20
(…) Gabison travaille avec Vannucchi [ou Vannucci] et de hauts fonctionnaires allemands. Il fait partie d'une bande madrilène à laquelle appartiennent Szkolnikoff et Bogaerde. Bogaerde détient deux passeports libériens, dont un estampillé d'un visa diplomatique émanant de Vichy. Il a confié à un membre de la mission alliée en Espagne qu'il s'était rendu à Paris entre le 5 novembre et le 16 décembre 1944. Selon des sources diplomatiques françaises, Bogaerde est revenu à Madrid muni de lettres et de documents à l'intention de Gabison et de Szkolnikoff 1 . Bogaerde posséderait un appartement à Paris au 55, avenue Foch, et une propriété, La Sologne, dans la banlieue ouest de Paris. Hayes déclare que Bogaerde "ne mérite pas de représenter les intérêts du gouvernement libérien dans la péninsule Ibérique, car sa présence nuit non seulement à son gouvernement, mais aussi à la cause des Alliés". Il est malin, sans scrupules, a prêté son aide aux criminels de guerre et se vante de ses petites et grandes entrées dans les hautes sphères de la société 2 ... » En Espagne, Andréas Folmer et André Gabison s'associent avec Michel Szkolnikoff, prétendant sérieux au titre de roi des pillards sur le sol français. Cet apatride est devenu milliardaire en quelques années ; on en reparlera dans la 1 Sans date, Enclosure to Economic Warfare (Safehaven), Séries N° 73, January 25, 1945, American Embassy, London, to Secretary of State, Secret, N° 20607, Subject : Transmitting British secret reports re : Juan Cervantes Rodriguez, Michel Szkolnikov and André Gabison, RG 59, Central Décimal Files, 800.515/2545, Fonds Masurovsky 2 Correspondance de l'ambassadeur des Etats-Unis à Madrid, Cariton Hayes, en date du 15 décembre 1944, to secretary of State, secret, N° 3595, subject : Othon de Bogaerde, chargé d'affaires du Libéria à Madrid. RG 84, Paris Embassy Confîdential files 1944, Box 2, NARA 1

Le Festin Du Reich Calvi 2006.doc

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(…)

Gabison travaille avec Vannucchi [ou Vannucci] et de hauts fonctionnaires allemands.

Il fait partie d'une bande madrilène à laquelle appartiennent Szkolnikoff et Bogaerde.

Bogaerde détient deux passeports libériens, dont un estampillé d'un visa diplomatique

émanant de Vichy. Il a confié à un membre de la mission alliée en Espagne qu'il s'était rendu

à Paris entre le 5 novembre et le 16 décembre 1944.

Selon des sources diplomatiques françaises, Bogaerde est revenu à Madrid muni de lettres et

de documents à l'intention de Gabison et de Szkolnikoff1. Bogaerde posséderait un

appartement à Paris au 55, avenue Foch, et une propriété, La Sologne, dans la banlieue ouest

de Paris. Hayes déclare que Bogaerde "ne mérite pas de représenter les intérêts du

gouvernement libérien dans la péninsule Ibérique, car sa présence nuit non seulement à son

gouvernement, mais aussi à la cause des Alliés". Il est malin, sans scrupules, a prêté son aide

aux criminels de guerre et se vante de ses petites et grandes entrées dans les hautes sphères de

la société2... »

En Espagne, Andréas Folmer et André Gabison s'associent avec Michel Szkolnikoff,

prétendant sérieux au titre de roi des pillards sur le sol français. Cet apatride est devenu

milliardaire en quelques années ; on en reparlera dans la partie consacrée au contrôle du

marché noir par le SD et dans le cadre de l'opération Safehaven.

Que font Gabison et Szkolnikoff ? Réponse de l'OSS : entourés d'un quatuor d'Espagnols,

ils se livrent au trafic de bijoux entre la France et l'Espagne3.

La bande a aussi été repérée par les services britanniques du Neutral Trade Department III

(Section du commerce avec les pays neutres III) au ministère de la Guerre économique à

Londres(Ministry of Economie Warfare, MEW), qui font état d'une quantité considérable de

marchandises entreposées dans le port franc de Bilbao et venues en Espagne par Irùn4. Car le

1 Sans date, Enclosure to Economic Warfare (Safehaven), Séries N° 73, January 25, 1945, American Embassy, London, to Secretary of State, Secret, N° 20607, Subject : Transmitting British secret reports re : Juan Cervantes Rodriguez, Michel Szkolnikov and André Gabison, RG 59, Central Décimal Files, 800.515/2545, Fonds Masurovsky2 Correspondance de l'ambassadeur des Etats-Unis à Madrid, Cariton Hayes, en date du 15 décembre 1944, to secretary of State, secret, N° 3595, subject : Othon de Bogaerde, chargé d'affaires du Libéria à Madrid. RG 84, Paris Embassy Confîdential files 1944, Box 2, NARA3 From Saint, London, to Saint, Madrid, Subject : Hans Decker, 22 January 1945, xx-4977, RG 226, Entry 109, Box 1, NARA. Selon les services de renseignement américains, André Gabison et Michel Szkolnikoff travaillaient avec Juan Cervantes, Julio Munoz, Jean Carlarian et Munoz Calvino.4 Economie Warfare (Safehaven), Séries N° 52, Secret No 20401, Ame-rican Embassy, London, January 16, 1945, to thé Secretary ofState, Subject : Transmitting enquiries from thé Ministry of Economie Warfare to various British missions based upon confident'ial reports, RG 59, Central Décimal Files, 800.515/1-1645, Fonds Masurovsky.

