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Le contexte des soins inuence-t-il les pratiques d'éducation thérapeutique du patient ? Does the context of care inuence the therapeutic patient education practices? a Service enseignement thérapeutique pour malades chroniques, hôpitaux universitaires de Genève, Genève, Suisse b Service d'addictologie, hôpitaux universitaires de Genève, Genève, Suisse L ' éducation thérapeutique du patient (ETP) a aujourd'hui une place recon- nue dans la prise en charge des mala- des chroniques. En France, la loi HPST « hôpital, patients, santé et territoires » de 2009 l'a même inscrite dans le Code de la santé publique et a précisé qu'elle devait s'intégrer dans le parcours de soins du patient. Dès lors, de nombreux profession- nels de santé travaillant avec des malades chroniques sont amenés à mettre en œuvre des actions d'éducation thérapeutique, et ce dans des contextes de soins très différents [1]. Les kinésithérapeutes sont eux aussi concer- nés par ces démarches parce que nombre de leurs patients sont porteurs de pathologies chroniques. Ils interviennent auprès d'eux dans des moments et circonstances très divers : en phase aiguë comme en état stable, en éta- blissements de courts, moyens ou longs séjours, en ambulatoire au cabinet, voire même à domicile. L'identité professionnelle du praticien, son cadre de travail, et plus généralement les caractéristiques du contexte dans lequel il intervient auprès du patient ont-ils un impact sur les objectifs ou les modalités de l'ETP ? LES CONCEPTIONS SOIGNANTES DE L'ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT Différents arguments, et en particulier celui des contingences matérielles, peuvent être Monique Chambouleyron a Yves Saget b Mots clés Conceptions des soignants Contexte de soins Éducation thérapeutique Projet centré sur la maladie Projet centré sur la personne Keywords Care context Therapeutic education Health professionals' conceptions Auteur correspondant : M. Chambouleyron, Service enseignement thérapeutique pour malades chroniques, hôpitaux universitaires de Genève, Genève, Suisse. Adresse e-mail : monique.chambouleyron@h cuge.ch RÉSUMÉ De nombreux professionnels de santé sont aujourd'hui amenés à faire de l'éducation thérapeutique (ETP) avec leurs malades chroniques. Leur contexte d'exercice (centre hospitalier, cabinet libéral, etc.) inue-t-il sur la nature ou les modalités de l'éducation réalisée ? Nous faisons l'hypothèse que la réponse est étroitement liée aux conceptions que ces soignants ont de l'ETP, selon que celle-ci est pensée à partir des contenus (maladie, traitements, conduites à tenir) ou à partir de la personne malade. Dans ce dernier cas, le moment de la rencontre, ses circonstances et son contexte auront un impact important sur les actions éducatives mises en œuvre. Niveau de preuve. Non adapté. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. SUMMARY Therapeutic education with chronic patients is a commonly used strategy by numerous health- care professionals. However, the question arises if the professional context (hospital center, liberal practice, etc.) inuences the nature or the modalities of the education they realize? We hypothesize that the health professionals' conceptions on therapeutic education, e.g. focus on the content (disease, treatments, classes to follow), or on the sick person plays a role. In this last case, the moment of the meeting, its circumstances and its context might have an impact mattering on the implemented educational actions. Level of evidence. Not applicable. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Kinesither Rev 2013;13(140141):2932 Congrès / Éducation du patient © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2013.06.004 29

Le contexte des soins influence-t-il les pratiques d’éducation thérapeutique du patient ?

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Kinesither Rev 2013;13(140–141):29–32 Congrès / Éducation du patient

Le contexte des soins influence-t-il lespratiques d'éducation thérapeutiquedu patient ?

Does the context of care influence the therapeuticpatient education practices?

MoniqueChambouleyron a

Yves Saget b

aService enseignement thérapeutique pour malades chroniques, hôpitauxuniversitaires de Genève, Genève, SuissebService d'addictologie, hôpitaux universitaires de Genève, Genève, Suisse

Mots clésConceptions dessoignantsContexte de soinsÉducation thérapeutiqueProjet centré sur lamaladieProjet centré sur lapersonne

KeywordsCare contextTherapeutic educationHealth professionals'conceptions

RÉSUMÉDe nombreux professionnels de santé sont aujourd'hui amenés à faire de l'éducation thérapeutique(ETP) avec leurs malades chroniques. Leur contexte d'exercice (centre hospitalier, cabinet libéral,etc.) influe-t-il sur la nature ou les modalités de l'éducation réalisée ? Nous faisons l'hypothèse quela réponse est étroitement liée aux conceptions que ces soignants ont de l'ETP, selon que celle-ciest pensée à partir des contenus (maladie, traitements, conduites à tenir) ou à partir de la personnemalade. Dans ce dernier cas, le moment de la rencontre, ses circonstances et son contexte aurontun impact important sur les actions éducatives mises en œuvre.Niveau de preuve. – Non adapté.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

