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Le Fil Novembre/Décembre 2014

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Le magazine d'Amnesty International en français.

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Page 1: Le Fil Novembre/Décembre 2014

ÉCRIRE POUR LES DROITS

Écrivez une lettre, signez une pétition, envoyez un tweet...

Découvrez que de simplesmots peuvent changerdes vies.

CHELSEA MANNING :

POUR TOUS CEUX QUI ONT LA PASSION DES DROITS HUMAINSnovembre/décembre 2014 voLUme 44 n° 006

« IL FAUT PARLER HAUT ET FORT, QUITTE À COURIR DES RISQUES »

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À Moscou, une militante tient une manifestation inopinée en compagnie demannequins arborant des affiches, pour attirer l'attention sur une mesure interdisanten Russie les rassemblements de plus d'une personne, même pacifiques. Cetteaction faisait partie de notre semaine d'action mondiale pour la Russie d'octobre2014, sous le mot-clé #SpeakOut. Nous nous sommes mobilisés ensemble pour leslibertés fondamentales et les droits humains, aujourd'hui menacés dans tout le pays. Regardez manifester les mannequins dans notre vidéo : http://bit.ly/RussiaDummy

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« ENSEMBLE, NOUS AVONS CE POUVOIR » Notre secrétaire général, Salil Shetty, nous expliquepourquoi Écrire pour les droits, le principalévénement organisé dans le monde en faveur desdroits humains, peut vraiment changer les choses.PAGE 4.

UNE INTERVIEW DE CHELSEA MANNING Depuis sa cellule du Kansas, aux États-Unis,Chelsea l'affirme : lorsqu'on a la possibilité dedénoncer l'injustice, on ne doit pas manquer cetteoccasion. PAGE 6.

7 MANIÈRES DONT L'ARABIE SAOUDITEMUSELLE LES INTERNAUTES Un blogueur de ce pays révèle les différentestactiques employées par les autorités pour empêcherles gens de s'exprimer librement. PAGE 8.

LE COMBAT DE BHOPAL CONTINUE Faites connaissance avec les militants qui sebattent toujours pour obtenir justice, 30 ans aprèsla terrible fuite de gaz qui a tué des milliers depersonnes à Bhopal, en Inde. PAGE 11.

UN SECRET PERCÉ À JOUR John Jeanette a suivi un itinéraire detransformation qui implique tout son être ; il esttemps que la Norvège assume pleinement savocation de défense des droits humains. PAGE 14.

« PROVOQUER DES CONFLITS, TROUBLERL'ORDRE PUBLIC » Liu Ping, devenue une fervente combattantecontre la corruption, paie son engagement au prixfort. Sa fille raconte ce qui s'est passé. PAGE 16.

STOP TORTURE DANS LE MONDE ENTIER Qu'est-il arrivé à Moses, Jerryme, Daniel et Erkin ?Comment pouvons-nous les aider à obtenir justiceau Nigeria, aux Philippines, au Venezuela et enOuzbékistan ? PAGE 22.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE,CHANGEZ UNE VIEdans ce numéro du FIL, vous ferez la connaissancede 12 personnes et groupes très variés. Qu'est-cequi les rapproche ? Une chose : il est bel et bienpossible, dès aujourd'hui, d'avoir une influencepositive sur le cours de leur vie.

en décembre, pour la 12e année consécutive, desfemmes, des hommes et des enfants du mondeentier se réuniront – dans des maisons de quartier,sur des places publiques, chez eux ou sur Internet –pour une activité très simple : écrire des lettres.

nos messages – plus de 2,3 millions en 2013 – ontun pouvoir bien à eux. Imaginez : vous passez desjours, des mois, des années à vous dire que lemonde vous a oublié. et puis, soudain, des milliersde lettres arrivent : la preuve concrète que vousn'êtes pas seul. c'est ce qui est arrivé à Alesbialiatski, au bélarus, qui a été libéré plus tôt dansl'année (voir page 3).

et c'est ce qui arrivera à un grand nombre d'autrespersonnes quand nous taillerons nos crayons ounous mettrons à nos claviers pour la plus grandemanifestation mondiale relative aux droits humains,Écrire pour les droits.

rejoignez-nous ! vous trouverez tout ce dont vousavez besoin pour y participer dans ce numérospécial du FIL, le magazine mondial de campagned'Amnesty.

