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Revue de droit international et de droit comparé, 2014, n° 3 Doctrine LE DROIT PROCESSUEL DES CONSOMMATEURS Vincenzo ZENO-ZENCOVICH & Maria Cecilia PAGLIETTI ( * ) RÉSUMÉ Le présent essai présente la thèse selon laquelle les deux principales caractéristiques du droit du consommateur (asymétrie des pouvoirs et spécificité des normes du secteur) touchent à la fois le droit substantiel et le droit procédural. Sous cette optique, l’objectif de cette analyse est de vérifier si et de quelle manière s’est opérée, dans le droit du consom- mateur, une transition du « contrat des consommateurs » vers la « pro- cédure des consommateurs ». L’analyse se concentrera donc sur le droit substantiel (en tentant de fournir une présentation structurée des nombreuses normes proces- suelles éparses) ; l’approche systémique portera sur le rapport entre la résolution alternative et la résolution judiciaire des litiges, ainsi que sur les règles procédurales spécifiques et « protectrices », qui ont en grande partie été élaborées par la jurisprudence ; d’un point de vue politique et de l’activité normative, l’analyse portera sur les perspectives d’intro- duction des actions collectives. (*) Ce travail est le fruit d’une réexion commune autour d’un projet de recherche engagé depuis quelques années. Dans le texte, l’introduction est de Vincenzo Zeno- Zencovich, et le reste de Maria Cecilia Paglietti.

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Revue de droit international et de droit comparé, 2014, n° 3

Doctrine

LE DROIT PROCESSUEL DES CONSOMMATEURS

Vincenzo ZENO- ZENCOVICH &

Maria Cecilia PAGLIETTI(*)

RÉSUMÉ

Le présent essai présente la thèse selon laquelle les deux principales caractéristiques du droit du consommateur (asymétrie des pouvoirs et spécificité des normes du secteur) touchent à la fois le droit substantiel et le droit procédural. Sous cette optique, l’objectif de cette analyse est de vérifier si et de quelle manière s’est opérée, dans le droit du consom-mateur, une transition du « contrat des consommateurs » vers la « pro-cédure des consommateurs ».

L’analyse se concentrera donc sur le droit substantiel (en tentant de fournir une présentation structurée des nombreuses normes proces-suelles éparses) ; l’approche systémique portera sur le rapport entre la résolution alternative et la résolution judiciaire des litiges, ainsi que sur les règles procédurales spécifiques et « protectrices », qui ont en grande partie été élaborées par la jurisprudence ; d’un point de vue politique et de l’activité normative, l’analyse portera sur les perspectives d’intro-duction des actions collectives.

(*) Ce travail est le fruit d’une réfl exion commune autour d’un projet de recherche engagé depuis quelques années. Dans le texte, l’introduction est de Vincenzo Zeno- Zencovich, et le reste de Maria Cecilia Paglietti.

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ABSTRACT

This paper assumes that the two basic features of consumer law (asym-metry of power and prevalence of sector- specific rules) now regard not only substantive, but also procedural law. Its aim is then to assess whether, and how, consumer law made a transition from “contracts with consumers” to “procedural law of consumers”.

The analysis will then focus on substantive law (in an attempt to map the many somehow random enacted rules); from a systematic point on view, it considers the relationship between alternative and judicial dispute resolution, as well as the specificity of “protective” procedural rules and case law; and from a policy and regulatory stan-dpoint, it concludes on the prospects of the introduction of a collective redress.

INTRODUCTION :DU PROCÈS AUX PROCÉDURES.

DES BESOINS DE JUSTICE AU SERVICE DE RÉSOLUTION DES LITIGES

Les « contrats stipulés avec les consommateurs » ont commencé à prendre forme il y a vingt ans, avec l’apparition des premières direc-tives règlementant les rapports entre les entreprises et les consomma-teurs. Ces conventions constituent désormais une catégorie autonome du droit privé, dont la typologie, la structure et le contenu diffèrent largement de ceux des contrats traditionnels, quel que soit l’ordre juridique — de civil law ou de commom law — qui leur est appli-cable(1).

Les directives communautaires imposent un important dirigisme contractuel. En effet, elles poursuivent clairement une fonction équili-brante : leurs dispositions dictent le contenu du contrat, les droits et les facultés des parties et les remèdes utilisables(2). Elles réduisent ainsi la liberté contractuelle dont disposent les parties.

(1) Voy. J. CALAIS- AULOY, « L’infl uence du droit de la consommation sur le droit civil des contrats », Rev. trim. dr. civ., 1994, p. 239 ; et, si l’on veut, V. ZENO- ZENCOVICH, « Il diritto europeo dei contratti (verso la distinzione fra “contratti commerciali” e “contratti dei consumatori”) », Giur. it., 1993, IV, p. 57.

(2) AA.VV., « The Impact of European Integration on Private Law : the Case of the Directive on Unfair Terms », 13 E.R.P.L., 2005, p. 173.

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Quinze ans après, l’on s’est rendu compte que ce processus d’autono-misation des rapports avec les consommateurs(3) touchait non seulement le droit substantiel, mais également le régime des remèdes. Le passage de la notion de « contrats stipulés avec les consommateurs » à celle du « droit processuel des consommateurs » pose aussi certains problèmes(4). En effet, l’adjectif « processuel » n’est que partiellement approprié, dans la mesure où la plupart des remèdes dont disposent les consommateurs ne reposent pas nécessairement sur une procédure formalisée devant un organe juridictionnel. Ces remèdes se basent davantage sur des procé-dures simplifiées, qui représentent une alternative à la voie judiciaire, voire une véritable fuite du procès(5).

Par ailleurs, le procès relatif aux contrats de consommation diffère de l’instance traditionnelle. Tout d’abord, l’on assiste à une fragmentation des sièges et des procédures, mais également à une hétérogénéité des juridictions pour les pays dans lesquels la distinction entre juridiction ordinaire et juridiction administrative est importante. Ensuite, les normes substantielles attribuent désormais au juge une mission de rééquilibrage, rompant ainsi avec la traditionnelle égalité, symétrie des armes et impar-

(3) N. SAUPHANOR, L’infl uence du droit de la consommation sur le système juridique, Paris, L.G.D.J., 2000 ; P. LAGARDE, « Heurs et malheurs de la protection internationale du consommateur dans l’Union européenne », in Le contrat au début du XXIe siècle, Études offertes à J. Ghestin, Paris, L.G.D.J., 2001, p. 511 ; N. RZEPECKI, Droit de la consomma-tion et théorie générale du contrat, Paris, Puam, 2002, p. 571 ; J. ROCHFELD, « The place of the Consumer Code in French Contract Law », in S. GRUNDMANN, M. SCHAUER, The Architecture of European Codes and Contract Law. Comparative considération on exis-ting national consumer code, Alphen, Rijn, Sijthoff et Noordhoff, Kluwer, 2006, p. 193 ; V. ZENO- ZENCOVICH, A.- M. MANCALEONI, « Una parte generale per i contratti con i consu-matori ? », in F. MACARIO, M. MILETTI, Tradizione civilistica e complessità del sistema, Milano, Giuffrè, 2006, p. 581.

(4) La question est désormais d’actualité. Sur le sillon d’une solide tradition défendant les droits du consommateur, la doctrine française est celle qui a le plus pris conscience du problème : voy. le parcours intellectuel « les Journées canadiennes de Montréal, Québec et Sherbrooke de 1973 », de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, consacrées à La protection des consommateurs (dont les actes ont été publiés par Dalloz, Paris, 1975) suivies, 30 ans après, par les « Journées colombiennes » sur le thème Le consommateur et le procès, qui se sont déroulées à Bogota et à Cartaghena, en 2007 ; voy. également V. CHRISTIANOS, « Les Codes de procédure civile français et hellénique face à l’accès du consommateur à la justice », R.I.D.C., 1988, p. 403.

(5) Le concept de fugue du procès est acquis dans le débat des théoriciens du droit pro-cessuel, et désigne la tendance, à l’échelle mondiale, à recourir à des méthodes alternatives, non seulement pour des nécessités de défl ation, mais également pour l’état général de crise du procès juridictionnel et la perception différente de ce dernier, acquise par le biais de théories postmodernes.

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tialité absolue du juge. Ce dernier n’avait effectivement généralement pas le pouvoir de relever d’office des moyens de droit. L’intervention d’un tiers dans le rapport contractuel est en effet considéré nécessaire, en raison de la position d’infériorité dans laquelle se trouve le consomma-teur, notamment parce qu’il peut ignorer ses droits ou renoncer à les faire valoir en raison des frais qu’implique une action judiciaire(6).

Le passage aux procédures simplifiées n’est pas non plus dépourvu de conséquences, puisque l’on assiste à un divorce progressif — qui n’est toutefois pas encore total — entre les consommateurs et le procès.

Il est désormais raisonnablement possible d’affirmer que, dans le cadre des « contrats passés avec des consommateurs », les règles des-tinées à protéger la partie la plus faible — donc, en principe, une seule partie — sont différentes de celles qui s’appliqueraient normalement aux contrats conclus entre entreprises ou entre particuliers n’ayant pas la qualité de consommateur.

La règlementation asymétrique du « procès des consommateurs » donne lieu non seulement à une augmentation importante des procès qui ne sont pas soumis aux règles ordinaires, mais surtout au renforcement du statut métajuridique du consommateur, qui se trouve dans une situa-tion privilégiée.

Ainsi, lorsque nous parlons de « droit processuel des consommateurs » ou, peut- être de façon plus appropriée, de « protection procédurale des consommateurs », nous disposons de trois clefs de lecture différentes, inévitablement liées entre elles.

a) La nature des règles et leur spécificité. Les règles de protection sont appréhendées, lors de leur élaboration, sur la base de leur fondement normatif : le droit de l’Union européenne, leur transposition dans le droit national, les commentaires jurisprudentiels, désormais abondants.

b) La connexion entre le droit substantiel et le droit procédural. La protection des consommateurs dépend simultanément des formes et

(6) C.J.C.E., 21 nov. 2002, Cofi dis, C- 473/00 (J.C.P., éd. E, 2003, p. 279, obs. I. FADLALLALH, C. BAUDE- TEXIDOR ; D., 2003, p. 487, obs. C. NOURISSAT ; J.C.P., éd. G, 2003, II, p. 10082, obs. J. PAISANT ; Rev. trim. dr. com., 2003, p. 410, obs. M. LUBY), § 34 ; C.J.C.E., 26 oct. 2006, Mostaza Claro, C- 168/05 (Rev. trim. dr. civ., 2007, p. 113, note J. MESTRE, B. FAGES ; en littérature, L. RASCHEL, Pouvoir de relever d’offi ce la vio-lation des dispositions du Code de la Consommation, Proc., 2009, p. 84 ; voy. également le commentaire rédactionnel in 45 C.M.L.R., 2008, p. 545 ; H. SCHEBESTA, « Does the National Court Know European Law ? A Note on Ex Offi cio Application after Asturcom », 4 E.R.P.L., 2010, p. 847), § 29 ; C.J.C.E., 4 juin 2009, Pannon, C- 243/08 (D., 2009, p. 2312, obs. Gh. POISSONNIER ; R.C., 2009, p. 1467, obs. C. AUBERT DE VINCELLES), § 30.

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des procédures employées : les deux aspects sont construits ensemble et interagissent dès la genèse normative. Une grande partie des règles procédurales est, en effet, prévue par les directives et les règlements qui régissent le rapport substantiel. Ces règles doivent donc inévitable-ment faire l’objet d’une lecture fonctionnelle et unitaire : réunies toutes ensemble, elles constituent un complexe — qui n’est d’ailleurs pas com-plètement homogène, mais plutôt varié — qui amène le théoricien du droit à se réorienter vers sa vocation originelle : la recherche de l’ordre(7). Par ailleurs, le domaine des remèdes évolue et s’enrichit. À ce titre, on peut observer une évolution du droit : on passe du droit d’obtenir une protection juridictionnelle à celui de bénéficier du remède adéquat(8). Ce changement de paradigme implique, d’un côté, le redimensionnement de la séparation traditionnelle entre le droit substantiel et le droit proces-suel (substance et procédure)(9) et, d’un autre côté, le dépassement de la logique du cas d’espèce et du binôme « droit subjectif plus action » pour obtenir la protection des droits.

c) Les procédures de remède dans les sociétés complexes. L’étude de la protection procédurale des consommateurs implique une lecture plus large du système, qui va au- delà de la particularité du rapport de consommation.

i. Apparue il y a plus de trente ans comme un dérivé de la diplo-matie internationale(10), l’Alternative Dispute Resolution (ADR)

(7) Voy. Dir. 2009/22/CE ; art. 6 et 7 Dir. 93/13/CEE (remplacés par les art. 25(2) et 23(1) (2) Dir. 2011/83/UE) ; art. 11(2) Dir. 97/7/CE (remplacé par l’art. 23(1) (29) Dir. 2011/83/UE ; art. 13 Dir. 2002/65/CE ; art. 18 Dir. 2000/31/CEE ; art. 11 et 12 Dir. 2005/29/CE ; art. 5 et 7 Dir. 2006/114/CE. En dehors de la législation protégeant les inté-rêts du consommateur, des règles processuelles sont également contenues dans l’art. 5 Dir. 2000/35/CE ; art. 52(2) Dir. 2004/39/CE ; Dir. 2004/48/CE. Voy. également, même s’il est encore en phase d’élaboration, le Livre vert sur les recours collectifs pour les consomma-teurs, COM (2008) 794 ; Livre blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infrac-tion aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM (2008) 165.

