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Le déisme critique dans un roman "inconnu" de Tyssot de Pato t Aubrey Rosenber g Inutile de rappeler à un groupe de spécialistes de la littérature de s XVIIe et XVIII e siècles que les ouvrages obscurs d'auteurs de troisièm e ordre sont souvent plus révélateurs et caractéristiques de leur milieu et d e leur moment que les productions d'écrivains célébrés par leurs contempo- rains et par la postérité . Bref, les grands génies devancent leur époque , les petits écrivassiers la reflètent . Je n'ai donc pas besoin de m'excuse r de vous entretenir, aujourd'hui, d'un roman qui est tellement obscur qu e personne dans cette salle (je peux presque le garantir) n'en a jamais en - tendu parler, à moins d'avoir lu les trois pages que j'y ai consacrées e n anglais, il y a sept ans, dans Romance Notes.1 ) Il s'agit d'un roman anonyme, Les Amours et les avantures d'Arca n et de Bélize, histoire véritable, traduite du latin en françois par le Cheva- lier de P . (c'est-à-dire Tyssot de Patot), publié à Leyde en 1714 . 2 Dan s une lettre écrite à son fils à Ceylan en 1720, 3 Tyssot dit qu'il lui a envoy é un ouvrage intitulé "Arcan et Bélize ." Il n'indique pas le genre de ce t ouvrage et ne s'y réfère jamais dans ses autres lettres ni dans ses autre s écrits . Heureusement, j'en ai trouvé, dans un catalogue du Journal de s sçavans de 1714, le titre complet que je viens de citer . Ayant identi- fié l'ouvrage et son auteur, je croyais qu'il serait facile d'en obtenir u n exemplaire mais les bibliographies nationales, tout comme les catalogue s de bibliothèques, semblaient ignorer son existence . Par bonheur, en feuil- letant le British Museum Catalogue of Printed Books, j'en ai retrouvé l e titre sous le nom d'Arcan . Par malheur, dans cette bibliothèque le livr e 1 "Tyssot de Patot's `Lost' Novel : Les Amours et Avantures d'Arcan et d e Bélize," Romance Notes, Spring 1981, 349-351 . 2 Pour une description bibliographique du roman, voir l'article cité ci-dessus . 3 Lettres choisies, vol . II, p . 352 .

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Le déisme critique dans un roman"inconnu" de Tyssot de Pato t

Aubrey Rosenberg

Inutile de rappeler à un groupe de spécialistes de la littérature de sXVIIe et XVIIIe siècles que les ouvrages obscurs d'auteurs de troisièm eordre sont souvent plus révélateurs et caractéristiques de leur milieu et d eleur moment que les productions d'écrivains célébrés par leurs contempo-rains et par la postérité . Bref, les grands génies devancent leur époque ,les petits écrivassiers la reflètent . Je n'ai donc pas besoin de m'excuserde vous entretenir, aujourd'hui, d'un roman qui est tellement obscur qu epersonne dans cette salle (je peux presque le garantir) n'en a jamais en -tendu parler, à moins d'avoir lu les trois pages que j'y ai consacrées e nanglais, il y a sept ans, dans Romance Notes.1 )

Il s'agit d'un roman anonyme, Les Amours et les avantures d'Arcanet de Bélize, histoire véritable, traduite du latin en françois par le Cheva-lier de P. (c'est-à-dire Tyssot de Patot), publié à Leyde en 1714 . 2 Dan sune lettre écrite à son fils à Ceylan en 1720, 3 Tyssot dit qu'il lui a envoyéun ouvrage intitulé "Arcan et Bélize ." Il n'indique pas le genre de cetouvrage et ne s'y réfère jamais dans ses autres lettres ni dans ses autre sécrits . Heureusement, j'en ai trouvé, dans un catalogue du Journal de ssçavans de 1714, le titre complet que je viens de citer . Ayant identi-fié l'ouvrage et son auteur, je croyais qu'il serait facile d'en obtenir u nexemplaire mais les bibliographies nationales, tout comme les cataloguesde bibliothèques, semblaient ignorer son existence . Par bonheur, en feuil-letant le British Museum Catalogue of Printed Books, j'en ai retrouvé l etitre sous le nom d'Arcan . Par malheur, dans cette bibliothèque le livr e

1 "Tyssot de Patot's `Lost' Novel : Les Amours et Avantures d'Arcan et deBélize," Romance Notes, Spring 1981, 349-351 .