*15£/24$/17€ par an (35£/54$/41€ pour les institutions).

ÉGALEMENT DANS CE NUMÉROMerci de tout cœur, déclare un ancien prisonnier auBélarus (EN PREMIÈRE LIGNE, PAGE 3) ; un villagegrec déchiré par la haine, et ce que nous pouvons yfaire (PAGE 10) ; une personne extraordinaire desÉmirats arabes unis (PAGE 20), et de grandsobstacles surmontés en Afrique du Sud (PAGE 20).

editorial Studio, Amnesty International, International Secretariat, Peter benenson House, 1 easton Street, Londres Wc1X 0dW, royaume-Uni© Amnesty International Ltd, Index : nWS 21/006/2014, ISSn : 1472-443X, Imprimé par banbury Litho, banbury, royaume-Uni. Tous droits dereproduction réservés.

DANS CE NUMÉRO DU FIL ÉDITORIAL

À PROPOS DU FILPour lire LE FIL en ligne, ainsi que notre blog LIVEWIRE,rendez-vous sur livewire.amnesty.orgSuivez-nous sur Twitter @AmnestyOnlineRejoignez-nous : http://www.amnesty.org/fr/joinEn vous abonnant, vous recevrez six numéros du FIL par an*Courriel : [email protected]él. : + 44 (0) 20 7413 5507

Illustration de couverture : Portraits réalisés par l'artiste Juan Osborne et associés auxrécits d'Écrire pour les droits 2014.

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2LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

À LA MÉMOIRE DESRÉFUGIÉS NOYÉSDes cérémonies ont eu lieu dans lemonde entier en octobre, en souvenir deplus de 500 réfugiés et migrants qui ontperdu la vie l'année dernière lors de deuxnaufrages près de l'île de Lampedusa, aularge des côtes italiennes.

L'Italie a sauvé de nombreuses vies,parmi celles et ceux qui bravent ledanger dans l'espoir de passer enEurope. Mais le pays a annoncérécemment qu'il allait mettre un terme àson programme de recherche etsauvetage et le remplacer par un projetqui selon nous ne répond pas auxbesoins.

Un grand merci aux milliers depersonnes qui ont déjà demandé auxdirigeants de l'UE de ne plus laissermourir des gens en mer. Continuez àsigner !

http://bit.ly/Fortresseurope #SoSeurope

EN FINIR AVEC L'INTERDICTIONTOTALE DE L'AVORTEMENT AUSALVADORDes militants, des avocats et des femmesde zones rurales se sont impliqués dansnotre campagne Mon corps, mes droitsau Salvador à l'occasion du lancementde notre rapport sur l'interdiction totalede l'avortement, en septembre. Dans lepays, des groupes de jeunes ont donnédes pièces de théâtre, prononcé desdiscours passionnés et joué desmorceaux de musique consacrés à17 femmes emprisonnées pour desquestions liées à la grossesse. Descentaines de personnes ont bravé unepluie torrentielle pour participer à unrassemblement en faveur des droits desfemmes.

MAGNIFIQUE RÉUSSITE DE NOTRE CAMPAGNE STOP TORTUREn Ángel Colón (photo ci-dessus), un migrant torturé et placé en détention au Mexique,a été remis en liberté en octobre après l'intervention auprès du gouvernement demilliers d'entre vous ! n Au Nigeria, les autorités ont réagi publiquement après avoir reçu des milliers demessages électroniques sur le cas de Moses Akatugba, torturé et condamné à mort (voirpage 22). Nous nourrissons l'espoir de recevoir bientôt de bonnes nouvelles sur ce cas. n Nous avons remis près de 350 000 signatures, données dans 117 pays, réclamantjustice pour Claudia Medina, torturée au Mexique, et plus de 215 000 en faveur d'AliAarrass, torturé au Maroc. n Des manifestations silencieuses ont eu lieu dans plus de 10 villes européennes oùl'ambassade d'Ouzbékistan avait délibérément ignoré les demandes de rencontre pourremettre une pétition signée par 200 000 personnes sur le cas de DiloromAbdoukadirova, qui a été torturée dans ce pays. Pour en savoir plus : www.amnesty.org/stoptorture

