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LE DROIT AU JUGE DANS LES MILIEUX RURAUX DU SUD-KIVU Par Justin MASTAKI NAMEGABE Assistant à la Faculté de Droit de l’Université Catholique de Bukavu.

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LE DROIT AU JUGE DANS LES

MILIEUX RURAUX DU SUD-KIVU

Par

Justin MASTAKI NAMEGABE

Assistant à la Faculté de Droit

de l’Université Catholique de Bukavu.

SIGLES ET ABREVIATIONS UTILISES

1. CSJ : Cour Suprême de Justice

2. CSM : Conseil Supérieur de la Magistrature

3. Ed. : Edition

4. Et alii : Et consorts

5. Ibidem : Même ouvrage, même page

6. Idem : Même ouvrage, page différente

7. ONG : Organisations Non Gouvernementales

8. P. : page

9. RDC : République Démocratique du Congo

10. U. C. B. : Université Catholique de Bukavu

INTRODUCTION

Tous les Etats modernes considèrent le droit au juge comme un droit fondamental. Ce droit

apparaît ainsi comme un élément essentiel dans la construction de l’Etat de droit. La

République Démocratique du Congo n’est pas en reste. Aussi a-t-elle consacré le droit au juge

dans la Constitution du 18 février 2006 en ces termes : « Toute personne a droit à ce que sa

cause soit entendue dans un délai raisonnable par le juge compétent ». 1

Manifestant sa volonté à renforcer le droit au juge sur le plan normatif, l’Etat congolais a

ratifié un certain nombre de textes internationaux en matière de droits de l’homme, lesquels

consacrent ledit droit2.

C’est dans le but de rendre effectif le droit au juge que la législation congolaise prévoit

l’installation des tribunaux de paix dans tous les territoires et les communes du pays3.

Les tribunaux de paix sont destinés à remplacer les tribunaux coutumiers4 qui constituent

l’essentiel des juridictions implantées dans les milieux ruraux du Sud-Kivu.

A l’exception des territoires d’Uvira, de Mwenga et de Kalehe, les tribunaux de paix institués

par la loi n’ont pas, jusqu’à ce jour, été installés dans les milieux ruraux du Sud-Kivu. Notons

que ces milieux sont répartis en huit territoires, à savoir : Kalehe, Idjwi, Kabare, Walungu,

Shabunda, Mwenga, Fizi et Uvira. Par ailleurs, tous les territoires (milieux ruraux) du Sud-

Kivu ne comptent qu’un seul tribunal de grande instance qui comporte trois sièges

secondaires. Le tribunal principal est basé à Uvira tandis que les trois sièges secondaires sont

établis à Kavumu, à Shabunda et à Kamituga. Au regard de l’immensité de la population

rurale5, le nombre de juridictions de droit écrit implantées dans les milieux ruraux de la

1 Constitution du 18 février 2006, article 19.2 Il s’agit des textes ci-après : Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948,

article 10 ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, article

14 et Charte africaine des droits de l’homme et des peuples d’octobre 1986, article 7.3 Ordonnance-loi n°82-020 du 31 mars 1982 portant Code d’organisation et compétence judiciaires,

article 22 alinéa 1er.4 Idem, article 163.5 D’après le projet « Innovation, sécurité et amélioration des conditions de vie des populations

rurales au Sud-Kivu » exécuté par l’Université Catholique de Bukavu, la population rurale du Sud-

Kivu est estimée à 70% de l’ensemble des habitants de la province. En revanche, pour la Division

Provinciale de l’Intérieur au Sud-Kivu, la population rurale atteint 87,5% de l’ensemble des

Province du Sud-Kivu reste très insuffisant. Il en résulte que le problème d’accès à la justice

se pose avec acuité.

L’insuffisance des tribunaux de droit écrit amène les justiciables à effectuer de longues

distances pour atteindre le juge compétent. S’ajoute à cette difficulté celle relative au

délabrement des infrastructures routières. Il en découle que la justice de droit écrit est, sans

conteste, une justice difficilement accessible par les populations rurales du Sud-Kivu.

Face aux difficultés sus évoquées, les tribunaux de droit coutumier voient leur utilité accrue,

car constituant la voie la plus facile pour accéder à la justice. Les juges coutumiers ne sont

cependant pas exempts de critiques.

Souvent, ils agissent à l’encontre de la législation écrite et des textes internationaux ratifiés

par la République Démocratique du Congo. Il s’ensuit que plusieurs règles de procédure et de

fond ainsi que les droits subjectifs sont violés.

La mise en œuvre du droit au juge dans les milieux ruraux du Sud-Kivu est encore mise à mal

par l’absence de corrélation entre les frais de justice et les revenus des populations. Celles-ci

sont pour la plupart très pauvres. N’étant pas à mesure de payer les frais de procédure, les

populations rurales préfèrent soumettre leurs litiges soit aux juges coutumiers, soit aux juges

privés (arbitres, chefs traditionnels, responsables d’église,…). Voici la liste des frais devant

être payés par un justiciable pendant une procédure judiciaire :

- Frais de consignation : 10$ US ;

- Frais d’instrumentalisation : 10$ US ;

- Frais d’enrôlement : 5$ US ;

- Frais de signification du jugement : 10$ US ;

- Frais de rédaction du jugement : 50$ US ;

- Frais de rédaction des feuilles d’audience : 10$ US ;

- Droits proportionnels : 15% du montant alloué au titre des dommages-intérêts.

Notons qu’à l’exception des frais de consignation, d’instrumentalisation et des droits

proportionnels, les greffiers varient les frais selon que le justiciable est riche ou non.

L’ensemble des frais qui doivent être acquittés par le justiciable, hormis les droits

proportionnels, sont évalués à 95$ US alors que le revenu mensuel moyen des paysans est de

habitants de la province, soit 4. 017. 592 habitants sur un total de 4. 590. 070 habitants que

compte la province du Sud-Kivu. Il s’agit ici des résultats du recensement effectué en 2007.

plus ou moins 28$ US6. Devant cette situation, rares sont les justiciables qui peuvent se

targuer le luxe de soumettre leurs litiges aux tribunaux de droit écrit.

L’immense majorité des populations rurales du Sud-Kivu est encore caractérisée par

l’ignorance des droits due notamment au faible degré d’instruction. Beaucoup ignorent même

que le droit d’accès au juge est un droit fondamental reconnu à tout individu.

L’analphabétisme dans les milieux ruraux du Sud-Kivu affecte plus les femmes que les

hommes, soit 44% contre 19% de la population rurale7. Ces deux taux donnent un taux moyen

d’analphabétisme évalué à 31,5% de l’ensemble de la population rurale.

Cependant, l’infime minorité de la population qui accède aux tribunaux de droit écrit, n’est

pas satisfaite de la manière dont la justice est administrée. D’une part, les magistrats

s’illustrent dans la corruption et monnayent ainsi la justice au profit des plus offrants. D’autre

part, la procédure judiciaire est très lente.

Ces deux facteurs ont jeté un grand discrédit sur la justice et ont amené la grande majorité des

populations rurales à ne plus lui soumettre des litiges.

Face aux difficultés auxquelles la mise en œuvre du droit au juge se trouve confrontée dans

les milieux ruraux du Sud-Kivu, la question suivante se pose : Qu’est-ce qui doit être fait pour

améliorer la mise en œuvre du droit au juge dans les milieux ruraux du Sud-Kivu ?

Cette question nous amène à formuler les hypothèses cumulées ci-après :

- l’installation des tribunaux de droit écrit dans tous les territoires favoriserait une plus

grande accessibilité à la justice ;

- la réduction des frais de justice inciterait les populations rurales à soumettre leurs

litiges aux tribunaux de droit écrit. Cette réduction s’accompagnerait d’une application

efficace de la procédure d’obtention de l’attestation d’indigence. Notons que

l’attestation d’indigence permet aux indigents d’être dispensés du paiement des frais

de justice lorsqu’ils ont agi en justice.

6 N. MATABARO et B. NALUNJA, Formation du revenu paysan dans le système agricole au Sud-Kivu :

problèmes et perspectives, Mémoire, Faculté des Sciences Economiques et de Gestion, U. C. B.,

Inédit, 1996-1997, p. 68.7 C. MUNYERENKANA, Déterminants de la demande de l’éducation en milieu rural. Cas de

l’alphabétisation des adultes dans le territoire de Walungu, Mémoire, Faculté des Sciences

Economiques et de Gestion, U. C. B., Inédit. 2005-2006, p.18.

Préoccupée par le faible degré de mise en œuvre du droit au juge dans les milieux ruraux du

Sud-Kivu, cette réflexion entend répertorier les tribunaux de droit écrit installés dans ces

milieux. Cette approche permettra de confronter les prévisions légales en rapport avec les

tribunaux prévus dans les milieux ruraux à la réalité y observée. La démarche ainsi adoptée

vise à vérifier si le cadre juridique correspond à la réalité. En clair, il s’agira de voir si le

gouvernement congolais a installé les tribunaux de paix dans les milieux ruraux regroupés en

territoires. A cet égard, nous vérifierons si la volonté du législateur d’améliorer l’accessibilité

à la justice, en prévoyant les tribunaux de paix, dans ces milieux, a été respectée.

L’émergence de l’Etat de droit dépend également des personnes qui exercent la fonction

judiciaire, en l’occurrence les magistrats. Ainsi importera-t-il d’analyser les dispositions

légales relatives à la nomination et à la révocation de ces derniers. Pareille approche s’avère

nécessaire, car elle permet d’avoir une idée sur l’indépendance des magistrats ainsi que sur

leur impartialité.

Pour comprendre pourquoi le droit au juge est insuffisamment mis en œuvre dans les milieux

ruraux du Sud-Kivu, il conviendra de relever les principaux obstacles auxquels se heurte ledit

droit devant les tribunaux de droit écrit. Cette démarche permettra ainsi d’envisager des

remèdes à ces obstacles.

En ce qui concerne les tribunaux de droit coutumier, nous nous emploierons à examiner l’effet

de ces derniers par rapport à l’accessibilité à la justice. Concrètement, il s’agira notamment de

relever les mérites de ces tribunaux, qui ont permis de suppléer à la carence des tribunaux de

droit écrit. Par ailleurs, les limites ou faiblesses desdits tribunaux seront également cernées.

Celles-ci tiennent essentiellement à la non-conformité à la législation écrite de la majeure

partie des jugements qu’ils rendent.

Enfin, nous tenterons de proposer des solutions aux problèmes auxquels se heurte la mise en

œuvre du droit au juge dans les milieux ruraux du Sud-Kivu. Au regard de la complexité des

problèmes, ces pistes de solution revêtiront un caractère multidimensionnel et concerneront

les aspects juridique, social et économique.

I. L’ACCES DES POPULATIONS RURALES DU SUD-KIVU AUXTRIBUNAUX DE DROIT ECRIT

L’accès aux tribunaux est une traduction concrète de ce droit fondamental qu’est le droit au

juge. Selon CABRILLAC et alii8, le droit d’accès à la justice permet à toute personne qui a un

intérêt légitime et qui présente la qualité éventuellement requise, d’accéder à une juridiction

pour qu’elle statue sur une prétention.

