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1 ©Société d’histoire In Memoriam – 2012 Le défi 10 ans 10 jours Louisbourg par Evelyne Bouchard, Société d’histoire In Memoriam En 2011 la Société d’histoire In Memoriam fêtait son 10 e anniversaire. Pour souligner cet évènement, on proposa un défi : 10 jours de reconstitution, 24hres sur 24 dans l’un des plus beaux sites au monde : la forteresse de Louisbourg. Le projet Le groupe avait déjà vécu jusqu’à 4-5 jours en reconstitution historique, mais jamais au delà. De plus, le contexte historique se limitait souvent à un seul bâtiment. Ce dernier jamais vraiment coupé à 100% du monde moderne de par son emplacement. Quand à Louisbourg, on parle d’une ville du 18 e siècle reconstituée dans une baie, par laquelle on accède via une navette. Tout autour, aussi loin que porte le regard sur 360 degrés, tout est historique…ou presque! Le site, où notre groupe québécois fait des animations bénévoles depuis 2008, se trouve à environ 20-24 heures de route, en Nouvelle-Écosse. Se rendre est déjà toute une aventure! La décision de ce projet ne se fit guère plus de 5 mois avant le grand départ. Cela ajouta au défi de le réaliser, sachant pertinemment que ce délais était trop court pour modifier, ajouter ou peaufiner substantiellement nos menus, nos costumes ou tout autre élément matériel ou immatériel nécessaire à notre reconstitution. Il fallait y aller tels quels, avec ce que nous avions et que nous utilisions habituellement. Les personnages Le contexte était le même que celui utilisé pour tous les évènements du groupe, soit la maisonnée d’un capitaine d’une Compagnie franche de la Marine. Il y avait Madame de Périgny, épouse du capitaine Saint-Jean d’Ercourt, deux engagés de Monsieur : Louis et Nicolas; une servante nommée Marion et Sœur St-Antoine. Celle-ci ayant fait le voyage afin d’apporter des documents importants au couvent de la forteresse. Le capitaine d’Ercourt était là pour faire des contacts avec ses collègues officiers en vue de se trouver un poste. Tous avaient pu trouver hébergement chez les Rodrigue, marchands aisés de la ville, par le biais du capitaine de Gannes, lui-même propriétaire de la maison. Tout se tenait pour arriver à donner un sens à ce projet un peu fou! Le site Nous sommes arrivés, comme de coutume, en pleine nuit. La découverte du bâtiment nous recevant se fit à la chandelle…Quelle découverte! La forteresse avait préparé pour nous un bâtiment qui était fermé au public depuis 20 ans. La maison a été nettoyée, meublée et décorée. Un grand soin avait été mis pour recréer un logis des plus chaleureux des années 1740. Tout y était, des plus grosses pièces de mobilier au plus petit détail, du vaisselier à la petite cuillère. Trois jours après notre arrivée, nous trouvions encore des choses dans les tiroirs ou dans le racoin d’un mur! Pour nous, cette générosité était un cadeau du ciel. Cela nous a permis de mieux vivre notre reconstitution, ayant ainsi à la portée de la main ce que nous nous privions habituellement. Le 18 e siècle était

Le défi 10 ans 10 jours Louisbourg - Fédération Histoire … Memoriam... · 2013-02-12 · La décision de ce projet ne se fit guère plus de 5 mois avant le grand départ

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©Société d’histoire In Memoriam – 2012

Le défi

10 ans – 10 jours – Louisbourg

par Evelyne Bouchard, Société d’histoire In Memoriam

En 2011 la Société d’histoire In Memoriam fêtait son 10e anniversaire. Pour souligner

cet évènement, on proposa un défi : 10 jours de reconstitution, 24hres sur 24 dans l’un

des plus beaux sites au monde : la forteresse de Louisbourg.

Le projet

Le groupe avait déjà vécu jusqu’à 4-5 jours en reconstitution historique, mais

jamais au delà. De plus, le contexte historique se limitait souvent à un seul bâtiment. Ce

dernier jamais vraiment coupé à 100% du monde moderne de par son emplacement.

