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Le Cousin d'elle

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LE COUSIN D'ELLE

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Du même auteur

L'enfer, son casino, sa plage, (Balland, 1990).

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Isabel Ellsen

LE COUSIN D'ELLE

roman

FIXOT

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© Fixot, 1991.

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A la mémoire de Jean-Louis Calderon

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A maître Paul Lombard et ses enfants, pour avoir fait de Cinq Marine une maison qui leur ressemble.

A toute la famille Moreu, pour tant et tant de soirées.

A Paul Bruni, pour prendre un lapin à son bord.

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Car une vie que l'on n'a pas vécue comme on l'aurait voulu

est un bien perdu.

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Prologue

Ma tante Christine eut un soupir appuyé face aux deux enfants vautrés dans un fauteuil. Collés, soudés l'un à l'autre, ils lisaient la même bande des- sinée.

- J'irai pas ! déclara Maxime, sans que personne s'en étonne.

- Moi non plus, renchérit Vic. Christine pensa, une fois de plus, qu'il eût mieux

valu pour tout le monde, qu'ils ne soient pas tou- jours si parfaitement d'accord et complices. A deux, ils constituaient une force inébranlable et, le sachant, ils en usaient, en abusaient parfois et avaient le don de crisper tous les autres et toujours.

Elle haussa les épaules. - Faites ce que vous voulez. Mais je vous pré-

viens que personne ne pourra s'occuper de vous aujourd'hui.

Mes parents se mariaient. Tous les enfants de la famille, les amis, les enfants des amis étaient conviés à la fête. Tous avaient endossé des costumes propres et clairs, des robes à volants pour les filles et des

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nœuds papillons pour les garçons. Ils semblaient endimanchés, ils l'étaient, et Maxime eut une gri- mace de dégoût en voyant les autres s'agiter, l'un à la recherche d'une chaussure vernie, l'autre en quête d'un bouton de manchette assorti.

- Moi, je ne m'habille pas comme ça! C'est moche et c'est con.

- Moi non plus, répétait Vic, butée. C'est vrai que c'est moche et con.

- Pourriez-vous, au moins une fois, prononcer une phrase sans dire « chiant », « merde », « moche » ou « con » ? On se demande où vous avez appris à parler.

Les deux enfants se regardèrent sans sourire. Un long moment, comme s'ils échangeaient des propos qu'ils étaient seuls au monde à pouvoir comprendre.

Christine soupira, les yeux au ciel.

On les laissa donc à la garde d'une baby-sitter boutonneuse, amoureuse du pharmacien du coin de la rue et quelque peu excédée par le mauvais carac- tère de ces enfants.

A midi, tandis que toutes les cloches du bled caril- lonnaient et que la jeune fille lisait un magazine révélant tout et le reste sur la vie et la mort des points noirs, les deux gosses enfilèrent des jodhpurs, des boots, s'enfuirent par la porte de derrière, enfourchèrent leur bicyclette et pédalèrent jus- qu'aux écuries.

Là, Maxime ordonna plus qu'il ne demanda, que l'on sellât leurs poneys.

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Il avait beau être grand et fort pour ses sept ans, il ne pouvait atteindre le crochet où était suspendu son filet, à moins de monter sur une chaise.

Ce qu'il ne voulait pas faire devant Vic. - Tu es prête ? - Minute ! Elle cria, prenant un soin méticuleux

à vérifier son harnachement. - Je pars devant. Elle râla puis le rejoignit au petit trot. - Oh! les enfants! s'écria un moniteur, vous

n'allez quand même pas partir seuls ! Ça ne va pas, non! Attendez que quelqu'un vous accompagne!

Maxime pouffa de rire. Vic lui lança un coup d'œil inquiet. - Dis... - T'arrête pas! Fais comme si tu l'avais pas

entendu. Elle rentra la tête dans les épaules et talonna les

flancs de son poney. Sur la plage, ils se débarrassèrent des selles qu'ils

laissèrent tomber dans un coin, sur le sable. - On part d'ici, dit Max. On galope jusqu'à la

mer et on va aussi loin qu'on peut. - Et quand les poneys n'auront plus pied ? - Ils nageront! répliqua Max. Elle regarda l'horizon avec appréhension. - Tu as peur, ma parole! - Non! - Si! - Un peu, concéda-t-elle. Maxime fit mine de réfléchir.

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- Mais si j'y vais, tu y vas aussi ? Elle répondit faiblement. - D'accord. Il compta : « un, deux, trois », poussa un cri et

cravacha son poney. Vie ferma les yeux et suivit.

Quand ils perdirent pied, Maxime se laissa glis- ser dans l'eau, s'accrocha à la crinière de l'animal et nagea à ses côtés. La mer était glacée, le courant les entraînait loin de la côte, sans qu'ils trouvent assez de force pour pouvoir réagir.

Vic, livide, les mâchoires crispées, ne quittait pas Maxime des yeux et nageait bravement. Quand son poney s'ébroua et fit soudain demi-tour vers la plage, elle lâcha prise et s'écria, affolée.

- Max, on est trop loin pour revenir. J'ai peur! Je vais me noyer!

