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Le Degré Des Revues Scientifiques

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  • Dan S. Stoica

    Facult des Lettres

    Dpartement de Journalisme et Sciences de la Communication

    &

    Sminaire de Logique discursive, Thorie de largumentation et Rhtorique, Facult de Philosophie

    Universit Al. I. Cuza, de Iai

    Le degr des revues scientifiques1

    (Publi dans: in Mthodologie de lapprentissage de la recherche universitaire aux ditions Editura Didactica si Pedagogica, R.A. de Roumanie (sous la direction de

    Mihaela t. RDULESCU, Bernard DARBORD et Angela SOLCAN, Bucarest 2010, 299 pages, format 16,5x23,5), pp. 139-148

    1. Lanecdotique 1.1. Que faire quand un trisectionneur

    2 se prsente

    La source de ce qui va suivre remonte dans un pass assez lointain. Il y a une quinzaine

    dannes, je me suis copieusement amus avec la lecture dun article paru dans un journal pour les matheux

    3. Un Amricain plein dhumour prsentait la faon dont on peut se retrouver vivre un cauchemare si lon cde lapproche dun trisectionneur et que lon accepte danalyser sa dmonstration. En bref, un trisectionneur est un mathmaticien qui croit dur comme fer quon peut diviser un angle en trois parties gales en ne se servant que dune rgle et dun compas. En plus, ce mathmaticien est obsd par lide quil peut prouver cela. Toujours en bref, la communaut des mathmaticiens est fixe quant

    cela: cest impossible. Le scnario prsent dans larticle voqu est le suivant: en tant que mathmaticien aimable, tu reois ton confrre, tu acceptes de vrifier sa dmonstration; en faisant ceci,

    tu dcouvres le ppin qui rend nulle la construction, tu le lui signales et tu penses revenir

    la vie paisible davant. Tu crois bien que lpisode est fini. Tu te trompes! Ce nest pas fini: le trisectionneur reviendra aprs un certain temps avec une nouvelle version de sa

    dmonstration. Lerreur que tu auras dcouverte sera bien rpare, mais il y aura une autre inadvertence glisse dans la construction. Cette fois-ci, on aura affaire une erreur beucoup mieux dissimule, et donc il te prendra beaucoup plus de temps pour la

    dnicher; une fois cette nouvelle dmonstration infirme, tu sauras quoi tattendre: le trisectionneur reviendra, et encore, et encore, avec, dans sa dmonstration, une erreur

    chaque fois mieux dissimule et moins facile dvoiler et dnoncer. Son obsession

    nest pas de comprendre ce qui ne va pas dans son raisonement de base. Son obsession est de faire mme limpossible pour que sa dmonstration passe et que son ide soit

    1 Publi sous un autre titre et dans une forme restreinte dans Noesis, vol. XXVI / 2001, pp. 251-257.

    2 Terme - introuvable dans les dictionnaires franais qui essaie de traduire le terme trisector du texte

    source, lui aussi introuvable dans les dictionnaires anglais. 3 Underwood Dudley, What to do when a trisector comes, in The Mathematical Intelligencer, vol.

    5/1983, nr. 1, pp. 20-25.

  • accepte. Aprs une srie de tentatives de sa part, tu arrives, peut-tre lincapacit de trouver la toute dernire des erreurs et, fatigu, tu te sens cder. Seule la certitude de la

    fausset de la thse soutenue par ton tortionnaire te retient devant le lche abandon. Mais, la fin, tu te retrouves puis, nerveux, malheureux de ne pas avoir pu toccuper de tes propres recherches, exaspr de tavoir laiss entran dans une situation sans issue lgante.

    Le message de larticle du Mathematical Intelligencer me parat trs vident: lorsquun trisectionneur se prsente, tu le refuses. Trs net, ds le dbut et en faisant recours des

    motifs banals: manque de temps, une question de famille trs urgente. Tu le refuses tout

    en apprciant la situation ordinaire o tu limites tes lectures de spcialit la littrature

    de poids, aux ouvrages srieux. a veut dire que tu te rjouis de te savoir labri grce aux diteurs. Il est certain quaucun journal de mathmatique naccepterait dabriter dans ses pages mme la moindre polmique sur le thme en question. Les mathmaticiens

    pourraient donc sadonner tranquillement leurs lectures sans aucune peur davoir guetter incessamment de possibles erreurs glisses dans leurs revues de spcialit.

