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A jeudi 6 décembre 2012 LE FIGARO - N° 21 258 - Cahier N° 4 - Ne peut être vendu séparément - www.lefigaro.fr ÉTIENNE DE MONTETY [email protected] L’apostrophe OLIVIER BARROT À la recherche du père PAGE 3 DOSSIER Le film inspiré de son livre «Bilbo le Hobbit » sort au cinéma mercredi prochain. Retour sur un écrivain qui a donné à la féerie ses lettres de noblesse. Page 2 Paul Veyne Sa nouvelle traduction de L’Énéide de Virgile a enthousiasmé Jean d’Ormesson. PAGE 5 L orsqu’un mot nous manque et qu’il semble ne pas exister, il s’agit de l’inventer. Pour le roman d’Eugène Green intitulé Les Atticistes, j’avais besoin du mot « méchantillet », alors je l’invente. Un roman méchantillet, c’est un roman gentillet qui se veut méchant. L’histoire, ici, n’a guère de sens : petit conte voltai- rien mettant en scène deux personnages sans psychologie dont l’un s’appelle Amé- dée-Lucie et l’autre Anne-Albane de la Gonnerie et qui traversent les années dites « de plomb », années 1960 et 1970, sans oublier la marquise de la Serbonne, Mme Coffrage, Aglaure-Flore Tantamire ou Tar- quin Modeste : on dirait une sotie gidienne rewritée par un cacochyme abonné de l’Almanach Vermot. La troisième partie du livre, avis aux amateurs de calembours faussement subversifs, se déroule à Sar- connières : c’est Les Inrocks chez Philippe Bouvard. Dans ce roman qui voudrait faire la peau à la pensée 68, à son discours sur- tout, tout est raté : l’humour, qui ne fait jamais rire puisqu’il est à pleurer ; le titre, à la vraie fausse cuistrerie, mais qui ressem- ble finalement à ce que le roman voudrait dénoncer (la prétention intellectuelle) ; le style, surtout, qui semble un croisement particulièrement foireux entre une notice de commode Ikea et les éructations baro- ques d’un vieux marquis lyrique. Com- ment ? Qu’est-ce qu’Eugène Green m’a fait ? Rien : je ne le connaissais pas, je n’en avais jamais entendu parler avant d’avoir sa chose imprimée entre les mains. Il m’a seulement fait que je l’ai lu. Et que Green, pour moi, et pour tout le monde à peu de chose près, restera Julien. Enfin, quand je dis que je l’ai « lu »… Là encore, il faudrait inventer un mot nouveau… Il est difficile de parler de lecture, quand ce qu’on lit n’est pas de l’écriture. Nous arrivons à une certaine impasse de la critique : comment dire ce qui n’est pas ? Comment rendre compte d’un tout qui n’est finalement rien ? Il est fasci- nant qu’une cible soit si ratée : à tel point qu’on a le sentiment que l’archet a tout visé sauf celle-ci. Écrire un roman, nous le répéterons à l’infini, cela ne consiste pas à transposer Fantômette et Oui- Oui dans le monde des adultes. C’est délivrer une vision du monde, mais une vision juste, mais une vision inédite, mais une vision pertinente : ici, les postulats (l’atticisisme contre le progressisme, contre l’asianisme, bref, du grand n’importe quoi), symbolisés par des per- sonnages ectoplasmiques aux psychologies beaucoup moins bien définies que dans Bibi Fricotin, sont en toc ; les démonstra- tions sont poussives ; les épisodes sont laborieux ; l’histoire est ennuyeuse comme un quai de gare le dimanche soir ; et la cri- tique, toujours évidente. Le roman fonc- tionne tantôt par théorèmes faux, tantôt par clichés sclérosés. À part David Foenki- nos, préposé officiel à la littérature naph- taline, je ne vois pas grand monde aujour- d’hui, du moins chez Gallimard, pour nous infliger un tel carnaval de désuétude et de satisfaction. Car oui, Les Atticistes est un roman qui, goguenard, se regarde sans cesse en train d’être intelligent, preuve qu’il est plutôt bête. On me dit que l’auteur est améri- cain et qu’il écrit en français. Faux : il écrit dans une langue que les Américains s’imaginent être le français. Car ce fran- çais-là, non seulement n’a jamais existé, mais n’existera jamais. La preuve. LES ATTICISTES d’Eugène Green, Gallimard, 206 p., 17,90 €. Yann Moix Signé Malraux, écrivain ministre? Un ministre de la Culture qui est aussi écrivain, ça n’arrive pas souvent. Il y a eu Malraux, hier, et Frédéric Mitterrand, et, aujourd’hui, Aurélie Filippetti, puisqu’on nous signale obligeamment l’existence de deux récits personnels signés d’elle. Pas facile pour un écrivain deve- nu ministre de rester écrivain, sans déchoir de son rôle de ministre. Qui parle, se demande-t-on tout le temps ? Dans un recueil de lettres choisies signées Malraux (Gallimard), on le voit écrire à Senghor, à Caillois, à Druon. Est-ce l’écrivain qui noircit un papier à en-tête du ministère ? Ou le ministre ? Et celui qui écrit à Louise de Vilmorin, qui montre une amicale sollicitude pour Raymond Aron, endeuillé par la perte d’un enfant, et pour le docteur Schweitzer, est-il écrivain, ministre ? Malraux rassérène Fautrier et Chagall, pris avec lui dans la tourmente ayant, à l’époque, accompagné leurs réalisations artistiques. Il répond à l’un : « Ceux qui vous insultent vous encenseront dès qu’ils auront un nou- veau peintre à insulter. » Et à l’autre, qui s’inquiète des cris d’orfraie suscités par son plafond de l’Opéra, il répond : « Vous savez qu’à Rome, pour désarmer le destin, les généraux payaient un type chargé de les engueuler pendant le Triomphe - alors que nous n’avons même pas à payer. » Peut-être Aurélie Filippetti écrit-elle ainsi à Jeff Koons ou Xavier Veilhan, ou Olivier Adam ? Et pas seu- lement pour leur annoncer leur promotion dans l’ordre de la Légion d’honneur. Le fait-elle comme ministre ou en tant qu’auteur des Derniers jours de la classe ouvrière ? Il faut qu’elle fasse attention à ce qu’elle leur dit. Pas question de les « engueuler ». Ces artistes sont à fleur de peau. Un mot de trop et c’est le drame. Au début des années 1960, Malraux aurait émis l’idée de faire réaliser par Picasso une tapisserie de Guernica. Celui-ci se serait offusqué : « Avez-vous oublié que je suis peintre ? » Réponse de Malraux, aussi sec : « Avez-vous oublié que je suis ministre ? » lefigaro.fr/livres Mao Tsé-Toung vu par Jean-Luc Domenach PAGE 6 CI-CONTRE : THE GRANGER COLLECTION NYC. EN HAUT, À GAUCHE : C. HELIÉ/GALLIMARD ; À DROITE : ENLUMINURE DU 15 E SIÈCLE/FATTI D’ENEA/MARY EVANS/RUE DES ARCHIVES Patrick GRAINVILLE © H. Triay GRAND PRIX DE LITTÉRATURE PAUL MORAND DE LACADÉMIE FRANÇAISE pour lensemble de son uvre. J.R.R. Tolkien, dans les années 1960.

Le Figaro Littéraire

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A

jeudi 6 décembre 2012 LE FIGARO - N° 21 258 - Cahier N° 4 - Ne peut être vendu séparément -www.lefigaro.fr

ÉTIENNE DE [email protected]

L’apostrophe

OLIVIER BARROTÀ la recherchedu père

PAGE 3

���������� ��� � ����� �DOSSIER Le film inspiré de son livre

«Bilbo le Hobbit» sort au cinéma

mercredi prochain. Retour

sur un écrivain qui a donné à la féerie

ses lettres de noblesse. Page 2

Paul VeyneSa nouvelle traductionde L’Énéide de Virgilea enthousiasméJean d’Ormesson. PAGE 5

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orsqu’un mot nous manque et qu’il

semble ne pas exister, il s’agit de

l’inventer. Pour le roman d’Eugène

Green intitulé Les Atticistes, j’avais besoindumot « méchantillet », alors je l’invente.

Un roman méchantillet, c’est un roman

gentillet qui se veut méchant. L’histoire,

ici, n’a guère de sens : petit conte voltai-

rien mettant en scène deux personnages

sans psychologie dont l’un s’appelle Amé-

dée-Lucie et l’autre Anne-Albane de la

Gonnerie et qui traversent les années dites

« de plomb », années 1960 et 1970, sans

oublier la marquise de la Serbonne, Mme

Coffrage, Aglaure-Flore Tantamire ou Tar-

quin Modeste : on dirait une sotie gidienne

rewritée par un cacochyme abonné de

l’Almanach Vermot. La troisième partie du

livre, avis aux amateurs de calembours

faussement subversifs, se déroule à Sar-

connières : c’est Les Inrocks chez PhilippeBouvard. Dans ce roman qui voudrait faire

la peau à la pensée 68, à son discours sur-

tout, tout est raté : l’humour, qui ne fait

jamais rire puisqu’il est à pleurer ; le titre, à

la vraie fausse cuistrerie, mais qui ressem-

ble finalement à ce que le roman voudrait

dénoncer (la prétention intellectuelle) ; le

style, surtout, qui semble un croisement

particulièrement foireux entre une notice

de commode Ikea et les éructations baro-

ques d’un vieux marquis lyrique. Com-

ment ? Qu’est-ce qu’Eugène Green m’a

fait ? Rien : je ne le connaissais pas, je n’en

avais jamais entendu parler avant d’avoir

sa chose imprimée entre les mains. Il m’a

seulement fait que je l’ai lu. Et que Green,

pour moi, et pour tout le monde à peu de

chose près, restera Julien. Enfin, quand je

dis que je l’ai « lu »… Là encore, il faudrait

inventer un mot nouveau… Il est difficile

de parler de lecture, quand ce qu’on lit

n’est pas de l’écriture. Nous arrivons à une

certaine impasse de la critique : comment

dire ce qui n’est pas ? Comment rendre

compte d’un tout qui n’est

finalement rien ? Il est fasci-

nant qu’une cible soit si

ratée : à tel point qu’on a le

sentiment que l’archet a tout

visé sauf celle-ci. Écrire un

roman, nous le répéterons à

l’infini, cela ne consiste pas à

transposer Fantômette et Oui-

Oui dans le monde des adultes.

C’est délivrer une vision du

monde, mais une vision juste,

mais une vision inédite, mais

une vision pertinente : ici, les postulats

(l’atticisisme contre le progressisme,

contre l’asianisme, bref, du grand

n’importe quoi), symbolisés par des per-

sonnages ectoplasmiques aux psychologies

beaucoup moins bien définies que dans

Bibi Fricotin, sont en toc ; les démonstra-

tions sont poussives ; les épisodes sont

laborieux ; l’histoire est ennuyeuse comme

un quai de gare le dimanche soir ; et la cri-

tique, toujours évidente. Le roman fonc-

tionne tantôt par théorèmes faux, tantôt

par clichés sclérosés. À part David Foenki-

nos, préposé officiel à la littérature naph-

taline, je ne vois pas grand monde aujour-

d’hui, dumoins chez Gallimard, pour nous

infliger un tel carnaval de désuétude et de

satisfaction. Car oui, Les Atticistes est unroman qui, goguenard, se regarde sans

cesse en train d’être intelligent,

preuve qu’il est plutôt bête. On

me dit que l’auteur est améri-

cain et qu’il écrit en français.

Faux : il écrit dans une langue

que les Américains s’imaginent

être le français. Car ce fran-

çais-là, non seulement n’a

jamais existé, mais n’existera

jamais. La preuve. �

LES ATTICISTESd’Eugène Green,Gallimard, 206 p., 17,90 €.

