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Photographie - Place de la liberté Dessin de Philippe GELUCK (Le chat) Cee photographie et ce dessin semblent paradoxaux : la proclamation de la liberté s’y accompagne d’une restriction de la liberté, et plus précisément d’interdictions (précise dans le premier cas, très vagues dans le second). Il semble qu’il y ait là une forte contradiction : s’il y a liberté, il ne peut y avoir ni interdiction, ni obligation. Pourtant, à bien y réfléchir, une liberté totale, sans la moindre limite, serait-elle encore une liberté ? L’histoire, l’expérience de la vie en société et même le bon sens n’enseignent-ils pas au contraire que pour préserver la liberté, il faut nécessairement l’encadrer, et donc la limiter ? Ainsi pouvons-nous nous demander, comme nous y invite un sujet de dissertation du baccalauréat : être libre, est-ce avoir tous les droits ? La liberté est, d’une manière générale, la capacité d’un sujet à agir uniquement selon sa volonté propre, c’est-à-dire à ne pas agir selon des contraintes extérieures. Mais c’est un concept qui s’applique dans des domaines variés (psychologie, morale, politique…) et doit donc toujours être précisé ; elle peut s’entendre également en un sens collectif (voir la partie 3.3.). Le libre arbitre est la capacité de faire des choix (faire une chose ou ne pas la faire) ; c’est l’une des conceptions courantes de la liberté. Mais la négation du libre arbitre n’est pas forcément la négation de toute forme de liberté (voir la position de Spinoza dans la partie 3.1.). Un choix est une décision par laquelle un sujet se détermine lui-même pour une chose parmi plusieurs possibles. Le mot « choix » désigne également le résultat de cee détermination. Alain refuse de faire du choix un élément de la liberté : I « Derrière cette ombre de liberté, qui consiste à choisir, se montre aussitôt la liberté véritable, qui consiste à se dominer. » (Les idées et les âges). Le déterminisme est un courant de pensée philosophique selon lequel tous les phénomènes qui se produisent dans l’univers dépendent intégralement de leurs causes, ce qui a pour conséquence logique d’exclure le hasard et le libre arbitre. En effet, si un événement se produit, c’est qu’il est la conséquence nécessaire de ses causes : il ne pouvait pas ne pas se produire ou se produire autrement. Le déterminisme repose sur une conception universelle du principe de causalité, englobant les pensées et les actions humaines (voir les repères « principe / cause / fin ». Pierre-Simon de Laplace (mathématicien, astronome et physicien français du XIX e siècle) donne une idée assez précise du déterminisme : I « Nous devons […] envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, à un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était suffisamment vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des 1

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◘ Photographie - Place de la liberté◘ Dessin de Philippe GELUCK (Le chat)

Cette photographie et ce dessin semblent paradoxaux : laproclamation de la liberté s’y accompagne d’une restriction dela liberté, et plus précisément d’interdictions (précise dans lepremier cas, très vagues dans le second). Il semble qu’il y ait làune forte contradiction : s’il y a liberté, il ne peut y avoir niinterdiction, ni obligation. Pourtant, à bien y réfléchir, uneliberté totale, sans la moindre limite, serait-elle encore uneliberté ? L’histoire, l’expérience de la vie en société et même lebon sens n’enseignent-ils pas au contraire que pour préserverla liberté, il faut nécessairement l’encadrer, et donc la limiter ?

Ainsi pouvons-nous nous demander, comme nous y inviteun sujet de dissertation du baccalauréat : être libre, est-ceavoir tous les droits ?

◘ La liberté est, d’une manière générale, la capacité d’un sujet à agir uniquement selon savolonté propre, c’est-à-dire à ne pas agir selon des contraintes extérieures. Mais c’est un conceptqui s’applique dans des domaines variés (psychologie, morale, politique…) et doit donc toujoursêtre précisé ; elle peut s’entendre également en un sens collectif (voir la partie 3.3.).

◘ Le libre arbitre est la capacité de faire des choix (faire une chose ou ne pas la faire) ; c’estl’une des conceptions courantes de la liberté. Mais la négation du libre arbitre n’est pasforcément la négation de toute forme de liberté (voir la position de Spinoza dans la partie 3.1.).