(8) W. VAN GERVEN, « Of Rights and Remedies in the Enforcement of European Community Law before National Courts », in J. STUYCK, H. GILLIAMS, Modernisation of European Competition Law, Oxford, New York, Antwerp, 2002, p. 193 ; M.- E. STORME, « Harmonisation of Civil Procedure and the Interaction with Substantive Private Law », in X.- E. KRAMER, C.- H. VAN RHEE, Civil Litigation in a Globalising World, Berlin- Heidelberg, Springer, 2012, p. 141.

(9) A. BLOMEYER, « Types of Relief Available (Judicial Remedies) », Intern. Enc. Comp. Law, vol. 16, cap. IV, M. Cappelletti, Tubingen, J.C.B. Mohr, 1982, p. 4.

(10) Pour la présentation classique théorico- divulgatrice, R. FISHER, W.- L. URY, Getting To a Yes, New York, Penguin Books, 1981.

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constitue désormais un système autonome, reposant sur le prin-cipe de conciliation et d’efficience économique. L’ADR relevant du droit de la consommation est le phénomène le plus répandu. Avant de se pencher sur les nombreux aspects techniques, il est nécessaire de fixer les notions de base, c’est- à- dire, d’un point de vue éthique, la « demande de justice » et, d’un point de vue constitutionnel, le « droit d’ester en justice »(11).

ii. Cependant, l’ADR ne constitue qu’une partie d’un énorme sys-tème, plus général, ayant vocation de conciliation et de résolution, dans la mesure où il est alternatif et non pas exclusif — puisqu’il n’exclut pas la possibilité de recourir à la juridiction ordinaire. L’interaction constante entre les différents niveaux de résolution des conflits appuie d’ailleurs ce point de vue.

iii. Un défi est ainsi lancé aux juristes civilistes : celui d’englober dans leur approche systémique ce qui, il y a peu de temps de cela, sem-blait encore marginal, et même excentrique. Les ADR remettent non seulement en question des concepts traditionnels du procès — le contradictoire, l’impartialité, l’effectivité, la célérité —, mais elles se basent aussi sur des modèles simplifiés qui évoluent dans la même direction que la juridiction ordinaire. La multiplication — ou mieux, la différenciation — des « rites » de l’ADR répond à des circonstances contingentes ; elle est également le fruit de la composition des instances des différents groupes de pression (entreprises, consommateurs, travailleurs), qui répondent à des besoins principalement politiques et, partant, non systématiques(12).

iv. Indépendantes de toute vision d’ensemble, les ADR, qui répondent à un besoin de simplification, font l’objet d’un important phéno-mène d’expansion imitative.

v. L’instrumentalité et l’adaptabilité des procédures portent à consi-dérer que les ADR constituent partie intégrante de l’offre du bien ou du service, au même titre que le prix, les conditions et les garan-ties. Le service d’assistance après- vente, le bureau des réclamations constituent l’un des différents facteurs compris dans la structure des coûts. La protection procédurale du consommateur constitue un service « de consommation » et, en tant que tel, il est standardisé selon les formes et prédéterminé dans les coûts.

(11) V. infra, § 3.(12) E. CAMOUS, Règlements non juridictionnels des litiges de la consommation, Paris,

L.G.D.J., 2002.

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SECTION I. — LIGNES DE TENDANCE DU PROCÈS DU CONSOMMATEUR : ASYMÉTRIE, CARACTÈRE RÉSIDUEL,

EFFECTIVITÉ CONTRE AUTONOMIE PROCÉDURALE

Un travail scientifique destiné à enquêter sur le rapport entre consom-mateurs et procès peut donc être entrepris selon une méthode compre-nant au moins trois points d’observation :

1) le droit positif : en essayant d’identifier les multiples normes rela-tives à la protection juridictionnelle des droits des consommateurs, qui sont éparpillées dans les différentes règlementations de ce secteur ;

2) l’approche systémique : en élevant le plan de travail de la simple reconnaissance à la tentative d’ordonner systématiquement l’ensemble des normes et leur interprétation par la Cour de justice et, en associant la base législative à la base jurisprudentielle, vérifier qu’émerge bien un droit processuel européen des consommateurs ;

3) la lecture politique : cette dernière comporte deux points de vue. D’un côté, celui de l’encadrement du phénomène dans le contexte de la globalisation juridique ; de l’autre, celui de la gouvernabilité, laquelle est intimement liée au binôme regulation/litigation.

Les considérations qui précèdent découlent de la constatation de l’existence de deux nouveaux concepts, évoqués au début du texte, qui font désormais partie du vocabulaire moderne utilisé par les pra-ticiens et les théoriciens du droit processuel : asymétrie et spécialité. Le premier contient l’idée, désormais acquise, selon laquelle le désé-quilibre structurel entre les parties, qui rend leur rapport asymétrique, ne concerne plus seulement le droit substantiel. En ce sens, il est égale-ment admis que le consommateur soit la partie la plus faible du contrat et non uniquement au procès en tant que tel. Par conséquent, dans ces deux domaines, le déséquilibre est corrigé par le recours à une législa-tion favorable, en fonction de la qualification subjective des contrac-tants/parties(13).

Si l’on dépasse la conception traditionnelle de la nature accessoire des règles procédurales par rapport aux règles de droit substantiel, et si l’on accueille le principe selon lequel « les controverses concernant les consommateurs nécessitent des mécanismes appropriés »(14), la pro-

(13) Avec une attention particulière aux consommateurs, voy. Th. BOURGOIGNIE, G. DELVAUX, F. DOMONT- NAERT et C. PANIER, L’aide juridique au consommateur, Bruxelles, CDC Bruylant, 1981.

(14) Décision n° 1926/2006/CE du Parlement européen et du Conseil.

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tection juridictionnelle différenciée devient une sorte de conséquence logique inévitable de la différenciation de la protection sur le plan subs-tantiel.

Le second concept utilisé comme critère de classification est celui de la spécialité : le degré de spécificité de certaines normes est tel-lement élevé qu’il existe certains problèmes de compatibilité avec certaines dispositions plus générales. Cette perspective est également commune au droit substantiel et au droit processuel. Dans le premier cas, elle se pose en termes de rapports entre la règlementation du droit de la consommation et les catégories n’ayant pas cette qualité. Dans le second cas, elle concerne le rapport entre les solutions extrajudiciaires et le procès.

La tentative de combler l’écart entre réalité substantielle et procès trouve son point d’ancrage dans l’intention de garantir l’effectivité de la protection du consommateur (effective judicial protection(15))(16), dans le cadre de laquelle la Cour de justice joue un rôle de premier ordre, en sa double qualité de décideur politique(17) et de pont entre common law et civil law.

L’élaboration d’un droit- principe général de l’effectivité de la protec-tion juridictionnelle a constitué une clé décisive dans l’édification d’un système processuel européen Ce processus a permis à la Cour de justice, d’une part, de s’ingérer dans le droit processuel des États membres(18)

(15) S. PRECHAL, N. SHELKOPLYAS, « National Procedures, Public Policy and EC Law. From Van Schijndel to Eco Swiss », 5 E.R.P.L., 2004, p. 591.

(16) L’effectivité, terme ayant plusieurs sens et fuyant pour le juriste positif, consti-tue en revanche l’une des garanties qu’un système juridictionnel de protection des droits devrait assurer et dont l’introduction dans l’ordre juridique européen est due à l’esprit pragmatique de la common law : on entend généralement par ce terme la suppression des obstacles à l’accès à la justice (M. CAPPELLETTI, B. GARTH, « Access to Justice the Newest Wave in the Worldwilde Movement to Make Rights Effective », 27 Buff. L. R., 1978, p. 181), mais aussi au droit (M. GALANTER, « La justice ne se trouve pas seulement dans les décisions des tribunaux », in M. CAPPELLETTI, Accès à la justice et État- providence, Paris, Economica, 1984, spéc. pp. 152, 166-167).

(17) H. RASMUSSEN, On Law and Policy in the European Court of Justice : a Comparative Study in Judicial Policymaking, Dordrecht, Kluwer, 1986, p. 9.

(18) À l’ordre traditionnel du rapport entre droit interne et droit européen sur le plan processuel, dérivant du principe de l’autonomie procédurale des États (C.J.C.E., 16 déc. 1976, C- 33/76, Rewe, Rec., 1976, p. 1989, et C.J.C.E., 16 déc. 1976, C- 45/76, Comet, Rec., 1976, p. 2043, § 11), s’est donc progressivement substituée l’intention de renfor-cer les garanties juridictionnelles, en affi rmant que si une norme ne respecte pas le prin-cipe de l’équivalence (dans l’accès à la justice : P. GIRERD, « Les principes d’équivalence et d’effectivité : encadrement ou désencadrement de l’autonomie procédurale des États

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et, d’autre part, de doter les droits d’origine communautaire d’une tech-nique de remèdes appropriée(19). Le processus d’européanisation du droit qui, à l’origine, se limitait au domaine substantiel(20), s’est donc étendu au domaine processuel (Europeanization of civil procedure(21)) lorsque l’intérêt portant initialement sur la protection des droits s’est déplacé vers le caractère approprié des remèdes(22).

membres ? », Rev. trim. dr. eur., 2002, p. 78) et celui de l’effectivité (voy. C.J.C.E., Comet, op. cit., §§ 13 et 16 ; C.J.C.E., 14 déc. 1995, C- 312/93, Peterbroeck, Rec., 1995, p. 4599, § 12 ; C.J.C.E., 13 mars 2007, C- 432/05, Unibet, Rec., 2007, p. 2271, § 43) dans l’exercice des droits, qui ne doit pas être excessivement diffi cile (C.J.C.E., 9 nov. 1983, C- 199/82, San Giorgio, Rec., 1983, p. 3595, §§ 14-15) ou pratiquement impossible (Rewe, C- 33/76, op. cit., § 5), elle ne doit pas être appliquée.

(19) C. HARLOW, « A Common European Law of Remedies ? », in C. KILPATRICK, T. NOVITZ, P. SKIDMORE, The Future of Remedies in Europe, Oxford, Hart Publishing, 2000, p. 69.

(20) G. ALPA, La cultura delle regole. Storia del diritto civile in Italia, Roma- Bari, Laterza, 2000 ; S. GRUNDMANN, « The Structure of European Contract Law », 4 E.R.P.L., 2001, p. 505 ; M. HESSELINK, The New European Legal Culture, Deventer, Kluwer, 2001, p. 111 ; G. MASCH, D. MAZEAUD, R. SCHULZE, Nouveaux défi s du droit des contrats en France et en Europe, Munich, Sellier, 2009.

(21) M. TULIBACKA, « Europeanization of Civil Procedure : in Search of a Coherent Approach », 46 C.M.L.R., 2009, p. 1389. Bien que le droit processuel ne fasse pas l’objet d’une harmonisation (C.J.C.E., 3 sept. 2009, Fallimento Olimpiclub, C- 2/08, R.A.E., 2010, p. 577, § 24), l’application uniforme du droit communautaire est une nécessité fondamen-tale (dernièrement : C.J.C.E., 5 mars 1996, Brasserie du Pêcheur, C- 46-48/93, Rec., 1993, p. 1029, § 33) étant donné que l’application excessivement différenciée d’un État à l’autre aurait un effet discriminatoire interdit par le Traité ; en doctrine, se référant expressément au plan processuel, voy. M. ANDENAS, « National Paradigms of Civil Enforcement : Mutual Recognition or Harmonization in Europe ? », in M. ANDENAS, B. HESS, P. OBERHAMMER, Enforcement Agency Practice in Europe, London, B.I.I.C.L., 2005, p. 7 ; W. VAN GERVEN, « Rights, Remedies and Procedures », 37 C.M.L.R., 2000, p. 505. Sur ce phénomène, sont toutefois exprimées de fortes perplexités : voy. pour toutes : J. BASEDOW, « The Court of Justice and Private Law : Vacillation, General Principles and the Architecture of the European Judiciary », 18 E.R.P.L., 2010, p. 458. Par ailleurs, si d’un côté, il semble désor-mais évident que la formation progressive d’un droit processuel européen est un état de fait (A. BIONDI, « Minimum, Adequate or Excessive Protection ? The impact of EC law on National Procedural Law », in N. TROCKER, V. VARANO, The Reforms of Civil Procedure in a Comparative Perspective, Torino, Giappichelli, 2005, p. 234), d’importants doutes subsistent sur l’éventuelle phase successive, c’est- à- dire sur la possibilité de le codifi er (la première tentative remonte au Storme Report) : P.- H. LINDBLOM, « Harmony of the Legal Spheres », 5 E.R.P.L., 1997, p. 20.

