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Septentrion Marie-Françoise Michel et Jean-François Michel LE CHIEN d’or Nicolas Jacquin Philibert 1702-1748 Extrait de la publication

Le Chein d'or. Nicolas Jacquin Philibert (1702-1748)… · Parallèlement, nous remontions le fil d’Ariane dans les Vosges, particulièrement dans les archives notariales de Martigny

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Septentrion

Marie-Françoise Michel et

Jean-François Michel

l e c h i e n

d’orNicolas Jacquin Philibert

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s e p t e n t r i o n

l e c h i e n

d’or

Heurs et malheurs d’un Lorrain à Québec

Nicolas Jacquin Philibert

1 7 0 2 - 1 7 4 8

Marie-Françoise Michel et

Jean-François Michel

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Pour effectuer une recherche libre par mot-clé à l’intérieur de cet ouvrage, rendez-vous sur notre site Internet au www.septentrion.qc.ca

Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de dévelop pement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur programme d’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres. Nous reconnaissons éga lement l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Pro gramme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.

Révision : Solange Deschênes

Mise en pages et maquette de couverture : Pierre-Louis Cauchon

Illustration de la couverture : Musée de la civilisation, Michel Bergeron, Scène de débarquement d’un navire à Place Royale, 1996. Pierre Soulard, photographe.

Si vous désirez être tenu au courant des publicationsdes ÉDItIONS Du SEPtENtRIONvous pouvez nous écrire par courrier,par courriel à [email protected],par télécopieur au 418 527-4978ou consulter notre catalogue sur Internet :www.septentrion.qc.ca

© Les éditions du Septentrion Diffusion au Canada :1300, av. Maguire Diffusion DimediaQuébec (Québec) 539, boul. LebeauG1t 1Z3 Saint-Laurent (Québec) H4N 1S2Dépôt légal :Bibliothèque et Archives Ventes en Europe :nationales du Québec, 2010 Distribution du Nouveau MondeISBN papier : 978-2-89448-612-2 30, rue Gay-LussacISBN PDF : 978-2-89664-576-3 75005 Paris

Membre de l’Association nationale des éditeurs de livres

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avant-propos

Le présent livre est le fruit de quatre ans de recherches intenses menées en France et au Québec. C’est en feuilletant le

Dictionnaire biographique du Canada, où nous cherchions la trace de nos compatriotes de Lorraine du Sud émigrés en Nouvelle-France, que nous avons découvert l’existence de Nicolas Jacquin, dit Philibert. Poussés par une saine curiosité, nous avons appris que cet enfant de Martigny-les-Bains, né en 1702 et mort tragiquement en 1748, avait été le héros du roman de William Kirby, Le Chien d’or. Il fallait faire connaître cette célébrité canadienne dans la région qui en avait totalement oublié l’existence, et ce, avant qu’Internet n’en dénature les contours. un article paru dans la revue Le Pays lorrain fut la première étape de notre démarche, la seconde devant être l’appro-fondissement de sa biographie esquissée par le dictionnaire, tout cela en vue d’une publication livresque.

Il fallut donc lire ce fameux roman très connu autrefois en Amérique du Nord (sa première version fut en langue anglaise). À vrai dire, la lecture n’en fut pas aisée… Puis nous avons dépouillé les papiers des notaires, des ecclésiastiques et des juges où le nom de Nicolas Jacquin dit Philibert était inscrit et où sa personne était évoquée ou impliquée : vaste travail mené lors de nos séjours assez fréquents à Montréal entre deux conduites de nos petites-filles à l’école, et facilité par le caractère moderne et confortable, bref agréable, du service des Archives nationales du square Viger. Parallèlement, nous remontions le fil d’Ariane dans les Vosges, particulièrement dans les archives notariales de Martigny déposées aux Archives départementales, donc à Épinal. Nous avions ainsi l’ivresse de saisir une famille des deux rives de l’Atlantique, et surtout de ne pas la lâcher.

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une nouvelle piste, à la limite un nouveau bonheur, s’ouvrit quand nous découvrîmes que Nicolas ne fut pas le seul de sa famille à atteindre le seuil de la notabilité : ses trois frères furent aussi des personnages connus, sans avoir franchi l’Atlantique, deux en tant que curés de Paris, le troisième en tant qu’administrateur de biens ecclésiastiques. Ainsi la rive européenne des Jacquin se renforçait-elle sous nos yeux et dans nos dossiers, d’autant que nous entrions en même temps dans les salons dorés et les antichambres lambrissées d’une famille de notables très célèbre : les Marchal de Saincy, protecteurs de la fratrie Jacquin. Paris et Québec pesaient ainsi d’un même poids sur nos plateaux de chercheurs de preuves et de documents.

