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Le récit fantastique Le récit fantastique 1 A. Définition du genre 1. Remue-méninges Qu’évoque pour vous le mot « fantastique » ? (Lorsque vous l’entendez, quels mots, expressions, idées, situations... pouvez-vous lui associer ?) Quels types de personnages vous attendez-vous à trouver dans de tels récits ? Quels sentiments ce type de récit vous inspire-t-il ? Connaissez-vous des titres d’œuvres, de films ou de séries fantastiques ? 2. Lecture de « Le tableau » de Jean Ray 3. Questionnaire testant les connaissances du genre Voici une série de propositions : dites si elle vous paraissent vraies ou fausses, en faisant appel à ce que vous connaissez du fantastique et des éléments que vous aurez pu déceler dans la nouvelle lue précédemment. Lorsqu’il écrit un récit fantastique, l’auteur souhaite informer le lecteur Vrai / Faux témoigner de faits extraordinaires réellement observés Vrai / Faux entraîner le lecteur dans un monde merveilleux Vrai / Faux jouer sur les émotions du lecteur en perturbant les représentations 1 Séquence réalisée à partir des ouvrages suivants : Cherdon Chr, Fantastique, la nouvelle, Accès français, 1998. Dumortier J.-L., Lectures pour toi, 3 ème année, Labor, 1994. Gasquez A., Heintzmann, Le fantastique, Récits du monde, Nathan, 1994. Lebrun Cl, 800 mots pour réussir, Guides plus Belin, 2001. Lits M., Yerlès P., Le Fantastique, Collection séquence, Didier Hatier, 1992. Randanne Florence, Français 3 ème , Magnard, 1999. 1 5 10 15 20 5

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Le récit fantastique

Le récit fantastique1

A. Définition du genre

1. Remue-méninges Qu’évoque pour vous le mot « fantastique » ? (Lorsque vous l’entendez, quels mots, expressions, idées, situations... pouvez-vous lui associer ?) Quels types de personnages vous attendez-vous à trouver dans de tels récits ? Quels sentiments ce type de récit vous inspire-t-il ? Connaissez-vous des titres d’œuvres, de films ou de séries fantastiques ?

2. Lecture de « Le tableau » de Jean Ray

3. Questionnaire testant les connaissances du genre

Voici une série de propositions : dites si elle vous paraissent vraies ou fausses, en faisant appel à ce que vous connaissez du fantastique et des éléments que vous aurez pu déceler dans la nouvelle lue précédemment.

Lorsqu’il écrit un récit fantastique, l’auteur souhaite informer le lecteur Vrai / Faux témoigner de faits extraordinaires réellement observés Vrai / Faux entraîner le lecteur dans un monde merveilleux Vrai / Faux jouer sur les émotions du lecteur en perturbant les représentations

qu’il se fait de l’univers et des lois qui le régissent. Vrai / FauxDans un récit fantastique, le cadre dans lequel se déroule l’histoire

ressemble à un cadre de vie réel Vrai / Faux semble d’emblée suspect Vrai / Faux est un univers futuriste Vrai / Faux est un univers où la magie fait partie de l’ordre des choses Vrai / Faux

Dans le récit fantastique, l’événement perturbateur est totalement explicable par le raisonnement Vrai / Faux est un phénomène que la raison peut difficilement expliquer Vrai / Faux est généralement effrayant Vrai / Faux fait partie des choses qui peuvent arriver dans la vie quotidienne Vrai / Faux constitue une irruption insolite dans le monde réel Vrai / Faux

1 Séquence réalisée à partir des ouvrages suivants :Cherdon Chr, Fantastique, la nouvelle, Accès français, 1998.Dumortier J.-L., Lectures pour toi, 3ème année, Labor, 1994.Gasquez A., Heintzmann, Le fantastique, Récits du monde, Nathan, 1994.Lebrun Cl, 800 mots pour réussir, Guides plus Belin, 2001.Lits M., Yerlès P., Le Fantastique, Collection séquence, Didier Hatier, 1992.Randanne Florence, Français 3ème, Magnard, 1999.

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Dans le récit fantastique, le héros accepte d’emblée l’événement perturbateur auquel il est confronté Vrai / Faux perd immédiatement la tête Vrai / Faux essaie d’expliquer l’événement perturbateur en faisant appel à sa raison Vrai / Faux agit « en héros » de roman d’aventures Vrai / Faux

Lorsqu’il commence la lecture d’un récit fantastique, le lecteur sait d’emblée que l’histoire qui est racontée ne peut être vraie Vrai / Faux croit à la réalité de l’univers de l’histoire Vrai / Faux réagit rationnellement et affectivement en même temps Vrai / Faux

que le héros de l’histoire

4. L’avis des spécialistes

A. Tout le fantastique est rupture de l’ordre reconnu, irruption de l’inadmissible au sein de l’inaltérable légalité quotidienne.

Roger Caillois, Au cœur du fantastique, Encycl. Universalis

B. Qu’est-ce qu’un récit fantastique ?

On admet d’une manière générale qu’un récit est fantastique lorsque interviennent dans son cours des événements, des circonstances ou des êtres dont il est impossible de rendre compte rationnellement. Aucune raison positive, scientifique ne peut expliquer ces circonstances ou ces êtres, bien plus, jamais la science, quels que soient ses progrès, ne pourra en donner d’explication satisfaisante. Ces sont des êtres ou des phénomènes impossibles selon nos normes habituelles, des êtres fantastiques.

Une fée, tout en étant un être scientifiquement impossible, n’est pas pour autant un être fantastique. C’est un être « féerique » ou, mieux encore, « merveilleux ».

Ce qui distingue radicalement l’être fantastique de l’être merveilleux, donc le récit fantastique du récit merveilleux, c’est la peur. Le fantastique est effrayant alors que le merveilleux ne l’est que par instants et jamais de manière définitive. Certes des êtres mauvais comme les ogres peuvent apparaître dans des récits merveilleux, mais ils sont destinés à être vaincus et le sont immanquablement. Au contraire dans les récits fantastiques, toute victoire sur les forces du mal est précaire2, ces forces sont la plupart du temps invincibles.

Nous partirons de ces données encore très vagues : les récits fantastiques racontent des événements fictifs, impossibles, inexplicables et en même temps inquiétants et effrayants.

Raymond Rogé, Récits fantastiques, Larousse

2 Précaire : dont l’avenir, la durée, ne sont pas assurés (incertain, instable).

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C. Réalité ou rêve ?

(...) Réalité ou rêve ? vérité ou illusion ?Ainsi se trouve-t-on amené au cœur du fantastique. Dans un monde qui est bien le

nôtre, celui que nous connaissons, sans diables, sylphides3, ni vampires, se produit un événement qui ne peut s’expliquer par les lois de ce même monde familier. Celui qui perçoit l’événement doit opter4 pour l’une des deux solutions possibles : ou bien il s’agit d’une illusion des sens, d’un produit de l’imagination et les lois du monde restent alors ce qu’elles sont ; ou bien l’événement a véritablement eu lieu, il est partie intégrante de la réalité, mais alors cette réalité est régie par des lois inconnues de nous. Ou bien le diable est une illusion, un être imaginaire : ou bien il existe réellement, tout comme les autres êtres vivants : avec cette réserve qu’on le rencontre rarement.

Le fantastique occupe le temps de cette incertitude : dès qu’on choisit l’une ou l’autre réponse, on quitte le fantastique pour entrer dans un genre voisin, l’étrange ou le merveilleux.

Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel.

Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Points, Seuil.

5. Essai de définition

Le fantastique est l’intrusion, dans un cadre totalement réel (temps et lieu), de l'impossible, l'ambigu.

Cette intrusion provoque le doute, l'hésitation (on n’y croit pas), elle est scandale (car impossible et non acceptée) et engendre la peur ou le malaise.

Pour reprendre les paroles de Thomas Owen, auteur fantastique, « le fantastique est la présence inattendue de l'insolite dans le quotidien » (Revue Wallonie/Bruxelles, n°66, mars 1999, p 27).

