 1715, mentionne dans ses registres que lʼon peut consommer du vin champenois qui mousse, depuis la dernière décennie du XVIIe siècle. Les Britanniques, premiers négociants en vin de toute sorte et de toute origine, consomment du vin effervescent depuis bien plus longtemps que les Français, puisquʼune fois quʼils ont acheté les vins du continent, ils font mousser les vins chez eux, quelle que soit leur provenance (Champagne, Moselle, Paris, Loire). Dès que le vin a abouti en tonneau dans leurs tavernes, certaines cuvées de vin blanc ou gris aux origines plus nobles que dʼautres sont essayées à une mise en bouteilles en vue dʼy voir apparaître de la mousse. En effet, le docteur Merret, à Londres, sait produire de lʼeffervescence dans les vins tranquilles depuis le milieu du XVIIe

siècle. Il a observé quʼen mettant le vin en bouteille et en y ajoutant du sucre, sʼy développait avec le temps du gaz carbonique. Il a également observé que la température est lʼun des facteurs de développement de la mousse, car cʼest plusieurs mois après avoir embouteillé les vins que des bulles apparaissent, cʼest-à-dire quʼune fermentation a lieu. Des particules en suspension cohabitent dans les vins avec des bulles inégales et plus ou moins présentes. On parle alors de vin mousseux, demi-mousse ou sableux pour ces vins qui portent le nom de villages champenois. Avant que le terme sablage, au début du XXe siècle, ne désigne lʼadjonction de sucre sur les parois dʼun verre en vue dʼintensifier lʼeffervescence du vin une fois versé, il désignait le phénomène dʼapparition des particules dans les bouteilles et, le plus souvent, le constat de bouteilles floues. La Champagne étant la plus fraîche des régions viticoles avec un climat identique à celui du sud de lʼAngleterre, la température des vins achetés par les Britanniques ne variait pas lorsque les fûts passaient de Reims à Londres. Les levures qui grouillaient toujours dans les tonneaux voyageurs restaient endormies plus facilement grâce au froid londonien. En se réveillant au printemps naissant, en raison de la hausse de température, elles se nourrissaient du sucre résiduel du vin, puis elles mourraient et provoquaient alors lʼapparition du gaz carbonique. Certains tonneaux débordaient, se fendaient ou explosaient. Cependant, cette deuxième fermentation nʼétait pas systématique, car des tonneaux contenaient du vin qui avait été convenablement élaboré, cʼest-à-dire qui avait naturellement terminé ses fermentations. Le vin restait donc tranquille. Cette deuxième fermentation fut donc éventuelle et surtout inégale

pendant des décennies. Certains négociants anglais désirant voir apparaître de la mousse vont avoir recours à la bouteille en tant que contenant, à la suite des constats du docteur Merret. En chauffant le verre au charbon de bois et en le renforçant au manganèse dès le XVIIe siècle, les Britanniques créent des bouteilles à la silhouette toujours difforme, mais bien plus solides. Lʼeffervescence engendrée reste comprimée entre les parois du verre opaque, de couleur noire. Très vite, ce verre sʼéclaircit, verdoie et devient translucide, ce qui permet dʼy percevoir les résidus. Les premiers contrôles de qualité de la seconde fermentation naissent grâce à lʼindustrialisation du métier de verrier et de bouchonnier. En disposant de ces bouteilles résistantes et de bouchons étanches grâce au liège provenant de comptoirs commerciaux britanniques en Espagne et au Portugal, les négociants londoniens deviennent les premiers à maîtriser la pétulance du vin. Le début du XVIIIe siècle marque lʼaccélération des progrès dans lʼunivers du vin, aussi bien dans la conduite de la vigne et dans la vinification que dans le conditionnement et la commercialisation. Lʼindustrie du vin de Champagne est lʼun des principaux moteurs de cette évolution. Dès le règne de Louis XV, des cristalleries françaises se spécialisent dans lʼélaboration de bouteilles pour le champagne. Le champagne est finalement une invention collective, issue de lʼouverture dʼesprit de moines savants, dʼartisans novateurs et de professeurs défricheurs dʼune science à venir, lʼœnologie. Encouragés par les familles de négociants, ils vont populariser lʼeffervescence dans le vin et faire du champagne son ambassadeur universel. 2 Le Champagne, empereur des vins effervescents A Les cépages du champagne Le vin de Champagne mousseux sous Louis XIV nʼavait pas le même goût que celui dʼaujourdʼhui. Sa couleur nʼétait pas translucide, il était cinq fois plus sucré, ses saveurs étaient différentes et son effervescence variait. On ajoutait du sucre de façon systématique avant le bouchonnage final afin dʼassurer la tenue des arômes et une certaine garantie dʼeffervescence. Des dizaines de cépages noirs et blancs étaient plantés en Champagne, certains donnaient du raisin à manger ou à boire, dʼautres donnaient du raisin à moût pour le vin. Jusquʼà la fin du XVIIIe siècle, les ordres monastiques, propriétaires ou locataires de parcelles, sélectionneront ceux qui ont les meilleures qualités pour lʼélaboration du champagne. Au XIXe siècle, les maisons de négoce leur succèderont. Lʼarbanne, le petit meslier, le pinot blanc et ses variétés (petit blanc, blanc doré, gros blanc, épinette, beaunois, arboisier), lʼenfumé, le gouais noir, le morillon, le gamay, le chasselas rouge ou le teinturier étaient les cépages les plus cultivés. Parmi eux, trois autres cépages, plus résistants et moins grossiers, plus adaptés aux multiples nécessités de vinification, prendront progressivement leur place : le pinot meunier, le pinot noir et le chardonnay. Ces trois cépages assemblés vont dessiner la typicité du champagne. Le pinot meunier confère le bouquet et la rondeur. Le pinot noir apporte des arômes de fruits rouges, il donne du corps et de la puissance au vin. Le chardonnay offre des arômes floraux, apporte la finesse, la minéralité et lʼaptitude au lent vieillissement. Depuis quelques années, les vieux cépages champenois quʼon avait décidé dʼécarter après la