Hélas, il nous manquait et il nous manque toujours l’essentiel : les relations épistolaires entre ces deux pôles désormais retracés. Combien une lettre de Nicolas, une réponse de son frère ou une correspondance suivie avec Sébastien Marchal nous auraient fait bondir de joie ! Nous n’avons pas eu ce plaisir et les quelques brouillons de lettres du curé Antoine Jacquin à son neveu Pierre-Nicolas, datés des années 1770, ne compensent pas l’absence essen-tielle : des lettres de Nicolas à son arrivée, au temps de sa fortune et de ses difficultés, et, bien sûr, à la veille de son meurtre.

Car le meurtre de notre héros, le 20 janvier 1748, est évidemment l’élément clé de sa vie, celui qui l’a fait passer de simple personnage d’une vie ordinaire au rang de figure emblématique du Canada français. À ce sujet, nous n’avons pu que reprendre les écrits et les recherches de Pierre-Georges Roy, en y ajoutant quelques nouveaux éléments, mais aussi quelques points d’interrogation sur le jour fatidique et ses lendemains. Parmi ces lendemains, il y eut, pour nous, l’ouverture d’une chambre totalement fermée : la destinée des deux fils du Chien d’or. Leur émigration, non vers Pondichéry, mais vers Paris et l’île Bourbon, fut une découverte qui permettait d’enterrer définitivement la légende de la poursuite de l’assassin dans les comptoirs indiens. La réalité se révélait ainsi tout aussi surprenante que la légende. Que dire de la naissance de la petite-fille du Chien d’or sur un bateau en pleine « mer éthiopienne » !

* * *

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avant-propos 11

Nous voudrions, avant de commencer, attirer l’attention du lecteur sur le fait que, par la force des choses, nous avons progressivement modifié le patronyme de notre héros, selon sa propre volonté et son propre choix. Au fil des ans et des décennies (et au fil des pages), Nicolas Jacquin devient Nicolas Jacquin dit Philibert, et bientôt Nicolas Philibert. Comme souvent en Nouvelle-France, le surnom devient nom de famille et éclipse le précédent : n’est-ce pas la volonté même de celui qui l’a choisi ? Quant à l’appellation « Chien d’or » qui sert de titre à l’ouvrage, Nicolas aurait été bien étonné de se voir affublé de ce drôle de sobriquet ; mais n’avait-il pas la vivacité de certains chiens et une richesse apparente qui le recouvrait, aux yeux de ses contemporains, d’une carapace dorée ? Le roman de Kirby est arrivé entretemps et il est indéniable que le romancier a voulu faire passer à la postérité le négociant de Québec sous ce surnom de légende. Il faut donc continuer à l’affubler de ce deuxième surnom pour faire comprendre au même lecteur que, derrière l’enseigne, l’emblème, voire le sobriquet, se cache un Lorrain en chair et en os, qui a parsemé son court chemin de traces, d’actes notariés, administratifs, familiaux et judiciaires. Ces traces, nous les avons précieusement et respectueusement recueillies pour tenter d’en faire une histoire complète et rigoureuse.

Si notre pari n’est pas gagné, si notre ambition n’aboutit pas, alors nous sommes prêts à nous exposer aux crocs du chien qui dort…

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Église paroissiale Saint-Remy de Martigny-les-Bains, autrefois Martigny-lès-Lamarche (xiiie-xviiie siècles).

Cliché J.-F. Michel.

