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Transfusion Clinique et Biologique 13 (2006) 211–214

Article original

Le don du sang s’affiche

Blood transfusion and adverstising

P. Mathez, S. Chapuis*

Musée international de la Croix-Rouge, Genève, Suisse

Disponible sur internet le 11 septembre 2006

Résumé

Le musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge possède depuis 1995 une collection de 12 000 affiches provenant de laFédération internationale des sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Ces affiches sont consacrées à la prévention desmaladies et à la promotion de la santé. Le don du sang est omniprésent dans ce fonds. Alors que l’interprétation de cet ensemble est en cours,cet article évoque quelques-unes des thématiques qui en ressortent en s’appuyant sur la présentation d’une dizaine d’affiches.© 2006 Publié par Elsevier Masson SAS.

Abstract

The Red-Cross and Red-Crescent International Museum has been owning from 1995 a collection (series) of 12.000 posters coming from theInternational Federation of the Red-Cross and Red-Crescent National Societies. These posters are dedicated to the prevention of diseases andhealth promotion. Blood donation is featured everywhere in this package. While the interpretation of the whole set is underway, this articlepresents some of these topics based on the display of some ten posters.© 2006 Publié par Elsevier Masson SAS.

Mots clés : Don du sang ; Promotion du don ; Croix-Rouge et Croissant-Rouge

Keywords: Blood donation; Promotion of blood donation; Red-Cross and Red-Crescent

Le musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge possède une collection de 12 000 affiches, dont 7 000ont déjà été inventoriées1 sur base de données, photographiéeset conditionnées de manière à ce que leur avenir soit assuré.Une part importante de cette collection provient de la Fédéra-tion internationale des sociétés nationales de la Croix-Rouge etdu Croissant-Rouge –– qu’on appelait la Ligue il y a quelquesannées encore. Cette collection a été déposée au musée en1995. Ces affiches sont consacrées pour l’essentiel à la préven-tion des maladies et à la promotion de la santé. Elles provien-nent d’Europe, d’Australie, d’Amérique du Nord, bienentendu, mais aussi de nombreux pays du Sud, d’Afrique,d’Asie et d’Amérique latine. Elles couvrent près d’un siècle

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : chapuis@micr.org (S. Chapuis).

1 État en date du 27 mai 2003.

1246-7820/$ - see front matter © 2006 Publié par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.tracli.2006.07.004

d’histoire de la santé et de la communication. La promotiondu sang est omniprésente dans ce fonds : sur 7 000 affichesinventoriées, près de 1500 sont consacrées à cette thématique.

L’interprétation de cet immense ensemble reste à faire, dansune perspective d’anthropologie visuelle et d’anthropologie dela santé. Ce sera notre projet durant ces prochaines années.Néanmoins, on peut déjà formuler un certain nombre de remar-ques sur l’imaginaire du don du sang, tel qu’il apparaît dans lesaffiches de la Croix-Rouge. Toutes les cultures attribuent unpouvoir métaphorique au sang, pas seulement à travers unepratique sacrificielle où le sang est consommé, mais aussi àtravers la reconnaissance des vertus symboliques du sang.

Le sang définit la société et l’homme, c’est un fondementculturel auquel les sociétés se réfèrent en permanence pours’organiser, pour définir des règles, pour établir des hiérarchies,et comme il apparaît dans la Fig. 1, la Croix-Rouge ne fait pasexception dans son rapport au sang. C’est ce dont témoigne la

Fig. 1. Carte postale éditée par la Société de secours aux blessés militaires.Illustration de Pierre Comba. France. 1914–1918. Musée international de laCroix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève.

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mythologie qui est présente sur cette carte postale qui a étépubliée pendant la Première Guerre mondiale par la Sociétéde secours aux blessés militaires en France. Vous pouvez yvoir une infirmière au chevet d’un blessé, traçant du doigtune croix rouge avec le sang de ce dernier, donnant naissanceainsi au brassard de la Croix-Rouge.

Sur la Fig. 2 on remarque, sur le plan anthropologique, quele sang constitue un lien affectif entre la victime et son sauve-teur. Le sang c’est, en quelque sorte, le fondement du liensocial : « Il a donné sa vie pour toi, ne donnerais-tu pas un

Fig. 2. [Il a donné sa vie pour toi… : n’as-tu pas donné un peu de sang pour tonfrère ?]. Affiche de la Croix-Rouge espagnole. 1963. Musée international de laCroix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève.

peu de sang pour ton frère ? » L’affiche a été publiée enEspagne dans les années 1950, puis a été reprise par la Sociéténationale de Croix-Rouge du Costa Rica dans les années 1980.Ce lien social transparaît sans équivoque dans cette mythologiechrétienne d’Amérique latine où le sacrifice du Christ rendpossible l’alliance des chrétiens. Le don du sang tel qu’il estprésenté sur cette affiche consolide l’appartenance à la commu-nauté en la dotant d’une dimension symbolique de l’ordre dusacré. Cette dimension, souvent implicite dans les affiches descollections du musée, est ici explicite.