crise phylloxérique, comme lʼarbanne, le fromenteau et le petit meslier, sont à nouveau exploités. Ils sont parmi les cépages autorisés en Champagne et ils entrent parfois dans les assemblages des trois cépages dominants pour des cuvées particulières de certaines maisons. B Le terroir du champagne Les cépages qui ont été retenus pour créer le goût typique du champagne lʼont été aussi parce quʼils sʼadaptaient aux facteurs de la combinaison du climat et du sol : le terroir. La Champagne est à la limite septentrionale de la culture de la vigne, sa température moyenne annuelle est de 10 °C. Or, la vigne ne peut survivre sous cette température. Les zones champenoises où lʼon a décidé dʼexploiter la vigne sont donc les plus exposées au soleil. À la fois océanique et continental, le climat champenois se distingue de celui des autres régions viticultrices. Lʼinfluence océanique apporte régulièrement et suffisamment dʼeau, mais lʼinfluence continentale engendre des gelées destructrices. Les contrastes thermiques y sont peu élevés dʼune saison à lʼautre, lʼinsolation moyenne étant à peine de 1650 heures par an ! La région de Bordeaux, par exemple, dépasse les 2000 heures. Quant au sous-sol champenois, il est issu dʼun affaissement géologique provoqué il y a plusieurs millions dʼannées qui a laissé des couches de sédiments particulières. Divers types de sols sont ainsi apparus et, dans la zone actuelle de la Champagne, le calcaire, la marne, et surtout la craie ont prédominé. La craie très poreuse caractérise le sous-sol champenois, car elle est constituée de mollusques fossilisés quʼon appelle bélemnites. Elle forme ainsi un réservoir dʼeau pour tous les végétaux locaux.

Après maintes observations et études, les Champenois ont planté le chardonnay, le pinot meunier et le pinot noir dans des zones propices, adaptées aux qualités et aux comportements de chaque cépage. On détermine aujourdʼhui 5 aires champenoises : la Vallée de la Marne, la Montagne de Reims, la Côte des Blancs, la Côte de Sézanne et la Côte des Bar. Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) explique clairement ce choix : « Lʼaire de production de la vigne est rigoureusement définie. Elle représente environ 3 % des superficies consacrées en France à la viticulture. La Montagne de Reims est un large plateau, à faible relief, qui sʼincline lentement à lʼapproche des vallées de la Vesle et de lʼArdre au nord, et de la Marne au sud. La vigne couvre abondamment les flancs de ce plateau. La Vallée de la Marne sʼétend sur une centaine de kilomètres depuis Saâcy-sur-Marne dans le département de la Seine-et-Marne, jusquʼà Tours-sur- Marne au-delà dʼÉpernay. La vigne sʼétale sur les coteaux qui descendent en pentes plus ou moins douces jusquʼau bord de la rivière ainsi que dans de pittoresques vallons bordant de part et dʼautre la vallée. La Côte des Blancs, ainsi appelée parce quʼelle produit presque exclusivement des raisins blancs, est une couvre abondamment les flancs de ce plateau. La Vallée de la Marne sʼétend sur une centaine de kilomètres depuis Saâcy- sur-Marne dans le département de la Seine-et-Marne, jusquʼà Tours-sur-Marne au-delà dʼÉpernay. La vigne sʼétale sur les coteaux qui descendent en pentes plus ou moins douces jusquʼau bord de la rivière ainsi que dans de pittoresques vallons bordant de part et dʼautre la vallée. La Côte des Blancs, ainsi appelée parce quʼelle produit presque exclusivement des raisins blancs, est une falaise perpendiculaire à la Montagne de Reims et placée au sud dʼÉpernay. Au sud du département de la Marne, la vigne est visible par intermittence au nord et au sud de

Sézanne. Dans la région de Vitry-le-François, les surfaces plantées restent limitées à quelques communes.

