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p.6 p.8 p.10 Focus Philharmonie : « Notre défi pour l'avenir : maintenir la barre aussi haut. » Ouverte depuis presque deux ans, la Philharmonie de Paris a trouvé son public et son iden- tité. Interview en forme de bilan avec Laurent Bayle, son direc- teur général. Retour sur Proche-Orient : la musique pour grandir Les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris participent depuis 2007 à des actions édu- catives et solidaires en Palestine et en Israël. Un engagement sur le long terme. En travaux Un amour de tortue La compositrice Isabelle Aboulker a mis en musique le conte de Roald Dahl Un amour de tortue. Rencontre avec une passionnée de l’écriture musi- cale à destination du jeune public. Grand angle Quand le classique rencontre la vidéo p.2 La vidéo est de plus en plus utilisée dans les opéras et concerts classiques. N’est-elle qu’un outil au service du metteur en scène ? Ou un art nouveau qui réinterroge la musique ? de l’Orchestre de chambre de Paris Le Magazine NOVEMBRE 2016 | n° 6

Le Magazine · est forte, plus il faut de grands artistes pour la mettre en valeur. » FIDELIO, L’OPÉRA INACHEVÉ ? Beethoven n’a cessé de remettre en question la partition

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FocusPhilharmonie : « Notre défi pour l'avenir : maintenir la barre aussi haut. »Ouverte depuis presque deux ans, la Philharmonie de Paris a trouvé son public et son iden-tité. Interview en forme de bilan avec Laurent Bayle, son direc-teur général.

Retour surProche-Orient : la musique pour grandirLes musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris participent depuis 2007 à des actions édu-catives et solidaires en Palestine et en Israël. Un engagement sur le long terme.

En travauxUn amour de tortueLa compositrice Isabelle Aboulker a mis en musique le conte de Roald Dahl Un amour de tortue. Rencontre avec une passionnée de l’écriture musi-cale à destination du jeune public.

Grand angleQuand le classique rencontre la vidéo

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La vidéo est de plus en plus utilisée dans les opéras et concerts classiques. N’est-elle qu’un outil au service du metteur en scène ? Ou un art nouveau qui réinterroge la musique ?

de l’Orchestre de chambre de ParisLe Magazine

NOVEMBRE 2016 | n°6

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ÉDITOQu’est-ce que peut être un orchestre au XXIème siècle ? Quel doit être son rôle aujourd’hui ? Sa place dans la société ? Chaque jour ces questions guident nos réflexions et sont le moteur de nos projets. Avant toute chose, l’orchestre est une communauté. Une communauté créative et ouverte sur la ville et sur le monde, réunissant des hommes et des femmes tournés à la fois vers d’autres musiciens et d’autres formes d’expressions artistiques. Des artistes et des citoyens en prise directe avec la société dans laquelle ils évoluent.

Ce numéro nous parle justement de ces artistes qui forment avec nous une communauté : la compositrice Isabelle Aboulker travaillant elle-même à partir de l’œuvre littéraire de Roald Dahl, ou bien le vidéaste Peter Mumford qui met son art au service de Fidelio, opéra de Beethoven dirigé par Douglas Boyd.

Nous souhaitons aussi mettre en avant cette créativité qui doit s’exprimer partout, y compris dans le rapport avec tous nos publics. Au sein d’une des plus grandes concentrations de musiciens au monde qu’est la Philharmonie de Paris, nous sommes heureux de participer à cette belle aventure qui met la relation aux publics au centre de sa réflexion. Dans notre focus, après deux années de fonctionnement en vitesse de croisière, Laurent Bayle, directeur général de la Cité de la musique - Philharmonie de Paris, a accepté de répondre à nos questions et nous livre un premier bilan.

Enfin, loin de nous enfermer derrière les murs d’un bâtiment, aussi beau soit-il, nous évoquerons ici l’engagement sociétal d’artistes à travers l’expérience menée par une partie des musiciens de l’orchestre en Palestine et en Israël. Depuis une dizaine d’années, ils s’impliquent fortement aux côtés de partenaires locaux pour la sensibilisation et le perfectionnement de très jeunes musiciens.

Toute cette richesse d’expressions et d’initiatives, c’est à nos musiciens, cette communauté d’artistes engagés, que nous la devons !

NICOLAS DROINDirecteur général

Grand angle

Quand le classique rencontre la vidéo

La vidéo est de plus en plus utilisée dans les opéras et concerts classiques. N’est-elle qu’un outil au service du metteur en scène ? Ou un art nouveau qui réinterroge la musique ? Enquête et entretien.

L a vidéo est-elle la meilleure amie de la musique classique ? Cet art de l’image né au XXe siècle a ouvert de nouvelles

perspectives pour la création musicale  : la « musique à l’image » va du cinéma aux jeux vidéo en passant par la création plastique. Et l’utilisation d’images pour mettre en valeur la musique classique rencontre de plus en plus de succès. La vidéo est régulièrement utilisée dans la mise en scène d’opéras comme lors de concerts de musique orchestrale ou de récitals.

Les années 1970 ont vu l’émergence d’un nou-vel art vidéo à l’époque où la musique électro-nique prend elle aussi son essor. Ces deux arts passionnent les artistes à la recherche de nou-veaux moyens d’expression. L’une des figures de ce mouvement est Bill Viola, artiste américain né en 1951, qui, en parallèle à des études ar-tistiques à l’université de Syracuse à New York, étudie la musique sur synthétiseur auprès du compositeur David Tudor. Au même moment, en France, Robert Cahen intègre le Groupe de recherches musicales (GRM) et suit l’enseigne-

ment du compositeur Pierre Schaeffer tout en

s’essayant à un nouveau média, la vidéo. Avec

Portrait de famille (1971), il prend ses dis-

tances avec la composition et devient l’un des

pionniers de l’art vidéo (voir chronologie page

suivante).