    1.2. EASE, Tours, 2000

    En lan 2000, la confrence gnrale de EASE4 - qui sest tenue en France, Tours a ddi une de ses sections au thme des ditions en format lectronique comme alternative

    aux ditions imprimes. Certes, ldition en format lectronique dune importante revue scientifique ne veut nullement dire quon renonce aux services des rfrents, non plus que lemploi de lInternet sera fait sans discernement. Et pourtant, les diteurs du fameux Lancet ont dit que le format lectronique de leur revue met en circulation publique (sous

    lenseigne de la rdaction ! ), outre les articles ayant reu lacceptation des rfrents pour tre publis dans le format imprim, les articles reus la rdaction mais qui nont pas reu la validation des rfrents. Cela veut dire quune visite de la page de Web de Lancet donnera accs plus darticles que ce quon pourra lire dans le format papier de la revue. Sommes-nous en prsence dune politique ditoriale duplicitaire? Peut-on parler de premire et de deuxime qualit pour les articles scientifiques? Ou, peut-tre, est-ce le

    fruit dune mentalit qui dit que lInternet peut supporter nimporte quoi, alors que le papier ne peut pas

    1.3. EASE, Tours, 2000, deuxime partie

    Si on voulait me reprer au milieu des nombreux diteurs runis Tours, il fallait trouver

    la salle qui allait hberger la section Publier dans des pays avec des problmes. Jtais l. On y attendait larrive du modrateur lorsque japerus dans la salle le reprsentant dune revue mdicale franaise. Jai voulu savoir sil tait l pour samuser couter les problmes exposs par nous autres venus de pays avec des problmes. Eh bien, il tait l

    pour nous faire part des affres que connaissent des revues de pays ayant dautres types de problmes. Sa revue, Prescrire, est une publication pour les praticiens. Elle publie, en

    franais, des travaux scientifiques sur des thmes issus de et lis la pratique mdicale

    courante des hpitaux franais. Elle est de ces genres de revues qui ne reoivent pas de

    support financier, qui ne bnficient pas de grants de recherche, mais qui rendent un

    4 European Association of Science Editors

  • immense service aux mdecins de France, en assurant lchange dides et dexprience entre ceux qui sont directement et concrtement engags dans la gurison des malades.

    Les revues de haut degr les mieux places dans lhirarchie scrivent en anglais et elles sont circules parmi les chercheurs des instituts de recherche soutenus par de gros

    investissements, l o lon fait le design de la mdecine des sicles venir.

    Dautre part, pour progresser dans la profession, un mdecin franais aura plus de chances sil publiait dans une de ces revues des sphres thres , en anglais.

    Loin de moi lintention de faire un choix entre praticiens et chercheurs des domaines mdicaux de pointe. Non plus que de faire voir une diffrence de valeur entre leurs

    productions scientifiques. Je ne fais quenregistrer ltat des faits, mais il reste l un problme qui nous regarde tous : le degr des revues scientifiques. Ce degr, est-il

    toujours octroy avec justesse ? Est-ce que les critres employs pour dpartager

    sont-ils toujours justes ? Finalement, le systme, est-il juste, correcte, infaillible ?

    2. La ralit courante: comment et pourquoi communiquent les scientifiques

    2.1. La littrature grise

    Un phnomne de plus en plus prsent, mais qui passe presque inaperu tant il est commun nos esprits cest la communication scientifique au moyen de ce que lon appelle la littrature grise. Une dfinition de ce terme serait: ce qui est publi sans quaucun diteur en prenne la responsabilit et qui est mis en circulation en dehors des circuits commerciaux. Une catgorie plus largement rpandue de cette littrature grise ce

    sont les prpublications. Leur contenu peut tre fait de travaux de recherche, de rapports

    techniques etc., que lon met en circulation de cette faon, surtout dans les milieux acadmiques, pour faire connatre immdiatement les dernires nouveauts, les dernires

    ides, les dernires ralisations, au bnfice de la communaut scientifique. La vitesse de

    la sortie dans le monde de ces nouveauts se retrouve modre par le manque

    dendossement scientifique que donne dhabitude un diteur. Et pourtant, depuis plus de 15 ans, la profusion des prpublications dans tous les domaines est un fait vident et

    incontestable. Le succs de ce type de canal de communication atteste du dsir des

    scientifiques de se tenir au courant de leur toutes dernires ralisations en temps rel. Par l, la coopration entre eux est plus alerte, lauto-vrification en partant des ractions reues se fait plus vite, les cots de la mise en circulation de linformation sont infiniment moindres que dans le cas o lon fait appel une revue du domaine.

