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8 LE CONCOURS MÉDICAL _ TOME 141 _ MARS 2019 ÎLE DE LA RÉUNION Quelle offre de soins dans les zones difficiles d’accès ? Plus de 9 000 kilomètres séparent la France métropolitaine de l’île de La Réunion, département ultramarin de près de 850 000 habitants. Un territoire insulaire d’environ 70 km de longueur sur 50 km de largeur. Parmi ses spécificités : une géographie capricieuse, élément déterminant dans l’organisation de l’offre de soins. PAR CAMILLE ROSENBLATT L e piton des Neiges (culmi- nant à 3 070 m), puis plus tard le piton de la Fournaise (2 630 m), volcan emblé- matique connu pour son activité intense, sont à l’origine du relief extrêmement escarpé de l’île de La Réunion. Résultat : certaines zones sont difficiles d’accès, voire inac- cessibles par voie routière. Bien que la moitié de la population réu- nionnaise vive dans les villes situées aux abords du littoral, une part de la population plus rurale a élu domicile dans les « Hauts » de l’île (à partir de 400 mètres d’altitude), et dans les trois imposants cirques de Salazie, Mafate et Cilaos. Pour répondre aux besoins en santé, des solutions orga- nisationnelles, logistiques et tech- niques ont donc été développées. Pourtant, La Réunion n’est pas particulièrement concernée par la désertification médicale, estime initiatives Chanthell Fenies, responsable du Plan d’égal accès aux soins à l’ARS océan Indien (ARS-OI). Ainsi, pour- suit-il, si on constate, au 1 er janvier 2018, une densité de médecins spécialistes moins élevée à La Réu- nion qu’en métropole (86,9 contre 99,7/100 000 habitants), celle des généralistes libéraux reste supé- rieure (98 contre 90/100 000 habi- tants) [1] . En outre, si la démographie médicale vieillissante accentue la fragilité de certains territoires – l’âge moyen des généralistes est de 51 ans –, celle-ci est compensée par la forte attractivité du territoire auprès des jeunes médecins. « On a beaucoup de turnover, et donc une offre de santé qui reste intéressante, malgré cette démographie médicale vieillissante », avance Flore Bettini, secrétaire générale de l’union ré- gionale des médecins libéraux de l’océan Indien (URML-OI) : « Par exemple, nous enregistrons chaque mois au Conseil de l’Ordre des mé- Le premier Héli-Smur du Smau 974 est opérationnel depuis décembre 2018. C.R. SAMU974

ÎLE DE LA RÉUNION Quelle offre de soins dans les zones ......MARS 2019 _ TOME 141 _ LE CONCOURS MÉDICAL 9decins entre 15 et 30 nouveaux mé-decins pour La Réunion. » Cependant,

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  • 8 LE CONCOURS MÉDICAL _ TOME 141 _ MARS 2019

    ÎLE DE LA RÉUNIONQuelle offre de soins dans les zones difficiles d’accès ?

    Plus de 9 000 kilomètres séparent la France métropolitaine de l’île de La Réunion, département ultramarin de près de 850 000 habitants.

    Un territoire insulaire d’environ 70 km de longueur sur 50 km de largeur.

    Parmi ses spécificités : une géographie capricieuse, élément déterminant dans l’organisation de l’offre de soins.

    PAR CAMILLE ROSENBLATT

    Le piton des Neiges (culmi-nant à 3 070 m), puis plus tard le piton de la Fournaise (2 630 m), volcan emblé-matique connu pour son activité intense, sont à l’origine du relief extrêmement escarpé de l’île de La Réunion. Résultat : certaines zones sont difficiles d’accès, voire inac-