Après eux, de nombreux artistes maîtrisant les

deux disciplines les conjuguent dans leurs créa-

tions : Romain Kronenberg, né en 1975, s’ins-

pire dans l’une de ses premières vidéos, Nimrod

(2006), de la musique éponyme du compositeur

britannique Edward Elgar, ou encore Jérôme

Lefdup, né en 1961, qui offre en 1984 une vi-

déo expérimentale et loufoque sur une ver-

sion de Carmen au synthétiseur. En 2009, le

plasticien sud-africain Robin Rhode collabore

avec le pianiste Leif Ove Andsnes à l’illustra-

tion des Tableaux d’une exposition de Modest

Moussorgski. Les animations vidéo et la mu-

sique sont associées lors de concerts et dans un

livre-DVD intitulé Pictures Reframed.

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En 2005, le mariage entre musique classique et vidéo prend une nouvelle dimension avec le Tristan Project de Bill Viola. Pour la nou-velle production du Tristan et Yseult de Wagner à l’Opéra de Paris, le metteur en scène Peter Sellars commande à Bill Viola une vidéo aussi longue que l’opéra, soit quatre heures. Cette vidéo sert de toile de fond à la mise en scène et propose une double lecture du drame de Wagner. « Notre but est que l’image se libère de la bande sonore et que la bande sonore se li-bère de l’image, explique Peter Sellars en 2014 lors de la reprise de la production. De façon que les deux identités, son et image, existent cha-cune dans leur propre sphère. C’est exactement ce qui amène au plaisir. »

En effet, si pour certains metteurs en scène la vidéo n’est qu’un outil supplémentaire comme la machinerie, les décors ou les accessoires, d’autres en ont fait leur marque de fabrique, leur spécialité, comme Peter Mumford. Le Britannique l’a utilisée pour mettre en scène la Tétralogie de Wagner, les quatre opéras du cycle Der Ring des Nibelungen, pour Opera North, grande compagnie lyrique d’Angleterre. Séduit par cette proposition artistique, le chef d’orchestre Douglas Boyd lui a demandé de tra-vailler avec lui sur Fidelio de Beethoven pré-senté le 24 novembre 2016 avec l’Orchestre de chambre de Paris à la Philharmonie.

Le Fidelio de Douglas Boydet Peter Mumford « En anglais, nous explique Peter Mumford, les concerts “mis en espace” sont dits “semi-staged”. C’est une expression que je déteste car elle semble dire qu’on a fait les choses à moitié ! Comme si on s’excusait de faire de la vidéo, parce que ça coûte moins cher qu’une vraie mise en scène ! » Mettre en images une version de concert d’un opéra comme Fidelio est « une idée fascinante », s’enthousiasme le met-teur en scène. « Il faut savoir laisser s’exprimer la musique. Les opéras sont faits pour être mis en scène, incarnés. Mais la vidéo va être perti-nente pour une œuvre comme Fidelio qui a une structure dramatique très délicate. Elle permet de soutenir la structure de l’œuvre. »

Fidelio tient une place à part dans le réper-toire lyrique. L’unique opéra de Ludwig van Beethoven a connu plusieurs versions (voir notre encadré). Composé une première fois en 1804 sous le titre Leonore, il fut remanié par le compositeur en 1805 puis 1806, date à la-quelle il prit le nom de Fidelio. La trame de

l’histoire – le combat de Leonore pour sortir son mari de prison – a pâti des différentes ré-écritures. Pour Peter Mumford, « il y a dans Fidelio un problème de structure dramatique. Beethoven a eu des idées musicales magni-fiques, mais la façon dont l’histoire progresse n’est pas fluide. Elle avance par à-coups. Il y a beaucoup de musiques d’ensemble – des qua-tuors vocaux par exemple – qui permettent non pas d’exprimer un avis commun mais, au contraire, des idées individuelles. Voilà pour-quoi j’ai imaginé que les images pouvaient sou-ligner les pensées personnelles de chacun des personnages. Dans ce sens, la vidéo permet une approche didactique. »

La vidéo aide à comprendre

D onner du sens, aider à la compré-hension de la musique : telle serait la force de la vidéo. Une évidence pour

Douglas Boyd : « La vidéo est l’amie de la mu-sique. Elle ajoute une dimension. On doit veil-ler bien sûr à ce qu’elle ne vienne pas pertur-ber la musique. Mais si elle est réussie, elle aide l’auditeur à apprécier l’œuvre, voire à mieux la comprendre. » Douglas Boyd en a fait l’ex-périence avec l’Orchestre de chambre de Paris en septembre 2015 lors d’une représentation de La Nuit transfigurée de Schoenberg mise en images par la vidéaste Netia Jones. « La vidéo était magnifique et elle a vraiment aidé l’au-ditoire à apprécier et à comprendre cette mu-sique. Le rythme d’une vidéo peut souligner le rythme particulier d’un passage. Plus l’œuvre est forte, plus il faut de grands artistes pour la mettre en valeur. »

FIDELIO, L’OPÉRA INACHEVÉ ?

Beethoven n’a cessé de remettre en question la partition de Fidelio. Il a même laissé trace de seize versions différentes d’un seul aria ! La plupart des interprétations données aujourd’hui se fondent sur la version de 1814 de Fidelio.

La première version de cet opéra de Beethoven avait d’ailleurs un autre nom, Leonore. « Dans Fidelio, Beethoven a gardé 50 % de Leonore, comptabilise avec humour Douglas Boyd. Mais si Leonore est fantastique (je me souviens de la version qu’en a donnée John Eliot Gardiner), l’intrigue est plus dense dans Fidelio. Si Beethoven a voulu remettre sur le métier son ouvrage, c’est peut-être à cause de la mauvaise réception de son œuvre par le public lors de la création en 1804. Pourtant, la raison de l’échec auprès du public tient moins à la qualité de la partition qu’aux événements extérieurs. Le contexte politique, l’occupation de Vienne par les troupes napoléoniennes, n’était pas en accord avec l’histoire de Fidelio dans laquelle le personnage de Leonore prône la liberté, le message de la Révolution française... »

Le message ne pouvait pas bien passer avec les soldats français occupant Vienne !