L'AVORTEMENT N'EST PAS UN CRIME

#MyBodyMyRightsEnd #AbortionStigma

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ACTUALITÉSBONNES NOUVELLES ET INFORMATIONS

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ACTUALITÉS

3LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

Dans sa cellule du Bélarus, le prisonnier politique AlesBialiatski a reçu environ 40 000 lettres, dont beaucoupdans le cadre d'Écrire pour les droits 2012. Il a finalementété libéré en juin, après presque trois ans de détention.Il nous raconte ce que ces lettres ont changé pour lui.

Quand j'ai été arrêté, je me suis dit :« Voilà. C'est arrivé, je dois être patientet tenir le coup. » Quelle que soit lasituation, on a toujours le choix –l'important est de ne pas se précipiteret de prendre la bonne décision poursoi-même, et pas pour les personnesqui nous veulent du mal.

Tout s'est inversé pour moi.Pendant plus de 15 ans, j'avaisprotégé ceux qui étaient en difficulté,et je me trouvais désormais dans leursituation. Mais, même en prison, j'aieu l'impression que mon combatcontinuait.

L'important était de ne pas craquer. Le but des autoritésétait que je forme un recours en grâce pour que j'avoue maculpabilité, que je me repente. Mais je savais que je n'écriraisjamais une telle demande.

LA VIE EN PRISONEn prison, il y avait peu d'air frais et, pendant les premiersmois, j'avais mal à la tête. Nous avions des promenadesautorisées d'une heure maximum, mais mon seul horizon étaitles murs de ma cellule ou la cour de promenade.

Il était interdit de s'allonger ou de dormir pendant la journée,donc nous dormions assis, la tête tournée dans la directionopposée à la porte, pour que les gardiens ne nous voient pas.

Ils m'ont empêché de voir ma femme et de recevoir des colisde nourriture. Cela faisait partie d'une forme de pression exercéesur les prisonniers politiques. Mais l'énorme quantité de lettresque je recevais chaque jour m'apportait un puissant sentimentd'optimisme et la certitude que ma position était la bonne.

En tout, en près de trois ans, j'ai reçu environ 40 000 lettres.En prison, ces lettres prennent une valeur nettement plusimportante qu'à l'extérieur. Quand je les recevais, j'étais très,très heureux – je passais du temps à regarder chacune d'entreelles. Celles qui me faisaient le plus plaisir étaient les lettres etles dessins d'enfants. J'aimerais remercier tout le monde detout cœur. Je ne m'attendais pas du tout à être libéré. Comme la prison, laliberté est une réalité différente à laquelle il faut s'habituer. Monplus grand bonheur est de pouvoir retrouver ma famille et mesamis. Je continue de travailler pour la protection des droitshumains au Bélarus – nous n'allons pas rester sans rien faire.Nous n'abandonnerons pas.

« J'AImerAIS remercIer ToUTLe monde de ToUT cœUr »

EN PREMIÈRE LIGNE

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mnesty International/G

raham Seely

mondial rassemble plus de 7 millionsde personnes dans presque tous lespays du monde.

rejoignez-nous : www.amnesty.org

PRÈS DE 200 000 SIGNATURESPOUR NOTRE PÉTITIONRÉCLAMANT DES LOIS PLUSÉQUITABLES POUR LES FEMMESUn grand merci à tous les signataires denotre pétition demandant aux autoritésalgériennes, marocaines et tunisiennesde réformer les lois qui mettent endanger les femmes et jeunes filles ayantsubi des violences sexuelles.