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chapitre 1Racines et protections

Martigny, en Lorraine

Une bourgade de la plaine des Vosges

Martigny-les-Bains est une bourgade située au sud-ouest du département des Vosges, à égale distance entre Nancy au

nord et Dijon au sud, et à 40 km de son chef-lieu d’arrondissement, la petite ville de Neufchâteau. Bourgade ? Le terme semble à la fois informel et péjoratif, mais Martigny n’est ni un village, au sens statistique, économique et humain, ni a fortiori une ville : absence de remparts à toute époque, absence de fonctions administratives autres que municipales, absence de commerces diversifiés et d’éta-blissements industriels conséquents. D’aucuns disent que la localité végète dans une petite région qui dépérit, et ses 856 habitants (1 118 en 1914) réalisent à eux tous, comme dans les communes voisines, un âge moyen dépassant le seuil critique1. Pourtant, elle connut une courte période d’ascension et presque de gloire du Second Empire à la Grande Guerre, lorsque le thermalisme, activité naturelle due à la qualité des eaux ferrugineuses captées alors à 4 mètres de

1. Le patrimoine de Martigny, surtout le patrimoine thermal (parc, pavillons, etc.), est parfaitement entretenu. Par ailleurs, il y a quand même 19 entreprises (essentiellement artisanales) dans la localité. Si le centre se dépeuple, la périphérie voit l’installation de nouveaux ménages. L’autre aspect positif de ce bilan réside dans la tranquillité de Martigny, appréciée des résidents. Nous remercions Mme Danièle Abriet des renseignements qu’elle nous a fournis et qui complètent nos recherches, et les études de Jules Dubois que nous avons consultées.

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profondeur (et au-delà), mais aussi ponctuelle grâce à l’investisse-ment et à l’impulsion de madame veuve Maubertier, fit bondir les constructions d’hôtels, de kiosques et de villas. Il fut un temps où l’on donnait, sur prospectus, les distances entre Martigny et Saint-Pétersbourg et le temps de trajet ferroviaire entre les deux localités. Heureux temps de la Belle Époque ! À ce moment, Martigny se dote d’une gare et troque le nom peu attirant de Martigny-les-Lamarche contre celui de Martigny-les-Bains. À la fois pour se démarquer des stations thermales voisines, Vittel et Contrexéville, et pour ne plus avoir l’ombre de la petite « ville » voisine, la médiévale Lamarche. Et pourtant Martigny se flattait souvent de son antériorité par rapport à tous ces noms de villes tirés de la nature, des bains ou de la bazoche. L’historien local Jules Dubois a grandement insisté sur les nombreuses trouvailles archéologiques, à la fois gallo-romaines et mérovingiennes, faites aux abords ou dans la bourgade. un embranchement de la voie romaine Langres-Strasbourg passait par là, et une fouille systématique révélerait encore bien des surprises et des découvertes. La légende rejoint d’ailleurs la réalité, car on racontait parfois que Sabinus, le chef lingon, et sa femme Éponine, pourchassés par le pouvoir romain, avaient trouvé refuge dans un souterrain sur lequel l’église Saint-Remy serait bâtie. Dans une plaine des Vosges truffée de vestiges (Grand n’est pas loin), de secrets et de traditions orales, Martigny, l’antique Martiniacum ou Martis-ignis, revendique à juste titre sa part de romanité…

La localité se trouve à l’extrémité du gradin intermédiaire entre le pays de Neufchâteau, plus élevé, et le bassin des sources de la Saône : elle est située à 369 m d’altitude, près de la source du Mouzon. Cette petite rivière, en se jetant dans la Meuse, fait encore partie du réseau hydrographique du nord de l’Europe et est elle-même alimentée par de nombreux ruisseaux convergeant sur Martigny. Les presque trois mille hectares d’emprise communale sont en effet variés, voire accidentés, et se séparent en deux zones : au nord et à l’ouest, un relief sinueux et majoritairement boisé, au sud et à l’est, des plaines cultivées, et à une altitude plus élevée que le bâti du centre. La partie habitée se concentre donc dans un modeste vallon. Si le climat peut être qualifié de semi-continental, l’absence de vents violents et l’humidité résiduelle de l’air constante

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chapitre 1 • racines et protections 15

confèrent à l’ensemble du site une certaine pureté atmosphérique. Martigny est fortement influencée par l’existence de forêts (913 ha actuellement) et de microreliefs, puisqu’elle est abritée des brises du nord et des vents d’ouest par de petites montagnes, le mont Saint-Étienne par exemple, et des vents d’est par les contreforts des Hautes-Vosges. Le nombre de jours de pluie par an s’élève à 119 pour une moyenne de précipitations de 787 millimètres. Peut-on parler de microclimat ? une récente étude géographique parlait de conditions favorables au déroulement d’une vie saine et paisible, mais peut-être Nicolas Jacquin, quittant sa terre natale pour la Nouvelle-France vers 1728, pensait-il autrement ? L’hiver de 1709 restait alors dans toutes les mémoires. Quant aux sols, à la fois argi-leux et calcaires, partagés entre « bruns lessivés » et « bruns eutro-phes », ils n’offrent pas de mauvaises conditions aux agriculteurs d’aujourd’hui, pas plus qu’aux manouvriers et laboureurs d’hier, mais l’importante couverture forestière, protégée et défendue par le pouvoir ducal puis royal, rendait alors la pression humaine sur les terres cultivées plus insupportable.