SUMMARYTherapeutic education with chronic patients is a commonly used strategy by numerous health-care professionals. However, the question arises if the professional context (hospital center,liberal practice, etc.) influences the nature or the modalities of the education they realize? Wehypothesize that the health professionals' conceptions on therapeutic education, e.g. focus onthe content (disease, treatments, classes to follow), or on the sick person plays a role. In this lastcase, the moment of the meeting, its circumstances and its context might have an impactmattering on the implemented educational actions.Level of evidence. – Not applicable.

éducation thérapeutique du patient des moments et circonstances très divers :

Auteur correspondant :M. Chambouleyron,Service enseignementthérapeutique pour maladeschroniques, hôpitauxuniversitaires de Genève,Genève, Suisse.Adresse e-mail :[email protected]

L' (ETP) a aujourd'hui une place recon-nue dans la prise en charge des mala-

des chroniques. En France, la loi HPST« hôpital, patients, santé et territoires » de2009 l'a même inscrite dans le Code de lasanté publique et a précisé qu'elle devaits'intégrer dans le parcours de soins dupatient. Dès lors, de nombreux profession-nels de santé travaillant avec des maladeschroniques sont amenés à mettre en œuvredes actions d'éducation thérapeutique, et cedans des contextes de soins très différents[1].Les kinésithérapeutes sont eux aussi concer-nés par ces démarches parce que nombre deleurs patients sont porteurs de pathologieschroniques. Ils interviennent auprès d'eux dans

© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.kine.2013.06.004

en phase aiguë comme en état stable, en éta-blissements de courts, moyens ou longsséjours, en ambulatoire au cabinet, voire mêmeà domicile.L'identité professionnelle du praticien, soncadre de travail, et plus généralement lescaractéristiques du contexte dans lequel ilintervient auprès du patient ont-ils un impactsur les objectifs ou les modalités de l'ETP ?

LES CONCEPTIONS SOIGNANTESDE L'ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUEDU PATIENT

Différents arguments, et en particulier celuides contingences matérielles, peuvent être

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Figure 1. Le parcours de l'ETP [9].

M. Chambouleyron, Y. SagetCongrès / Éducation du patient

mis en avant pour orienter la réponse à cette question. Cepen-dant, ce qui influence le plus sûrement cette réponse, est sansdoute la représentation qu'ont les soignants de ce qu'est l'ETP.En effet, différents travaux et enquêtes auprès de profession-nels, équipes, structures mettant en œuvre l'ETP [2–4] ontmontré d'importants écarts entre les pratiques. Cette hétéro-généité est essentiellement sous-tendue par la référenceà des conceptions et modèles différents de ce que sont l'édu-cation et la santé.De façon très schématique, on peut distinguer deux grandscadres de référence :� dans le premier cas, la mission de l'ETP est de donner auxpatients les savoirs et compétences nécessaires pour limiterau maximum la symptomatologie et l'évolution de la mala-die. L'élaboration des dispositifs ETP est donc structuréeautour des contenus à enseigner, et principalement autourd'éléments comme la nature de la maladie, son évolution,les risques de complications, les traitements et les conduitesà tenir, la prévention et la détection précoce des aggrava-tions. L'ETP est conçue comme une transmission de savoirset savoir-faire qui ont pour finalité de permettre aux patientsd'assurer au mieux leurs soins, et pour cela d'acquérir descompétences d'auto-soins en lien avec la maladie. Lesmessages-clés sont prédéterminés et se réfèrent, lorsqu'ilsexistent, à des référentiels de compétences. Il n'y a pasà proprement parler de co-construction du projet ETP avecle patient, même si les professionnels prennent soin de luiexpliquer en quoi les séances proposées répondent à sesbesoins ;

� dans le second cas, la mission de l'ETP est d'aider lapersonne à développer une plus grande capacité à prendresoin d'elle, et pas seulement à « s'occuper de sa maladie ».Cela sous-entend lui permettre de construire au quotidien etde préserver au fil du temps un équilibre entre sa vie et samaladie [5] pour que celle-ci reste « un évènement digned'être vécu » [6]. Pour cela l'aider à développer sa capacitéà faire des choix pour sa vie et sa santé et lui permettre ainside retrouver un sentiment de maîtrise sur sa vie [7]. Lesdispositifs d'ETP sont alors pensés comme essentiellementcentrés sur les personnes, la réalité de leur vécu et expé-riences, leur disposition à apprendre, etc. et non sur lamaladie. Les parcours éducatifs sont négociés et adaptésen fonction de ces éléments.