Le chiffre est impressionnant : vousêtes 197 713 à avoir signé dans lecadre de notre campagne Mon corps,mes droits. Nous allons remettre lapétition à des représentants dugouvernement de chacun des troisÉtats, à commencer par la Tunisie, ennovembre. La remise de la pétitionintervient au moment où l'on prépareune nouvelle loi sur les violencescontre les femmes. C'est le momentopportun pour intervenir et faire ensorte que les victimes de violencessexuelles soient entendues.

Associez-vous à notre action de solidarité :http://mb-mr.tumblr.com

DITES-NOUS CE QUE VOUSPENSEZ DU FIL !Merci de prendre cinq minutes pourremplir notre enquête auprès deslecteurs du FIL ! Nous analyserons lesrésultats afin de réaliser un magazineencore meilleur. Vous pouvez gagnerun bel ensemble Amnesty One World(cartes de vœux, éphéméride etcalendrier), ou bien un pack cadeauavec différents produits.

http://bit.ly/WireSurvey

Dans une ambiance musicale, surfond de banderoles déployées et deslogans tels que « Nous sommes desfemmes, pas des couveuses ! », desdizaines de femmes ont joué descoudes pour signer notre pétitionréclamant la dépénalisation del'avortement. La pétition est encoreactive. Signez-la !

http://bit.ly/banabortionelsalv

RAPPORT 2014/15 D'AMNESTYINTERNATIONALLe rapport annuel de notre organisationsur la situation des droits humainsdans le monde, une publicationréputée, paraîtra en février 2015.Passant en revue de manière détailléeles événements intervenus en 2014,ainsi qu'une partie de ceux de 2013,c'est un ouvrage de référence couvrant150 pays. Il comprendra égalementdes résumés régionaux et dessynthèses sur de grands thèmes liésaux campagnes mondiales d'Amnestyet au travail de l'organisation.

Pour en savoir plus : www.amnesty.org

UN PAS DE GÉANT POURLE CONTRÔLE DES ARMESCinquante-trois pays ont désormaisratifié le Traité sur le commerce desarmes. Ces règles sur les ventesinternationales d'armes vont donc entreren vigueur le 24 décembre 2014. C'estun progrès immense, qui va permettrede sauver des vies humaines. Il restecependant beaucoup trop d'États quin'ont pas encore fait assez d'effortspour mettre un terme à la souffrancehumaine causée par la venteirresponsable d'armes. Nous devonsmaintenir la pression sur toutes lesnations afin qu'elles aillent jusqu'aubout et mettent en œuvre le traité.

http://bit.ly/noAtrocities

LE SAVIEZ-VOUS ?Amnesty International a connu unebelle croissance : ce mouvement

Ci-dessus : En Autriche, dessympathisants d'Amnesty demandentjustice pour Claudia Medina, torturéeau Mexique.

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ÉCRIRE POUR LES DROITS

4LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

ÉCRIRE POUR LES DROITSSALIL SHETTY

« ENSEMBLE, NOUS AVONSCE POUVOIR »Salil Shetty, secrétaire général d'Amnesty, expliquecomment vos lettres, signatures, courriels et tweetspeuvent apporter de réels changements dans le monde.

Le militantisme a façonné toute ma vie. Mon père, journaliste, s'est battu pour lesdroits des dalits en Inde, et a toujours dit la vérité aux autorités – même à l'âge de83 ans. Ma mère travaillait sur les droits des femmes et m'a inculqué l'importance dedéfendre la justice.

Je me rappelle encore avoir recueilli des signatures à l'âge de 15 ans pour unepétition contre l'état d'urgence décrété par la Première ministre Indira Gandhi, quisuspendait la plupart des droits civils et politiques en Inde.

On entend souvent dire qu'à elle seule, une petite action ne peut pas changer leschoses. Mais en réalité, nous ne faisons rien de façon isolée – et c'est la raison pourlaquelle nos actions ont tant de pouvoir.

Lorsqu'Amnesty International a été fondée, en 1961, certains cyniques l'ont décritecomme « l’une des plus grandes folies de notre temps ». Il semblait complètementimpensable que le « simple fait » d'écrire des lettres ou de mener ce type de petitesactions puisse vraiment changer les choses. Bien sûr, au cours des cinquante dernièresannées, nous avons souvent pu démontrer à ces sceptiques qu'ils avaient tort.