Seigneurs, traditions et habitants au début du xviiie siècleLorsque, le 22 mai 1702, Nicolas Jacquin voit le jour et reçoit le baptême des mains du curé Richelot, les habitants de Martigny forment une communauté plus ou moins soudée et encore pro-fondément traumatisée par le dernier siècle : guerres, occupations, exactions et exigences françaises ont marqué les têtes et les cœurs. Les mauvais souvenirs sont encore présents. Martigny, sans rem-parts et sans château, mais avec ses maisons fortes2 et ses grosses maisons de laboureurs, a attiré les troupes de toute origine, mais aussi des réfugiés des provinces et des villages voisins chassés par la furie française ou suédoise. Le village presque mitoyen (un quart de lieue) de Dompierre a ainsi été rasé de fond en comble, et ses malheureux habitants survivants ont été obligés de se regrouper

2. Il ne reste plus d’ancien (antérieur à la Révolution) que l’église (xiiie siècle), le presbytère (xviie) et quelques éléments intégrés à des façades du xixe.

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dans le bourg, sur la rive droite du Mouzon. Ils gardent le souvenir de leurs meurtrissures et de leur origine en constituant une paroisse distincte de la vieille église Saint-Remy, et font construire à la hâte une chapelle consacrée à saint Pierre, qui sera bientôt remplacée par une véritable église.

La déclaration de communauté de 1706 rappelle que « les deux paroisses ne font qu’une communauté pour les usages communaux, pour le pâturage et pour les troupeaux qui sont communs ». La même déclaration évalue les paroissiens de Saint-Pierre à environ 40 âmes s’ajoutant aux 150 de Saint-Remy. Ainsi, au début du xviiie siècle, la population de Martigny n’atteint même pas deux cents habitants !

Inutile de dire que la coexistence de ces deux paroisses n’en-traîne pas que des bienfaits et de la paix. Ne serait-ce qu’au sujet des dîmes, la rivalité entre les deux desservants est vive, car ils ont le tiers des grosses dîmes, c’est-à-dire sur le froment, mais le curé de Saint-Pierre n’a que le douzième sur tout le finage. Quant à la menue dîme (légumes, pois, fèves et lentilles au champ, navette en grenier, chanvre mâle à la chènevière), les calculs de répartition sont encore plus complexes. Pour le vin, il se dîme à la cave en treize pintes et chopines, le curé de Saint-Remy prenant les trois quarts de la dîme des pressoirs, et le curé de Saint-Pierre le reste. Et la déclaration de 1706 de continuer : « sur les cochons de lait étant bons à manger, sur les agneaux en espèce, trois de chaque fois dix. Le décimateur choisit dans le reste, en comptant ceux qui sont séparés, si au-delà de chaque fois dix il en reste sept ou moins, le décimateur n’en prend point, s’il en reste huit ou plus, il en prend une, mais en décompte ou précompte de part et d’autre l’année suivante au dixième, pour quoi faire on tient deux rôles, l’un entre les mains des décimateurs, l’autre en celles d’un offi-cier de la communauté, qui sont signés respectivement, lesquels rôles contiennent ce que chacun doit, ou ce qui sera dû pour s’y conformer l’année suivante ». On ajoutera que les deux curés sont chargés de la fourniture du bélier et du porc mâle pour le troupeau communal, et l’on pourra conclure et comprendre que les rixes en plein champ, les chicanes et les plaintes se multiplient alors à Martigny, tant entre les habitants qu’entre les habitants et leurs

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chapitre 1 • racines et protections 17

pasteurs. Lorsqu’il sera à Québec, Nicolas sera aux prises avec un système de dîmes beaucoup moins contraignant et différent dans la forme, la dîme à la vingt-sixième gerbe étant la moyenne du pays. Nous y reviendrons car ses activités commerciales et boulangères le mettront souvent en rapport avec des curés décimateurs de Nouvelle-France.