Le droit au juge est l’un des critères essentiels de l’Etat de droit auquel tout individu épris de

justice aspire.

L’Etat a un rôle important à jouer concernant la mise en œuvre du droit au juge. En effet,

c’est à lui qu’incombe la double obligation de créer les tribunaux ainsi que les conditions qui

permettent à ces derniers d’être accessibles.

Dans le cadre de la présente étude, nous présenterons, d’abord, les tribunaux de droit écrit

installés dans les milieux ruraux du Sud-Kivu ; nous relèverons, ensuite, les principaux

obstacles auxquels se heurtent les populations rurales en matière d’accès au juge et

dégageront, enfin, quelques efforts qui ont été fournis en vue de l’amélioration du droit

d’accès au juge.

I.1. LES TRIBUNAUX DE DROIT ECRIT INSTALLES DANS LES MILIEUX

RURAUX DU SUD-KIVU

Il sied d’examiner le cadre juridique régissant les tribunaux de droit écrit avant d’analyser la

procédure de nomination et de révocation des magistrats qui prestent dans ces tribunaux.

I.1.A. Le cadre juridique

Le texte de base est constitué de l’ordonnance-loi n° 82-020 du 31 mars 1982 portant Code

d’organisation et compétence judiciaires.

L’article 22 de ce texte prévoit ce qui suit : « il existe un ou plusieurs tribunaux de paix dans

chaque territoire et dans chaque ville. Toutefois, il peut être créé un seul tribunal de paix pour

plusieurs villes ou territoires ».

8 R. CABRILLAC et alii, Théorie des libertés et droits fondamentaux, Dalloz, Paris, 1999, p. 439.

A ce jour, seuls les territoires d’Uvira, de Mwenga et de Kalehe, sur les huit que compte la

Province du Sud-Kivu, ont un tribunal de paix. Relevons d’ailleurs que ces juridictions n’ont

été installées que récemment dans lesdits territoires. En effet, le Tribunal de paix d’Uvira, qui

est le plus ancien, a été installé en 2007. En revanche, les Tribunaux de paix de Mwenga et de

Kalehe ont été implantés en 2009. La compétence territoriale de ces tribunaux n’est donc

limitée que dans leurs ressorts respectifs.

Dans des matières qui relèvent de la compétence du tribunal de paix, les populations rurales

habitant les sept autres territoires doivent s’adresser au Tribunal de grande instance d’Uvira9

qui compte trois sièges secondaires basés respectivement à Kavumu, à Shabunda et à

Kamituga. Dans ce contexte, les justiciables font valoir leurs droits soit devant le siège

principal d’Uvira, soit devant l’un des sièges secondaires en fonction notamment de la

proximité.

Les trois Tribunaux secondaires ont pu désengorger le Tribunal principal d’Uvira. Ils ont en

outre permis un certain rapprochement de la justice avec les justiciables et ont, par voie de

conséquence, permis une certaine accessibilité à la justice au profit des populations qui vivent

dans ces milieux.

Cependant, le problème d’accès à la justice se pose toujours. En effet, les trois tribunaux

secondaires n’ont été implantés que dans trois territoires. Les quatre autres territoires (le

territoire d’Uvira est pris en compte, car abritant le siège principal) n’en sont pas pourvus.

Leurs habitants sont alors obligés de parcourir de longues distances pour atteindre soit Uvira,

soit Kavumu, soit Shabunda, soit Kamituga. Ce problème est encore aggravé par le mauvais

état des routes. Celles-ci sont en état de dégradation avancée, et lorsqu’elles sont traversées

par des rivières, on constate que les ponts se sont déjà effondrés ou à tout le moins sur le point

de l’être.

De ce qui précède, il s’avère impérieux que soient installés dans chaque territoire un tribunal

de paix et au minimum un siège secondaire du tribunal de grande instance. Cette solution

permettrait non seulement l’accès à une juridiction de premier degré, mais également l’accès à

une juridiction d’appel.

9 Conformément à l’article 162 du Code d’organisation et compétence judiciaires, les tribunaux de

grande instance sont compétents pour connaître en premier ressort des contestations qui

relèvent normalement de la compétence des tribunaux de paix.

Le texte précité est critiquable du fait qu’il prévoit la possibilité de créer un tribunal de paix

pour deux ou plusieurs villes et territoires10. Cette disposition ne tient pas compte du fait que

les territoires de la République Démocratique du Congo, en général, et ceux de la province du

Sud-Kivu, en particulier, ont de vastes superficies et qu’en outre les infrastructures routières

qui les relient sont quasiment impraticables en raison notamment de leur dégradation ; ce qui

rend très difficile le déplacement.

La carte de la Province du Sud-Kivu ci-dessous présentée illustre la configuration

administrative des territoires.

Source : Division Provinciale de l’Intérieur au Sud-Kivu

D’après le texte sus évoqué, seules les juridictions de l’échelon inférieur, en l’occurrence les

tribunaux de paix, doivent être installées dans les territoires de la République11. Il s’ensuit que

pour interjeter appel contre les jugements rendus par ces juridictions, les populations rurales

doivent s’adresser à un tribunal de grande instance établi dans une ville et ce, conformément à

l’article 31 du texte sous examen.

Certes, la situation des milieux ruraux du Sud-Kivu est un peu particulière. Il existe, en effet,

un tribunal de grande instance dans le territoire d’Uvira. Ce tribunal comporte trois sièges

10 Code d’organisation et compétence judiciaires, article 22 alinéa 2.11Ibidem, article 22 alinéa 1.

secondaires installés respectivement à Kavumu (territoire de Kabare), à Shabunda (territoire

qui porte le même nom) et à Kamituga (territoire de Mwenga). Cette particularité résulte du

fait que les tribunaux de grande instance doivent être installés dans une ville ou dans un

district12 conformément à la loi13. Or, Uvira ne dispose pas encore de statut de ville. Il faut

remonter à la période d’avant 1989 pour trouver justification à cette situation. En effet, à cette

période, la cité d’Uvira était le chef-lieu de la sous- région du Sud-Kivu. En vertu de la loi sus

évoquée, Uvira a été doté d’un tribunal de grande instance. En 1988, la province du Sud-Kivu

fut scindée en trois provinces. Chacune des sous-régions fut érigée en région (province). Le

droit acquis par la cité d’Uvira ne pouvait plus lui être retiré, bien qu’ayant été érigée en

territoire.

Nonobstant cette particularité, l’accès au tribunal de grande instance, en tant que juridiction

d’appel, reste difficile. Dans les milieux ruraux du Sud-Kivu, très peu de gens peuvent trouver

des moyens pour effectuer le déplacement à Uvira, à Kavumu, à Shabunda ou à Kamituga.

Beaucoup d’entre eux, bien qu’ayant des motifs fondés pour contester les jugements rendus

au premier degré, renoncent à une action en appel à cause notamment de la pauvreté. Dès lors,

il est d’une absolue nécessité que les juridictions d’appel, en l’occurrence les tribunaux de

grande instance, soient installées dans ces milieux. Cela permettrait aux justiciables non

satisfaits des jugements rendus au premier degré d’accroître les chances de faire réexaminer

les litiges par la juridiction supérieure.

L’analyse de la procédure de nomination et de révocation des magistrats mérite d’être faite.

Elle permet, en effet, d’apprécier l’impartialité et l’indépendance ; deux principes qui doivent

sous-tendre l’action de ces derniers. L’aspect lié à la promotion sera également abordé.

I.1.B. Nomination, révocation et promotion des magistrats

La procédure de nomination, de révocation et de promotion concerne tous les magistrats de la

République, c’est- à- dire ceux œuvrant aussi bien dans les milieux ruraux que dans les

milieux urbains.

12 Depuis l’avènement au pouvoir de Laurent-Désiré KABILA en 1997, le terme « District » a été

restauré en lieu et place du terme « sous-région ».13 Code d’organisation et compétence judiciaires, article 31 alinéa 1er :« il existe un ou plusieurs

tribunaux de grande instance dans chaque ville et chaque District ».

D’après la loi14, les magistrats sont nommés, promus et révoqués par le Président de la

République sur proposition du Conseil Supérieur de la Magistrature. Dans la pratique, le

Président de la République nomme, promeut et révoque sans requérir l’avis du CSM. Cette

pratique viole non seulement la séparation des pouvoirs, mais porte également atteinte aux

principes d’indépendance et d’impartialité des magistrats. Ainsi, en 1997, lorsque le feu

Président Laurent-Désiré KABILA accède au pouvoir, 315 magistrats ont été révoqués sans

consulter le CSM. Tout récemment, en 2008, le Président Joseph KABILA a mis à la retraite

95 magistrats. Il a par ailleurs promu deux magistrats aux grades de Premier Président de la

Cour Suprême de Justice et de Procureur Général de la République près ladite Cour. Dans les

deux cas, le Président de la République n’a pas demandé l’avis du CSM. Il est vrai que le

CSM n’était pas encore installé pour ce qui concerne les deux derniers actes présidentiels.

Notons cependant que le Président de la République, en cas de carence du CSM, devrait

consulter le 1er Président de la Cour Suprême de Justice et le Procureur Général de la

République concernant les nominations, révocations et promotions touchant les magistrats du

siège et ceux du parquet. Dans les récentes promotions et mises à la retraite, le Président de la

République n’a consulté aucune de ces autorités judiciaires, ou à tout le moins les hauts

magistrats exerçant à titre intérimaire les fonctions de Premier Président de la CSJ et de

Procureur Général de la République près la CSJ.

Il ressort de ce qui précède que l’Exécutif interfère beaucoup dans le pouvoir judiciaire. Dès

lors, l’indépendance et l’impartialité des magistrats ne peuvent qu’être amoindries lorsqu’il

s’agit de trancher les litiges intéressant les gouvernants. La peur d’être révoqués, suspendus

ou mutés amène les juges à prendre des décisions favorables aux gouvernants.

Il est indispensable que le CSM, une fois installé, joue, de manière effective, le rôle lui dévolu

par la Constitution congolaise, notamment dans la nomination, la promotion et la révocation

des magistrats. En effet, ladite Constitution dispose : « le CSM est l’organe de gestion du

pouvoir judiciaire. Il élabore les propositions de nomination, de promotion et de révocation

des magistrats ». 15

14 - Ordonnance- loi 88-056 du 29 septembre 1988 portant statut des magistrats, article 10 alinéa 3

et article 42.

- Ordonnance d’organisation judiciaire du 21 mai 1983, article 11.15 Constitution du 18 février 2006, article 152 alinéas 1er et 3.

Pour envisager l’amélioration du droit d’accès par les populations rurales du Sud-Kivu à la

justice de droit écrit, il importe de relever préalablement les principaux obstacles auxquels se

heurtent les populations concernées.

I.2. LES PRINCIPAUX OBSTACLES AU DROIT D’ACCES A LA JUSTICE DE

DROIT ECRIT DANS LES MILIEUX RURAUX DU SUD-KIVU

Pour la majeure partie des populations rurales du Sud-Kivu, accéder à la justice de droit écrit

relève du luxe. Beaucoup d’obstacles sont à l’origine de cette situation. Aussi convient-il d’en

dégager les principaux avant de procéder à leur examen. Il s’agit d’obstacles ci- après :

· L’insuffisance des tribunaux de paix et l’insuffisance des tribunaux de grande

instance ;

· La longue distance entre le domicile des justiciables et le tribunal compétent ;

· La pauvreté des populations rurales ;

· L’ignorance des droits ;

· La lenteur des procédures judiciaires ;

· La corruption des magistrats.