2 Pour une description bibliographique du roman, voir l'article cité ci-dessus .3 Lettres choisies, vol . II, p . 352 .

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était introuvable . Finalement, je me suis adressé au "courrier des cher-cheurs" dans les Nouvelles du livre ancien,' et la bibliothécaire de la Folge r

Shakespeare Library, de Washington, 5 m'a fait savoir que sa bibliothèqu e

en possédait un exemplaire . Voilà l'histoire véritable de ma poursuit e

d'Arcan et Bélize .Comme beaucoup de romans parus à la fin du XVII e siècle et a u

début du XVIII e , l'ouvrage est difficile à classer . Il contient un mélanged'éléments caractéristiques des romans historiques, sentimentaux, cheva-leresques, héroïques, baroques et réalistes, avec une variété de digression squi ne contribuent en rien au développement de l'intrigue . Les événe-

ments se déroulent en Sicile au IV e siècle avant J .-C . pendant les guerre s

entre Carthage et la Sicile, et sous les règnes de Denys l'Ancien, Deny sle Jeune, et son oncle Dion, le protecteur de Platon . Afin de vous montre rpourquoi je le considère comme un roman inférieur qui mérite son obs-curité, je vais en résumer rapidement l'intrigue principale . Si cela vou sennuie, ce n'est pas de ma faute . D'ailleurs, vous devriez me remercie rde vous avoir épargné la peine de lire le roman entier.

Arcan, citoyen éminent de Syracuse, aime Bélize à la folie, mais ell ele traite avec froideur . Pour se rendre plus digne de son amour, Arcanse résout à assassiner le tyran Denys qui est détesté par les Syracusains .Le plan échoue et Arcan est emprisonné et torturé . Un jour, il réussit às'évader . Entre-temps, Bélize a donné son coeur à Pisistrate, partisan d e

Denys . Au désespoir, Arcan disparaît . Quelques années plus tard, Deny sle Jeune, que Tyssot semble confondre avec l'Ancien, est déposé par Dion .Pisistrate est exilé et, accompagné de Bélize, se rend en Afrique où il es ttué dans une bataille . Bélize quitte l'Afrique à la recherche d'Arcan . Ellese déguise en cavalier et prend le nom de Lucidon . Toutes les femme stombent amoureuses de ce jeune et beau cavalier (ou cavalière), de sort equ'il (ou elle) est accusé d'être responsable de la grossesse d'un

e domestique. Son innocence rétablie, Lucidon, pour éviter une liaison dangereus eavec une femme mariée qui le (ou la ) poursuit de ses assiduités, se décid eà quitter la ville . En traversant une forêt, il (ou elle) rencontre un ermite ,nommé Philo, qui lui dit qu'un autre ermite, Arcan, mène, tout près, un evie austère et solitaire . Juste au moment de retrouver Arcan, qui est su rle point de mourir, Lucidon est arrêté par des soldats, accusé d'avoir tu éun jeune homme, et exilé de la région . Las de la vie militaire, et croyan tqu'Arcan est mort, Lucidon décide de reprendre sa vraie identité . Re-

4 Institut d'étude du livre, 26 rue Geoffroy l'Asnier, 75004 Paris .

5 Mme Nati H . Krivatsy .

devenue Bélize, elle se retire à la campagne afin de finir ses jours dan sune atmosphère de paix et de solitude . Entre-temps, des pirates enlèven tArcan et Philo et les vendent au gouverneur de Carthage qui donne à Philoun important poste administratif . Par malheur, Philo offense les prêtre set il est obligé de s'enfuir . Accompagné d'Arcan, il rentre en Sicile où ,dans un château près de Syracuse, les deux hommes rencontrent Bélize e tsa compagne, Apamie . A leur grande surprise, ils apprennent que Béliz eest la soeur de Philo et qu'Apamie est la soeur d'Arcan . Les deux coupless'épousent et Bélize donne naissance à deux enfants qui sont surveillé spar une certaine Zélinde . A la mort inattendue de Bélize, Arcan se mari eavec Zélinde qui meurt à son tour . Triste et solitaire, Arcan est consol épar la présence de ses enfants .