3 Sylphide : être mythique aérien féminin plein de grâce.4 Opter : choisir.

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B. Distinction entre fantastique, merveilleux et science-fiction

1. Lecture de Jérold et le Chat de J.P. Andrevon

1. Où situez-vous cette histoire sur la ligne du temps ?……………………………………………………………………………………………….

2. Soulignez, dans les 3 premiers paragraphes, les éléments qui justifient votre réponse.3. Décrivez en quelques lignes l’univers dans lequel se déroule cette histoire.……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….

4. À quoi toutes ces transformations de la vie quotidienne sont-elles dues ?……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….5. Ces changements sont-ils bénéfiques ?……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….6. Cette histoire a-t-elle suscité de la peur en vous ? Expliquez.……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….

2. Lecture de Les Fées de Charles Perrault

a) Déterminez dans quel type d’univers se déroule cette histoire : univers réel ou irréel ? Justifiez votre réponse.……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….

b) Cette histoire a-t-elle suscité la peur en vous ? Expliquez……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….

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c) Que pensez-vous de la façon dont cette histoire se termine ?……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….

3. Lecture de La boule noire de Thomas Owen

a) Dans quel type d’univers ce récit commence-t-il ? Justifiez votre réponse.……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….

……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….

b) La chose qui apparaît à la ligne 52 vous semble-t-elle appartenir à ce monde ? Expliquez.……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….

c) Quels sont les différents sentiments qui animent Nettesheim depuis l’apparition de la chose ?……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….

d) Comment comprenez-vous la fin du récit ?……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….

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4. Vocabulaire

a) Jérold et le Chat de J.P. Andrevon

1. Automate : appareil mû par un mécanisme intérieur et imitant les mouvements d’un être vivant.

2. Un précepteur : un professeur3. Confiné : forcé à rester dans un espace limité4. Crénelé : dont le bord est découpé, garni de créneaux (cf. château fort)5. S’immiscer : s’introduire mal à propos ou indûment dans une affaire.6. Abrupte : dont la pente est quasi verticale7. En friche : qui n’est pas cultivé8. Malingre : qui est d’une constitution faible et d’une santé fragile9. Farouchement : violemment.10. La lande : étendue de terre où ne croissent que certaines plantes sauvages.11. Menu : qui a peu d’importance, peu de valeur12. Réprobateur : qui marque, exprime la réprobation, la désapprobation vive, sévère.13. Amadouer : amener à ses fins ou apaiser (quelqu’un qui était hostile ou réservé) par des

petites flatteries, des attentions adroites.14. La litanie : longue énumération. Répétition ennuyeuse et monotone (de plaintes, de

reproches, de demandes)15. Effaré : qui ressent un effroi mêlé de stupeur, une grande frayeur, souvent mêlée

d’horreur, qui glace, qui saisit.16. Se terrer : se cacher dans un terrier ou se blottir contre terre.17. Ostensiblement : qui est fait sans se cacher ou avec l’intention d’être remarqué.18. Traquer : poursuivre quelqu’un, le forcer dans sa retraite.19. Geindre : faire entendre des plaintes faibles et inarticulées.20. Impassible : qui n’éprouve ou ne trahit avec une émotion, aucun sentiment, aucun trouble21. Béante : grande ouverte22. Suinter : produire un liquide qui s’écoule goutte à goutte.23. Une charogne : Un corps de bête morte en putréfaction

b) Les Fées de Charles Perrault

24. Orgueilleuse : arrogante, hautaine, prétentieuse.25. Une aversion : une haine, une antipathie, un dégoût.26. Une lieue : ancienne unité de mesure = 4 km.27. Oui-da : oui bien sûr28. aisément : facilement29. Un don : un cadeau – un talent, un génie30. Le logis : la maison 31. À même : directement (ex. à même le goulot de la bouteille)32. Obligeante : aimable, gentille, serviable.33. Haïr : détester.

c) La Boule noire de Thomas Owen

34. Estompé : qui n’est pas net.35. Une allège : embarcation servant au chargement ou au déchargement des navires.36. Humer : sentir

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37. Des flonflons : accords bruyants de certains morceaux de musique populaire.38. Étêté : sans tête39. Insipide : Ennuyeux40. Les ténèbres : l’obscurité, le noir.41. La croisée : la fenêtre42. Perceptible : qui peut être senti43. Débusquer : chasser, déloger.44. Choir : tomber, s’écrouler45. Une humeur : substance liquide élaboré par un corps organisé46. Démunir : dépouiller, perdre.47. La lucidité : la clairvoyance, la perspicacité.48. Se dépêtrer : se tirer d’une situation, se dégager.49. Sournois : qui ne se manifeste pas franchement.50. Une nouure : un nœud, une déformation de l’extrémité des côtes, du dos.51. Un rai : un rayon.

1. Caractéristiques de chaque genre

La science-fictionOn met en place un monde nouveau au départ d’hypothèses rationnelles de type

scientifique ou pseudo-scientifique.Les œuvres de science-fiction permettent d’extérioriser certaines angoisses

contemporaines de l’homme (ex. : angoisse atomique, peur d’une catastrophe écologique, puissance technologique des machines,...)

Le merveilleuxLe merveilleux nous plonge dans un univers surnaturel logique avec ses propres lois

de fonctionnement. Le monde merveilleux est parallèle au nôtre sans le remettre en question. Il s’agit d’un univers non effrayant et moral. En effet, les notions de Bien et de Mal y sont clairement déterminées et les « mauvais » sont toujours punis.

Le fantastiqueLe récit fantastique est souvent ancré, au départ, dans un monde vraisemblable. Le récit fantastique raconte donc la brusque incursion du surnaturel dans notre univers

quotidien, une rencontre surprenante et inquiétante.

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5. Des genres voisins – tableau comparatif

Le fantastique La science-fiction Le merveilleux

Lieu où se déroulent les événements

(précision/imprécision)Époque où se déroulent les

événements(précision/imprécision)

Phénomènes(possibles/impossibles)

Réactions du héros(nulles/étonnement/recherche d’une explication rationnelle)

Attitudes du lecteur(sait qu’il est dans un univers

particulier/ à tendance à croire à la véracité de l’histoire)

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C. La peur et d’autres sentiments 5 - vocabulaire

À l’aide des définitions en italiques, complétez chaque phrase avec l’un des mots placés dans l’encadré ci-dessous. Attention aux accords !

l’angoisse le désir la honte le remords l’anxiété l’émerveillement l’inquiétude la satisfaction la confusion l’envie la panique le soulagement la consternation l’épouvante la perplexité la stupéfaction la crainte la frayeur le regret la terreur

1. Peur à la pensée de ce qui peut arriver.Au départ, c’est sans …………………….. que Marcel décide de faire une fugue dans la montagne.

2. Agitation causée par la crainte, l’incertitude, l’appréhension.L’…………………….. s’empara de Marcel, lorsqu’il s’aperçut qu’il était perdu dans les collines.

3. Grande inquiétude due à l’attente, à l’incertitude.L’…………………….. grandit chez les parents de Marcel, qui est perdu dans la montagne.

4. Envie très forte que ce qu’on souhaite se réalise.Le plus cher …………………….. de Marcel est de rester à la Bastide Neuve avec Lili.

5. Très grande admiration, éblouissement, enchantement.L’…………………….. de Marcel devant ses « chères collines » ne faiblit jamais.

6. Souhait très vif de posséder un objet ou de faire quelque chose.Paul, le frère de Marcel, a toujours …………………….. de courir les collines avec lui et Lili.

7. Sentiment pénible parce qu’un souhait ne s’est pas réalisé ou parce qu’on doit quitter ce qu’on aime.Le …………………….. envahit Marcel lorsqu’il s’éloigne de la Bastide Neuve pour rentrer à Marseille.

8. Plaisir que l’on éprouve quand ce qu’on souhaitait arrive ou quand on obtient ce qu’on désirait.Quelle …………………….. pour Marcel d’apprendre qu’il reviendra passer Noël à La Bastide !

9. Sentiment très pénible qu’on éprouve quand on est mécontent de ce qu’on a fait ou quand on se sent inférieur.Marcel a parfois …………………….. quand il se laisse mener par le bout du nez par Isabelle.

5 LEBRUN CL. et Poumarède G., 800 mots pour réussir, français 4e – 3e, Belin, 2001.

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10. Très grande inquiétude qui serre la gorge, créant un malaise physique.L’…………………….. de Marcel augmente quand le condor se rapproche.