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vortex des affaires se poursuit tandis que la France se libère et que le Reich s'effondre.

Trafiquants et banquiers se retrouvent en Espagne et y nouent d'étranges alliances. 5

Des hommes comme Michel Szkolnikov (ou Szkolnikoff),réfugié russe blanc dont l'influence

s'étendait en France, à Monaco, en Espagne et en Argentine, ont amassé des fortunes

considérables durant les années de l'Occupation grâce à leurs relations intimes avec les

milieux français de la collaboration et les autorités d'occupation allemandes à Paris. Lés

Français notifient en janvier 1945 à Washington que, pour eux, Szkolnikov constitue une de

leurs cibles principales dans le cadre du programme

Safehaven6.

Enchevêtrés, les intérêts politiques et financiers de Szkolnikov impliquent en effet des

ressortissants des puissances alliées résidant en Europe et jouissant de la faveur des

gouvernements de pays neutres. La réponse tardive de Washington et de Londres, dans une

conjoncture en pleine évolution, ne favorise guère le règlement du dossier Szkolnikov. Il faut

en effet attendre six mois avant que se dessine une intervention diplomatique des puissances

alliées dans les pays neutres d'Europe.

Selon des sources britanniques spécialisées dans la guerre économique, Michel (ou Mandai)

Szkolnikov (ou Szkolnikow) est né le 28 janvier 1895 à Szarnoko, dans la province de Wilno

ou Vilnius (Lituanie). Ses parents s'appellent en fait Aizik et Fejga Schlesinger. On ne sait

comment lui est échu le patronyme de Szkolnikov. D'après les Britanniques, Szkolnikov serait

un Russe d'origine juive. Szkolnikov quitte l'Union soviétique pour Paris dans les années 30 et

s'installe au 19, rue de Presbourg. Il a une autre adresse : une superbe propriété au 39-41,

avenue Gambetta, à Chatou, dans le département de Seine-et-Oise.

Sa première société, Texima, est placée sous séquestre, en raison de ses origines juives, par

l'administration militaire allemande en 1940.

5 MEW, secret, 23.10.44., Enclosure to Economic Warfare (Safehaven), Séries N° 73, January 25, 1945, American Embassy, London, to Secretary of State, Secret, N° 20607, Subject : Transmitting British secret reports re : Juan Cervantes Rodriguez, Michel Szkolnikov and André Gabison, RG 59, Central Décimal Files, 800.515/2545, Fonds Masurovsky.6Department of State. Records of the Department of State, 1940-1945.Secret Telegram No. 280 from Caffery to State, 20 January 1945. 800.515/1-2045 Safehaven Airgram dated 13 March 1945 from Caffery in US Embassy in Paris to Washington. No. A-311 800.515/3-1345, RG 59, NARA

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On ignore dans quelles conditions Szkolnikov se met à travailler pour la marine de guerre

allemande (Kriegsmarine). Il achète une firme d'import-export basée à Paris, la Société

commerciale de l'Océan indien, à une compagnie rouennaise, Boissière et Flo, et devient

acheteur pour diverses agences allemandes et pour les SS.

Résident apatride jusqu'en 1941, Szkolnikov adopte la nationalité monégasque en raison de

ses nombreux investissements dans la principauté. On le dit porteur d'une lettre signée Gôring

qui loue ses services et le désigne comme étant indispensable à l'effort économique allemand.

La rumeur veut que Himmier ait dîné à sa table, une des meilleures sinon la meilleure du Paris

de l'Occupation.

Après la guerre, le commissaire Jacques Delarue enquête sur Szkolnikov. Des années plus

tard, devenu historien, il expliquera dans un ouvrage de référence : « Avec Szkolnikov, on

touche à une sorte d'apogée. Une telle carrière d'aventurier n'aurait pu se développer avec

cette rapidité et cette ampleur dans des circonstances autres que celles, exceptionnelles, de

l'Occupation. C'est en cela qu'il est une sorte de personnage exemplaire, le prototype d'une

espèce particulière, propre à la faune de l'époque, en quelque sorte le symbole d'un moment

sinistre de l'Histoire. »

Certaines sources indiquent que les autorités d'occupation l'auraient fait arrêter pour trafic

illicite de produits alimentaires et qu'elles l'auraient relâché en mars 1942. Selon d'autres

rapports, la police allemande aurait procédé à son arrestation en 1943, mais les SS auraient

facilité sa remise en liberté7.