◘ Un choix est une décision par laquelle un sujet se détermine lui-même pour une chose parmiplusieurs possibles. Le mot « choix » désigne également le résultat de cette détermination. Alainrefuse de faire du choix un élément de la liberté : I « Derrière cette ombre de liberté, qui consiste à choisir,se montre aussitôt la liberté véritable, qui consiste à se dominer. » (Les idées et les âges).

◘ Le déterminisme est un courant de pensée philosophique selon lequel tous les phénomènesqui se produisent dans l’univers dépendent intégralement de leurs causes, ce qui a pourconséquence logique d’exclure le hasard et le libre arbitre. En effet, si un événement se produit,c’est qu’il est la conséquence nécessaire de ses causes : il ne pouvait pas ne pas se produire ou seproduire autrement. Le déterminisme repose sur une conception universelle du principe decausalité, englobant les pensées et les actions humaines (voir les repères « principe / cause /fin ». Pierre-Simon de Laplace (mathématicien, astronome et physicien français du XIXe siècle)donne une idée assez précise du déterminisme : I « Nous devons […] envisager l’état présent de l’universcomme l’effet de son état antérieur,  et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui, à un instant donné,connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elleétait suffisamment vaste pour soumettre ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des

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plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé,serait présent à ses yeux. » Essai philosophique sur les probabilités (1814). Voir la partie 3.1 (Spinoza).

◘ Le fatalisme est une conception selon laquelle le cours des événements, notamment ceux quiconcernent les êtres humains, est fixé d’avance. Il peut l’être, selon les cas, par Dieu (comme lemontre la notion de mektoub dans l’islam), par les dieux, ou encore par le Destin lui-même,divinisé (comme dans la mythologie gréco-romaine, dans laquelle dieux et déesses lui sontsoumis). « Ça devait se passer comme ça », « C’était écrit » : ces formules traduisent unfatalisme populaire dont Alain remarque le caractère “consolant”, car il I « enlève   les   regrets »(Définitions, « fatalisme »). Mais selon lui, si l’on a raison de penser qu’un événement, une foisarrivé, était inévitable, on a tort de raisonner de même à l’égard de l’avenir : « Les paresseux raisonnentde même, mais avant l’événement, et, pour se délivrer de souci, disant que quoi qu’on puisse faire, ce qui doit être sera.Cette seconde manière n’est  pas raisonnable,  puisqu’on ne sait  pas d’avance ce qui  sera. » (Ibid.). Les paresseuxcherchent ainsi à fuir leur responsabilité en niant par avance leur liberté d’agir.

Principaux REPÈRES en lien avec la liberté :1. Contingent / nécessaire 2. Impossible / possible 3. Obligation / contrainte

◘ L’hétéronomie est, selon l’étymologie grecque, le fait d’être sous la loi (nomos) d’un·e autre(heteros) personne. L’anomie est l’absence (a- privatif) de loi. L’autonomie est le fait d’agirselon une loi décidée par soi-même (auto). Voir la citation de Rousseau dans la partie 3.3.

◘ Le mot « libéralisme », qui désigne la pensée des libéraux, a deux significations. La premièrehistoriquement est politique et désigne un courant de pensée favorable à la liberté d’expression etla liberté dans le domaine des mœurs notamment (tolérance à l’égard de l’homosexualité parexemple). La seconde est économique et désigne un courant qui prône la “libre entreprise”, la “libreconcurrence” et veut réduire les impôts et les taxes intérieures et extérieures, supprimer lesmonopoles d’État, etc. (voir le chapitre sur l’État, 3.2).

◘ Isaiah Berlin (philosophe d’origine lettone du XXe siècle) distingue deux types de liberté :- la liberté négative, qui est l’absence de contrainte : en ce sens, je suis libre si personne nem’empêche de faire ce que je veux ni ne me force à faire ce que je ne veux pas. Voir L’article 4 dela Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (ressource complémentaire 4) ;- la liberté positive, qui est la capacité à agir par soi-même, et notamment en suivant saraison. En ce sens, je suis libre si je m’estime capable de penser et de choisir par moi-même.

Un enfant livré à lui-même aurait la liberté négative, mais pas la liberté positive.