(22) Voy. C.J.C.E., 5 févr. 1963, van Gen and Loos, C- 26/62, Rec., 1963, p. 1, et C.J.C.E., 4 déc. 1974, Van Duyn, C- 41/74, Rec., 1974, p. 1337, § 12 ; W. VAN GERVEN, « Bridging the Gap between Community and National Laws : Towards a Principle of Homogenity of Legal Remedies ? », 32 C.M.L.R., 1995, p. 679.

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Ce passage apparaît par certains côtés inévitable. Cette observation vaut, non seulement du point de vue scientifique, en raison du lien indissociable entre les droits et leurs remèdes (et, par conséquent, pro-cedures), mais également du point de vue politique et matériel, en raison du fait que des traitements judiciaires différenciés produiraient un effet discriminatoire interdit par le Traité de Maastricht.

Sur le plan politique, faire du droit effectif d’agir en justice un élément qualifiant de la vie des intérêts coïncide avec l’adoption d’un modèle de protection- remède (typique de la common law(23)), qui constitue une solution plus appropriée aux problèmes posés par le droit européen, aussi bien du point de vue de l’effectivité(24) que de celui de l’intégration (en permettant de respecter les différences de chaque système). La priorité du remède par rapport au droit de catégorie conceptuelle devient une méthodologie qui est également accueillie en civil law, par le bascule-ment du principe général ubi ius, ibi remedium en celui du ubi remedium, ibi jus, qui est son opposé.

Cette approche a deux conséquences. Tout d’abord, le droit proces-suel européen est une réalité dans l’ordre juridique. Or, cette réalité, qui est le résultat d’un jeu complexe d’échanges et d’interférences réci-proques entre les législateurs(25), les courants doctrinaux et les principes élaborés par la Cour de justice, le plan supranational- européen et le plan interne, donne une nouvelle dimension à l’ordre traditionnel des systèmes processuels, basée sur la distinction entre common law et civil law(26). Nous savons bien, d’ailleurs, que l’atténuation des différences entre les systèmes juridiques est une conséquence de la tendance au

(23) S’agissant de la thèse selon laquelle les systèmes de la common law sont fondés sur l’attribution de remedies (dont la doctrine anglo- saxonne donne le sens de « cure for wrongs ») plutôt que sur l’attribution de droits et que, par conséquent, le droit existe dans la mesure où le remède est disponible, voy. pour tous F.- H. LAWSON, Remedies of English Law, 2e éd., London, Butterworths, 1980.

(24) En évitant que la méthode de production des droits passe toujours par l’initiative législative.

(25) Contient non seulement des normes contenues dans les Directives, mais également des Règlements communautaires visant à créer un espace judiciaire européen : (c’est- à- dire par des normes procédurales communes pour simplifi er et accélérer le règlement des litiges transnationaux). Voy. les Règlements 861/2007/CE ; 1348/2000/CE ; 44/2001/CE — modifi é par le Règlement 1215/2012/UE ; 805/2004/CE ; 896/2006/CE — modifi é par le Règlement 936/2012/UE.

(26) J.- H. MERRYMAN, « On the Convergence (and Divergence) of the Civil Law and the Common Law », in id., The Loneliness of the Comparative Lawyer and Other Essays in Foreign and Comparative Law, London- Boston, The Hague, 1999, p. 17. Par contre,

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multiculturalisme qui, dans le domaine processuel, est particulièrement évidente(27).

En observant l’affranchissement progressif du droit des consomma-teurs par rapport au contexte processuel dans les ordres juridiques natio-naux(28), certains tendent à penser que l’harmonisation de la protection contre les clauses abusives se déplace du plan substantiel au plan pro-cessuel(29).

Il convient également d’observer que, même s’ils s’articulent de façon différente, ces deux noyaux (supranational et interne) ont un point commun : ils accueillent tous deux le principe selon lequel « le juste procès est le procès différencié »(30). Cette idée vise le principe du procès calibré en fonction de la qualité des parties, en adoptant des schémas de protection différenciés, à la fois internes et alternatifs au procès. Le concept de protection juridictionnelle différenciée fait donc son entrée, alors qu’il est craint et combattu par une partie de la doctrine, qui le considère comme un « féodalisation des protec-tions(31) », et qu’il est accueilli par ceux qui affirment que le respect de l’égalité substantielle implique le refus d’une approche égalisa-trice(32).

sur les résistances de la part la « stubbornness » des systèmes nationaux, voy. P. LEGRAND, « European Legal Systems Are not Converging », 45 Int’l Comp. L.Q., 1996, p. 52.

(27) M. TARUFFO, Sui confi ni. Scritti sulla giustizia civile, Bologna, Il Mulino, 2002, p. 13.(28) P. REMY- CORLAY, « L’infl uence du droit communautaire sur l’offi ce du juge »,

Rev. trim. dr. civ., 2009, p. 684.(29) C. PAVILLON, obs. à Mostaza Claro, 5 E.R.P.L., 2007, p. 735 ; J. MESTRE, B. FAGES,

« Deux nouvelles précisions inédites dans la lutte judiciaire contre les clauses abusives », Rev. trim. dr. civ., 2007, p. 113.

(30) M. CAPPELLETTI, The Judicial Process in Comparative Perspective, Oxford- New York, Clarendon Press, 1989, p. 268.

(31) Sur la prolifération des procès spéciaux en faveur de certains usagers de la justice, voy. P. LEGENDRE, « Remarques sur la reféodalisation de la France », in Études offertes à Georges Dupuis, Paris, L.G.D.J., 1997, p. 201.

(32) Sur la bifurcation de discipline en matière processuelle, voy. M. TARUFFO, « Il consumatore e il processo (Journées Colombiennes) », Rass. for., 2007, p. 539. Sur la poli-tique de la différence, voy. C. TAYLOR, Multiculturalism and « The politics of Recognition », New York, Princeton Univ. Press, 1992 ; sur l’apparition de nouvelles valeurs culturelles que l’on trouve dans le dilemma of difference, c’est- à- dire sur la question de savoir com-ment le droit doit traiter les différences pour éviter le risque que la neutralité devienne une injustice, M.- L. MINOW, « Forward : Justice Engendered », 101 Harv. L.R., 1987, p. 12 ; G. MINDA, Postmodern Legal Movements. L. and Jurisprudence at Century’s End, New York- London, NYU Press, 1995, p. 167.

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SECTION II. — LA PROCÉDURE EN DEUX PHASES : LE FAVOR ACCORDANDUM PRÉ- PROCESSUEL

L’encouragement des formes de justice alternative, les fameuses ADR (Alternative Disputes Resolutions), constitue une ligne de conduite désor-mais acquise au sein de l’Union européenne. Elle est aussi accueillie par la majeure partie des différents ordres juridiques. En revanche, il est évi-dent que les ADR n’ont pas été intégrées aux droits internes autant que l’on aurait pu l’espérer.

Les raisons expliquant l’essor des ADR sont bien connues : il s’agit de la célérité(33), la réduction des coûts(34) et de la conflictualité(35), la sauvegarde des aspects relationnels et le maintien des rapports futurs(36). Les raisons qui en compromettent l’accueil total le sont tout autant(37).

Il est notoire que l’engouement pour la justice négociée a des origines assez lointaines(38). Toutefois, dans le cas des consommateurs, il s’enri-chit d’éléments de modernité, d’une part, parce qu’il est lié à la vague de

(33) Les ADR sont principalement considérées comme la possibilité d’alléger le système judiciaire ; dans l’abondante littérature, voy. D. BOK, « A Flawed System », Harv. Mag., 1983, p. 38 ; E. JEULAND, « Résolution des litiges », in D. FENOUILLET, F. LABARTH, Faut- il recodifi er le droit de la consommation ?, Paris, Economica, 2002, p. 14 ; N. ALEXANDER, « Global Trends in Mediation : Riding the Third Wave », in N. ALEXANDER, Global Trends in Mediation, Colonia, Kluwer, 2005, p. 1 ; L. CADIET, « Des modes alternatifs de règle-ment des confl its en général et de la médiation en particulier », in Société de législation comparée, La médiation, Paris, Dalloz, 2009, p. 13 ; O.- M. FISS, J. RESNIK, Adjudication and Its Alternatives, New York, Foundation Press, 2003, spéc. p. 495. Toutefois, les déni-greurs ne manquent pas (O.- M. FISS, « Against Settlement », 93 Yale L.J., 1984, p. 1073), qui considèrent les ADR Justice without Law (titre du fameux livre de J.- S. AUERBACH, publié en 1983, par l’Univ. Press à Oxford) et qui risquent de perpétuer les inégalités entre parties fortes et faibles, en allant dans la direction opposée à l’objectif poursuivi : voy. M. GALANTER, « La justice ne se trouve pas… », op. cit., pp. 166-167.

(34) Pour une approche économique, voy. les études classiques de T.- C. SCHELLING, The Strategy of the Confl ict, Cambridge, Harvard Univ. Press, 1960 ; et S. SHAVELL, « Alternative Disputes Resolution : an Economic Analysis », 24 Journ. Leg. Stud., 1995, p. 1.

(35) Dans une optique de justice « coexistentielle », qui tend à ne pas diviser les parties mais au contraire à les rapprocher, en instaurant une coexistence pacifi que, voy. M. CAPPELLETTI, « Alternative Disputes Resolution Processes within the Framework of the World- Wide Access- to- Justice Movement », 56 Mod. L.R., 1993, p. 283.

(36) § 9 du Livre vert du 19 avril 2002, COM (2002) 196.(37) Voy. R. COULSON, « Will the Growth of Alternative Dispute Resolution (Adr) in

America Be Replicated in Europe? », 9 J. Intern. Arb., 1992, p. 211.(38) L. CADIET, « Les jeux du contrat et du process », Mélanges offerts à Gérard

Farjat, Paris, Éditions Frison- Roche, 1999, p. 23, en particulier note 15 ; O.- G. CHASE,

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contractualisation des rapports sociaux(39), et, d’autre part, parce qu’il a une relation fonctionnelle avec le principe d’effectivité de la protection juridictionnelle(40).

Après une période initiale, caractérisée par l’inexistence d’un schéma européen unitaire d’organisation et de conception du système des ADR, la promotion d’un tel schéma a d’abord eu lieu à la suite des pressions culturelles et doctrinales. Elle a, ensuite, ouvert la voie à une série d’ini-tiatives législatives (Dir. 52/2008, Dir. 2013/11, Règl. n° 524/2013), avec une tentative de concevoir un modèle tendanciellement homogène(41).

Malgré leur caractère éminemment promotionnel et décisionnel(42), les Directives, qui se présentent comme un modèle de procédures de média-tion interne, fixent certains points stables. Notamment, la valorisation, au sein des nombreuses sortes d’ADR, de la médiation (prévoyant des instruments consensuels plutôt qu’adjudicatifs) extrajudiciaire, préven-tive(43) et transnationale, en tant qu’instrument permettant de gérer les conflits, dans l’optique de la globalisation.

Si l’on veut identifier les lignes de tendance du phénomène, il est pos-sible de constater, d’abord, que les ADR sont de plus en plus conçues comme une procédure structurée qui comprend deux phases : la première précède le procès et tend à l’éviter(44) ; la deuxième, quant à elle, est

« The Rise of ADR in Cultural Context », in Law, Culture and Ritual : Disputing Systems in Cross- Cultural Context, New York, New York Univ. Press, 2005, p. 94.

(39) Dont l’apparition d’un ordre juridique négocié répondant à la crise de la justice est un corolaire : L. CADIET, « Les accords sur la juridiction dans le procès », in P. ANCEL, M.- C. RIVIER, Le conventionnel et le juridictionnel dans le règlement des différends, Paris, Economica, 2001, p. 34.

(40) J. RESNIK, « The Supreme Court 2010 Term Comment Fairness in Numbers », 125 Harv. L.R., 2011, p. 78.

(41) Le cadre normatif européen est plutôt hybride : voy. le Livre vert COM (2002) 196 ; précédé par le Livre vert COM (93) 576. Voy. également les communications de la Commission en matière de consommation : COM (96) 13 ; COM (1998) 198 ; COM (2001) 161.

(42) La référence à l’institution obligatoire d’un système d’ADR (il s’agit générale-ment de réclamations : le destinataire de l’obligation est l’entreprise, et le contenu est l’ins-titution d’un bureau de réclamation) est contenue dans les décisions relatives aux droits des passagers : voy. art. 27, Règl. 1371/2007/CE ; art. 26 et 27, Règl. 181/2011/UE ; art. 24, Règl. 1177/2010/UE ; art. 11, alinéa 6, lettre b), Dir. 2009/12/CE ; art. 16, Règl. 261/2004/CE ; et au secteur bancaire et fi nancier : voy. art. 10, Dir. 97/5/CE ; art. 14, Dir. 2002/65/CE ; art. 80-83, Dir. 2007/64/CE ; art. 24, Dir. 2008/48/CE.