Szkolnikov a investi sa fortune, avec l'aide des SS, dans de grandes propriétés et des hôtels

tout au long de la Riviera, à Paris et aussi à Monaco où il bénéficie de la clémence des lois

fiscales et des facilités d'enregistrement des sociétés, véritable incitation au blanchiment

d'argent. Le prince septuagénaire Louis II de Monaco a confié en 1937 l'administration des

affaires de la principauté au ministre d'Etat Emile Roblot8 sur requête du gouvernement

français qui contrôle la politique étrangère de la principauté. Les sympathies de Roblot pour

7 Department of State. Records of the Department of State, 1940-1945. Secret MEW enclosures dated 23 October 1944, 28 October 1944 and 8 November 1944, to Safehaven Report No. 73, from John M. Allison, Second Secretary of the US Embassy in London, to State, dated 25 January 1945. « Transmitting British secret reports re : Juan Cervantes Rodriguez,Michel Szkolnikov and André Gabison». 800.515/1-2545; From Caffery(Paris) to State, 13 March 1945, A-311, Secret, Safehaven. 800.515/3-1345. RG 59, NARA8 Idem. From Henry Labouisse (Paris Embassy) to State, 29 March 1945, No. 1472, « Transmittal of Report on Monaco as a Safehaven for Enemy Capital » ; Safehaven Report No. 2, 29 March 1945, Enclosure to Despatch No. 1472, 3 pages. Secret. 800.515/3-2945. Ibid.

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les puissances de l’Axe sont proportionnelles aux gains personnels qu'il peut en tirer. Il

perçoit une commission sur chaque apport de capitaux étrangers à Monaco dont il a eu à

s'occuper, tout particulièrement sur les capitaux allemands et italiens. La principauté n'en

demeure pas moins un refuge neutre pour les ressortissants d'origine américaine et

britannique, et, jusqu'à l'arrivée des Allemands, pour les réfugiés d'origine juive.

D'après les Américains, Roblot aurait autorisé Szkolnikov à fonder des sociétés écrans pour

masquer ses investissements.

Dans la principauté, Szkolnikov contrôle huit sociétés immobilières et quatre holdings

privées. Il gère ses affaires par le biais de sociétés écrans comme la Société azuréenne. Sa

fortune personnelle est alors estimée à environ 200 millions de francs, et ses biens

immobiliers à 300 millions9*.

A la Libération, les enquêteurs français découvrent que dans sa tentative de mettre la main sur

l'industrie hôtelière française pour le compte des Allemands, Szkolnikov a acheté dix-sept des

plus grands hôtels du pays10*.

Les limiers de Safehaven dressent une liste d'officiers SS et de membres de la Gestapo avec

lesquels il était en affaires. On y retrouve une connaissance : Étienne Leandri, l'associé de

l'industriel américain pronazi Virgil Neal, l'ami du milieu marseillais et de la bande à Bonny-

Lafont (la « Carlingue » ou Gestapo française).

Lors de son interrogatoire, le général Oberg, ancien chef de la police allemande en France

occupée, indique que Szkolnikov était l'homme de paille préféré de l'officier SS Engelke,

responsable du bureau d'achat pour les services SS à Paris11*.

Selon l'ambassadeur américain à Paris Jefferson Caffery, Szkolnikov finançait la société

monégasque J. B. Pastor et Cie, entreprise familiale dont les fondateurs étaient d'origine

italienne.

9 Le gérant, un certain M. Martinez, s'enfuit en Italie en août 1944 en compagnie d'un capitaine SS après avoir fourni un passeport espagnol à Szkolnikov10 Department of State. Records of the Department of State, 1940-1945. Safehaven Airgram dated 28 March 1945 from Caffery to State. No. A-376. 800.515/3-2845. RG 59, NARA11 Oberg : «Je l'ai rencontré une seule fois dans le bureau de mon adjoint, Jungst. Je ne lui ai même pas adressé la parole. J'ai demandé, aprèsle départ de S., qui était cet individu. Jungst m'a répondu : "C'est là le fameux S. !" Je connaissais S. de réputation, car le SS Sturmbannfûhrer Engelke, qui était alors le chef des services "der Reischsfiihrer SS Auftragsverlagerung" à Paris, m'avait dit que c'était un des plus grands collaborateurs économiques... » (An 3 W, archives allemandes). D'autres anciens responsables du marché noir, comme le baron von Goldammer, ont indiqué que Szkolnikov devait en grande partie sa fortune à Engelke.

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Chez Pastor, Szkolnikov se dissimulait derrière le pseudonyme de «Kornikoff», ce qui ne

l'empêchait en rien d'être membre du conseil d'administration. Il avait obtenu du

gouvernement monégasque la permission de construire toute une série d'immeubles à Monte-

Carlo en employant des travailleurs réquisitionnés à Nice par les autorités allemandes sous

l'égide de l'organisation Todt12.

En 1944, Szkolnikov s'enfuit en Espagne. Les services américains l'identifient en avril. Dans

un rapport signé par M. Barth et envoyé à un agent américain basé à Madrid, M. Titus, il est

question d'un groupe de réfugiés polonais ou russes arrivant en Espagne, lestés d'énormes

quantités de bijoux et d'argent liquide, prêts à investir des sommes considérables, semble-t-il,

pour le compte des Allemands. Le rapport signale que Michel Szkolnikow (sic) s'est installé à

l'hôtel Maria Christina de San Sébastian, le 26 avril 1944, en compagnie d'Arin Szkolnikow,

âgé de soixante-quinze ans, et de Serasimo Szkolnikow, âgé de quarante- quatre ans. Le 20

juillet 1944, Michel Szkolnikov est repéré à l'hôtel Ritz de Madrid. On parle de lui comme du

propriétaire de l'hôtel Ruhl de Nice. Il a sur lui des bijoux pour une valeur de 5 millions de

pesetas, qui appartiendraient à la maison Cartier, de Paris.