Jeudi 24 novembre, 19h30Grande salle – PhilharmonieBeethoven - FidelioDouglas Boyd, directionPeter Mumford, mise en espace et vidéoaccentus, chœurPeter Wedd, FlorestanRebecca von Lipinski, LeonoreStephen Richardson, RoccoJennifer France, MarzellineSam Furness, JaquinoAndrew Foster-Williams, Don PizarroBradley Travis, Don Fernando

Coproduction Orchestre de chambre de Paris / Philharmonie de Paris

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Peter Mumford, metteur en scène

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La langue allemande dans laquelle est écrite Fidelio représente une difficulté pour de nom-breux spectateurs. D’autant plus que Beethoven a recours au Singspiel, ces moments semi-par-lés. « Dans une version de concert, ce sont des moments-clés, analyse Douglas Boyd. Ils per-mettent aux spectateurs de comprendre le déroulement de l’action. Avec les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris et grâce au travail de Peter Mumford, nous allons pouvoir souligner l’importance de ces moments pour le public francophone qui sera dans la salle de la Philharmonie. Quand j’ai vu le travail de Peter Mumford pour le Ring de Wagner, j’ai compris la plus-value que représente la vidéo : les images ajoutent une forme narrative qui aide à comprendre les dialogues. »

L’utilisation de la vidéo ne résout évidemment pas certaines questions fondamentales que doit affronter le metteur en scène. Comme dans une mise en scène classique, Peter Mumford s’est posé la question de l’époque dans laquelle il souhaitait situer l’action des vidéos de son Fidelio. «  Je n’ai pas voulu choisir des cos-tumes du XIXe, explique-t-il. Pour moi l’histoire de Fidelio – la question du sort d’un prison-nier politique – a une telle résonance contem-poraine qu’il est plus fort de situer l’opéra à notre époque. »

Étapes de travail

B ien qu’outil novateur, la vidéo ne bou-leverse pas les premières étapes du tra-vail du metteur en scène. D’abord re-

garder le livret, la trame de l’histoire, le texte : « Quand il s’agit d’un opéra que je ne connais pas, mon premier réflexe est de lire le résumé de l’histoire, explique Peter Mumford. Pour Fidelio, ce n’était pas nécessaire : je connais et j’aime déjà cette œuvre. Je l’ai déjà mise en scène. C’est une œuvre épatante, difficile à maîtriser du premier coup. Donc on a envie de l’aborder encore et encore ! »

Ensuite vient la musique ! « Je pars de la parti-tion, explique le metteur en scène. Je laisse les images me venir à l’esprit. Quand je mets en scène un opéra, poursuit-il, mon outil principal est la partition. C’est la même chose avec la vi-déo sauf que ce sont des images qui me viennent et non des gestes. Puis je filme. Je filme de ma-nière très ouverte, sachant que je travaillerai plus tard sur le montage. Le montage se fait avec la partition, un guide musical qui ne doit pas être un carcan. »

Pour autant, la vidéo ne vient pas s’ajouter au jeu des chanteurs-musiciens. Comme dans une mise en scène classique d’opéra, le décor, les accessoires, les déplacements viennent sou-tenir le propos. « Il ne s’agit pas de raconter avec la vidéo la même histoire que celle que les chanteurs content sur scène, prévient Peter Mumford. Dans la vidéo par exemple, je ne montre pas de personnages. Je ne filme pas un double de Florestan. Il se peut qu’on voie une image d’un prisonnier, mais ce sera alors abs-trait et ponctuel, comme dans l’Ouverture par exemple. »

L’Ouverture de Fidelio est le casse-tête princi-pal des chefs d’orchestre, des metteurs en scène… et du compositeur lui-même ! Beethoven a en ef-fet composé quatre ouvertures différentes pour son opéra, long moment symphonique repre-nant toute la trame musicale de la pièce. Seul souci : une ambiance dramatique et pesante, qui contraste lourdement avec le duo plus lé-ger par lequel s’ouvre l’œuvre. Peter Mumford a eu l’idée d’utiliser l’Ouverture pour raconter en images le contexte de l’histoire de Fidelio : qui est Florestan ? Pourquoi est-il en prison ? « L’Ouverture écrite par Beethoven est particu-lièrement longue et expressive. Avec l’aide des images, elle permet de préparer l’auditeur au premier duo romantique qui suit. »

Image de Fidelio par Peter Mumford

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ChronologieMUSIQUE ET IMAGES

1892 : Émile Reynaud, créateur des premiers dessins animés, ajoute de la musique et des effets sonores aux projections de cinéma.

1924 : Erik Satie compose pour les images d’Entracte de René Clair. Musique et images sont insérées dans un ballet, Relâche, présenté le 4 décembre 1924 aux Théâtre des Champs-Élysées. L’œuvre, iconoclaste, fait scandale. Pour l’histoire de la musique à l’image, c’est un tournant : pour Satie, la musique ne sert pas à illustrer mais à souligner la structure rythmique de la vidéo

1950 : Nam June Paik présente Exposition of Music − Electronic Television 1 en Allemagne. Ses treize téléviseurs préparés pour la distorsion d’images marquent le début de l’art vidéo. Plus tard, les membres du mouvement Fluxus – Paik et Charlotte Moorman notamment – réalisent des performances artistiques associant expérimentations musicales et installations vidéo.

1983 : Élève du compositeur Pierre Schaeffer, Pierre Cahen réalise Portrait de famille, film reportage qui associe ses photos et images à des compositions personnelles. Il deviendra l’un des pionniers de l’art vidéo.

1995 : Le vidéaste Maurice Benayoun installe un dispositif vidéo interactif dans deux musées à Paris et à Montréal : Le Tunnel sous l’Atlantique relie virtuellement les spectateurs au-delà de l’océan… le tout sur une musique du compositeur argentin Martin Matalon et avec les ressources technologiques de l’IRCAM.

2005 : La mise en scène de Peter Sellars de Tristan et Yseult de Wagner à l’Opéra de Paris utilise une vidéo de Bill Viola.