(43) Art. 3, Dir. 2008/52/CE.(44) S. GUINCHARD, L’évitement du juge civil, les transformations de la régulation juri-

dique, Paris, Dalloz, 2001.

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résiduelle et consiste à porter l’affaire devant le juge ou devant l’autorité compétente(45).

Comme nous l’avons déjà précisé, les ADR se divisent en phases complexes : durant la première phase, de nature endocontractuelle (la réclamation)(46), le consommateur et le professionnel tentent de résoudre le litige qui les oppose. Cette solution garantit des mesures immédiate-ment satisfaisantes et une réduction maximum des délais, des éléments extérieurs ayant un effet négatif sur la conciliation(47), du ressentiment de la part du consommateur (ce que les anglais appellent le grudge factor)(48) et, en cas d’échec, de la perte d’occasions de profit (lost oppor-tunity cost)(49), au point que de nombreuses entreprises choisissent d’ins-tituer un bureau des réclamations interne(50). Sur un marché globalisé, la bataille concurrentielle se joue non seulement sur le prix, mais aussi sur le terrain des services accessoires et, en orientant les préférences du consommateur- client, un bureau de réclamations efficace joue le même rôle qu’un service d’assistance efficace, qui garantit aux entreprises un retour en termes de réputation (en rentrant donc parmi les after sale acti-vities).

Si la procédure de réclamation n’arrive pas à bonne fin, ou si elle n’est pas engagée, le consommateur peut choisir d’entreprendre la voie de la négociation du litige, sachant qu’il peut toujours saisir le juge.

Malgré ces tentatives, comme ci- dessus mentionné, les ADR n’ont pas atteint la diffusion qui avait été espérée et, de ce point de vue, elles apparaissent comme un problème de divergence entre prétention et réa-lisation. L’insuffisance de la promotion idéologico- culturelle a conduit les législateurs à s’interroger sur la façon de favoriser l’adoption des

(45) C. MENKEL- MEADOW, « Whose Disputes Is It anyway ? A Philosophical and Democratic Defense of Settlement (In Some Cases) », 83 Georgetown L.J., 1995, p. 2663.

(46) M. CAPPELLETTI, ult. op. cit., p. 283.(47) Constitués par les coûts de mobilité — dans tous les cas où il ne s’agit pas de

conciliation online — ceux du médiateur et de l’éventuelle assistance légale.(48) À ce sujet, voy. l’étude de R. MACEY- DARE, « Litigation Costs Strategies from

Economic », in A. MASSON, M.J. SHARIFF, Legal Strategies. How Corporations Use Law to Improve Performances, Berlin, London, New York, Springer, 2010, pp. 117 et 134.

(49) Ces caractéristiques sont illustrées dans les études analysant les litiges en appli-quant des modèles conceptuels de l’analyse économique du droit : S.- B. GOLDBERG, F.-E.- A. SANDER, N.- H. ROGERS, S.- R. COLE, Dispute Resolution : Negotiation, Mediation, and Other Processes, Aspen, New York, 5e éd., 2007, p. 53.

(50) Il existe même des secteurs entiers de l’ordre juridique dans lesquels le rôle de l’autorégulation des opérateurs est prépondérant : E. CAMOUS, Règlements non juridiction-nels, op. cit.

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ADR, et en particulier sur l’éventualité de les imposer aux parties. Cette option laisse perplexe quant à sa légitimité (l’obligation de conciliation constitue un obstacle à l’accès à la justice) et à son utilité (le caractère obligatoire est incompatible avec la nature intimement volontaire de la conciliation).

La Cour de justice(51) a mis fin au doute concernant la légitimité en reconnaissant la légitimité de la tentative obligatoire de conciliation, non seulement par rapport aux droits fondamentaux, mais aussi au regard des principes d’autonomie procédurale et de la protection juridictionnelle effective. De même, la Cour a également fourni, pro futuro, des lignes de conduite aux États membres qui entendent imposer la procédure de médiation(52).

Alors que l’Europe promeut l’imposition par contrat ou par des dispo-sitions légales aux parties la tentative de conciliation, les États membres évaluent, quant à eux, de façon différente la validité de ces obligations, selon qu’elles soient auto- imposées ou hétéro- imposées.

L’Italie a été le premier — et, pour le moment, le seul — pays à entreprendre la voie radicale de l’introduction dans le dispositif légal (dans certains cas typiques) du caractère obligatoire de la tentative de conciliation ante causam. Cette approche innovante s’est développée en deux temps, la première version de la norme (art. 8 du décret légis-latif n° 28/2010) ayant été déclarée inconstitutionnelle(53). Cette déci-sion du Conseil constitutionnel, qui ne portait pas sur la violation de normes substantielles mais sur un vice de procédure législative (excès de délégation de pouvoir législatif), a toutefois permis au législateur

(51) C.J.C.E., 18 mars 2010, Alassini et al., C- 317-320/10, Rec., 2010, p. 2213 ; pour les premiers commentaires, voy. E. DAVIES- J. SZYSZCZAK, « ADR : Effective Protection of Consumer Rights ? », E.L.R., 2010, p. 695 ; C. NOURISSAT, « Conciliation extrajudi-ciaire obligatoire et protection juridictionnelle effective », Proc., 2010, comm. 179 ; M.- C. PAGLIETTI, « La protezione del consumatore tra diritto alla tutela giurisdizionale effettiva e tentativo obbligatorio di conciliazione », Rev. trim. dir. proc. civ., 2012, p. 987. Le principe est rappelé dans l’arrêt C.G.U.E., 12 juillet 2012, SC Volksbank România SA, C- 378/10, inédit.

(52) Contra : en Grande- Bretagne, il a été jugé que l’obligation de recourir aux ADR constitue une violation du droit à l’accès à la justice (et en particulier de l’art. 6 CEDU : arrêt Halsey v. Milton Keynes [2004] 1 WLR 3002). Cette décision a donné lieu à un débat très critiqué, à l’issue duquel la décision a été qualifi ée d’illogique (H.- R. DUNDAS, « Court- compelled Mediation and the European Convention on Human Rights Article 6 », 76 Arb., 2010, p. 346). Sur les ADR dans le panorama anglais : M. PARTINGTON, « Alternative Disputes Resolution : Recent Developments, Future Challenges », 23 C.J.Q., 2004, p. 99.

(53) C. const., décision du 6 déc. 2012, n° 272, G.U., 12 déc. 2012.

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de se pencher à nouveau sur la question, en modifiant et en appor-tant les corrections nécessaires à cette règlementation, par le biais du décret législatif n° 69 du 21 juin 2013, dont le texte est coordonné avec la loi de conversion n° 98 du 9 août 2013. Cependant, malgré cette modification, le législateur a maintenu le principe de base selon lequel l’ouverture de la procédure de médiation ne relève plus de l’autonomie consensuelle, mais constitue une obligation légale — à laquelle est subordonnée la faculté d’engager une action légale — à laquelle s’ajoute une obligation secondaire et parallèle portant sur l’assistance technique de l’avocat durant les négociations. On peut se demander si ce dernier point est compatible avec le principe établi par la Cour de justice en matière de coût).

En France, en revanche, c’est l’exact contraire qui s’est produit, dans la mesure où l’hypothèse d’une obligation légale de la tentative fait encore l’objet d’études, mais en étendant de façon démesurée une interprétation de faveur pour les clauses de conciliation obliga-toire(54).

Dans le vaste domaine de l’accès à la justice du consommateur, l’Europe doit affronter la troisième vague — si l’on veut se référer aux catégories identifiées par Cappelletti dans son projet culturel(55) —, c’est- à- dire celle destinée à simplifier les procédures et à créer des alternatives à la justice des Cours. Mais ce n’est pas tout. Cette impor-tante croissance de la médiation implique un bouleversement de la conception traditionnelle, selon laquelle le procès juridictionnel ne serait plus qu’une méthode choisie de façon résiduelle pour résoudre les litiges : le rapport entre ADR et le droit au tribunal, qui était initia-lement un rapport de complémentarité, semble désormais orienté vers le principe selon lequel l’accès au tribunal est uniquement possible lorsque toutes les voies de remèdes alternatifs sont épuisées. En se basant sur ce raisonnement, il est possible d’identifier, dans le droit

(54) Voy. Cass., Ch. mixte, 14 févr. 2003, D., 2003, p. 1386, obs. P. ANCEL, M. COTTIN ; R.D.C., 2003, p. 182, obs. L. CADIET, P. LAGARDE ; et, sur le plan normatif, art. 6, L. 2005-67, du 28 janv. 2005, qui ajoute à la liste indicative de l’art. 132-1, c. consomm., la lett. Q, sur la nullité des clauses qui soumettent le litige exclusivement à une ADR, en renonçant défi nitivement au procès. Voy. également Cour de cassation (16 déc. 2010, n° 09-71575) qui établit le principe en vertu duquel la perspective d’une conciliation doit prévaloir sur toutes les autres ; en doctrine, voy. S. AMRANI- MEKKI, « La clause de conci-liation », in Société de législation comparée, La médiation, op. cit., p. 29.

(55) M. CAPPELLETTI, « Social and Political Aspects of Civil Procedure- Reforms and Trends in Western and Eastern Europe », 69 Mich. L.R., 1971, p. 847.

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des consommateurs, une triple conséquence. Tout d’abord, dans le domaine des ADR, le recours au principe de l’effectivité constitue la base juridique de l’expansion du domaine d’autonomie privée dans le cadre processuel(56). Ensuite, le choix des législateurs s’oriente vers le passage d’une législation promotionnelle à une législation favori-sant l’adoption de modèles alternatifs, auxquels le développement du domaine de la juridiction conditionnée fait écho. Enfin, avec l’intro-duction du principe de subsidiarité du procès par rapport aux ADR, le droit des consommateurs constitue un facteur d’évolution du droit processuel(57).

SECTION III. — LA PHASE JURIDICTIONNELLE : JUDICIAL ACTIVISM

Pour analyser l’aspect plus strictement juridictionnel, il convient d’identifier les domaines et les instruments sur lesquels travailler. Cette démarche s’avère nécessaire pour assurer l’efficacité de la protection et adapter le procès du consommateur aux nécessités du rapport substan-tiel, en supprimant l’asymétrie des pouvoirs.

S’agissant du déroulement du procès, le principe de l’effectivité se traduit par un renforcement des pouvoirs du juge, par le biais de ce qui est désigné de façon générique sous la locution judicial activism(58) (le

(56) L’introduction d’éléments faisant appel à la notion de contrat au sein du procès est particulièrement évidente en France : voy. pour tous F. FERRAND, « The Respective Role of the Judge and the Parties in the Preparation of the Case in France », in N. TROCKER, V. VARANO, The Reforms…, op. cit., pp. 16 et 21.

(57) À ce propos, voy. J. CALAIS- AULOY, « L’infl uence… », op. cit., p. 239.(58) M.- R. DAMAŠKA, The Faces of Justice and State Authority, New Haven, Yale

Univ. Press, 1986, spéc. p. 37 ; M. CAPPELLETTI, « Fundamental Guarantees of the Parties in Civil Litigation : Comparative Constitutional, International, and School Trends », in M. CAPPELLETTI, D. TALLON, Guarantess of the Parties in Civil Litigation, Milano- New York, Giuffrè, Dobbs Ferry, 1973, p. 664 ; A. ZUCKERMANN, « Court Control and Party Compliance. The Quest for Effective Litigation Management », in N. TROCKER, V. VARANO, The Reforms…, op. cit., p. 143 ; J. WALKER, O.- G. CHASE, « Common Law Civil Law and the Future of Categories. An introduction », in J. WALKER, O.- G. CHASE, Common Law Civil Law and the Future of Categories, Toronto, LexisNexis, 2012, Iii. En France, l’on considère traditionnellement que la discussion sur l’interventionnisme judiciaire a été engagée à l’occasion de l’arrêt du Conseil d’État, 12 oct. 1979, D., 1979, p. 606, obs. A. BÉNABENT ; en doctrine, les réfl exions avaient atteint depuis longtemps un plus haut niveau de conscience : voy. les notes de J. NORMAND, Le juge et le litige, Paris, L.G.D.J., 1965, p. 385 ; et H. MOTULSKY, Le rôle respectif du juge dans l’allé-gation de faits, Écrits — Notes et études de procédure civile, Paris, Dalloz, 1973, I,

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« juge actif »). Il convient, cependant, de préciser que cette tendance a été très progressive et qu’elle est liée à une importante tradition compa-ratiste tendant à renforcer les pouvoirs judiciaires, sans pour autant com-promettre le caractère libéral et décisionnel sur lequel repose le procès moderne(59).

Le rôle innovant confié au juge, qui est assorti de prérogatives « mana-gériales(60) », est légitimé, d’un point de vue politique, par une positive action doctrine (et par un fondement juridique découlant de la formula-tion large des articles 6 et 7 de la Directive 93/13) élaborée par la Cour de justice, qui justifie l’ingérence judiciaire dans le rapport processuel entre les parties, pour rétablir l’équilibre entre les positions inégales et garantir l’effectivité du droit(61).