Une Russe, belle-sœur d'un joaillier de la place Vendôme, dénonce Szkolnikov aux douanes

espagnoles. En août, des agents des services britanniques le repèrent à Madrid ; il est alors à la

tête d'un trafic de contrebande de pierres précieuses pour le compte de la Gestapo. Les

autorités espagnoles l'arrêtent, mais le libèrent après versement d'une caution de 13 à 14

millions de pesetas. Avant d'être arrêté, d'après le rapport Barth, Szkolnikov aurait écoulé les

bijoux volés avec le concours de trois de ses associés : Kerlakian, Tomas Rubio et un Français

d'origine tunisienne, Andres (ou André) Gabison. Les trois hommes auraient créé une société

de vente de pierres précieuses et auraient réglé la caution de Szkolnikov en francs français

auprès du consulat d'Espagne à Paris13.

Le Gouvernement provisoire de la République française a promis de rechercher les individus

coupables de crimes économiques contre la France pendant la période de l'Occupation. Le 5

octobre 1944, il place sous séquestre les biens et avoirs de Szkolnikov. Huit jours plus tard, la

Justice française lance un mandat d'arrêt contre lui pour « atteinte à la sécurité extérieure de

12 Department of State. Records of the Department of State, 1940-1945 Safehaven Airgram dated 28 March 1945 from Caffery to State No A-376.800.515/3-2845. RG 59, NARA13Department of State, 1940-1945. US Embassy in London, Safehaven Report No. 52, 16 January 1945 « Transmitting Enquiries from the Ministry of Economic Warfare to various British Missions based upon Confidential Reports ». 800.515/1-1645 ; Enclosure to Safehaven Report No. 73, op. cit. Regarding Michel Szkolnikov. 800.515/1-2545. RG 59 ; Mémorandum, EOT [Titus] to Mr Bowie, August 11, 1944, Secret, RG 226, Entry 127, Box 26, Folder 190, NARA

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l'Etat ». Un rapport Safehaven indique que 15 % des sociétés au nom de Szkolnikov ont été

saisies et placées sous séquestre à Monaco comme biens ennemis. Le même rapport

mentionne d'autres sociétés à Monaco contrôlées par des intérêts ennemis, comme la société

Radio Monte-Carlo, celles de Katchourine et de Melchiorre.

Les services français retrouvent la trace de Szkolnikov à Santander (Espagne) : il vient d'être

nommé vice-consul auprès de l'ambassade d'Argentine en Espagne. Les Britanniques le

signalent bientôt à l'hôtel Palace, puis au Ritz de Madrid14. Les Américains rapportent que

Szkolnikov a déposé une demande de visa pour se rendre au Portugal — demande appuyée

par l'ambassade d'Allemagne et par la police espagnole. Ils indiquent que Szkolnikov se lance

dans des achats de cacao et d'or pour le compte des

Allemands, muni d'une lettre de crédit portant sur un montant compris entre 25 et 35 millions

de francs suisses, négociable dans une banque madrilène ou une banque de Lisbonne, Banco

Pinto et Soto Mayor. De source consulaire française à Lisbonne, on sait que Szkolnikov est

entré en relations dans la capitale portugaise avec le représentant du Nicaragua au Portugal,

Eduardo Ramirez15.

Les autorités de Washington protestent auprès du gouvernement argentin qui a octroyé à

Szkolnikov le titre de vice-consul.

Ayant accès à la valise diplomatique argentine, Szkolnikov peut, selon les Américains,

poursuivre ainsi ses activités de contrebande pour le compte de hauts responsables du Reich

(comme Himmler et Göring). A la veille d'une réunion panaméricaine rassemblant les

représentants des pays d'Amérique latine et des États-Unis à Mexico, à la mi-mars 1945, le

secrétaire d'État adjoint, Joseph Grew, fait part de ses inquiétudes à ses collègues d'Europe et

d'Argentine sur les relations de Szkolnikov avec le gouvernement de Buenos Aires. Les Etats-

Unis veulent en effet profiter de la réunion de Mexico pour persuader les Argentins de ne pas

conforter les menées des réfugiés nazis dans leur pays. A cette fin, Grew, craignant que les

Argentins ne se servent de Szkolnikov faciliter la migration de biens de dignitaires nazis en

Argentine, réclame à l'ambassade américaine à Paris des précisions sur les liens entre le

régime de Vichy et l'Argentine16.