I.2.A. L’insuffisance des tribunaux de paix et des tribunaux de grande instance

Comme annoncé plus haut, seuls les territoires d’Uvira, de Mwenga et de Kalehe sont dotés

d’un tribunal de paix, vingt-sept ans après la promulgation du texte créant cette catégorie de

juridictions. Les cinq autres territoires en sont dépourvus. Tous ces territoires couvrent chacun

une large étendue. En guise d’illustration, le territoire de Shabunda, situé à 340km de la ville

de Bukavu, a une superficie à peu près égale à celle de la République rwandaise.

Par ailleurs, ces territoires regorgent l’essentiel de la population du Sud-Kivu. Les rares

tribunaux de droit écrit sont implantés dans les territoires d’Uvira, de Mwenga, de Kabare

(Kavumu) et de Shabunda. Dans ces deux derniers territoires, le problème n’est pas

entièrement résolu puisqu’il s’agit des tribunaux de grande instance qui ne peuvent en

principe16 statuer qu’au premier degré, l’appel devant être interjeté devant la Cour d’Appel de

Bukavu. C’est en raison de l’absence des tribunaux de paix dans ces territoires que l’appel

exige le déplacement sur Bukavu. En effet, si ces tribunaux y étaient installés, l’appel devait

être porté devant les tribunaux de grande instance.

16 Exceptionnellement, les tribunaux de grande instance statuent en premier et dernier ressort

lorsqu’il s’agit des matières qui relèvent de la compétence des tribunaux de paix.

Au regard de ce qui précède, une large partie des populations rurales du Sud-Kivu éprouve

d’énormes difficultés à accéder à un tribunal de droit écrit. En conséquence, beaucoup de

litiges réglés par le droit écrit n’ont jamais été examinés par les tribunaux de droit écrit. Cette

situation préjudicie le justiciable qui devait remporter le procès. Dans ce contexte, l’Etat de

droit apparaît comme un mythe, dès lors qu’un justiciable ne peut être rétabli dans ses droits

par application du droit écrit, son seul tort étant d’habiter le milieu rural.

La situation décrite ci-haut convient parfaitement à ce que nous appelons « fracture

juridictionnelle »17 comparativement aux 30% ou 12,5%18 des populations urbaines qui, elles,

sont nanties d’une diversité de juridictions. La fracture juridictionnelle ainsi constatée met à

mal le droit d’accès à un tribunal qui s’entend d’un droit qu’a une personne physique ou

morale d’accéder à la justice pour y faire valoir ses droits ».19

I.2.B. La distance entre le domicile des justiciables et le siège du tribunal compétent

Cet obstacle est la conséquence logique de l’insuffisance des tribunaux de droit écrit. Les

justiciables sont alors obligés de parcourir de très longues distances pour accéder soit aux

tribunaux basés à Uvira, soit aux trois sièges secondaires du tribunal de grande instance

établis respectivement à Kavumu, à Shabunda et à Kamituga. Même en accédant à ces

tribunaux, les justiciables non satisfaits des jugements rendus en premier ressort, devront en

principe se rendre à Bukavu pour former appel devant la Cour d’Appel. Notons que le

Tribunal de grande instance de Bukavu n’est compétent que dans le ressort de la ville de

Bukavu.

L’état des routes aggrave davantage les difficultés sus évoquées. Ainsi, dans ces conditions,

quitter un milieu vers un autre ou quitter un milieu vers la ville de Bukavu, même si on est

monté à bord d’un véhicule, relève d’un parcours du combattant. Pour arriver à destination, le

17 La fracture juridictionnelle désigne, ici, l’écart qui existe entre les structures judiciaires basées

en ville et celles établies en milieu rural. Elle implique une forte accessibilité auxdites structures

au profit des populations urbaines, d’une part, et une très faible accessibilité pour les

populations rurales, d’autre part.18 Nous rappelons ici que d’après le projet « Innovation, sécurité et amélioration des conditions de

vie des populations rurales au Sud-Kivu » exécuté par l’Université Catholique de Bukavu, la

population urbaine du Sud-Kivu est estimée à 30%. Par ailleurs, selon la Division Provinciale de

l’Intérieur au Sud-Kivu, la population urbaine est évaluée à 12,5% en 2007.19 S. Guinchard et M. Bandrac, Droit processuel, droit commun et droit comparé du procès, 3è éd,

Dalloz, Paris, 2005, p. 382.

véhicule peut prendre deux semaines, voire plus. La dégradation des routes a favorisé le

transport aérien pour relier, d’une part, certains milieux ruraux du Sud-Kivu entre eux et,

d’autre part, ceux-ci avec la ville de Bukavu. Là encore, seule une infime partie de la

population rurale peut se permettre un tel luxe.

Le problème lié à la distance amène beaucoup de justiciables à renoncer à l’exercice d’une

action en justice devant les tribunaux de droit écrit.

I.2.C. La pauvreté des populations rurales

Les populations rurales du Sud-Kivu sont pour la plupart très pauvres. Il n’y a presque pas

d’emplois dans leurs milieux, et le chômage y est très élevé. Les jeunes ne rêvent que de

quitter ces milieux pour venir chercher du travail en ville.

Les frais de justice et de procédure auxquels ces populations sont soumises sont identiques à

ceux exigés aux populations urbaines. Dès lors, ces frais mettent en lumière l’absence de

corrélation avec les revenus des populations rurales. Rappelons que l’ensemble des frais

s’élèvent à 95$ US alors que le revenu mensuel moyen des paysans n’est que d’environ 28$

US. A cet égard, les populations rurales, du moins la plupart, considèrent la procédure

judiciaire comme coûteuse et n’est donc pas à leur portée.

S’exprimant à propos des frais, un greffier du tribunal de paix a déclaré ce qui suit : « les frais

de justice et de procédure sont excessifs par rapport aux revenus des justiciables. Ils

expliquent en grande partie la faible fréquentation de notre tribunal par les justiciables. Il

arrive même que la partie qui a gagné le procès soit incapable de payer divers frais. La

conséquence est que la décision n’est pas exécutée ou est exécutée tardivement. Comme si

cela ne suffisait pas, les magistrats ajoutent aux frais légaux ceux illégaux »20.

Le problème suscité par l’absence de corrélation entre frais et revenus est certes atténué par la

délivrance de l’attestation d’indigence. Celle-ci est un document délivré par l’Administrateur

du territoire, par lequel ce dernier reconnaît l’état d’indigence du justiciable. L’indigence ainsi

attestée dispense le justiciable des frais de justice et de procédure.

Il est à remarquer cependant que l’Autorité territoriale est peu enthousiaste par rapport à la

délivrance de ce document aux personnes qui se déclarent indigentes. Cette attitude

20 Interview avec Monsieur ELOCO WILONDJA, greffier du Tribunal de paix d’Uvira, le 29 décembre

2008.

s’explique, en partie, par le fait que la plupart des requérants ne formulent cette demande que

lorsqu’ils ont déclenché une procédure judiciaire. Se rendant compte des exigences

financières du procès, même les rares personnes nanties accourent vers l’Administrateur du

territoire pour demander l’attestation d’indigence. Ce qui amène ce dernier à croire que

l’indigence alléguée est discutable. Certes, avant d’attester l’indigence, une enquête est

prévue. Mais ici aussi, le problème réside au niveau de l’intégrité des agents enquêteurs. Très

souvent, ces derniers se font corrompre par les requérants pour qu’ils apportent à l’autorité

des éléments probants permettant la délivrance de l’attestation d’indigence.

I.2.D. L’ignorance des droits

Il s’agit ici de l’ignorance des droits subjectifs. Celle-ci est due notamment à l’analphabétisme

et à l’absence de vulgarisation de la législation. Notons que le taux d’analphabétisme dans les

milieux ruraux du Sud-Kivu s’élève à 31,5% de l’ensemble de la population rurale.

Dans les milieux ruraux du Sud-Kivu, beaucoup de gens ignorent leurs droits même les plus

fondamentaux comme le droit au juge. De toute évidence, cette situation ne peut qu’entraîner

la rareté des sollicitations du juge, cependant que les droits demeurent violés.

L’Etat congolais devrait instaurer une politique de lutte contre l’analphabétisme et de

vulgarisation du droit. Cette politique permettrait aux populations rurales de connaître leurs

droits et de les faire valoir devant les juges lorsqu’ ils sont violés.

I.2.E. La lenteur dans les procédures judiciaires

La durée d’un procès diffère selon qu’il s’il s’agit une matière civile ou d’une matière pénale

normalement un procès civil ne peut aller au-delà de deux mois21. S’agissant d’un procès

pénal il est impossible de déterminer la durée légale, sauf en matière de violences sexuelles et

d’infractions intentionnelles flagrantes. Dans ces deux cas, la procédure abrégée ou accélérée

est mise en mouvement.

21 La durée de deux mois est obtenue en calculant les délais de trois remises légales dont chacune

est de quinze jours. On y ajoute le délai de huit jours accordé à l’Officier du Ministère public

pour donner son avis et celui de huit jours que doit prendre le délibéré. Le total fait soixante et

un jours, soit deux mois.

Dans l’ensemble, en matière pénale, le principe reste celui du délai raisonnable. Il s’agit là

d’un principe abstrait et ambigu dont l’appréciation est entièrement laissée à la discrétion des

juges.

Dans la pratique, il y a excessive lenteur en ville comme en milieu rural. Ainsi, nous

constatons qu’il y a des procès qui peuvent durer pendant cinq ans, voire plus. Cette absence

de célérité a fortement contribué au discrédit de la justice notamment en milieu rural. Certains

jugements sont rendus lorsque les justiciables sont déjà démotivés et n‘ont plus assez

d’intérêt. Pareille situation dissuade d’autres justiciables à soumettre leurs litiges aux

tribunaux de droit écrit.

I.2.F. La corruption des magistrats

La pratique de corruption gangrène la magistrature congolaise indistinctement des milieux

ruraux ou urbains. Au Sud-Kivu, les populations rurales savent que leurs litiges ne peuvent

pas être examinés objectivement sans corrompre les juges. Dans la plupart des cas, seuls les

rares justiciables, qui sont à même de corrompre, s’adressent aux magistrats. En revanche, la

majeure partie, bien qu’ayant des droits légitimes à faire valoir, y renonce faute d’argent pour

corrompre ou tout simplement parce qu’ils ne veulent pas corrompre. Il n’est pas rare de

trouver des magistrats qui prolongent inutilement la procédure dans le but de se faire remettre

le plus d’argent possible par les justiciables.

I.3. QUELQUES EFFORTS EN VUE DE L’AMELIORATION DU DROIT

D’ACCES AUX TRIBUNAUX DE DROIT ECRIT DANS LES MILIEUX

RURAUX DU SUD-KIVU

Ces efforts aboutissent à des formules ci-après :

- Les assistances judiciaires gratuites ;

- Les audiences foraines.

