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Le cinéma dans l’oeuvred’Anne-Marie Garat

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Contemporary French andFrancophone StudiesPublication details, including instructions for authorsand subscription information:http://www.tandfonline.com/loi/gsit20

Le cinéma dans l’oeuvred’Anne-Marie GaratLaurence BrogniezPublished online: 18 Aug 2006.

To cite this article: Laurence Brogniez (2005) Le cinéma dans l’oeuvred’Anne-Marie Garat, Contemporary French and Francophone Studies, 9:3, 227-235, DOI:10.1080/17409290500168933

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Contemporary French and Francophone StudiesVol. 9, No. 3 September 2005, pp. 227–235

LE CINEMA DANS L’OEUVRE

D’ANNE-MARIE GARAT

Laurence Brogniez

Nee a Bordeaux en 1946, Anne-Marie Garat est l’auteur de romans et de recits,ainsi que d’essais et d’articles sur la photographie et le cinema. On lui doit,entre autres, L’insomniaque (1987, Prix Francois Mauriac), Chambre noire (1990,Prix Alain-Fournier), Aden (1992, Prix Femina) et, plus recemment, Nous nousconnaissons deja (2003). Elle vient de publier chez Actes Sud Une faim de loup, une

FIGURE 1: Anne-Marie Garat (Photo privee).

ISSN 1740-9292 (print)/ISSN 1740-9306 (online)/05/030227–235 � 2005 Taylor & Francis Group Ltd

DOI: 10.1080/17409290500168933

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lecture du Petit Chaperon rouge (2004). Professeur de litterature, de photographieet de cinema, chargee de mission pour l’Education artistique et l’Actionculturelle du Ministere de l’Education nationale (2000-2005), Anne-MarieGarat est aussi co-auteur d’un ouvrage d’initiation a la culture de l’image, Petitefabrique de l’image (1988), dont une version revue et augmentee vient de paraıtreaux editions Magnard (2003).

Les questions du reel et de la fiction, du secret et de la memoire,concernent l’ensemble de sa demarche dans leur lien etroit avec l’auto-biographie. Dans le cadre d’une reflexion generale sur l’image, qui se trouveau cœur de son travail pedagogique, critique et romanesque, elle nous parle dela place qu’occupe le cinema dans son imaginaire et son ecriture.

Paris, 17 janvier 2005

L.B. – Dans vos romans, l’image est tres presente, que ce soit sous sa formepicturale, photographique, cinematographique, voire onirique ou memorielle.D’ou vous vient cet interet pour les images ?

A.-M.G. – C’est une banalite de le dire, mais on vit tous au milieu des images.Ce qui est plus curieux, c’est le fait d’y porter un tel interet. Pourquoi s’arretera considerer de maniere plus amoureuse, plus interrogative aussi, ce qui se passedans cette relation avec les images ? Ce n’est pas tellement mon milieu qui m’ya amenee – je suis issue d’un milieu tres modeste –, mais plutot des rencontres,parfois illuminantes, comme celle avec mon professeur de philosophie, PhilippeLacoue-Labarthe, alors tout jeune debutant. Il avait cree un cine-club et aveclui, j’ai «mange » du cinema a cet age de l’adolescence ou l’on est pret arecevoir toutes sortes de choses, parfois de maniere assez violente. Il y a aussi larencontre avec mon premier mari, peintre. Quand vous vivez quotidiennementdans ce qui s’elabore, dans le contact avec la matiere, les couleurs, les pigments,vous developpez un rapport tres physique avec l’image – j’entends la questionde la representation. Elle vient vous chercher dans ses formes les plus materielles,apparemment humbles et techniques, mais en realite, c’est la qu’elle se pose.Meme a travers l’odeur d’essence dans la maison !

Sur mon chemin, j’ai aussi trouve des maıtres, comme Daniel Arasse, parexemple, qui a cette bonte d’eduquer et d’aiguiser votre regard sans cherchera vous intimider par sa culture. Je pense que ce sont des gens comme lui, ici oula, qui m’ont donne ce plaisir. Je suis plus vivante a interroger ce qui, autour demoi, n’est pas la vie, mais la representation. Je ne suis pas dans le vecu, et dansmes livres, je ne cherche pas a donner forme litteraire a mon autobiographie –j’ai meme avec l’autobiographie, ce grand genre, une resistance, voire descomptes a regler. . .Je n’ai pas avec la realite ce besoin d’investir dans mes livres,meme si je suis tout entiere dans mes livres, a travers la fiction. J’organise unefiction pour etre dans la representation, dans le simulacre de la realite.