11. Sentiment d’être débarrassé d’une souffrance, d’un souci.Quel …………………….. pour Joseph et Augustine lorsque Marcel rentre de sa fugue au petit matin !

12. Peur très violente qui fait perdre la tête.Lorsque Marcel voit le grand-duc dans sa grotte, il est saisi d’……………………..

13. Accablement, tristesse profonde.La mort d’Augustine, la mère de Marcel, plonge toute la famille dans la ……………………..

14. Peur subite et violente qui entraîne un groupe à fuir en désordre.Lorsque le condor fond sur la compagnie de perdrix, il sème la …………………….. parmi elles.

15. Gêne causée par une maladresse qu’on a commise ou par un excès de timidité.Lili le braconnier est rouge de …………………….. lorsqu’il mange pour la première fois chez des gens de la ville.

16. Peur violente causée par le sentiment d’une menace toute proche.Même Lili a été saisi de …………………….. quand il a senti le grand-duc aussi près de lui.

17. Embarras qui vient de ce qu’on ne sait pas quelle décision prendre.Joseph est dans une grande …………………….. : est-il bien raisonnable de revenir à La Bastide à Noël ?

18. Peur extrême qui paralyse.La …………………….. fige tout d’abord Marcel face au condor ; puis il prépare sa défense.

19. Malaise moral causé par la conscience d’avoir mal agi.Après avoir fui dans les collines, Marcel est pris de …………………….. et revient chez lui.

20. Étonnement si profond qu’il empêche toute réaction.Marcel apprend avec …………………….. que son père lui a menti, qu’il part le lendemain à la chasse sans lui.

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1. Placez les mots suivants dans le texte ci-dessous. Vous devez évidemment conjuguer les verbes et accorder les adjectifs :

s’affoler – s’alarmer – angoisse – anxiété – anxieux – embarrassé – s’inquiéter – redouter – soulagement.

Arthur n’est pas rentré après la classe. D’abord, Mélanie ne …………………….. pas. Elle se

dit qu’elle n’a pas de raison de ……………………… Mais, le temps passant, elle devient

…………………….. . Puis son …………………….. se transforme en ………………………

Elle …………………….. qu’Arthur n’ait eu un accident, et lorsqu’elle entend la sirène des

pompiers elle …………………….., au lieu de téléphoner à l’école ou chez Amandine, chez

qui Arthur est peut-être passé. C’est alors que celui-ci arrive assez ……………………..

d’être resté jouer au ballon si longtemps. Mais quel …………………….. pour Mélanie.

2. Les degrés de la peur.

Avec les 10 mots suivants qui expriment, tous, des formes de PEUR, formez des couples de mots où les 2 mots indiquent à peu près le même degré de peur. Faites une liste de ces couples de mots en les classant du plus faible ou plus fort.

angoisse – anxiété – appréhension – crainte – effroi – épouvante – frayeur – horreur – panique – terreur.

De plus faible au plus fort Adjectifs synonymes

1 …………………………. ………………………….

2 …………………………. ………………………….

3 …………………………. ………………………….

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5 …………………………. ………………………….

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D. Analyse d’un récit fantastique

1. Lecture de La Cafetière de Théophile Gautier

Théophile Gautier (1811-1872) Auteur français du XIXème siècle Poésie : Émaux et Camées Romans d’aventures : Le Capitaine Fracasse (1863) et Le Roman de la Momie (1858) Nouvelles fantastiques

6. Questions sur la première partie

a) Le narrateur

1. Qui parle ?……………………………………………………………………………………………….……………………………………………………………………………………………….

2. Le narrateur est-il différent de l’auteur ? Y a-t-il des indices dans le texte qui permettent de répondre avec certitude ?La suite du texte nous montre que le narrateur est impliqué dans le récit. nombreux verbes d’action et de sentiments.

La 4ème partie du récit donne le nom du narrateur (Théodore) le narrateur est différent de l’auteur.

La narration à la 1ère personne et le point de vue interne

Le récit fantastique est fréquemment conduit à la 1ère personne, selon un point de vue interne.Ce choix permet de présenter les phénomènes fantastiques à partir de la conscience du narrateur et faire partager au lecteur ses incertitudes, ses interrogations, son effroi.

Ainsi, le lecteur partage la perception du narrateur qui constate, sans les comprendre, des phénomènes surnaturels, ce qui nourrit le suspense.

b) Le contexte spatio-temporel

1. Repérez tous les éléments du contexte spatial et temporel

Le texte est composé de petits paragraphes dont certains commencent par des indications temporelles ou spatiales

1.1. Les indications de lieu Une terre au fond de la Normandie (l. 2) Lieu de notre destination (l. 7) Notre chambre (l. 10) Le lit bougeait (l. 24) Le feu (l. 26)

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les objets, les gens bougent (à partir de la l. 31)

Dans ce texte, on peut observer un phénomène de rétrécissement de l’espaceOn passe d’un cadre général à une pièce et aux éléments de cette pièce.

D’un espace ouvert, on passe à un espace fermé, réduit, qui ne concerne plus que le narrateur : sa chambre, son lit.

1.2. Les indications de temps

Ces indications jalonnent le texte de manière précise l’année dernière (l. 1) une heure après le coucher du soleil (l. 7) tout à coup (l. 30) 11 heures (l. 37) quelques instants après (l. 45)

En plus de ces indications, le récit s’inscrit dans le temps par la succession des actions exprimées au passé simple.

Comme pour les données spatiales, on remarque un phénomène de précision progressive : année – saison – heure

Différentes données se combinent à cela : des précisions météorologiques qui créent des conditions particulières le cadre intérieur qui évoque un passé, une époque le contexte nocturne (aux alentours de 11 heures)Ces éléments sont propres à brouiller les perceptions du narrateur qui est placé dans

un contexte inquiétant. En précisant le cadre spatio-temporel, le narrateur pose les bases qui rendront plus

« plausibles » la perception de phénomènes inattendus.

c) Les phénomènes anormaux

Repérez les phénomènes anormaux. Sont-ils tous du même type ?

On peut distinguer 3 types de phénomènes :

Les phénomènes qui sont prémonitoires, mais non identifiablesEx : On a l’impression d’entrer dans un monde nouveau (l. 12)

Tremblements, frayeurs (l. 21)

Les phénomènes anormaux, mais que l’on peut interpréterEx : L’agitation du lit, les tiraillements des paupières qui peuvent être interprétés

comme venant de l’agitation du dormeur (l. 24-25)Le feu qui jette des reflets rougeâtres (l. 27)

Les phénomènes inexplicablesEx : L’animation des visages des personnes des tableaux

Le mouvement des objets

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Ces phénomènes sont expliqués de manière à ce qu’on croie que les objets sont « en vie », qu’ils ont une certaine autonomie.

Ex. le lit s’agitaitle feu jetaitles bougies s’allumèrentle soufflet se prit à souffler

d) Conclusion

Cet extrait est très représentatif de l’écriture fantastique.

On y retrouve des éléments irrationnels, éléments que la raison ne peut pas comprendre.Ces éléments jettent le doute dans notre esprit et nous interroge sur une éventuelle folie.

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E. Les caractéristiques du fantastique

1. Le récit à la première personne

Le récit fantastique est fréquemment conduit à la 1ère personne. Cela permet de raconter des phénomènes fantastiques à partir de la conscience du narrateur de faire partager au lecteur ses incertitudes, ses interrogations, son effroi.

Le lecteur partage la perception du narrateur qui constate, sans les comprendre, des phénomènes surnaturels, ce qui nourrit le suspens.

7. Le contexte spatio-temporel

Les lieux sont souvent les mêmes : endroits isolés, bord de rivière, maison inhabitée, magasin d’antiquité,...

On présente au lecteur un lieu inconnu, parfois hostile. Cependant, il ne s’agit pas d’un monde imaginaire. C’est bien dans notre univers réel qu’un phénomène étrange se déclenche.

Le moment joue aussi un rôle important (crépuscule, nuit, minuit,...) ainsi que les conditions météorologiques (brouillard, pluie, tout ce qui brouille les données perceptibles).