Les assistances judiciaires gratuites permettent aux justiciables tant urbains que ruraux, qui

ont prouvé leur indigence, de faire valoir leurs droits devant les tribunaux de droit écrit. Ils se

font assister par un Avocat soit commis d’office par le Barreau, soit pris en charge par une

ONG de défense des droits de l’homme. Ces dernières jouent un rôle important dans la

promotion du droit d’accès au juge à travers l’organisation des assistances judiciaires

gratuites. Certaines d’entre elles, comme ASF (Avocats Sans Frontières), APRODEPED22

(Association pour la Protection et la Défense des Personnes Défavorisées), Héritiers de la

Justice, ont établi des antennes dans les milieux ruraux du Sud-Kivu. Ces antennes reçoivent

notamment des plaintes qui sont, par la suite, fixées et défendues devant les tribunaux de droit

écrit. Cependant, remarquons que suite à des contraintes notamment financières, ces ONG ne

peuvent pas étendre leurs activités dans tous les milieux ruraux. En conséquence, elles ne

peuvent pas pourvoir à tous les besoins en assistance judiciaire gratuite.

Quant aux audiences foraines, elles impliquent le fait pour une juridiction de siéger dans un

milieu qui n’est pas son siège ordinaire. Leur raison d’être est de rapprocher la justice des

justiciables. Lorsqu’elles ont lieu dans les milieux ruraux du Sud-Kivu, elles permettent aux

populations de faire examiner leurs litiges par les tribunaux de droit écrit. Cependant, sur le

plan opérationnel, les magistrats siégeant en audience foraine se voient soumettre

d’innombrables dossiers qu’ils doivent examiner et vider dans un laps de temps relativement

court, afin de pouvoir regagner le siège ordinaire du tribunal. Cet état de choses fait qu’un

tribunal soit amené à statuer parfois sur 20 dossiers par jour. Dès lors, l’efficacité d’un tel

travail accompli dans la précipitation est sujette à caution. De même, les chances du respect

des règles d’un procès équitable se trouvent considérablement amoindries.

Comme nous allons le voir dans les pages qui suivent, la corruption généralisée de la

magistrature explique en partie le succès des tribunaux coutumiers dans les milieux ruraux du

Sud-Kivu.

22 Dans le cadre de son programme « Assistance judiciaire aux prisonniers, aux détenus, aux victimes

des violations des droits humains et aux indigents aux prises avec la justice dans la Province du

Sud-Kivu », cette Association a accordé, en 2006, une assistance judiciaire à 787 personnes

habitant les milieux ruraux du Sud-Kivu. Par ailleurs, de 2005 à 2008, 361 affaires ont été jugées

grâce à l’assistance judiciaire de l’APRODEPED. Certaines personnes intéressées par ces affaires,

provenaient des milieux ruraux du Sud-Kivu.

II. LES TRIBUNAUX COUTUMIERS FACE AU DROIT AU JUGE DANSLES MILIEUX RURAUX DU SUD-KIVU

En République Démocratique du Congo, l’intégration des juridictions coutumières dans le

système judiciaire a été opérée par le décret du 15 avril 1926. Celui-ci créait des juridictions

nouvelles pour desservir les communautés indigènes regroupées en dehors des centres extra-

coutumiers23.

Cet ordre de juridictions dites « indigènes » fut organisé parallèlement à l’organisation

judiciaire ordinaire et ne s’y rattachait que par un pouvoir de contrôle conféré aux Officiers du

Ministère public.

Actuellement, les tribunaux de droit coutumier ont une existence transitoire, car voués à

disparaître dès l’installation des tribunaux de paix. Ceci ressort du Code d’organisation et

compétence judiciaires qui précise que « les juridictions coutumières sont maintenues jusqu’à

l’installation des tribunaux de paix »24.

Dans les milieux ruraux du Sud-Kivu, trois tribunaux de paix ont, à ce jour, été installés. Il

s’agit des Tribunaux de paix d’Uvira, de Mwenga et de Kalehe. Sur le plan juridique, ces

juridictions ont remplacé tous les tribunaux de droit coutumier œuvrant dans ces territoires.

Dans le territoire d’Uvira, seuls deux tribunaux coutumiers ont été supprimés. Il s’agit du

tribunal de cité et du tribunal de territoire. En revanche, les tribunaux coutumiers siégeant à

Kabindula, Kiliba, Luvungi, Runingu, Makobola et Kamanyola ont continué à fonctionner,

nonobstant les notifications d’interdiction adressées par le Procureur de la République près le

Tribunal de grande instance d’Uvira. Notons que dans les deux autres territoires (Mwenga et

Kalehe), toutes les juridictions coutumières ont continué à fonctionner.

Interrogé sur les raisons de la poursuite des fréquentations des tribunaux coutumiers en dépit

de l’installation du tribunal de paix, un ancien juge coutumier répond en ces termes ׃ « devant

les tribunaux coutumiers, il y a célérité dans la procédure. La célérité à elle seule pousse

certains justiciables à retirer leurs affaires des tribunaux de grande instance et de paix pour les

déférer devant les tribunaux coutumiers. Là les affaires prennent 3 à 5 ans, voire plus alors

qu’elles prennent 1 à 2 semaines devant les tribunaux coutumiers. La médiation que les juges

23 A. RUBBENS, Le droit judiciaire congolais : le pouvoir, l’organisation et la compétence

judiciaires, T1, Larcier, Bruxelles, 1970, p.166.24 Code d’organisation et compétence judiciaires, article 163.

coutumiers mènent pour réconcilier les gens, plaît à beaucoup de justiciables. En outre, la

corruption est inexistante alors que celle-ci domine dans les tribunaux de droit écrit. Quant au

coût de la procédure, la justice coutumière est moins coûteuse que celle de droit écrit qui

appauvrit les justiciables »25.

Les tribunaux de droit coutumier sont diversifiés et disséminés dans tous les territoires de la

province du Sud-Kivu. Il sied d’en dégager la structure avant d’examiner leur rôle dans

l’accessibilité à la justice.

II.1. LES TRIBUNAUX DE DROIT COUTUMIER ETABLIS DANS LES

MILIEUX RURAUX DU SUD-KIVU

Les tribunaux de droit coutumier ci-après sont fonctionnels dans les milieux ruraux du Sud-

Kivu :

· les tribunaux de territoire ;

· les tribunaux de cite ;

· les tribunaux de collectivité ;

· les tribunaux de groupement ;

· les tribunaux de secteur.

II.1.A. Les Tribunaux de territoire

Ces tribunaux représentent le rang le plus élevé parmi les juridictions coutumières. Selon les

décrets coordonnés sur les juridictions coutumières26, il existe un tribunal de territoire dans

chaque territoire. Avant l’installation des Tribunaux de paix dans les territoires d’Uvira, de

Mwenga et de Kalehe, la Province du Sud-Kivu comptait huit tribunaux de territoire.

Actuellement, il en reste cinq, ceux des territoires précités ayant été supprimés suite à

l’implantation des tribunaux de paix.

25 Interview avec Monsieur BISANDE KYUBATI, Ancien Vice-Président du Tribunal de cité d’Uvira, le

27 décembre 2008.26 Décrets coordonnés sur les juridictions coutumières, article 1er.27 Un défenseur est, à l’instar d’un avocat, un auxiliaire de justice qui a un pouvoir de

représentation limité. Il ne peut, en effet, assurer la plaidoirie au-delà du tribunal de grande

instance. Le législateur congolais l’a institué en raison du nombre réduit d’avocats à travers la

République.

Un défenseur judiciaire27 près le Tribunal de grande instance d’Uvira a relevé que la

suppression du tribunal de territoire n’a pas été aisée. Le Procureur de la République s’est, en

effet, heurté à la résistance des juges coutumiers. De même, les justiciables ne manifestent

pas, même jusqu’ aujourd’hui, de l’enthousiasme à l’égard des tribunaux de droit écrit. Cette

attitude des justiciables s’explique notamment par l’attachement à leurs coutumes. En outre,

comme l’a mentionné le juge coutumier précité, les justiciables accordent une grande

importance à la médiation puisque c’est elle qui assure le mieux l’harmonie sociale. Or, la

procédure devant les tribunaux coutumiers est dominée par la recherche de la réconciliation

entre les parties. René David abonde dans le même sens et déclare ce qui suit ׃ « la fonction

de la justice est de réaliser une amiable composition entre les intéressés plutôt que de

sanctionner les droits. On ne cherche pas à attribuer à chacun ce qui lui est dû. Ce qui est juste

dans le milieu africain, c’est avant tout ce qui est propre à assurer la cohésion du groupe et à

restaurer la concorde et la bonne entente entre ses membres. La justice indigène se présente

comme une institution de paix, plus qu’elle ne vise à l’application d’un droit strict. Elle vise à

réconcilier les parties et à restaurer l’harmonie dans la communauté »28.

II.1.B. Les Tribunaux de cité

Les décrets coordonnés sur les juridictions coutumières, qui les organisent, ne précisent pas si

chaque cité doit en compter un. En République Démocratique du Congo, le terme « cité »

renvoie à une agglomération importante située dans une entité rurale.

Au Sud-Kivu, trois entités ont rang de cité. Il s’agit d’Uvira, de Shabunda et de Kamituga.

Les tribunaux de cité y sont implantés. Toutefois, les Tribunaux de cité d’Uvira et de

Kamituga n’ont plus d’existence légale puisque les tribunaux de paix y ont déjà été installés.

En réalité, les deux tribunaux de cité fonctionnent clandestinement. A Uvira, la résistance

s’est révélée plus forte par rapport à celle observée par les juges coutumiers du tribunal de

territoire.

II.1.C. Les Tribunaux de collectivité

Le tribunal de collectivité existe dans chaque collectivité29. La Province du Sud-Kivu compte

vingt-trois collectivités et toutes sont dotées de tribunaux de collectivité. Dans l’organisation

28 R. David, Les grands systèmes de droit contemporains, Dalloz, Paris, 1982, p.566.

29 Décrets coordonnés sur les juridictions coutumières, article 1er.

administrative congolaise, le terme «collectivité » désigne une entité rurale placée sous

l’autorité d’un chef coutumier. Actuellement, ce terme s’est vu joindre celui de « chefferie ».

C’est ainsi que nous parlons de collectivité-chefferie pour mettre en exergue le caractère

éminemment coutumier de l’entité rurale. Dès lors, la fusion de ces deux termes a donné lieu

aux tribunaux de collectivité-chefferie.

Concernant les collectivités-chefferies des Bavira et des Bafuliro (situées dans le territoire

d’Uvira) ainsi que celles se trouvant dans les territoires de Mwenga et de Kalehe, notons que

leurs tribunaux devaient cesser de fonctionner depuis l’installation des tribunaux de paix dans

ces territoires. Le prescrit de la loi a été totalement bafoué par les chefs coutumiers des

collectivités précitées, lesquels président, par ailleurs, ces tribunaux dans leurs entités

respectives. D’ailleurs, le Tribunal de collectivité-chefferie des Bavira est situé juste à côté du

tribunal de paix en pleine cité d’Uvira, plus précisément dans la localité de Kabindula, et

fonctionne au vu et au su des autorités publiques censées faire respecter la loi.