Mais le clergé des deux paroisses, redoutable dans ses fonctions de décimateur et de gestionnaire, est respecté, voire vénéré, dans ses fonctions de pasteur et de guide spirituel. À Martigny, peut-être plus qu’ailleurs, la population est profondément imprégnée de reli-gion et le salut est une préoccupation journalière : les fondations de messes, l’entrée dans les confréries, celle du rosaire notamment, et les donations à destination de futurs collégiens ou prêtres semblent légion. La paroisse de Saint-Remy, vu son ancienneté, récolte les plus nombreuses, mais celle de Saint-Pierre, là où réside la famille maternelle de Nicolas, n’est pas à plaindre. tous les habitants savent qu’ils sont sous l’autorité de l’évêque de toul et, lorsqu’il se mariera en 1733, le futur « Chien d’or » n’aura que cette appartenance à étaler et à préciser sur le registre de Québec : il est de Martigny en Lorraine, mais surtout du « diocèse de toul ».

En cette année 1702, le duc de Lorraine a retrouvé sa souve-raineté sur ses États, et les habitants de Martigny sont ses sujets. Léopold est rentré en 1698 dans sa bonne ville de Nancy et le traité de Ryswick lui garantit le plein exercice de son autorité « ducale ». Pourtant, dans la bourgade, les choses sont plus complexes. On est dans le Barrois mouvant depuis le Moyen Âge et, si la justice ressort du bailliage lorrain de Lamarche, la ville la plus proche, la plupart des appels se font à Langres, ville française située à 25 lieues, ou dans les cas extrêmes à Paris. Complexité supplémentaire, la localité est coupée entre deux seigneuries de haute justice, l’une appar-tenant au duc, l’autre à l’abbé de Saint-Epvre de toul, en vertu de droits immémoriaux confirmés dans un accord écrit de 1594. Les manants ne sont donc pas égaux devant la taxe, les redevances multiples et les banalités du four ou des nombreux moulins. L’abbé de Saint-Epvre, qui a ses officiers et son maire, lutte pied à pied pour maintenir ses prérogatives sur la minorité qui lui appartient, et ce n’est pas facile face à un duc restauré et réformateur.

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Il y a toutefois une coutume que ni l’un ni l’autre des seigneurs n’a réussi à réformer ou à supprimer, et qui profite à toute la com-munauté, et sans doute épisodiquement au seigneur ecclésiastique : c’est le droit très antique, pour ne pas dire archaïque de « tourne tuile ».

Ce droit consiste, dit la déclaration de 1706, à pouvoir changer autant de fois que bon semble aux habitants, de seigneur, de juridiction et de ressort, ce qui se fait en parlant à son maire et en lui disant : Adieu Monsieur le Maire, tenez, voilà ce que je vous dois et vous déclare que je change de seigneurie. Après quoi, il s’enfuit au cimetière de la paroisse de Saint-Rémy dudit Martigny où il doit demeurer pendant 24 heures, après quoi le maire de la seigneurie le vient retirer de l’église ou cimetière, et le prend comme en sauvegarde le conduisant dans sa maison et payant à ses premiers officiers 3 francs où les autres ont aussi part également, moyennant quoi il est déchargé des forma-lités onéreuses qui se pratiquaient auparavant, et doit néanmoins à son ancien maire en lui disant Adieu 14 blancs, et au nouveau en le reconnaissant pour son juge après 24 heures, un demi-sol.

Ce droit prévoit d’ailleurs tout contournement ou toute utili-sation frauduleuse : « Si celui qui quitte son ancien seigneur après qu’il a dit Adieu au Maire était pris et appréhendé avant qu’il soit arrivé au cimetière, ou s’il en sortait avant même les 24 heures, et qu’il fût pris, il y aurait contre lui confiscation de corps et de biens, et n’en peut sortir que les deux justices le laissent tirer du cimetière ; laquelle confiscation est au profit du seigneur qu’il quitte. » Il n’empêche que cette particularité agace profondément les autorités lorraines, même si Léopold l’a confirmée : « Ce droit est véritablement hétéroclite et abusif, déclarent ses subordonnés, il en naît des inconvénients infinis. Il serait plus convenable que les sujets soient partagés, et qu’ils demeurassent fixes et attachés à leur seigneur, sans être volants comme ils le sont. »