8. Les champs lexicaux

Les champs lexicaux du surnaturel et de la mortCes champs lexicaux évoquent un monde imaginaire qui transporte le lecteur hors de la réalité. Ils révèlent la présence d’êtres immatériels (l’esprit, le fantôme, le double) ou infernaux (le diable, le sorcier).

Les champs lexicaux de la peur et de la folieCes champs lexicaux soulignent la terreur qu’inspirent aux personnages ou au narrateur les phénomènes paranormaux et mettent en place une atmosphère d’épouvante, de terreur, d’angoisse, de folie qui s’entremêlent pour brouiller nos perceptions et nous faire douter.

9. L’expression de l’indétermination

Les modalisateurs du doute et les indéfinis qui plongent le lecteur dans le flou.Des verbes tels que croire, penser, sembler, paraître ou des locutions adverbiales comme peut-être, sans doute traduisent la perplexité du personnage ou du narrateur. Des pronoms indéfinis (quelqu’un, quelque chose, on), démonstratifs (cela, ça) ; des expressions indéterminées (la créature, la chose), mettent en évidence le caractère innommable de toute présence surnaturelle.

10. La personnification

Figure de style qui consiste à attribuer des conduites ou des traits humains à des objets ou à des idées et peut produire, selon les contextes, des effets poétiques, tragiques ou comiques.

Ex. : Alors un mouvement se faisait dans les buissons. Une rose, empourprée d’une flamme céleste, levait la tête et regardait Médar avec un sourire angélique.

E.T.A. Hoffmann, Les Élixirs du diable.La rose personnifiée devient extraordinaire.

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Le récit fantastique

F. La grille du fantastique

1. Introduction

Une histoire banale. Un décor réaliste. Des faits ordinaires. Dans cette ambiance naturelle, tout est prêt pour que, discrètement, un ou plusieurs événements insolites surviennent. Ils vont presque passer inaperçus. Ils ne font pas encore peur.

Le « je » continue à raconter son histoire ou celle d’un autre.

2. Avertissement

Quelque chose ou quelqu’un survient que le « je » perçoit comme inquiétant. Ces phénomènes et ces situations qui se répètent font penser que ce n’est pas naturel, que c’est le fait d’une force surnaturelle.

Le « je » est ainsi averti. Il ne devrait pas aller au-delà, il devrait oublier les bruits bizarres, les coïncidences, oublier la peur ou l’angoisse qui s’installe.

3. Transgression

Les événements se précipitent.Le « je » n’a pas tenu compte de l’avertissement. Il est allé au-delà. Il ne maîtrise plus

la situation.

4. L’aventure

Les événements surnaturels prennent le dessus. Des faits étranges et inexplicables se produisent. L’aventure tourne à l’étrange, au cauchemar.

Le « je », qui est d’abord intrigué, affronte les forces du surnaturel. Il ne peut plus rien expliquer.

5. La peur

Au fur et à mesure des événements bizarres qui surviennent, la peur s’installe.Le « je » essaie de faire face, de raisonner. Mais devant les événements qui

transgressent les lois du monde connu, le « je » finit par se laisser envahir par la peur, par la panique.

6. La conclusion

L’histoire prend fin.Le « je » est mort ou bien il reste marqué. Le mystère et le malaise demeurent. Ni le « je » ni le lecteur ne savent s’il faut croire au surnaturel ou si des

éclaircissements, d’ailleurs flous et incomplets, peuvent expliquer rationnellement l’inexplicable.

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G. Application de la grille du fantastique sur La boule noire

1. Introduction Lignes …………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...

11. AvertissementLignes …………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...

12. Transgression Lignes …………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...

13. Aventure Lignes …………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...

14. Conclusion …………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...…………………………………………………………………………………………………...

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Le récit fantastique

Le récit fantastique......................................................................................................................1A. Définition du genre.........................................................................................................1

1. Remue-méninges.........................................................................................................12. Lecture de « Le tableau » de Jean Ray.......................................................................13. Questionnaire testant les connaissances du genre.......................................................14. L’avis des spécialistes.................................................................................................25. Essai de définition.......................................................................................................3

B. Distinction entre fantastique, merveilleux et science-fiction..........................................41. Lecture de Jérold et le Chat de J.P. Andrevon...........................................................42. Lecture de Les Fées de Charles Perrault.....................................................................43. Lecture de La boule noire de Thomas Owen..............................................................54. Vocabulaire.................................................................................................................65. Caractéristiques de chaque genre................................................................................76. Des genres voisins – tableau comparatif.....................................................................8

C. La peur et d’autres sentiments - vocabulaire..................................................................9D. Analyse d’un récit fantastique......................................................................................14

1. Lecture de La Cafetière de Théophile Gautier..........................................................142. Questions sur la première partie...............................................................................14

E. Les caractéristiques du fantastique...............................................................................171. Le récit à la première personne.................................................................................172. Le contexte spatio-temporel......................................................................................173. Les champs lexicaux.................................................................................................174. L’expression de l’indétermination............................................................................175. La personnification...................................................................................................17

F. La grille du fantastique.................................................................................................18G. Application de la grille du fantastique sur La boule noire............................................19

1. Introduction...............................................................................................................192. Avertissement...........................................................................................................193. Transgression............................................................................................................194. Aventure....................................................................................................................195. Conclusion................................................................................................................19

Les Fées……………………………………………………………………………………….21La boule noire...........................................................................................................................22Jérold et Le chat........................................................................................................................24Le tableau de Jean Ray.............................................................................................................27

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Le récit fantastique

Les FéesIl était une fois une veuve qui avait deux

filles : l’aînée lui ressemblait si fort et d’humeur et de visage, que qui la voyait voyait la mère. Elles étaient toutes deux si désagréables et si orgueilleuses1 qu’on ne pouvait vivre avec elles. La cadette, qui était le vrai portrait de son père, pour la douceur et l’honnêteté, était avec cela une des plus belles filles qu’on eût su voir. Comme on aime naturellement son semblable, cette mère était folle de sa fille aînée et, en même temps, avait une aversion2 effroyable pour la cadette. Elle la faisait manger à la cuisine et travailler sans cesse.

Il fallait, entre autres choses, que cette pauvre enfant allât, deux fois le jour, puiser de l’eau à une grande demi-lieue3 du logis, et qu’elle en rapportât plein une grande cruche. Un jour qu’elle était à cette fontaine, il vint à elle une pauvre femme qui la pria de lui donner à boire. « Oui-da4, ma bonne mère », dit cette belle fille : et rinçant sa cruche, elle puisa de l’eau au plus bel endroit de la fontaine et la lui présenta, soutenant toujours la cruche afin qu’elle bût plus aisément5.

La bonne femme, ayant bu, lui dit : « Vous êtes si belle, si bonne et si honnête, que je ne puis m’empêcher de vous faire un don6 (car c’était une fée, qui avait pris la forme d’une pauvre femme de village pour voir jusqu’où irait l’honnêteté de cette jeune fille). Je vous donne pour don, poursuivit la fée, qu’à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche ou une fleur ou une pierre précieuse. »

Lorsque cette belle fille arriva au logis7, sa mère la gronda de revenir si tard de la fontaine. « Je vous demande pardon, ma mère, dit cette pauvre fille, d’avoir tardé si longtemps. » Et, en disant ces mots, il lui sortit de la bouche deux roses, deux perles et deux gros diamants. « Sue vois-je là ? dit sa mère tout étonnée ; je crois qu’il lui sort de la bouche des perles et des diamants. D’où vient cela, ma fille ? » (Ce fut là la première fois qu’elle l’appela sa fille). La pauvre enfant lui raconta naïvement tout ce qui lui était arrivé, non sans jeter une infinité de diamants. « Vraiment, dit la mère, il faut que j’y envoie ma fille. Tenez. Fanchon, voyez ce qui sort de la bouche de votre sœur, quand elle parle : ne seriez vous pas bien aise d’avoir le même don ? Vous n’avez qu’à aller puiser

de l’eau à la fontaine, et quand une pauvre femme vous demandera à boire, lui en donner bien honnêtement. – Il me ferait beau voir, répondit la brutale, aller à la fontaine ! – Je veux que vous y alliez, reprit la mère, et toute à l’heure. »