La Côte des Bar prolonge au sud le secteur vinicole. En dehors de Villenauxe-la-Grande, continuation de la partie méridionale du vignoble marnais, et de Montgueux, à proximité immédiate de Troyes, qui ne possèdent que quelques dizaines dʼhectares, les vignes sont groupées autour de Bar-sur-Seine et de Bar-sur-Aube. À lʼest de cette dernière ville, le département de la Haute-Marne peut revendiquer lʼexistence de quelques dizaines dʼhectares de vignes. » La Côte des Blancs et la Côte de Sézanne sont donc essentiellement plantées de chardonnay. La Montagne de Reims est plantée de pinot noir. La Vallée de la Marne est surtout plantée de pinot meunier. Enfin, la Côte des Bar est propice à la culture du pinot noir. C Les étapes de lʼélaboration du Champagne 1 - La vendange et le pressurage La vendange sʼécoule durant deux semaines selon les zones champenoises. Les raisins sont apportés aux vendangeoirs pour être pressés selon des règlements très précis. Les pressoirs traditionnels dits de type vertical ne reçoivent que 4 tonnes de raisin. Le jus pressé sʼécoule latéralement, au travers des lattes. Durant les années 1960 sont apparus des pressoirs horizontaux – quʼon utilisait déjà dans les autres régions viticoles – constitués de plateaux et de vis sans fin, ou dʼune membrane pneumatique formant une vessie gonflable. Le Comité interprofessionnel du vin de Champagne les a officiellement autorisés en 1971, tout en les faisant adapter aux normes régionales. Dans les pressoirs traditionnels, carrés ou circulaires, les raisins sont déposés sans les tasser, puis on forme un dôme qui permettra de mieux répartir les effets de la pression. Une première serrée, qui nʼexcède pas une pression de 150 kg par centimètre carré, est alors entreprise. On procède à une retrousse après avoir extrait environ 10 hectolitres (1000 l) de jus : on recentre le raisin moins pressuré qui est resté en périphérie du pressoir. Les règlements autorisent trois serrées et deux retrousses pour extraire 20,5 hectolitres (2050 l) de moût quʼon appelle la cuvée. La serrée suivante est pratiquée sur les raisins écrasés restant pour obtenir la première taille, qui donnera 410 litres de jus. Enfin, une dernière serrée, précédée dʼun dernier taillage (répartition et découpe du marc restant), donne la deuxième taille, soit 90 litres de jus. On appelle marc gras ce qui reste de cette deuxième taille. Il est transféré dans un pressoir cylindrique et vertical, plus petit, quʼon appelle le séchoir. Grâce à lui, on obtient le marc sec, qui sera utilisé pour faire du marc de champagne (eau de vie). 2 - Élaboration du vin de base Entre octobre et décembre, on procède à une vinification de vin blanc traditionnel avec une fermentation alcoolique, puis une fermentation malolactique (laissée au choix du viticulteur). Les moûts qui proviennent du pressurage sont débourbés : on retire les pellicules, les pépins ou

la terre restée en suspension. On peut procéder par collage, par filtration ou par centrifugation. Dans le même temps, on pratique un sulfitage qui retarde la fermentation, élimine les ferments de maladies éventuelles et prévient lʼoxydation. On déverse finalement ces moûts dans des cuves de fermentation qui peuvent être en acier émaillé, en inox, en ciment vitrifié ou en bois (foudres ou pièces). La fermentation alcoolique peut enfin sʼenclencher, mais si le vinificateur juge que le jus nʼest pas assez riche en sucre, il est autorisé, à ce moment-là précisément, à ajouter de la saccharose pure. On appelle cela la chaptalisation. Elle doit être considérée avec attention, car elle provoque lʼaugmentation du degré dʼalcool. Or, le titre dʼalcool maximum étant de 13 degrés pour le champagne, le vinificateur doit prévoir le contrôle scrupuleux des étapes de vinification suivantes – notamment la prise de mousse – afin de ne pas dépasser ce titre. La fermentation malolactique est une phase de correction qui permet de faire chuter lʼacidité du vin. Elle nʼest pas appliquée par toutes les maisons de champagne, car elle peut gommer la fraîcheur, la finesse et le potentiel de vieillissement du vin. Il sʼagit en fait de la transformation de lʼacide malique en acide lactique, par voie bactérienne. Elle suit durant plusieurs jours la fermentation alcoolique si le vinificateur lʼapplique. Après cette étape, on obtient un vin tranquille blanc de Champagne non effervescent quʼon peut commercialiser sous lʼAppellation Coteaux Champenois. On obtient surtout un vin prêt à devenir du champagne. 3 - Lʼassemblage Le champagne est avant tout un vin dʼassemblage, car on additionne les cépages, les terroirs, les crus et les récoltes. Cependant, une maison de champagne peut décider de privilégier un seul ou plusieurs de ces facteurs. Un champagne issu dʼune seule récolte, dit champagne millésimé, est généralement élaboré lorsquʼon juge que le cycle végétatif et la vendange dʼune seule année ont été parfaits. Si une maison possède des parcelles sur un village aux caractéristiques particulières qui en ont fait un Grand Cru, par exemple, elle peut élaborer une cuvée issue uniquement de ce cru quʼelle mentionnera sur lʼétiquette de la bouteille. Enfin, une maison peut élaborer un champagne avec un seul cépage, blanc ou noir. Lʼétiquette mentionnera alors Blanc de Blancs si le chardonnay est contenu à 100 % dans la bouteille ou Blanc de Noirs, si le pinot noir ou le pinot meunier est contenu à 100 % dans la bouteille. Cependant, les caractéristiques du style de vin dʼune marque se refléteront toujours dans son champagne standard qui, le plus souvent, est un assemblage de tous ces facteurs.