3.1. Le libre arbitre existe-t-il ?

◘ L’affirmation du libre arbitre (Thomas d’Aquin, Sartre)- Tous les philosophes religieux défendent l’existence du libre arbitre, ne serait-ce que parce qu’ilest nécessaire à l’idée même de morale. Dans le chapitre sur le devoir (partie 3.3) il est expliquéque dire qu’une action est mauvaise moralement suppose que son auteur aurait dû, et donc auraitpu ne pas l’accomplir, autrement dit qu’il avait le choix de l’accomplir ou pas. Or toutes lesreligions comportent une morale (voir la définition dans le chapitre sur le devoir, partie 2). Demême, le paradis et l’enfer, et globalement les récompenses et les punitions seraient injustes sil’homme n’était pas libre. Thomas d’Aquin (philosophe italien du XIIIe siècle) écrit par exemple :I « L’homme est   libre :   sans  quoi  conseils,   exhortations,   préceptes,   interdictions,   récompenses  et   châtiments  seraientvains. » (Somme théologique). Par ailleurs, le libre arbitre est la solution religieuse au problème dumal : si Dieu est omnipotent et infiniment bon, d’où vient le mal ? La réponse religieuse est queDieu a donné à l’homme le libre arbitre, et donc la capacité de faire le bien ou le mal.- Dans la même logique, la loi française ne punit pas une personne ayant commis un délit ou

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même un crime si elle ne dispose pas du « contrôle de ses actes » (voir la ressourcecomplémentaire 4 du chapitre sur la justice, avec l’article 122-1 du Code pénal). Dans les autrescas, elle suppose généralement l’existence du libre arbitre.- Pour Jean-Paul Sartre, philosophe athée, le libre arbitre est un fait incontestable, que seule la« mauvaise foi » peut nous masquer. I « L’homme est condamné à être libre » (L’existentialisme est unhumanisme). I « Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande » (article paru dans la revuelittéraire « Les lettres françaises », septembre 1944) ; libres, c’est-à-dire contraints de choisir.L’être humain n’est donc pas libre d’être libre ou pas.

◘ La négation du libre arbitre (Spinoza)- Pour Spinoza, le libre arbitre n’existe pas chez l’homme : I « Il n’y a dans l’esprit aucune volontéabsolue ou libre ; mais l’esprit est déterminé à vouloir ceci ou cela par une cause, qui elle aussi est déterminée parune autre, celle-ci à son tour par une autre, et ainsi à l’infini. » (Éthique). Spinoza suit en cela le principede causalité qui mène au déterminisme. L’homme ne fait pas exception au déterminismeuniversel : nous aurions tort de concevoir I « l’homme dans   la  nature  comme un empire dans  un empire »(Éthique). Mais la croyance au libre arbitre peut elle-même s’expliquer : I « Les hommes se croientlibres parce qu’ils ont conscience de leurs volitions et de leur appétit, et qu’ils ne pensent pas, même en rêve, aux causes quiles disposent à désirer et à vouloir, parce qu’ils les ignorent. » (Éthique). Cette croyance au libre arbitre est uneillusion, car elle dérive du désir d’être libre. Selon Spinoza, la liberté véritable n’est pas le librearbitre mais l’autodétermination, c’est-à-dire la détermination par la raison (l’entendement) :I « Aussi longtemps que nous ne sommes pas dominés par des sentiments qui sont contraires à notre nature, nous avons lepouvoir d’ordonner et d’enchaîner les affections du corps suivant un ordre conforme à l’entendement. » (Éthique).

3.2. L’apprentissage de la liberté passe-t-il par la contrainte ?

◘ Kant soutient que I « l’homme est un animal qui, du moment où il vit parmi d’autres individus de son espèce,  abesoin d’un maître. Car il abuse à coup sûr de sa liberté à l’égard de ses semblables ; et, quoique, en tant que créatureraisonnable, il souhaite une loi qui limite la liberté de tous, son penchant animal à l’égoïsme l’incite toutefois à se réserverdans toute la mesure du possible un régime d’exception pour lui-même. Il lui faut donc un  maître qui batte en brèche savolonté particulière et le force à obéir à une volonté universellement valable, grâce à laquelle chacun puisse être libre. »(Idée d’une histoire universelle du point de vue cosmopolitique). Les anarchistes contestent bien sûrcette conception de l’être humain.