Yann Moix

Signé

Malraux,écrivain ministre?Unministre de laCulturequi est aussi écrivain, ça n’arrive

pas souvent. Il y a eu Malraux, hier, et Frédéric

Mitterrand, et, aujourd’hui, Aurélie Filippetti, puisqu’on

nous signale obligeamment l’existence de deux récits

personnels signésd’elle. Pas facile pour unécrivain deve-

nuministre de rester écrivain, sans déchoir de son rôle de

ministre. Qui parle, se demande-t-on tout le temps?

Dans un recueil de lettres choisies signées Malraux

(Gallimard), on le voit écrire à Senghor, à Caillois, à

Druon. Est-ce l’écrivain qui noircit un papier à en-tête

du ministère ? Ou le ministre ? Et celui qui écrit à Louise

de Vilmorin, qui montre une amicale sollicitude pour

Raymond Aron, endeuillé par la perte d’un enfant, et

pour le docteur Schweitzer, est-il écrivain, ministre ?

Malraux rassérène Fautrier et Chagall, pris avec lui

dans la tourmente ayant, à l’époque, accompagné leurs

réalisations artistiques. Il répond à l’un : « Ceux qui vous

insultent vous encenseront dès qu’ils auront un nou-

veau peintre à insulter. » Et à l’autre, qui s’inquiète des

cris d’orfraie suscités par son plafond de l’Opéra, il

répond : « Vous savez qu’à Rome, pour désarmer le

destin, les généraux payaient un type chargé de les

engueuler pendant le Triomphe - alors que nous

n’avons même pas à payer. »

Peut-être Aurélie Filippetti écrit-elle ainsi à Jeff

Koons ou Xavier Veilhan, ou Olivier Adam ? Et pas seu-

lement pour leur annoncer leur promotion dans l’ordre

de la Légion d’honneur. Le fait-elle comme ministre ou

en tant qu’auteur des Derniers jours de la classe

ouvrière ? Il faut qu’elle fasse attention à ce qu’elle leur

dit. Pas question de les « engueuler ». Ces artistes sont

à fleur de peau. Un mot de trop et c’est le drame.

Au début des années 1960, Malraux aurait émis l’idée

de faire réaliser par Picasso une tapisserie de Guernica.

Celui-ci se serait offusqué : « Avez-vous oublié que je

suis peintre ? » Réponse de Malraux, aussi sec :

« Avez-vous oublié que je suis ministre ? » �

lefigaro.fr/livres

MaoTsé-Toungvu parJean-LucDomenach

PAGE 6

CI-CONTRE:THEGRANGERCOLLECTIONNYC.ENHAUT,À

GAUCHE:C.HELIÉ/GALLIMARD;À

DROITE:ENLUMINUREDU15

ESIÈCLE/FATTID’ENEA/MARYEVANS/RUEDESARCHIVES

PatrickGRAINVILLE

©H.T

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GRAND PRIX DE LITTÉRATURE PAUL MORANDDE L�ACADÉMIE FRANÇAISE

pour l�ensemble de son �uvre.

J.R.R. Tolkien,dans les années 1960.

Page 2: Le Figaro Littéraire

jeudi 6 décembre 2012 LE FIGARO

A

littéraireEN TÊTE

2

Soixante-trois auteurspour un seul : il fallaitbiencelapours’emparerdumonumentTolkienetdécrypter son œuvre-monde.

Il s’agit du premierouvrage en français àtenter de faire le tour del’énigmatique MisterTolkien. Il seveutacces-sible aux fans du Sei-

gneur des anneaux,pointu pour les spécia-listes et convaincantpour ceux qui seméfient de la fantasy.

Dictionnaire Tolkien,sous la direction

de Vincent Ferré, CNRS

Éditions, 750p., 39 €.

nia. Tolkien et Lewis furent long-temps en communion d’esprit. Pen-dant vingt ans, le groupe des« Inklings » a réuni autour de cesdeux figures des amis qui avaient encommun la foi et l’envie d’écrire. Ilsse retrouvaient souvent dans un pubdevenu célèbre pour cela. Entredeux bières, ils discutaient demythologie et se lisaient des chapi-tres de leur ouvrage en cours.

On dit que Tolkien a converti

C. S. Lewis ?

Tolkien l’a aidé à devenir chrétien enlui disant que les Évangiles étaient unmythe vrai. Ils avaient en commun la passion pour les mythes, ces récits quiaident l’homme à comprendre sapropre expérience et son rôle dansl’univers, un monde plus vaste etprofond que ce que nous pouvons envoir et néanmoins intelligible.

Tolkien était au fond un esprit

très libre et peu conventionnel.

Oui, il était très intelligent. Lui et sesamis étaient considérés par leurs col-lègues comme d’affreux réacs. En fait,ils étaient plutôt anarchisants.D’ailleurs, Tolkien, le catholique tra-ditionnel, eut beaucoup de succèsdans le milieu hippie. Il se méfiait desidéologies de tous bords et de l’appa-reil étatique, au nom d’une morale dela responsabilité individuelle. Parceque dans ses livres le mal est person-nifié, on l’a accusé de racisme: c’estune absurdité. «Nous sommes touségaux devant le grand auteur»,disait-il. À son fils Christopher, offi-cier dans la RAF, il écrivait pendant laguerre qu’il y avait des orques (lesêtres maléfiques du Seigneur desanneaux) partout, y compris dansleurs propres rangs, même si sansconteste l’ennemi nazi était pirequ’eux. À un éditeur allemand qui luiavait demandé à la fin des années 1930s’il était juif, il avait répliqué sèche-ment qu’il n’avait pas cet honneur.

Quelle est selon vous

la grandeœuvre de Tolkien?

Le Seigneur des anneaux. Contraire-ment au Hobbit, ce n’est pas un livrepour les enfants. Le Silmarillion et lesdouze volumes édités sous le nomd’Histoire de la Terre du milieu,publiés après sa mort, sont des récitsmythologiques qui éclairent l’uni-vers du Seigneur des anneaux, maisces textes-là s’adressent à mon avisaux passionnés de Tolkien! Pour mapart, j’aime beaucoup ses contes,La Feuille de Niggle par exemple, etson essai sur le conte,Faërie et autrestextes, fondamental. Il y expliqueentre autres que le conte doit avoirune happy end, à l’image de l’événe-ment heureux qui achèvera letemps, et que l’Évangile est le contepar excellence qui donne un sens àl’histoire des hommes.

Comment Tolkien conciliait-il

sa vision chrétienne dumonde

et la conception païenne des contes

scandinaves qui l’inspiraient?

Selon lui, les mythes préchrétiens sontdéjà une approche de la Vérité. Leurvision est incomplète mais c’est déjàune vision, au sens fort. Tolkien nevoulait pas écrire une allégorie chré-tienne. «Le Seigneur des anneaux estune œuvre catholique de part en part,c’est pourquoi j’ai effacé toute allusionreligieuse», disait-il. Son monde fée-rique est autonome et ne se réfère pasau christianisme. Pourtant ce mondeimaginaire est une image du monderéel qui, selon lui, sort directementdes mains du Créateur. Il n’y a aucuneallusion à ce Créateur dansLeSeigneurdesanneauxet dansLeHobbit. Mais onsent que Gandalf le mage est unenvoyé, d’on ne sait qui, mais ce «onne sait qui» est présent de façon diffu-se. La dimension providentielle estégalement très forte bien qu’implicite.Les romans féeriques ne sont pas desrêvasseries. Le merveilleux est plusréaliste que le roman réaliste bornédans l’espace et le temps. Lire Tolkiennous fait voir et comprendre de façontrès vive le rôle de l’homme dansl’univers. C’est un visionnaire commeles grands romanciers. �

PROPOS RECUEILLIS PARASTRID DE LARMINAT

Irène Fernandez, normalienne, agré-gée de philo et docteur ès lettres, estl’auteur de Si on parlait du Seigneurdes anneaux (Presses de la Renaissan-ce) et de Défense et Illustration de laFéerie (Philippe Rey).

LE FIGARO LITTÉRAIRE. -

Quel genre d’homme le créateur

du Seigneur des anneauxet de Bilbo le Hobbit était-il?Irène FERNANDEZ. - Il a mené une vietout à fait normale. Bon mari, amou-reux de sa femme, et bon père auprèsde ses quatre enfants. Il a obtenu trèsjeune la chaire d’anglo-saxon àOxford, puis celle de langue et litté-rature anglaise. Ses grandes œuvrescritiques portent sur le Beowulf, unpoème épique du VIIIe siècle, et surSire Gauvain et le Chevalier vert, unroman de chevalerie du XIVe. Iln’avait d’autre originalité que celled’être intrinsèquement original !Cette vie très classique contrastait eneffet avec une imagination incroya-ble. Philologue dans l’âme, il ainventé des langues très élaborées,des personnages pour les parler, ettoute une mythologie où se déploientleurs aventures. Des fondus de Tolk-ien apprennent aujourd’hui les lan-gues elfiques!

On a dumal à croire que cet auteur

qui amis en scène tant de batailles

ait filé une existence paisible

de bout en bout!

La mort de sa mère quand il avaitdouze ans l’a marqué. Déjà orphe-lin de père, il fut élevé avec son frè-re par un prêtre oratorien. Cetteperte, et les tranchées de la guerrede 1914 où il fut envoyé commeofficier à vingt-deux ans, et où il aperdu des amis très chers, ont laisséen lui une tristesse indélébile quiexplique la couleur mélancoliquede son imaginaire. Dans sesromans, les victoires sont toujoursprovisoires et le bien advient par-fois par le mal. Frodo, le héros duSeigneur des anneaux, chargé dedétruire l’anneau de pouvoir queconvoite le maléfique Sauron en lejetant dans un volcan, au derniermoment ne voudra plus s’en sépa-rer. Frodo échoue et pourtant laquête aboutit : c’est le mauvaisGollum qui, en se jetant dessus pours’en emparer, tombe avec l’anneaudans le volcan. Tolkien n’est jamaismanichéen. La destruction del’anneau entraîne la chute de Sau-ron et permet la restauration d’uneroyauté heureuse. Mais cette trêven’est pas la victoire définitive, onsait que Sauron réapparaîtra sousune autre forme.

Tolkien était aussi un amateur

de clubs littéraires...

Il a fondé plusieurs clubs parce qu’ilavait besoin de partager ses pas-sions. Grâce au club des « Coalbi-ters», qu’il avait créé à Oxford pourlire les sagas et les poèmes islandaisdans le texte, un club qui ne fut dis-sous que lorsque tous ces texteseurent été lus, Tolkien a connuC. S. Lewis, le futur auteur de Nar-

esmu,tsi-isis

mas,etesueir

e-leteà

nturjà

neé-strt,one-asdedentneuronunonu-ste.es

� L’ÉVÉNEMENT

Le nouveau hors-série du Figaro, consa-cré à Tolkien, apportedes éclairages variéset approfondis sur lavie, l’œuvre et la visiondu monde de cet écri-vain anglais de génie.Les plus belles imagesde l’adaptation duHob-bit par Peter Jackson yfigurent. Les néophy-tes trouveront aussitous les repères utilespour s’aventurer danscet univers unique. Parexemple, un diction-naire des personnages,un dictionnaire despeuples et un tourd’horizon des princi-paux décors de la pla-nète Tolkien. Le toutmagnifiquement illus-tré. Tolkien l’Enchan-

teur, 114 pages, 8,90 €.Disponible aujourd’hui.