Vous voyez que ce n'est pas un chef-d'oeuvre d'invention ; le style ,je vous assure, n'en est guère meilleur . En effet, on n'y trouve, dan sl'ensemble, qu'une série de banalités et de clichés tels qu'on en lit dan sle roman traditionnel . Est-ce que cela veut dire qu'il n'y a rien d'originaldans le livre? Pas tout à fait car, quelquefois, même les auteurs inférieur sont quelque chose de nouveau à apporter .

Tout d'abord, le début du titre, Les Amours et les avantures . . . ,est original . De 1600 à 1714, à peu près 90 romans portent le titre, LesAmours de . . . , et 25 le titre, Les Avantures de . . . . 6 Le roman de Tysso test le seul qui combine les amours avec les aventures, du moins dans l etitre . Du point de vue de l'originalité ce n'est pas génial, je l'avoue . Enoutre, on y trouve le thème du déisme critique, c'est-à-dire l'appel à l araison, la critique de la superstition et du clergé, une enquête sur l'origin edu monde et la nature de Dieu, et ainsi de suite . Ces aspects du déismemanquent, évidemment, d'originalité ; on les a déjà rencontrés, par exem-ple, dans les utopies et voyages imaginaires de Foigny et de Veiras, dan s

6 Cette statistique très discutable est basée sur les recherches de R .W. Baldner,Bibliography of Seventeenth-Century Prose Fiction, New York, Columbia U .P . ,1967 ; P .M. Conlon, Prélude au siècle des lumières en France 1680-1715, Genève ,Droz, 1970-1975, 6 vol . ; H . Coulet, Le Roman jusqu'à la Révolution, Paris, Ar-mand Colin, 1967 ; Y . Giraud, Bibliographie du roman épistolaire en France desorigines à 1842, Fribourg, Editions Universitaires, 1977; S .P . Jones, A List ofFrench Prose Fiction from 1700-1750, New York, Wilson, 1939 ; M. Lever, LaFiction narrative en prose au XV11e siècle. Répertoire bibliographique du genreromanesque en France (1600-1700), Paris, C .R .N .S., 1976 ; F.P . Rolfe, "On th ebibliography of seventeenth-century prose fiction," PMLA, 49(1934), 1071—1086 ;R .C. Williams, A Bibliography of the Seventeenth-Century Novel in France, Ne wYork, Century, 1931 .

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les Pensées diverses de Bayle, et dans les écrits de jeunesse de Fontenelle .Ce qui est nouveau ici, c'est de trouver de telles idées dans un cadre s i

inattendu . C'est la première fois, autant que je sache, qu'un auteur insinu eses propositions hétérodoxes dans un roman conventionnel . Mais quandon se rappelle que Tyssot est l'auteur des Voyages et avantures de Jaques

Massé, roman de 17147 qui contient une attaque des plus violentes sur l areligion chrétienne, peut-être n'est-il pas tout à fait surprenant de décou-vrir, insérés dans cette prétendue histoire d'amour, quelques indices d eces préoccupations déistes qui touchent, dans Jaques Massé, à l'athéisme .

Tyssot de Patot (1655-1738), né en Angleterre et élevé en France ,était un de ces nombreux réfugiés huguenots qui s'installèrent aux Pays-

Bas . A l'Ecole Illustre de Deventer, capitale de la province d'Overijssel ,il poursuivit la carrière de professeur de mathématiques . 8 Tout en rejetan tles arguments métaphysiques de Descartes, il restait pourtant cartésien, e tcela dans un pays où les disciples de Descartes étaient souvent considéré scomme des athées . 9 Dans une des digressions d'Aman et de Bélize, qu itraite d'une femme qui accouche d'un singe, 10 Tyssot soulève la thès ecartésienne que les animaux n'ont pas d'âme . Plusieurs voulaient éle-ver le singe comme un être humain : "alégant[sic] pour raison qu'il faloitavoir moins d'égard à la matiére qu'à la forme, & que ne pouvant pas bie ndouter qu'il n'eut une âme raisonnable, & telle qu'avoient ceux dont i lavoit été engendré, les organes seuls lui manquant pour faire ses fonction sordinaires, ce seroit un crime du premier ordre de le priver de la vie "

(p . 148) .Dans une autre digression, la découverte d'un enfant sauvage suscit e

une discussion entre Arcan et Philo sur l'origine des langues, la genès edu monde, l'authenticité de la Bible et la nature de Dieu . Arcan entamela discussion en se demandant qui a appris aux premiers hommes à parler .Philo répond que :

7 Quoique la date de 1710 figure sur le titre de Jaques Massé, il est certain

que le roman fut publié entre 1714 et 1717, probablement après Arcan et Bélize .