◘ Selon Kant, l’éducation apprend à être libre, et elle doit nécessairement passer par soncontraire, la contrainte : I « Un des  plus  grands  problèmes  de   l’éducation est  de  concilier  sous  une  contraintelégitime la soumission avec la faculté de se servir de sa liberté. Car la contrainte est nécessaire ! Mais comment cultiver laliberté par la contrainte ? Il faut que j’accoutume mon élève à souffrir que sa liberté soit soumise à une contrainte, et qu’enmême temps je l’instruise à faire bon usage de sa liberté. Sans cela il n’y aurait en lui que pur mécanisme ; l’homme privéd’éducation ne sait pas se servir de sa liberté. Il est nécessaire qu’il sente de bonne heure la résistance inévitable de lasociété,  afin  d’apprendre à connaître combien  il  est  difficile  de se suffire  à soi-même, de supporter   les privations etd’acquérir de quoi se rendre indépendant. » (Traité de pédagogie).

3.3. En quoi consistent les libertés politiques ?

◘ Selon Hannah Arendt, la liberté est d’abord politique : « l’homme ne saurait rien de la liberté intérieures’il n’avait d’abord expérimenté une liberté qui soit une réalité tangible dan le monde. » (La crise de la culture, 1961).

◘ Selon Rousseau, le passage à l’état de société transforme “positivement” la liberté humaine :I « Ce que l’homme perd par le contrat social, c’est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu’il peutatteindre ; ce qu’il gagne, c’est la liberté civile et la propriété de tout ce qu’il possède. Pour ne pas se tromper dans cescompensations, il faut bien distinguer la liberté naturelle qui n’a pour bornes que les forces de l’individu, de la liberté civilequi est limitée par la volonté générale […]. On pourrait sur ce qui précède ajouter à l’acquis de l’état civil la liberté morale,qui seule rend l’homme vraiment maître de lui ; car l’impulsion du seul appétit est esclavage, et l’obéissance à la loi qu’ons’est prescrite est liberté. » (Du contrat social).

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◘ Henri Lacordaire (prédicateur catholique du XIXe siècle) s’oppose à la conception libérale selonlaquelle l’anomie (voir les définitions de l’hétéronomie, l’anomie et l’autonomie dans la partie 2)favorise la liberté : I « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est laliberté qui opprime et la loi qui affranchit. » (Conférences de Notre-Dame).

◘ Voir également les ressources complémentaires 4 et 5 de ce chapitre et le chapitre sur l’État.

Le terme de liberté est fort ambigu. Il y a liberté de droit et de fait. Suivantcelle de droit, un esclave n’est point libre, un sujet n’est pas entièrement libre,mais un pauvre est aussi libre qu’un riche.

La liberté de fait consiste ou dans la puissance de faire ce que l’on veut ou dansla puissance de vouloir comme il faut. […] La liberté de faire […] a ses degrés etvariétés. Généralement, celui qui a plus de moyens est plus libre de faire ce qu’ilveut. Mais on entend la liberté particulièrement de l’usage des choses qui ontcoutume d’être en notre pouvoir, et surtout de l’usage libre de notre corps. Ainsila prison et les maladies qui nous empêchent de donner à notre corps et à nosmembres le mouvement que nous voulons, et que nous pouvons leur donnerordinairement dérogent à notre liberté : c’est ainsi qu’un prisonnier n’est pointlibre, et qu’un paralytique n’a point l’usage libre de ses membres.

La liberté de vouloir est encore prise en deux sens différents. L’un est quand onl’oppose à l’imperfection ou à l’esclavage d’esprit, qui est une coaction oucontrainte, mais interne, comme celle qui vient des passions. L’autre sens a lieuquand on oppose la liberté à la nécessité. Dans le premier sens, les stoïciensdisaient que le sage seul est libre ; et, en effet, on n’a point l’esprit libre quand ilest occupé d’une grande passion, car on ne peut point vouloir comme il faut,c’est-à-dire avec la délibération qui est requise. C’est ainsi que Dieu seul estparfaitement libre, et que les esprits créés ne le sont qu’à mesure qu’ils sont au-dessus des passions. Et cette liberté regarde proprement notre entendement.