Rufin sur tous les frontsAvant de succéder, en janvier 2015,à Jean Malaurie au poste de directeurde la collection « Terre humaine » chezPlon, l’académicien Jean-Christophe Rufinpubliera en mars 2013 chez Guérin, maison

d’édition de Chamonix vénéréepar les montagnards, le récit de son épopéejusqu’à Compostelle par les sommets.Un mois plus tard, il sera présent avecune dizaine d’auteurs (parmi lesquelsSylvain Tesson, Jean-Claude Guillebaud,Olivier Frébourg) au sommaire du premiervolume de la toute nouvelle collection

« Points, Aventure » que lance au SeuilPatrice Franceschi.

AIMÉ CÉSAIRE Dans le cadre ducentenaire d’Aimé Césaire, le céli-nien David Alliot va publier une bio-graphie du poète et homme politiquemartiniquais (mort en 2008), cen-trée sur ses relations tumultueusesavec le Parti communiste, entre1945 et la rupture définitive de 1956.À paraître le 17 janvier chez Pierre-Guillaume de Roux, sous le titre Lecommunisme est à l’ordre du jour.

EN TOUTESconfidences

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J. R. R. TOLKIENBIO EXPRESS

1892Né le 3 janvieren Afrique du Sud,il passera le reste desa vie en Angleterre.

1914Part pour la guerre.

1916Commence à élaborersa mythologie.

1937Parutionde Le Hobbit.

1954Parution du Seigneurdes anneaux.

1973Meurt le 2 septembre.

LE HOBBITDe J. R. R. Tolkien,traduit de l’anglaispar Daniel Lauzon,Bourgois,394 p., 20 €.

������ �� ������ ��� ������Ce conte épique, imaginé pour ses enfants, a une portée bien plus vaste qu’il n’y paraît.

LES AVENTURES de Bilbo leHobbit forment une mer-veilleuse histoire pourenfants… de 7 à 77 ans. Bilboest un héros enfant, voire

un antihéros. Il appartient à une bonnefamille hobbit – l’un des peuples dumonde de J. R. R. Tolkien -, aime labonne chère et déteste l’imprévu. Etpourtant, il est choisi par Gandalf, lebon magicien, pour aider treize nains àreconquérir le trésor et la terre de leursancêtres que s’est accaparé un dragon,une aventure périlleuse à laquelle sanature casanière et bedonnante ne leprédisposait guère. C’est ainsi, on peutêtre timoré et néanmoins destiné à unemission d’envergure.

Les Hobbits sont encore plus petitsque les nains. Autant dire que dans lespremiers temps de cette équipée à tra-vers des terres inhospitalières, Bilboest un poids plutôt qu’un soutien. Mal-gré le courage dont il fait preuve, ilmanque à plusieurs reprises provo-quer la mort de ses compagnons. Il necesse de gémir intérieurement enregrettant son logis et en se deman-dant ce qu’il est venu faire dans cettegalère.

Un rôle à jouerHeureusement, pendant cette pre-mière partie de l’expédition, Gandalf,figure paternelle et providentielle,veille sur eux. C’est lorsque le magi-

cien les laissera se débrouiller seuls queBilbo révélera de quoi il est capable.

Ce conte qui commence sur un tonbadin prend progressivement uneampleur épique et éthique époustou-flante, en développant une vision dumonde riche, subtile. Il s’agit bienentendu d’un récit d’apprentissage.L’adversité mûrit le héros, l’ennoblit,le rend plus courageux et intelligent,bien qu’il reste très « humain » etfacétieux. Plus encore, ce romanmontre que chacun, elfe, nain, hom-me ou Hobbit, a une place dans le vas-te monde et un rôle précis à jouer dansson histoire. Sans ce petit Hobbit surlequel personne n’aurait parié, le dra-gon n’aurait pu être vaincu.

Plusieurs éditions de ce conte sontdisponibles. Bourgois, l’éditeur deTolkien en France, en publie unenouvelle traduction, déclinée entrois versions : l’une, intituléeLe Hobbit (20 €), présente le texteseul ; dans la deuxième, Le Hobbitannoté (25 €), il est assorti d’unappareil critique conséquent ; latroisième version, Le Hobbit illustré(30 €), est enrichie d’images et decouleur. Le texte est aussi disponibleen format audio, enregistré parDominique Pinon (Audiolib) et enLivre de poche, dans une traductionplus ancienne mais très convenable,sous le titre Bilbo le Hobbit. �

A. L.

Ci-dessus : illustrationd’Alan Lee pour

Le Hobbit, qui reparaîten français chez Christian

Bourgois Éditeurdans une nouvelle

traductionde Daniel Lauzon.

En médaillon :Irène Fernandez.

DOSSIERL’auteur du

«Seigneur des anneaux»reste méconnu.À l’occasion

de l’adaptation au cinémade son roman«Le Hobbit»,une spécialiste

de la littérature féeriqueévoque cet écrivain.

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THEJ.R.R.TOLKIENCOPYRIGHTTRUSTILLUSTRATIONS©ALANLEE1997ANDTOLKIEN®AREREGISTEREDTRADEMARKSOFTHEJ.R.R.TOLKIENESTATELIMITEDETDR

Page 3: Le Figaro Littéraire

LE FIGARO jeudi 6 décembre 2012

A

littéraireCRITIQUE

33

�� ������� ��� ��� ��OLIVIER BARROT Le portrait en creux d’un père taciturne.

DOMINIQUE GUIOU

LES ENFANCES les plusprotégées peuvent recelerde grandes douleurs, et ilarrive que même les fils debonne famille aient eux

aussi la tentationd’arracher au silen-ce une blessure tenue secrète. Oh ! cegenre d’aveu relève rarement dugrand déballage autofictionnel. Lapudeur reste de mise dans ce quin’est au fond qu’une tentative pour yvoir un peu plus clair. Ainsi OlivierBarrot rejoint-il la cohorte de ceuxqui ont cherché à percer l’énigme deleur père.

La tâche ne fut pas facile pourl’écrivain-journaliste. La faute enrevient au manque de souvenirs. Cequi est un comble pour cet hyperm-nésique capable de réciter les nomsdes footballeurs qui gardaient enalternance les buts de l’équipe deFrance au début des années 1960, etqui, lorsqu’il laisse aller saplumeau fildes associations d’idées, peut alignerde brillantes réminiscences dans latradition des « je me souviens » deGeorges Perec… Une mémoireinfaillible, donc, pour tout ce quiconcerne les passions de l’auteur, etelles sont nombreuses : le sport, on l’avu, mais aussi le cinéma, les specta-cles et la littérature.Mais dès lors qu’ils’agit d’évoquer son père, OlivierBarrot se perd dans les brumes trèsmodianesques de l’oubli et prend soinde préciser que ce qu’il raconte n’estqu’« un vague souvenir »…

Le père n’était pas bavard, maisn’allez pas imaginer qu’il n’avait rienà dire. Le portrait qu’en brosseOlivier Barrot le fait entrer dans lacatégorie des glorieux timides, cespremiers de la classe qui semblentencombrés par leurs médailles etleurs prix d’excellence. Cet homme,

en effet, avait tout lu ; il avait gagnél’amitié d’éminentes personnalitésdu monde du cinéma et de la littéra-ture ; il avait été un résistant actifpendant les années de guerre. Bref, iln’avait rien à cacher, et avait mêmetoutes les raisons d’être fier de sonparcours. Et si son silence assourdis-sant était à rechercher dans les origi-nes ?C’est unepiste quepropose sanss’appesantir l’auteur, en notant quesonpère estnéBlochet qu’il choisit leporter le nomdeBarrot, bien avant laguerre, pour des raisons inconnues…

Un lecteur talentueuxL’auteur multiplie les exemples de laréserve taciturne de son père.Enfant, il a vu plusieurs fois lecinéaste Roberto Rossellini, venu enami chez ses parents. Il se souvientavec précision des conversationsqu’il a eues avec l’auteur de Voyageen Italie, et cela, au lieu de le réjouir,l’attriste : « Comment se fait-il que jeme souvienne de conversations avecRossellini et d’aucune avec mesparents ? »

OlivierBarrot garde en revanche lesouvenir ébloui de soirées prolongéesaux cours desquelles son père lisait àtoute la famille, en « mettant leton », de belles pages de la littératureuniverselle, parmi lesquelles desextraits de la trilogie de Pagnol. Unpère silencieux dans l’intimité, maisqui devient extraverti dès lors qu’ils’agit de jouer un rôle. L’écrivainl’affirme : son père avait un talentexceptionnel, très supérieur à celuide Raimu !

À l’issue de ce voyage intime etpérilleux dans les souvenirs liés aupère, l’auteur ne sera pas plus avan-cé dans sa connaissance de celui quia emporté avec lui son mystère. Lepaternel est parti avec ses secrets ;mais en avait-il, des secrets ? Rien

Le paternel, celui qui lisaitle soir les plus belles pages

de la littérature,est parti avec ses secrets.

RUE DES ARCHIVES/OVRM

LE FILS PERDUD’Olivier Barrot,Gallimard,128 p., 11,90 €.

AU FIL DE CREILDe Philippe Lacoche,Le Castor Astral,120 p., 12 €.

��� ������� � �� ������PHILIPPE LACOCHE Ses nouvelles sont une méditation sur le passage du temps.

SÉBASTIEN LAPAQUE

PHILIPPE LACOCHE estl’un des rares littérateursde sa date à prendre lanouvelle au sérieux et às’y consacrer pleinement.

Peu lui chaut si, désormais, ce grandgenre français - Théophile Gautier,Guy de Maupassant, Marcel Aymé !- manque de fidèles et de journauxpour passer commande. Commenaguère Frédéric H. Fajardie, qui aexercé sur lui une influence dura-

ble, Philippe Lacoche publie desrecueils presque exclusivementcomposés d’inédits. Ainsi Au fil deCreil, célébration en neuf tableauxd’une ville picarde célèbre pour sespéniches et ses faïences. Les hérosde ce livre sont des rêveurs éveillés,des enfants humiliés, des demi-sol-des de la douceur de vivre. Danschaque instant passé et présent, ilsaiment traquer le merveilleux etl’insolite, débusquer les petites cho-ses qui donnent la joie. À l’heure oùle soleil noir de la volonté de puis-

sance étend son ombre sur la terre,Philippe Lacoche n’aime rien tantque mettre en scène des petits, desobscurs, des sans-grade et dire poureux les « brisures intimes qui vouslaissent des cicatrices à vie ».