Elle hoquetait de froid. - Tiens bon! J'arrive! Il la fit grimper sur son poney qu'il tenait et gui-

dait fermement par les crins et continua de nager, jusqu'à ce qu'ils aient repris pied.

Là, il monta sur la croupe solide, éclatée du Shetland, et passa ses bras autour d'elle pour reprendre les rênes.

Vic claquait des dents. - Là, c'est fini. Tu vois, tu l'as fait. Vic, tu te

rends compte, tu l'as fait! lui cria-t-il. Puis il se blottit contre le dos de la petite fille,

épuisé, et laissa les poneys les ramener sur la plage.

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Elle hocha la tête avec un faible sourire. Arrivés sur le sable sec, elle s'écroula par terre et

se mit à sangloter. - Pourquoi tu me fais faire des choses comme

ça? Maxime se laissa tomber contre elle. Il lui chu-

chota à l'oreille : - Vic, pleure pas, Vic... Il fouilla dans ses poches pour ressortir un mou-

choir sale et trempé. - Mouche! ordonna-t-il en lui pinçant le nez. Elle s'exécuta sans discuter. - C'est fini ? - Oui. Il dit : - C'est bien. Et il contempla la mer devant lui. - N'empêche que tu l'as fait. Je suis fier de toi.

Je connais pas un garçon qui aurait été aussi coura- geux que toi.

Elle leva des yeux rouges, humides, vers lui. - C'est vrai ? - Vrai de vrai. Elle eut un grand sourire et planta un baiser sur

la joue de Maxime. Puis elle chuchota. - C'est pour toi, rien que pour toi. - Mais tu ne voulais pas. Tu dois me suivre, Vic.

Tu dois avoir confiance en moi. Toujours. Parce que je suis ton ami, dit-il sentencieusement.

- Toujours! répéta-t-elle enchantée.

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Bien avant le premier jour

J'étais penché sur mon puzzle, un bout de langue sortie pour aider à la concentration. Plus loin, sur le divan, Elle lisait un livre. Affalée de tout son long, une jambe en l'air, posée sur l'un des accoudoirs et le pied qui battait la mesure d'une musique imagi- naire. Elle avait eu dix-sept ans la veille. On ne m'avait rien dit. J'étais trop petit et d'ailleurs on ne me disait jamais rien, vu que je ne répondais pas, semblais tout juste comprendre, j'imagine que c'était lassant à la longue, pour les Autres.

L'anniversaire, je l'avais compris au gâteau, aux cadeaux. J'avais même compté les bougies, bien heureux que le total n'ait pas dépassé vingt. Je n'étais pas certain de pouvoir m'aventurer au-delà. A moins de réviser mes cubes qui se trouvaient au fond du coffre à jouets. Il aurait fallu qu'une bonne âme réussisse à les extraire du bazar. Et pour ça, il aurait fallu que je demande.

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Plutôt m'étouffer. Donc, Elle lisait dans son coin. Et moi, je fai-

sais des puzzles, dans le mien. On ne s'approchait pas beaucoup, sauf en cas

d'absolue nécessité. Elle n'aimait pas les enfants et ça tombait bien, puisqu'Elle n'était, pour moi, qu'une autre parmi les Autres. A ceci près qu'Elle faisait une cousine honorable, la moins tarte de mon entourage et la moins barbante si l'on considère qu'Elle m'ignorait totalement.

Vers l'heure du goûter, tout de même, Elle me donna une banane, avec la peau, démerde-toi, Elle avait autre chose à faire, puisque la moby- lette de Maxime pétaradait au coin de la rue. Alors Elle me planta, courut vers la porte, l'ouvrit et tempêta.

- Où étais-tu ? Ça fait des heures que je t'attends !

Il entra, s'assit, respira profondément et lâcha, avec dans la voix une certaine fierté calculée.

- Ça y est! - Quoi ? demanda-t-Elle avec humeur. - Depuis une heure, je suis un autre homme! - Ridicule! Pompeux! Comprends pas. - La fille du club hippique. La rousse qui

monte aux reprises de 15 heures le week-end, tu vois ?

- Cette rousse-là ? Elle est vraiment moche. Et alors ?

- Alors elle m'a coincé dans le hangar à foin et je me suis laissé faire.

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Elle ouvrit des yeux ronds. Moi, je venais de trouver la patte manquante d'un canard et si le moment ne m'avait pas semblé aussi critique, j'aurais bien poussé un grognement de satis- faction.

- Tu veux dire que tu as été jusqu'au bout? Tu as... couché ?

Elle prononça le mot avec une répugnance mêlée de curiosité.

- Oui. - Et... Comment c'était ? Il réfléchit avant de répondre : - Agréable, étrange et... rapide. Elle dit : « Bon », avec un soupir, le regarda un

long moment et supplia d'une voix douce. - Et moi, Max ? Il paraît que la première fois

pour une femme, c'est... enfin, ça ne se passe pas toujours très bien. Alors j'ai une idée. Puisque maintenant tu sais, tu pourrais peut-être... Enfin je veux dire qu'avec un inconnu je ne pourrais jamais, tandis qu'avec toi... Ce serait un service, comme ça, entre amis. Non ?