2007 : Le vidéaste Pierrick Sorin imagine un dispositif vidéo original pour la mise en scène de La pietra del paragone, opéra de Rossini, au Théâtre du Châtelet. Il filme à l’aide d’une micro-caméra un décor en miniature et projette ces images en fond de scène. Il s’inspire ainsi d’une technique du début du cinéma : le fond bleu. En incrustant les chanteurs dans ces décors numériques, il bénéficie d’une grande liberté créatrice.

Durant tout le parcours de création, Peter Mumford et Douglas Boyd ont travaillé de concert. « J’ai vraiment donné “carte blanche” à Peter Mumford pour les premières étapes du travail, explique Douglas Boyd. Le chef d’or-chestre ne doit pas intervenir pour ne pas bri-ser l’inspiration du metteur en scène. À ce stade, le contraindre aurait été totalement contre-productif. Dans un deuxième temps, nous tra-vaillons plus précisément et je suis alors plus directif. C’est à lui de s’adapter à mon idée de l’interprétation, des tempi. Pendant la repré-sentation, je dois à mon tour avoir une grande liberté. Si je veux ajouter un silence à un mo-ment, il doit modifier la vidéo. Évidemment j’es-saie au maximum de partager en amont mes envies. Nous “calons” très précisément certains passages décisifs. »

Viendra ensuite l’épreuve du direct : on peut glisser une image supplémentaire ou ajouter un ralenti pour que cela « tombe » parfaitement avec la musique. « De toute façon, précise Peter Mumford, quand on monte un opéra, que ce soit avec une mise en scène ou avec des vidéos, on doit suivre la partition de très près. Dans les deux cas, on a des chanteurs sur scène et il faut s’adapter à leur manière de chanter, de bouger, de raconter l’histoire. »

Le saviez-vous ?LES JEUX VIDÉO AIMENT LE CLASSIQUE

Pour Douglas Boyd, chaque proposition est in-téressante : « Fidelio “marche” quel que soit le format, explique le chef d’orchestre. J’ai adoré la mise en scène d’époque de John Cox. Je sais que Fidelio en version de concert, sans mise en scène, est également formidable. Avec les équipes de la Philharmonie, coproducteur de ce spectacle, nous voulions proposer quelque chose de différent. »

S.G.

La musique classique est par exemple très prisée par les concepteurs de jeux vidéo. Des gamers (férus de jeux vidéo) mélomanes ont dressé sur Internet la liste des jeux qui empruntent pour leurs bandes sonores les grands tubes de la musique savante. On est très surpris de la longueur de la liste. La gratuité de certaines partitions classiques, tombées dans le domaine public, n’explique pas tout, les grands éditeurs de jeux vidéo ayant les moyens de leurs choix artistiques. La qualité des versions est l’heureuse surprise de ce mariage entre jeux vidéo et musique classique. Les premiers jeux

vidéo utilisaient des versions « au synthétiseur » qui faisaient dresser les cheveux sur la tête du mélomane. Mieux vaut oublier la version de la Toccata et Fugue en ré mineur de Bach utilisée dans l’historique jeu « Donkey Kong Jr » (1982). Dans les jeux vidéo actuels, la musique n’est plus malmenée et révèle qu’aux yeux des gamers la puissance évocatrice de la musique classique est encore très forte. En 2015, l’un des plus célèbres jeux de guerre – « Call of Duty: Black Ops III » – mettait en scène ses guerriers sur fond de « Dies irae » du Requiem de Mozart.

Douglas Boyd, chef d'orchestre

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FocusLaurent Bayle :

« Notre défi pour l'avenir : maintenir la barre aussi haut. »

Depuis son ouverture en janvier 2015, la Philharmonie de Paris a trouvé sa place et son public. Son directeur général, Laurent Bayle, dresse un premier bilan.

Quel bilan tirez-vous depuis l’ouverture de la Philharmonie de Paris ?Nous pouvons avancer des résultats très positifs quant à la présence du public aux concerts, mais aussi lors des ateliers éduca-tifs et des expositions. Le public des concerts a augmenté de 25 %, notamment par rap-port aux saisons précédentes à Pleyel. Nous avons reçu un public très large... Bien plus large que ce que les observateurs pessimistes pensaient. Ce succès concerne aussi les or-chestres en résidence comme l’Orchestre de chambre de Paris.

Diriez-vous que la Philharmonie a trouvé sa place ?Oui. Le projet de la Philharmonie a été im-médiatement identifié par le public. Nous avons réussi l’équation la plus difficile à réaliser : gagner un nouveau public et faire venir celui de la salle Pleyel. Ces conclusions viennent de notre logiciel de billetterie... ce qui veut dire qu’il y a une marge d’erreur à prendre en compte. Par exemple, une per-sonne habitant le 9e arrondissement achète

trois places, cela ne veut pas dire que les trois spectateurs viennent de cet arrondis-sement. Voilà pourquoi, avec le ministère de la Culture, nous avons lancé cet été une en-quête plus précise. Nous aurons les résultats en 2017.

Selon les premières estimations, quels sont les nouveaux publics ?Les chiffres concernant le public venant de Paris sont stables. Ceux de la première cou-ronne, des régions et de l’international ont fortement augmenté. Pour Paris, la prove-nance des spectateurs est équilibrée entre les différents arrondissements alors que la salle Pleyel rassemblait un large public de proxi-mité, au détriment de l’est et du sud de la ca-pitale. La perte de ce public de proximité est marginale comparée au gain énorme de nou-veaux publics qui ont bien compris la pro-position de la Philharmonie : une program-mation classique, traditionnelle, en semaine – avec la venue par exemple des grands or-chestres – et des week-ends plus familiaux et participatifs, ce que fait très bien l’Orchestre de chambre de Paris.