Une société de concurrenceDans la nouvelle intitulée Une jolieCreilloise, Jean-Luc Lupard oublie lesrugueuses disciplines d’une sociétéde concurrence sauvage pour nesonger qu’au plaisir de pêcher à laligne. « Il s’imaginait remontant des

tanches de trois kilos, des carpes élé-phantesques, des gardons largescomme la main. Il n’avait pourtantattrapé jusqu’à présent que cinq ou sixgoujons longs comme des vits de lapinet deux perchettes rachitiques dansune gravière grise et coincée entredeux bretelles d’autoroute. » DansL’Enlèvement d’Albert Jacquard,Vincent et François imaginent fairefortune avec la rançon payée par lesadmirateurs du scientifique. DansCatherine Nouvelles, un homme aucœur brisé reconnaît, sous une blou-

se de dentiste, une actrice qu’il a fol-lement admirée lorsqu’il était ado-lescent. « Après avoir totalementdisparu des écrans à la fin des annéesquatre-vingt, Catherine Nouvellesavait donc repris ses études de dentistepour s’établir à Creil… »

Mieux qu’au tableau d’un maîtreflamand, c’est à la mélancolie desFatigues de la guerre deWatteau quefait songer Au fil de Creil. Par là, onl’aura compris, ces neuf nouvelless’élucident comme autant de leçonssur le passage du temps. �

n’est moins sûr… Reste l’évocationd’une vie, celle de l’auteur de cespages.Olivier Barrot, en contrepointde son enquête infructueuse, nousfait partager les moments forts deson activité de journaliste. Une exis-tence riche en voyages, lectures etrencontres. Nous croisons ainsiJorge Semprun et Jean d’Ormesson,Pierre Tchernia et Jean-PierreVernant, d’autres encore, moinsconnus mais non moins attachants.Ces rencontres avec des hommesremarquables ponctuent agréable-ment le récit d’Olivier Barrot etmontrent que le journalisme, lors-qu’il est pratiqué avec talent, peutdevenir de la littérature. �

Marque-pages

PAR MOHAMMED AÏSSAOUI

�Avec Delphine de Malherbe, il fallait s’y attendre :la passion brûlante, ravageuse est au cœurde La Fille à la vodka. Cette fille, c’est Alice Duval.Tout semble sourire à la jeune Parisienne.C’est Alice au pays des merveilles, en apparencedu moins. Mais quelque chose au fond d’ellela pousse à tout quitter pour Avignon. La femmecroit, en fait, quitter un mal qui la ronge et quiprend la forme d’une bouteille de vodka. Elle ahonte et, malgré son entourage, se sent seule danssa détresse cachée. Ses grands-parents installésà Avignon pourraient peut-être la comprendre.La ville n’est pas un choix du hasard pour

LA FILLE À LA VODKADe Delphine de Malherbe,Plon,232 p., 18 €.

la romancière, dramaturge à succès (elle a adaptéet mis en scène Inconnu à cette adresse),c’est la ville du théâtre et des huis clos, des grandsjeux de l’amour et du hasard. Alice rencontreévidemment un homme. Patrice, ancien sportifde haut niveau qui a également connu la réussite,est juste un peu plus âgé qu’elle. Elle pense, ellevoudrait viscéralement que les bras de cet hommel’aident à oublier l’alcool. Histoire de quitterune addiction pour une autre. Une ivresse plussaine contre le démon. Avec un style remarquablede simplicité et de feu, Delphine de Malherbe décritune relation fiévreuse – on a le sentiment de lireen « live » l’autopsie d’un coup de foudre, tout yest : des prémices aux frémissements. Sans lalourdeur d’un essai, elle parle d’un grave problèmede société : l’alcoolisme au féminin. Bien sûr,on pense à des femmes qui ont brûlé leur vieà en mourir. Le livre est dédié à Romy Schneider,mais ce roman touchera toutes les âmes sensibles.

langue, a été décerné à ÉricVuillard pour La Bataille d’Occident(Actes Sud) et à Andreas Maierpour Das Haus (Suhrkamp Verlag).Chacun recevra 10000 euros.

Le sport c’est classeLe 24 janvier, paraîtra Desports,revue de luxe consacrée auxsports. Pilotée par les journalistesAdrien Bosc et Victor Robert, ce

semestriel accueillera, pour com-mencer, les textes de Luis Sepul-veda, Maylis de Kerangal, Pierre-Louis Basse, Denis Grozdanovitchet Bernard Chambaz. Avec, enprime, pour les nostalgiques, undossier sur les vignettes Panini.

Bouvard : des chiffreset des lettresLa retraite, un mot qui n’existe

pas pour Philippe Bouvard qui fêteses 60 ans de journalisme. L’hom-me est connu pour ses bons mots,moins pour ses chiffres records :50000 articles, 8000 émissionsde télévision et 20000 émissionsde radio. Bouvard évoquera sesplus belles rencontres dansJe crois me souvenir, un livre àparaître le 16 janvier chezFlammarion.

Richard Ford,star de l’été prochainGros succès aux États-Unis,Canada, le nouveau roman del’Américain Richard Ford, quiraconte l’histoire d’un adolescentabandonné par ses parents etélevé au Canada par un hommebrutal, sera la tête d’affiche de larentrée de septembre 2013. Àparaître aux Éditions de l’Olivier.

Prix Franz-HesselLe prix franco-allemand de littéra-ture qui récompense deux jeunesauteurs, non traduits dans l’autre

ÇÀ&LÀ

Page 4: Le Figaro Littéraire

jeudi 6 décembre 2012 LE FIGARO

A

littéraireCRITIQUE

4

CHRISTOPHE MERCIER

EN 1905, Henry Jamesdécide de publier Heuresanglaises, un volume enhommage à l’Angleterre,sa patrie d’adoption

depuis 1876, dont il deviendracitoyen en 1915. Deux ans plus tard,il publiera La Scène américaine, puisHeures italiennes, en 1909. En 1884,il avait écrit unVoyage en France : legrand écrivain cosmopolite auradonc consacré un volume à chacundes pays avec lesquels il entretenaitdes rapports d’intimité, le cadre deson œuvre.

Mais les Heures anglaises, pourêtre éditées tardivement dans sacarrière, sont pourtant, dans leurplus grande part, constituées de tex-tes datant de la fin des années 1870,bien antérieurs à leur réunion envolume, écrits à une époque oùJames était encore un jeune Améri-cain découvrant le pays où il devaitpasser le reste de son existence.C’est ce qui explique leur ton distan-cié, étonné, souvent ironique, le tond’un touriste qui apprend à connaî-tre un pays qui le fascine, mais luiparaît radicalement étranger.

Un œil impitoyableLa connaissance que James a del’Angleterre est d’abord uneconnaissance livresque, et on nes’étonnera pas que nombre de cestextes soient écrits en marge desgrands romans anglais du XIXe siè-cle : Jane Austen, Walter Scott et,plus que tout, Dickens et Thackeray

HEURES ANGLAISESDe Henry James,traduit de l’anglaispar Jean Pavans,Seuil,300 p., 21 €.

sont ici omniprésents. Jamesconfronte la vision qu’il a de sonnouveau pays à celle qu’il a pu trou-ver dans l’œuvre d’auteurs admi-rés. Lorsque la riche amie chezlaquelle il séjourne, à la campagne,le convie à assister à la soirée deNoël qu’elle offre aux pensionnairesd’un orphelinat, il décrit moins cequ’il a sous les yeux que ce qu’ilprojette sur la scène à travers laconnaissance qu’il a d’Oliver Twist.

Et c’est au moment des fêtes defin d’année, quand Londres estdésertée au profit des domaines à lacampagne, que James « est hanté

par la Londres de Dickens »,« (…) j’ai l’impression qu’elle estencore présente, qu’elle exhale enco-re son pittoresque en bouffées per-ceptibles aux esprits sensibles ».

Pourtant, James ne voyage pasuniquement avec pour outils leslivres qu’il aime. Il a aussi un œil, etun œil impitoyable, qui traquecomme celui du « sauvage évadé »qu’il est, lesmoindres bizarreries duvieux pays. Il le fait non sans un cer-tain snobisme, et la façon dont ildéplore la « cockneyfication » del’Angleterre n’est pas sans évoquerla façon dont, aujourd’hui, un

Renaud Camus parcourt la Franceen déplorant une lente dégradationdes hommes et des lieux.

Ironie et franche drôlerieLa description que donne James, en1877, d’une manifestation dans lesrues de Londres serait sans doutejugée, de nos jours, comme politi-quement incorrecte : « C’était lamasse londonienne, la populacemétropolitaine, hommes et femmes,garçons et filles, les pauvres décentset indécents, qui s’étaient au passageglissés dans le cortège défilantdevant eux, et qui en faisaient une

������� ������AUDUR AVA OLAFSDOTTIR Une femme divorcée

prend la route avec un enfant sourd.

L’EMBELLIED’Audur AvaOlafsdottir,traduit de l’islandaispar CatherineEyjolfsson,Zulma,400 p., 22 €.

FRANÇOISE DARGENT

APRÈS un premierroman réussi, l’auteurest toujours attendu autournant pour ledeuxième. C’est le cas

pour Audur Ava Olafsdottir,l’auteur de Rosa Candida, ovni de larentrée littéraire 2010, aussi fraisqu’un geyser islandais, qui contaitles pérégrinations philosophiquesd’un jeune jardinier, nouvellementpromu père.

On ouvre donc L’Embellie avecprudence pour souffler dès les pre-mières pages. Il semblerait que l’onva là aussi s’accrocher aux basquesde l’héroïne qui, en l’occurrence,chemine d’un pas instable à unmoment clef de son existence. Ledégel traître, avec ses plaques deverglas assassines dans les rues deReykjavik, n’est pas étranger à cetteclaudication existentielle. Audur, sameilleure amie, glisse en lui rendantvisite. Et voilà notre héroïnecontrainte de s’occuper du filsd’Audur, sourd et myope, pendantqu’elle est à l’hôpital. Une tuile deplus pour la narratrice qui file undrôle de coton en ce mois denovembre versatile : son mari vientde la quitter en lui avouant qu’ilallait être père dans deux mois.

Rien n’est jamais perduÀ trente-deux ans, cette traductricechevronnée qui n’a jamais éprouvéle désir d’enfanter déménage dans lepetit studio qui lui sert de bureau aumoment où le petit Tumi, quatreans, entre dans sa vie.Mais rienn’estjamais perdu. Ensemble, ils remplis-sent un billet de loterie et gagnent legros lot. Libre, elle restera. C’estpourquoi elle décidera d’emmenerle petit avec elle pour un long péripleressourçant sur la nationale 1, la

fameuse route circulaire de l’île. Ilsembrasseront la pauvre Audur,quitteront la capitale avec trois pois-sons rouges dans le coffre et vingtliasses de billets dans la boîte à gants,s’apprivoisant de concert.

L’auteur ne recule devant aucunepéripétie pour tricoter un péripleenchanteur. Elle carbure à l’inat-tendu titillant la part cartésienne dulecteur. Le duo croisera des ani-maux imprudents qui finiront enrôtis et des hommes très nature plu-tôt bienveillants. Il échappera auxéboulis sur la route cabossée et auxinondations qui détrempent le pays.Ainsi, les deux êtresvacillants se renforce-ront mutuellement.

�������� �� �����On revient toujours chez sa mère.

Même les durs à cuire n’y échappent pas.

À la fin, les redoutables frères Sisters

retournent chez maman.

Ils y auront mis le temps. Il aura fallu

des centaines de kilomètres,

des aventures à la pelle, des déceptions

comme s’il en pleuvait et, au bout

du compte, une sorte de sagesse.

Les Sisters sont des tueurs à gage.

Dans l’Ouest de 1851, le Commodore

les a chargés, pour une obscure raison,

d’éliminer un dénomméWarm.

Direction la Californie.

Eli, qui est le narrateur, semble le plus

doux. C’est une question de degré.

Son aîné, Charlie, est une brute épaisse

dont les capacités d’absorption

d’eau-de-vie défient les lois humaines.

Leur père les battait. Charlie l’a

descendu. Des vocations naissent

pour moins que ça. Depuis, tuer des gens

ne les dérange pas. Cela fait partie

du train-train. Il est déconseillé

de les croiser sur la route. Les balles

sifflent pour un rien. Il leur arrive

de s’attendrir, mais c’est généralement

sur un cheval qui leur a rendu service.

Ils avancent dans des paysages

à la Cormac McCarthy. La violence coule

de source. Charlie ne réfléchit guère.

Il dégaine entre deux siestes. Le cadet

commence à se poser des questions.

Il en a un peu assez de tous ces cadavres.

La vie ne peut pas être que ça.

Il y a sûrement autre chose. Il est

déraisonnable de parler de philosophie ;

n’empêche, rencontrer la comptable

d’un bordel lui ouvre des horizons

insoupçonnés.

Avant, il y avait eu ce dentiste qui lui

avait appris à se brosser les dents

avec une poudre parfumée à la menthe.

Un brin de civilisation ne nuit pas

dans cet univers où les problèmes

se règlent colt en main.

Ils tombent sur un homme

perpétuellement en larmes, sur

des Indiens hagards, des prospecteurs en

haillons. La ruée vers l’or a transformé

les cow-boys. Le Canadien deWitt écrit

au galop un roman sur la fraternité,

ces liens absurdes, indéfectibles

et fragiles.