Voir mon article, "The Voyages et avantures de Jaques Massé and the problem o f

the first edition," Australian Journal of French Studies, 7 (1970), 271-288 .

8 Pour une biographie détaillée voir mon Tyssot de Patot and his Work, The

Hague, Nijhoff, 1972 .

9 Voir C .L. Thijssen Schoute, Nederlands Cartesianisme, Amsterdam, N .V.

Noord-Hollandsche Uitgevers, 1954 .

10 De tels événements bizarres étaient rapportés assez souvent dans le Journa l

des sçavans et les Transactions of the Royal Society .

[ . . .] nous n'avons aucune connoissance certaine de l'étatdu genre-humain au commencement du monde, si tant es tque le monde ait eu un commencement, car c'est une ques-tion entre les plus habiles Philosophes : je sai bien que cel aparoit surprenant, mais il ne l'est pas plus que de concevoi run Etre souverainement parfait de toute éternité . Il y en aqui s'imaginent que nôtre espéce a commencé par un seu lindividu : d'autres croyent qu'il en a paru un grand nombr eà la fois . On doute s'il s'est fait une création immédiate,ou si c'est l'ouvrage des causes secondes . Enfin, car cettematiére est vaste, ce n'est pas ici le lieu de nous entretenir àfond, bien des gens voudroient savoir au vrai, supposé qu'i ly ait eu un premier homme, s'il a parlé au moment qu'il areceu la vie, ou si le langage dont il se sert pour exprimer se spensées, est un éfet de son industrie . Laissant donc tous cesmistéres à part, je crois que nous pouvons dire avec beau -coup de vraisemblance, que naturellement tous les homme sont les organes propres et nécessaires pour parler, mais u nseul, & moins encore un seul ignorant, n'est pas toujour scapable d'inventer une Langue : il faut être plusieurs pourcela (pp . 180-181).

Dans Jaques Massé et dans ses Lettres choisies, Tyssot ridiculise, d'unefaçon beaucoup moins subtile, l'histoire d'Adam et de la création d umonde .

La dette de Tyssot A Fontenelle est évidente dans l'histoire d'u noracle, histoire qui se termine avec une dénonciation de la fourberie d usouverain pontife et de ses prédécesseurs : "[qui] avoient creusé plusieurspassages soûterrains propres à jouer leur personnage, & entre autres un ,par où l'on alloit de leur maison jusqu'au gros pilier du temple, qui étoi tcreux, & où ils entroient pour répondre à ceux, qui venoient pour consulterla divinité . En un mot on vouloit que tout ce qu'ils en faisoient n'étoi tque pour amasser de grands tresors, vivre magnifiquement, & acquérir deplus en plus du crédit et de l'autorité [ . . .] (pp . 304-305) .

L'attaque contre le clergé et la superstition n'est pas reléguée à un edigression mais est nettement liée à l'intrigue principale . Nommé homm ed'affaires du gouverneur de Carthage, Philo, disciple du philosophe pytha-goricien Philolaos, décide de profiter de la crédulité et de l ' ignorance desCarthaginois : "[ . . .] il s'ingéra de faire des Horoscopes, d'expliquer dessonges, et de prédire l'avenir," mais toujours avec tant de précaution et