Les vertus symboliques du sang s’étendent aussi au pouvoirmétaphorique qu’il a de prolonger la vie. C’est le sens del’affiche de 1991 « Devinez ce que nous voulons ! » de laCroix-Rouge britannique représentée en Fig. 3. Si perdre sonsang conduit à la mort, consommer du sang guérit et ramène àla vie. C’est le message dont nombre d’affiches sont porteuses.L’affiche en Fig. 4 de la Croix-Rouge suisse est très explicite àce propos : le sang = la vie. Les publicitaires vont plus loin etassocient même la figure du vampire pour souligner cette rela-tion entre besoin de sang et besoins vitaux, comme entémoigne l’affiche britannique susmentionnée.

Autre aspect de l’imaginaire social, le sang et la nationalité.Dans beaucoup de pays la nationalité s’acquiert par le droit dusang. Le sang représente donc une valeur identitaire essentielle.À l’inverse, le don du sang se présente comme un acte géné-reux, dépourvu de toute discrimination sociale, ethnique ounationale. C’est un peu l’esprit de l’affiche hongroise, enFig. 5 : le don du sang dépasse toutes les frontières. Pourtant,

Fig. 3. [Devinez ce que nous voulons]. Affiche de la Croix-Rougebritannique.1991. Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève.

Fig. 4. Sang = vie. Affiche de la Croix-Rouge suisse. 1960–1970. Muséeinternational de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève.

Fig. 5. [Les donneurs de sang s’associent]. Affiche de la Croix-Rougehongroise. 1986. Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge,Genève.

Fig. 6. Ton sang sauvera. 1960-1980. Musée international de la Croix-Rouge etdu Croissant-Rouge, Genève.

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les affiches qui se prévalent de cette universalité sont très rares,comme si le tabou de la « différence » du sang était plus fortque la grandeur du don du sang. En Fig. 6, c’est l’exceptionqui confirme la règle : on y voit représenté le don du sang entredeux personnes d’appartenance ethnique et culturelle diffé-rente. Est-ce la raison pour laquelle de nombreuses affichesmettent en exergue un donneur anonyme ?

Autre élément à considérer, le don gratuit n’existe pas. Unegoutte de sang vaut plus que de l’or comme le souligne uneaffiche tunisienne en Fig. 7. Tout don s’inscrit dans un système

Fig. 7. [Une goutte de sang vaut plus que de l’or]. Affiche du Croissant-Rougetunisien. 1960–1980. Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève.

Fig. 8. The blood you give today may save your life tomorrow. Affiche de laCroix-Rouge éthiopienne. 1970–1980. Musée international de la Croix-Rougeet du Croissant-Rouge, Genève.

Fig. 9. [Donnez du sang pour sauver les vies de vos camarades soldats]. Affichede la Croix-Rouge thaïlandaise. 1970–1980. Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Genève.

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d’échange symbolique, ce qui fait du donneur une personne quiattend un contre-don, comme la reconnaissance oul’acceptation sociale. Le donner, le recevoir et le rendre dansune société contribuent à son bon fonctionnement et les affi-ches en faveur du don du sang insistent souvent sur ce point.Le don du sang devient un devoir civique. Ne pas donner, c’estêtre exclu de ce circuit d’échange. L’affiche éthiopienne, enFig. 8, participe de cette logique : « Le sang que tu donnesaujourd’hui, demain il pourra sauver ta vie ». Autrement dit,si tu n’as pas donné ton sang aujourd’hui, demain ta vie ne serapas épargnée…

Les affiches du don du sang se sont parfois inspirées de lapropagande politique, comme le montre une affiche thaïlan-daise en Fig. 9 : « Donnez du sang pour sauver la vie de voscamarades soldats ». C’est un ordre. Ne pas y obéir devient unetrahison patriotique. Le don du sang est ainsi ramené à une

pratique sociale normative, elle-même assise symbolique dupouvoir –– qu’il soit militaire ou politique.

Biographies :

● Philippe Mathez est le commissaire de l’exposition « Sangdessus dessous » présentée au musée international de laCroix-Rouge et du Croissant-Rouge (Genève), puis aumusée de la Civilisation (Québec). Conservateur du muséeinternational de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de1996 à 2003, il est aujourd’hui conservateur au muséed’ethnographie de Genève ;

● Sophie Chapuis a participé à la conception de l’exposition« Sang dessus dessous » présentée au musée internationalde la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (Genève), puisau musée de la Civilisation (Québec). Elle est assistantescientifique au musée international de la Croix-Rougedepuis 2000.