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L.B. – Depuis des siecles, les ecrivains se sont confrontes a la difficulte detransposer, dans leurs textes, des images. En tant que romanciere, quelles sont,pour vous, les principales difficultes qui se posent a l’ecrivain dans le cadre de ladescription d’une image, et plus particulierement d’une image filmique ?

A.-M.G. – La dire, c’est la faire passer dans une forme qui est paradoxale, carl’image ne parle pas. C’est donc lui donner voix, de telle sorte que le lecteurla voie. En ecrivant, je ne me pose pas la question de savoir comment je vaisrendre visible une image. C’est en ecrivant qu’elle se donne a voir a moi-meme :je la compose, je la corrige, je l’elabore dans la langue jusqu’a ce qu’il mesemble en avoir figure les traits indispensables. C’est la que se pose le choix,toujours ingrat, du mot, et la question de l’agencement de la phrase – y comprisjusque dans son rythme, son souffle, sa plus ou moins grande etendue – : laphrase dit l’image, elle fragmente, enchaıne ou isole, c’est dans toute la matierede la langue que cela se passe. Mais c’est aussi dans les silences, c’est-a-dire dansl’invisible, que l’image se dit. Les grands producteurs d’images, c’est-a-direles grands ecrivains, sont pour moi ceux qui laissent de la place au lecteur.Le lecteur construit dans le temps de sa lecture (comme au cinema ?) tout ledispositif imaginaire du visible et de l’invisible, dans ce qui n’est pas dit et qu’ilva chercher dans sa memoire, dans sa connaissance du monde.

Pourquoi ecrire des livres plutot que faire de la photographie ou du cinema ?Le cinema et la photographie m’appellent et m’interessent, mais c’est dansla litterature, qui est mon langage, que se pose justement pour moi laquestion de l’image de la maniere la plus aigue, dans la mesure ou elle parle del’invisible. Si elle est simple illustration ou reduplication de la realite, lalitterature est redondante. En tant qu’art, la litterature a un enjeu, et peut-etretout particulierement aujourd’hui : elle poursuit son chemin obstine et obscur avouloir dire ce qu’on ne peut pas dire, ce qui n’a pas encore ete dit, ou pas souscette forme-la, a voir ce qui n’a pas ete vu, en tout cas pas sous cet angle-la.

L.B. – La presence de l’image affecte-t-elle le genre du texte ? Est-ce qu’unrecit fonde sur l’image change de nature ? Je pense, par exemple, a vos deuxcourts textes L’amour de loin (1998) et La rotonde (2004), respectivement sous-titres « Image » et « Panorama ». Quel statut donnez-vous a ces textes ? Quelleplace occupent-ils dans votre œuvre ?

A.-M.G. – C’est un triptyque. Un troisieme volume viendra completer cepetit ensemble d’objets non identifies, qui ne relevent en effet ni de la nouvelle,ni de l’essai esthetique. C’est veritablement d’un genre « image » qu’ilsprocedent. Le panorama qu’evoque La rotonde, c’est une image qui n’existe pas,bien qu’on ait tente de la realiser en photographie et au cinema, dans l’ambitionde tout voir, a 360. L’image cinematographique ou photographique peutdonner cette illusion mais ce reve d’avoir des yeux derriere la tete – ou plutot,

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tout autour de la tete – et de percevoir la totalite du visible, c’est une utopie,comme de voler. Nous sommes condamnes a l’existence de cette part detenebres dans notre dos.