Cette évolution donne lieu à une nouvelle morphologie de juge qui dévie du modèle traditionnel (aussi bien de la common law que de la civil law, au point que l’on parle du nouveau modèle mixte du juge), en particulier au regard :

i) du relevé d’office de la nullité ;ii) des pouvoirs d’instruction et du principe du contradictoire ;iii) de la non- application des normes en matière de déchéance et de

compétence territoriale.

p. 38 ; R. MARTIN, « Réfl exion sur l’instruction du procès civil », Rev. trim. dr. civ., 1971, p. 281 ; plus récemment, J. GHESTIN, « L’annulation d’offi ce d’un contrat », in Mélanges P. Drai. Le juge entre deux millénaires, Paris, Dalloz, 2000, p. 593.

(59) Ce changement de perspective trouve son origine culturelle dans le changement idéologique de la conception publiciste du procès ; voy. J. NORMAND, « Offi ce du juge », in L. CADIET, Dictionnaire de la justice, Paris, PUF, 2010 ; S. AMRANI- MEKKI, L. CADIET, J. NORMAND, Théorie générale du procès, Paris, PUF, 2010.

(60) Expression utilisée de façon polémique par Judith RESNICK, dans le célèbre essai « The Managerial Judges » (96 Harv. L.R., 1982, p. 370), qui — avec la contribution de A. CHAYES, « The Role of the Judge in Public Law Litigation », 89 Harv. L.R., 1976, p. 1282 et spéc. p. 1284 ; et J.- H. LANGBEIN, « The German Advantage in Civil Procedure », 52 Un. Chic. L.R., 1985, p. 823 — constitue l’une des principales références du débat sur la révi-sion de l’un des principes fondamentaux — le rôle passif du juge — dans les systèmes de la common law, dont les résultats scientifi ques ont ensuite été introduits en Angleterre lors de la réforme de 1998 (qui a signé l’abandon de la philosophie adversaire) : N. ANDREWS, The Modern Civil Process, Tübingen, Mohr Siebeck, 2008, spéc. p. 48.

(61) Voy. C.J.C.E., 27 juin 2000, Océano, C- 240/ et 244/98 (Rev. trim. dr. com., 2001, p. 291, note M. LUBY ; C.M.L.R., 2001, p. 719, obs. J. STUYCK ; Rev. trim. dr. civ., 2000, p. 939, obs. J. RAYNARD ; Rev. trim. dr. civ., 2001, p. 878, obs. J. MESTRE, B. FAGES ; Law Q. R., 2001, p. 215, obs. S. WHITTAKER), § 27.

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SECTION IV. — POUVOIRS DU JUGE ET MODÈLES JUDICIAIRES : POSSIBILITÉ DE SOULEVER D’OFFICE LA NULLITÉ, ENQUÊTES D’INSTRUCTION ET CONTRADICTOIRE

§ 1.

La Cour de justice s’est engagée sur un parcours d’interprétation créatif : en un peu plus de dix ans, elle a rendu des décisions de prin-cipe modifiant progressivement, mais radicalement, le rôle du juge, en modifiant ses prérogatives et son comportement dans le procès, de façon à répondre à la nécessité de rééquilibrer les différences entre les parties.

En donnant forme au régime européen du relevé d’office de la nul-lité, la Cour a tout d’abord prévu ce dernier comme une faculté(62), pour le qualifier ensuite d’obligation(63). Cette obligation n’est toutefois pas absolue : elle est effectivement subordonnée au consentement préalable du consommateur, qui doit être informé de la nullité de la clause et autoriser le juge à la soulever d’office(64). L’intervention du juge com-prend donc deux phases. La première phase, obligatoire, consiste à éva-luer le caractère abusif ; la seconde phase, facultative et subordonnée au consentement du consommateur, consiste à soulever d’office la nul-lité afin d’adapter les pouvoirs judiciaires à l’objectif de protection du consommateur. De la sorte, d’un côté, ce dernier demeure l’arbitre de l’action légale et, d’un autre côté, il peut bénéficier du rôle de suppléant qui est attribué au juge.

L’objet est, quant à lui, accordé en fonction du jugement constatant le caractère abusif, qui se limite exclusivement aux clauses dérogatoires de la juridiction(65). Il a été, ensuite, étendu à tous les cas de nullité(66) et, enfin, par extension, à toutes les directives inhérentes à la consomma-tion(67).

(62) Océano, §§ 26 et 28.(63) Cofi dis, § 30 ; Pannon, § 35.(64) Pannon, § 33.(65) Océano, § 24.(66) Cofi dis, § 34.(67) C.J.C.E., 4 oct. 2007, Rampion, C- 429/05, Rec., 2007, p. 8017, § 63 ; voy.

M. EBERS, « From Océano to Asturcom : Mandatory Consumer Law, Ex Offi cio Application of European Union Law and Res Judicata », 18 E.R.P.L., 2010, p. 823 ; C.G.U.E., 14 mars 2013, Mohamed Aziz, C- 415/11, inédite ; C.G.U.E., 3 oct. 2013, Soledad Duarte Hueros, C- 32/12, inédite.

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Le rôle du juge devient encore plus actif avec l’émancipation pro-gressive de la conduite des parties, et le juge est autorisé à intervenir motu proprio aussi bien lorsque le consommateur s’est constitué par-tie au procès, même si, lorsqu’il a attaqué la décision qu’il conteste, il n’invoque pas la nullité de la clause(68), que dans le cas où il ne se constitue pas partie au procès et que la décision a force de chose jugée(69). S’agissant du domaine d’application, la décision européenne sur le relevé d’office de la nullité couvre aussi bien les exceptions sur la forme que celles sur le fond ; il est possible quel que soit le degré et l’état de la procédure, même en appel(70). Cependant, une fois que le caractère abusif de la clause est constaté, le juge national ne peut plus en reformuler le contenu. Il est seulement tenu d’en exclure l’appli-cation(71).

L’adaptation, dans les ordres juridiques internes, de ce régime euro-péen de la nullité relatif au droit de la consommation a toutefois posé quelques problèmes : la résistance des systèmes internes portait aussi bien sur la légitimité du pouvoir du juge de soulever d’office la nul-lité(72) que sur l’aspect contradictoire caractérisant le pouvoir de soule-

(68) Mostaza Claro, §§ 30 et 39. Selon certains, la décision aurait eu un écho si important qu’elle aurait eu une infl uence sur les principes acquis et sur ceux du DCFR : G. HOWELLS, R. SCHULZE, Modernising and Harmonising Consumer Contract Law, Munich, Sellier, 2009, p. 22.

(69) C.J.C.E., 6 oct. 2009, Asturcom, C- 40/08, D., 2009, p. 2548, obs. Th. CLAY ; Rev. trim. dr. civ., 2009, p. 684, note P. REMY- CORLAY ; 4 E.R.P.L., 2010, p. 823, obs. M. EBERS ; H. SCHEBESTA, « Does the National… », op. cit., p. 847.

(70) Mostaza Claro.(71) Voy. la décision C.G.U.E., 14 juin 2012, Banco Espanol de Crédito SA, C- 618/10,

inédite.(72) En France, la possibilité de soulever d’offi ce la nullité a été exclue systéma-

tiquement par la Cassation à partir de la jurisprudence Grine : Cass., 15 févr. 2000, D., 2000, p. 275, obs. C. RONDEY ; et J.C.P., éd. G, 2001, II, p. 10477, obs. O. GOUT, opposé à la doctrine (E. BAZIN, « De l’offi ce du juge en droit de la consommation », Dr. et proc., 2008, p. 125 ; J.- P. PIZZIO, « Le droit de la consommation à l’aube du XXIe siècle », in Études de droit de la consommation, Liber amicorum J. Calais- Auloy, Paris, Dalloz, 2004, p. 877 ; P.- Y. GAUTIER, « De l’impossibilité supposée pour le juge de soulever d’offi ce un moyen de nullité ou de réparation favorable à la partie faible », R.D.C., 2004, p. 1137 ; D. LEGEAIS, « Pouvoir du juge de soulever d’offi ce la nullité d’un crédit à la consommation », Rev. trim. dr. com., 2004, p. 358) et jurisprudence du fond (qui a fi ni par demander à la Cour de justice de se prononcer sur le problème : T.I. Vienne, 15 déc. 2000, C.C. Consom., 2001, n° 16, note G. RAYMOND) ; le pro-blème a été résolu grâce à l’intervention du législateur (qui complète l’art. 141-4 C. cons.) qui a attribué au juge le pouvoir de soulever d’offi ce les violations au droit de la consommation ; cette intervention n’a toutefois pas été suffi sante pour rendre le

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ver d’office la nullité qui, même s’il constitue un devoir, est conditionné par l’intérêt du consommateur. Cette antinomie est évitée en recourant au principe du contradictoire, de façon à faire obligatoirement précéder toute décision officieuse par une confrontation dialectique des parties et à éviter les décisions solitaires du juge(73).

§ 2.

Les pouvoirs du juge ont également été étendus à un domaine qui, traditionnellement, exclut la possibilité de soulever d’office la nullité, c’est- à- dire à la phase de l’instruction(74). D’après l’orientation tradition-nelle, en effet, le principe selon lequel le juge n’a aucun pouvoir auto-nome d’enquête(75) (règle traditionnelle de tous les systèmes en vertu de laquelle les parties ont le droit de disposer de leurs propres droits, aussi bien procéduraux que substantiels(76)) limitait la possibilité de soulever d’office un moyen de droit. En ce sens, la passivité du juge a toujours été considérée comme une garantie d’impartialité qui serait compromise

contexte français parfaitement conforme à celui européen, dans la mesure où ce dernier a ensuite, comme chacun le sait, institué le caractère obligatoire. L’institution d’une obligation plutôt que d’une faculté était souhaitée depuis longtemps par la doctrine française (L. CADIET, Droit judiciaire privé, Paris, Litec, 2000, 3e éd., n° 1133). Mais voy. la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, qui prévoit que le juge écarte d’offi ce l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments dans le débat (art. 28 ; art. L. 421-2 modifi é C. cons. ; art. L. 421-6 modifi é) : cette évolution tient compte de la jurisprudence de la C.J.U.E.

(73) En Italie, il a été nécessaire de modifi er une norme centrale du Code de procé-dure civile (art. 101, al. 2, du Code de procédure civile), malgré le niveau approfondi des réfl exions doctrinales, auxquelles la jurisprudence s’est ensuite conformée en reconnais-sant la légitimité d’un pouvoir du juge conditionné : Cass. S.U., 30 sept. 2009, n° 20935, in Corriere giur., 2010, p. 355.

(74) La C.J.C.E. a affi rmé qu’en cas d’abus suspecté mais non prouvé, le juge doit mener motu proprio des enquêtes visant à accueillir les éléments de fait et de droit permet-tant de le constater : C.J.C.E., 9 nov. 2010, VB Pénzügyi Lízing Zrt., C- 137/08, D., 2011, p. 974, obs. H. AUBRY, E. POILLOT, N. SAUPHANOR- BROUILLAUD ; Rev. trim. dr. eur., 2011, p. 173, obs. L. COUTRON ; R.D.C., 2011, p. 504, note C. AUBERT DE VINCELLES. Signalons également à ce propos l’ordonnance de la C.J.C.E., 10 nov. 2010, Pohotovosť s.r.o., C- 76/10, Eur., 2011, p. 32, obs. M. MEISTER.

(75) J. MIGUET, Immutabilité et évolution du litige, Paris, L.G.D.J., 1977, n° 241 ; S. GUINCHARD, F. FERRAND, C. CHAINAIS, Procédure civile, Paris, Dalloz, 2012, nos 677 et s.

(76) J.- A. JOLOWICZ, On Civil Procedure, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 2000, p. 78.

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si le magistrat pouvait baser sa décision sur d’autres preuves que celles apportées par les parties(77).

Cependant, les réflexions sur l’élargissement des pouvoirs du juge se sont également concentrées sur le principe selon lequel le juge n’a aucun pouvoir autonome d’enquête, pour des raisons de nature idéologique(78), mais également techniques. En effet, il est désormais certain que la libre confrontation des parties ne permet pas toujours au juge de recevoir des informations suffisantes pour connaître la vérité(79), surtout en présence de rapports de force déséquilibrés, dans le cadre desquels l’application pure du principe selon lequel le juge ne peut baser sa décision que sur des preuves apportées par les parties nécessiterait la transformation du pro-cès en un instrument permettant l’obtention d’avantages injustes « plutôt que d’une opportunité, pour la partie qui a raison, de trouver une protec-tion, surtout si elle est la plus faible(80) ».

Le juge est donc tenu de mener une instruction personnelle, puisqu’il a toujours besoin d’être certain du caractère abusif ou non d’une clause(81).