Mais la liberté de l’esprit opposée à la nécessité regarde la volonté nue et entant qu’elle est distinguée de l’entendement. C’est ce qu’on appelle le franc-arbitreet consiste en ce que l’on veut que les plus fortes raisons ou impressions quel’entendement présente à la volonté n’empêchent point l’acte de la volonté d’êtrecontingent et ne lui donnent point une nécessité absolue […]. Et c’est dans ce sensque j’ai coutume de dire que l’entendement peut déterminer la volonté […] d’unemanière qui, lors même qu’elle est certaine et infaillible, incline sans nécessiter.

Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain (1704)

◘ Être libre, est-ce n’obéir qu’à soi ?◘ Faut-il être raisonnable pour être libre ?◘ La liberté est-elle une donnée ou une conquête ?◘ Suis-je libre de penser ce que je veux ?◘ Faut-il rendre les hommes libres ou égaux ?

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1. En quoi consiste précisément la liberté humaine ?

- Pouvons-nous décider de nos goûts, de nos désirs et aversions ? Aimer ou pas tel aliment,telle matière à l’école ? Lorsque nous n’aimons pas une chose, pouvons-nous décider de l’aimer ?- Pouvons-nous décider de nos sentiments ? Décidons-nous d’aimer ou de haïr quelqu’un,d’être calme ou en colère, d’être gai ou triste, d’être indifférent à quelqu’un ou à quelque chose ?- Pouvons-nous décider de nos pensées ? Décidons-nous par exemple de penser que 2 + 2 = 4 ?Une décision rationnelle (logique) est-elle libre ? Ne s’impose-t-elle pas plutôt à nous ? Maisalors, sommes-nous plus libres lorsque nous faisons “n’importe quoi” ?- Pouvons-nous décider de nos actes ? Décidons-nous de respirer, de boire, de manger ou pas ?Décidons-nous de travailler ou pas ? Lorsque nous travaillons, est-ce vraiment une décision denotre part ? Ne cédons-nous pas à une pression familiale ou sociale ? Et lorsque nous netravaillons pas, ne cédons-nous pas à notre paresse ou à notre désir de nous amuser parexemple ?

Alors de quoi sommes-nous vraiment libres ? Que décidons-nous vraiment ?

2. Les expériences de neurologie sur la liberté et l’intention

◘ Benjamin Libet (1916 - 2007) est un chercheur états-unien, pionnier de la neurophysiologie(étude physiologique du système nerveux). Durant ses recherches, il a observé que lesmouvements volontaires du corps (lever un bras, bouger un doigt, etc.) sont toujours précédés,quelques dixièmes de seconde plus tôt, d’une activité électrique mesurable, que Libet nomme« potentiels de préparation ». En moyenne, l’écart entre le potentiel de préparation et l’actionelle-même est de 500 à 550 millisecondes.

◘ Benjamin Libet s’est alors demandé à quel moment intervientl’intention de l’action au cours de ce processus. On pouvaitlogiquement s’attendre à ce que cette intention se produise peuavant les potentiels de préparation.

Pour le vérifier et le mesurer précisément, il réalise au cours desannées 1970 l’expérience suivante : il demande à des sujetsd’appuyer quand ils en ont envie sur un bouton. Parallèlement, ilsregardent une horloge et doivent dire à quel moment exactementils ont eu l’intention d’appuyer sur le bouton (les appareils deLibet ont une faible marge d’erreur sur ce dernier point). Lesrésultats sont étonnants : les potentiels de préparation ont lieu enmoyenne 350 millisecondes avant l’intention d’appuyer.

◘ Une expérience récente donne des résultats encore plus étonnants : I « L’activité cérébrale montrequel choix la personne va faire 7 à 10 secondes avant la décision consciente. Il semblerait donc que notre cerveau programmeà l’avance la décision et qu’au moment où soi-même on a le sentiment de décider, les jeux sont déjà faits. », conclut lechercheur en neurosciences John Dylan Haynes : £ voir l’extrait vidéo du documentaire de 2011Le cerveau et ses automatismes - Le pouvoir de l’inconscient de Francesca d’Amicis, Petra Höfer etFreddie Röckenhaus.

Comme toujours, ces expériences sont à interpréter avec précautions : comme le dit lecommentaire de l’émission, « en laboratoire, nos décisions et donc notre libre arbitre sont réduitsà une simple pression sur un bouton ».