Pas une semaine ne passe sans que les personnes pour lesquelles nous travaillons –qui ont été victimes de terribles atteintes à leurs droits humains – ne nous écrivent oune nous remercient en personne pour le travail que nos millions de membres font enleur faveur. Pour les lettres que vous écrivez, les actions que vous menez et le bruitque vous faites en faveur de la justice.

Quand Aung San Suu Kyi a reçu le prix Ambassadeur de la conscience d'AmnestyInternational en 2012, elle a rendu hommage aux très nombreux membres d'Amnestyqui étaient convaincus que les droits humains pouvaient devenir une réalité enBirmanie. Même lorsque les sceptiques pensaient que rien n'était possible, des milliersde personnes comme vous ont maintenu la pression pour faire changer les choses.

Écrire pour les droits s'appuie sur une idée qui est au cœur d'Amnesty, et sil'opération a désormais une ampleur inédite, c'est grâce à vous. Vous avez envoyé plusde deux millions de lettres et de messages l'année dernière, mais je sais que nouspouvons faire encore mieux cette année.

Ce geste n'est pas vide de sens. Au cours des années, grâce à vos lettres, desprisonniers d'opinion ont été libérés. Des tortionnaires ont été déférés à la justice. Desdétenus sont traités plus humainement. Avec votre aide, je sais que nous pouvonsrenouveler ce succès.

Merci d'écrire une lettre cette année, et d'ajouter votre signature pour créer un réelchangement dans le monde.

Ci-dessus : De jeunes militants du Portugal ont pris un selfie avec Salil il y aquelques mois. À droite : En Pologne, des jeunes gens et jeunes filles avecdes lanternes lors d’Écrire pour les droits 2012 ; Lettres et cartes postalesenvoyées à Yorm Bopha (voir page 5) en 2013.

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5LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

ÉCRIRE POUR LES DROITSUN GUIDE SIMPLIFIÉ

PETITGUIDE POURÉCRIREPOUR LESDROITS

Écrire une lettre, signer une pétition, envoyer untweet... Quelle que soit votre action, vos messagescontribueront à défendre les droits humainsd'hommes et de femmes du monde entier.

ÉCRIRE POUR LES DROITS,QU'EST-CE QUE C'EST ?Chaque année, en décembre, dessympathisants d'AmnestyInternational écrivent des millions delettres pour des personnes dont lesdroits les plus fondamentaux sontbafoués. C'est le plus grandévénement du monde en faveur desdroits humains. L'année dernière, desactivités extrêmement variées etpleines de vitalité ont été organiséesdans le monde entier – desrassemblements express en Russieou des concerts au Brésil, en passantpar des marathons en Guinée et desmanifestations publiques en Israël.

POURQUOI DEVONS-NOUS AGIR ?Dans le monde entier, la liberté estmenacée. Des militants sontenfermés uniquement pour avoirexprimé leurs opinions sur Internet.Des manifestants sont torturés etinjustement incarcérés. Des femmeset des jeunes filles meurent encouches parce qu'elles ne peuventpas obtenir les soins auxquels ellesdevraient pouvoir prétendre.

À QUI ÉCRIVONS-NOUS ?Nous écrivons à la personnedisposant de l'autorité nécessairepour aider à faire changer les choses(roi, président, ministre, chef de lapolice...). Vous pouvez aussi écriredes messages de soutien auxpersonnes que nous défendons.

EST-CE QUE ÇA MARCHE ?Oui ! Chaque année, de véritableschangements surviennent grâce à voslettres et à vos actions. Despersonnes injustement emprisonnéessont libérées. Des tortionnaires sonttraduits en justice. Des détenus sonttraités plus humainement. Voiciquelques exemples tirés des deuxdernières éditions…

Gracié en AzerbaïdjanJabbar Savalan, jeune militantd'Azerbaïdjan, a été gracié et libéré en2011 dans les jours qui ont suivil'arrivée de vos lettres dans le pays.« Le soutien que j'ai reçu était tel queje n'avais pas l'impression d'être enprison. Je ne me sentais pas seul, jesavais que des gens croyaient enmoi. »

Libérés en RussieEn 2013, les lettres de sympathisantsd'Amnesty ont attiré l'attention surtrois militants, arrêtés à la suite d'unemanifestation qui avait eu lieu sur laplace Bolotnaïa, à Moscou. Cettepression a conduit à la remise enliberté de deux de ces hommes,Vladimir Akimenkov et MikhaïlKossenko.