Cette individualisation a du sens. A. Lacroix rappelle combienle retentissement d'une maladie chronique diffère d'une per-sonne à l'autre en fonction de multiples données, telles queson histoire, le moment de sa vie, l'idée qu'elle se fait de cettemaladie, ses ressources psychiques, ses valeurs, etc. [8].Comment dès lors, faire l'hypothèse qu'à maladie identique,toutes les personnes auraient besoin de faire les mêmesapprentissages ?

De notre point de vue [9], une première étapeindispensable en ETP est toujours de comprendre dela façon la plus concrète et précise possible ce qui fait

ou pourrait faire problème dans le projet de cettepersonne à prendre soin de sa santé.

Cela passe nécessairement par un temps d'élaboration de sonrécit sur son expérience de vie au quotidien avec cette maladie.Le matériau premier de l'éducation est celui recueilli « au lit dupatient », donc son récit. Comprendre ensemble cette réalitévécue est une étape-clé du processus qui permettra de

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s'accorder sur des objectifs pertinents au regard de cette pro-blématique (Fig. 1). Placer ainsi le patient en position de sujet, etnon plus d'objet de soins, c'est lui reconnaître des compétencesmais aussi le droit de choisir et la capacité d'agir [10].Deux façons différentes donc de penser l'ETP, qui induisentdes finalités et modalités également différentes. Quelleinfluence le contexte de soins exerce-t-il sur les pratiqueséducatives dans chacun de ces deux cadres de références ?

LORSQUE L'ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DUPATIENT EST STRUCTURÉE AUTOUR DE LAMALADIE

Dans ce cas, l'influence du contexte de soins est faible sur lescontenus éducatifs eux-mêmes, puisque ceux-ci sont prédé-finis en fonction de la maladie. Les objectifs d'apprentissagesont connus pour chaque pathologie. L'idée est de multiplierles occasions d'aborder, de questionner, d'énoncer, voire demettre en œuvre les messages-clés, selon un adage qui ditque la base de la pédagogie est la répétition : c'est le modèlepédagogique de l'empreinte [9].Dans cette façon d'envisager l'ETP, le contexte, en offrant desressources différentes, influe en revanche, sur le choix desmodalités éducatives.Ainsi, dans un service de court ou très court séjour, le patientsera informé verbalement, par exemple sur les posturesà adopter et les exercices à pratiquer pour protéger son dosen cas de lombalgies. Une brochure reprenant ces conseils etles illustrant par des exemples pourra également être remiseà la personne pour prolonger l'enseignement.Dans le contexte d'une journée ambulatoire d'ETP, ces mêmesmessages pourront, par exemple, être élaborés en groupes depatients sous la forme d'un brain storming sur le thème :« Bouger et faire du bien à son dos ». Un diaporama pourraclore la séance pour souligner les informations-clés. Lespatients pourront également repartir avec une brochure.Enfin, dans le cadre d'un établissement de type soins de suiteet réadaptation (SSR), il sera sans doute possible en plus, demettre en œuvre, tester ces différentes postures ou manièresde bouger au travers d'activités, d'exercices au gymnase parexemple.

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Tous les professionnels participent aux programmes éducatifsou en relaient les messages. L'identité professionnelle déter-mine la responsabilité et la participation de chacun. Ainsi, lediététicien rappelle la nécessité de bouger plus mais, le caséchéant, détaillera surtout les modifications alimentairesà envisager.

LORSQUE L'ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DUPATIENT EST CENTRÉE SUR LES PERSONNESET LEUR RÉALITÉ DE VIE AVEC LA MALADIE

Dans cette façon d'envisager l'ETP, on pourrait dans un pre-mier temps faire l'hypothèse d'une faible influence du contextede soins sur l'orientation du projet éducatif puisque celui-cis'adapte à la réalité de la personne elle-même.