Elle y alla, mais toujours en grondant. Elle prit le plus beau flacon d’argent qui fût dans le logis. Elle ne fut pas plutôt arrivée à la fontaine, qu’elle vit sortir du bois une dame magnifiquement vêtue, qui vint lui demander à boire. C’était la même fée qui avait apparu à sa sœur mais qui avait pris l’air et les habits d’une princesse pour voir jusqu’où irait la malhonnêteté de cette fille. « Est-ce que je suis ici venue, lui dit cette brutale orgueilleuse, pour vous donner à boire ? Justement j’ai apporté un flacon d’argent tout exprès pour donner à boire à madame ; j’en suis d’avis : j’en suis d’avis : buvez à même8, si vous voulez. – Vous n’êtes guère honnête, reprit la fée sans se mettre en colère. Eh bien ! puisque vous êtes si peu obligeante9, je vous donne pour don, qu’à chaque parole que vous direz, il vous sortira de la bouche un serpent ou un crapaud. »

D’abord que sa mère l’aperçut, elle lui cria : « Eh bien ! ma fille ? – Eh bien ! ma mère ? lui répondit la brutale en jetant deux vipères et deux crapauds. – O ciel ! s’écria la mère, que vois-je là ? C’est sa sœur qui en est la cause : elle me le payera ; » et aussitôt elle courut pour la battre. La pauvre enfant s’enfuit et alla se sauver dans la forêt prochaine. Le fils du roi, qui revenait de la chasse, la rencontra, et la voyant si belle, lui demanda ce qu’elle faisait là toute seule, et ce qu’elle avait à pleurer. « Hélas ! Monsieur, c’est ma mère qui m’a chassée du logis. » Le fils du roi, qui vit sortir de sa bouche cinq ou six perles et autant de diamants, la pria de lui dire d’où cela lui venait. Elle lui raconta toute son aventure. Le fils du roi en devint amoureux, et considérant qu’un tel don valait mieux que tout ce qu’on pouvait donner en mariage à une autre, l’emmena au palais du roi son père, où il l’épousa.

Pour sa sœur, elle se fit tant haïr10, que sa propre mère la chassa de chez elle : et la malheureuse, après avoir bien couru sans trouver personne qui voulût la recevoir, alla mourir au coin d’un bois.

Charles Perrault, Madame d’Alvnoy et Madame Leprince de Beaumont, Contes de fées, Éd. Garnier, 1934.

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Le récit fantastique

La boule noire

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Le ciment tout neuf de la terrasse était rugueux. Le balcon de fer était marqué de rouille en plusieurs endroits. Le fleuve, trois étages plus bas, avait l'harmonieuse courbure d'une lame d'argent. Vue de l'extérieur, la fenêtre de la chambre accusait le manque d'entretien. La peinture s'écaillait, un peu de mastic s'était détaché d'une vitre. On voyait, par terre, une capsule de bouteille qu'on avait négligé de ramasser. L'hôtel, admirablement situé, vivait sur sa réputation.

Nettesheim quitta la terrasse et alla s'asseoir sur le lit. Il dénoua ses chaussures, puis s'étendit et, les mains sous la nuque, se mit à réfléchir.

Il dînerait dehors, après avoir acheté des journaux, mais d'abord, il viderait sa valise et pendrait son costume bleu. Demain, il verrait ces gens...

Couché comme il l'était, il ne pouvait apercevoir, par la fenêtre ouverte, que le ciel bleu et la rondeur verte d'une colline lointaine légèrement estompée1 par la brume. Il se sentait en même temps fatigué et détendu, heureux d'être allongé, respirant bien, prêt à basculer dans un sommeil paisible. ..

La fraîcheur du soir le réveilla. Il se leva sans effort et, de la terrasse, contempla le paysage. Le fleuve qui lui était apparu argenté, deux heures plus tôt, était tout différent à présent. Il miroitait sous les lumières du soir comme de l'acier poli. Une rumeur confuse montait, d'où se détachait parfois le ronronnement doux d'une allège2 descendant le courant ou le halètement saccadé d'un bateau poussif peinant en sens inverse.

Nettesheim demeurait accoudé au balcon, humant3 l'odeur de la vallée, bercé par instants par les flonflons4 de l'orchestre qui, trois étages plus bas, sous les marronniers étêtés5, jouait sans conviction quelques clients attardés. Cette musique insipide6 le rendait triste. Le bien-être, la détente, l'impression de liberté éprouvée en fin d'après-midi, lorsqu'il avait ouvert la porte-fenêtre sur la large vallée verdoyante, faisaient place à présent, la nuit venue, à une curieuse sensation d'ennui et de lassitude. Il avait aspiré au repos et c'était à présent la solitude qui lui pesait.

Il tourna le dos au fleuve, pénétra dans la chambre envahie de ténèbres7, referma la croisée8, tira les rideaux et, un peu à l'aveuglette, trouva le cordon de l'interrupteur au-dessus du lit.

Au moment où la lumière se fit, il se passa un tout petit incident, insignifiant, qui créa cependant dans la pièce une atmosphère nouvelle comme si, à ce signe, une rupture soudaine s'était produite avec le monde extérieur.

De la blancheur impeccable de l'édredon léger une chose assez semblable à une petite boule de laine sombre, souple et molle, avait roulé sous le gros fauteuil-club en velours bleu.

Rouler n'est pas exactement le mot qui convient. Cette chose avait eu l'air à la fois de voler et de bondir, ce qui le fit songer en même temps à un chat minuscule et à un oiseau. Le seul animal à qui assimiler cet aspect velu et soyeux, cette légèreté de tache d'ombre mouvante, était la chauve-souris.

Nettesheim se pencha pour regarder sous le fauteuil, mais ne vit rien. Il s'assit, intrigué et amusé, se remémorant l'absence de pesanteur, l'aisance extrême avec laquelle cette petite chose s'était déplacée et, en même temps, l'espèce de détermination, de volonté qui l'animait. Enfoncé dans le fauteuil profond, il en caressait machinalement le velours. Il réfléchissait, se disant qu'il avait sans doute mal regardé. En effet, il avait à présent la sensation de percevoir sous lui un mince souffle régulier, pareil à la respiration prudente d'une bête terrée.

Il se leva et tenta de distinguer quelque chose sous le siège. Mais la boiserie en était fort basse et bien qu'il se fût allongé sur le tapis pour regarder, il ne put rien distinguer. La palpitation rythmée lui était maintenant très distinctement perceptible9. Il n'osait pas glisser la main sous le fauteuil et préféra déplacer celui-ci en l'éloignant du mur. Comme il s'y efforçait, très rapidement « cela » lui passa, entre les jambes et fila dans un autre coin de la pièce, sous un coffre très bas, où vraiment il fallait beaucoup d'adresse et de souplesse pour se loger si promptement.

Il avait la certitude, à présent, que cette « chose » si rapide, si agile, qu'il souhaitait voir de plus près, sans y parvenir, était douée d'intelligence et de ruse. Il demeurait debout, bien campé sur ses jambes écartées, tous les sens en éveil. Nul bruit; il n'entendait même plus cette respiration rythmée. Mais une étrange odeur envahissait doucement la pièce. Il ne put l'identifier immédiatement, bien qu'elle évoquât pour lui des souvenirs très précis. Un jardin de curé, sous le soleil de juin. Il y lisait sur un banc, devant les carrés de gazon bordés de buis.

Nettesheim alla prendre sa canne qu'il avait posée sur une table basse, avec son chapeau et les journaux du matin. C'était une bonne canne, vigoureuse, en épine, sous le pommeau lisse de laquelle un petit chat d'argent donnait la chasse à deux minuscules souris. Il s'en servit pour débusquer10, sous le coffre, la petite « chose » qui se cachait, mais il ne réussit pas à l'atteindre. Le bout de la canne avait dû accrocher, dans un angle de la plinthe, une toile d'araignée, car un lambeau y adhérait. Il inspecta attentivement cette petite trace noire, duveteuse et répugnante, et y trouva non point une odeur de poussière, mais un parfum de buis très prononcé. Contrairement à ce qu'il pensait; il avait donc bien touché la « chose » et même l'avait blessée, ou tout au moins écorchée. Il insista alors et

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redoubla ses efforts sous le coffre. Il agitait sa canne de gauche à droite, au ras du tapis, avec un acharnement méchant. Et soudain, alors qu'il croyait tout cela vain, la « chose » sauta sur le lit et le regarda. Au coeur de cette pelote indéfinissable, il voyait luire un regard et ce regard, fixé sur lui, était étonnamment expressif.