    cessibles par voie routière. Bien que la moitié de la population réu-nionnaise vive dans les villes situées aux abords du littoral, une part de la population plus rurale a élu domicile dans les « Hauts » de l’île (à partir de 400 mètres d’altitude), et dans les trois imposants cirques de Salazie, Mafate et Cilaos. Pour répondre aux besoins en santé, des solutions orga-nisationnelles, logistiques et tech-niques ont donc été développées.Pourtant, La Réunion n’est pas particulièrement concernée par la désertification médicale, estime

    initiatives

    Chanthell Fenies, responsable du Plan d’égal accès aux soins à l’ARS océan Indien (ARS-OI). Ainsi, pour-suit-il, si on constate, au 1er janvier 2018, une densité de médecins spécialistes moins élevée à La Réu-nion qu’en métropole (86,9 contre 99,7/100 000 habitants), celle des généralistes libéraux reste supé-rieure (98 contre 90/100 000 habi-tants)[1]. En outre, si la démographie médicale vieillissante accentue la fragilité de certains territoires – l’âge moyen des généralistes est de 51 ans –, celle-ci est compensée par la forte attractivité du territoire auprès des jeunes médecins. « On a beaucoup de turnover, et donc une offre de santé qui reste intéressante, malgré cette démographie médicale vieillissante », avance Flore Bettini, secrétaire générale de l’union ré-gionale des médecins libéraux de l’océan Indien (URML-OI) : « Par exemple, nous enregistrons chaque mois au Conseil de l’Ordre des mé-

    Le premier Héli-Smur du Smau 974 est opérationnel depuis décembre 2018.

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    decins entre 15 et 30 nouveaux mé-decins pour La Réunion. »Cependant, des difficultés d’accès aux soins existent. « Les territoires fragiles concernent 12 % de la po-pulation. Ils sont notamment situés un peu à l’écart, c’est-à-dire dans les hauts de l’île, et les cirques », ex-plique Chanthell Fenies. L’ARS-OI, en lien avec ses partenaires, mène ainsi plusieurs actions pour amé-liorer l’offre de soins dans son en-semble, et plus spécifiquement sur les zones fragiles. Objectif : aboutir à une meilleure articulation entre médecine de ville et hôpital. Ainsi, d’une part, le développement de MSP est encouragé afin de pro-mouvoir l’exercice libéral et pluri-professionnel, et d’autre part, les médecins sont accompagnés dans leur projet d’installation libérale, à travers des séances de travail ou des outils d’information spéci-fiques comme un guichet unique d’information. Par ailleurs, le déve-loppement de CPTS fait partie du projet régional de santé (PRS) afin de renforcer la coordination entre les professionnels de santé, dans une perspective de décloisonne-ment des secteurs ambulatoire, médico-social et sanitaire.

    CILAOS ET MAFATE, DES DÉSERTS MÉDICAUXLes cirques de Cilaos et de Mafate ont pour point commun leur carac-tère isolé, enclavé, et difficile d’ac-

    cès. Ce qui en fait des déserts mé-dicaux. Pour autant, l’articulation de l’offre de soins n’est pas la même sur les deux territoires, comme l’ex-plique le Pr Xavier Combes, chef de service du Samu 974 : « On ne gère pas les urgences de la même manière à Mafate et Cilaos : Cilaos reste ac-cessible par la route, bien que très escarpée, et dispose d’une struc-ture de santé – l’hôpital de Cilaos – qui compte un médecin présent la journée et du personnel médical la nuit. » À Cilaos, la permanence des soins ambulatoires (PDSA) est assurée par une unité de téléméde-cine abritée dans l’hôpital, opérant en lien avec le Samu et qui s’appuie sur un binôme infirmier et aide-soi-gnant. La mise en place de la télé-consultation permet ainsi d’éviter la mobilisation inappropriée des équipes du Smur par défaut d’in-terlocuteurs médicaux. « Cette uni-té fonctionne relativement bien de-puis une dizaine d’années, continue le Pr Combes. Aujourd’hui, l’hôpital est menacé de fermeture : les habi-tants et les élus locaux craignent que cela ait un impact sur l’offre de soins. Mais la fermeture ne concer-nerait que les lits d’hospitalisation de moyen séjour, pas l’unité de télé-médecine en question. »Mafate, en revanche, et contraire-ment à Cilaos, ne compte aucune route : seuls des sentiers que l’on suit à pied et qui relient les sept « îlets » (petits hameaux) peuplant