Selon le greffier du Tribunal de paix d’Uvira, des efforts ont été fournis pour mettre fin à cette

situation de dualisme juridictionnel prévalant dans le territoire, mais sans succès. Il a ainsi

rapporté ce qui suit ׃ « les démarches entreprises par le Procureur de la République près le

Tribunal de grande instance se sont soldées par un échec. Cette autorité judiciaire a, en effet,

adressé à trois reprises des notifications de fermeture des juridictions coutumières opérant

dans ledit territoire. Ces notifications se sont vu réserver une fin de non-recevoir par

notamment les Présidents desdites juridictions, en l’occurrence les chefs coutumiers des

collectivités-chefferies des Bavira et des Bafuliro. Le Procureur a, par la même occasion,

proposé un palliatif au vide que pourrait entraîner la suppression des juridictions coutumières.

Il s’est agi, pour le Procureur, d’organiser régulièrement des audiences foraines du Tribunal

de paix dans des entités où se trouvent basées les juridictions coutumières. Les chefs

coutumiers ainsi que leurs juges ont également refoulé cette offre »30.

Le non-respect de la loi dont font montre notamment les chefs coutumiers est dicté à la fois

par le conservatisme et le souci de ne pas perdre les pouvoirs juridictionnels qui leur

permettent d’exercer l’autorité sur leurs sujets. L’aspect financier ou économique n’est pas

30 Interview avec Monsieur ELOCO WILONDJA, greffier du Tribunal de paix d’Uvira, le 29 décembre

2008.

non plus à ignorer, car la justice représente une source des revenus pour les chefs coutumiers

et les juges qui collaborent avec eux.

II.1.D. Les Tribunaux de groupement

D’entrée de jeu, il faut noter que les groupements coutumiers sont des circonscriptions qui

composent une collectivité. Dès lors, les tribunaux de groupement peuvent être considérés

comme des tribunaux secondaires de collectivité, à condition qu’il puisse exister des

juridictions coutumières au sein desdits groupements31. Au Sud-Kivu, tous les groupements

coutumiers, qui sont au nombre de cent quatre-vingt quatre, disposent chacun d’un tribunal de

groupement. Dans les territoires d’Uvira, de Mwenga et de Kalehe, pourtant dotés de

tribunaux de paix, les tribunaux de groupement continuent de fonctionner. Ainsi, dans le

territoire d’Uvira, les Tribunaux de groupement de Sange, Kiliba, Runingu, Luvungi,

Luberizi, Kamanyola, Makobola 1 et 2 sont toujours opérationnels.

II.1.E. Les Tribunaux de secteur

En milieu rural, les secteurs constituent l’échelon inférieur des circonscriptions

administratives. Ils sont dotés chacun, en principe, d’un tribunal de secteur.

Au Sud-Kivu, la majeure partie de secteurs est dotée de tribunaux de secteur présidés par les

chefs de secteurs.

Pour éviter les conflits de compétences, les décrets coordonnés sur les juridictions

coutumières ont fixé les compétences de celles-ci. Aussi importe- t-il de les examiner.

II.2. COMPETENCES DES TRIBUNAUX COUTUMIERS32

Les tribunaux coutumiers connaissent des contestations entre ressortissants de la République

Démocratique du Congo ou des pays voisins aux conditions ci-après ׃

1. que les contestations ne doivent pas être tranchées par l’application des règles du droit

écrit ;

2. que le défendeur se trouve dans le ressort du tribunal.

Les tribunaux coutumiers connaissent à l’égard des ressortissants de la RDC ou des pays

voisins des faits qui, tout en ne donnant pas matière à contestation entre personnes privées,

31 Décrets coordonnés sur les juridictions coutumières, article 1er.32 Décrets sur les juridictions coutumières, Chapitre II.

sont réprimées par la coutume ou par une loi écrite attribuant, d’une manière expresse,

compétence aux juridictions coutumières.

La compétence du tribunal coutumier est subordonnée aux deux conditions ci- après ׃

1. que le fait ait été commis dans le ressort du tribunal ;

2. que le prévenu se trouve dans ce ressort.

Le tribunal de territoire ou de ville connaît, à l’exclusion de tout autre tribunal, des

affaires dans lesquelles ׃

1. un militaire en activité de service, un agent de l’Administration, de l’ordre

judiciaire ou de la gendarmerie, un juge, une autorité de circonscription

administrative ou un détenteur de la carte de mérite civique, est prévenu ou

défendeur ;

2. un juge, une autorité de circonscription administrative ou un détenteur de la carte

de mérite civique, est demandeur.

En réalité, les tribunaux coutumiers examinent souvent des litiges qui ne relèvent pas de leurs

compétences. Cette situation est à l’origine de nombreuses annulations des jugements rendus

par lesdits tribunaux. Ainsi, sur 21 jugements attaqués en annulation devant les tribunaux de

grande instance de Kavumu et d’Uvira, 14 ont été annulés pour incompétence matérielle.

Dans le cadre de la présente réflexion, seules trois affaires seront analysées. Ces trois affaires

représentent, en effet, un échantillon portant sur les principales juridictions coutumières

installées dans la Province du Sud-Kivu. Chacune desdites affaires soulève, en outre, un

problème particulier, à part celui commun de violation des règles à la compétence matérielle.

Il s`agit des affaires ci-après :

·CHIBINDA MAPENZI contre MWALALIRWA HABESHI33

·LUBUNDO KAMO contre NTABUGI KAHIRIRHA34

·BUKURU RUGOHEZA contre MAHERUKA KAGOMBE35

33 Affaire CHIBINDA MAPENZI contre MWALALIRWA HABESHI, Tribunal secondaire de grande instance

de Kavumu, Rôle en annulation, 18 avril 2007, Inédit.34 Affaire LUBUNDO KAMO contre NTABUGI KAHIRIRHA, Tribunal secondaire de grande instance de

Kavumu, Rôle en annulation, 1er mars 2002, Inédit.35 Affaire BUKURU RUGOHEZA contre MAHERUKA KAGOMBE, Tribunal principal de grande instance

d’Uvira, Rôle en annulation, 29 mai 2001, Inédit.

II.2.A. Affaire CHIBINDA MAPENZI CONTRE MWALALIRWA HABESHI

Dans cette affaire, la veuve MAPENZI est accusée devant le Tribunal de territoire- siège

secondaire de Bunyakiri par Monsieur MWALALIRWA HABESHI, frère de CHIBINDA

HABESHI, défunt époux de Madame MAPENZI.

Il est reproché à Madame MAPENZI d’avoir regagné par force la maison laissée par son

défunt époux et pris les biens laissés par ce dernier, alors qu’elle avait sollicité l’abandon de

ce foyer en présence de sa belle famille et de sa propre famille dans le but de se remarier à un

autre homme. Elle avait, à cet effet, signé un document qu’elle avait déposé à sa belle famille.

La veuve MAPENZI est condamnée par le tribunal coutumier à payer une amende de 20$US,

à défaut 20 jours de servitude pénale subsidiaire. De même, le tribunal coutumier décide que

Monsieur MWALALIRWA HABESHI est l’héritier des biens laissés par son feu frère

CHIBINDA HABESHI, biens qu’il doit gérer au profit de l’enfant AKILIMALI HABESHI

(moins de 18 ans) jusqu’à l’âge adulte. Relevons que AKILIMALI est le seul enfant issu de

l’union entre CHIBINDA et MAPENZI.

Les juges coutumiers ignoraient que la matière de succession est régie par le droit écrit, en

l’occurrence le droit de la famille. A ce titre, le conflit de succession relève de la compétence

du tribunal de droit écrit, dans le cas d’espèce le tribunal de paix et en l’absence de celui-ci le

tribunal de grande instance.

A la demande de la veuve MAPENZI, le Ministère public introduit une requête en annulation

du jugement rendu par le tribunal coutumier devant le Tribunal de grande instance de

Kavumu. Cette juridiction annula ledit jugement pour incompétence matérielle.

Hormis le problème évident du non-respect de la compétence par les juges coutumiers, un

autre problème mérite d’être soulevé : il s’agit de celui relatif à la violation des droits de la

femme. En effet, les juges coutumiers ne considèrent pas que la femme puisse avoir des droits

sur les biens laissés par son mari en vertu de la liquidation du régime matrimonial. De même,

en dépit du fait que le droit successoral congolais considère la femme mariée comme héritière

de deuxième catégorie36, les juges coutumiers, quant à eux, retiennent seuls les enfants

comme héritiers. Par voie de conséquence, seuls ces derniers ont des droits sur les biens

laissés par leur père.

36 Code de la famille, article 758 litera b.

De toute évidence, ces règles coutumières sont contraires à la loi, et plus précisément au

principe d’égalité homme/femme que celle-ci consacre en matière de succession.

II.2.B. Affaire LUBUNDO KAMO contre Madame NTABUGI KAHIRIRHA

En l’espèce, Madame NTABUGI KAHIRIRHA avait attrait Monsieur LUBUNDO KAMO

devant le Tribunal de collectivité Ntambuka, au motif que ce dernier avait ravi son champ lui

légué par son défunt père MUNAZI et qu’il continuait à l’exploiter illégalement.

Le Tribunal de collectivité donna gain de cause à Madame NTABUGI et ordonna à Monsieur

LUBUNDO de restituer le champ querellé. Monsieur LUBUNDO introduit une requête en

annulation devant le Tribunal secondaire de grande instance de Kavumu. Il invoqua le fait que

le tribunal coutumier avait statué sur une matière foncière dont la compétence est dévolue au

tribunal de grande instance, en l’absence d’un tribunal de paix et ce, en vertu de l’article 162

du Code d’organisation et compétence judiciaires qui stipule que les matières régies par le

droit écrit ne sont pas de la compétence des tribunaux coutumiers.

Monsieur LUBUNDO obtient l’annulation du jugement rendu par le Tribunal de collectivité-

chefferie pour incompétence matérielle.

Il est extrêmement rare que les juridictions coutumières examinent préalablement la question

liée à la compétence. Dans la plupart des cas, elles reçoivent et statuent sur tous les litiges leur

soumis. Il s’agit là d’un comportement qui accroît le risque d’annulation des jugements

rendus par lesdites juridictions.

II.2.C. Affaire BUKURU RUGOHEKA contre MAHERUKA KAGOMBE

In casu, Monsieur BUKURU RUGOHEKA est accusé par Monsieur MAHERUKA

KAGOMBE devant le Tribunal de cité d’Uvira, siège secondaire de Kavinvira, pour avoir

détourné de l’argent qu’il lui avait remis pour acheter un véhicule à Bujumbura.

Monsieur BUKURU perd le procès devant le tribunal coutumier qui le condamne à

rembourser au demandeur MAHERUKA toutes les sommes d’argent perçues (soit 700 000

francs burundais) dans un délai de 60jours, ainsi qu’à une peine d’amende.

Monsieur BUKURU attaque le jugement en annulation et dépose, à cet effet, une requête au

Parquet près le Tribunal de grande instance d’Uvira. La requête est introduite par-devant ledit

Tribunal qui, après examen, prononcera l’annulation du jugement pour incompétence

matérielle du juge coutumier.

Dans son jugement, le Tribunal de grande instance d’Uvira relève que le tribunal de cité a

statué sur l’infraction d’escroquerie alors qu’il s’agit de l’abus de confiance.