14 Department of State. Records of the Department of State, 1940-1945. From Allison to State, 25 January 1945. Safehaven Report. No. 73, Secret MEW Enclosure dated 23 October 1944 with 8 November 1944 update,800.515/1-2545. RG 59, NARA15 Department of State. Records of the Department of State, 1940-1945. From Grew at State to the US Embassy in Lisbon, 15 February 1945. Safehaven No. 280, 800-515/2-1545. RG 59, NARA16Jefferson Caffery, l'ambassadeur américain en poste à Paris, transmit la requête de Grew à ses collègues de l'ambassade à Madrid, le 2 février 1945. Department of State. Records of the Department of State, 1940-1945. From Grew to US Embassy, Paris, Secret, January 27, 1945, No. 3216, 800.515/20-1945, from Caffery at the US Embassy in Paris to State, 20 January 1945. Quoting from Mr.

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Szkolnikov poursuit cependant ses trafics avec la France. Au port franc de Bilbao, trois cent

quatre caisses de postes TSF, pesant chacune 1815 kilos, sont découvertes après avoir franchi

la frontière à Irùn. Ces caisses ont été enregistrées au nom de Szkolnikov et de Juan Cervantes

Rodriguez, originaire de Madrid.

Selon les enquêteurs de Safehaven, les deux hommes disposent d'automobiles Citroën et de

près de soixante-dix kilos de pellicule photographique vierge. Le nom de Rodriguez figure sur

la « liste noire » (proclaimed list). Pour reprendre le jargon de l'époque, il a été « listé » en

juin 1944 pour tentative de livraison de mica aux Allemands et pour avoir traité des affaires

de « compensation » en France et en Belgique.

Rodriguez travaille étroitement avec Andres (ou André) Gabison, le Français d'origine

tunisienne impliqué dans l'affaire du vol des bijoux de la maison Cartier17.

Né le 3 mars 1907 à Paris, celui-ci revendique la profession de commerçant. Mais, en 1943, il

a attiré l'attention des services de renseignement britanniques après qu'il a travaillé en

Espagne pour le compte de la Compana Espanola de Comercio Exterior, spécialisée dans le

négoce des métaux. Son passeport est estampillé « d'utilité pour la Wehrmacht18 ».

Les Britanniques craignent que Szkolnikov et ses associés permettent à la Gestapo de

poursuivre ses activités clandestines en Espagne. Un des contacts de Gabison à Madrid

travaille pour la Financiera y Industrial SA, plus connue sous le nom de Sofîndus, holding

dont on a vu qu'il sert de paravent aux Allemands. Les deux hommes trafiquent entre la

France et l'Espagne les francs français, des pierres précieuses, des tableaux volés (dont des

Vélasquez et des Murillo), des fourrures.

Szkolnikov se sert de l'argent provenant de la vente d'un lot de bijoux de contrebande pour

acheter à Barcelone 100 000 mètres de tissu bleu « dungaree » destinés à vêtir les ouvriers de

l'organisation Todt, et 4 millions de mètres de tissu kaki qui serviront à la confection

d'uniformes militaires allemands. Dans la foulée, il expédie en France 30 tonnes de tissu «

dungaree » à l'adresse d'un entrepôt parisien contrôlé par les SS19.

Après avoir rencontré un de ses informateurs espagnols nommé Pep, un officier de l'antenne

madrilène de l'OSS, rapporte : « Pep s'était renseigné auprès d'amis qui travaillaient pour la

Rogeon, French Alien Propeny Custodian 800.515/1-2045 ; From Caffery (Paris Embassy) to State, 2 February 1945, No. CC-714. In référence to Szkolnikoff diplomatic status as Vice Consul to Argentina in Santander, Spain. 800.515/2-245 ; ibid. 17Department of State. Records of the Department of State, 1940-1945. US Embassy in London, From Allison to State, 16 January 1945, Safehaven Report. No. 52, 800.515/1-164518Secret MEW enclosures dated 23 October 1944, 28 October 1944 and 8 November 1944 to Safehaven Report No. 73, from John M. Allison. Second Secretary of the US Embassy in London, to State, dated 25 January 1945. « Transmitting British secret reports re : Juan Cervantes Rodriguez, Michel Szkolnikov and André Gabison». 800.515/1-2545. RG 59,NARA.

19 Department of State. Records of the Department of State, 1940-1945. From J. H. Clark of MEW to the US Embassy in London, 21 February 1945, Enclosure to Safehaven Report No. 135 « Additional report on Michel Szkolnikov », 27 February 1945, US Embassy in London, from Avery Peterson to State. 800.515/2-2745. RG 59, NARA

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Banco Urquijo, laquelle jouissait d'une mauvaise réputation en raison de l'aide qu'elle

fournissait aux collaborateurs allemands et surtout à des personnes en provenance de

Biarritz. On lui avait dit que quiconque posait des questions au sujet de Szkolnikov faisait

l'objet d'une enquête de la police espagnole.