Quand à Louisbourg, on parle d’une ville du 18e siècle reconstituée dans une baie, par

laquelle on accède via une navette. Tout autour, aussi loin que porte le regard sur 360

degrés, tout est historique…ou presque! Le site, où notre groupe québécois fait des

animations bénévoles depuis 2008, se trouve à environ 20-24 heures de route, en

Nouvelle-Écosse. Se rendre est déjà toute une aventure!

La décision de ce projet ne se fit guère plus de 5 mois avant le grand départ. Cela

ajouta au défi de le réaliser, sachant pertinemment que ce délais était trop court pour

modifier, ajouter ou peaufiner substantiellement nos menus, nos costumes ou tout autre

élément matériel ou immatériel nécessaire à notre reconstitution. Il fallait y aller tels

quels, avec ce que nous avions et que nous utilisions habituellement.

Les personnages

Le contexte était le même que celui utilisé pour tous les évènements du groupe,

soit la maisonnée d’un capitaine d’une Compagnie franche de la Marine. Il y avait

Madame de Périgny, épouse du capitaine Saint-Jean d’Ercourt, deux engagés de

Monsieur : Louis et Nicolas; une servante nommée Marion et Sœur St-Antoine. Celle-ci

ayant fait le voyage afin d’apporter des documents importants au couvent de la forteresse.

Le capitaine d’Ercourt était là pour faire des contacts avec ses collègues officiers en vue

de se trouver un poste. Tous avaient pu trouver hébergement chez les Rodrigue,

marchands aisés de la ville, par le biais du capitaine de Gannes, lui-même propriétaire de

la maison. Tout se tenait pour arriver à donner un sens à ce projet un peu fou!

Le site

Nous sommes arrivés, comme de coutume, en pleine nuit. La découverte du

bâtiment nous recevant se fit à la chandelle…Quelle découverte! La forteresse avait

préparé pour nous un bâtiment qui était fermé au public depuis 20 ans. La maison a été

nettoyée, meublée et décorée. Un grand soin avait été mis pour recréer un logis des plus

chaleureux des années 1740. Tout y était, des plus grosses pièces de mobilier au plus petit

détail, du vaisselier à la petite cuillère. Trois jours après notre arrivée, nous trouvions

encore des choses dans les tiroirs ou dans le racoin d’un mur! Pour nous, cette générosité

était un cadeau du ciel. Cela nous a permis de mieux vivre notre reconstitution, ayant

ainsi à la portée de la main ce que nous nous privions habituellement. Le 18e siècle était

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ainsi plus concret, plus réaliste. Notre intérieur se composait d’une cuisine, d’un salon,

d’un portique, de deux chambres, d’une grange et d’une basse-cour. Celle-ci peuplée de

quelques volailles. Au dehors de notre domicile s’étendait la ville avec sa chapelle, son

quai, le bord de la mer, ses rues, son café et les autres maisons.

Anachronismes obligés

Malheureusement, nous nous sommes contraints à quelques obligations d’hygiène

moderne. En premier lieu pour la conservation de denrées très périssables comme la

viande, nous n’avons pas eut le choix d’utiliser un mini réfrigérateur, puisqu’il nous était

impossible d’avoir un caveau creusé dans le sol. Même chose pour les besoins naturels,

nous avions une toilette moderne pour ce faire. Bien que la nuit, la noirceur nous

obligeant, avec authenticité, à utiliser nos pots de chambre. Le dernier point anachronique

étant l’approvisionnement en eau. Ne pouvant boire celle du puits, nous avions un robinet

d’eau potable. Ces trois éléments (toilette, réfrigérateur et robinet) étaient regroupés dans

une minuscule pièce à l’arrière de la maison, entre le salon et la cuisine.

Il y avait aussi quelques autres anachronismes pour lesquels pour ne pouvions rien

faire non plus. Que ce soit l’autobus des employés qui arrivait le matin, les rondes de nuit

du gardien, les touristes visitant la ville ou l’extincteur incendie dans le coin de l’armoire.

Mais, dans un tel contexte global, ces petits détails finissent par être un mal nécessaire

que nous ignorions.