Le travail est donc complexe pour le chef de cave, entouré de son équipe dʼexperts, car il doit aussi respecter le style de vin de la maison, établi selon la tradition. 15

Cʼest à partir du mois de janvier quʼon assemble les vins, cʼest-à-dire que le chef de cave et son équipe goûtent les vins dits clairs, les vins de la dernière récolte, issus de différents cépages et de différents villages. Cette période peut sʼétaler jusquʼau printemps. Chaque semaine, on goûte des échantillons de vin pour établir la cuvée. Une fois quʼelle est décidée, on assemble les vins qui lʼont constituée dans dʼénormes foudres ou des cuves dʼacier inoxydable. Une partie des nombreux vins qui ne serviront pas à lʼélaboration de la cuvée va engendrer ce quʼon appelle les vins de réserve, car ils vont vieillir en fût ou en cuve durant plusieurs années. Chacun dʼeux peut être utilisé par le chef de cave, en addition au vin de la cuvée, selon une quantité de son choix qui peut atteindre jusquʼà 40 % de lʼassemblage. Cet apport permet dʼarrondir le vin de lʼannée, dʼaméliorer sa maturation et enfin, dʼassurer un goût propre à la maison de champagne, donc son style. Lʼaddition de vins de réserve engendre évidemment un champagne non millésimé.

Lorsque la période de lʼassemblage a été complétée, on procède à la phase du tirage quʼon peut aussi appeler la champagnisation du vin. 4 - Le tirage Le terme tirage désigne lʼensemble des opérations de mise en bouteille du vin tranquille obtenu à lʼissue du premier cycle de vinification. Elle amorce la fameuse prise de mousse qui sʼillustre par lʼapparition du gaz carbonique et quʼon appelle la seconde fermentation. On ajoute au vin élaboré dans les cuves un mélange dʼadjuvants de remuage, des ferments, du vin et du sucre candi quʼon appelle liqueur de tirage, puis on lʼembouteille. Cʼest donc dans les bouteilles que le vin deviendra effervescent. Cette opération est aujourdʼhui automatisée sur des chaînes électriques à grande cadence. Les bouteilles sont bouchées provisoirement avec une capsule couronne munie dʼun opercule en polyéthylène creux quʼon appelle « bidule ». Il garantit lʼétanchéité à lʼair et à la pression tout en servant de réceptacle au dépôt de levures qui se formera dans la bouteille. Cʼest donc dans cette dernière que sera commercialisé le champagne car, à partir de cette étape, le vin ne changera plus de contenant.

Le champagne doit toujours être commercialisé dans les flacons qui ont subi la seconde fermentation, cʼest-à-dire ceux dʼune contenance de 75 cl ou 1,5 l. Les autres formats de bouteilles reçoivent le vin par soutirage. Autrefois, le bouchon du tirage était en liège comme le bouchon du dosage, cʼest-à-dire comme celui de la phase finale dʼembouteillage. Il était maintenu par une agrafe métallique crochetée à la bague du goulot. Plus solide et plus fiable que la ficelle, ce système facilitait également le moment du dégorgement. La capsule-couronne expérimentée dans les années 1950 lʼoccultera définitivement, car elle se pose facilement, elle est hermétique, elle ne sʼarrache pas et finalement, elle se retire bien plus facilement. Certaines cuvées de prestige sont par ailleurs bouchées aujourdʼhui avec un bouchon à agrafe qui, sur un plan uniquement « marketing », apporte un aspect authentique et original.