Celui-ci était poursuivi pour délit monétaire en Espagne, mais ne pouvait être arrêté, et, au

dire de Pep, ne le serait pas. Pep soupçonne la Phalange de l'avoir aidé à entrer en Espagne,

et que son dossier sera éventuellement classé20. »

Les Alliés entament des démarches afin de placer Szkolnikov sur leur Liste noire en mars

1945, six mois après la rédaction des premiers rapports d'enquête le désignant comme un

individu dangereux à la solde des instances militaires et des services de renseignement

allemands. Le département britannique chargé des questions de commerce avec les pays

neutres (l'équivalent des services de guerre économique dans les postes diplomatiques

américains) fournit une masse d'informations recueillies par ses agents en Espagne. Les

missions diplomatiques des pays alliés en Espagne et en France rassemblent les informations

fournies par les autorités françaises et celles amassées par divers agents britanniques et

américains. Le dossier est accablant et une intervention immédiate contre Szkolnikov

s'impose. Il convient d'ouvrir des négociations avec les Français et les Espagnols en vue de le

neutraliser. Mais les services secrets des puissances alliées sont submergés de demandes de

renseignements concernant les milliers de collaborateurs des Allemands qui ont trouvé refuge

dans les pays neutres. Ils n'arrivent pas à suivre. Les services américains, britanniques,

français et espagnols enquêtent certes sur Szkolnikov en France, en Espagne et au Portugal,

mais sans coordination aucune.

Il faut aussi compter avec les impondérables de la bureaucratie, comme en témoigne cette

note des services de l'OSS à Londres envoyée le 12 mars 1945 à son antenne de Lisbonne :

«Votre requête concernant [S(z)kolnikow] est arrivée, mais, pour une raison qui

m'échappe, elle a été attachée à une affaire complètement différente, ce qui fait que je ne l'ai

pas vue. Honnêtement, elle a traîné dans mon casier pendant près d'une semaine, et je l'ai

remarquée pour la première fois hier soir [...]. J'ai demandé qu'on se lance sur la trace [de

S.] rapidement et vous enverrai les résultats dès que je les aurai obtenus. Je suis très

embarrassé, car c'est la première fois que j'aurais eu la possibilité de vous venir en aide

[concernant ce dossier]. J'espère faire mieux la prochaine fois21... »

20 Conversation with Pep, Madrid, February 23, 1945, Secret, Enclosure No. 3 to Secret Dispatch No. 247, RG 226, Entry 190, Box 389, Folder 557, NARA21 From Saint, London, to Saint, Lisbon, Subject : Michel S(z)kolnikow,12 March 1945, XX-5682, RG 226, Entry 109, Box 5, Folder 40, NARA

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L'OSS à Lisbonne reçoit une réponse de son quartier général européen basé à Londres le 11

avril 1945, résumant une enquête menée par les services SI (Secret Intelligence) de l'OSS en

France en date du 15 mars 1945 :

« L'intermédiaire principal des Allemands dans leur tentative de mainmise sur l'industrie

hôtelière française et monégasque s'appelle Skolnikoff (alias Michel). Excepté la Société des

bains de mer, Skolnikoff n'a rencontré apparemment aucune opposition. Son nom apparaît

rarement sur les documents d'achat. A l'aide d'un "notaire" qualifié et d'un avocat dont le

nom sera mentionné dans un autre rapport, Skolnikoff a créé ou acquis une série d'agences

intermédiaires pour masquer l'origine des fonds et le but principal de ces acquisitions -

l'établissement d'une présence allemande unifiée dans l'industrie hôtelière française22. »

Willam M. Wheeler, de l'ambassade américaine à Lisbonne, indique que Szkolnikov

possédait d'importants domaines dans le sud de la France, sous couvert de sociétés écrans, et

qu'il détenait quantité de titres qui lui permettaient de contrôler ces sociétés en association

avec l'officier SS Fritz Engeike. Ces titres étaient apparemment en dépôt à la Banque de

l'Union, à Paris. D'après Wheeler, Engeike et Szkolnikov étaient associés à parité dans l'achat

et l'exploitation de dizaines d'hôtels et de parcs immobiliers en France et sur la Côte d'Azur23.

Le 15 mars 1945, après s'être réunis à l'ambassade américaine à Paris, les responsables des

puissances alliées placent Szkolnikov sur la liste noire.

Le Trésor américain prend la relève et recommande que Szkolnikov soit aussi « listé » aux

États-Unis24. Norman Armour, ambassadeur des États-Unis à Madrid, et son collègue

britannique approuvent ces actions contre Szkolnikov à la mi-avril 194525.

La liberté de mouvement dont Szkolnikov jouit dans la péninsule Ibérique sape les

fondements du programme Safehaven. Le gel de ses biens en France n'a nullement entravé ses

opérations en Espagne, et les complicités dont il bénéficie au sein du gouvernement espagnol

ne peuvent que réduire à néant toute tentative alliée d'enrayer ses activités.

Une source qualifiée d'« incontestable » par les services britanniques chargés des questions de

guerre économique indique que Skolnikov vient d'obtenir la nationalité argentine. Il a reçu

l'assurance explicite du ministre des Affaires étrangères de Franco, Juan de Lequerica, qu'il ne

fera l'objet d'aucune poursuite judiciaire en Espagne.