Le vécu et le temps du patient

Cependant, la rencontre entre le patient et le professionnel n'estjamais le fruit du hasard. Elle intervient à un moment particulierde la vie et de la maladie de la personne. Ce qui la préoccupealors est sans doute très en lien avec ce moment particulier etdonc avec le contexte de cette rencontre. Ainsi, une personnen'est pas dans le même état émotionnel et ne se pose pas lesmêmes questions lorsqu'elle est hospitalisée aux urgences pourun épisode aigu, lorsqu'elle rencontre un professionnel de santédans le cadre d'un suivi programmé ou lorsqu'elle fait un stagede réadaptation, en rupture avec son milieu de vie habituel.Cela est bien illustré par Thiam et al. [11], au travers d'unerecherche qualitative menée dans un service de médecine courtséjour, accueillant des patients au décours d'un accident car-diovasculaire. Malgré un investissement réel des profession-nels pour amener les patients à engager des changementsvisant à diminuer leurs facteurs de risques cardiovasculaires,les résultats sont décevants. Une des pistes de compréhensionde ce constat apparaît au travers des entretiens avec lespatients : « En cette période de trouble et de confusion, leurspréoccupations principales tournent autour des questionne-ments suivants : "Qu'est-ce qui m'arrive ?'', "Pourquoi mainte-nant ?'', "Vais-je guérir ?'', "Que vais-je devenir ?'' ». SelonThiam et al. : « Alors que le professionnel se lance dans unecourse contre les éventuelles complications de la maladie, lepatient de son côté entre dans un processus de maturationpsychologique parsemé d'obstacles ». Autrement dit, les objec-tifs visés par le dispositif éducatif élaboré autour du contenu(prévention secondaire, facteurs de risques cardiovasculaires)ne rencontrent pas les besoins des patients dans ce temps trèsparticulier de leur parcours de vie. Il n'y a pas de cohérence entrel'expérience vécue et le contenu éducatif proposé.Le temps des soignants n'est pas celui des patients. . . [12].Une autre illustration en est donnée avec l'exemple despatients apnéiques [13]. Ils sont généralement symptomati-ques depuis des années, ils ont souvent attendu plusieurssemaines ou mois l'examen diagnostique et, lors du résultat decelui-ci, ils se voient installer en urgence un appareillage« d'assistance respiratoire » sans lequel ils ne devraient plusjamais s'endormir ! Cette brusque contraction du temps leurest parfois incompréhensible. Habités par leurs propres ques-tions et inquiétudes qui n'ont pas/peu de place dans cetteinteraction, les patients ne sont pas disponibles pour s'appro-prier les messages des professionnels, trop éloignés de leursvécus, réalités et préoccupations actuels.

Cela pose la question de ce dont les patients ont besoin et sonten capacité d'apprendre à chaque étape de leur vie avec lamaladie. Possiblement, au décours d'un épisode aigu, ont-ilssurtout besoin de mettre du sens à ce qui leur arrive (commentils le comprennent, à quoi ils le relient, etc.). La question deschangements à mettre en place dans leur vie quotidienne aprobablement plus de pertinence à une autre étape.Lorsque le dispositif éducatif est construit sur une évaluationpartagée de la situation, l'éducation du patient est conçuecomme une formation d'adulte venant en réponse à un besoin[14]. Le contexte de la rencontre entre le patient et le profes-sionnel de soins, parce qu'il est en lien avec les circonstancesayant mené à cette rencontre, a un impact important sur lecontenu même de l'éducation. Cela nécessite que le profession-nel rende possible l'expression du patient, favorise son discourset lui donne même un statut de pièce maîtresse dans cetteélaboration.

La nature des soins

Par ailleurs, certains contextes de soins sont riches d'expérien-ces pour le patient. C'est particulièrement le cas dans les struc-tures de réadaptation, rééducation ou réhabilitation où leskinésithérapeutes sont très impliqués. Les personnes y réali-sent des activités parfois complètement nouvelles pour elles ouabandonnées de longue date. Elles se confrontent à la difficulté,prennent conscience de leurs ressources, expérimentent laréussite mais éprouvent aussi leurs limites. Remettre son corpsen mouvement, c'est bien sûr réaliser de nouveaux gestes ettester une mobilité différente, mais c'est aussi beaucoup plus !Remettre son corps en mouvement amène à ressentir de nou-velles perceptions corporelles, à éprouver des émotions parfoisintenses (la peur, la fierté, etc.), à questionner ses repères età ébranler ses certitudes. Comme l'ont décrit Golay et al. [15] autravers de leur modèle d'ETP en cinq dimensions, les dimen-sions perceptives, émotionnelles, cognitives sont de puissantscanaux d'apprentissage.Encore faut-il que ces expériences soient utilisées commematériaux éducatifs, en organisant le séquençage expérimen-tation et réflexion : Que s'est-il passé pour eux au cours del'activité ? Comment le comprennent-ils ? Qu'ont-ils repéré ?Quels liens font-ils avec d'autres expériences ? Qu'est-ce queça leur a fait vivre ? Qu'en retirent-ils ?, etc. Ce temps de« debriefing » est important pour permettre à chacun de« métaboliser » ses expériences, d'y mettre du sens. Il estd'autant plus riche qu'il s'agit souvent d'un temps partagé parun groupe de patients, ce qui permet échanges et confrontationdes idées. Dans ce cadre et de cette façon, l'éducation peutvraiment être intégrée aux soins. Il est dommage de constaterparfois que le programme des patients est divisé en deux partiesnon reliées, d'un côté les activités de rééducation et, de l'autre,les séances d'enseignement sur des thématiques différentes.Les structures de réhabilitation sont d'autant plus propicesà l'ETP que le processus se déroule habituellement sur plu-sieurs semaines, permettant ainsi une évolution progressive dela pensée au fil des interventions, des expériences et desrencontres.