5 - Lʼélevage et le remuage La Champagne dispose de caves naturelles crayeuses et de caves en briques, construites au fil des siècles, qui permettent à ses vins dʼêtre stockés dans un environnement idéal, à une température et une hygrométrie adéquates constantes, et à lʼabri de la lumière. Les bouteilles y sont donc descendues pour le processus de la seconde fermentation. Dans chacune dʼelles, les levures se nourrissent du sucre du vin, provoquent une élévation de lʼalcool de 1,2 à 1,3 degré et développent du gaz carbonique (6kg/cm2). Cette prise de mousse est cruciale, car elle détermine la qualité de lʼeffervescence finale. Elle doit être lente pour que les bulles soient fines, régulières et persistantes, et que la mousse soit crémeuse et durable. Les bouteilles sont mises sur lattes (« entreillage ») : elles sont superposées par centaines au creux de niches construites dans les caves. Cette période de prise de mousse peut durer 10 mois. Les levures meurent pour se transformer en lies et provoquer alors une phase dʼautolyse : elles enrichissent le vin en acides aminés et en protéines grâce à leur suspension. Lʼélevage du vin doit être de 15 mois pour un champagne non millésimé et il doit être de 3 ans pour un champagne millésimé. En général, toutes les maisons accentuent cette obligation. Les cuvées classiques restent couchées de 18 mois à 24 mois, les cuvées millésimées peuvent rester sur lattes jusquʼà 8 années et les cuvées de prestige peuvent passer plus de 10 années sous terre avant leur commercialisation !

Le remuage consiste à clarifier le vin par rotation des bouteilles qui, quelques mois avant la date de commercialisation décidée, sont inclinées. Cette opération est progressive. Autrefois, toutes les bouteilles étaient entreposées sur un pupitre (chevalet de bois), à lʼenvers, le goulot vers le sol. Cʼest ainsi quʼon rassemblait le dépôt dans le col de la bouteille dans le but de lʼexpulser plus tard et dʼéviter que le vin soit flou. Une per- sonne appelée « remueur » était chargée de tourner chaque bouteille afin que le dépôt se décolle uniformément de la paroi interne du verre et gagne le col. Au fil des semaines, le remueur redressait peu à peu les bouteilles pour les amener à la verticale, soit sur « pointe », tête en bas. Si certaines cuvées spéciales ou de prestige sont encore manipulées de la sorte, la majorité des maisons de champagne utilise aujourdʼhui un système plus rapide et plus confortable : le gyropalette, un énorme casier métallique motorisé et programmable informatiquement, provoquant une rotation et un relèvement régulier des bouteilles qui y sont déposées. Un pupitre peut supporter 120 bouteilles, tandis quʼun gyropalette a une capacité moyenne, selon les modèles, de 500 bouteilles. Le succès du champagne et lʼaugmentation de sa production au cours des vingt dernières années ont évidemment systématisé lʼusage du gyropalette, puisquʼil a permis de multiplier par cinquante la capacité de « remuage ».

Le « dépointage » consiste à récupérer les bouteilles après le remuage pour les stocker la pointe toujours dirigée vers le sol, chaque goulot étant calé dans le culot de la bouteille inférieure, formant ainsi ce quʼon appelle une « masse » – un entassement ingénieux de milliers de bouteilles – qui attend le « dégorgement ». 6 - Le dégorgement et le dosage Le « dégorgement » est lʼexpulsion du dépôt accumulé dans le col de la bouteille. Il y a deux façons de procéder : « à la volée » comme autrefois, ou « à la glace » selon une technique moderne mécanisée et rapide dont le principe fut créé à la fin du XIXe siècle, puis amélioré. Dans le premier cas, il sʼagit dʼune manipulation humaine qui demande une grande dextérité. En prenant soin de toujours la laisser à la verticale, le goulot vers le bas, la bouteille est placée sur lʼun des avant-bras du « dégorgeur », lʼouvrier expert en la matière, le culot coincé dans le creux de son bras. De lʼautre main, il emprisonne la capsule-couronne avec une pince à dégorger – clé à décapsuler – et, tout en relevant rapidement la bouteille, il arrache la capsule. Cette opération où tout est simultané est complexe et délicate, car le dégorgeur doit observer la bulle de gaz carbonique qui grimpe vers le dépôt au moment du basculement de la bouteille, de lʼarrachage de la capsule et de lʼextraction du dépôt. Dans une fraction de secondes le dégorgeur obture le goulot de la bouteille avec son pouce, dès que le dépôt a été éjecté par la pression. Il peut alors contrôler la limpidité du vin et le humer pour vérifier son odeur.