Les dialogues sont aussi tordants

que chez Tarantino. Les meurtres

ressemblent à des gags. La rigolade

survient avec une morsure d’araignée

qui défigure le héros. Les moments

d’émotion sont ceux où on enlève un œil

abîmé à sa monture (se munir d’alcool

pour désinfecter, s’éloigner pour éviter

les ruades).

L’assassinat est un métier lassant.

Une mort en entraîne une autre.

On voudrait crier pouce. Il ne faudrait

jamais quitter son enfance. Il reste

à admirer les inventeurs de pistolets

à cinq canons. Il existe aussi une formule

secrète permettant de repérer

les paillettes d’or dans les rivières.

L’auteur ne nous la livre pas. Cet oubli

est dégoûtant. On gardera en mémoire

ce chapitre où des castors agonisent

un par un sur le barrage qu’ils ont

construit. Picaresque pas démodé.

DeWitt culte. Stop. Succès à prévoir.

LES FRÈRES SISTERSDe Patrick deWitt, traduit de l’anglais

(États-Unis) par Emmanuelle et Philippe

Aronson, Actes Sud, 358 p., 22,80 €.

PAR ÉRIC NEUHOFF

affairesétrangères

�� ������� ��� ��� � �������HENRY JAMES En 1905, l’écrivain américain décide de publier un volume en hommage à sa patrie d’adoption depuis 1876.

RIC NEUHOFF

rangggggggggggggggggggggggggggggggèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèèrresDans ce deuxièmeroman attendu,Audur Ava Olafsdottirraconte un péripleoù deux êtresvacillantsse renforcentmutuellement.ANTON BRINK

Henry James (en médaillon)traque, en « sauvage évadé »qu’il est, les moindresbizarreries du vieux pays.Ci-contre : Green, Blue andPurple (View of London),de Joseph Pennell.BETTMANN/CORBIS

Comme dans RosaCandida, il se dégage de celivre une félicité tranquille etapaisante. L’auteur qui l’a en faitécrit avant s’y révèle un peu plusbavardemais elle pose déjà les pier-res de son univers. On y retrouve cegoût pour la nature rugueuse de sonpays, ses plantes sauvages et sa cui-sine typée (les recettes expérimen-teés par les personnages figurent àla fin de l’ouvrage), sa manière justede sonder les âmes et de révéler laprégnance de l’enfance en chacun.Et son charme fou qui tient en unmot : dépaysement. �

���� ��� ���� �� ������Édition Avant de quitter l’île dela Cité pour les Batignolles, la célè-bre institution fait parler d’elle. Le21 novembre est sorti le dernierprix du Quai des Orfèvres. Attribuéde façon anonyme à un manuscrit,comme c’est la règle du prix, il a étédécerné à Danielle Thiéry, l’une des

premières femmes à accéder augrade de commissaire divisionnaire.Des clous dans le cœur a conquis lejury, composé de policiers, demagistrats et de journalistes, maisaussi les lecteurs. Le tirage de110000 exemplaires a été épuisé etun nouveau de 20000 est en cours.

Le lendemain de la parution de cetexcellent polar publié chez Fayard,les Éditions Jacob-Duvernet lan-çaient Le Mystère HB, signé PierreDragon, membre de la Direction durenseignement de la Préfecture depolice et auteur de RG, et ClaudeCancès, ancien patron du 36, quai

des Orfèvres. Cette histoire en BDretrace minutieusement l’affaire dela maternelle de Neuilly, aussi appe-lée affaire «Human Bomb», dunom de l’homme qui avait pris enotage, le 13 mai 1993, 21 enfantspendant 46 heures.

BRUNO CORTY

LE 36 QUAI DES ORFÈVRESEST À L’HONNEURAVEC UN POLAR ET UNE BD.

sorte de “bamboche” solennelle. » Iljuge ce spectacle « vaguement quoi-que redoutablement suggestif ».Pourrait-on écrire cela en 2012 ?

Mais James peut tout se permet-tre : le regard qu’il se donne estcelui du Huron, du Persan qui, sousle masque de l’ironie, décrypte lesarcanes d’un pays inconnu.

Cette ironie fait parfois place àune franche drôlerie, et on décou-vre dans ces textes un James inhabi-tuel, très drôle, qui, décrivant lafaçon dont des jeunes Anglais engoguette essaient de redresser uncompagnon de beuverie ivre mort,qui leur glisse entre les mains dèsqu’ils ont réussi à lui redonner laposition verticale, nous offre unevéritable scène de slapstick.

L’Angleterre de James est uneAngleterre mi-réelle, mi-rêvée àtravers les livres, et ce hiatus entrele pays qu’il voit et celui qu’ilconnaît par l’œuvre d’artistes aimésdonne au regard de l’écrivain sonacuité, et au livre sa tension.

Parfois, cette tension se résout enun accord parfait, et James montre,admirablement, des jeunes fillesjouant au tennis sur le gazon d’unriche presbytère… �

TENDANCE

Page 5: Le Figaro Littéraire

LE FIGARO jeudi 6 décembre 2012

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littéraireDOCUMENT

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PAUL VEYNE Le latiniste revientà ses premières amours avec une nouvelle

traduction de « L’Énéide ».

PAR JEAN D’ORMESSON,DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

PAUL VEYNE est historienet latiniste. Il est surtoutun de ceux qui, commeMarie Curie, MichelFoucault, Jean-Pierre

Vernant ou Claude Lévi-Strausshier, comme Marc Fumaroli aujour-d’hui, incarnent avec le plus d’éclat,dans des domaines différents, cetteculture française dont quelques voix,ici ou là, annoncent déjà le déclin.À quatre-vingts ans passés, il habiteavec sa femme, au pied du Ventoux,la petite ville de Bedoin.

Commencée Rue d’Ulm et àl’École de Rome, poursuivie auCollège de France, sa longue carrièrea été ponctuée par des livres qui ontmarqué notre temps : Comment onécrit l’histoire. Essai d’épistémologie ;La Société romaine ; Quand notremonde est devenu chrétien et biend’autres encore. Comme LucienJerphagnon, autre maître incompa-rable, dont il était l’ami, ses travauxsur la fin de l’Empire romain et letriomphe du christianisme fontautorité. Mais ce spécialiste de la lati-nité et de Rome s’intéresse aussi àBaudelaire, qu’il connaît par cœur, àÉluard, à Char et à Foucault, à qui il aconsacré deux études, à Nicolas deStaël et à Jackson Pollock.

Il y a deux ans, Paul Veyne apublié un ouvrage magnifique, réé-

dité ces jours-ci, sur la peinture ita-lienne, trésor de savoir, d’intelli-gence et de sensibilité, cadeau deNoël par excellence, qui devrait être,non seulement dans toutes lesbibliothèques, mais sur les tables detous ceux qui ont aimé Florence,Venise et Rome. L’historien deRome s’était mué en critique d’art.

Tous les feux de l’amourLe latiniste qu’il fut à l’originerevient à ses premières amours avecune nouvelle traduction de L’Énéidede Virgile. Écrite une vingtaine ouune trentaine d’années avant lanaissance du Christ, inspirée, huitcents ans après Homère, par lesdeux plus grands poèmes de l’Anti-quité grecque, L’Iliade et L’Odys-sée, dont elle est une imitation,L’Énéide est le plus grand poème del’Antiquité latine. On pourraitsoutenir que la littérature occiden-tale s’articule autour d’une structurecentrale en chaîne qui s’ouvre avecL’Iliade et L’Odyssée pour s’acheveravec l’Ulysses de James Joyce, enpassant notamment par Virgile, parWolfram von Eschenbach, parDante, par l’Arioste, par Camoens etpar le Tasse.

L’Énéide raconte − « arma virum-que cano… » − les aventures d’Énée,poussé par le destin, qui fuit Troie enflammes et parcourt les mers parmimille dangers pour aller fonder enItalie, à la pointe de l’épée, ce quideviendra l’Empire romain. Dès les

premiers vers, le destin de Troieétablit un lien entre L’Iliade etL’Énéide ; et une longue navigationsoutenue et contrariée par les dieuxétablit un lien entre L’Odyssée etL’Énéide. Les six premiers chants deL’Énéide, avec la rencontre à Car-thage entre Didon et Énée, sont unesuite et une imitation de L’Odyssée,où Calypso, Circé et Nausicaaseraient remplacées par la seuleDidon, brûlée de tous les feux del’amour. Et les six derniers chants,où se joue l’avenir de Rome avec labataille finale entre Énée vainqueuret Turnus vaincu, sont une suite etune imitation de L’Iliade.

Au passage se déroulent d’innom-brables épisodes, plus célèbres lesuns que les autres et qui traînentobscurément dans la mémoire dulecteur : la fuite d’Énée, loin de Troieprise et détruite par les Grecs, avecson père Anchise sur ses épaules etson fils Ascagne, appelé aussi Iule, àses côtés ; l’apparition de la reineDidon à Carthage : « Elle s’avanceenfin au milieu de toute une troupe,serrée dans une chlamyde au liserébrodé ; son carquois d’or, ses cheveuxsont noués dans l’or et une agrafe d’orsoutient son vêtement de pourpre » ;la description, imitée d’Homère, desarmes fournies à Énée par sa mère

Vénus et où sont gravés les fastes del’histoire future de Rome ; ladescente d’Énée aux Enfers en com-pagnie de la sibylle de Cumes, oùfigure, avec son chiasme, un des versles plus connus de la littérature uni-verselle : Ibant obscuri sola sub nocteper umbram «ils s’en allaient obs-curs, dans l’ombre, sous la nuit soli-taire », et où, après avoir cueilli lefameux rameau d’or qui seul ouvrel’accès à l’autre monde, le hérosrencontre non seulement les âmesdes morts, mais les grandes figuresde l’avenir romain − Romulus, Pom-pée, César, Auguste et le jeune Mar-cellus, neveu, gendre et successeurdésigné d’Auguste, mort à l’âge devingt ans. Encore un vers célèbre quichante le sort funèbre de l’héritier del’Empire : Tu Marcellus eris (« tuseras Marcellus») …

On raconte qu’à la lecture de cepassage devant la famille impérialepar Virgile lui-même l’impératrices’était évanouie d’émotion et dedouleur.

MerveilleusementamusantAvec une force et une simplicitésublimes, L’Iliade et L’Odysséeconstituent l’épopée primitive d’oùsort toute notre littérature. Plus poli-cée, plus raffinée, admirée par Ron-sard, par les classiques qui lisaientsouvent L’Iliade comme une ébauchede L’Énéide, par Voltaire, par Cha-teaubriand, par Claudel, dédaignéepar Napoléon qui s’imaginait volon-tiers en héritier d’Achille et quivoyait en Virgile un « régent de collè-ge », L’Énéide est un roman d’aven-tures merveilleusement amusant. Unroman d’évidence plus beau et plusdigne de mémoire, mais aussi plusséduisant, plus émouvant, plus exci-tant que la plupart de nos traductionsd’aujourd’hui. Quel film pourraittirer de L’Énéide un grand réalisa-teur ! Il faut lire Virgile pour le plaisirdans la traduction de Paul Veyne.

La Fuite de Troie (1551)de Ludger Tom Ring le Jeune.WESTFÄLISCHES LANDESMUSEUM

L’ÉNÉIDEDe Virgile,présentationet nouvelle traductionde Paul Veyne,Albin Michel/Les Belles Lettres,429 p., 24 €.

WILLIAMS. BURROUGHS,ANDYWARHOL.CONVERSATIONSDe Victor Bockris,traduit de l’anglaispar Jérôme Schmidtet Nicolas Richard,Éditions Inculte,179 p., 16 €.

����������� ���� �� ���WILLIAM S. BURROUGHS ET ANDY WARHOL En 1980, le roi du pop art et le vétéran de la Beat Generation

se sont rencontrés à quatre reprises. Leurs dialogues hallucinants sont aujourd’hui publiés.