Nettesheim frappa rageusement sur le lit mais manqua son but. Ses coups faisaient un bruit mou sur l'édredon et la boule sautait à droite et à gauche avec une vivacité incroyable. Mais à mesure qu'il se déchaînait, Nettesheim perdait son souffle, s’épuisait. Finalement, le coeur battant, il se laissa choir11 dans un fauteuil. Maintenant, il se rendait compte. Dès le début, il avait eu conscience que cela n'était pas un mince incident. Maintenant, il se rendait compte de sa vulnérabilité en face de cet événement inexplicable.

Il constata à ce moment que la boule avait grossi. Comme si, augmentant sa propre substance, la nourrissant de sa peur et de sa colère, elle ajoutait à son cocon de nouvelles couches membraneuses, de nouvelles épaisseurs de sombres filaments entremêlés. Elle ne se gonflait pas seulement, comme certains animaux qui reprennent ensuite leur forme antérieure, mais elle se développait, prenait du volume et du poids. Grosse à certain moment comme une noix de coco et assez semblable d'apparence à ce fruit fibreux, mais en moins solide, en moins ferme, elle fut bientôt de la taille d'un melon, d'une pastèque, d'une citrouille. ..

Nettesheim fut repris par sa rage et sa fureur. S'arrachant à son siège, il bondit, plongea littéralement sur cette masse malsaine, duveteuse, cédant au toucher, comme le duvet mou d'un édredon, y enfonça les mains, y trouva, palpitant et chaud, le corps central, le noyau vivant, pareil au coeur d'une bête ou à l'amande d'un fruit inconsistant et vénéneux, et l'arracha avec un cri de triomphe.

C'était comme une fourmi au corps laiteux, de la grosseur d'un poing d'enfant, blafarde et tiède, caoutchouteuse, dégageant une forte odeur de buis.

Nettesheim jeta vivement le noyau au sol et posa le pied dessus. Cela s'écrasa lentement comme l'aurait fait un oeuf cuit dur. Il en sortit une humeur12 blanchâtre au relent funèbre.

Mais, dans le même temps, demeuraient collés à ses mains des lambeaux de voiles noirs, tissus lâches et fugitifs comme l'ombre, tandis que d'autres s'enroulaient autour de ses bras. Même, le long de ses jambes, il y avait des choses souples, soyeuses et collantes qui se plaquaient, qui montaient, qui l'empêtraient toujours davantage.

Sa colère fit place à une terrible angoisse qui bientôt bascula dans la terreur. Déjà

impuissant à réagir, déjà prisonnier, il laissait son esprit divaguer en observations futiles. Une trace de brûlure de cigarette sur le bord de la table de chevet; la souillure brunâtre d'une mouche écrasée sur le mur à la tête du lit; à la pointe de sa chaussure, une écorchure faite Dieu sait quand. ..

Il tendit l'oreille aux bruits du dehors et entendit très distinctement une allège rapide qui descendait au fil de l'eau. Il s'en voulait de ne pouvoir concentrer son esprit sur le drame qui s'amorçait et qu'il allait affronter démuni13, sans lucidité14, sans esprit de combat.

Il tenta d'arracher, mais sans conviction, ces choses ignobles qui l'enlaçaient, ces membranes de deuil semblables à des voiles de crêpe. Mais à mesure qu'il se débattait, il se trouva toujours plus entravé, incapable de se dépêtrer15, sortant avec peine un bras, puis l'autre, de cette masse inconsistante dont l'apparente légèreté était trompeuse et qu'une sorte de méchanceté végétale poussait à ne pas relâcher son étreinte16. Un silence atroce planait sur cette scène où les sursauts de l’homme ne ralentissaient pas le lent et monstrueux embrassement. Sans un cri, il se roula au sol pour se dégager, se mit en boule comme un lutteur qui veut rouler sur lui-même, et favorisa ainsi son enveloppement au creux d'un cocon abominable.

Il pensa à sa mort, et qu'une fois disparu, ce serait comme s'il n'avait jamais existé. Et cela l'aida à se résigner, car cet effacement, qu'il se produisît à l'instant ou plus tard, aurait exactement la même insignifiance. Il eut conscience encore que sa taille diminuait sous les couches sournoises17 qui le submergeaient, l'assimilaient, le digéraient en quelque sorte, dans une suite de déroulements, de nouures18, de glissements et d'entrelacements monstrueux. De cette pelote répugnante dont il percevait comme siennes les moindres pulsations internes, il devenait à son tour le noyau vivant. Il eut encore la force de penser aux conséquences qu'il tirerait de cette situation, de cet état d'être au coeur de la « chose » ...

La lumière du soleil levant monta derrière les collines et vint frapper les fenêtres de la chambre. Mille rais19 de clarté percèrent l'épaisseur relative des rideaux.

Il bondit peureusement sous le divan au moment où quelqu'un ouvrait la porte.

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Jérold et Le chat

Les yeux du robot bougent et lancent des étincelles multicolores: il a huit yeux, des antennes qui se balancent. Jerold le regarde à peine: la cuisinière automate1 a autant d'yeux, autant de lumière, elle est bien plus drôle, ou bien plus effrayante. Ou du moins paraissait-elle drôle ou effrayante lorsque les yeux de Jerold n'avaient pas encore pu clairement apprécier, derrière ta brume merveilleuse de la petite enfance, les formes nettes et dures de la maison familiale. Aujourd'hui, tout a acquis une forme définitive, une stabilité rassurante, sans mystère: le monde de Jerold s'est creusé d'une dimension supplémentaire: celle de l'ennui.

Ce gosse s'ennuie, dit le Père pour la dixième, ou la centième fois. La Mère hausse les épaules, répond, pour la dixième ou la centième fois, que dans trois mois la maison sera branchée sur le précepteur2 automate, et que Jérold pourra visuenregistrer huit heures de cours par jour, et que tout ira mieux pour lui. Jérold a quatre ans, pas tout à fait, il a des yeux bleus comme son Père, des cheveux blonds comme sa Mère, il aime tout ce qui bouge, tout ce qui est ou paraît vivant, il reste de longues heures devant le télécran, à regarder sans bien comprendre les reportages sur les guerres d'Asie et les guerres de la Lune et de Mars, et les guerres nègres en Nord-Amérique, et les guerres juives du Moyen-Orient.

Un jour, le Père l'a surpris devant la fenêtre - c'était l'été sur BVille - suivant des yeux une forme rapide qui tournoyait entre les blocs. L'oiseau, le dernier, le seul de BVille peut-être, traçait de grands huit dans l'espace confiné3 du ciel crénelé4 de béton. Il avait une queue en V et de grandes ailes pointues. Le Père ne distinguait pas sa couleur, l'oiseau était trop vif, trop lointain, trop petit. Puis il y eut un éclair dans le ciel, lorsque l'oiseau inconnu traversa sans se méfier un rayon mortel, qui apportait dans les maisons les images et les sons du télécran...

Le petit avion est mort dit simplement Jérold. Mais il resta longtemps près de la fenêtre, cherchant dans le ciel sombre et vide de BVille d'autres petits avions vivants, improbables.

Je crois qu'il lui faudrait un animal, un animal vivant, dit le Père. Tu es fou  ! Dit la Mère; un animal vivant! Pour quoi faire ?...D'ailleurs, ça n'existe plus à BVille, ajouta-t-elle. Je verrai... murmura le Père.

Le soir, après manger, il prit Jérold sur ses genoux, souleva le casque de cosmonaute qui couvrait son visage, et lui demanda si ça lui ferait plaisir d'avoir à lui un petit animal vivant, un chat, un chien, quelque chose qui bouge, qui mange qui fasse du bruit, qui soit vrai.