Cependant, dans la majorité des ordres juridiques, à l’exception de la France, l’admissibilité des pouvoirs d’instruction se limite aux enquêtes intégratives, c’est- à- dire celles destinées à intégrer les faits allégués mais non démontrés par les parties (semiplena probatio), alors qu’il est inter-dit au juge de fonder sa décision sur d’autres faits que ceux allégués par les parties(82).

Vue sous cet angle, et malgré les prétentions de la justice substan-tielle, cette décision ne semble pas jouir d’une légitimité suffisante, dans la mesure où elle n’est que le fruit d’une simple élaboration juris-

(77) C.J.C.E., 14 déc. 1995, van Schijndel et van Veen, C- 430-1/93, Rec., 1995, p. 4705 ; en doctrine, M. LAMOUREUX, L’aménagement des pouvoirs du juge par les contractants : recherche sur un possible imperium des contractants, I, Aix- en Provence, Presses Universitaires d’Aix- Marseille, 2006, p. 193.

(78) Voy. supra, note 59 sur la conception du procès.(79) J.- A. JOLOWICZ, « Adversarial and Inquisitorial Models of Civil Procedure », 52

Int. Comp. L.Q., 2003, p. 2.(80) S. PATTI, « La disponibilità delle prove », Quad. R. trim. dir. proc. civ., 2010,

p. 75.(81) VB Pénzügyi Lízing Zrt., § 51.(82) AG Trstenjak, §§ 109 et 110. En effet, affi rmer que le juge chargé de se pronon-

cer sur le litige ne peut pas rester à la merci des informations d’autrui (M.- R. DAMAŠKA, Evidence Law Adrift, New Haven- London, Yale Univ. Press, 1997, p. 133) et qu’il peut intégrer les lacunes probatoires des parties est une chose, mais affi rmer qu’il a le pouvoir de rechercher d’autres preuves, en violant la judicial passivity, en est une autre.

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prudentielle, et qu’elle nécessiterait donc une intervention législative spécifique(83).

Même si l’on voulait lire la décision dans une perspective plus réduc-trice, en considérant que l’obligation se limite implicitement à l’activité intégrative du juge, des problèmes de coordination difficilement réso-lubles se poseraient également.

Si l’obligation d’investigation est attribuée au juge pour lui permettre de soulever d’office la nullité, et qu’elle est donc subsidiaire par rapport à la possibilité de soulever d’office la nullité, elle devra, même si elle est limitée à de rares cas pratiques(84), être soumise à la même règlemen-tation : tout comme la nullité ne peut être soulevée d’office que dans l’intérêt du consommateur, les enquêtes officieuses pourront être effec-tuées exclusivement dans l’intérêt du consommateur et n’être insérées dans le dossier qu’avec l’accord préalable de ce dernier, c’est- à- dire en l’absence de toute opposition de sa part. La possibilité d’une intégration probatoire en faveur du professionnel est donc exclue.

En appliquant le régime précité aux cas d’espèce concrets, il convient de distinguer les enquêtes en faveur de l’entreprise(85) de celles en faveur

(83) AG Trstenjak, § 57.(84) Étant donné que, dans de nombreux ordres juridiques, existe la présomption du

caractère vexatoire des clauses (simple ou irréfragable), les cas dans lesquels les enquêtes offi cieuses sont nécessaires sont résiduels ; plus particulièrement, s’agissant de la clause attribuant la compétence, le juge en évaluera d’offi ce le caractère abusif lorsqu’il vérifi era s’il est lui- même compétent à se prononcer, lorsque le barreau devant lequel la cause a été engagée n’est pas celui du domicile du consommateur ; pour tous les autres types de clause, le caractère abusif sera évalué en examinant la copie du contrat qui, vraisemblable-ment annexée, fournira tous les éléments de fait et de droit nécessaires (étant donné que, comme l’observe l’AG Trstenjak dans ses conclusions, le contrat constitue la preuve prin-cipale : § 113) ; cela étant précisé, il est possible qu’émergent des « obligations contrac-tuelles de nature substantielle » (AG Trstenjak, § 113).

(85) Il convient de préciser qu’il existe des différences sur la façon dont les ordres juri-diques internes construisent la négociation par rapport au cas d’espèce. Par exemple, dans la Directive et dans le système français, l’absence de négociation constitue une condition d’application de la règlementation du droit de la consommation (et est un élément du carac-tère abusif, tout comme le déséquilibre, excluant ainsi le contrat unilatéral) ; dans l’ordre juridique italien, au contraire, la négociation individuelle exclut l’application de cette règlementation (et le caractère abusif ; M. EBERS, Th. PFEIFFER, « Art. 6 :101-6 :306 », in Principles of the Existing EC Contract Law (Acquis Principles), I, München, 2007, p. 213). Les différentes sortes de négociations, par rapport au cas d’espèce, conditionnent la charge de la preuve : le consommateur qui entend invoquer des normes de la Dir. 93/13 devra prouver l’absence de toute négociation (art. 3.2) ; en revanche, dans les systèmes qui inversent ce rapport, le consommateur devra seulement prouver le caractère abusif de la

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du consommateur(86), et de considérer, pour des raisons de cohérence, admissibles les premières et inadmissibles les secondes.

La possibilité d’un pouvoir d’instruction relatif serait soumise, alors, à la limite obligatoire de la neutralité du juge : s’il portait secours à une partie, il compromettrait le principe d’égalité des chances des par-ties, favorisant l’une au détriment de l’autre, et violerait les principes du juste procès qui sont garantis au niveau européen par l’article 6 de la Convention des droits de l’homme et par l’article 47 de la Charte europeenne(87).

Par exemple, même dans le système qui donne le plus de force aux pouvoirs d’instruction(88) en permettant au juge d’aller au- delà des conclusions des parties(89), l’activité doit être exercée exclusivement à l’égard des deux parties.

Après avoir souligné la difficulté d’identifier concrètement la fron-tière précise entre physiologie et pathologie du relevé d’office de la part du juge, la Cour a, dans une décision ultérieure, corrigé son orientation, en affirmant que les éléments de fait ou de droit recueillis dans le cadre de l’instruction d’office doivent être soumis au contradictoire des par-ties. Ce passage est extrêmement significatif et symptomatique du choix politique de la Cour de se situer sur la ligne de tendance, de trouver un compromis entre les pouvoirs d’initiative d’office et les droits de la défense, de recourir au principe fondamental du contradictoire, qui fait

clause (si cette dernière ne fait pas partie de la liste noire ou grise) et le caractère unilatéral du contrat.

(86) L’intervention offi cieuse visant à confi rmer le cratère abusif — dont la fi nalité est d’éliminer la clause, et qui est donc en faveur du consommateur — serait admise pour éviter l’effet paradoxal de soumettre à un procès une clause (ou pire, un contrat entier) nulle dont il est impossible de déclarer la nullité à cause de l’indisponibilité des preuves.

(87) Pour le retour du droit au contradictoire visé par les art. 47 de la Charte euro-péenne et 6 de la C.E.D.H., voy. pour tous L. MINIATO, Le principe du contradictoire en droit processuel, Paris, L.G.D.J., 2008, pp. 147-151.

(88) Art. 10 du Code de procédure français en vertu duquel le juge peut demander une mesure d’instruction de sa propre initiative : J. CORNU, « Les principes directeurs du pro-cès civil par eux- mêmes (Fragment d’un état des questions) », Mélanges P. Bellet, Paris, Litec, 1991, p. 83 ; G. BOLARD, « Les principes directeurs du procès civil : le droit positif depuis Motulsky », J.C.P., éd. G., 1993, I, p. 3693 ; les juges français, qui confi rment ainsi l’inexistence d’un risque de dérive inquisitoire, n’y ont que rarement recours : L. CADIET, E. JEULAND, Droit judiciaire privé, Paris, Litec, 2004, p. 437.

(89) Ayant pour limite l’approbation de la partie qui entend se prévaloir de la preuve produite : J. HERON, Th. LE BARS, Droit judiciaire privé, 5e éd., Domat- Montchrestien, 2012, n° 261.

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l’objet d’une évolution tendant à en emphatiser le garantisme et l’aspect cognitif(90). En effet, le contradictoire est conçu comme une méthode à travers laquelle le procès aboutit à des décisions formellement correctes, mais dont il est substantiellement possible également d’approuver le contenu, dans la mesure où elles sont basées sur les éléments qui ont effectivement été débattus par les parties(91).

Cette brève description des orientations en matière d’attribution des pouvoirs du juge et des preuves, permet de constater qu’un début d’inté-gration est en train d’émerger, malgré l’absence initiale d’une politique européenne unitaire en matière de droit des preuves.

SECTION V. — POUVOIRS DU JUGE ET CHOIX DE LA JURIDICTION

La Cour de justice adopte une conception très large des modali-tés procédurales, qui comprend non seulement les règles relatives au déroulement du procès au sens strict, mais aussi celles relatives à la juridiction(92). Même en l’absence de normes permettant d’identifier la juridiction chargée de se prononcer sur la controverse, la Cour est parvenue à élaborer un principe, en vertu duquel les règles relatives à la compétence garantissent elles aussi l’effectivité de la protection juridictionnelle(93). Le principe de l’effectivité est donc associé à celui

(90) Correspondant, sur le plan européen, à l’art. 6 de la C.E.D.H., dont l’application a donné lieu à un courant jurisprudentiel (voy. C.E.D.H., Mac- Michael c. Royaume- Uni, du 24 février 1995 ; C.E.D.H., 23 juin 1993, Ruiz- Mateos el Espagne) ; dans une optique de comparaison : A. BLOMEYER, op. cit., spéc. p. 57 ; F. FERRAND, « Le principe contra-dictoire et l’expertise en droit comparé européen », R.I.D.C., 2000, p. 345. Sur le rôle du contradictoire dans les systèmes de la common law (et sur les dégénérations possibles) : R.- A. KAGAN, Adversarial Legalism : The American Way of Law, Cambridge, Harvard Univ. Press, 2003.

(91) S. GUINCHARD, « Le contradictoire au regard de la Convention européenne des droits de l’homme et du droit constitutionnel », Experts — C.E.J., sept. 1999, p. 7.

(92) Cofi dis et Mostaza Claro ; à ce propos, voy. C.J.C.E., 15 avril 2008, Impact, C- 268/06, Rec., 2008, p. 2483, §§ 47 et 48, et, surtout, les conclusions de l’AG Kokott qui effectue un examen approfondi sur la compatibilité de la répartition des normes juri-dictionnelles avec les principes d’effectivité (§§ 54-66) et d’équivalence (§§ 67-79) ; voy. également, apertis verbis, la décision Pontin (29 oct. 2009, C- 63/08, commentée dans une perspective intéressante, F. BARON, « L’application des principes de protection juridiction-nelle effective et d’égalité de traitement au bénéfi ce des travailleuses enceintes », R.A.E., 2010, p. 613), §§ 44 et 75.

(93) Voy. Pontin, § 54. Le principe est le résultat de très nombreuses décisions en matière de droit du travail et de droit de la consommation : étant donné l’obligation de

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des due process, dans la mesure où le thème de la juridiction est conçu, d’un point de vue européen, comme un service destiné à résoudre la controverse ». Le raisonnement, en effet, découle du lien évoqué entre détermination de la juridiction et justice de la décision concrète : l’effi-cacité du remède juridictionnel s’exprime également sur le plan de la désignation du juge compétent(94).

En partant du caractère vexatoire de la clause qui attribue la com-pétence au juge du domicile du professionnel(95), la Cour a élaboré un critère régulateur de la distribution des causes ayant une matrice sub-jective. À cet effet, elle part du principe que la possibilité d’éloigner la cause du siège du consommateur est incompatible avec le principe d’effectivité : l’institution du barreau le plus proche du consommateur apparaît donc comme une garantie de rééquilibrage des positions asy-métriques(96).

En accordant une importance décisive au niveau de justice et d’ef-ficience de la décision, les juges communautaires déplacent leur point d’observation de l’autorité publique vers la protection du destinataire de

résultat pesant sur les états d’introduire dans leur ordre juridique les mesures nécessaires pour obtenir l’effet visé par la Directive (Océano, § 28), en prenant toutes les décisions nécessaires à cet effet, portant sur les organes de l’État, y compris l’organe juridiction-nel, les besoins d’équivalence et d’effectivité sont aussi importants que la désignation du juge compétent à se prononcer sur les actions fondées sur le droit protégé par la Directive (Pontin, §§ 40 et 44). Le fait de ne pas les respecter compromet l’effectivité de la pro-tection juridictionnelle (Impact, § 48). Voy. aussi C.J.C.E., du 17 octobre 2013, Lokman Emrek, C- 218/12, inédite, sur la compétence en matière de contrats conclus à distance par les consommateurs ; C.J.C.E., du 14 novembre 2013, Armin Maletic et Marianne Maletic, C- 478/12, inédite, sur la compétence judiciaire en matière de contrat de voyage conclu entre un consommateur domicilié dans un État membre et une agence de voyages établie dans un autre État membre ; C.J.C.E., du 5 décembre 2013, Asociación de Consumidores Independientes, C- 413/12, inédite, sur la juridiction territorialement compétente en matière d’action en cessation introduite par une association de protection des consommateurs.