Dans le deuxième cas, on aura pris soin de congeler le dépôt figé dans le col de la bouteille, grâce à un bain de saumure réfrigérée, avant de lʼexpulser. Des centaines de bouteilles retournées à la verticale circulent à la chaîne et passent dans un bac réfrigérant de saumure (- 25 °C) dont le niveau est adapté à la hauteur des cols de bouteilles. Le dépôt contenu dans chacune fige alors en un bouchon de glace. Cette congélation dure quelques minutes, puis les bouteilles sont retournées et décapsulées simultanément grâce à un système mécanisé. La pression expulse à la fois la capsule, le bidule et le dépôt congelé. On procède alors au dosage du vin, cʼest-à-dire à lʼaddition dʼune « liqueur dʼexpédition » (ou « liqueur de dosage ») qui va déterminer la catégorie de champagne et combler le vide laissé par le dégorgement. La liqueur est constituée de sucre pur et de vieux vin de Champagne, dʼau moins deux ans dʼâge. Le taux de sucre de chaque liqueur utilisée détermine la catégorie qui va dʼextra-brut à doux. Cʼest une doseuse automatique qui la distribue sur la chaîne de bouteilles.

Pour les vins qui ne sont pas dosés, on ajoute du vin de Champagne sans sucre de canne. Lʼétape du bouchage et du museletage suit simultanément celle du dosage, car le gaz carbonique du vin ne doit pas être en contact, ou le moins longtemps possible, avec lʼoxygène. 7 - Le bouchage et le museletage La particularité formelle dʼun bouchon de champagne extirpé dʼune bouteille est due à la pression quʼil a subie dans son rôle dʼobturateur. Il doit évidemment être étanche et facile à retirer, sans occasionner dʼincident. Sa fabrication, sa hauteur et son diamètre, qui ont évolué au fil des siècles, furent conjoints à lʼévolution de la qualité des bouteilles et aux recherches sur le phénomène de la fermentation. Aujourdʼhui, le bouchon à champagne doit supporter une pression de lʼordre de 5 à 6 kg/cm2. Il est fait de liège aggloméré dans sa partie supérieure et sa base est constituée de 2 ou 3 rondelles de 6 mm superposées. Ces dernières forment la partie qui est au contact du vin. Le terme « Champagne » doit toujours apparaître sur le bouchon. Si le vin est issu dʼune seule récolte, lʼinscription du millésime est obligatoire. En souvenir dʼune période de vendanges particulièrement faste en 1811, année du passage dʼune comète, certains producteurs champenois ont pris lʼhabitude de faire marquer le dessin dʼune étoile à flammèches sur leurs bouchons. Si leur introduction dans les cols de bouteille fut aussi lʼobjet de plusieurs essais de machines pendant 150 ans, le défi majeur fut de trouver le moyen quʼils nʼen sortent plus une fois bloqués. Lʼinvention du muselet en 1844 par Adolphe Jacquesson va assurer ce maintien. Pour la phase dʼélevage, les bouchons dits de tirage, introduits plus profondément dans le col des bouteilles que les bouchons dits de dosage ou dʼexpédition, étaient maintenus par une ficelle liée à la bague du goulot. Cette opération avait lieu avant la descente en cave des bouteilles. Obscures et humides, les caves et leurs niches étaient le repère de rongeurs qui rognaient régulièrement le lien humecté par le liquide sucré qui perlait des bouteilles couchées ou relevées. Le champagne de cette époque étant considérablement plus sucré que celui dʼaujourdʼhui, les bouchons pouvaient coller à la paroi du col, mais de nombreuses archives indiquent que la plupart dʼentre eux glissaient tout de même facilement. La pression non contrôlée qui sʼexerçait dans les flacons les faisait sauter malgré tout, et dʼautant plus facilement lorsquʼun rongeur avait défait les liens qui les maintenaient. Un bouchon dʼexpédition nʼétait pas autant enfoncé dans le col dʼune bouteille quʼun bouchon de tirage. Il fallait pouvoir lʼextirper plus facilement au moment de la consommation du vin. Adolphe Jacquesson était très créatif. Après avoir innové en plantant des ceps de vigne en ligne quand tout le monde les plantait encore en foule, il trouva le moyen de créer de la lumière dans les couloirs souterrains des caves. En effet, comme on entreposait les bouteilles à la lumière des bougies ou des lampes à huile – car lʼélectricité nʼavait toujours pas été apportée sous terre – il eut lʼidée de placer des plaques de fer contre les murs qui recevaient la lumière du jour des crayères ou des galeries. Lʼinstallation de lʼéclairage électrique dans les premières caves força son ingéniosité et Adolphe Jacquesson eut lʼidée de récupérer ces plaques, de les découper et dʼen faire des chapeaux de protection à bouchon maintenu par les ficelles de chanvre ! Deux ans plus tard, les ficelles furent remplacées par deux agrafes métalliques entrecroisées.