Dans ce type d’interrogation, le temps romanesque n’est pas sollicite. Il mefaut donc des textes brefs, qui laissent le lecteur deployer lui-meme l’image.Dans La rotonde, c’est le temps balistique du deplacement d’une balle de fusil :c’est un temps tres court, du point de vue de l’action, et pourtant c’est dans cetemps tres bref que se joue le drame. Le lecteur a tous les elements en mainpour reconstruire le roman qui a eu lieu, ou qui n’a pas encore eu lieu, dansun autre temps donc, d’avant ou d’apres. Moi, j’ai le doigt sur la detente et lecoup part : je suis dans cette compression qui est, comme pour l’image, del’ordre de l’instantane, du desir. Ecrire procede aussi de cet elan dont on ne saitpas ce qu’il va donner, quelle forme il va prendre. Et quand il l’aura prise,l’envie sera epuisee. Le roman, c’est ce que l’on abandonne, ce a quoi l’on seresigne, une trace.

L.B. – Dans Merle (1996), votre heroıne est monteuse. Qu’est-ce qui vous adecidee a choisir ce personnage ? Et quelles implications ce choix a-t-il eues surl’ecriture du roman ? Y a-t-il selon vous une affinite entre l’ecriture d’un romanet le montage d’un film ?

A.-M.G. – Dans ce roman, j’ai commence par inventer un film qui n’existepas. Un film dont je reve qu’il existe, dans des archives, quelque part. J’aimeraisqu’on le trouve, le film de ce jesuite, primitif du cinema, qui s’en va filmer auBresil une femme empaillee, une femme adoree, tres belle, et morte d’amour,embaumee, avec l’art du taxidermiste – j’avais sans doute Hitchcock derriere latete ! Mais ce n’est pas l’horreur de Psychose : c’est une femme qui est resteetres belle dans l’embaumement. L’art du cinema, avec les pales du ventilateurqui tournent et qui agitent les voiles autour du corps de cette femme, luirestitue du vivant.

L’autre image, au depart, est celle qui ouvre le livre, celle du papillonecrase sur le pare-brise. C’est un tres gros papillon, du genre de ceux que j’avaisdecrits dans Le monarque egare (1989). J’imaginais que l’un de ces papillons, venupeut-etre du Canada ou des lacs d’Amerique du Nord, s’etait egare, porte parles hauts vents, pour arriver en France, en novembre, et venir s’ecraser sur lepare-brise de mon heroıne.

Et tout a coup, j’ai la voiture, j’ai la femme dans l’habitacle, et quelquechose qui vient se plaquer sur cet ecran du pare-brise comme un masque demort. Et ecrire le roman, c’est deployer des personnages et de la narration apartir de ce qu’il y a dans ce film imaginaire et dans cette image du papillonecrase, dont je ne connais pas encore le sens quand je commence a ecrire.Ensuite, j’ai construit le livre de maniere intuitive comme un montage ensequences, en unites narratives, dans des lieux differents de Paris et de la

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banlieue, avec des deplacements multiples. Mais les raccords, c’est le lecteurqui les fait. Meme s’ils peuvent lui paraıtre tres aleatoires, voire choquants,ils sont representatifs des rencontres eparses de cette femme, Merle, dont lavie echappe comme elle nous echappe a tous, parce que sa logique, nous laconstruisons, a toute force. Et donc ce roman construit a toute force, par ledecret du montage de cinema – montage narratif donc –, des unites de recit, ouMerle passe du passe au present, de sa memoire a sa vie, de son ancien mari aucineaste bresilien, etc. Et pour finir, dans l’epilogue, je decris un tableau qui estfortement inspire de la Sainte Ursule de Carpaccio, qui etait deja presente dansmon premier roman, L’homme de Blaye (1984). Une femme endormie, dans undispositif tres precis et precieux d’objets qui font tous signe. Au fond, j’ai besoinde ce monde du sens, qui caracterise la rhetorique de la peinture de cetteepoque, les grandes representations gothiques et renaissantes. J’avais besoind’installer, apres toute cette fluidite, tous ces mouvements et ces strates detemps superposees, quelque chose qui, tout a coup, dans l’immobilite – qui estla mort aussi –, fige le sens. Mais au fond, c’est un desaveu que ce tableau finalqui vient arreter l’image dans l’immobilite, dans la beaute, une beaute cruelle,celle de Baudelaire, peut-etre.

