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Douleurs, 2006, 7, 3
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L U P O U R V O U S
Antoine Bioy
Le dialogue du corps et de l’esprit
P.-H. Keller, Odile Jacob. ISBN : 2-7381-1776-7, mars 2006.
Pascal-Henri Keller est Professeur de psychologie clini-
que et psychopathologique à l’université de Poitiers,
ainsi que psychanalyste. Le thème de l’ouvrage avait déjà
été abordé par lui aux décours d’un précédent ouvrage
aux éditions Odile Jacob :
La médecine psychosomati-
que en question
(1997). Il s’agissait principalement
d’une revue critique des théories sur les faits psychoso-
matiques. Avec
Le dialogue du corps et de l’esprit
,
l’auteur renoue de façon plus directe avec la clinique, et
nous offre une très réussie réflexion autour de cette
même question, à laquelle il apporte un éclairage inédit,
loin de tout consensus, qui bouscule les idées reçues et
donne matière à penser.
L’auteur débute son ouvrage par un constat simple : dans le
langage courant, et donc dans les représentations qui y sont
liées, corps et esprit se trouvent divisés. Tel sportif dira
qu’il était présent physiquement dans son match, mais que
le mental n’a pas suivi, tel quidam affirmera qu’il est là mais
qu’il a l’esprit ailleurs, tel malade qu’il est fatigué mais qu’il
tient le coup moralement, etc. À partir de quoi, Pascal-Henri
Keller pose cette question simple : faut-il réunir corps et
psyché, ou continuer à les considérer comme deux entités
distinctes ?
Chaque chapitre commence par l’exposé d’un cas clinique,
qui à la fois permet d’éclairer un des aspects du thème
choisi, et qui sert de fil rouge à une réflexion plus théori-
que. L’auteur y revisite les concepts en psychosomatique,
et montrent en quoi elles reviennent toujours peu ou prou
à une pensée dualisante, ou qui peine à trouver un statut
viable pour penser le dialogue entre le corps et l’esprit. Éga-
lement, un long développement expose les tentatives pour
penser l’esprit que mènent les biologistes (Edelman, Dama-
sio, Varela…) et, tout en relevant l’excellence de ces écrits
dans leur champ propre, PH Keller montre que les appro-
ches et les théories proposées finissent toujours par revenir
à une conception biologisante de la pensée, qui exclut mal-
gré elle le psychisme. Autrement dit, ce qui est proposé
n’est pas une grille de lecture du dialogue entre le corps et
l’esprit, mais une entreprise de compréhension d’un champ
à partir d’un autre. La démonstration aboutit à une même
impasse lorsque l’auteur aborde les conceptions classiques
sur la psychosomatique, cette fois issues de la psychanalyse.
Au fil des pages se dessine l’impossibilité croissante à conce-
voir un ensemble corps-psychisme dont le fonctionnement
serait totalement connu et maîtrisé. Aussi, l’auteur propose
de considérer la nature langagière de la question, en reve-
nant à une écoute de la parole des patients permettant de
penser ce qui est en jeu. On reconnaîtra là à la fois une con-
fluence d’idées avec celles d’Édouard Zarifian (
La force de
guérir
,
Le goût de vivre
) et un écho aux travaux de
l’auteur autour des processus analogiques du discours
(voir notamment à ce sujet le numéro spécial du
Bulletin
de psychologie
consacré à l’analogie : tome 57 (5) 473, sep-
tembre-octobre 2004).
Si P.-H. Keller n’aborde pas directement la question de la
douleur, pour autant un spécialiste de ce domaine ne
manque pas de penser à sa propre pratique lorsque
l’ouvrage est parcouru. Comment le patient envisage les
liens entre sa psyché et son corps souffrant, quelle réper-
cussion cela amène-t-il ? Et surtout quelle écoute et prise
en charge pertinente peut-on en avoir ? C’est à ces
réflexions que l’ouvrage nous amène avec une clarté de
propos tout à fait louable, au regard de la complexité du
thème traité.
Le dialogue du corps et de l’esprit
stimule cer-
tes la réflexion, mais aussi l’écoute clinique des patients
que nous rencontrons. Et la connaissance des processus
en jeu qu’apporte l’auteur offre un guide précieux pour
penser notre propre regard sur la question, et sur les
solutions que nous y apportons. Ainsi, si un patient dou-
loureux chronique dit qu’il devient de plus en plus
déprimé et qu’il lui est prescrit un anti-dépresseur, on lui
suggère qu’une action physiologique (relevant du corps)
aura une action sur son mental. Autrement dit, on se
situe dans une perspective moniste. Mais si, de son côté,
le patient se situe beaucoup plus dans une compréhension
dualiste des choses, séparant nettement ce qui relève du corps
et ce qui relève de l’esprit, l’anti-dépresseur sera-t-il réellement
pris par ce patient ? N’y a-t-il pas ici toutes les chances que
le patient ait l’impression de ne pas avoir été entendu ou
Unité Douleur et Soins Palliatifs, CHU Bicêtre.
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compris et que la compliance thérapeutique s’en trouve
compromise ?
Un exemple parmi d’autres de questions qu’amène la lecture
de ce livre, et sur lesquelles l’auteur apporte un éclairage
d’une extrême pertinence.
�
Correspondance : A. BIOY,Unité Douleur et Soins Palliatifs,
CHU, 78, rue du Général Leclerc,94275 Kremlin-Bicêtre Cedex.
e-mail : [email protected]
À lire
La douleur chronique :une face cachée de la résiliance
JEAN-PIERRE BENEZECH
Sauramps médicale,2005, 146 pages,ISBN 2-84023-430-0
La douleur chronique est reconnue commedevant être abordée de façon médicopsycho-sociale. Pourtant, le cloisonnement entre « dou-leur somatique » et « douleur psychique » vientencore perturber la prise en charge quoti-dienne des malades.À partir de la littérature internationale pu-bliée au cours de ces trente dernières années,ce livre propose une approche globale, clini-que, prenant en compte le vécu du maladeet l’aidant à se le réapproprier. Il proposeune définition originale de la douleur chro-nique, dans laquelle médecins et maladespeuvent trouver des clés pour intervenir surles cercles vicieux qui la constituent.Et si la résilience était une solution à mettreen oeuvre par la personne douloureuse chro-nique ?
Éditions Sauramps médical, 11, boulevard Henri IV,34000 Montpellier.Tél. : 04 67 63 68 80.Fax : 04 67 52 59 05.