Il n’est pas rare, comme cela ressort du jugement sous examen, que les juges coutumiers,

après avoir ignoré leurs compétences, procèdent à une mauvaise qualification des faits. Ce qui

pose, incontestablement, le problème de leur formation.

II.3. FORMATION DES JUGES COUTUMIERS

La loi congolaise est muette quant à la formation des juges coutumiers. Aucune formation

n’est donc exigée à ces derniers. Il suffit tout simplement d’être considéré comme un

« sage » ; ce qui implique notamment que la personne doit avoir un âge assez avancé. A cet

égard, l’on estime que la relative longévité du juge coutumier lui a permis d’acquérir une

maîtrise suffisante des coutumes locales et que dès lors il peut être à la hauteur de sa tâche.

C’est ainsi que dans la plupart des juridictions coutumières, on ne retrouve pas de jeunes qui

prestent en qualité des juges. Les jeunes sont, en effet, considérés comme inexpérimentés et

n’ayant qu’une connaissance embryonnaire des règles coutumières locales.

Cette conception « coutumière » de la formation est restrictive. Elle ignore, en effet, que la

justice coutumière fait encore partie intégrante du système judiciaire congolais et qu’à ce titre,

il existe une coordination entre la justice coutumière et celle de droit écrit ; coordination

assurée notamment par le Code d’organisation et compétence judiciaires. Dès lors, les

connaissances des juges coutumiers devraient être complétées par une formation courte en

droit écrit. Cette formation est rendue nécessaire, ne serait-ce qu’au regard du nombre très

élevé des jugements coutumiers qui font l’objet d’annulation notamment pour incompétence

matérielle. Elle permettrait par ailleurs aux juges coutumiers de ne plus se méprendre sur leurs

compétences.

L’autorité nantie du pouvoir de nomination et de révocation devra, dorénavant, tenir compte

de cette formation. Il en va également de sa crédibilité.

II.4. NOMINATION ET REVOCATION DES JUGES COUTUMIERS

Dans un premier temps, nous verrons comment s’effectue la nomination et, dans un second,

nous parlerons de la révocation.

II.4.A. Nomination

Aux termes des articles 4 à 6 du décret du 16 septembre 1959, les juges du tribunal de

collectivité sont nommés, selon le cas, par le Commissaire de district ou par le Commissaire

urbain, parmi les notables de la collectivité. Les chefs de groupements coutumiers incorporés

dans la collectivité font de droit partie du tribunal. Les juges du tribunal de cité sont nommés,

selon le cas, par le Commissaire de district ou par le Commissaire urbain.

L’Administrateur du territoire, ou commissionné comme tel, est de droit Président de tribunal

de territoire. L’Administrateur du territoire assistant ou commissionné comme tel, en est de

droit vice-Président. Le Commissaire de district peut, de l’avis conforme du ministère public,

nommer au tribunal de territoire, un ou plusieurs autres vice-Présidents.

Il ressort de ce qui précède que les autorités politiques, en l’occurrence le Commissaire de

district, le Commissaire urbain et l’Administrateur du territoire, disposent d’un large pouvoir

de nomination des juges des principaux tribunaux coutumiers. On peut, dès lors, s’interroger

sur le degré d’indépendance et d’impartialité de ces juges vis-à-vis des autorités qui les ont

nommés lorsque les intérêts de ces dernières sont en cause. Par ailleurs, il est déplorable de

constater que le texte n’impose à ces autorités aucun critère dans l’exercice de leur pouvoir de

nomination, sous réserve des tribunaux de collectivité dont les juges doivent être nommés

parmi les notables. Même ici, il y a lieu de relever qu’aucun critère n’est fixé pour être

considéré comme notable. A cet égard, la notabilité est elle aussi laissée à l’appréciation

discrétionnaire de l’autorité politique.

Le texte sus évoqué reste silencieux sur la nomination des juges des tribunaux de

groupements et de secteurs. Dans la pratique, ces juges sont nommés par les administrateurs

des territoires qui sont également des autorités politiques.

II.4.B. Révocation

A propos de la révocation, le texte est silencieux. En vertu du principe de parallélisme des

formes et des compétences, qui veut que l’autorité qui nomme puisse être celle qui révoque,

les Commissaires des districts, les Commissaires urbains et les Administrateurs des territoires

ont également le pouvoir de révoquer les juges coutumiers. Un tel pouvoir relance, sans

conteste, la crainte de voir ces derniers perdre leur indépendance vis-à-vis des autorités

politiques qui détiennent le pouvoir de révocation.

Il convient à présent de voir comment se compose le siège des tribunaux coutumiers.

II.5. COMPOSITION DU SIEGE

Selon les articles 4 à 6 du décret du 16 septembre 1959, le tribunal principal de collectivité

siège valablement si la moitié des membres ou du moins cinq d’entre eux, y compris le

Président, sont présents. La composition des tribunaux secondaires de collectivité est

déterminée par la coutume.

Les tribunaux de cité et de territoire siègent avec un ou trois juges. Dans ce dernier cas, un

Président est désigné. Le tribunal de territoire est composé d’un Président et de deux ou

plusieurs assesseurs assumés par lui parmi les juges des tribunaux du ressort.

Il sied de remarquer que le texte est muet concernant la composition du siège des tribunaux de

groupements et de secteurs. Dans ce cas, seule la coutume locale pourra déterminer la

composition.

Pour les tribunaux coutumiers dont la composition du siège est déterminée par le texte, il

arrive que la composition légale ne puisse pas être respectée. Il en résulte que les jugements

rendus dans ces circonstances sont susceptibles d’annulation devant les tribunaux de droit

écrit. Ainsi, en guise d’illustration, dans les affaires ci-après, les jugements ont été annulés

pour composition irrégulière du siège :

· Affaire MIRINDI GANYWAMULUME contre BALAGIZI RWESI37

· Affaire BAGALWA SHABIHANGO contre NAMANTU BARHAYIGA38

II.5.A. Affaire MIRINDI GANYWAMULUME contre BALAGIZI RWESI

En l’espèce, le Tribunal principal de collectivité-chefferie de Kalonge, dont la composition

était de 4 juges, avait rendu un jugement contre Monsieur MIRINDI. Ce dernier contesta la

décision du tribunal coutumier au motif que cette juridiction a violé les dispositions de

l’article 4 des décrets coordonnées sur les juridictions coutumières relatives à la composition

du siège. En effet, selon l’article 4 des décrets sus évoqués, le tribunal principal de collectivité

siège valablement si la moitié des membres ou du moins cinq d’entre eux, y compris le

Président, sont présents.

37 Affaire MIRINDI GANYWAMULUME contre BALAGIZI RWESI, Tribunal secondaire de grande instance

de Kavumu, Rôle en annulation, 29 mars 2008, Inédit.38 Affaire BAGALWA SHABIHANGO contre NAMANTU BARHAYIGA, Tribunal secondaire de grande

instance de Kavumu, Rôle en annulation, 28 décembre 2007, Inédit.

Le demandeur en annulation, Monsieur MIRINDI, adressa une requête auprès du parquet qui

saisit le Tribunal secondaire de grande instance de Kavumu aux fins d’annulation du jugement

rendu par le tribunal coutumier. Après examen de la requête, le tribunal jugea que la

composition de 4 personnes était irrégulière et annula le jugement coutumier. L’on découvrit

même que dans cette composition figuraient 2 personnes qui n’avaient pas la qualité de juge.

Le nombre pair (4 personnes) est considéré comme irrégulier parce qu’il rend impossible la

prise de décision par les juges lorsque l’affaire est prise en délibéré et ce, dans le cas où le

vote effectué aboutissait sur un résultat d’égalité parfaite. Cette éventualité est néanmoins

exclue si le nombre de juges est impair (3 ou 5 juges).

Dans cette affaire, l’irrégularité de la composition du siège est particulière. En effet, la

composition n’est pas entièrement constituée de juges coutumiers. Elle contient en son sein

deux membres qui n’ont pas la qualité de juge, notamment le secrétaire administratif de la

collectivité. S’ajoute donc à l’irrégularité de la composition, la présence au sein de celle-ci de

personnes dépourvues de qualité de juge. Il s’agit là d’une grave illégalité puis qu’aucune

disposition des décrets coordonnés sur les juridictions coutumières ne prévoit qu’une

personne n’ayant pas la qualité de juge puisse faire partie de la composition du siège.

II.5.B. Affaire BAGALWA SHABIHANGO Contre NAMANTU BARHAYIGA

Dans cette affaire, Monsieur BAGALWA avait été condamné par le Tribunal principal de

collectivité de Buhavu. La composition était constituée de 4 personnes ; ce qui est une

composition irrégulière. Monsieur BAGALWA attaqua le jugement en annulation pour

composition irrégulière du siège devant le Tribunal secondaire de grande instance de

Kavumu. Cette juridiction lui donna gain de cause et le jugement rendu par le tribunal

coutumier fut annulé.

L’irrégularité de la composition du siège ne peut que mettre en lumière l’ignorance et/ou la

légèreté dont font montre certains juges coutumiers. En effet, la composition du siège doit être

vérifiée au début du procès (in limine litis).

Il sied de voir à présent la procédure qu’appliquent les juridictions coutumières.

II.6. PROCEDURE DEVANT LES TRIBUNAUX DE DROIT COUTUMIER

Seront examinés les points relatifs aux règles applicables ; à la saisine ; à l’instruction ; à la

révision ; à l’appel ; à l’exécution et à la durée.

II.6.A. Les règles applicables

Il importe de distinguer les règles de fond de celles de forme.

a. Les règles de fond

Les tribunaux coutumiers appliquent les coutumes pour autant qu’elles ne soient pas

contraires à l’ordre public. Toutefois, lorsque les dispositions légales ou réglementaires ont eu

pour but de substituer d’autres règles à la coutume, les tribunaux coutumiers appliquent ces

dispositions39.

L’application des coutumes locales est donc subordonnée à la condition suivant laquelle elles

doivent être conformes à la loi, à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Souvent, les juges

coutumiers ne vérifient pas si cette condition est réunie avant d’appliquer une coutume locale.

Cette inobservance explique en partie les annulations des jugements rendus par les

juridictions coutumières du Sud-Kivu.

b. Les règles de forme

Les règles de procédure sont, en principe, pour les diverses juridictions, des règles

coutumières du ressort. Dans le cas où les coutumes sont contraires à l’ordre public universel

ou aux principes d’humanité ou d’équité comme en cas d’absence de coutume, la procédure

s’inspirera des règles de l’équité40.

A l’instar des règles de fond, celles de forme souffrent du non- respect par les juges

coutumiers. Le non-respect de ces règles entraîne l’annulation des jugements pour vice de

forme. Ainsi, les jugements analysés ci-haut et qui ont été annulés par le tribunal de grande

instance pour composition irrégulière, ont enfreint les règles relatives à la forme.