PROGRAMMES ÉDUCATIFS ET POSTUREÉDUCATIVE

Les patients bénéficient dans certains contextes de program-mes éducatifs structurés. Cependant, tous les malades

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M. Chambouleyron, Y. SagetCongrès / Éducation du patient

chroniques n'y ont pas accès et ces programmes ne sont pastoujours adaptés à la problématique de la personne. La plupartdes occasions éducatives naissent au fil du suivi des patients,lors des consultations ou des soins, programmés ou non, etréalisés par différents professionnels.L'éducation se construit alors parfois sur le moment, tota-lement en lien avec le contexte et les circonstances dela rencontre. Qu'est-ce qui est compliqué « aujourd'hui »pour ce patient douloureux chronique en séance de kinési-thérapie ? À quelle difficulté émotionnelle se confronte« maintenant » cette personne obèse suivie sur le plannutritionnel ? Qu'est-ce qui se joue « actuellement » avecses proches pour ce patient alcoolo-dépendant revu enconsultation ?Adopter une posture éducative, c'est d'abord s'intéresserà chaque occasion, à la réalité de l'autre telle qu'il la perçoit :Comment comprend-il ce qui lui arrive ? Qu'est-ce que ça rendcompliqué dans son quotidien ? Qu'est-ce que ça modifiedans ses relations avec ses proches ? Qu'est-ce que ça luifait vivre ? Et plus simplement encore, qu'est ce qui le pré-occupe aujourd'hui ?

Avoir une posture éducative, c'est ensuite accorderune place centrale à ces éléments de vie dans laproblématique de la personne, c'est accepter de ne

pas résoudre le problème, de laisser la personne librede ses choix et cependant chercher avec elle

comment la rendre plus apte à se confronter à sesdifficultés, en l'amenant à faire des hypothèses

différentes, à repérer d'autres éléments, à pondérerdifféremment, à anticiper, à explorer d'autres

possibles, etc.

C'est l'éducation « tout terrain », réalisée à petits moyens(parfois peu de temps, peu de place, peu/pas d'outils éduca-tifs sophistiqués), co-construite et co-décidée sur le momentavec la personne. C'est « le bricolage » éducatif tel quel'explicite Sandrin-Berthon [16]. Parions que ces occasionséducatives recouvrent la majorité des actions d'ETP. Pour« bricolées » qu'elles soient, elles répondent à des fonda-mentaux de l'ETP (tels que décrits précédemment pour laposture éducative), que les professionnels doivent s'être tota-lement appropriés pour les mettre en œuvre de façon réactiveet adaptée.

EN CONCLUSION

Plus l'ETP se préoccupe de la personne malade davantageque de la maladie, plus le contexte des soins et de la rencontrea une influence sur la conception et la mise en œuvre del'éducation du patient. L'ETP prend tout son sens dans lessoins. Ce n'est pas un nouveau traitement, mais une dimen-sion de celui-ci !L'ETP est maintenant reconnue par les autorités de santéfrançaises, ce qui réjouit tous ses promoteurs mais obligeles professionnels à s'investir dans ce domaine parfois nou-veau et pour lequel ils n'ont pas toujours été formés. Laformation est sans doute pour les soignants une occasionde faire évoluer leurs propres conceptions sur l'ETP et ainside réfléchir à la place qu'ils souhaitent donner au patient dansla construction de son projet.

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Déclaration d'intérêtsLes auteurs certifient que le texte joint :� n'a pas été soumis à d'autres journaux ou tout autre supportde diffusion ;

� n'a pas déjà été publié en totalité ou en partie sous quelqueforme que ce soit ;

� présente des données originales, non altérées et nonfalsifiées ;

� les auteurs sont salariés des hôpitaux universitaires deGenève ;

� ils n'ont pas perçu d'honoraires pour la rédaction de cetarticle ;

� ils n'ont pas perçu de financement en lien avec ce travail.

RÉFÉRENCES

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