Merle est un roman particulier. Mon compagnonnage avec le cinema yest present, meme si je n’ai pas fait un livre de cinema. C’est plutot comme sile reve du cinema venait produire de la litterature. Je dirais meme que ce quim’interesse, chez les photographes ou les cineastes, c’est ce qui se passe derrierel’appareil, a l’œilleton, c’est l’operateur qui est en train d’ecrire avec lalumiere. Qui est cet operateur qui, a un moment, met son œil a l’œilleton ? Peuimporte qu’il sache ou ne sache pas ce qu’il fait, l’important, c’est qu’il appuiesur le bouton. Donc, c’est lui qui me retient dans ce moment ou il declencheplutot qu’un quart ou un centieme de seconde plus tard, pour capter, ainsi qu’ille croit – sans doute se trompe-t-il –, retenir et fixer, dans l’image, quelquechose du flux de la vie. Je crois que c’est la le grand leurre, la magnifiqueinvention de la photographie et du cinema : nous avoir donne des appareils quiapparemment repondent a notre besoin d’arreter le temps, la vie, et qui, tout aucontraire, nous accompagnent dans le flux. Une image arretee n’est jamais dutemps arrete.

L.B. – Dans Nous nous connaissons deja (2003), vous dites que malgre notre queteet notre desir d’images, « voir nous epouvante ». Les images – peintures,photographies ou films – nous aident-elles a «mieux » voir ou participent-elles,d’une certaine maniere, a notre aveuglement volontaire ?

A.-M.G. – Je fais dire cela a ma narratrice, qui n’a pas de nom et que je nedonne jamais a voir au lecteur. Sauf a un moment, dans le reflet d’une vitrine delibrairie, obturee par la nuit, et c’est un visage assez effrayant, epouvantable,qu’il vaudrait mieux ne pas voir, justement.

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Beaucoup de romans poursuivent cette entreprise de faire la lumiere,d’elucider les choses cachees, de l’ordre du secret ou de la revelation. Maispeut-etre est-ce le contraire que nous voulons : ne pas savoir, ne pas voir, ne pasentendre, parce que sous la lumiere crue, celle des dieux, la verite du monde estinsupportable.

Voir epouvante : il y a en effet certainement une souffrance a acceder acertains degres du visible. Et l’obscurite finalement, dont on a peur, pourtant,comme au temps de la petite enfance ( je reviens sur cette hantise dans mondernier livre sur le Petit Chaperon rouge, Une faim de loup), nous est peut-etreplus confortable, qui nous preserve de toutes ces choses cachees prises dansl’epaisseur du present. Et la litterature, elle, se donne cette opportunite, cemoment de pause pour aller, justement, y voir de plus pres. Comme le fait laphotographie, elle jette un peu de lumiere sur ces choses qu’on ne voit pas encourant, ces choses qu’on ne voit pas dans le flux de la vie.

L.B. – Aujourd’hui, la novelisation – transposition d’une œuvre cinemato-graphique sous forme textuelle – est devenue un sujet d’interet dans le domainede la recherche sur la litterature et le cinema. Une pratique qui ne datecependant pas d’hier mais qui semble a nouveau poser question, a traversCinema (1999), le roman de Tanguy Viel, par exemple. Que pensez-vous de lanovelisation ? Est-ce une entreprise qui vous semble fertile que de raconter, sousforme de roman, un film ? Y avez-vous vous-meme deja songe ?

A.-M.G. – C’est quelque chose que je reve toujours de faire, meme si jepense que cela aboutit souvent a l’echec. Cette tentative, qui se situe dans ledroit fil de la pratique populaire qui proposait, dans le passe, de donner a voirdes films a des gens qui ne les voyaient pas, est un tres bel exercice, je trouve,tant qu’il n’a pas de pretention litteraire. Il y a quelque chose de tres jouissifa raconter a des amis les films qu’on a vus et qui nous ont passionnes.Et d’ailleurs, si on ecoute bien ce que font les gens a ce moment-la, onremarque qu’ils parlent le plus souvent surtout de leur emotion de spectateur.Ils ne parlent pas du film, ils parlent de leur perception.