II.6.B. La saisine

Les décrets coordonnés sur les juridictions coutumières sont silencieux quant à la saisine des

tribunaux coutumiers. Les règles relatives à la saisine dépendent donc des coutumes locales

de chaque ressort. Il se dégage cependant de la pratique générale que les tribunaux sont saisis

sur une plainte (écrite ou verbale) reçue moyennant consignation d’une certaine somme

d’argent. Ainsi, au Tribunal de cité d’Uvira, le plaignant versait une somme équivalant en

39 Décrets coordonnés sur les juridictions coutumières, article 18.40 Idem, article 25.

francs congolais de 2 $US ; mais en même temps, le défendeur ou prévenu devait également

s’acquitter d’une somme équivalant en francs congolais de 1$US41.

II.6.C. L’instruction

Quelle que soit la coutume, aucun jugement n’est rendu sans que les parties elles-mêmes ou

leurs mandataires n’aient été, au préalable, mises à même de contredire les allégations et les

preuves de la partie adverse, de préparer et de faire valoir leurs moyens en toute liberté42.

Il s’agit, ici, de la consécration du principe du contradictoire en matière coutumière. Dans les

faits, ce principe est respecté par les juges coutumiers du Sud-Kivu. A ce propos, un ancien

juge coutumier s’est exprimé en ces termes : « jamais le tribunal de cité n’a rendu un

jugement sans avoir entendu les parties ».43

Pendant l’instruction devant les tribunaux coutumiers, la comparution personnelle est établie

en règle puisque « le défendeur ou le prévenu qui ne comparait pas personnellement, peut être

l’objet d’un mandat d’amener délivré sur l’ordre du tribunal par un des juges ou par le greffier

du tribunal »44. Il faut cependant noter que cette règle ne concerne que la partie accusée.

Certes, la conception coutumière de l’instruction est susceptible d’assurer le mieux la paix

sociale puisque les parties au procès peuvent arriver à se réconcilier. Néanmoins, cette

conception peut générer un certain sentiment d’impunité chez la personne qui s’est rendue

coupable d’actes répréhensibles par la société. Sachant, en effet, que les efforts des juges

seront concentrés sur la recherche du compromis, cette personne peut développer un tel

sentiment. Dans ce cas, le risque de récidive s’accroît et ce, au détriment de la société dont

pourtant la recherche de l’harmonie s’impose comme une obsession des juges coutumiers. Par

ailleurs, la dissuasion des délinquants potentiels se trouve amoindrie, en cas de compromis en

raison du faible effet intimidant attaché à la peine.

41 Interview avec Monsieur BISANDE KYUBATI, Ancien Vice-Président du Tribunal de cité d’Uvira, le

27 décembre 2008.42 Décrets coordonnés sur les juridictions coutumières, article 26.43 Interview avec Monsieur BISANDE KYUBATI, Ancien Vice-Président du Tribunal de cité d’Uvira, le

28 décembre 2008.44 Décrets coordonnés sur les juridictions coutumières, article 27.

II.6.D. La révision

La révision est un pouvoir reconnu à un tribunal coutumier de degré supérieur de modifier

tout ou partie du dispositif d’un jugement rendu par un tribunal inférieur.

Le pouvoir de révision ne peut s’exercer que si, au jour où la révision est demandée ou

décidée d’office, il n’est pas écoulé plus de trois mois depuis la date du jugement à réviser45.

Dans tous les cas, la révision ne pourra être effectuée que si les parties ont été entendues

contradictoirement ou appelées en temps utile par le tribunal de révision. Si l’une d’elles ne

comparait pas, elle pourra être l’objet du mandat d’amener, quel que soit son rôle dans

l’instance qui a donné lieu au jugement à réviser46.

Dans la procédure en révision, la comparution personnelle s’impose aussi bien au défendeur

ou prévenu qu’au demandeur. En réalité, le délai légal de plus de trois mois n’est pas respecté

par beaucoup de juges coutumiers du Sud-Kivu. Cela est dû notamment à l’ignorance par ces

derniers de la législation écrite.

II.6.E. L’appel47

Le tribunal de grande instance (juridiction de droit écrit) connaît en degré d’appel, des

jugements rendus en premier ressort par le tribunal de territoire et le tribunal de ville. La

faculté d’interjeter appel appartient :

1. Dans les affaires où une sanction pénale a été prononcée :

· aux parties prévenues

· à la personne civilement ou coutumièrement responsable ;

· à la partie lésée quant à ses intérêts civils seulement ;

· au Ministère public.

2. Dans les autres affaires, aux parties ou, à leur défaut, à leurs ayants droit.

Dans les milieux ruraux, seuls les jugements rendus par les tribunaux de territoire sont

susceptibles d’appel devant le tribunal de droit écrit, en l’occurrence le tribunal de grande

instance. Quant aux jugements rendus par les autres juridictions implantées dans ces milieux,

ils ne sont susceptibles que de révision devant les juridictions de même nature, mais de degré

45 Ibidem, article 27.46 Ibidem, article 33.47 Idem, article 36.

supérieur. Le Ministère public ou les parties doivent, sous peine de déchéance, interjeter appel

dans les trois mois du prononcé du jugement, par déclaration faite au greffier du tribunal qui a

rendu le jugement ou au greffier du tribunal de grande instance qui doit connaître de l’appel.

Dans la pratique, même si les parties n’ont pas respecté le délai légal d’appel, les greffiers

avides d’argent reçoivent les déclarations d’appel et procèdent eux-mêmes à la modification

de la date de manière à la faire correspondre au délai légal. Ils perçoivent, pour cela, de la

corruption de la part de la partie intéressée.

II.6.F. L’exécution

Les jugements des tribunaux coutumiers sont exécutoires dès le jour où ils ont été rendus ou,

s’ils l’ont été par défaut, dès le jour de leur signification, à moins que l’exécution n’en soit

suspendue. L’Administrateur du territoire ou son délégué, selon le cas, participe, autant que

de besoin, à leur exécution48. L’accès à la justice n’a de sens qu’au regard du jugement

obtenu, mais ce jugement n’a d’existence concrète qu’une fois exécutée. Les voies

d’exécution sont donc des objets naturels des droits fondamentaux en elles-mêmes parce

qu’elles sont la concrétisation ultime des droits49.

Dans la pratique, les jugements ne sont exécutés qu’après avoir accordé un délai, qui varie

d’un tribunal à un autre, à la partie succombante pour lui permettre de s’acquitter des intérêts

civils, de l’amende et des frais de justice.

Ainsi, le jugement rendu par le Tribunal de cité d’Uvira n’était exécuté qu’après l’expiration

d’un délai de 7 jours accordé à la partie succombante50.

Les décrets coordonnés sur les juridictions coutumières prévoient la contrainte par corps

comme moyen d’exécution de la condamnation par la partie succombante. Ils disposent, en

effet, que « celui qui refuse d’exécuter la condamnation ou qui n’obtempère pas à une

injonction ou une défense prononcée par le tribunal coutumier peut, si la coutume ne prévoit

48 Décrets coordonnés sur les juridictions coutumières, article 37.49 E. PETTITI et alii, La convention européenne des droits de l’homme, 2ème éd., Economica, Paris,

1999.50 Interview avec Monsieur BISANDE KYUBATI, Ancien Vice-Président du Tribunal de cité d’Uvira, le

28 décembre 2008.

pas l’application des peines, être frappé d’une contrainte par corps pour une durée maximum

de 30 jours »51.

En réalité, la contrainte par corps est peu utilisée par les tribunaux coutumiers. Ils accordent

une place de choix à la négociation avec la partie succombante pour l’amener à s’exécuter

sans être d’abord incarcérée. Les juges coutumiers n’y procèdent qu’après avoir constaté

l’échec de cette démarche.

II.6.G. La durée de la procédure

Les décrets coordonnés sur les juridictions coutumières ne fixent pas le délai endéans lequel

la procédure doit se dérouler. En cette matière, il est à présumer que le délai dépend des

coutumes locales. Mais dans l’ensemble, il y a célérité dans la procédure. Cette célérité

constitue l’une des raisons qui expliquent le succès des tribunaux coutumiers parmi les

justiciables. La procédure peut y prendre 1 à 2 semaines.

Pour prévenir les abus, les activités des tribunaux coutumiers sont soumises au contrôle.

II.7. CONTROLE DES TRIBUNAUX DE DROIT COUTUMIER

Le Ministère public surveille la composition et l’action de tous les tribunaux coutumiers de

son ressort. Il leur donne des directives pour une bonne administration de la justice. Ces

directives sont données aux tribunaux autres que le tribunal de territoire et le tribunal de ville

par l’intermédiaire, selon le cas, de l’Administrateur du territoire ou du Maire de la ville. Le

Ministère public a le droit d’obtenir, au siège même du tribunal, communication des registres

et autres documents du tribunal. Il peut demander copie conforme de tout jugement52. Les

jugements rendus par les tribunaux coutumiers sont, à la requête du Ministère public,

susceptibles d’annulation par le tribunal de grande instance53.

Dans la pratique, le contrôle du Ministère public est très rarement exercé. Il s’écoule des

années sans que celui-ci ne se déplace pour effectuer le contrôle. Dans cette matière, l’inertie

du Ministère public est quasi- totale. Et lorsque ce dernier rompt son immobilisme, ce n’est

pas pour s’assurer d’une bonne administration de la justice coutumière, mais pour demander

de l’argent aux juges coutumiers. Cette situation est dénoncée en ces termes par un ancien

51 Décrets coordonnés sur les juridictions coutumières, article 24.52 Idem, article 10.53 Idem, article 35.

juge coutumier : « le contrôle qui s’effectuait ne concernait pas la manière dont la justice était

rendue. Les officiers du ministère public se bornaient à demander de l’argent. Le contrôle n’a

jamais porté sur le fond. Dans ce cas, on ne peut pas parler de contrôle puis qu’aucune

directive, aucune remarque n’était fournie »54.

54 Interview avec Monsieur BISANDE KYUBATI, Ancien Vice-Président du Tribunal de cité d’Uvira, le

28 décembre 2008.

III. QUELQUES PISTES DE SOLUTION POUR AMELIORER LE DROIT AUJUGE DANS LES MILIEUX RURAUX DU SUD-KIVU

Face aux difficultés relatives au droit d’accès au juge dans les milieux ruraux du Sud-Kivu,

les voies de solution ci-après peuvent être envisagées :

· Installer les tribunaux de droit écrit ;

· Etablir une corrélation entre les frais de justice et le niveau de vie des populations

rurales ;

· Lutter contre la pauvreté ;

· Eduquer aux droits les populations rurales ;

· Eradiquer la corruption.

III.1. INSTALLER LES TRIBUNAUX DE DROIT ECRIT

Comme annoncé plus haut, les tribunaux de droit écrit font cruellement défaut dans les

milieux ruraux du Sud-Kivu. A ce jour, ces milieux, qui regroupent huit territoires, ne

comptent que trois tribunaux de paix ainsi qu’un seul tribunal grande instance comportant

trois sièges secondaires.

Au regard des limites55 que révèlent les tribunaux coutumiers, qui sont par ailleurs largement

implantés dans ces milieux, il est urgent que les tribunaux de droit écrit y soient installés.

Ainsi, l’Etat congolais implanterait au moins un tribunal de paix dans chaque territoire. Ce

tribunal connaîtrait des litiges au premier degré. Par ailleurs, il doterait chaque territoire d’un

tribunal de grande instance, ou à tout le moins d’un siège secondaire de celui-ci. Le tribunal

de grande instance examinerait des recours formés contre les jugements rendus par le tribunal

de paix.