    Et puis, avec le cyberespace, il faut aussi parler de ces bases de donnes ad-hoc, comme

    des forums scientifiques ouverts, sans modrateur, o les paires peuvent se tenir au

    courant des nouveauts de leur domaine, en temps rel, o ils peuvent aussi voir ce que

    les autres ont crit sur leurs propres productions scientifiques et, donc, o la coopration

    sinstitue comme si ctait vraiment en la coprsence de tous les intresss (je connais, par exemple, des mathmaticiens trs actifs sur un tel forum, et trs heureux de pouvoir

    en bnficier).

  • 2.2 Lavancement dans lhirarchie professionnelle

    Cest un fait commun toutes les socits modernes: lavancement dans lhirarchie des professions intellectuelles est largement soutenu par le nombre de pages quon a russi publier. Jusqu lapparition de la scientomtrique science dont lobjectif est de mettre au point des mthodes et des instruments pour le mesurement du degr de scientificit

    dune dmarche quelconque celui qui avait le plus publi avait le plus de chances de se faire promouvoir. De l, cette lutte pour publier le plus que possible, nimporte dans quelle revue ou chez quel diteur. La scientomtrique a introduit de nouveaux principes

    dapprciation: la valeur de la revue o a t publi larticle en est un; un autre serait le nombre des travaux o lon fait rfrence larticle en question. Ceci a dplac le lieu du combat dans le champ des maisons ddition. Les diteurs se battent pour sassurer la coopration dauteurs dj prestigieux, pour ne pas rater le moment dune dcouverte grand potentiel pour le domaine, pour russir maintenir un certain rythme dans

    lapparition de la revue Il ne faut pas en dduire que le temps de la quantit douvrages publis soit rvolu. On a trouv la bonne voie du milieu: maintenant, on prend en compte outre les articles publis dans les revues de force les travaux mis en circulation sous la forme des prpublications (ou nimporte quelle autre forme de littrature grise), condition quon ait constat que le domaine en avait t fcond.

    3. Le contexte actuel: infrastructures et instruments de la communication

    scientifique

    3.1. Les ditions papier

    Dans cette catgorie on va retrouver, en dehors des livres, les revues scientifiques (qui

    emploient un collectif de rdaction spcialis aussi que des rfrents de spcialit), les

    prpublications, les volumes collectifs runissant des travaux prsents dans des

    confrences.

    3.1.1. Les monographies5

    Il y a pas mal dire de ce type de support dans la communication scientifique, mais nous

    allons nous en tenir ce qui intresse du point de vue de la dmarche que jessaie darticuler. En tant que produits dune maison ddition, les monographies jouissent de la garantie offerte par les rfrents de spcialit et par le travail des spcialistes de lquipe de rdaction qui en a pris en charge la publication. Aprs un certain temps, en accumulant

    une certaine exprience, tout chercheur finit par faire confiance aux diteurs de son

    domaine. Mais, ds quil se trouve devant un livre paru chez un diteur dont il na pas encore eu lexprience, le chercheur devient prudent et ce nest qu la suite de plusieurs expriences positives quil fait entrer la nouvelle maison ddition sur sa liste dditeurs de poids, dignes de confiance. Nous soulignons une fois de plus que la confiance dans

    lditeur se traduit en temps gagn et effort mnag.

    5 Sous ce nom jentend retrouver tous les objets que le langage commun nomme livres: des

    monographies, des traits, des recueils darticles endosss par un diteur, etc.