22 From Saint, BB/036 [London] to Saint/BDOOl [Lisbonne], Subject : Michel Skolnikoff, Secret, 11 April 1945, RG 226, Entry 109, Box 14, NARA23 US Embassy in Lisbon, Portugal, March 21, 1945, Secret, Michel Skolnikow (Skolnikoff), RG 59, 1945-1949, Box 4180, 800.515/3-2145, NARA24 Department of State. Records of the Department of State, 1940-1945. Treasury Department memorandum from L.C. Aarons, Acting Director of Foreign Funds Control, to Covey T. Oliver, Acting Chief, World Trade Intelligence, at the State Department, dated 16 March 1945. RG 59, NARA25 Id. From Armour (Madrid) to State, 17 April 1945, Safehaven and Listing, 800.515/4-1745. Ibid

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En outre, Szkolnikov entretient les meilleures relations du monde avec le ministre de la

Justice espagnol, Eduardo Aunos Perez26.

Américains et Britanniques s'accordent sur les mesures à prendre contre Szkolnikov. À la

différence de leurs collègues en Suède, ils prônent une démarche strictement axée sur les

aspects de guerre économique, illustrée par leur demande de « listage » de Szkolnikov. De

leur côté, les autorités françaises lancent un mandat d'arrêt contre lui le 13 octobre 1944 et

placent ses biens sous séquestre. Les Américains parlent alors de duplicité, soulignant qu'un

retour de Szkolnikov en France étant on ne peut plus improbable, ce geste est symbolique. Ils

ignorent que dans l'ombre les services secrets français s'apprêtent à frapper un grand coup.

Un avocat de New York, Lawrence Berenson, se rend à Paris au cours de l'automne 1945 et

s'entretient avec l'ambassadeur américain, Jefferson Caffery. Il l'informe qu'il représente un

groupe de citoyens américains désireux d'investir en France en s'associant avec un groupe

français. Il sait que le gouvernement français a ordonné la mise sous séquestre et la

liquidation de nombreux biens dont les ex-propriétaires ont été accusés de collaboration avec

l'ennemi. Berenson souhaite s'assurer que s'ils s'engagent à investir dans ces biens ses clients

seront en possession d'un titre de propriété en bonne et due forme aux yeux de la législation

française. Les biens qui intéressent ses clients appartenaient à un certain « Mendel, dit Michel

Szjkolnikow* ».

Le 12 décembre 1945, Berenson s'adresse à l'honorable Benjamin Cohen, conseiller auprès

du Département d'État à Washington. Il lui fait part de son entretien avec Caffery et précise

qu'il représente un groupe hôtelier américain intéressé par l'acquisition du parc immobilier et

hôtelier de « Szkolnikow et associés ». L'affaire traîne jusqu'en juin 1946, date à laquelle

Berenson écrit à M. William R. Vallance, adjoint au conseiller juridique du Département

d'Etat, pour lui demander copie des traités entre la France et les Etats-Unis concernant

l'acquisition de biens immobiliers en France par des ressortissants américains. Vallance ne

comprend vraiment pas ce qui conduit Berenson à revenir à la charge, mais se déclare prêt à

évaluer tout document officiel relatif à l'affaire qui intéresse les clients de Berenson 27. Les

archives que nous avons pu consulter ne nous permettent pas d'en dire plus. On ignore si

Berenson, ses clients de l'industrie hôtelière américaine et leurs partenaires français sont

arrivés à leurs fins.

26 Department of State. Records of the Department of State, 1940-1945. Safehaven Series. From London to Madrid, Paris, Lisbon, Safehaven Report on Michel Szkolnikoff, No. 232. 3 August 1945. RG 84, NARA27 Berenson to Cohen, 12 December 1945 ; Comités de confiscation des profits illicites, n. d. ; Berenson to Vallance, 14 June 1946 ; Vallance to Berenson, 27 August 1946, RG 84, Paris Embassy, General Records, 1946, 711.3, Box 365, NARA

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L'histoire ne dit pas non plus s'ils ont été liés au groupe français qui, après la guerre, a repris

tout ou partie de l'empire hôtelier de Szkolnikov.

Le 13 juin 1945, le quotidien portugais Diario Popular publie cette dépêche d'United Press :

« Madrid, le 12. - Le richissime Juif russe Michel Sokolnikoff, âgé de 50 ans, a été assassiné

dans la banlieue de la ville espagnole de Buitrago, à environ 45 kilomètres au nord de

Madrid. Réputé pour écouler en contrebande des pierres précieuses volées par des agents

nazis à Paris, il est arrivé en mai dernier en Espagne où il trempa dans une affaire de vente

de bijoux volés, puis, à son retour en France, a été interné dans un camp. Plus tard, il s'est

échappé de ce camp et est rentré en Espagne où il a mené un train de vie luxueux à l'hôtel

Ritz de Madrid avec sa concubine allemande, "Mademoiselle" Samson (Ellen Sampson).

Sokolnikoff était un passionné des casinos. On dit que ses assassins lui ont rendu visite à

l'hôtel et l'ont fait chanter, l'obligeant à les suivre après lui avoir volé une somme fabuleuse

en argent et en bijoux28. »

Les Britanniques refusent de croire à la mort de Szkolnikov.