Malgré tout, les maires comptabiliseront fidèlement sur leurs registres les entrants et les sortants. Le rattachement de la Lorraine à la France et la nuit du 4 août 1789 mettront un point final à ce curieux droit de « tourne tuile » remontant à la nuit des temps. La famille Jacquin, implantée dans la seigneurie de l’abbé de Saint-

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chapitre 1 • racines et protections 19

Epvre, n’aura pas à l’utiliser : Jean-Claude, le père de Nicolas, ne tournera jamais sa tuile et n’ira pas passer un jour complet au cimetière et, lorsque ses enfants quitteront le domaine de l’abbé et la maison paternelle, ce sera pour partir loin de Martigny et de ses vieilleries.

La communauté représente-t-elle une unité sociale ? Il y a bien sûr, vu la relative qualité des terres, quelques grosses familles de laboureurs, les Marchal, les Philbert, les Pierrot, améliorant leurs revenus par le travail de quelques arpents de vignes. Avant les manouvriers et les pauvres, s’intercale une petite fraction d’artisans : chapelier, tissier en toile, débitant de tabac, ou autre gagne-petit, faisant face aux années dures par la possession et le travail d’une chènevière ou de quelques terres à pois et à navette. Le boulanger forgeron Jean-Claude Jacquin s’inscrit dans ce groupe. S’il n’y a pas de seigneur résidant, quelques familles de petite noblesse habitent épisodiquement de vieilles demeures épargnées par les guerres, comme la famille de Saint-Lambert qui habite le faubourg Saint-Pierre.

Charles-Philippe de Saint-Lambert, décédé à Martigny en 1711 à 84 ans, dut souvent croiser les enfants Jacquin dans les rues ou dans l’église, de même que son fils René, qui fut embastillé en 1707 pour de sombres et futiles affaires, et qui vécut un certain temps avec son épouse dans la bourgade. Ce même René n’est autre que le grand-père de Jean-François, l’amant d’Émilie du Châtelet et le rival de Voltaire. Mais cela est une autre histoire…

L’environnement de Martigny est aussi cette imposante forêt qu’il nous faut évoquer. Certes, elle reste modeste face aux étendues d’érables et de conifères bordant le Saint-Laurent, et que connaîtra et utilisera Nicolas dans ses transactions et ses marchés, mais elle mérite qu’on s’y attarde : avec ses frères, il dut souvent y accompa-gner leur père pour l’aider à réaliser ses affouages et couper son bois. Au début du xviiie siècle, les officiers ducaux déplorent un mauvais entretien : « leurs bois sont communaux, et ils possèdent une forêt dite le haut-bois. Il contient 917 arpents mesure de France suivant l’arpentage fait par Belliotte en 1689. Il est situé sur le plein d’une montagne et ses coteaux. Le terroir est sablé. Cette forêt est partagée par la grande route qui va de Martigny à Vrécourt

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sur la droite du côté du levant, jusqu’aux bois de Crainvillers. Ce canton est de haute futaie, les chênes et hêtres y sont abondants. » Le rapport continue en vitupérant les habitants qui ont exploité le quart en réserve fixé auparavant par la loi française, et ce, sans permission. Il termine en annonçant des sanctions et en soulignant « que cette communauté est une de celles qui a fait le plus mauvais usage de ses bois qu’aucune autre ; l’indépendance sur laquelle elle s’est soutenue a causé ce dérèglement. Elle devrait avoir des bois de bâtiments et de chauffage à en fournir à d’autres, elle n’a cependant que le quart de réserve qu’elle s’est obligée de mettre en coupe, et qui est une belle et haute futaie pour les bâtiments ».

En résumé, Nicolas Jacquin, en quittant Martigny pour des hori-zons nouveaux vers 1728, connaîtra en Nouvelle-France des usages plus simples et des situations moins pesantes. Certes, le régime

Portail de l’église Saint-Remy de Martigny, 1712. Nicolas Jacquin avait dix ans lorsque ce portail fut aménagé

à la base du clocher. Cliché J.-F. Michel.