Maxime se leva, s'approcha d'Elle, la prit dans ses bras et chuchota.

- Vic, ma petite Vic, je crois que nous pou- vons tout faire ensemble. Absolument tout, sauf ça.

- Mais pourquoi ? - Parce que... Imagine un frère et une sœur...

Ils ne pourraient pas faire l'amour ensemble... C'est comme ça. Une loi.

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- Tu n'es pas mon frère! s'exclama-t-Elle avec colère.

- Non. Je suis ton ami, c'est pire. Elle se blottit dans ses bras en soupirant. - Avoue que c'est dommage. - Oui.

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Avant le premier jour

Ils dévalèrent l'escalier l'un derrière l'autre et à voir leur empressement, ce n'était sûrement pas dans le but de nous accueillir.

En les voyant, mon père s'exclama avec bon- homie :

- Vous tombez bien vous deux! Il y a la voiture à décharger !

- Oh! fit Maxime, surpris tant par l'apparition que par la requête. C'est bon, j'y vais!

Son sourire se figea et Elle resta plantée devant nous, indécise, un chiot hideux dans les bras.

- Vous venez d'arriver ? demanda-t-Elle avec regret.

- Oui, tu vois bien. Tu n'imagines pas le nombre de cinglés qu'il y a sur les routes un 3 juil- let. Où est ta mère ?

- Aucune idée. Puis, se tournant vers moi :

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- Salut Fred, c'est dingue ce que tu as grandi en un an. Quel âge as-tu maintenant, dix, onze ans ?

- Neuf, répliqua ma mère. Et trois ans d'âge mental. Crois-le ou non, mais si ce gosse a pro- noncé dix mots ces douze derniers mois, c'est le bout du monde. Je ne sais plus quoi faire.

- Ah!... fit-Elle avec une indifférence polie. Bon, vous voulez du café ?

- Pourquoi pas ? Où allais-tu, déguisée de la sorte ? demanda ma mère en détaillant la tenue vestimentaire de ma cousine : une mini-robe sans manches, sans rien dans le dos, sans grand-chose nulle part.

- Max et moi venons d'être engagés au CNRS, au département archéologie. Il a décroché un poste de chercheur et moi, celui d'analyste. Nous vou- lions fêter ça...

- Je vois, fit ma mère avec l'air préoccupé de quelqu'un qui calcule sa feuille d'impôts. C'est quoi cette horreur que tu tiens dans tes bras ?

- Mon nouveau chien, Spy-Tan. Cadeau de Max pour mes vingt-deux ans.

- Très drôle. Avec qui deviez-vous sortir ce soir ?

Je la vis cligner les yeux et serrer les lèvres. Je ne connaissais personne, à part mon père et parce qu'il avait connu pire pendant la guerre, qui résiste plus de cinq minutes à l'autorité usante de ma mère.

- Juste Max et moi. - Dans ce cas, vous pouvez remettre votre fête à

demain !

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Elle a hésité, l'espace d'une seconde, et s'est exclamée, la voix sûre.

- Max! Comme je suis contente de te voir ! Tu vas bien ?

Il a marmonné : - Mais oui, merci, et toi ? Ma femme n'a guère laissé le temps à Vic de

répondre. - Merveilleux ! Tout le monde se connaît alors,

à ce propos, je suis... - Oui chérie, nous savons. Et j'ai fait les présentations d'usage. Je n'étais pas loin de me remettre à bredouiller. - Vous travaillez également au CNRS ? - Oui... a fait Vic. Enfin, plus maintenant. J'ai

quitté le centre il y a quelques années pour le Musée de l'Homme...

- Passionnant, passionnant, a répliqué Diane que les squelettes ont toujours fascinée.

- Merci, a dit Vic, conciliante. Vous m'excuse- rez, je dois y aller.

Elle a lancé un sourire à la ronde, un regard par en dessous et s'est esquivée.

- Vic! a crié Max, si fort que certains se sont arrêtés de parler.

Elle s'est immobilisée, s'est retournée. - Tu as toujours Quesenome ? a-t-il demandé. - Non... il est mort de vieillesse. Je ne monte

plus à cheval. Un temps. - D'ailleurs je ne vais plus là-bas très souvent...

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Un temps encore. - Et toi? - Nous avons vendu la maison. - Oh! Elle a fait avec un mouvement du men-

ton. Puis elle a semblé réfléchir avant de demander. - Ton fils va bien ? - Oui. Ma fille aussi. Elle a deux ans. - Tant mieux. Elle a eu un nouveau mouvement vers la sortie.

Maxime a dit, très vite... - Nous pourrions prendre un café un jour, et

après... Vic a baissé la tête. Les yeux toujours fixés sur le

sac à main de ma femme. - C'est drôle, plus personne ne m'appelle

comme ça. Les autres préfèrent Victoire. Je dois vieillir...

Maxime a esquissé un sourire. - Alors, d'accord pour un café ? Quand elle s'est décidée à le regarder, une vie

plus tard, elle a simplement répété, doucement : - Et après ?...