11 "Les horoscopes, la cartomancie, etc. jouent fréquemment un rôle dans le

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de retenue, qu'à peine son dessein pouvoit il manquer de lui réussir . Unjour [ . . .] il assura que l'on étoit sur le point de sentir un tremblement d eterre prodigieux . Cette prédiction fut véritable [ . . .] ce qui augmenta con-sidérablement son crédit, & fit que plusieurs le considéroient comme u nprophète" (pp . 133-134) . Quand la femme du gouverneur accouche ave cjoie de son premier fils, les prêtres ordonnent, "selon la coutume établi eparmi eux de temps immémorial," que le nouveau-né soit immolé pourapaiser les Dieux qui semblaient fort en colère contre les habitants . 12 LeGouverneur n'ose pas s'opposer aux prêtres, mais Philo, qui veut sauve rla vie à l'enfant, fait publier partout dans la ville que Jupiter lui est appa-ru dans une vision afin d'interdire le sacrifice qu'il regarde avec horreur .Comme signe de la colère de Jupiter et comme garant de l'authenticité d esa vision, Philo, qui a déjà calculé l'approche d'une éclipse, annonce que ,dans trois jours, le soleil sera obscurci . Il dit au peuple : "Vos prêtres s eriront sans doute de ses menaces ; leur intérêt particulier les engage à cela .S'ils n'étoient pas si bien payez de leurs peines, par les présens que vousleur faites, les honneurs que vous leur rendez, & les riches dépouilles d eces innocentes victimes, que vous leur envoyez chargées de bijoux, pou rles massacrer, ils ne seroient pas si empressez à dépeupler vos familles .Secouez le joug de leur tiranie, vous atirerez la bénédiction du Ciel su rvous [ . . .]" (pp . 139-140) . A l'arrivée de l'éclipse, les prêtres sont chassé sde la ville mais ils réussissent à s'y rétablir, peu après, en persuadant le shabitants, à l'occasion d'un orage qui détruit un des plus beaux quartier sde la ville, que les dieux se fâchent contre eux et que, pour les apaiser ,il faut leur sacrifier Philo, l'étranger . Tyssot fait le commentaire suivant :"Le peuple bigot & superstitieux ajoute aisément foi aux décisions de sdirecteurs de sa conscience, sur tout lors qu'il se croit en quelque dange r

[...]" (p. 158) .

roman du XVIIe siècle . L'attitude de Tyssot envers ces tentatives de prédir el'avenir dérivait peut-être de son ami Balthasar Bekker qui avait parlé avec mépri sdes sciences magiques telles que "[la] nécromancie, la piromancie, l'aéromancie ,

I'hydromancie, la chiromancie, la géomancie, [ . . .] la podomancie, c'est-à-dir edivination qui se fait par le moyen du pied (quoi que je ne trouve pas ce no mchez les Anciens) ." Le Monde enchanté, Amsterdam, 1694, vol . I, p . 40, vol . III ,

p . 451 .12 Des recherches archéologiques récentes semblent confirmer que le sacrific e

rituel des enfants était une pratique assez répandue à Carthage . Voir Lawrenc e

E. Stager, "The Rite of Child Sacrifice at Carthage," in New Light on Ancien t

Carthage, ed . John Griffiths Pedley, Ann Arbor, University of Michigan Press ,

1980, pp . 1-11 .

Ce thème du déisme critique ne constituant qu'une très petite parti edu roman, je ne voudrais pas en exagérer l'importance, car l'intentio nprincipale de l'auteur était bien de divertir ses lecteurs . Tyssot, qui vivai tdans une société rurale de petite noblesse, loin des centres artistiques e tintellectuels tels qu'Amsterdam, Leyde, La Haye et Rotterdam, jouait l erôle d'un Voiture et d'un Fontenelle dans les salons des dames hollandai-ses, ces précieuses provinciales qui voulaient perpétuer l'esprit et la faço nde vivre de Mme de Rambouillet et de son cercle .

Dans la préface de son roman, dédié à Mademoiselle la Baronn eD., Tyssot, de son ton badin habituel, se plaint de son manque de talent sd'écrivain . I1 désire remplir le château de la baronne "d'historiettes, d econtes plaisans, de chansons, de balades, de comédies, de farces, & d etoutes les piéces, qui pourroient le plus contribuer à votre divertissement .Mais hélas! [ . . .] mon étoile qui veut que je sois Mathématicien, préten daussi que je n'aye mon imagination remplie que de figures & de démons-trations ." Cette modestie de Tyssot, bien justifiée mais fausse, puisqu'i lse piquait de ses dons littéraires, ce désir de plaire plutôt que d'instruire ,ne l'empêchait pas d'introduire, assez subtilement, dans son roman, quel-ques-unes de ses idées hérétiques qui, plus tard, entraîneraient sa ruine .Grâce à cet orgueil artistique, Tyssot n'aurait pas été surpris qu'on lis eson roman au XX e siècle, mais il aurait été étonné d'apprendre que l'o nne le lirait ni pour son esprit ni pour son style mais seulement pour s aphilosophie déiste .

University of Toronto