Si le cinema a souvent adapte des œuvres litteraires – et cela, des sesorigines, avec ce que l’on a appele en France le « film d’art » –, parfois avecbonheur, je ne connais pas d’ecrivain qui se soit veritablement empare d’un filmpour en faire une grande œuvre de litterature. Peut-etre la pregnance du visible,de par la nature analogique de l’image de cinema, a-t-elle quelque chose detetanisant qui empeche l’ecrivain de se detacher assez du film pour parvenir atransposer de maniere romanesque ce qu’il a ressenti, lui, en tant que spectateur.

Personnellement, j’ai cherche a faire cela dans certains de mes romans.Istvan arrive par le train du soir (1999), par exemple, est un roman qui se trouvetout entier sous l’emprise du Troisieme Homme. Ce livre raconte les retrouvailles,dans un Paris nocturne, entre mon personnage, Joseph, et son ami Istvan,

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debarque de Budapest. Et des son arrivee, Joseph va fouiller dans les poches decet homme qu’il aime mais qu’au fond, il ne connaıt pas. Comme le troisiemehomme qui se revele etre un criminel. Je crois que j’ai ecrit ce roman a l’ombrede ce film et, en meme temps, ce n’est pas du tout ce film-la. Et d’ailleurs,quand j’envoie mon narrateur voir le film en question, il s’endort. Il voitla premiere sequence au cimetiere et il se reveille a la fin, a nouveau dansle cimetiere.

Je ne sais si on peut faire – je ne dis pas mieux – autre chose que cela.J’aimerais pourtant que les ecrivains s’affranchissent de l’emprise realiste del’image de cinema pour transformer l’essai en œuvre de litterature et ecrire unroman du film. Et non pas une novelisation du film. Parce que « noveliser »le film, c’est se mettre a genoux devant ce qu’il a d’imperatif. Et du coup,on tombe dans ce qui se faisait dans les annees 20, on raconte le film. Et il ya une perte litteraire la, ou plutot, il n’y a pas de litterature.

L.B. – Vous a-t-on deja propose d’adapter l’un de vos romans au cinema ? Vousetes-vous deja vous-meme confrontee a l’ecriture scenaristique ?

A.-M.G. – On ne me l’a jamais vraiment propose. Je ne sais pas si mes livressont adaptables. Moi-meme, parce que j’ai enseigne le scenario, j’ai joue, pourmon compte, a ecrire le scenario de deux de mes romans, Merle et Le monarqueegare. Je ne sais pas si ce sont de bons scenarios, c’est-a-dire des scenariospropres a donner du cinema. Je pense que non. Je ne suis pas sure que l’ecrivainsoit le mieux place pour ecrire le scenario de son roman.

D’autre part, je n’ecris pas de scenario pour mes romans, je n’ai pas desynopsis a l’avance. Je ne pratique pas cette technique qui consiste a se donnerun cadre narratif et a disposer des sequences pour, ensuite, remplir le cadre avecde la litterature, comme on remplit au coloriage des dessins deja imprimes.L’histoire, je ne la connais pas, je la lis en meme temps que je l’ecris, je me disa moi-meme ce que je ne sais pas.

En revanche, j’ai ecrit sur commande, pour la television – mais cela n’ajamais abouti –, un ou deux scenarios qui m’ont beaucoup amusee, parce quejustement, ce n’etait pas du roman. Je n’avais pas a me poser de questionslitteraires, puisque quand on ecrit du scenario, on ecrit ce qu’on voit et ce qu’onentend. Il y a des gestes, des mouvements, des deplacements, des dialogues. Cen’est pas une ecriture litteraire. J’entends dans son standard, dans la logiqued’une certaine economie du cinema. Parce que, quand on lit les scenarios deMurnau ou de Tarkovski, c’est de la poesie. Je pense que, dans cetteperspective-la, il y a matiere a ecriture, justement. Si on lit les scenarios deMurnau ou de Tarkovski, c’est tout sauf du scenario, c’est de la vision. Cescineastes se projettent le film, et l’on se trouve tres pres du reve et de laconstruction poetique. Tarkovski est pour moi aussi bien poete dans son cinemaque quand il ecrit de la poesie proprement dite.

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L.B. – Une derniere question : si vous ne deviez retenir qu’un plan de cinema,lequel serait-ce ?