Ils parlent de mensonge et affirment que le cadavre retrouvé n'est pas le sien. En France, la

disparition de Szkolnikov donne lieu à un étrange ballet judiciaire. Le 22 mars 1946, le

président du tribunal civil de la Seine confirme sa mort. Il nomme un administrateur judiciaire

fourni par la 1ère chambre de la Cour d'appel de Paris en juin 1946. Le Conseil supérieur des

profits illicites certifie la mort de Szkolnikov, le 9 mai 1947, et rend ses héritiers responsables

de la restitution de ses profits au Trésor public. Le 21 mars 1948, le Conseil d'État rejette un

recours interjeté par les héritiers en vue d'annuler le jugement du Conseil supérieur.

Mais, pour la Justice militaire française, Szkolnikov est en revanche toujours en vie ! Il est

condamné à mort par contumace, le 5 août 1950, ainsi qu'à la déchéance nationale et à la

confiscation de ses biens pour collaboration avec l'ennemi.

Le 17 mai 1952, le tribunal de première instance de Madrid confirme la mort de Szkolnikov ;

elle est officialisée le 11 mai 1953 par un notaire de Madrid, le 11 juin 1953 par le consul de

France à Madrid, et le 18 mars 1954 par le ministère français des Affaires étrangères31.

Le 13 janvier 1956, le tribunal militaire de Paris est de nouveau appelé à statuer sur le dossier

Szkolnikov. L'avocat Lahmek lui demande de juger nul et non avenu le verdict de

28 Department of State. Records of the Department of State, 1940-1945. Safehaven Séries. From Lisbon (US Embassy) to State, Safehaven Report No.224, Unrestricted. 13 June 1945. RG 84 ; Safehaven Report, unrestricted, US Embassy Lisbon, Portugal, No. 224, June 13, 1945, RG 226, Entry 183, Box 3, NARA. Longtemps les Alliés se sont interrogés sur les causes de l'arrestation de Skolnikov le 20 août 1943, alors qu'il habitait Chatou. En février 1946, un ancien agent de l'antenne de l'Abwehr de Stuttgart (Ast Stuttgart) leur expliqua qu'elle résultait d'une embrouille entre Skolnikov et les services de la SiPo-SD à Paris. From Saint, London, to Saint, Washington, Subject : Ast Paris III C file dealing with the arrest of agents of Ast Stuttgart,11 February 1946, Secret, xx-10769, RG 226, Entry 109, Box 58, NARA

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condamnation à mort émis par ce même tribunal le 5 août 1950. Il cite de nouveaux

documents permettant d'établir les faits suivants :

« 1. Plusieurs personnes ont été arrêtées en Espagne à la suite du meurtre de Michel

Skolnikoff; lesdites personnes ont déclaré qu'elles étaient venues de France spécialement

pour appréhender ledit Skolnikoff et le ramener en France pour qu'il y soit jugé pour des

actes de collaboration qui lui étaient imputés ;

« 2. La mort dudit Skolnikoff résulta de violences auxquelles il fût soumis, surtout un coup

violent au crâne au cours de son arrestation et transfert vers la frontière française ; sa mort

fût enregistrée, et les accusés ont admis avoir retiré le corps du véhicule, l'avoir traîné sur

une longueur de quelques mètres afin de le cacher sous un pont, et, après l'avoir arrosé

d'essence, d'y avoir mis le feu pour empêcher qu'on puisse identifier le cadavre.

« Ladite enquête a établi que les autorités espagnoles ont été alertées de la disparition de

Michel Skolnikoff le même jour, et qu'en découvrant le cadavre, ce même jour également, le

frère de Michel Skolnikoff a identifié ledit cadavre, lequel n'avait pas été suffisamment altéré;

un rapport fût dressé de l'examen médical du cadavre, identifiant ledit cadavre, et les bijoux

et objets qui lui avaient été extorqués par l'un des meurtriers furent rendus au frère de la

victime. Il fût tué le 10 juin 1945 32. »

Le commandant Mercier (pour le procureur) expose les faits suivants ;

« Skolnikoff, apatride d'origine russe, qui avait amassé durant l'occupation [allemande]

une fortune considérable, s'est enfui en Espagne au moment de la Libération. Il fût condamné

à mort in absentia en 1950, et sa fortune fût confisquée. Le tribunal avait été avisé en 1950

par l'avocat Darras, qui avait remis un certificat de décès, que ledit Skolnikoff avait été tué

dans une embuscade tendue en territoire espagnol et que l'action publique s'était donc

éteinte. La Cour de justice ne fût pas convaincue par la documentation qui lui avait été

remise33... »

Le procureur souligne les « contradictions » relevées entre les divers documents remis à la

Cour : dans l'un, le cadavre est décrit comme étant complètement calciné, tandis que dans

l'autre on le dit suffisamment conservé pour que son frère puisse l'identifier.

Peut-être s'agit-il là de problèmes de transcription. Un supplément d'instruction s'impose. On

parle d'intenter des poursuites à l'encontre des tueurs de manière à relancer l'instruction.

L'affaire est délicate, car on dit ceux-ci proches des services secrets français. Par surcroît, la

Justice militaire refuse de se déjuger.

La procédure intentée contre Szkolnikov a été versée au fonds des Archives nationales

françaises dit « An Z6 », concernant les affaires judiciaires ayant bénéficié d'un non-lieu. On

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y trouve les dossiers de ses anciens associés des casinos et hôtels de la Côte d'Azur. Tous ont

été relaxés et acquittés.

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