Le coucher

Une des chambres était pour les maîtres, la seconde pour Sœur St-Antoine et la

servante. Les hommes eux dormaient par terre dans la cuisine. Chacun avait une paillasse

et des couvertures de laine, selon son niveau social. On se mettait au lit la nuit venue, une

fois les tâches et nos toilettes terminées. Il devait être entre 21 et 22 heures. Le matin on

se réveillait vers 8 ou 9 heures, avec le bruit de la ville qui s’éveillait elle aussi. Pour tout

calcul du temps, de jour comme de nuit, la cloche de l’horloge du bastion royal sonnait

les heures et les demies-heures…

L’hygiène

Dans le projet, pas question de prendre une douche ou un bain moderne! De toute

façon nous n’y avions pas accès…Ainsi les cheveux furent entretenus à la poudre, les

dents nettoyées avec un linge enduit de poudre à dents et le corps lavé lors d’une toilette

sèche d’eau parfumée et de savonnette pour les maîtres; d’eau crue et de savon du pays

pour les autres. Ce point était certainement celui qui nous inquiétait le plus. Passer dix

jours à s’entretenir comme au 18e siècle, quel résultera cela allait-il donner au bout de 6

ou 8 jours? Finalement, nous ne nous sentions ni plus ni moins sales que si nous avions

utilisé les techniques des années 2000! Ce fût un des points forts de l’expérience. Nous

pouvons en arriver à la conclusion qu’au 18e siècle la propreté est simplement une

question de techniques différentes avec les années 2000.

Les vêtements et leur entretien

Pas besoin de spécifier que tous les vêtements utilisés étaient des reproductions du

18e siècle, incluant les sous-vêtements, bijoux et autres accessoires ou menus détails. Sur

ce point, tout c’est bien passé. Le seul problème résidant dans le manque de chemises. En

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effet en 1745, chacun aurait possédé au moins une douzaine de chemise pour le voyage,

sinon plus. Alors qu’en tant que reconstituteurs nous n’en possédions seulement que deux

à quatre par personne. Pendant plusieurs jours il a fait humide et il a plu. Nous avons

donc attendu au maximum avant de faire une lessive, mais un moment donné le besoin de

chemises propres était impératif pour certains. Historiquement nous aurions pu aller

étendre nos chemises à sécher dans un chaud et sec grenier. Ici, nous n’avions que la

grange dont le toit coulait! La cuisine et le salon ne permettant pas d’étendre sans nous

nuire gravement. Au bout de deux jours, les chemises étaient encore mouillées et

commençaient à avoir des traces jaunes. Nous avons dû les relaver…et malheureusement

utiliser les commodités modernes du costumier du site! Pour oublier cette horrible et

anachronique expérience, une des participantes à eu le plaisir de repasser ces mêmes

chemises avec des fers historiques chauffés au feu. Encore ici, le procédé donna

d’excellents résultats.

La nourriture

Pour la nourriture, nous avions fait une épicerie ayant de partir pour avoir les

denrées de base pour les 2-3 premiers jours. Par la suite, une employée du site venait

nous visiter et nous lui remettions notre liste d’achat. Faute d’avoir un marché sur place,

cela nous a permis un approvisionnement régulier, mais qui demandait tout de même une

certaine gestion. Le pain, quand à lui, pouvait être acheté sur place tous les matins à la

boulangerie. Une sortie matinale qui était fort appréciée!

Au quotidien, les repas étaient toujours sur la même base : un déjeuner fait de

pain, oignons et eau de vie pour les domestiques; pain, café et compote pour les maîtres.

Le dîner était le gros repas de la journée qui consistait habituellement en une viande,

poisson les jours maigres, quelques légumes ou autre accompagnement. Le soir était servi

un bon bouillon nourrissant avec du pain.