Jérold regarda le Père sans bien comprendre, visa un point imaginaire avec son fusil-laser jouet, pressa sur la détente. Un serpentin de feu grésilla, rouge, dans le tube en spirale de son arme d'enfant. Au moment de se coucher sous la tente à dormir, Jérold fixa son Père avec sérieux et lui dit  : Je voudrais bien un tigre, Tu en auras un, répondit le Père.

Le lendemain, il se mettait en quête d'un chat.Mais à BVille, il n'y a plus de chat, plus rien de vivant, hormis les hommes qui y vivent, les

oiseaux égarés qui parfois s'y hasardent et en meurent. Après de nombreux coups de viphone, le Père s'est rendu à l'évidence. Un ami lui a toutefois suggéré de se rendre dans les étendues désertiques qui immiscent5 leur lèpre verte entre les branches en étoile des villes, AVille, BVille, (Ville, qui se rejoignent toutes par les extrémités de leurs membres routiers. Là, où il n'y a plus rien d'utile puisque les cultures se font en cuves, vivent quelques familles d'inadaptés pas dangereux, qui ont parfois encore des animaux.

Tu es fou ? a dit la Mère. C'est pour Jérold, a dit le Père. Il a profité de ses quatre jours de congé hebdomadaire, un mono bus l'a conduit jusqu'au bord d'une falaise abrupte6 qui plonge sur un océan aveuglant de verdure: le dernier bloc de BVille battu à ses pieds par la marée des champs en friche7.

L'odeur de l'herbe, le reflet brut du soleil, la chaleur non tamisée, que d'obstacles. Mais l'amour d'un Père, renforcé d'un tout petit peu de curiosité suffit à les surmonter aisément. Dans une ancienne ferme, le Père put se procurer un petit chat, échangé contre une monnaie qui il l'avait appris avait encore cours dans les déserts : quelques vieux livres, que les exilés volontaires et les derniers descendants des paysans appréciaient, pour n'avoir pas la jouissance des chaînes de trivé.

Le chat était une petite bête malingre8, âgée de trois mois, paraît-il, au poil roux et à la tête mangée par deux grands yeux verts. Il se débattait farouchement9 dans les mains du Père, le mordit

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avec ses petites dents aiguës, le griffa avec ses toutes petites pattes griffues. Le Père dut l'enfermer dans son sac de voyage en ouvrant juste assez la fermeture adhésive pour que la tête de l'animal pût seule dépasser. Alors le chat commença à miauler, sur un ton perçant et grêle, avec une exaspérante régularité. Tant que le Père fut sur la lande10, il fut seul à supporter ce menu11 désagrément; mais plus tard, dans le monobus qui le ramenait vers le centre de BVille, le chaton miaulait toujours et le Père constata avec une gêne croissante que les autres voyageurs regardaient constamment dans sa direction avec des mines réprobatrices12. Il essaya bien d'amadouer13 le chat avec de timides caresses sur le dessus de la tête, mais rien n'y fit: l'animal continuait la monotone litanie14 de ses petits cris (un toutes les sept secondes environ), en roulant de grands yeux effarés15 et en ouvrant démesurément sa petite gueule toute rose. Un des voyageurs, un gros homme à l'air sévère apostropha même le Père pour lui demander s'il n’emmenait pas une pareille saloperie chez lui. Confus, le Père baissa les yeux. Au bout d'un moment, il marmonna que c'était pour son petit garçon, qui avait quatre ans et s'ennuyait.

N'importe, il fut bienheureux, une fois chez lui, une fois dans son cent deuxième étage, d'ouvrir son sac et de laisser aller la bête, qui fila minuscule boule de fourrure, se terrer16 sous le buffet de la cuisine. Au début, Jérold parut médiocrement intéressé. Mais, les heures passant, il sembla commencer à prendre un certain plaisir à poursuivre le chat, qu'il appelait .Tigre, à travers toutes les pièces de la maison. Tigre était farouche, sans doute dépaysé, et se laissait malaisément attraper. La première nuit il recommença à miauler, réveillant la Mère qui, furieuse, réveilla le Père. Ils eurent à ce moment-là une nouvelle discussion au sujet du chat, à laquelle le Père mit fin en se retournant sur le côté, appuyant ostensiblement17 sur le bouton de la tente.

Le lendemain (qui était le quatrième et dernier jour de congé du Père), la maison résonnait des cris joyeux de Jérold, qui traquait18 Tigre de pièce en pièce, le tirait par la queue, lui donnait des coups de bâton sur le dos. Tu vois, dit le Père à son épouse : il s'amuse, maintenant... La Mère se préoccupa alors de savoir ce qu'il faudrait donner à manger à cette bête, proposa des restes, des bouillies. Mais non, dit le Père : l'homme à qui je l'ai échangé m'a recommandé de ne le nourrir qu'avec du lait et de la viande. Il fut donc décidé que la famille s'inscrirait pour une demi-part de viande supplémentaire deux fois par semaine.

Le soir, alors que le Père sortait de la chambre-trivé - dans laquelle désormais Jérold ne s'enfermait plus en sa compagnie - il découvrit le chaton blotti sous une table, geignant19 de pitoyable manière, et léchant vigoureusement une de ses pattes de devant. Le Père se courba, tira l'animal vers lui, le palpa. Sous ses doigts, la patte était molle, il lui sembla que des petits morceaux d'os circulaient sous la chair tendre. Le chaton fit entendre un gémissement suraigu et prolonge.

Que lui as-tu fait ? demanda sévèrement le Père à Jérold. La chasse au tigre dit fièrement Jérold. Le Père sourit, prit Jérold dans ses bras, à la hauteur de son regard et lui recommanda de faire attention qu'on ne devait pas faire de mal à un petit tigre. Jérold regarda longtemps son Père, fit une moue boudeuse, et approuva gravement.

Quand le Père rentra du bureau le lendemain dans l' après-midi, la Mère lui dit d'un ton négligent qu'il ne se passait rien de bon avec le chat, que c'était une bien mauvaise idée d'avoir donné ça à Jérold. Le Père trouva le chat et Jérold dans la cuisine, Jérold donnait au chat de grands coups avec un instrument pointu qui devait être une parure à chapeau. Quand il vit venir son Père, Jérold interrompit sa besogne, se releva doucement et partit à petits pas vers une autre pièce, sans lui dire bonjour, le visage impassible20 et fermé. Le chaton bougeait faiblement, un peu de sang rouge suintait sur le roux de son pelage. Le Père sursauta quand le chat remua faiblement la tête, dévoilant une orbite creuse, ravagée, noire lui tendit la main, arrêta son geste à mi-course. L'orbite béante 21 et suintante22 le contemplait obscurément, le chat ne bougeait plus, ne miaulait pas.

Il faudrait faire quelque chose, dit-il à son épouse: ce chat va crever. Qu'est-ce que tu veux qu'on fasse ? Je ne sais pas; je peux peut-être viphoner a un médecin ... Viphone si tu veux ...Le Père alluma le viphone, fit un numéro, plusieurs : on lui répondait toujours que l'heure des consultations était passée, que de toute façon on ne se dérangerait pas pour un animai. Découragé, le Père abandonna, se rendit à la cuisine et fit couler dans un bol un peu de syntholait du robinet distributeur: puis il le porta au chaton, qui était toujours à la même place, un peu gluant sur le carrelage rougi, remuant faiblement, se tordant lentement sur lui-même, étirant ses petits membres vers des directions impossibles où la douleur n'existerait pas. L'animal pencha la tête vers le bol, huma le liquide, sortit de sa gueule une langue rose tendre, resta un moment indécis. Puis sa tête bascula en arrière, avec son œil valide papillonnant, l’autre plissé comme une vilaine charogne23.

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Le Père soupira, s’en retourna. Il prit peu d’intérêt, ce soir-là, à la trivé qui donnait pourtant un grand reportage sur les progressions de la guerre d’Asie. Avant de s’endormir, il embrassa tendrement son fils.