BRUNO CORTY

D’UN CÔTÉ, WilliamSeward Burrou-ghs, alias El Hom-bre Invisible, aliasle Dr Benway, alias

The Operator ou inspecteur Lee.De l’autre, Andy Warhol, le

Dieu de la Factory, du VelvetUnderground.

Lorsque l’auteur du Festin nurentre à New York en 1974 aprèsun quart de siècle d’exil en France,au Mexique et au Maroc, VictorBockris, journaliste anglais aumagazine Interview de Warhol,

décide de les réunir. L’entrepriseprendra quelques années.

Si les deux monstres sacrés àl’origine de l’ère beat-punks’étaient déjà croisés, ils n’avaientjamais pris le temps de converser.Le cahier des charges était simple :se retrouver à la Factory, auChelsea Hotel ou encore dans leBunker de Burroughs, s’asseoir,manger, boire et parler sans entra-ve de tout, d’art, d’amour, de sexe,de musique, d’alcool, de paranoïa,en laissant tourner les magnéto-phones et en prenant quelques cli-chés. En matière d’interview, Boc-kris avait été initié par Warhol qui

lui avait donné ce conseil : « Neprépare jamais tes questions. Faiscomme s’il s’agissait d’un cocktail. »

Une nécessaire solitudeLe résultat est surréaliste et désopi-lant. Les deux compères comparentla démarche sensuelle de RichardGere et de John Travolta, s’opposentsur le régime alimentaire, le liftingdu visage et les implants capillairesde Truman Capote, devisent surl’utilité de sortir armé le soir dansNew York. Warhol ne comprend paspourquoi les garçons ne peuvent pasavoir d’enfants. Burroughs posedevant le portrait de Kafka sur lequel

travaille le peintre. Il évoque sesannées de bonheur à Chicago lors-qu’il était exterminateur de cafards.Puis on discute du roman sur lequel iltravaille, La Cité de la nuit écarlate.Le sujet? La «transplantation de cer-veaux ». Allen Ginsberg, DavidBowie, Susan Sontag, John Giornone sont jamais loin. Mick Jagger etJerry Hall se rendent à un dîner chezBurroughs. La nourriture est infecte,la soirée une catastrophe. La discus-sion s’embourbe sur la date anniver-saire des Rolling Stones et la Révolu-tion culturelle. Les photos prisesdans la cuisine de Burroughs évo-quent au mieux une réunion

d’extraterrestres, au pire l’invasionde zombies.

Conclusion de Victor Bockris :« Tous deux étaient des agents dou-bles, des hommes hardis, forts et cou-rageux, qui avaient résisté quand toutle monde baissait les bras, et avaientfait voler en éclats l’establishment. Ilsétaient tous les deux mariés à leurtravail, torturés par de grandes âmesromantiques et la nécessité d’une soli-tude totale.» Sept ans après ces ren-contres mémorables, Warhol passaitde l’autre côté du miroir. Le vieuxBill attendrait encore dix ans pour lerejoindre et poursuivre leursconversations entre fantômes. �

��� ������� �� �������������MAX JACOB Une édition revue et corrigée de ses plus grands textes, la totalité de ses poèmes

et un inédit prémonitoire de 1939 sont réunis en « Quarto ».

THIERRY CLERMONT

BRETON DE QUIMPER, juifconverti au catholicisme,poète, conteur et peintre,longtemps mondain ethomosexuel parisien, Max

Jacob était aussi protéiforme,caméléonesque et insaisissable queson œuvre, jusqu’à sa mort tragi-que, en 1944 au camp de Drancy.

Dans son recueil en prose LeCornet à dés, publié à l’âge de trenteans, il avouait : « Je me déclare mon-dial, ovipare, girafe, sinophobe et

hémisphérique. Je m’abreuve auxsources de l’atmosphère qui ritconcentriquement et pète de moninaptitude. » C’était en 1916, MaxJacob connaissait Picasso et leslocataires du Bateau-Lavoir depuisdix ans, s’était lié avec Apollinaire ;Breton et Aragon ne s’étaient pasencore rencontrés, mais respec-taient ce maître étrange, et Cocteause montrait déjà.

Sept ans auparavant, le Christ luiétait apparu sur le mur de sa cham-bre. Coincé entre la générationpostsymboliste et celle du surréalis-

me, l’immense poète et passeurméritait largement une « Pléia-de » ; Gallimard a préféré l’anti-chambre du « Quarto ».

« Dans le noir »On ne peut que saluer cette entre-prise très intelligemment menéepar Antonio Rodrigez, qui nousdonne ainsi une édition revue etcorrigée des plus grands textes dureclus des bords de la Loire, dans lepresbytère de Saint-Benoît, où ils’était installé, en 1921. « Saméthode se révèle une persévérante

“pesée de l’âme” avec, d’un côté, lecœur ouvert, le corps pensant, etd’un autre, l’écriture, la peinture,qui explorent avec obstination lespossibles humains aux confins del’effondrement. »

On retrouve dans ces 1 800 pagesrichement illustrées ses proses quisont autant de « rapsodies étourdis-santes », comme le dira André Billy(Le cycle Matorel, Le Roi de Béotie,les lettres fictionnelles du Cabinetnoir…), ses textes critiques oud’esthétique et la totalité de sespoèmes, dont le sublime Laboratoi-

re central (1921). Pour couronner letout, nous découvrons un inéditsidérant, écrit en 1939 : Méditationssur le chemin de croix, où l’on relè-ve : « Nous sommes tous des Judas.L’homme est naturellement unJudas, car les Judas sont ceux quitournent le dos à Jésus. » Quelquessemaines avant son arrestation, ilconfie : « Ma vie finit dans le noir. »Le martyrologe poétique s’allonge-ra quelques semaines plus tard,avec les noms de Robert Desnos etde Benjamin Fondane, morts endéportation. �

ŒUVRESDe Max Jacob,Gallimard, «Quarto»,1 824 p., 29,50 €.

������ � ���� ���� �� �������Rencontre La Maison de lapoésie de Paris organise des ren-contres hors du commun entre etavec trois poètes nés entre 1926et 1936 : Michel Butor, CharlesJuliet et Franck Venaille. Baptisées«Les Géants», ces manifesta-tions auront lieu du 17 au 20 jan-

vier. Le plus poète du trio, FranckVenaille, chantre du lyrisme noir,auteur de La Descente de l’Escautet de Hourra les morts !, lauréat dugrand prix de poésie de l’Académiefrançaise, interviendra seul, ledimanche 20 janvier. Plus connupour ses récits liés au Nouveau

Roman, Michel Butor n’en est pasmoins un poète prolixe, puisqueses Œuvres complètes (à La Dif-férence) comptent plus de3000 pages rimées. Le romancieret diariste Charles Juliet, dont l’uni-vers sombre est proche du peintreBram van Velde, publie ses poè-

mes plus discrètement ; uneanthologie a paru au printempsdernier chez P.O.L, sous le titre deMoisson. Au menu : lectures,récitals, entretiens…

T. C.Renseignements :www.maisondelapoesieparis.com

LA MAISON DE LA POÉSIEDE PARIS ORGANISE EN JANVIER DESRENCONTRES INÉDITES AVEC LESPOÈTES BUTOR, JULIET ET VENAILLE.

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LA BONNE

idée

Page 6: Le Figaro Littéraire

jeudi 6 décembre 2012 LE FIGARO

A

littéraireHISTOIRE

6

�� ����� � �� � ������ ������ESSAI Une entreprise réussie pour sortir le «classicisme à la française» de son enfermement rigide et glacial.

JACQUES DE SAINT VICTOR

DANS l’avalanche delivres sur les « splen-deurs » de la cour deVersailles, l’essai del’historien d’art Michel

Jeanneret présente un angle origi-nal et balancé. Il permet de mieuxsaisir ce qui se joue derrière lesapparences parfaites du tropfameux « classicisme à la françai-se ». Pendant longtemps, lesauteurs se sont recopiés en souli-gnant les valeurs d’harmonie, derationalité et d’équilibre quiauraient été la marque de fabriquede l’univers louis-quatorzien. À leslire, on finissait par se demander siSaint-Simon n’était que haine endécrivant la « cruelle folie » deVersailles…

En vérité, la littérature hagiogra-phique avait autant de bon sens queles esprits faux qui, regardantLa Dolce Vita de Fellini, croyaient ydéceler une ode à la vie oisive etluxueuse de la jet-set romaine,passant à côté de la plus ravageusedescription du vide sidéral d’un cer-tain milieu.

« Chaosmos »

Michel Jeanneret, se plaçant, dèsl’exergue de son livre, sous le prin-cipe du « Chaosmos », un néologis-me repris à Joyce, tente de nousintroduire à la complexité du« classicisme » derrière ses imagesde perfection et de lumières. Aufond, cette « exception française »

n’aurait rien à envier, à le lire, à lagéniale profusion baroque et, fina-lement, on finit par penser que cettefroideur versaillaise n’est pas uneerreur prétentieuse mais l’expres-sion d’une ambition vaine, uneexpérience pour maîtriser les mys-tères du magma originel, l’explo-sion des zones obscures où som-meille la raison, tant sur le planmétaphysique (le Mal), psychologi-que (les passions dénoncées parPascal) ou politique (la rébellion desGrands).

On avait déjà pu ressentir lesnotes de cette brutale ambition

Molière à la table de Louis XIV(1875) de Jean Léon Gérôme.SOTHEBY’S / AKG-IMAGES

VERSAILLES,ORDRE ET CHAOSDe Michel Jeanneret,Gallimard,376 p., 38 €.

MAO, SA COURET SES COMPLOTS.DERRIÈRELES MURS ROUGESDe Jean-LucDomenach,Fayard,568 p, 25 €.

���� �� ������� ����� �ESSAI Jean-Luc Domenach retrace les tribulations politiques et familiales

de la nomenclature communiste.

PAUL FRANÇOIS PAOLI

ZHONGNANHAI : c’est ausein de cet ensemble rési-dentiel situé dans unedépendance du Palaisimpérial que s’installa

l’élite du Parti communiste chinoisau lendemain de la prise du pouvoirpar Mao en 1949. Pour protéger cesquelques centaines de personnalitéset leurs familles, le Parti fit édifierdes enceintes, rouges, comme il sedoit. Et c’est là, au cœur du cœur dece quartier impénétrable que setrouvait la demeure de Mao lui-mê-me : Fengzeyuan.

C’est là aussi que se déroulèrentdes luttes de pouvoir tout au long durégime maoïste, depuis les CentFleurs à la mort de Mao en 1976, enpassant par la Révolution culturelle.Dans son nouveau livre, Jean-LucDomenach, spécialiste du mondechinois, retrace à grands traits ces

luttes entre factions et leurs chefs,tels Liu Shaoqi ou Lin Biao, tantd’autres, dont les noms difficiles àretenir ne sont pas devenus fami-liers des Occidentaux. Mais là n’estpas l’intérêt principal du livre.Celui-ci réside dans la descriptionde la vie confinée d’une nouvellecaste en formation, qui, aussi éprisefut-elle des idéaux communistes,allait découvrir les bienfaits del’hédonisme.

En toute impunité

Dès les années 1950, ces hommes etces femmes qui ont subi la misère etla malnutrition vont connaître lebien-être. Leurs maisons sont vas-tes, la nourriture est correcte et lessoins de santé assurés. Les loisirs sedéveloppent, notamment durantces vacances d’été sur des plagesaménagées, inaccessibles au vul-gus. Tandis que la Chine connaît lafamine provoquée par le Grand

Bond en avant, les caciques durégime mangent à leur faim et dan-sent durant de grands bals où leschefs et leurs familles se rencon-trent. Mao lui-même aime la bonnechair. Ses repas sont abondants et ilraffole de la cuisine du sud de laChine, d’où il est originaire. Pourêtre révolutionnaire, on n’en estpas moins homme, mais il y a deslimites à la jouissance, surtoutquand le peuple souffre. Ce sont ceslimites que Mao va dépasser, entoute impunité.