(94) Voy. Pontin, § 44, et les conclusions de l’AG Trstenjak, § 63.(95) Océano, § 24.(96) Les pays membres ont accueilli le principe de façon hétérogène : par exemple,

l’Italie prévoit, au lieu de l’application des critères généraux de compétence territoriale, un barreau spécial du consommateur, auquel les parties peuvent déroger conventionnellement (art. 33, al. 2°, lett. u), C. cons.) ; en jurisprudence, voy. Cass. S.U., 1er oct. 2003, n° 14669, Giust. civ., 2004, I, p. 2693, note LIPARI) ; en France, l’on assiste à la fi n de la conception de juridiction étatique obligatoire aux fi ns de la protection du défendeur et à l’émergence du forum actoris (L. 141-5 C. cons.) qui, s’ajoutant sans se substituer aux critères tradition-nels (art. 46 C. proc. civ.), vise à renforcer la protection du consommateur en élargissant le choix du lieu de saisine de la juridiction.

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la décision de justice(97). Ainsi, la conséquence extrême de cet objectif de protection a porté à la non- application de normes impératives dans le but de parvenir à une justice substantielle(98), en affirmant progressivement le principe selon lequel, du point de vue processuel, le critère le plus protecteur en matière de distribution des litiges sur le territoire est celui qui accorde au consommateur le choix du lieu du procès(99).

SECTION VI. — POUVOIRS DU JUGE ET DÉLAIS (EFFECTIVITÉ CONTRE CÉLÉRITÉ DU PROCÈS)

L’activisme judiciaire a parfois pris des connotations dont le sens est plus large que celui correspondant à sa fonction réelle(100), donnant ainsi lieu à une série de réactions critiques.

Une décision de justice a notamment admis la possibilité de sou-lever d’office le caractère abusif d’une clause après l’expiration du délai prévu par le droit interne(101). La décision de la Cour est une conséquence logique de son interprétation traditionnelle : en effet, si le pouvoir accordé au juge de soulever d’office le caractère abusif d’une clause est un moyen permettant d’atteindre le résultat visé par l’article 6 de la Directive 93/13, soumettre ce pouvoir à un délai serait contraire aux objectifs de la Directive, puisque l’effectivité de la pro-tection serait compromise (point 31). Le contenu de la décision est en contraste avec une orientation consolidée qui attribue au juge national, au nom de la suprématie de la certitude du droit, le pouvoir de se pro-noncer sur les forclusions, en associant le problème des délais à celui

(97) Comme s’il s’agissait, d’un point de vue commercial, d’un consommateur de jus-tice : C. HUGON, « Le consommateur de justice », in Études de droit de la consommation, op. cit., p. 517.

(98) Cass., 12 févr. 2012, n° 1875, Corr. giur., 2012, p. 337, obs. M.- C. PAGLIETTI : l’application rigide et littérale de l’art. 63 C. cons., en niant aux demandeurs la faculté de choisir le barreau qui lui convient et en augmentant de façon démesurée les frais qui en découlent, aurait limité le droit à la justice des consommateurs, trahissant ainsi l’esprit de la norme visant à protéger le consommateur.

(99) Cl. BRENNER, « Le consommateur et le procès (Rapport français) », des « Journées internationales colombiennes » de l’Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française, http://www.henricapitant.org.

(100) S. WEATHERILL, « Harmonisation, How Much, How Little ? », 16 E.B.L.R., 2005, pp. 535-536 ; pour les critiques adressées à cette position excessivement envahissante, voy. I. FADLALLAH, C. BAUDE- TEXIDOR, « L’offi ce du juge en matière de crédit à la consomma-tion : éloge de la neutralité judiciaire », D., 2003, p. 750.

(101) Cofi dis.

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de l’autonomie procédurale(102) et de l’effectivité du droit(103)(104). En effet, le principe généralement accueilli par la Cour était celui selon lequel la garantie du droit à la défense, qui est tout à fait légitime, ne peut pas en justifier l’exercice au- delà des limites du raisonnable, en en allongeant les délais.

En examinant les intérêts en jeux, la Cour semble considérer que le respect rigoureux des forclusions porterait atteinte à la nécessité d’une justice basée sur la meilleure décision du litige. L’approche, reposant sur l’examen du cas d’espèce, sacrifie la rigueur juridique (décision « rule- oriented ») au profit de l’évaluation de l’opportunité (décision « situation oriented »). En effet, le fait de renforcer le pouvoir d’inter-vention du juge, en affirmant qu’il peut et qu’il doit intervenir pour rééquilibrer les inégalités entre le consommateur et le professionnel(105), est une chose. Le fait de lui attribuer des pouvoirs qui déstabilisent un système de principes, tels que l’autonomie procédurale et la certitude du droit, et qui risquent aussi de transformer le juge en partie(106), en est une autre.

Les décisions de justice se divisent sur le point, traditionnelle-ment controversé, de savoir s’il est préférable de donner la priorité à la justice substantielle par rapport au respect des règles procédu-rales. Il s’agit du cas où une décision sur le fond s’avère susceptible de compromettre le respect de certaines règles formelles ou bien de rendre une décision respectant pleinement les règles de procédure, mais « injuste »(107). Ce dernier point oblige, théoriquement, l’inter-prète à s’interroger sur l’opportunité d’adhérer idéologiquement à un

(102) Rewe.(103) C.J.C.E., 10 juillet 1997, Palmisani, C- 261/95, Rec., 1997, p. 4025.(104) C.J.C.E., Rewe ; en doctrine, M. HOSKINS, « Tilting the Balance : Supremacy and

National Procedural Rules », 21 E.L.R., 1996, p. 365 ; S. PRECHAL, « Community Law… », op. cit., p. 681.

(105) Océano, § 27.(106) I. FADLALLAH, C. BAUDE- TEXIDOR, « L’offi ce du juge… », op. cit., p. 751 ; sur la

nécessité que la Cour trouve un équilibre entre le principe de la certitude du droit et celui de l’accès à la justice (en l’espèce, des travailleurs), voy. N. BUBSY, « Only a Matter of Time », 64 Mod. L.R., 2001, spéc. p. 490.

(107) La question a entraîné de nombreuses modifi cations de la procédure britannique : A. ZUCKERMAN, Introduction à Civil Justice in Crisis, Oxford, Oxforf Univ. Presse, 2003, p. 6 ; M. ROSENFELD, Just Interpretations. Law between Ethics and Politics, Berkley, Los Angeles- London, 1998, p. 11 ; déjà M. CAPPELLETTI, « Fundamental Guarantees of the Parties in Civil Litigation : Comparative Constitutional, International and Social Trends », 255 Stanf. L.R., 1973, p. 701.

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modèle de procès basé sur la procedural plutôt que sur la substantive justice(108).

SECTION VIII. — LES CONSOMMATEURS DANS LE PROCÈS : PRÉSOMPTIONS, INERTIE ET PARADIGME DU CONSOMMATEUR MOYEN

(MODÈLE ACCUSATOIRE CONTRE MODÈLE INQUISITOIRE)

À latere du renforcement des pouvoirs du juge et des droits du consom-mateur, la jurisprudence modifie également la charge de la preuve : elle crée une série de présomptions favorables au consommateur(109). En effet, la Cour pose une présomption irréfragable d’inertie involontaire et non fautive du consommateur, en excluant même la possibilité, pour le professionnel, de fournir la preuve contraire. Par conséquent, le juge ne pourra pas évaluer le degré de négligence qui est à l’origine de certaines défaillances processuelles (même si elles sont grossières) et devra inter-venir d’office pour secourir le consommateur. Si l’on ajoute à cela que le pouvoir de soulever la nullité est implicite(110), il apparaît clairement que la Cour a parallèlement construit autour du professionnel un système bloquant toute initiative processuelle qui permettrait à cette partie de se soustraire au contrat en invoquant une nullité dont il est lui- même à l’ori-gine ou en prouvant une inertie volontaire du consommateur. Lorsque, dans un procès du consommateur, il est question de la nullité d’une clause, il s’agit donc plus d’un dialogue plutôt que d’une confrontation entre trois interlocuteurs.

Ces brèves observations montrent bien que l’effort de reconstruction, dans l’édification du régime européen de la procédure du relevé d’office, consiste à harmoniser entre elles deux tendances opposées : celle, d’un côté, du renforcement des pouvoirs du juge pour protéger la partie faible ; d’un autre côté, celle du refus du totalitarisme judiciaire qui risquerait

(108) J.- A. JOLOWICZ, « The Woolf Report and the Adversary System », 15 C.J.Q., 1996, p. 199.

(109) Le choix est conforme à la tendance à considérer la répartition de la charge de la preuve comme un instrument de protection face à certaines situations particulières (M.- R. DAMAŠKA, Two Faces…, op. cit., pp. 120-121). À défaut de règles positives et vu la nécessité de modifi er la charge de la preuve, la jurisprudence recourt à un processus logique de présomption prévoyant une règle de responsabilité différente adaptée au cas concret, et dans ce cas favorable au consommateur.

(110) Cette faculté n’a jamais affi rmé ouvertement en jurisprudence, mais constitue la conséquence logique de décisions précédentes et répond à la nécessité d’une cohérence interne.

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de donner lieu des abus (de la part du juge) ainsi qu’à des comportements opportunistes (de la part des consommateurs)(111).

À ce propos, il est possible d’envisager que la notion de consomma-teur moyen puisse également faire l’objet d’une règlementation parti-culière dans le droit processuel. Ce concept a fait l’objet de réflexions approfondies en doctrine(112) et en jurisprudence(113) et il a même été introduit dans la législation(114). Si l’on accueille effectivement le prin-cipe de la complémentarité réciproque de la négociation et du procès, c’est- à- dire le principe selon lequel les normes règlementant ces deux domaines visent à rééquilibrer des rapports inégaux, il est évident que ces deux domaines interviennent sur le même modèle subjectif de réfé-rence. Le droit processuel devrait, en se conformant aux tendances du droit substantiel, adopter une approche libérale et non pas paternaliste, et refuser des choix normatifs attribuant aux pouvoirs publics le soin d’assurer une protection totale des intérêts du consommateur, qui devrait au contraire être considéré comme « une personne dotée d’un bon niveau d’instruction et d’un sens critique suffisant ».

L’adoption d’un modèle de responsabilisation du consommateur per-mettrait de : i) dépasser les limites systématiques de la notion de partie faible, qui est fragmentée et élargie en fonction des différents contextes ; ii) limiter les excès de l’activisme judiciaire de la part de la jurisprudence et de continuer à en garantir la neutralité(115) ; iii) limiter les dérives d’un garantisme excessif qui, par un effet boomerang paradoxal, finirait par porter atteinte à la personne devant être protégée. En effet, si elles per-çoivent le juge comme un adversaire, les entreprises pourraient renon-cer à l’introduction, sur le marché, de nouveaux produits pour éviter le risque- procès(116).

(111) Voy. infra, § 6.(112) J. DAVIS, « Locating the Average Consumer : his Judicial Origins, Intellectual

Infl uences and Current Role in European Trade Mark Law », I.P.Q., 2005, p. 183 ; G. ANAGNOSTARAS, « The Unfair Commercial Practices Directive in Context : from Legal Disparity to Legal Complexity ? », 47 C.M.L.R., 2010, p. 147 ; V. MAK, « Standards of Protection : in Search of the “Average Consumer” of EU Law in the Proposal for a Consumer Rights Directive », 18 E.R.P.L., 2011, p. 25.

(113) Voy. C.J.C.E., Estée Lauder, C- 220/98, Rec., 2000, p. 117, § 27 ; et C.J.C.E., 24 oct. 2002, Linhart et Biffl , C- 99/01, Rec., 2002, p. 9375, § 17.

(114) Dir. 2005/29/CE, art. 5(2)(b), 6(1), 7(1) et 8.(115) G. BOLARD, « L’offi ce du juge et le rôle des parties : entre arbitraire et laxisme »,

J.C.P., éd. G, 2008, p. 156.(116) I. FADLALLAH, C. BAUDE- TEXIDOR, « L’offi ce… », op. cit., p. 324.

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L’excès de garanties en faveur du consommateur contient le spectre de l’abus du procès. Or, ce problème a déjà été constaté dans les pays où de robustes protections processuelles du consommateur ont exposé les entreprises à legalized blackmail, qui sont typiques des class actions mais qui ne se limitent pas à ces dernières(117). Autrement dit, les réflexions sur l’édification d’un modèle processuel entre « parties inégales » menées sur le plan politique et par la doctrine favorable à une protection raison-nable du consommateur(118) doivent s’orienter vers l’équilibre nécessaire entre le principe d’effectivité et la prévention des controverses(119), en prévoyant également le risque de comportements opportunistes de la part des consommateurs.