Ce rempart contre la pression du gaz dʼun côté et les dents de rongeurs de lʼautre sera systématiquement utilisé dès la fin du XIXe siècle. Sa forme, son matériau et son application seront améliorés au fil des décennies, après quʼAdolphe Jacquesson eut déposé son brevet en

1844. Le muselet (fils métalliques torsadés et plaque dʼaluminium) supplanta complètement lʼagrafe et la ficelle sur les bouchons de dosage, après la Première Guerre mondiale. Très vite, les maisons de champagne utilisèrent la plaque comme objet décoratif en y apposant leur logo ou un motif symbolique, distinguant leur identité et favorisant leur repérage. Ainsi est née la placomusophilie, lʼart de collectionner les plaques de muselet. Il est aujourdʼhui posé de façon automatique par un système pneumatique appelé « museleteuse » qui, sur une chaîne dʼembouteillage, précède le piquetage et le mirage. 8 - Le piquetage et le mirage Le piquetage est une simple agitation des bouteilles dont le but est de faire en sorte que le vin et la liqueur de dosage soient convenablement mélangés. Elles sont retournées automatiquement par le même système. On appelait autrefois cette opération « le poignettage », car elle était faite par les ouvriers, à la main. Au bout de la chaîne, une personne attend les bouteilles afin quʼelles soient finalement « mirées » : on vérifie quʼaucun dépôt ne trouble le vin. Les bouteilles sont alors descendues en cave pour un stockage final qui durera environ un trimestre, avant leur habillage, cʼest-à-dire la pose de lʼétiquette, de la coiffe et dʼune éventuelle collerette. Lʼétiquette mentionne neuf indications obligatoires depuis 1979. D - Les Crus de Champagne En Champagne, c’était une cotation (en pourcentage) qui fixait le prix du raisin que le négociant achetait et achète toujours au vigneron. Une échelle des crus avait été instaurée à la suite des émeutes et des batailles juridiques qui précédèrent la Première Guerre mondiale, afin de protéger les intérêts des deux professions. En fonction de l’histoire, de la qualité du terroir et du raisin, les villages de Champagne étaient classés entre 80 et 100%. Celle-ci a évolué au cours du XXe siècle, puisqu’en 1911 elle allait de 22,55 à 100 %. Des reclassements ont été apportés en 1920, en 1941 et en 1985, à la suite de revalorisations des communes dont les méthodes de culture du raisin s’étaient améliorées. Le principe était simple : on établissait la valeur du kilogramme de raisin dans les crus classés à 100 %, puis celle-ci servait de référence pour déterminer le prix du kilogramme de raisin dans les autres crus. En outre, cette échelle tenait compte de la couleur du raisin, le classement du raisin noir pouvait donc varier par rapport à celui du raisin blanc sur une même commune. Toutefois, depuis que l’Union européenne a interdit la fixation du prix du kilo de raisin, l’échelle des crus n’a plus cours en Champagne depuis 2003, mais tenant compte des usages locaux, loyaux et constants, le cahier des charges de l’appellation Champagne a conservé les dénominations « grand cru » pour 17 villages et « premier cru » pour 42 villages. Il n’y a plus de référence à la couleur des raisins (ainsi Tours-sur-Marne qui était « grand cru » pour ses raisins noirs et « premier cru » pour ses raisins blancs, est désormais uniquement dans la catégorie « grand cru ». De même que Chouilly, qui était « grand cru » pour ses raisins blancs et « premier cru » pour ses raisins noirs, reste également une « grand cru ». Aujourd’hui, la champagne viticole compte 319 communes répertoriées et classées. Les grands crus et les premiers crus occupent environ un tiers de la surface totale de la Champagne viticole. Un propriétaire peut posséder des vignes sur tous les crus, toutefois, s’il mentionne « grand cru » sur ses étiquettes, il faut obligatoirement que le contenu de la bouteille soit issu à 100% de vignes classées « grand cru » et s’il mentionne « premier cru », le contenu de la bouteille devra