  • 3.1.2. Les revues de spcialit

    Du point de vue que je propose ici, les revues de spcialit fonctionnent quasiment de la mme faon que les monographies. Comme dans le cas expos plus haut, la confiance

    du lecteur est fonde sur la solidit et la consistence de la politique ditoriale. A son tour,

    celle-ci vient de la qualit des rfrents, de la capacit des diteurs de sentir quelle sont les nouveauts qui ont une chance de marquer lvolution du domaine, et enfin le talent des diteurs de sassurer la coopration fidle dauteurs de prestige. Ce qui ne leur russit pas, aux revues de spcialit, cest de publier en temps rel les nouveauts, cest--dire de les mettre en circulation ds leur parution en tant que rsultats des recherches. Et cest normal que cela se passe ainsi. Le travail srieux de lditeur prend du temps. Il revient lditeur dassurer la coopration avec les rfrents, avec les auteurs par lintermdiaire des diteurs dauteurs - , la slection du matriel ayant reu des rfrences favorables, lactivit en soi dditer et de publier chaque numro de la revue. Parfois a prend jusqu deux ans et mme plus, ce qui fait que les nouveauts fassent leur entre dans le cercle des scientifiques concerns longtemps aprs leur

    naissance. En fait, cest souvent longtemps aprs leur mise en circulation par dautres voies. Leur apparition sous forme darticle dans une revue de spcialit ne fait que confirmer la valabilit et limportance des rsultats prsents. Il y a remarquer de nouveau lopposition certitude vs. vitesse de la mise en circulation.

    3.1.3. La littrature grise

    Nous en avons dj parl, mais il me parat utile de revenir sur la question, histoire de

    souligner une fois de plus que, dans le rapport confiance dans linformation / vitesse de la mise en circulation, le deuxime terme est suprieur dans le cas de la littrature grise, si

    on compare ce type de support avec dautres instruments de communication prsents plus haut. Supposant exclusivement un effort matriel pour la production et la mise en

    circulation, la prpublication (et aussi tout autre genre de littrature grise) fait connatre

    au public concern la nouveaut ds sa naissance. La confiance dans linformation ainsi vhicule est fond par lventuelle confiance dans lauteur ou dans le groupe de recherche duquel fait partie celui-ci. Dailleurs, il arrive trs souvent de trouver sur la page de titre dune prpublication la mention disant que la responsabilit pour le contenu revient en totalit lauteur. Il faut nanmoins accepter que, dans la plupart des cas, linformation mise en circulation par le moyen des prpublications est considre comme digne de confiance (surtout pour des communauts de chercheurs bien dtermines et pas

    trs nombreuses). On assiste dj lapparition des rfrences des produits sinscrivant dans la littrature grise, ce qui accrot le degr de confiance face ce type de support

    dans la communication scientifique.

  • 3.2. LInternet

    Toujours plus prsent dans la communication scientifique, lInternet force les mentalits, transforme les visions, dplace la discussion sur un autre plan, celui des bnfices et des

    risques entrans par la communication en temps rel, par linteraction en temps rel. On dit quon trouve de tout sur lInternet. On dit aussi quon peut mettre de tout sur lInternet. Et cest vrai. Le cyberespace navigable reconstruit la socit davant la civilisation de lcrit. Chacun dit ce que bon lui semble et reoit de tout et de tous les vents. On pourrait presque affirmer quil ny a pas de contrle sur les contenus ports par le grand rseau.

    L, des nuances simposeraient. En gnral, lInternet suppose cette libert illimite dexpression et de communication. Il faut pourtant signaler leffort que certains font pour instituer des parties du rseau contrles quant la valabilit de linformation et quant ladministration de celle-ci. Je viens de dcrire les bases de donnes, dont certaines hautement spcialises. Dans cette

    famille des bases de donnes, une place part est tenue par les revues lectroniques. Il y

    en a qui sont on la vu des formats lectroniques de priodiques qui continuent paratre aussi en format papier.

    Mais, ce que lInternet offre comme possibilit extrmement rapide de retrouver de linformation, cest une facilit marque dincertitude au niveau de la qualit et de la validit de linformation. A lexception des bases de donnes construites sous la garantie des experts, tout est considrer comme rumeur vrifier. La vitesse de circulation du

    nouveau et la grande varit dinformations quon peut avoir en navigant sur lInternet se retrouvent contrecarres par une grande quantit dincertitude.