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Atelier pour enfants à la Philharmonie

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Peut-on craindre une retombée de ces chiffres, une fois l’effet ouverture passé ?Cet « effet ouverture » est souvent avéré pour les grands musées qui subissent en moyenne une baisse de 30 % de visiteurs après la pre-mière année. Les musées sont très dépen-dants des touristes occasionnels qui viennent voir un musée à l’occasion d’un voyage à Paris mais n’y retournent pas une seconde fois. Et puis, à la différence des musées, nous avons une offre artistique plus diversifiée, qui se renouvelle constamment. Les premiers chiffres montrent que la Philharmonie est en train de devenir un lieu de musique qui fidé-lise bien le public venu au départ découvrir cette salle et qui souhaite renouveler l’expé-rience. Attention néanmoins  : ces chiffres comptabilisent les entrées aux concerts et aux expositions. Et nous avons ouvert avec une exposition Bowie très internationale, un « blockbuster » ! Ce sera un défi pour l’avenir de maintenir la barre aussi haut…

Les attentats de janvier et novembre 2015 ont-ils eu des conséquences sur la fréquentation ?C’est impossible à dire car nous n’avons pas d’éléments de comparaison. Comme la salle est toujours remplie à 96 %, je me dis qu’il n’y a aucune conséquence, mais je ne sais pas si elle aurait pu être remplie à 130 % !

Comment les orchestres en résidence comme l’Orchestre de chambre de Paris ont-ils bénéficié selon vous de l’ouverture de la Philharmonie ?L’Orchestre de chambre de Paris a une sin-gularité très prononcée dont je me réjouis car elle se marie très bien avec notre pro-jet général. Ses propositions artistiques sont bâties sur le même modèle que celles de la

« L’Orchestre de chambre de Paris a une singularité très prononcée dont je me réjouis car elle se marie

très bien avec notre projet général.  »

Philharmonie : une programmation qui allie le savant et le populaire, comme ce concert d’octobre 2015 qui associait Bach à la mu-sique indienne ou encore ce Fidelio avec le travail vidéo de Peter Munford (voir notre ar-ticle page 2). De même pour les activités au-tour des concerts, des activités éducatives, des propositions participatives. L’Orchestre de chambre de Paris est un modèle en Île-de-France pour le déploiement éducatif.

Ses concerts à la Philharmonie sont certes peu nombreux. Son public se promène, de salle en salle, en se focalisant sur les proposi-tions musicales, mais je suis sûr que l’ouver-ture de la Philharmonie a été l’occasion pour l’Orchestre de chambre de Paris de toucher un nouveau public. L’enquête des publics en cours permettra en tout cas de vérifier si nous avons atteint cet objectif.

S.G.

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L’été dernier, une poignée de musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris se sont envolés pour le Proche-Orient.

Objectif  ? Ramallah en Cisjordanie pour l’Académie d’été Al Kamandjâti, association qui enseigne la musique aux enfants privés d’accès à la culture par la guerre. Le violoncelliste Étienne Cardoze participe au projet depuis 2007  : «  Ces camps d’été accueillent des enfants de tout âge. Nous les avons accompagnés chaque année. Et les avons vus grandir  !  » «  La musique les sort de leur quotidien, a constaté Hélène Lequeux, violoniste. La situation politique régionale a des conséquences directes sur la vie de ces jeunes musiciens. Leurs professeurs peuvent facilement s’absenter pendant un an. Les étudiants sont donc très demandeurs et suivent nos conseils à 100 %. Un jeune m’a dit un jour : “Si tu veux, on peut travailler toute la nuit !” Pour nous, les musiciens de l’orchestre, cela relève d’un besoin d’évasion. Cela rend l’intensité de l’engagement encore plus prégnant. »

En Israël, d’autres musiciens de l’orchestre interviennent pour sensibiliser à la musique classique. Marc Duprez a participé à plusieurs voyages à destination de Tel-Aviv ou de la vallée de Jezreel dans le nord du pays. « Les premières fois, nous proposions des séances de 30 à 45 minutes sous forme de concerts et d’échanges avec les enfants. Même si les professeurs les

avaient un peu préparés, ils n’avaient qu’une connaissance vague de la musique classique. Puis nous avons pu mettre en place un travail avec ceux pratiquant la musique et proposer une master class portant sur la musique de chambre. Quand l’Orchestre de chambre de Paris nous a proposé de nous rendre en Israël, j’ai été surpris. Le niveau des musiciens en Israël est très bon, leurs orchestres très réputés. Le pays avait-il besoin de nous pour découvrir la musique classique ? Finalement, j’ai compris qu’en Israël comme en France il y a des endroits reculés ne bénéficiant pas d’une ouverture sur cette musique. »

À l’Académie d’été Al Kamandjâti, les étudiants les plus avancés reçoivent une formation à la pratique orchestrale. « L’orchestre est le grand modèle, affirme Ramzi Aburedwan, fondateur de l’association. Jouer en orchestre prouve que l’on peut écouter l’autre. Chacun a sa place avec sa différence de caractère, de volume et de timbre. C’est une discipline et un état d’esprit : le respect de l’autre. » L’Orchestra Ramallah, la formation issue d’Al Kamandjâti, compte aussi de jeunes professionnels qui ont reçu une formation en France, dans les conservatoires de Bordeaux, Toulouse et Angers. Ils reviennent pour enseigner dans le camp d’été afin de transmettre, à leur tour, leur passion et leurs savoirs aux plus jeunes. « La première génération a grandi. Il faut à présent soutenir la deuxième, résume Bernard Chapron, flûtiste à l’Orchestre de chambre de Paris. Il faut que cela perdure. »

S.G.

Des musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris vont enseigner la musique aux enfants de Palestine et d’Israël. Témoignages.

Retour sur…Proche-Orient :

la musique pour grandir

Concert commenté par les musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris à l’école Bialik-Rogozin de Tel-Aviv en mars 2016

Séance d’orchestre avec de jeunes musiciens dans la vallée de Jezreel en novembre 2014, en partenariat avec le Multicultural Center for the Arts.