Le lendemain, après le travail, il demanda à la Mère : Quelle nouvelles ? Le petit chat est mort, répondit-elle. Vaguement, le Père s’entendit préciser qu’elle s’en était débarrassé dans le ratatinordure. Il alla dans la salle de beauséjour, près de la fenêtre où Jérold, les yeux perdus, contemplait sans le voir le panorama de BVille. Jérold est un petit garçon de quatre ans, aux yeux bleus comme son Père, avec une tête blonde, comme sa Mère. Le Père passe un bras pesant autour de ses frêles épaules, renifle la nuit qui tombe. Au centième étage de l’Hôtel Printania, deux fenêtres viennent de s’éclairer. Le chantier de la Nouvelle Gare sent fortement le bois humide : demain, il pleuvra sur BVille.

J.-P. Andrevon, Aujourd’hui, demain et après, Denoël, 1970.

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Le tableau de Jean Ray6

Je veux parler de Gryde, l'usurier. Cinq mille hommes lui durent de l'argent; il fut la cause de cent douze suicides, de

neuf crimes sensationnels, d'innombrables faillites, ruines et débâcles financièresCent mille malédictions l'ont accablé et l'ont fait rire; la cent mille et unième l'a tué, et

tué de la manière la plus étrange, la plus affreuse que cauchemar pût enfanter

Je lui devais deux cents livres; il me faisait payer mensuellement des intérêts meurtriers; en plus, il fit de moi son ami intime... C'était sa manière de m'être le plus désagréable, car j'ai supporté toutes ses méchancetés. J'ai dû faire chorus aux rires qu'il lâchait devant les larmes, les prières et la mort de ses victimes saignées à blanc.

Il passait la douleur et le sang au journal et au grand-Livre, parmi le flot montant de son argent.

Aujourd'hui, je ne m'en plains plus, car cela m'a permis d'assister à son agonie. Et je souhaite la pareille à tous ses confrères.

Un matin, je le trouvai dans son cabinet, en face d'un jeune homme, très pâle et très beau.

Le jeune homme parlait : Je ne puis pas vous payer, monsieur Gryde, mais, je vous en prie, ne m'exécutez pas.

Prenez cette toile-; c'est mon oeuvre unique. Unique, entendez-vous.? Cent fois, je l'ai recommencée... Elle est toute ma vie. Même à ce jour, elle n'est pas complètement finie: il y manque quelque chose - je ne sais pas trop quoi -mais, plus tard, je trouverai et je l'achèverai.

« Prenez-la pour cette dette qui me tue, et…qui tue maman. »Gryde ricanait; m'ayant aperçu, il me fit signe de regarder un tableau de moyenne

grandeur appuyé à la bibliothèque. J'eus un mouvement de stupeur et d'admiration: jamais je n'avais rien vu de si beau.

C'était une grande figure d'homme nu, d'une beauté de dieu, sortant d'un lointain vague, nuageux, un lointain d'orage, de nuit et de flammes.

Je ne sais pas encore comment je l'appellerai, dit l'artiste d'une voix douloureuse. Voyez-vous, cette figure-là j'en rêve depuis que je suis enfant ; elle me vient d'un songe comme des mélodies sont venues du ciel au chevet de Mozart et de Haydn.

Vous me devez trois cents livres, monsieur Warton, dit Gryde.L'adolescent joignit les mains. Et mon tableau, monsieur Gryde ? Il vaut le double, le triple, le décuple ! Dans cent ans, répondit Gryde. Je ne vivrai pas aussi longtemps.Je crus pourtant remarquer dans son regard une lueur vacillante, qui changeait cette

clarté fixe de l'acier que j'y ai toujours vue.Admiration ou espoir d'un gain futur insensé ?Alors, Gryde parla. J'ai pitié de vous, dit-il, car j'ai dans l'âme un faible pour les artistes. Je vous prends

ce tableau pour cent livres.L'artiste voulut parler; l'usurier l'en empêcha.

6 Jean Ray (1887-1964) né à Gand.

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Vous me devez trois cents livres, payables par mensualités de dix. Je vais vous signer un reçu pour les dix mois à venir ...Tâchez d'être exact à l'échéance du onzième mois, monsieur Warton !

L'artiste s'était voilé la face de ses belles mains. Dix mois ! C'est dix mois de repos, de tranquillité pour maman. Elle est si nerveuse

et si chétive, monsieur Gryde, et puis je pourrai travailler pendant ces dix mois…Il prit le reçu. Mais, dit Gryde, de votre propre aveu, il manque quelque chose au tableau. Vous me

devez le parachèvement et le titre d'ici dix mois.L'artiste promit, et le tableau prit place au mur, au-dessus du bureau de Gryde.

Onze mois s'écoulèrent. Warton ne put payer sa mensualité de dix livres.Il pria, supplia, rien n'y fit; Gryde ordonna la vente des biens du malheureux. Quand

vinrent les huissiers, ils trouvèrent la maman et le fils dormant de l'éternel sommeil dans l'haleine terrible d'un réchaud de charbons ardents.

Il y avait une lettre pour Gryde sur la table.« Je vous ai promis le titre de mon tableau, y disait l'artiste. Appelez-le Vengeance.

Quant à l'achèvement, je tiendrai parole. »Gryde en fut fort peu satisfait. D'abord, ce titre ne convient pas, disait-il, et puis comment pourrait-il l'achever à

présent ?Il venait de lancer un défi à l'enfer.

Un matin, je trouvai Gryde extraordinairement énervé. Regardez le tableau, me cria-t-il dès mon entrée. Vous n'y voyez rien ?Je n'y trouvai rien de changé.Ma déclaration sembla lui faire grand plaisir. Figurez-vous... dit-il. Il passa la main sur son front, où je vis perler la sueur, et

continua presque aussitôt : C'était hier, après minuit. J'étais déjà couché, quand je me souvins que j'avais laissé

des papiers assez importants sur mon bureau. Je me levai aussitôt pour réparer cet oubli. Je trouvai fort bien le chemin dans l'obscurité, dans cette maison dont chaque coin m'est familier, et je pénétrai donc dans mon cabinet sans allumer la lumière. Du reste, la lune éclairait très nettement la pièce. Comme je me penchais sur mes paperasses, quelque chose bougea entre la fenêtre et moi… Regardez le tableau ! Regardez le tableau! hurla tout à coup Gryde. C'est une hallucination, sans doute. Je n'y suis pourtant pas sujet... Il me semble avoir vu bouger à nouveau la figure... Eh bien ! cette nuit, j'ai cru voir- non, j'ai vu -le bras de l'homme sortir de la toile pour me saisir !

Vous êtes fou, dis-je brusquement. Je le voudrais bien, s'écria Gryde, car si c'était vrai. .. Eh bien! lacérez la toile, si vous croyez à votre histoire !La figure de Gryde s'éclaira. Je n'y avais pas pensé, dit-il. C'était trop simple...D'un tiroir, il sortit un long poignard au manche finement ciselé. Mais, comme il

s'apprêtait à détruire le tableau, il se ravisa soudain. Non, dit-il. Pourquoi gaspiller cent livres pour un méchant rêve ? C'est vous qui êtes

fou, mon jeune ami.Et, rageur, il jeta l'arme sur son bureau.

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Ce n'était plus le même Gryde que je trouvai le lendemain, mais un vieillard aux yeux déments, grelottant d'une frayeur affreuse.

Non, hurla-t-il, je ne suis pas fou, imbécile, j'ai vu vrai! Je me suis levé cette nuit. J'ai voulu voir si j'avais rêvé. Eh bien! eh bien! ...il est sorti du tableau, rugit Gryde en se tordant les mains, et...et...mais regardez donc la toile, triple idiot, il m'a pris le poignard !

J'ai mis la tête dans les mains ; j'ai cru devenir fou comme Gryde. Ma logique s'est révoltée: la figure du tableau tenait dans sa main un poignard qu'elle n'avait pas hier, et je reconnus aux ciselures artistiques, que c'était le poignard que Gryde avait jeté la veille sur son bureau !

J'ai conjuré Gryde de détruire la toile. Mais l'avarice a encore combattu victorieusement la frayeur.

Il ne voulait pas croire que Warton allait tenir parole !

...Gryde est mort.On l'a trouvé dans son fauteuil, exsangue, la gorge béante. L'acier meurtrier avait

entamé jusqu'au cuir du siège. J'ai jeté un regard terrifié sur le tableau: la lame du poignard était rouge jusqu'à la

garde.

Les contes du whisky, (c) La Renaissance du livre, 1925.

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