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3. Peut-on hiérarchiser les libertés ou les privations de liberté ?

◘ Classez ces libertés de la plus importante à la moins importante  :A. Pouvoir sortir le soir sans avoir à demander l’autorisation de ses parents.B. Pouvoir arrêter de fumer quand on le décide.C. Pouvoir interrompre une grossesse non désirée.D. Pouvoir choisir sa religion ou son absence de religion.E. Pouvoir partir en vacances.F. Pouvoir s’acheter systématiquement le dernier modèle de téléphone portable.G. Pouvoir voter pour élire les représentants de l’État dans lequel on vit.H. Pouvoir contrôler son agressivité quand on est en colère.I. Pouvoir conduire une voiture.J. Pouvoir choisir son orientation scolaire et son métier.

◘ Classez ces absences de liberté de la plus grave à la moins grave  :A. Être en prison.B. Être influencé dans toutes ses décisions par quelqu’un d’autre.C. Avoir des obligations familiales à chaque moment de temps libre.D. Être très pauvre.E. Vivre dans un pays dans lequel il n’y a aucune liberté d’expression.F. Être obligé de travailler 80 heures par semaine pour pouvoir survivre.G. Avoir un supérieur hiérarchique tyrannique au travail.H. Être esclave.I. Être timide au point d’être incapable parler en présence de plusieurs personnes.J. Être fou.

◘ Quelle conception de la liberté pouvez-vous énoncer à partir de ces classements ?

4. La liberté selon les Déclarations des droits de l’homme et du citoyen

◘ Déclaration des droits de l’homme et ducitoyen de 1789 (préambule de la Constitution dela Ve république) :Article 4 - I « La liberté consiste à pouvoir faire tout cequi ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturelsde chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent auxautres  membres  de   la   société   la   jouissance  de ces  mêmesdroits.  Ces bornes ne peuvent être déterminées que par  laloi. »

◘ Déclaration des droits de l’homme et ducitoyen de 1793 :Article 6 - I « La  liberté est  le pouvoir qui  appartient àl’homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui ;elle  a  pour principe  la  nature ;  pour règle   la  justice ;  poursauvegarde la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : Nefais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait. »

La Déclaration des droits de l’hommeet du citoyen de 1789

◘ Il peut être intéressant de confronter, d’une part, ces deux articles, qui ne sont pas tout à faitéquivalents, et d’autre part ces deux articles à la conception anarchiste de la liberté, telle que laprésente par exemple cette citation : I « Je  ne  suis  vraiment   libre  que   lorsque   tous   les êtres  humains  quim’entourent, hommes ou femmes, sont également libres. La liberté d’autrui, loin d’être une limite ou une négation de maliberté, en est au contraire la condition nécessaire et la confirmation. » (Bakounine, Dieu et l’État)

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5. Un exemple de liberté politique : la liberté d’expression

◘ La liberté d’expression est souvent considérée comme un critère important de la démocratie.Une des constantes des régimes autoritaires, dictatoriaux ou totalitaires est en effet de muselerou au moins de contrôler autant que possible la liberté d’expression, notamment celle desjournalistes, mais plus globalement celle de tous les membres de la société afin d’éviter toutecontestation du régime en place.

◘ Cependant, même dans les régimes considérés comme démocratiques, la loi formule presquetoujours des limites à la liberté d’expression. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme etdu citoyen de 1789 l’énonce de manière très générale : I « La   libre  communication  des  pensées  et  desopinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf àrépondre  de  l’abus  de  cette   liberté  dans   les cas  déterminés  par   la   loi. ». Les cas d’« abus » de cette libertédonnent lieu notamment, en France, aux limitations suivantes :- Il est interdit de porter atteinte à la vie privée et au droit à l’image d’autrui.- Il est interdit de tenir des propos incitant à la haine raciale, ethnique ou religieuse, de fairel’apologie de crimes de guerre ou du terrorisme, de tenir des propos discriminatoires (par exempleen raison d’une orientation sexuelle ou d’un handicap), d’inciter à l’usage de produits illicites, detenir des propos négationnistes (nier par exemple l’existence des chambres à gaz durant laSeconde Guerre mondiale).- Il est interdit de tenir des propos diffamatoires. La diffamation est le fait de porter atteinte àl’honneur d’une personne. Si on prouve ce qu’on affirme, et si les affirmations ne portent pas surla vie privée de la personne concernée, il n’y a pas diffamation.- Il est interdit de tenir de propos injurieux. L’injure consiste en des propos outrageants ouméprisants qui ne comportent pas de fait précis.- Dans certaines professions, il existe des limites spécifiques telles que le secret professionnel(médical par exemple), le secret des affaires et le secret défense, qui interdisent la publication etla divulgation de certaines informations.