L'Orchestra Ramallah en concert au musée Mahmoud Darwish de Ramallah le 21 juin 2014

« Un jeune m'a dit un jour : “Si tu veux, on peut travailler

toute la nuit !” »

RepèresUN PROJET, DES PARTENAIRES

Dans le cadre d’un partenariat avec l’association Al Kamandjâti, des musiciens de l’Orchestre de chambre de Paris se rendent chaque année depuis 2006 en Palestine. Cette action a d’abord été soutenue exclusivement par la Ville de Paris puis, à partir de 2011 et jusqu’à l’année dernière, par la Ville de Paris et l’Institut français. Sur place, les musiciens bénéficient pendant leur séjour de l’appui du consulat général de France à Jérusalem.

En parallèle et depuis 2012, d’autres musiciens se rendent également en Israël dans le cadre d’un partenariat avec l’université de Tel-Aviv et avec l’école de musique Buchmann-Mehta, département de l'université. Ces séjours bénéficient de l’aide logistique des Amis français de l’université, de l’appui de l’ambassade de France et de l’Institut français de Tel-Aviv et du soutien de la Ville de Paris et de l’Institut français.

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Actualités

Bal Paris-Vienne Un bal classique et parisien au Centquatre.

L’Orchestre de chambre de Paris, dirigé par Julien Masmondet, vous fait danser au rythme de valses françaises et viennoises. Au programme, des extraits de la Gaîté parisienne de Jacques Offenbach, des valses d’Émile Waldteufel, des valses ou polka viennoises de Richard Strauss, de Franz Lehár, de grandes valses populaires d’Édith Piaf ou de Richard Galliano.

Dimanche 4 décembre 2016, 17 hInformations et réservations : 01 53 35 50 00 / www.104.fr

Bible, les récits fondateursUn concert illustré

Couplé avec un dessin animé et publié cet automne aux éditions Bayard, le livre de Frédéric Boyer et Serge Bloch, qui raconte trente-cinq récits de l’Ancien Testament, devient la matière d’une grande soirée littéraire, musicale et animée. L’orchestre, dirigé par Marzena Diakun, accompagne ces épisodes animés projetés sur grand écran dans la nef du Centquatre. Des œuvres du répertoire sacré viennent faire écho à la musique de Benjamin Ribolet.

Mercredi 21 décembre 2016, 21 hInformations et réservations : 01 53 35 50 00 / www.104.fr

Les IlluminationsSpectacle musical pour les scolaires

L’orchestre s’associe à la metteuse en scène Alexandra Lacroix et à la Compagnie Manque Pas d’Airs pour la création de ce spectacle. Les Illuminations de Britten, sur des poèmes de Rimbaud, sont mis en écho avec des extraits de la Sérénade, de la Simple Symphony et d’autres poèmes. Le comédien Éric Cantona, le ténor Nick Pritchard et les musiciens, dirigés par Adrien Perruchon, nous transportent dans un univers mystérieux, plastique et poétique.

À partir de 11 ansJeudi 2 février 2017, 14h30 Vendredi 3 février 2017, 10h et 14h30Informations et réservations : 0 800 42 67 57 / www.orchestredechambredeparis.com

NOUVELLES EXPÉRIENCES CRÉATIVES

Comp’Ose

Ent re oc tobre et décembre 2016, trois groupes composés de collégiens, de séniors et de détenus s’inspirent de la célèbre pièce d’Henri Dutilleux Mystère de l’instant pour composer une œuvre collective, dans le cadre d’ateliers menés par le pédagogue Mark Withers. Des musiciens de l’orchestre les accompagnent dans la mise en musique de leurs intentions pour donner vie à leur création collective. Elle est présentée en avant-concert au Théâtre des Champs-Élysées le mardi 10 janvier 2017. La Fondation Daniel et Nina Carasso a soutenu la première expérience de Comp'Ose en 2016.

Chansons migrantes

Dès novembre 2016, en partenariat avec le Musée de l’histoire de l’immigration, des musiciens de l’orchestre associent des publics migrants à une création musicale. Guidés par des chanteurs des Cris de Paris, des élèves de collège se réapproprient ensuite les chants populaires recueillis auprès de ces migrants. À partir de ce matériau sonore, le compositeur Pierre-Yves Macé écrit une pièce instrumentale et vocale interprétée avec orchestre et chanteurs le 4 mai 2017 à l’auditorium du Musée de l’histoire de l’immigration, en présence des acteurs du projet.

L’orchestre au CND pour une journée avec Lucinda Childs

Le Centre national de la danse propose le 19 novembre des conférences, rencontres et

performances autour de et avec la danseuse et chorégraphe américaine Lucinda Childs. L’Orchestre de chambre de Paris et le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris présentent pour l’occasion une recréation de Sunrise of the Planetary Dream Collector, créé en 1998 sur une musique de

Terry Riley. Les musiciens proposent également un programme qui retrace les influences musicales de la chorégraphe.

Informations et réservations : www.cnd.fr

UN HIVER AU CENTQUATRE-PARIS

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En travauxIsabelle Aboulker :

« Dans ma tête je suis terriblement juvénile ! »

Êtes-vous un compositeur ou une compositrice ?Je suis une musicienne ! Compositeur est un titre qui m’impressionne. Je n’aime pas les grands mots. Et je ne trouve pas le mot com-positrice très joli… mais comme il est en-tré dans le langage courant, allons-y pour « compositrice » ! Je suis presque une auto- didacte dans la composition. J’aimais impro-viser, j’aurais pu aller vers la chanson. La vie m’a amenée vers le classique… et j’en suis très contente.

Vous êtes-vous toujours intéressée à la musique destinée aux enfants ?Oui. C’est un des piliers de mon écriture. J’ai commencé à écrire dans les années 1970 pour mes deux fils. Quand on voulait emmener des enfants écouter de la musique de bonne qua-lité et de leur âge, il n’y avait souvent que des œuvres en anglais, par Benjamin Britten par exemple. En France à cette époque, c’était Marcel Landowski qui écrivait pour ce pu-

blic. Je n’étais pas la seule à faire ce constat : quand j’ai commencé à écrire pour mes en-fants, les enseignants se sont montrés très intéressés.