    3.3. La communication orale

    3.3.1. Les exposs dans les confrences

    Avec ce type de communication, on se retrouve apparamment! au dbut de la communication humaine, lpoque de loralit. Je dis apparamment car, dans la plupart des cas, les travaux sont accepts pour tre exposs aprs analyse et validation

    (travail qui revient au comit scientifique et aux rfrents de spcialit). Lexistence mme du comit scientifique lve le niveau de la runion et accrot, implicitement, la

    confiance en ce quon va entendre. Un ct positif de ce genre de communication scientifique cest la possibilit dinteraction en temps rel de lnonciateur et de son public. Cette interaction lorsquelle se produit raffine la perception et la comprhension du contenu, tout en constituant un valeureux feedback pour lauteur de lexpos. Lhistoire a retenu des cas o, dans le cadre dune confrence, on est arrivs admettre de nouvelles valeurs pistmologiques qui se sont par la suite bien intgres dans le domaine en question.

    Dautre part, on le sait, un travail de recherche bien prsent et bien reu dans le cadre dune session de communications scientifiques a toutes les chances de se voir publi sous une des formes de littrature grise, ce qui fera quil soit bien reu et sans hsitation aucune - par tous les spcialistes du domaine, prsents ou non lors de la prsentation

    orale.

  • 3.3.2. Le brainstorming

    Un cas particulier de la communication orale donc, en temps rel cest les quipes de recherches pratiquant le brainstorming. La diffrence par rapport au cas antrieurement

    prsent vient du fait que la validation du contenu dune nouveaut propose ne se fait pas seulement en la rapportant au domaine scientifique o linformation est cense se voir inclure, mais aussi en la rapportant la pragmatique de son utilisation dans le

    contexte soumis la rflexion du groupe de recherche. Linteraction aussi bien avec les spcialistes du mme domaine, quavec ceux reprsentant les autres domaines concerns fait que lacceptation / la rfutation de la nouveaut se produise vite et sans laisser de place aucun doute. Les ventuels rapports de recherche qui en rsultent certes, de la littrature grise mettent en circulation linformation comme valable. Un nuage dincertitude pourrait quand mme persister, vu que la valabilit des rsultats tablis par la technique de brainstorming est limite par lhorizon lintrieur duquel se place le thme de recherche auquel lquipe a t ddie. Dhabitude, cest plutt au niveau de lapplication technique, et le degr de gnralit des vrits scientifiques nest pas maximal.

    4. Libert vs. barrires

    De tout ce qui prcde on peut conclure que, en dehors de la vitesse de la mise en

    circulation dinformations nouvelles, une discussion sengage quant la libert dexpression des nonciateurs comme facteur dterminant de la confiance que les rcepteurs peuvent avoir dans le contenu qui leur est communiqu. L o les canaux /

    moyens de communication offrent un degr lev de libert, la confiance diminue ou

    mme elle est nulle. On pourrait constater que le rapport vitesse de la mise en circulation

    / valabilit de linformation se voit remplacer par le rapport vitesse / libert dexpression.

    4.1. Degrs de libert

    Cela laisse la voie ouverte pour une discussion sur les degrs de libert dans lespression des ides scientifiques, tels quils sont assurs par divers canaux de circulation de linformation.

    4.1.1. LInternet (ou la libert absolue)

    On a pu remarquer dans la prsentation ci-dessus que lInternet bat tous les records quant la libert de chacun den complter le contenu. Mme pour les bases de donnes, il faut dire quil y en a assez qui offrent la libert dintervenir dans leur contenu, la seule condition technique de connatre la bonne adresse et le protocole de modification spcifique au serveur.

    LInternet est, je le crois, le lieu idal pour les trisectionneurs

  • 4.1.2. Les runions scientifiques sans comit scientifique

    (ou lauto-censure)

    Il faut supposer un certain standing pour les runions scientifiques. On ny invite pas tout un chacun et, par leffet dun certain esprit de rciprocit, tout le monde nose pas proposer une prsentation. Dans ces conditions, en labsence dun comit scientifique, ce qui assure la qualit des travaux prsents cest la conscience de la propre valeur et les obligations qui en dcoulent vis--vis des confrres. Autrement dit, une auto-censure

    bienvenue. Qui admettrait de sexposer publiquement en essayant de prsenter, devant une runion de paires, soit des vrits triviales, soit des ides discutables, voire des

    erreurs scientifiques? Ce serait dgradant et trs risqu pour le locuteur. Assez souvent,

    au milieu de la communaut scientifique, lauto-censure a t le facteur de tri le meilleur. Et pourtant, un trisectionneur pourrait se glisser dans une runion sans comit

    scientifique Chez lui, lauto-censure ne fonctionne pas!