A.-M.G. – Il y en a un chez Tarkovski, justement. C’est un plan du Miroir. Maisen fait, je l’ai ecrit dans La rotonde. C’est un plan qui montre un bol de tisane,pose sur un meuble cire, luisant. Une main enleve ce bol – il faudrait voir lefilm pour verifier que c’est exactement cela –, il reste sur le bois cire uneaureole de buee et Tarkovski filme cette disparition de la buee, qui retrecitjusqu’a disparaıtre. Jusqu’a ce point de la disparition, il continue de filmer etje pense que le spectateur – et ce n’est pas la permanence retinienne, comme ondit – voit encore ce qui a disparu. La buee. Ce plan installe une contemplation.Et se projette sur cette surface le reflet d’une croisee, qui vient mettre l’ombred’une croix sur cette disparition.

Je pense que c’est un plan tres compose, tres plein, meme s’il a l’air vide,meme s’il ne se passe pas grand-chose – on n’est pas dans le cinema americainou il se passe dix choses a la fois en deux secondes ! Cependant, ce plan, quej’ai revu et que je croyais tres long, ne fait que huit secondes alors que pourmoi, il a une duree incommensurable par rapport a cette realite materielledu film.

Si je puis ajouter un autre plan, ce serait un plan d’Europe 51, ou Rossellinifilme Ingrid Bergman en la plongeant de maniere experimentale dans soncinema a lui, en la jetant dans ces banlieues miserables de Rome apres-guerre,au risque du reel. Et il y a un plan magnifique qui est le moment de la grace,pour le personnage, et un moment de grace de cinema. C’est le moment ouIngrid Bergman, au milieu de ces taudis et de ces terrains vagues, va vers unepetite fille. Alors que son propre fils est mort, au debut du film, elle va verscette enfant, et c’est le moment ou elle devient sainte ou folle. Et la camera setrouble. Rossellini perd le controle, ou accepte au montage ce trouble – il auraitpu filmer net, bien entendu. Ce plan me donne de l’emotion rien que d’enparler, sans doute, parce que le cineaste dit son amour pour cette femme, cetteactrice, mais il dit aussi en meme temps que le cinema s’incline et renoncea donner du visible. Ce flou – qui n’est pas un flou artistique –, c’est ceregard embue du cineaste sur elle. . . Ce regard de Rossellini sur Bergman estrenversant d’humanite, de bonte, de rigueur dans son art, parce que ce qu’ila a nous dire a ce moment-la, c’est que la grace, c’est un moment ou l’on n’yvoit plus justement, ou il n’y a plus a voir.

Bibliographie

L’homme de Blaye. Paris : Flammarion, 1984.Voie non classee. Paris : Flammarion, 1985.L’insomniaque. Paris : Flammarion, 1987.

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Page 11: Le cinéma dans l’oeuvred’Anne-Marie Garat

Petite fabrique de l’image. Paris : Magnard, 1988.Le monarque egare. Paris : Flammarion, 1989.Chambre noire. Paris : Flammarion, 1990.Aden. Paris : Ed. du Seuil, 1992.Photos de familles. Paris : Ed. du Seuil, 1994.Merle. Paris : Ed. du Seuil, 1996.Dans la pente du toit. Paris : Ed. du Seuil, 1998.L’amour de loin. Arles : Actes Sud, 1998.Istvan arrive par le train du soir. Paris : Ed. du Seuil, 1999.Les mal famees. Arles : Actes Sud, 2000.Nous nous connaissons deja. Arles : Actes Sud, 2003.Un tout petit cœur. Arles : Actes Sud Junior, 2004.La rotonde. Arles : Actes Sud, 2004.Une faim de loup, Lecture du Petit Chaperon rouge. Arles : Actes Sud, 2004.

Laurence Brogniez is chargee de cours at the Facultes Universitaires Notre-Dame

de la Paix in Namur, Belgium where she teaches literary history and comparative

literature. In her thesis, published by Champion under the title Preraphaelisme et

Symbolisme : peinture litteraire et image poetique (2003), she explores the question of

the relationship between literature and painting in the Symbolist era. She is currently

pursuing interdisciplinary research on art criticism, the writing of artists, and the

relationship between literature and cinema.

L E C I N E M A D A N S L ’ O E U V R E D ’ A N N E - M A R I E G A R A T 235

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