Nous sommes ici au cœur du livrede Domenach qui évoque le lienentre les frasques privées de Mao,« un des tyrans les plus terribles et lesmoins compréhensibles que l’histoireait compté », et ses délires politi-ques. Pour Domenach, Mao est uneénigme psycho-pathologique. Chefmilitaire et politique surdoué,manœuvrier redoutable, lettré etpoète à ses heures - ses droits

d’auteur l’ont enrichi -, il passe unebonne partie de sa vie dans les livresqui parsèment son lit et connaît malles réalités.

C’est aussi un solitaire qui multi-plie les amours vénales pour com-penser ses dépressions. Il est, ensomme, l’inverse du communistetype, chaste et vertueux, de la pro-pagande. Et c’est cet être erratique-il vagabonde parfois des semainesdurant dans son train spécial à tra-vers la Chine - qui, pour se libérerdu carcan de sa propre caste, valancer les trombes de la Révolutionculturelle et provoquer des désas-tres en série, économiques ethumains. Tout en étant vénéré parune intelligentsia mondiale, passeulement de gauche, qui sera fasci-née par cet empereur rouge dont laChine continue d’ailleurs d’assumerle culte, tout en s’étant débarrasséed’une idéologie dont il fut le despotecynique et illuminé. �

Jean-Luc Domenach évoquele lien entre les frasques privéesde Mao (ici, le 3 novembre 1967),et ses délires politiques.RUE DES ARCHIVES/PVDE

SUN TZU OU L’ARTDE GAGNERDES BATAILLES,De Bevin Alexander,traduit de l’anglaispar Jacques Bersani,Tallandier,304 p., 20,90 €.

��� ��� ��� ��������� ���������� ��� ���� ��� ���ESSAI La relecture du traité d’art militaire de Sun Tzu peut éclairer

d’un nouveau jour Waterloo, Gettysburg ou encore Stalingrad.

FRÉDÉRIC DE MONICAULT

LA QUERELLE des ancienset des modernes : avecSun Tzu, elle n’a pas lieud’être. Il y a deux millequatre cents ans, le géné-

ral et sage chinois a écrit le premiertraité de stratégie militaire de l’his-toire, encore parfaitement d’actua-lité. Sous sa plume, une série degrands préceptes – parmi lesquelsle principe « pour éviter ce qui estfort, frappe ce qui est faible » sert de

socle - au service d’une théoried’ensemble largement illustrée parcertains grands chefs de guerre dessiècles suivants.

Un héritage

Fort de ce constat, l’un des spécia-listes réputés des questions dedéfense, l’Américain Bevin Alexan-der, s’empare de quelques bataillescruciales (Saratoga, Waterloo, laMarne, Stalingrad…) et montrecomment les acteurs ont puisé leurtactique, sans le savoir, dans l’héri-

tage de Sun Tzu. Une intéressanteconfrontation entre la sciencemiliaire et la pratique alors que lestratège chinois des temps anciensn’a vraiment été étudié par lesexperts occidentaux qu’après laSeconde Guerre mondiale. À cela,une bonne raison : la lutte menée auVietnam tour à tour contre la Fran-ce et les États-Unis était une guerrede guérilla largement inspirée desréflexions de Sun Tzu.

S’agissant d’un passé plus loin-tain, Napoléon – ou plutôt ses prin-

cipaux lieutenants – n’est pas épar-gné par Alexander. Certes, l’auteurcommence par saluer l’empereur :« Voir les choses à grande échelle etpouvoir comprendre une situation enun clin d’œil, voilà à quoi se recon-naît le génie militaire. » Mais il ajou-te rapidement qu’à Waterloo lemaréchal Ney délaissa une autreleçon élémentaire de Sun Tzu :« Connaître les plans de l’ennemi etle terrain, et ne pas attendre de pro-gresser pour les découvrir. » On saitce qu’il advint. �

Bevin Alexander montre commentles acteurs des batailles(ici, celle de Waterloo) ont puiséleur tactique, sans le savoir,dans l’héritage de Sun Tzu.HERVÉ CHAMPOLLION/AKG-IMAGES

dans la musique de Versailles.L’usage des tambourins, des fifreset des bourrées sauvages, cettemusique pour ainsi dire de « fêtesforaines », alors même qu’elle étaitdestinée à l’une des plus raffinéescours d’Europe, ne peut manquerde surprendre, surtout quand on lacompare aux subtiles mélodiesitaliennes de la même époque. On ysubodore que le drame du combatfondamental contre la violence està peine masqué.

C’est ce que nous confirme MichelJeanneret en nous promenant côtéjardin. Géants, dragons, faunes et

autres satyres frappent le visiteurcomme autant de résidus de la viesauvage. La loi de la jungle pointederrière les perspectives géométri-ques ; l’eau boueuse des maraistémoigne du chaos qui guette ; cha-que buisson taillé à la perfectionn’est qu’une victoire provisoire…

«Toujours être en gardecontre son naturel»L’auteur reprend en le décorti-quant avec minutie, à travers l’étu-de fouillée et érudite de la fête, desballets, de l’Opéra de Versailles,mais aussi des mythes ou de la

littérature, Pascal, La Fontaine,Racine, Molière ou les Contes dePerrault, cette ambition du projetclassique. Rien n’est plus pathéti-que que cette croyance dans lamaîtrise du monde, cette figured’Hercule purgeant la terre de sesfléaux. Ce n’est pas une condam-nation de l’entreprise, loin de là.Louis XIV a choisi la solution esthé-tique pour conjurer le désordre. Ill’avoue : « Il faut être toujours engarde contre son naturel. » L’élé-gance et l’étiquette ont vertus per-formatives, pour ne pas dire« apotropaïques ». Et c’est là lesecret de leur charme.

Si cet art peut encore nous tou-cher aujourd’hui, ajoute MichelJeanneret, « c’est qu’il est chargéd’énergie et mène un combat vitalcontre l’horreur ». Aussi lira-t-oncet essai comme une entreprisejubilatoire pour sortir le classicis-me de son enfermement rigide etglacial ; pour essayer de lui redon-ner une force magique. Commeune sorte de baroque qui n’oseraitpas dire son nom, par une sorte deprudence effrayée, presque tou-chante, dans sa vaine ambitionpour ainsi dire « bourgeoise ». �

���� ��� �� � ����� � ��� ������La 5e édition du prix Orange dulivre est lancée. Rappelons que,depuis 2009, ce prix littéraire a laparticularité de faire récompenserun auteur par des internautes – lelivre couronné est forcément uneœuvre de fiction écrite en françaiset publié entre le 1er janvier et le

30 mars de l’année en cours.Depuis son lancement, il est prési-dé par l’académicien Erik Orsenna.Le jury est composé de quatorzemembres (moitié écrivains, librai-res, moitié internautes). À la fin dumois d’avril, le jury présentera uneliste de trente romans, puis la

sélection sera réduite à cinqauteurs finalistes. C’est sur cescinq-là que les internautes pour-ront voter en ligne tout le mois demai pour désigner l’heureux lau-réat. Mais pour voter et apparte-nir aux membres du jury internau-tes, il faut se porter candidat. La

date limite est fixée au 8 janvier.Le jeu en vaut la chandelle, le lau-réat sera récompensé deux fois :d’abord avec une bourse de15000€ ; ensuite, par une cam-pagne de communication sanséquivalent.

M. A.

LA 5E ÉDITION DU PRIX ORANGEDU LIVRE DÉMARRE AVECLE RECRUTEMENT DES MEMBRESDU JURY INTERNAUTES

ONenPARLE

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littéraireEN VUE

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coup de cœur PAR F. DARGENT

��� ��������� �� ��� � �����������FRANCK THILLIEZ

De Parisà Tchernobyl, desapprentis sorciersn’hésitent pas à

tuer pour tenter depercer le mystèrede l’existence.

BLAISE DE CHABALIER

QUELLE émulation ausein des auteurs dethrillers français !Alors que le petit nou-veau, Bernard Minier,montre l’étendue de

son potentiel avec son deuxièmeroman, Le Cercle (voir nos éditionsdu 25 octobre), Franck Thilliez

confirme qu’il appartient auxvaleurs sûres du genre. DansAtomka, le romancier originaire duNord-Pas-de-Calais crée la surpri-se. Il mêle dans son intrigue lesconséquences de la catastrophe deTchernobyl avec les ambitionsdémoniaques d’apprentis sorciersprêts à tuer pour découvrir le secretde l’immortalité. Thilliez montre samaîtrise, sa capacité à tenir dans sa

plume les mille et un éléments deson histoire foisonnante, sans selaisser déborder. On sent l’auteursûr de son écriture, au point parfoisde se laisser aller à quelques lon-gueurs. Elles restent acceptables.

Dans son congélateurL’essentiel est là : un vrai plaisir delecture. Le plaisir de retrouver lespersonnages récurrents que sont le

commissaire Franck Sharko et sanouvelle bien-aimée, le lieutenantLucie Henebelle. Ces deux-là, telle-ment éprouvés par la vie, se retrou-vent, plus touchants et combatifsque jamais, confrontés à une séried’assassinats qui ont de quoi les lais-ser perplexes. C’est d’abord un jour-naliste d’investigation, ChristopheGamblin, qui est retrouvé mort,enfermé dans son congélateur, dans

ATOMKADe Franck Thilliez,Fleuve Noir,596 p., 21,90 €.

Où deux jeunes femmessont retrouvées mortesdans l’eau glacialede lacs de montagne...JAMIE KINGHAM/CULTURA/CORBIS

��� ������ �� �������COLLECTIF Six auteurs racontent les morts les plus incongrues de l’histoire.

La liste de ces décès accidentels ou absurdes est longue de cent vingt noms !MOHAMMED AÏSSAOUI

C’EST Sacha Guitry quiouvre ce livre coifféd’un drôle de titre, LaTortue d’Eschyle etautres morts stupides

de l’Histoire : « Il n’y a pas de bellemort. Il y en a qui sont belles à racon-ter. Mais celles-là, ce sont les mortsdes autres.» Six amis ont commis cetouvrage. Citons-les pour n’oublierpersonne : David Alliot, PhilippeCharlier,OlivierChaumelle, FrédéricChef, Bruno Fuligni, Bruno Léandri,auxquels il faut ajouter l’illustrateurDaniel Casanave, dont chaque dessinouvre un chapitre également coifféd’un titre ironique, histoire de répar-tir ces morts par thèmes («tropgourmands», «trop libertins»,«trop radins»…).

Le premier étonnement est lalongueur de cette liste de morts stu-pides – cent vingt noms! Et pas des

moindres. Au hasard : RolandBarthes, saint Thomas d’Aquin,Pierre et Marie Curie, Du Guesclin,Goscinny, Lawrence d’Arabie, BorisVian, TennesseeWilliams, etc.

Une tortue sur la têtePrenons, d’abord, celui qui donneson nom au titre du livre, Eschyle. Ilfigure dans le chapitre «Trop snob»parmi ceux qui ont été tués par unverre d’eau, un singe domestique,une mouche ou une guitare. Lesauteurs font remarquer que mourirainsi n’est pas donné à tout lemonde.Certes. Mais cette façon de dire adieufait-elle de ces hommes des «aristo-crates», des «excentriques du tré-pas»? Eschyle, lui, doit sa présencedans l’ouvrage à une tortue.