    4.1.3. Les prpublications

    (ou la censure par la circulation)

    Il est rest encore un dtail encore t sur la question des prpublications: cest laire de circulation de ces produits. Il y a une slection des partenaires dechange de prpublications les paires de lauteur ou du groupe et cela mne une dlimitation trs stricte du primtre lintrieur duquel va circuler linformation, ce qui quivaut une sorte de censure. Ce nest pas une censure contrle, ce nest pas une dmarche intentionne, mais a fonctionne dans le sens de la limitation de laccs linformation. Implicitement, laire depuis laquelle on va collecter le feedback est restreinte la petite communaut des paires. La communication reste valeureuse par la vitesse et si le cas est par le contenu, mais louverture nest ni mme potentiellement maximale. Cette censure par la dlimitation de laire de circulation ne laisse pratiquement aucune chance un trisectionneur de sy infiltrer

    4.1.4. Les Peer-review journals

    (ou ils ne passeront pas! sauf si)

    Faire passer chacun des manuscrits reus sous les fourches caudines de ses rfrents de

    spcialit, voil le point de gloire de toute revue scientifique de haut niveau. Cela rclame

    du temps, cre des disputes avec les auteurs (et mne parfois des ruptures irrparables),

    mais cest ce qui met sur la table du chercheur des nouveauts dune valeur scientifique indubitable et, de ce fait, cest ce qui accrot le poids de la revue. Ce qui plus est, pour les auteurs accepts, cest que la parution dans les pages dune telle revue entrane la gloire (ou du moins la notorit), lentre dans les rangs des chercheurs de poids du domaine et l o le cas est la promotion. Il arrive souvent que lauteur a dj la confirmation de la justesse de son intuition scientifique et de la construction argumentative quil propose dans le manuscrit avant la publication dans la revue. Dans lintervalle sparant le moment o il a reu la confirmation de lacceptation de son manuscrit et lapparition concrte du numro contenant son article, lauteur se dcide souvent dvoiler sa dcouverte aux confrres,

  • en usant de la forme (dj prsente) des prpublications ou dautres canaux6. Ce qui parrat peut-tre paradoxal cest que les diteurs ne sen montrent pas affects, comme si la circulation par le moyen des prpublications ne saurait compter. Cest une position qui facilite beaucoup les choses: linformation circule immdiatement aprs avoir pris la forme dune communication, et la publication dans les pages dune revue importante cest la consacration autant du contenu de la communication que de son auteur. Il semble que tout le monde en profite.

    Il ny a pas moyen pour un trisectionneur de se forger un chemin vers une revue scientifique du type peer-review journal

    5. tre diteur scientifique dans le monde contemporain

    Le thme sous lequel sest tenue la confrence de lEASE de Tours a t Ce qutre diteur veut dire. Je vais essayer dy rsumer lvnement en faisant appel deux interventions auquelles jai assist: celle du Hollandais Dirk van der Heij et celle du Chinois Hong Xiao.

    Alors que le Hollandais propose une taxonomie opre sur le corpus des diteurs

    scientifiques daprs des critres dont nous allons retenir celui qui oppose le professionnel de ldition lditeur par vocation, le Chinois Xiao, beaucoup plus consistent dans son approche du problme, essaie de rpondre des questions visant

    mettre en vidence le rle de lditeur scientifique. Il a en vue plus que la multitude des activits qui composent le travail dditeur. Il vise dterminer la fonction importante assume par lditeur et son impact sur les autres et mme sur la socit en gnral. Voici les questions auquelles on cherche une rponse:

    - est-ce que lditeur est un ducateur-professeur? - est-ce que lditeur est directeur? - est-ce que lditeur est manager dinformation? - est-ce que lditeur est un individu dou de pense rationnelle? - Est-ce que tre diteur est une occupation? - est-ce que lditeur est un rfrent?