ÉCRIVEZ UNELETTRE, CHANGEZUNE VIEVoici la marche à suivre :

1. Parcourez ce numéro du Fil pourlire les histoires de toutes lespersonnes et de tous les groupessur lesquels nous concentrons nosefforts.

2. Trouvez des informationssupplémentaires, regardez desvidéos et agissez surwww.amnesty.org/writeforrights

3. Envoyez un message de soutiensur Twitter à @AmnestyOnline enutilisant le hashtag #W4R.

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Libre au CambodgeYorm Bopha – qui avait été emprisonnéeaprès avoir manifesté contre lesexpulsions forcées qui ont touché sacommunauté – a été libérée ennovembre 2013, après que les autoritésont reçu près de 253 000 lettresémanant de sympathisants d'AmnestyInternational. « Je remercie tous ceux etcelles qui ont consacré du temps àécrire des lettres au gouvernement. Jesuis très heureuse de savoir que nous nesommes pas seuls. »

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S.O.S. EUROPEBULGARIA

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POURQUOI IL FAUT PRENDRE LE RISQUE DE DÉNONCER L'INJUSTICEChelsea Manning purge une peine de 35 ans de prison pour avoircommuniqué des informations confidentielles du gouvernementaméricain au site Internet Wikileaks. Depuis sa cellule du Kansas(États-Unis), Chelsea l'affirme : lorsqu'on a la possibilité de s'exprimerhaut et fort contre l'injustice, on ne doit pas manquer cette occasion.

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Pourquoi avez-vous décidé de communiquer desdocuments sur les guerres d'Irak et d'Afghanistan ?Ces documents étaient importants parce qu'ils portaientsur deux conflits anti-insurrectionnels liés entre eux,racontés en temps réel sur le terrain. L'humanité n'avaitjamais eu accès à des données aussi complètes etdétaillées sur la réalité de la guerre moderne.

Quand on réalise que les coordonnéesgéographiques citées représentent un endroit qui existeet où vivent des gens, que les dates appartiennent ànotre histoire récente, que les chiffres sont en fait desvies humaines – avec tout l'amour, l'espoir, les rêves, lahaine, la peur et les cauchemars que cela implique –,il est difficile d'oublier l'importance de ces documents.

Quelles conséquences pensiez-vous que cettedécision pourrait avoir pour vous ?En 2010, j'étais beaucoup plus jeune.Les conséquences me semblaient très vagues.Je m'attendais au pire, mais je ne me rendais pasvraiment compte de ce que cela pouvait impliquer.

Mais je m'attendais à être diabolisée et à ce que mavie soit examinée et analysée dans les moindres détailspour retrouver toutes les fois où j'ai pu faire fausseroute, tous mes défauts et toutes mes failles, et à cequ'ils soient utilisés contre moi devant le tribunal del'opinion publique. J'avais notamment peur que monidentité de genre soit utilisée contre moi.

Comment avez-vous vécu le fait de voir le systèmejudiciaire américain s'abattre de tout son poids survous et le fait d'être présentée comme un traître ?J'ai observé avec un grand intérêt la logistiquedéclenchée par les poursuites dont j'ai fait l'objet : lesgrosses sommes d'argent dépensées, les litres decarburant consommés, les kilomètres de papierimprimés, les longues listes de personnel de sécurité,d'avocats et d'experts. C'était parfois ridicule.