55 Les tribunaux coutumiers agissent parfois en violation de la législation écrite et des droits

fondamentaux de la personne humaine. A cet égard, ces tribunaux dénient notamment à la

femme le droit à l’héritage pourtant consacré par le code de la famille. Par ailleurs, l’égalité

entre l’homme et la femme ainsi que la non-discrimination de celle-ci, sont totalement

méconnues par lesdits tribunaux alors que la RDC est partie à la convention des Nations Unies sur

l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme.

III.2. ETABLIR UNE CORRELATION ENTRE LES FRAIS DE JUSTICE ET LE

NIVEAU DE VIE DES POPULATIONS RURALES

L’on sait que les populations rurales du Sud-Kivu sont très pauvres dans leur grande majorité.

Les frais de justice prévus par la loi ne sont pas à la portée de l’immense majorité. La

conséquence logique de cette inadéquation est que les populations rurales renoncent à

soumettre leurs litiges aux tribunaux de droit écrit, et se rabattent soit sur les tribunaux

coutumiers, soit sur des juges privés (arbitres, hommes d’église, chefs locaux, etc.).

Au vu de ce qui précède, l’établissement d’une corrélation entre frais de justice et revenus des

populations rurales amènerait ces dernières à soumettre leurs différends aux tribunaux de droit

écrit. Le revenu mensuel moyen étant de plus ou moins 28 Dollars américains dans les

milieux ruraux du Sud-Kivu, l’Etat congolais y fixerait l’ensemble des frais de procédure à 10

Dollars américains. Dès lors, l’accès à la justice ne serait plus perçu comme un luxe réservé à

une infime portion de la population.

III.3. LUTTER CONTRE LA PAUVRETE

Les investissements économiques sont quasiment inexistants dans les milieux ruraux du Sud-

Kivu. Il n’y a donc presque pas d’emplois, et le chômage est très élevé. Beaucoup de

justiciables ne peuvent pas accéder à la justice à cause de la pauvreté, car la procédure est

coûteuse sur le plan financier.

L’Etat congolais devrait non seulement créer des conditions propices aux investissements

dans ces milieux, mais il devrait également y orienter les investisseurs en fonction notamment

des ressources que chacun d’eux regorge. Cette intervention réduirait le chômage et, par voie

de conséquence, la pauvreté. Elle accroîtrait les revenus ; ce qui permettrait aux justiciables

de faire valoir leurs droits devant les juges sans éprouver la crainte de ne pas être à même de

supporter le coût financier de la procédure.

III.4. EDUQUER AUX DROITS LES POPULATIONS RURALES

L’immense majorité des populations rurales ignore les droits consacrés par les normes

nationales et internationales ratifiées par la République Démocratique du Congo. A cet effet,

elle ignore que le droit au juge est un droit fondamental prévu par la Constitution congolaise

et les conventions internationales auxquelles leur pays est partie. Parmi les causes de cette

ignorance, on peut relever l’analphabétisme, le faible niveau d’instruction ainsi que la faible

diffusion de l’information sur les droits individuels et collectifs dans les milieux ruraux du

Sud-Kivu.

Il est, dès lors, absolument indispensable que l’Etat et la Province s’impliquent activement

dans la lutte contre l’analphabétisme et la promotion de l’enseignement dans ces milieux. En

outre, la vulgarisation de l’information sur les droits, par divers moyens (télévision, radio,

affiches, etc.), devrait être intensifiée. Cette information devrait être traduite en langues

locales en vue d’une plus grande efficacité.

Les Organisations Non Gouvernementales œuvrant dans le domaine des droits de l’homme

ainsi que les Organisations paysannes devraient également contribuer à l’éducation aux droits

au profit des populations rurales.

Cette activité menée en synergie (Etat, ONG, Organisations paysannes) permettrait de faire

prendre conscience aux populations rurales de leurs droits et de la nécessité de faire valoir

ceux-ci devant les tribunaux lorsqu’elles s’estiment lésées.

III.5. ERADIQUER LA CORRUPTION

La corruption est un fléau qui rend difficile l’accès aux tribunaux dans les milieux ruraux du

Sud-Kivu. Certes, il existe des frais déterminés par la loi pour tout acte de procédure.

Cependant, même en cas de paiement de ces frais, les actes de procédure ne peuvent être

accomplis par les agents judiciaires sans avoir préalablement versé de la corruption. Cette

pratique a discrédité l’institution judiciaire auprès des justiciables.

Il s’avère impérieux que la corruption soit combattue et éradiquée. Ceci permettrait, à tout le

moins aux justiciables à même de s’acquitter des frais légaux, de porter leurs litiges devant les

juges sans crainte d’être rançonnés à chaque acte sollicité.

CONCLUSION

Cette étude, qui a porté sur le droit au juge dans les milieux ruraux du Sud-Kivu, arrive à son

terme. Elle dresse un constat alarmant quant à la mise en œuvre de ce droit fondamental

qu’est le droit au juge dans les milieux sus évoqués. En effet, nonobstant sa consécration

constitutionnelle, ce droit se heurte à de nombreux obstacles. Les rares efforts qui ont été

fournis par l’Etat congolais en vue de mettre en œuvre ledit droit, ont consisté dans la création

de trois tribunaux de paix ainsi que d’un tribunal principal de grande instance comprenant

trois sièges secondaires.

Remarquons que tous ces tribunaux de droit écrit sont établis dans cinq territoires (Uvira,

Kabare, Shabunda, Mwenga et Kalehe), pour une province qui en compte huit. Notons, par

ailleurs, que parmi ces territoires dotés de tribunaux de droit écrit, seuls trois (Uvira, Mwenga

et Kalehe) disposent d’un tribunal de paix. Les deux autres (Shabunda et Kabare) se

contentent chacun d’un siège secondaire du tribunal de grande instance.

Concernant les trois territoires restants (Fizi, Idjwi et Walungu), ceux-ci ne sont pourvus ni en

tribunal de paix, ni en tribunal de grande instance. Pour faire valoir leurs droits, les

populations vivant dans ces territoires sont obligées d’effectuer de longues distances à la fois

coûteuses et périlleuses.

Nous avons, en outre, constaté l’absence de corrélation entre les frais de procédure et de

justice et les revenus des populations rurales. Cette situation fait que ces dernières considèrent

l’accès à la justice de droit écrit comme un luxe. A cet égard, elles craignent le coût du procès

et ce, au grand préjudice de leurs droits.

Face à ces difficultés auxquelles se trouve confronté le droit au juge dans les milieux ruraux

du Sud-Kivu, nous nous sommes posé la question de savoir ce qui doit être fait pour améliorer

ledit droit dans les milieux concernés. Nous avons estimé que l’implantation des tribunaux de

droit écrit dans tous les milieux ruraux du Sud-Kivu favoriserait une plus grande accessibilité

à la justice. Ainsi, chaque territoire disposerait au moins d’un tribunal de paix et d’un tribunal

de grande instance. Cela permettrait aux justiciables non satisfaits de décisions rendues au

premier degré, de faire réexaminer celles-ci par une juridiction supérieure sans être amenés à

effectuer un déplacement sur Bukavu. Par ailleurs, nous avons préconisé que soit instaurée

une corrélation entre les frais de justice et les revenus des populations rurales. Cette voie de

solution encouragerait ces populations à agir en justice. Cette corrélation changerait, en outre,

la conception selon laquelle la justice n’est accessible que par un petit nombre.

Concernant le dualisme juridictionnel qui prévaut dans les milieux ruraux du Sud-Kivu, nos

recherches ont démontré qu’il n’est pas aisé, conformément à la volonté du législateur, de le

résoudre en supprimant les tribunaux coutumiers dès l’installation des tribunaux de paix qui

sont des juridictions de droit écrit. En effet, dans les trois territoires où sont implantés les

tribunaux de paix (Uvira, Mwenga et Kalehe), les chefs coutumiers ont résisté à la disparition

des juridictions coutumières. Celles-ci continuent à fonctionner illégalement. De même, les

populations rurales préfèrent, de manière globale, le maintien de ces juridictions.

Notre vœu est que les recherches futures puissent permettre de déterminer les préalables à

cette suppression voulue par le législateur. Cela permettrait d’éviter les effets néfastes qui

découleraient d’une suppression brutale. Rappelons, en effet, que dans les trois territoires qui

sont dotés de tribunaux de droit écrit, les tribunaux de droit coutumier sont toujours

opérationnels. Ces recherches pourront, en outre, définir des stratégies à mettre en œuvre, en

vue de persuader les populations rurales du Sud-Kivu du bien-fondé de la suppression des

tribunaux de droit coutumier au profit de ceux de droit écrit.

En définitive, nous exhortons tous les acteurs intervenant dans le domaine judiciaire (Etat,

ONG des droits de l’homme, avocats, magistrats, etc.), chacun en ce qui le concerne, à

contribuer à l’amélioration du droit au juge dans ces milieux du Sud-Kivu. L’Etat de droit

auquel aspire tout justiciable est à ce prix.

DOCUMENTS CONSULTES

1. TEXTES JURIDIQUES

A. Textes internationaux

1. Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948

2. Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966

3. Charte africaine des droits de l’homme et des peuples d’octobre 1986

4. Convention de Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination

à l’égard de la femme du 18 septembre 1979

B. Textes nationaux

1. Constitution du 18 février 2006

2. Ordonnance-loi 88-056 du 29 septembre portant statut des Magistrats

3. Loi 87-010 du 1 Août 1987 portant Code de la famille

4. Ordonnance-loi 82-020 du 31 mars 1982 portant Code d’organisation et compétence

judicaires

5. Ordonnance d’organisation judiciaire du 21 mai 1983 portant organisation du Conseil

Supérieur de la Magistrature

6. Déchet du 7 mars 1960 portant Code de procédure civile

7. Décrets coordonnés sur les juridictions coutumières à partir du 15 Avril 1926 au 16

septembre 1959.

2. OUVRAGES

1. CABRILLAC, R. et alii, Théorie des libertés et droits fondamentaux, Dalloz, Paris,

1999

2. DAVID, R. et alii, Les grands systèmes de droit contemporains, Dalloz, Paris, 1982

3. GUINCHARD, S. et BANDRAC, M., Droit processuel, droit commun et droit

comparé du procès, 3ème éd., Dalloz, Paris, 2005

4. PETTITI, E. et alii, La convention européenne des droits de l’homme, 2ème éd,

Economica, Paris, 1999

5. RUBBENS, A., Le droit judicaire congolais : le pouvoir, l’organisation et la

compétence judiciaires, Larcier, Bruxelles, 1970

3. AUTRES REFERENCES

1. MATABARO N. et NALUNJA B., Formation du revenu paysan dans le système

agricole au Sud-Kivu. Problèmes et perspectives, Mémoire, Faculté des Sciences

Economiques et Gestion, U. C. B., 1995-1996.

2. MUNYERENKANA C., Déterminants de la demande de l’éducation en milieu rural.

Cas de l’alphabétisation des adultes dans le territoire de Walungu, Mémoire, Faculté

des Sciences Economiques et Gestion, U. C. B., 2005-2006.