SECTION IX. — REGROUPEMENT DES DEMANDES ET DES FONCTIONS RÉGULATRICES/DISSUASIVES

DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

La notion d’effectivité s’inscrit dans une perspective culturelle tenant compte de la dimension collective des conflits. L’élargissement de la capacité d’ester en justice et, par conséquent, l’admissibilité des actions collectives, qui reflète le passage inédit de la traditionnelle action indi-viduelle à un droit d’agir attribué à des entités pour leur permettre de défendre des intérêts collectifs, constitue l’une des formes les plus évi-dentes de l’adaptation du procès à la spécificité du rapport substantiel.

(117) Voy. à ce propos les essais classiques de D. ROSENBERG, « Class Actions for Mass Torts : Doing Individual Justice by Collective Means », 62 Ind. L.J., 1987, p. 561 ; et A.- R. MILLER, « Of Frankenstein Monsters and Shining Knights : Myth, Reality, and the “Class Action Problem” », 92 Harv. L.R., 1979, p. 664.

(118) Voy. également le decisum de C.G.U.E., 15 mars 2012, Jana Pereničová, C- 453/2010, encore inédite (qui souligne la nécessité de trouver un juste équilibre entre le critère de l’intérêt prioritaire du consommateur et celui de la conservation — ou pas — du contrat) ; voy. A. TENENBAUM, « La portée de l’harmonisation des directives en droit de la consommation — La proposition de statut de la fondation européenne », R.C., 2012, p. 966.

(119) A.- J. DUGGAN, « Consumer Access to Justice in Common Law Countries : a Survey of the Issues from a Law and Economics Perspective », in C.- E.- F. RICKETT, T.-G.- W. TELFER, International Perspectives on Consumers’ Access to Justice, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 2003, p. 46. Aux États- Unis, le problème du contentieux des consommateurs et la nécessité de décourager les comportements opportunistes font l’objet d’un débat depuis les années quatre- vingt ; pour un cadre général du problème, voy. K. ROACH, L. SOSSIN, « Law, Economics And Public Policy : Essays in Honour of Michael Trebilcock », 60 Univ. Toronto L.J., 2010, p. 373.

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Par conséquent, la prémisse logique était, avant même d’être juridique, celle de combattre le tabou des actions collectives, ce qui était loin d’être évident.

L’action législative se concentre ainsi sur le double aspect de la typi-cité de l’action engagée et du standing du demandeur. S’agissant de l’as-pect subjectif, la protection devient de plus en plus rigide et prédéfinie et prévoit l’implication presque exclusive du consommateur.

Sur le plan collectif, les instruments visant à garantir l’effectivité de la protection sont des actions permettant au plus grand nombre possible de personnes d’agir en groupe(120). En effet, il est possible de constater que, durant la phase initiale de constitution de l’Union europeenne, les actions inhibitoires se sont accréditées comme un modèle de gouverne-ment des controverses de masse(121). Toutefois, ces actions, qui sont tour-nées vers le futur et qui ont une influence sur le contrat, ne permettent pas toujours d’assurer une protection appropriée au consommateur. Or, le dédommagement collectif d’une pluralité de victimes constitue désor-mais une nécessité évidente soulignée en littérature, et ce du point de vue de l’économie processuelle, de l’uniformité des décisions, de la réduc-tion des coûts (d’accès à la gestion de la justice)(122) et du niveau adéquat de dissuasion (better level of deterrence)(123). Le débat européen s’est déplacé vers l’opportunité d’introduire une action de classe, étant donné que la protection préalable à la réalisation du dommage ne permettait pas d’assurer une protection effective du consommateur et qu’il existait une nécessité parallèle de regrouper les actions. On remarquera que, sur le plan dogmatique, la class action implique que le principe de la protec-tion individuelle et successive ne soit pas appliqué(124).

(120) M. CAPPELLETTI, B. GARTH, « Access to Justice : The Newest Wave in the Worldwide Movement to Make Rights Effective », op. cit., p. 181.

(121) M.- U. DOCEKAL, P. KOLBA, H.- W. MICKLITZ, P. ROTT, The Implementation of Directive 98/27/EC in the Member States, Bamberg, Vienna, 2005.

(122) Le rapport entre la class action et la garantie de l’accès à la justice s’exprime à travers la réduction des asymétries des investissements entre les parties : voy. l’essai classique de M. GALANTER, « Why the “Haves” Come Out Ahead : Speculations on the Limits of Legal Change », Law & Society, 1974, p. 95 ; ainsi que les travaux de D. ROSENBERG, « Mass Tort Class Actions : What Defendants Have and Plaintiffs Don’t », 37 Harv. J. Legisl., 2000, spéc. p. 397 ; D.- M. KAHAN, « The Logic of Reciprocity : Trust, Collective Action, and Law », 102 Mich. L.R., 2003, p. 71.

(123) R. CRASWELL, « Deterrence and Damages : The Multiplier Principle and Its Alternatives », 97 Mich. L.R., 1999, p. 2185.

(124) Déjà, avec perspicacité, S. GUINCHARD, « L’action de groupe en procédure civile française », R.I.D.C., 1990, p. 599 ; D.- R. HENSLER, « Using Class Action to Enforce

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L’évolution naturelle de la protection collective se déplace donc vers la nécessité de réparer les dommages découlant de la contractualisation de masse et la pluralité des victimes. Elle amène également à s’interro-ger, à travers une perspective plus technique, de la nouvelle fonction qui est attribuée à la responsabilité civile(125). En effet, la nouvelle frontière de la protection collective est influencée par le débat sur les modèles et sur le rôle du dédommagement, qui a non seulement une fonction com-pensatoire, mais également une fonction de sanction et de dissuasion(126). À l’heure actuelle, les efforts des systèmes les plus évolués (ainsi que la portée, sur le plan juridique, de la globalisation économique), visent à garantir les avantages de l’économie d’échelle en empêchant toute-fois les dégénérations pouvant découler de cette dernière, aussi bien en termes de dommages aux consommateurs que de pratiques abusives.

En conséquence, le regroupement des demandes judiciaires(127) a un double effet : la réparation du dommage (en faveur du consommateur) et la dissuasion (du professionnel)(128). Cette double fonction explique l’intérêt communautaire pour les actions collectives et des nombreuses interventions transversales, aussi bien dans le droit des contrats que dans celui de l’antitrust(129).

S’agissant du premier aspect, la légitimité juridico- politique des ini-tiatives communautaires est reconnue par l’article 10 du Traité CE ; s’agissant, en revanche, de l’aspect dissuasif, les observateurs les plus

Consumer Protection Law », in G. HOWELLS, I. RAMSAY, Th. WILHELMSSON, Handbook of Research on International Consumer Law, Cheltenham, Northampton, Elgar, 2011, p. 515.

(125) F. CAFAGGI, H.- W. MICKLITZ, « Administrative and Judicial Enforcement in Consumer Protection : The Way Forward », in F. CAFAGGI, H.- W. MICKLITZ, New Frontiers of Consumer Protection : the Interplay Between Private and Public Enforcement, Mortsel, Intersentia, 2009, p. 401.

(126) Une littérature abondante est consacrée au concept de responsabilité civile comme instrument permettant de réduire les illégalités (déjà développé par W. OLSON, « Overdeterrence and the Problem of the Comparative Risk », in W. OLSON, New Directions in Liability Law, New York, Academy of Political Science, 1988, pp. 42-53), en matière de private enforcement qui, dans la partie expressément consacrée à l’effet dissuasif, doit à la doctrine son analyse économique du droit : voy. parmi les manuels, S. SHAVELL, Foundations of Economic Analysis of Law, Cambridge, Harvard Univ. Press, 2004, spéc. p. 175.

(127) Voy. R.- A. NAGAREDA, « The Preexistence Principle and the Structure of the Class Action », 103 Columbia L.R., 2003, p. 149.

(128) Les deux aspects concernent respectivement le consommateur et le profession-nel : D.- M. KAHAN, « The Discret Ambition of Deterrence », 113 Harv. L.R., 1999, p. 413.

(129) En général, sur le besoin de collective redress : W.- H. VAN BOOM, M. LOOS, Effective Enforcement of Consumer Law in Europe…, op. cit.

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critiques voient dans la légitimation collective un instrument de régu-lation du marché qui modifie le comportement des demandeurs privés, mais aussi celui des demandeurs institutionnels(130).

À l’heure actuelle, la législation relative à la protection collective comprend une Directive sur les actions inhibitoires (Directive 2009/22/CE), un Livre blanc sur les actions en réparation des dommages dérivant de la violation des normes antitrust communautaires(131) et un Livre vert sur les moyens de recours collectifs des consommateurs(132).

Le Livre blanc et le Livre vert ont des domaines objectifs et sub-jectifs différents : le premier s’adresse aussi bien aux consommateurs qu’aux entreprises, le second exclusivement aux consommateurs. En revanche, ils poursuivent tous deux une politique du droit basée sur deux principes communs : d’une part, le plus grand élargissement possible du cercle des légitimés à agir pour tenter d’adapter sur le plan collec-tif le principe énoncé sur un plan individuel par la décision de justice Courage(133) ; d’autre part, l’introduction d’un modèle non pas américain mais européen(134) de class action. À la lumière de cet objectif commun,

(130) Vu que, d’un côté, le plus haut niveau de deterrence est atteint lorsque l’entreprise s’expose au risque de devoir verser des sommes d’un montant égal ou supérieur à celles économisées par son comportement négligent (D. ROSENBERG, « Decoupling Deterrence and Compensation Functions in Mass Tort Class Actions for Future Loss », Virg. L.R., 1988, p. 1871), et que, d’un autre côté, la faible entité du dommage subi n’incite pas l’indi-vidu à engager une action, les systèmes prévoient une augmentation de la sanction du res-ponsable du dommage. C’est dans cette perspective que les punitive damages deviennent partie constituante du système de la class action (R.- D. COOTER, « Punitive Damages for Deterrence : When and How Much ? », 40 Alab. L.R., 1989, p. 1143 ; M. POLINSKY, S. SHAVELL, « Punitive damages : an economic analysis », 111 Harv. L.R., 1998, p. 869).

(131) Du 2 avr. 2008, COM (2008) 0165.(132) Du 27 nov. 2008, COM (2008) 794. Voy. Ch. HODGES, « Collective Actions », in

P. CANE, H. KRITZER, The Oxford Handbook of Empirical Legal Research, Oxford, Oxford Univ. Press, 2010 ; idem, « Collective Redress in Europe : The New Model », 7 C.J.Q., 2010, p. 370.

(133) C.J.C.E., 20 sept. 2001, Courage, C- 453/99, Rec., 2001, p. 6297.(134) Les interventions communautaires sont effectuées avec précaution et avec un

refus de fond pour le modèle de class action américain, vu le risque de dégénérations (à ce propos, voy. les essais classiques de D. ROSENBERG, « Class Actions for Mass Torts : Doing Individual Justice by Collective Means », 62 Ind. L.J., 1987, p. 561 ; et A.- R. MILLER, « Of Frankenstein Monsters and Shining Knights : Myth, Reality, and the “Class Action Problem” », 92 Harv. L.R., 1979, p. 664 ; Ch. HODGES, Reform class and representative actions in Europe : A new approach to collective redress, Oxford, Hart Publishing, 2008 ; N. REICH, « Horizontal liability in EC law : Hybridisation of Remedies for Compensation in Case of Breaches of EC Rights », 44 C.M.L.R., 2007, p. 705.

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Revue de droit international et de droit comparé, 2014, n° 3

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il serait souhaitable de trouver des solutions partagées par les intéressés, pour éviter une nouvelle fragmentation des procédures, dont avant tout l’adoption d’un modèle de standing élargi(135).

Une lecture unitaire du matériel mentionné permet d’identifier cer-taines tendances de fond :

• il existe un modèle de « légitimation européenne » qui est carac-térisée, d’une part, par l’élargissement du cercle des légitimés, qui ne se limite pas aux associations de catégorie, mais qui concerne également le consommateur individuel, et, d’autre part, par une application sectorielle, qui n’est accordée qu’aux consommateurs, à l’exclusion de toutes les autres catégories de personnes « faibles », par exemple : les petits entrepreneurs, les travailleurs(136), etc. ;

• préférence donnée à un système de opt- in : l’appartenance d’une per-sonne à la classe en question se base sur son entrée volontaire(137) ;

• la permanence du droit à l’action individuelle.

(135) P. BIAVATI, « Is Flexibility a Way to the Harmonization of Civil Procedural Law in Europe ? », in F. CARPI, M.- A. LUPOI, Essays on Transnational and Comparative Civil Procedure, Torino, Giappichelli, 2001, p. 85.

(136) Loin d’être fondé sur un paternalisme juridique, le choix est justifi é par des objectifs de politique de droit et de structuration du marché : en effet, vu le lien étroit entre la concurrence et le contrat, les initiatives portant sur les actions collectives s’inscrivent dans une politique européenne de la concurrence.

(137) Voy. tout d’abord J. STUYCK, « Class Actions in Europe ? To Opt- in or to Opt- out, that is the Question », 20 E.B.L.R., 2009, p. 483.

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