Invité par Hiéron, le roi deSyracuse, Eschyle se rend en Sicileen456av. J.-C., il sepromènedans laville de Gela, s’assoit pour contem-pler le paysage lorsqu’un rapace vole

au-dessus de lui et lâche de très hautsa proie : une tortue qui s’éclate surle crâne chauve du tragédien. Lepauvre Eschylemeurt sur le coup…

Les derniers jours de Félix Fauresont narrés par le menu. TennesseeWilliams est décédé après avoir ava-lé le bouchon d’un tube de médica-ments utilisé comme une petitecuiller. Goscinny nous a quittés eneffectuant un test d’effort lors d’unexamen médical ! Quant au roi

Henri II, il disparaît à cause d’unejoute qui tournemal : la lance de sonadversaire glisse sur le bouclier etune écharde pénètre dans son œil.Maurice Berteaux, ministre de laGuerre, est décapité par une héliced’avion lors d’unmeeting aérien.

Les auteurs ont visiblement prisplaisir à écrire ces récits. Ils l’ont faitavec humour et le respect dû auxillustres disparus, aussi stupide quesoit leur mort. �

LA TORTUED’ESCHYLEET AUTRESMORTSSTUPIDES…Collectif,Les Arènes.262 p., 17 €.

Aragon dérangele consensus, unemédiocrité bien-

pensante qui est peut-êtrecelle de notre époque»

JEAN RISTAT

DANS «LE MAGAZINE LITTÉRAIRE»

« LE CHIFFRE DElaSEMAINE

COMME le titre du prochainlivre de Simon

Liberati, « 113 études de littératureromantique» à paraître le 16 janvier chezFlammarion. Des textes «qui tiennent dujournal intime, de l’autoportrait».

@@@@Retrouvezsur Internetnotre chroniquequotidienneconsacréeaux livres de pocheet, le mardi,la chronique« Livrespour la jeunesse ».SURWWW.LEFIGARO.FR/LIVRES

113sa maison en région parisienne.L’homme a été torturé avant d’êtretué par le froid, utilisé comme unearme fatale…

Ensuite, les deux héros décou-vrent que Gamblin enquêtait sur desfaits remontant à une dizained’années. Les cas de deux jeunesfemmes retrouvées mortes dansl’eau glaciale de lacs demontagne, etceux, un peu plus récents, de deuxautres victimes aux profils similai-res. Ces dernières ont été sorties del’eau et réanimées grâce à unmysté-rieux coup de téléphone. Dans lemême temps, Franck et Lucieconstatent que la petite amie deGamblin, Valérie Duprés, égalementreporter, a disparu depuis une quin-zaine de jours. Dans la foulée, unenfant déboussolé, visiblementd’origine ukrainienne, est retrouvédans Paris avec dans sa pochel’adresse de la journaliste…

Un ancienmoineL’enquête conduit les deux policierssur la piste d’un infirmier instable deChambéry. Mais, une fois à sondomicile, ils le trouvent assassiné. Etc’est dans l’hôpital psychiatrique oùl’infirmier fut soigné que les recher-ches de Franck et Lucie basculent. Ilsapprennent l’existence de FrançoisDassonville, un ancien moine pas-sionné par une mystérieuse techni-que que lui aurait transmise un res-capé de Tchernobyl. Une méthodequi permettrait de congeler des indi-vidus pendant des années, puis de lesfaire revivre. Et si Dassonville, allié àun médecin sanguinaire, était res-ponsable d’un trafic de cobayeshumains ? De Paris à Tchernobyl, enpassant par le Nouveau-Mexique,nos deux héros tentent de faire ces-ser le massacre.�

À laportéedeProustOn pensait que tout avait étédit et redit sur les relationsqu’entretenait Proust avec lamusique. Cet ouvrage collectifsous forme d’album apportela preuve du contraire. Parmila vingtaine de contributeurs,on retiendra les nomsdes compositeurs Boulezet Pesson (un musiciende l’intime), des écrivainsJacques Drillon et BenoîtDuteurtre et du comédienDidier Sandre. En prime, deuxCD, avec des œuvres deWagner, Saint-Saëns, Fauré,Ravel, Polignac (le méconnu« Sur les lagunes » d’aprèsGautier)… et des chansonspopulaires que Proustchérissait (Yvette Guilbert,le fameux « Viens Poupoule »de Mayol). La Belle époque,quoi !

THIERRY CLERMONT

Marcel Proust, une vieen musiques, Archimbaud/Riveneuve, 238 p., 48 €.

VOUS ÊTES RICHESANS LE SAVOIRDe PhilippeColin-Olivieret LaurenceMouillefarine,Éditions Le Passage,282 p., 18 €.

Sacrée poticheLe vieux vase de tante Berthevous horripile? Regardez-yà deux fois avant de l’envoyerpar terre d’un coup de plumeau.Il pourrait s’agir d’un Gallé.Les foyers français recèlent destrésors oubliés. C’est le constatque dressent Philippe Colin-Olivier et Laurence Mouillefarineen racontant la petite histoirede grands objets qui auraientpu finir à la benne. Imaginez!Un Van Gogh dans la cave,un Man Ray sur la cheminée,le pot à lait de Marie-Antoinettesous l’évier. La liste est longuede cesœuvres aux parcours sirocambolesques qu’ils méritaientce livre. Non sans humour, lesdeux auteurs remontent la pistede ces trésors de famille,épinglant les travers de la naturehumaine lorsque la perspectivede toucher le gros lot pointe sonnez. On y croise des propriétairesaussi radins que prodigues,des neveux aussi naïfs queroublards et des commissaires-priseurs au bord de la crisede nerfs. Cet essai relève dès lorsde la comédie de mœurs.Et nos auteurs de transformerun tas de vieilleries en or.

curiosité

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littéraireEN MARGE

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GRAND PRIX DU ROMAN DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE

PRIXGONCOURT

DESLYCÉENS2012

Ph. © Jeremy Spierer

�� ������ ������ � ����Les 33 finalistes du concours MissFrance 2012, dont la gagnante seradésignée samedi, ont été soumisesà un test de culture générale. Enréalité, ce quiz de 40 questionsportait principalement sur l’actuali-té, dans des domaines variés : lamode (Qui est Anna Wintour?), la

politique (Qui est le premier minis-tre français?), l’économie (Quel estle nombre actuel de chômeurs en

France?), le sport (Qui est UsainBolt ?)… En maths (Quelle est la

racine carrée de 9?), histoire (Quelévénement est célébré le

14 juillet ?) et géo (Quel pays

helvétique borde la France?), leniveau de l’examen était aborda-ble. En littérature, les Miss ont dûrépondre aux questions suivan-tes : qui est l’auteur de Madame

Bovary, qu’est-ce que le Goncourtet qui a dit : «L’important c’est departiciper»? L’épreuve se termi-

nait par une rédaction en anglais.D’après le journal Sud-Ouest, lamoitié des concurrentes a eu lamoyenne. Mais si on soumettait cequiz aux joueurs de l’équipe deFrance de foot, les résultatsseraient-ils meilleurs?

ASTRID DE LARMINAT

AVANT LA DÉSIGNATION DE MISSFRANCE 2012, LES 33 FINALISTESONT ÉTÉ SOUMISES À UN TEST POURS’ASSURER QUE LEUR TÊTE ESTAUSSI BIEN FAITE QUE LEUR CORPS.

L’HISTOIREde laSEMAINE

�� ��������MARCELINO TRUONG

Portrait d’un dessinateur franco- vietnamienqui publie ses souvenirs.

SÉBASTIEN LAPAQUE

AUCOURS de l’été 1961,Truong Buu Khanh,attaché culturel viet-namien aux États-Unis, est rappelé à

Saigon, capitale d’une républiquedirigée par Jean-Baptiste Ngô DinhDiêm, devenu président à la suited’un coup d’État qui a renversél’empereur Bao Dai en 1955. Aveclui, Truong Buu Khanh rapatrie deWashington sa femme, Yvette, etleurs trois enfants Mireille, Domini-que et Marcelino, âgé de 5 ans.Cinq décennies plus tard, devenu

peintre, illustrateur et auteur debandes dessinées, ce dernier se sou-vient des deux rudes années qu’il avécues à Saigon avec sa familleentre l’été 1961 et l’automne 1963dans un roman graphique qui mêlela GrandeHistoire - celle de la guer-re froide et des grandeurs etmisèresdu Sud-Vietnam assiégé par le Viet-cong - et la petite histoire - celle dela famille Truong.« Cela faisait des années que je

voulais faire ce livre, nous confie ledessinateur né aux Philippines en

1957. Malgré mon jeune âge à l’épo-que et malgré les circonstances, ceséjour de deux ans m’a laissé un sou-venir très fort. D’autant plus quej’avais retrouvé l’ensemble des lettresque ma mère a écrites à ses parents àcette époque. Des lettres qui rendentcompte de son quotidien, mais égale-ment des événements politiques etmilitaires, ainsi que du travail de monpère. » Bretonne née à Saint-Malo,Yvette Truong, que rien ne prédes-tinait à endurer les horreurs d’uneguerre civile vietnamienne avec laRussie soviétique et l’Amériquederrière chacune des deux parties, avécu ces années dangereuses avecbeaucoup d’angoisse.

Soldats de plombDans Une si jolie petite guerre, sonfils met bien en scène le contrasteentre le regard innocent que lesenfants portent sur la guerre - com-me si c’était une histoire de soldatsde plomb - et l’effroi des adultes.Il est très émouvant de voir

Truong dessiner le petit garçon qu’ilétait et glisser dans les phylactèresde sa bande dessinée les questionsnaïves qu’il posait alors sur lemonde

et sur la vie. Son livre n’a rien d’unefiction. C’est à la fois une chroniquefamiliale, poignante lorsqu’on voitsa mère terrifiée par le passage dechasseurs bombardiers dans le cielde Saigon, et un petit morceaud’histoire du Vietnam reconstituéavec un soinmaniaque.« J’adore cet

aspect documentaire demon travail etj’ai toujours adoré ça, explique ledessinateur, diplômé de Sciences Poet agrégé d’anglais, entré dans la vied’artiste motu proprio au terme deses études. C’est d’ailleurs une desraisons pour lesquelles j’aime beau-coup travailler pour la presse. »

Pour avoir régulièrement l’occa-sion d’admirer ses dessins en cou-leurs dans Libération ou Marianne -il a également donné des croquisinspirés au Figaro littéraire -, on saitque Truong a le goût des uniformes.« J’ai fait mon service militaire dansla marine en 1981-1982, rappelle-t-il avec fierté. J’étais officier de réser-ve et j’ai défilé sur les Champs-Ély-sées le 14 juillet 1981. »

«Prendre parti»Près de sa table de travail, oùl’attendent ses crayons, ses pin-ceaux et ses couleurs, une photogra-phie témoigne de ce jour de gloire.Politique, le livre de Truong ?

« Une si jolie petite guerre proposeun point de vue que j’assume,répond-il. C’est trop confortable dese dire objectif. Il me semble plusauthentique et plus vrai de prendreparti. Dans ce livre qui parle beau-coup demes parents, je ne voulais pasrenier les positions prises par monpère. À l’époque, le Sud-Vietnamavait le mauvais rôle. Aux yeux d’unegrande partie de l’opinion occidenta-le, la République deDiêm était un Étatfantoche et ses habitants des valets del’impérialisme. Des gens comme monpère, qui pressentaient la dimensiontotalitaire de ce qui allait venir après,méritaient pourtant mieux que ça. »Grâce à son fils, justice lui est

rendue. �

Dans Une si jolie petite guerre,qui mêle sa propre chroniquefamiliale ainsi qu’un morceaud’histoire du Vietnam,Marcelino Truong dessinele petit garçon qu’il était.J.-C. MARMARA/LE FIGARO

UNE SI JOLIEPETITE GUERREDe Marcelino Truong,Denoël Graphic,270 p., 24,90 €.