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table des matières

Avant-propos 9

Chapitre 1Racines et protections 13

Martigny, en Lorraine 13Une bourgade de la plaine des Vosges 13Seigneurs, traditions et habitants au début du xviiie siècle 15

une famille ordinaire ? 21Les Jacquin, Comtois puis Lorrains 21Les bonheurs de Jean-Claude Jacquin et d’Anne Pierrot

(1691-1717) 221717-1729 : le temps des malheurs 26Les Pierrot et les Philbert 27

Réseaux de protection et raisons du grand départ 29Le rôle du frère 29L’illustre famille Bégon 31Le clan Marchal 32Les raisons déduites du grand départ de

Nicolas Jacquin Philibert 37

Chapitre 2L’arrivée à Québec et la marche vers la fortune 39

une hypothèse : la traversée sur l’Éléphant 39Hypothèse ou quasi-certitude ? 39Monseigneur Hermann Dosquet (1691-1787) 40La traversée sur l’ Éléphant et le naufrage du

1er septembre 1729 42Les années d’adaptation, 1730-1733 48

Québec et ses habitants en 1730 48Le maître d’hôtel devient marchand 52

Le négociant bâtisseur 55Le mariage de Philibert 55L’acquisition et l’extension de la maison du Chien d’or 58

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Chapitre 3Le bourgeois Philibert 65

Commerce proche et commerce lointain 65Les conditions d’un approvisionnement régulier 65Le blé, la farine et le pain, toujours… 67Le marchand magasinier 73Un des acteurs du commerce triangulaire 77

Le Saint-Pierre et le Philibert, les deux orgueils du Chien d’or 80Rivé à la rade et au « cul-de-sac » 801739-1742 : l’heureux commanditaire du Saint-Pierre 84La pharmacopée du Saint-Pierre 86L’apothéose avec le Philibert 88

Le maintien des liens avec le sol natal 89Royaume de France ou duché de Lorraine ? 89Liens occasionnels et liens professionnels 90Liens de fratrie et de clientèle 91L’affaire Marchal de Noroy 94

Cadre d’existence et style de vie 99La maison du Chien d’or : visite intérieure 99La bibliothèque de Philibert 102Domestiques et esclaves 104Un bourgeois gentilhomme ? 106

Le munitionnaire du roi 108La guerre, à nouveau 108Le péril imminent de guerre à Québec 110Le problème des prises anglaises 111Le fournisseur aux armées 113

Chapitre 4L’assassinat et ses conséquences 115

Le meurtrier 115Une grande famille à l’échelle de la Nouvelle-France 115Un lieutenant baroudeur 117Le problème du logement des officiers 119

Le drame 121Acte un 121Acte deux 123

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Acte trois 124Explications de texte et de contexte 127La mort romancée du Chien d’or 130

Les lendemains de l’homicide 133Premières urgences, dernier adieu 133La justice du roi 135Effet supposé de la nouvelle à Paris et en France 137Le pardon du roi 139

Les surlendemains et les destins 140Le destin hors du commun de Pierre Legardeur de Repentigny 1401751 : les noces des deux Marie-Anne 143L’étrange destin de Pierre-Nicolas et de Nicolas 147Les derniers Jacquin et les derniers Jacquin Philibert 152

Le Chien d’or : entre légende et réalité 154La maison du Chien d’or après les Jacquin Philibert 154L’imaginaire de William Kirby 156Une dette de sang 161

Annexes 165

Inventaire des biens de communauté, après le décès d’Anne Pierrot, épouse de Jean-Claude Jacquin, le premier avril 1717 165

Apposition des scellés sur les biens de feu Jean-Claude Jacquin, à Martigny le 9 avril 1729 172

Contrat de mariage entre Nicolas Jacquin dit Philibert et Marie-Anne Guérin, à Québec le 21 novembre 1733 174

Contrat entre Nicolas Philibert et Bertrand Gibert passé à Québec le 6 novembre 1734 177

Déclaration concernant la cargaison du Philibert, 20 octobre 1746 180

Acte de sépulture de Nicolas Jacquin Philibert, 23 janvier 1748 181

François-Réal Angers (Pointe-aux-trembles, 1812, Québec, 1860) 182

Bibliographie 183

Remerciements 187

Lexique 188

Index des noms de lieux et de personnes 189

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cet ouvrage est composé en minion corps 12selon une maquette réalisée par pierre-louis cauchon

et achevé d’imprimer en mai 2010sur les presses de l’imprimerie marquis

à cap-saint-ignace, québecpour le compte de gilles herman

éditeur à l’enseigne du septentrion

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