    Certes, la rponse est affirmative chacune de ces questions, dont le rle est videmment

    de crer la possibilit de dtailler, dargumenter en faveur de laffirmation. Donc, oui, lditeur est un ducateur-professeur, car il a la tche (entre autres!) de former les auteurs dans le sens de bien prsenter ce quils ont communiquer; oui, lditeur est aussi directeur, car cest lui qui doit prendre des dcisions concernant le journal (pour ce qui est des membres de lquipe de rdaction et aussi pour ce qui est des auteurs, des rfrents et surtout pour ce qui est du maintien de la politique ditoriale); oui, lditeur est manager dinformation, surtout dans le contexte cr par lapparition du cyberespace lectronique: il recueillit, trie, traite et enrichit linformation, afin que son journal la prsente de faon plus logique, plus cohrente, plus complte et plus utile; oui, lditeur doit faire la preuve dune pense rationnelle exceptionnelle pour pouvoir analyser

    6 LInternet, par exemple. Cest dans un tel contexte que je vois sinscrire la publication de tous les

    manuscrits reus dans le format lectronique dun priodique, alors quon rserve pour le format papier seulement ce que les rfrents ont admis (voir le cas de Lancet, ci-dessus).

  • linformation accumule et dcider avec justesse ce qui mrite tre diffus comme nouveaut scientifique valeur incontestable; oui, en liaison avec ce qui prcde, il faut

    voir dans lditeur un rfrent, peut-tre le rfrent suprme, celui qui dtient le pouvoir de dcider de la direction que la science du domaine quil sert va prendre, car accepter un travail pour la publication quivaut promouvoir lide vhicule par ce travail depuis la hauteur dun forum auquel salignent tous les esprits actifs du domaine7. Certes, tout cela fait que, dans le monde contemporain, tre diteur cest une occupation avec un statut bien clair. Quant au rle social de lditeur scientifique, il devient encore plus net notre esprit si nous allons revoir un article de lacadmicien Tibor Braun, de Budapeste, o les revues de spcialit sont nommes la ligne du front de la recherche en sciences et o le rle de lditeur est compar celui de cerbre aux portes de la Science8. Donc, pas de chance pour les trisectionneurs!

    6. Conclusions

    Au milieu de la communaut des scientifiques, chacun est, tour de rle, crateur et

    consommateur dinformation nouvelle. Mais, comme ce serait une erreur de la considrer homogne, il faut admettre que cette communaut se confronte des problmes issus de

    lintrieur. La plupart de ces problmes tiennent la qualit et la fiabilit des dcouvertes scientifiques et, implicitement, au besoin de rduire les parasites dans la

    circulation des valeurs vritables de la Science.

    Cest l que jai dpist une perptuelle hsitation des individus de cette communaut. Cest lhsitation entre avoir la possibilt de transmettre trs vite les informations et le dsir de ne pas tre forc vrifier fond et en dtail chaque information nouvellement

    reue avant de laccepter comme valable. Un continuel balancement entre la position dauteur-metteur et celle de rcepteur dinformation. Cest ce qui fait que le rle des diteurs scientifiques ait des implications sociales impensables. Cest pourquoi il est trs important de maintenir linterface entre les deux catgories auteurs et rcepteurs trs souple et mobile. Cest pourquoi, enfin, que linformation et le savoir doivent tre consolids par un apport de sagesse

    Dautre part, les revues ayant un collectif rdactionnel srieux et professionnel devraient se retrouver, toutes, sur le mme palier dune hirarchie des valeurs. En prenant lexemple des revues mdicales franaises, je trouve que celles qui font circuler linformation des praticiens information applicabilit immdiate et qui constitue souvent la solution vitale pour des cas difficiles ne sont pas moins (ni plus !) importantes que les revues faisant circuler les dtails les plus abstraits qui articuleront (un

    jour, peut-tre !) le progrs de la mdecine. De plus, le choix de la langue de publication

    devrait tre libre pour lauteur et aussi pour la revue. Je propose, la fin, un exercice de

    7 Essazons de nous reprsenter limage jamais dtriore des fameuses Annalen der Physik de Leipzig si

    les rdacteurs avaient refus de publier, en 1916, la fameuse mais inquitante Die Grundlage der

    algemeinen Relativittstheorie dEinstein ! 8 Tibor Braun & A. Schubert, Gatekeeping, Demography, Ecology, and Accessibility in Science Journals,

    in BIBLOS, Iai, 1995, nr. 2, pp. 26-34.

  • rflexion : pensons toutes ces merveilles, re-trouves dans les pages dobscures publications de jadis (dans la langue dune petite culture, peut-tre), et qui nous parviennent travers la lecture quen aura faite un grand esprit de nos jours !...