Vous ne trouviez pas votre bonheur dans les œuvres françaises comme Babar de Poulenc ?Non effectivement, à part Pierre et le Loup de Prokofiev. Je suis sévère, mais dans Babar le rapport musique-texte est trop long, les en-fants s’ennuient. L’Enfant et les sortilèges est une œuvre sublime mais je me souviens de m’y être ennuyée enfant. (Rires.) L’Histoire du soldat de Stravinski par exemple n’est en réalité pas écrite pour les enfants. Plus tard, j’ai composé un prologue à cette his-toire – « Le petit Ivan qui ne voulait pas être soldat »…

Comment écrit-on pour les enfants ?Ce sont des adultes… en puissance. On peut traiter beaucoup de sujets, la mort d’un

grand-père par exemple. Mais il faut les cap-tiver. On me reproche d’ailleurs d’écrire court ! J’ai un vrai rapport avec les petits enfants. Dans ma tête je continue à être ter-riblement juvénile. J’ai gardé cela, c’est mi-raculeux !

Le texte d’Un amour de tortue vous a-t-il parlé d’emblée ?Oui, tout de suite  ! Je ne connaissais pas vraiment les livres de Roald Dahl. Charlie et la chocolaterie n’était pas très connu à l'époque où mes enfants étaient petits. J’ai tout de suite senti dans Un amour de tor-tue une profonde intelligence et un rapport à l’enfance très actuel. Et il y a chez Roald Dahl un humour grinçant et en même temps une tendresse pour ses deux personnages un peu caricaturaux qui me touche et convient à mon écriture musicale. Il faut également sou-ligner que ces textes écrits en anglais sont traduits avec finesse par Odile Georges et Patrick Jusserand.

Le texte… c’est important ?Je vais être honnête : je suis incapable d’écrire de la musique pure. Sans texte, ma musique me paraît banale ! Même si l’Orchestre phil-harmonique de Berlin me commandait une symphonie, je dirais non ! (Rires.) Je me ras-sure en me disant que Poulenc ou Massenet ont eu selon moi le même souci. J’aime les images et les mots.

Isabelle Aboulker a composé la musique d’Un amour de tortue d’après le livre de Roald Dahl. Rencontre avec une passionnée de l’écriture musicale à destination du jeune public.

« Je suis incapable d’écrire de la musique pure.

Sans texte, ma musique me paraît banale ! »

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LIVRES-DISQUES

Parution des livres-disques d’Un amour de tortue et de L’énorme crocodile en octobre 2016 chez Gallimard Jeunesse. Musiques d’Isabelle Aboulker sur les textes de Roald Dahl (traductions d’Henri Robillot, Odile George et Patrick Jusserand), lus par François Morel, illustrations de Quentin Blake.

Pour certains chefs d’orchestre, la vocation vient tard, au gré des opportunités. Pour Pierre Dumoussaud, 26 ans, c’est tout le contraire : il rêve de diriger depuis qu’il a neuf ans !« En assistant aux concerts de ma mère qui chantait dans un chœur amateur », précise-t-il. Il a réalisé son rêve avec l’aide de très bons professeurs. Pierre cite notamment Nicolas Brochot, au Pôle d’enseignement supérieur de musique de Paris, et ses conseils précieux. Ou encore Alain Altinoglu, son professeur au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Dans une interview, le grand chef français témoigne : « Pierre a une autorité naturelle et une grande culture, des qualités qui le promettent à une grande carrière. » D’autres artistes de renom lui ont permis de développer ses talents : le pianiste et présen-

Quelle est l’histoire d’Un amour de tortue ?

C’est l’histoire de deux solitudes : Monsieur Hoppy, un garagiste retraité, qui, de son balcon, voit chaque jour une charmante dame, Madame Silver, retraitée elle aussi, nourrir sa tortue bien aimée prénommée Alfred.

Monsieur Hoppy est amoureux de Madame Silver mais, trop timide pour lui déclarer sa flamme, trouve un stratagème dont je ne di-rai rien, qui lui permettra de conquérir le cœur de sa bien-aimée et de l’épouser sous les accents de la marche nuptiale.

tateur Jean-François Zygel le fait régulière-ment venir dans son émission de télévision, « La Boîte à musique ». Le chef de l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Paul Daniel, l’a choisi comme assistant de 2014 à 2016. En 2015, le grand maestro Alain Lombard, souffrant, lui passe sa baguette pour diri-ger Don Carlo de Verdi à l’Opéra national de Bordeaux… Un grand défi, que le jeune Pierre relève haut la main. Les étés 2015 et 2016, il s’est rendu à Drottningholm en Suède pour assister le chef Marc Minkowski.

Grand lecteur de Roald Dahl, il a accepté avec enthousiasme de travailler avec la com-positrice Isabelle Aboulker sur L’énorme crocodile, d’après un conte de l’auteur bri-tannique. « Avant de devenir chef, j’étais bas-soniste. J’aime le caractère du basson, très expressif, un peu grotesque. C’est souvent un personnage important dans les contes musi-caux : le Grand-Père dans Pierre et le Loup et dans Piccolo et Saxo ! »

› PORTRAIT / PIERRE DUMOUSSAUD, CHEF D’ORCHESTRE

Vous parlez d’un « leitmotiv » dans le texte… un mot qui vient de la mu-sique. Avez-vous, comme Wagner le premier, utilisé des leitmotivs mu-sicaux ?

Bien sûr… Le premier étant la mise en mu-sique des mots d’amour de Madame Silver à Alfred la tortue. Le second ponctuant les idées de génie de Monsieur Hoppy.

S.G.

L’enregistrement du livre-disque de L’énorme crocodile marquait une première collabora-tion entre l’Orchestre de chambre de Paris et Pierre Dumoussaud, expérience renou-velée cet été dans Offenbach lors des festi-vals « Classique au vert » au Parc floral de Paris et « Septembre musical de l’Orne » à Mortagne-au-Perche.