◘ Plus précisément (en lien avec la deuxième interdiction listée ci-dessus), il existe en Franceplusieurs « lois mémorielles » qui condamnent principalement le révisionnisme et lenégationnisme. Le révisionnisme (mot utilisé le plus souvent de manière péjorative) consiste àréviser, c’est-à-dire à discuter ou à fragiliser une thèse très majoritairement admise dans lacommunauté scientifique des historiens. Le négationnisme (mot toujours utilisé de manièrepéjorative) consiste à nier une thèse très majoritairement admise dans la communautéscientifique des historiens. Les événements historiques à propos desquels les lois françaisesformulent des interdictions de révisionnisme ou de négationnisme sont :- La Seconde Guerre mondiale, et notamment l’utilisation par les nazis des chambres à gaz.- Le génocide arménien commis par le régime turc entre 1915 et 1916.- Les traites et les esclavages pratiqués à partir du XVe siècle sur les populations africaines,amérindiennes, malgaches et indiennes.

Ces lois mémorielles sont contestées par de nombreux historiens et intellectuels au motif quece n’est pas à l’État mais aux historiens d’énoncer la vérité historique.

◘ Dans plusieurs États des États-Unis, la libertéd’expression est beaucoup moins restrictive qu’en France(et plus largement qu’en Europe). Par exemple, uneorganisation ouvertement raciste et homophobe comme leKu Klux Klan, peut avoir le droit d’organiser desmanifestations publiques. C’est une autre conception de laliberté d’expression qui est ici appliquée : moins derestriction dans cette liberté, mais davantage de conflits :ces manifestations donnent en effet toujours lieu à desaffrontements (parfois mortels).

Des membres du Ku Klux Klan manifestent sous laprotection de la police, devant de nombreux opposantsantiracistes, le 8 juillet 2017 à Charlottesville (Virginie).

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6. Michel Foucault, le pouvoir et la liberté

◘ Dans son livre Surveiller et punir, le philosophe Michel Foucault (XXe siècle) écrit : I « Que laprison cellulaire, avec ses chronologies scandées, son travail obligatoire, ses instances de surveillance et de notation, avecses maîtres en normalité, qui relaient et multiplient les fonctions du juge, soit devenue l’instrument moderne de la pénalité,quoi  d’étonnant ?  Quoi  d’étonnant   si   la   prison   ressemble aux usines,   aux  écoles,  aux  casernes,   aux  hôpitaux,   qui   tousressemblent aux prisons ? ».

Pour Foucault, ce qu’ont en commun la prison, l’usine, l’école, la caserne et l’hôpital, c’est quece sont des lieux dans lesquels certains exercent du pouvoir sur d’autres. Il définit ainsi lepouvoir : I « Le trait distinctif du pouvoir, c’est que certains hommes peuvent plus ou moins entièrement déterminer laconduite d’autres hommes – mais jamais de manière exhaustive ou coercitive. Un homme enchaîné et battu est soumis à laforce qu’on exerce sur lui. Pas au pouvoir. » (Omnes et singulatim  : vers une critique de la raison politique).

Maison d’arrêt de Pau (Pyrénées-Atlantiques) Intérieur d’une prison

Westbrook Factory Outlet MallConnecticut, États-Unis Intérieur d’une usine

Lycée AragoPerpignan Intérieur d’un lycée

Caserne - 511e régimentdu train d’Auxonne (Côte-d’Or) Intérieur d’une caserne

Centre hospitaliersud francilien Intérieur d’un hôpital

◘ Un lycée est-il comparable à une prison ? Quels sont leurs points communs et leursdifférences ? Les adultes exercent-ils dans un lycée un pouvoir sur les élèves ? La liberté desélèves y est-elle aussi restreinte que celle des détenus d’une prison par exemple ?

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