    le cirque. Avec environ 800 habi-tants, le territoire de Mafate est bien moins peuplé que celui de Cilaos (6 000 habitants), mais il compte un flux touristique important. L’accès aux soins repose sur des médecins généralistes acheminés dans le cirque par hélicoptère, qui assurent deux consultations hebdomadaires dans les dispensaires répartis entre les îlets. La permanence des soins est garantie par deux infirmières, l’une installée à Roche-Plate, et l’autre, à Grand Place, qui effec-tuent des visites à domicile du lundi au vendredi. Il y a quelques années, un dispositif de télémédecine a été mis en place : munies d’une valise de télémédecine, des personnes réfé-rentes – appelées « sentinelles » –, formées par le Samu 974 aux soins de premiers secours, envoient pho-tos et paramètres vitaux du patient au médecin régulateur pour que ce-lui-ci puisse prendre les décisions adaptées. Mais, contrairement à Cilaos, le dispositif de télémédecine mis en place sur le territoire de Ma-fate a vite périclité : malgré la for-mation reçue, les situations étaient trop complexes à gérer pour les sen-tinelles…Jusqu’à présent, en cas d’accident ou d’urgence à Mafate, c’est l’héli-coptère de la gendarmerie qui était sollicité, embarquant à son bord un médecin urgentiste si néces-saire. Ce système est aujourd’hui complété par les interventions du premier Héli-Smur du Samu 974, opérationnel depuis décembre 2018. Véritable « ambulance vo-lante » équipée de matériel médi-cal, son objectif est de permettre à chaque Réunionnais de se trouver à moins de 30 minutes d’un hôpital. «  L’usage de l’Héli-Smur n’est ce-pendant pas réservé qu’aux cirques, explique le Pr Xavier Combes. Il in-tervient sur toute l’île, par exemple dans les Hauts, qui eux aussi peuvent être difficiles d’accès du fait de leurs routes longues et sinueuses. Heureusement, l’hélicoptère peut traverser l’île du nord au sud en une vingtaine de minutes. »

    1. Chiffres de RPPS-Diamant et Drees (données brutes au 01/01/2018, hors remplaçants)

    LA TÉLÉMÉDECINE, UNE RÉPONSE D’URGENCE« Mettre en œuvre la révolution numérique en santé pour abolir les distances. » Telle est la priorité n° 2 formulée par le Plan d’égal accès aux soins. Pour l’ARS-OI, la télémédecine constitue une réponse organisationnelle et technique à de nombreux défis identifiés sur le territoire ; son déploiement s’inscrit donc pleinement dans la dynamique de son projet régional de santé. Outre le dispositif télémédecine en place à Cilaos, plusieurs projets ont été développés à La Réunion ces dernières années, tels que Gecoplaies, qui permet la télé-expertise de plaies chroniques, autour d’un binôme médecin-infirmier ; ou Retino974, actuellement en expérimentation, qui organise le dépistage de la rétinopathie diabétique par télé-expertise. Pour Antoine Lerat, directeur du programme Océan Indien innovation santé, « en santé numérique, le plus gros frein n’est pas technologique, il est culturel. Pour lever ces freins, il faut bâtir avec les professionnels de santé, et que les projets soient faits avec eux, et pour eux ».

    CHANTHELL FENIES, responsable du Plan d’égal accès aux soins à l’ARS océan Indien (ARS-OI)

    C.F

    .FLORE BETTINI,secrétaire générale de l’URML-OI

    F.B

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    PR XAVIER COMBES, chef de service du Samu 974

    X.C

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