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Pierre Dumoussaud, directionAnne Baquet, sopranoYves Coudray, ténorYann Toussaint, barytonOlivier Saladin, récitant

Coproduction Orchestre de chambre de Paris / Philharmonie de Paris

CONCERT

Mercredi 16 novembre 2016, 16 h 30 (séance famille)Jeudi 17 novembre 2016, 11 h (séance scolaire)Salle des concerts - Cité de la musiqueUn amour de tortue À partir de 6 ans

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Agenda

Sorties CD de l'orchestre

Événement

Orchestre de chambre de Paris221 avenue Jean Jaurès - 75019 Paris

L’Orchestre de chambre de Paris reçoit les soutiens de la Ville de Paris, de la DRAC Île-de-France – ministère de la Culture et de la Communication, des mécènes de Crescendo, cercle des entreprises partenaires, du Cercle des Amis et de la Sacem pour ses résidences de compositeurs.

L’orchestre rend hommage à Pierre Duvauchelle, créateur de la marque Orchestre de chambre de Paris.

Licence d’entrepreneur de spectacles : 2-1070176

Ne pas jeter sur la voie publique.

Dépôt légal : ISSN : 1769-0498

Rédaction : Séverine Garnier

Réalisation et coordination Service communication : Émilie Tachdjian, Gilles Pillet

Conception graphique : Agence Mixte

Relecture : Christophe Parant

Crédits photo :

SommaireCiné-concert © W. BeaucardetLaurent Bayle © P. MessinaIsraël © Romain Rancurel - Institut français d'IsraëlUn amour de tortue © Q. Blake

Grand angleFidelio © P. MumfordPeter Mumford © D.R.Ciné-concert © W. BeaucardetDouglas Boyd © J.-B. Millot

FocusLaurent Bayle © P. MessinaPhilharmonie © W. BeaucardetAtelier © W. BeaucardetAtelier Musique © Rastoin

Retour sur© Ahmad Odeh© D.R.© Romain Rancurel - Institut

français d'Israël

ActualitésComp'ose © C. EcoffetPierre-Yves Macé © J. BraunLucinda Childs © C. Wittig

En travauxIsabelle Aboulker © S. PayetL'énorme crocodile © Q. BlakeUn amour de tortue © Q. BlakePierre Dumoussaud © M. Pouliquen

AgendaAnne Gastinel © J.-B. Millot Un amour de tortue © Q. Blake Douglas Boyd © J.-B. MillotJ. Masmondet © N. Navaee Sir Roger Norrington © J.-B. Millot Sarah Connolly © H. HoffmannMarzena Diakun © L. Giza Steven Isserlis © J.-B. Millot Antoine Tamestit © E. Larrayadieu Bernarda Fink © S. Reichmann Michael Schade © H. Hoffmann

Impression : Imprimerie Chartrez

Théâtre des Champs-ÉlyséesMozart / Schnittke / Telemann Antoine Tamestit / Deborah Nemtanu

Théâtre des Champs-ÉlyséesC. P. E. Bach / HaydnJonathan Cohen / Anne Gastinel

Théâtre des Champs-ÉlyséesDutilleux / Saint-Saëns / Ravel / HaydnDouglas Boyd / Steven Isserlis

Centquatre - ParisBal Paris-Vienne Offenbach / Satie / Liszt…Julien Masmondet / Élodie Soulard

Théâtre des Champs-ÉlyséesMozartSir Roger Norrington

Centquatre - ParisBible, les récits fondateurs Lekeu / Ribolet / BlochMarzena Diakun

Salle des concerts - Cité de la musiqueMahler / SchoenbergDouglas Boyd / Bernarda Fink / Michael Schade

Salle des concerts / Cité de la musiqueUn amour de tortueDahl / Aboulker

Salle des concerts - Cité de la musiqueCorelli / Britten / BridgeDouglas Boyd / Sarah Connolly / Maîtrise de Paris

Grande salle - PhilharmonieBeethovenDouglas Boyd / Peter Mumford / accentus / P. Wedd / R. von Lipinski / S. Richardson / J. France / S. Furness / A. Foster-Williams / B. Travis

29 janv. 16 h 30

16 nov. 16 h 30 (séance famille)17 nov. 11 h (séance scolaire)

16 déc. 20 h 30

24 nov. 19 h 30

17 janv. 20 h

8 nov. 20 h

10 janv. 20 h

4 déc. 17 h

10 déc. 20 h

21 déc. 21 h

Suivez-nous#OCP1617orchestredechambredeparis.com

Retrouvez tous les programmes des concerts sur orchestredechambredeparis.comRenseignements et réservations : 0 800 42 67 57 (n° Vert gratuit) du lundi au vendredi de 14h à 18h

PHILIPPE BERNOLD ET EMMANUEL CEYSSON ENCHANTENT MOZARTEn octobre 2016 paraît un enregistrement de l’orchestre chez le label Aparté avec le chef d’orchestre et flûtiste Philippe Bernold et le harpiste Emmanuel Ceysson dans le Concerto pour flûte n° 1 en sol ma-jeur, l’Andante pour flûte en ut majeur et le Concerto pour flûte et harpe en ut majeur de Mozart.

THIBAULT CAUVIN CÉLÈBRE VIVALDILe guitariste français Thibault Cauvin sort en octobre 2016 chez Sony un disque entièrement consacré aux concertos d'Antonio Vivaldi, enre-gistré à la Philharmonie de Paris avec l'Orchestre de chambre de Paris sous la direction de Julien Masmondet.

ORCHESTRES EN FÊTE !Montrer l’orchestre, le donner à voir et à entendre, en faire découvrir toutes les facettes, dire haut et fort son dynamisme, son rôle citoyen, sa place incontour-nable en France aujourd’hui, l’offrir aux publics, et notamment à ceux qui le connaissent mal ou pas du tout : les attraits d’une manifestation nationale comme Orchestres en fête ! sont innombrables. L’Orchestre de chambre de Paris est au cœur de la fête avec plusieurs

initiatives de sensibilisation et de découverte du 18 au 20 novembre 2016.Orchestres en fête ! est organisé par l’A.F.O. (Association française des orchestres)www.orchestresenfete.com