être issu à 100% de vignes classées « premier cru ». La dénomination Premier Cru est plus utilisée que la dénomination Grand Cru. 17 Grands Crus : Ambonnay, Avize, Aÿ, Beaumont-sur-Vesle, Bouzy, Chouilly, Cramant, Louvois, Mailly-Champagne, Le Mesnil-sur-Oger, Oger, Oiry, Puisieulx, Sillery, Tours-sur-Marne, Verzenay et Verzy. 42 Premiers Crus : Avenay, Bergères-les-Vertus, Bezannes, Billy le Grand, Bisseuil, Chamery, Champillon, Chigny les Roses, Coligny, Cormontreuil, Coulommes la Montagne, Cuis, Cumières, Dizy, Ecueil, Etrechy, Grauves, Hautvillers, Jouy les Reims, Les Mesneux, Ludes, Mareuil sur Aÿ, Montbré, Mutigny, Pargny les Reims, Pierry, Rilly la Montagne, Sacy, Sermiers, Taissy, Tauxières-Mutry, Trépail, Trois Puits, Vaudemanges, Vertus, Villedommange, Villeneuve Renneville, Villers Allerand, Villers-aux-Noeuds, Villers-Marmery, Voipreux, Vrigny   E - L'étiquette de champagne Depuis 1979, une étiquette de champagne mentionne neuf indications obligatoires: - la mention Champagne, sans la formule « Appellation d'origine contrôlée », car il n'y a de champagne qu'en Champagne; - la marque (qui est la dénomination originale de chaque maison); - la teneur en sucre résiduel, c'est-à-dire la catégorie du vin: extra-brut, brut nature, brut, extra dry, sec, demi-sec ou doux; - le volume nominal énoncé en centilitres ou en millilitres; - le titre alcoométrique acquis, exprimé en pourcentage, lequel varie entre 10° vol. et 13° vol. maximum; - le nom et le prénom de l'élaborateur ou la dénomination sociale de l'entreprise, en toutes lettres ou en code, précédés de l'expression « élaboré par » ou « élaborateur »; - la commune d'élaboration, c'est-à-dire le territoire sur lequel l'élaboration a été réalisée. Cette indication doit apparaître à la suite du nom ou de la raison sociale. Lorsque la mention de l'élaborateur est effectuée à l'aide d'un code, le nom de la commune est également codé - le pays d'origine (Produit de France); - l'immatriculation professionnelle attribuée par le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) à chaque élaborateur, pour chacune des marques utilisées. Cette immatriculation comporte une suite de petits chiffres précédés de deux initiales indiquant le statut de celui qui élabore et commercialise le vin. F - Statut professionnel des producteurs de champagne RM (récoltant-manipulant): il sʼagit dʼune bouteille élaborée par un vigneron qui a cultivé, vendangé, vinifié et commercialisé lui-même sa production. RC (récoltant-coopérateur): il sʼagit dʼune bouteille provenant dʼun vigneron qui a confié à une coopérative le soin de préparer son vin. Elle vinifie et embouteille le vin avant de le rétrocéder au vigneron, qui y appose son nom. NM (négociant-manipulant): il sʼagit dʼune bouteille provenant dʼune maison de champagne qui peut posséder des hectares de vignes, mais qui complète ses approvisionnements auprès de viti- culteurs et de coopératives. En général, toutes les étapes de lʼélaboration du champagne

sont con- trôlées par le négociant-manipulant. CM (coopérative manipulante): il sʼagit dʼune bouteille dont le champagne a été élaboré avec les raisins de vignerons ayant adhéré à une coopérative. Le champagne sera vendu sous le nom éponyme de la coopérative ou sous une marque créée. MA (marque auxiliaire): il sʼagit dʼune bouteille dont le champagne a été élaboré par un négociant ou une coopérative et qui est acheté par un distributeur (le plus souvent une grande surface com- merciale), qui le revend sous sa propre marque.

G - Les noms et les contenances de bouteilles de champagne La bouteille de champagne traditionnelle a une contenance de 75 cl. Seuls la demi-bouteille, la bouteille et le magnum sont utilisés pour lʼélevage du vin, cʼest-à-dire durant la phase de seconde fermentation. Les autres formats, plus modestes ou plus volumineux, sont remplis avec du vin déjà élaboré. Par ailleurs, certaines maisons se permettent dʼélever leurs vins dans le format dit jéroboam quʼelles commercialisent pour des occasions spéciales. • le huitième : 9,4 cl (inusité) • le quart : 18,7 ou 20 cl (utilisé surtout par les compagnies aériennes et maritimes) • le demi:37,5cl • le médium : 60 cl (inusité) • la bouteille : 75 cl • le magnum : 1,5 l (2 bouteilles) • le jéroboam : 3 l (4 bouteilles) • le réhoboam : 4,5 l (6 bouteilles) • le mathusalem : 6 l (8 bouteilles) • le salmanazar : 9 l (12 bouteilles) • le balthazar : 12 l (16 bouteilles) • le nabuchodonosor : 15 l (20 bouteilles) • le Salomon : 18 l (24 bouteilles) • le souverain : 26,25 l (35 bouteilles) • le primat : 27 l (36 bouteilles) • le melchisédec : 30 l (40 bouteilles). Ce flacon pèse 54 kg lorsquʼil est plein. H – Les catégories de champagne et leur teneur en sucre* CHAMPAGNE EXTRA BRUT : entre 0 et 6 g/l** CHAMPAGNE BRUT : inférieur à 12 g/l CHAMPAGNE EXTRA DRY : entre 12 et 17 g/l CHAMPAGNE SEC : entre 17 et 32 g/l CHAMPAGNE DEMI-SEC : entre 32 et 50 g/l CHAMPAGNE DOUX : supérieur à 50 g/l *Notez que ces catégories sont valables pour tous les vins effervescents des pays viticoles issus de la Communauté européenne depuis 2010. **Si le vin contient moins de 3 gr de sucre, les mentions Nature ou Zéro Dosage sont autorisées.