Tous les repas furent préparés dans l’âtre avec les outils et ustensiles historiques,

bien sûr. Habitués à ce genre d’exercice, ce ne fût pas particulièrement différent de nos

autres activités de reconstitution. Par contre, un de nos participants a eut l’idée de

recevoir à souper deux personnages de la haute société de Louisbourg. Ainsi, avec les

ressources que le site nous offrait nous avons réalisé ce repas avec tout le décorum

possible : accueil des invités, lavage des mains, service à la française, présence du valet et

autres petits détails qui plurent beaucoup aux invités, mais aussi aux visiteurs. Ces

derniers pouvaient apprécier l’effervescence de la cuisine d’un côté et le résultat élégant

sur la tablée de l’autre. Le menu se composa de quatre services. Le premier offrait un

potage de navets, le second une salade de concombres et des œufs en vinaigrette, le

troisième un poulet rémoulade et un bœuf à la royale. Pour terminer, le troisième service

fût composé de riz au lait, de beignets aux figues et de pommes au sucre. Ce fût une

réussite totale!

L’immersion mentale

Pour notre association, l’ambiance matérielle ne suffit pas. À quoi bon mettre

autant d’énergie pour évoluer dans des reproductions d’aussi grande qualité pour parler

d’ordinateurs, de rénovation ou de découvertes sur internet! À l’opposé, des textes ou des

scénettes prévues ne nous mettent pas plus dans le contexte réel de l’époque. Ainsi, au fil

des ans nous avons mis sur pied ce que nous appelons le «parler contexte». Il s’agit de

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parler naturellement, sans accent ou texte, en respectant ce que nous sommes et ce que

nous aurions pu savoir et connaître à l’époque. Il en ressort des conversations

quotidiennes simples, spontanées et qui aurait pu être dites en 1745. Cela ajoute

énormément à l’immersion historique en apportant une ambiance mentale et auditive.

Cette façon de faire permet aussi de mettre en action l’humour, l’étiquette et les relations

sociales du 18e siècle. C’est un apport très concret.

Ce qui ajoutait à notre immersion était que les autres animateurs de Louisbourg

restaient en contexte 18e avec nous, autant dans leurs conversations que leurs

agissements. Ainsi, nous pouvions aller danser chez Bigot, saluer les officiers au bastion,

prendre le café chez Longchamp, prier à la chapelle ou simplement déambuler en ville,

toujours dans une ambiance historique. Pour nous, que les gens en dehors de notre groupe

«parlaient contexte» ajouta la touche finale au voyage temporel.

C’est ainsi que certains moments furent très intenses et magiques pour nous. Que

nous pouvons dire que nous avons vécu un réel dépaysement, un voyage culturel

intégral…ou presque!

En conclusion

Cette aventure de 10 jours nous a permis d’expérimenter une foule d’aspects de la

vie au 18e siècle. Ceci sur une assez longue période pour en voir les effets. Nous sommes

sortis du cadre régulier des évènements de reconstitution pour aller plus loin. Plus loin au

niveau du temps d’immersion, du contexte physique et matériel élargi, ainsi que des

interactions. En somme, l’expérience nous a démontré que passé le seuil des trois ou

quatre jours, la routine quotidienne prend sa place. Alors, les jours suivants se passent

avec aisance comme si nous avions toujours connu cette façon de vivre et de faire. Cela

nous a surpris un peu. Nous pensions finir par trouver le temps long, être épuisés,

ennuyés, voire lassés ou en manque intense de notre époque. Et bien non, quand le

dixième jour est arrivé, cela nous a fait tout drôle de dire : «c’est fini». Comme si on

venait d’arriver la veille. Nous étions ni heureux que ce soit fini, ni tristes. Nous étions

dans un état de calme et d’appréciation. Nous avions réussi notre défi et c’est avec le

cœur gros que nous avons quitté nos amis du 18e siècle et cette ville merveilleuse.

Evelyne Bouchard

pour la Société d’histoire In Memoriam

Site web :

www.shimhistoire.wix.com/shim

Facebook :

https://www.facebook.com/#!/pages/Soci%C3%A9t%C3%A9-dhistoire-In-

Memoriam/182466091789043

Courriel: [email protected]

Forteresse de Louisbourg:

http://www.pc.gc.ca/fra/lhn-nhs/ns/louisbourg/index.aspx

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