Ce qui me semblait particulièrement ridicule, c'étaitd'être présentée comme un traître par les représentantsde l'accusation. Je les avais vus en dehors du tribunalpendant au moins 100 jours avant et pendant le procès,et j'avais réussi à bien saisir qui ils étaient en tant quepersonnes. Je suis à peu près certaine qu'ils ont toutaussi bien saisi qui j'étais en tant que personne. Jereste convaincue que même les avocats dont laplaidoirie étayait l'accusation de trahison ne croyaientpas un mot de ce qu'ils disaient.

Vous êtes considérée par beaucoup comme unelanceuse d'alerte. Pourquoi les lanceurs d'alerte sont-ils importants ?Dans un monde idéal, les gouvernements, les sociétéset les autres grandes institutions seraient par défauttransparents. Malheureusement, le monde n'est pasidéal. De nombreuses institutions ont amorcé un lentprocessus vers l'opacité, et il faut que les gens s'enrendent compte

Je pense que le terme « lanceur d'alerte » a uneconnotation largement négative pour les gouvernementset les entreprises, et qu'il est associé à « mouchard » ou« balance ». Il faut trouver un moyen d'y remédier. Trèssouvent, les mesures qui sont censées protéger cespersonnes sont en fait utilisées pour les discréditer.

Que diriez-vous à quelqu'un qui a peur de dénoncerl'injustice ?D'abord, j'aimerais souligner que la vie est précieuse.En Irak, en 2009-2010, la vie ne valait pas grand-chose. Il m'était devenu insupportable de voir lenombre de personnes qui souffraient et qui mouraientet de constater l'indifférence que tous ceux quim'entouraient, y compris les Irakiens eux-mêmes,avaient appris à éprouver. Cela a vraiment changé mafaçon de voir la vie, et j'ai pris conscience que même sidénoncer les injustices engendre des risques, ils valentla peine d'être courus.

Ensuite, dans la vie, on a rarement l'occasion depouvoir faire effectivement changer les choses. Detemps à autre, on peut se trouver face à un choiximportant. A-t-on vraiment envie de se retrouver, 10 ou20 ans plus tard, à se demander ce qu'on aurait pufaire de plus ? Je ne voulais pas que ce genre dequestions me hante.

Pourquoi avez-vous choisi cette œuvre en particulier(voir ci-dessus à droite) pour vous représenter ?C'est la représentation la plus fidèle de ce à quoi jepourrais ressembler si j'étais autorisée à me présenteret à m'exprimer comme je l'entends. Même après avoirrévélé, en 2013, que je suis transgenre, (voir la fiched’information en page 15) je n'ai pas pu m'exprimer entant que femme en public. J'ai donc travaillé avec AliciaNeal, une artiste californienne, pour qu'elle dessine unportrait réaliste qui représente de façon plus exacte ceque je suis.

Malheureusement, en raison des règles actuellesdes centres de détention militaires, il est très peuprobable que je puisse être prise en photo avant malibération, c'est-à-dire probablement pas avant 20 ans,même en cas de libération conditionnelle ou de grâce.

7LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

CHELSEA MANNINGÉTATS-UNIS

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>>Priez instamment le président barack obama de faireimmédiatement libérer chelsea manning, d'ordonnerl'ouverture d'une enquête sur les graves violationsqu'elle a pu dénoncer, et de protéger les personnes quirévèlent des informations relevant de l'intérêt public aulieu de les inculper.

Utilisez la formule d’appel « dear President obama » /« monsieur le Président » et envoyez votre lettre àl’adresse :President barack obamaThe White House, 1600 Pennsylvania Avenue nW,Washington dc 20500, états-Unis

www.whitehouse.gov/contact/submit-questions-and-commentswww.facebook.com/barackobamaTwitter : @barackobama @WhiteHouseAgissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

Ci-dessus : Cette œuvre est « la représentation la plusfidèle de ce à quoi je pourrais ressembler si j'étaisautorisée à me présenter et à m'exprimer comme jel'entends », explique Chelsea Manning. Au milieu : Chelsea Elizabeth Manning, qui s'appelaitauparavant Bradley, a officiellement changé de nom audébut de l'année pour qu'il reflète son identité transgenreet le fait qu'elle souhaite vivre en tant que femme.

« C'est absolument incroyable d'avoirautant de soutien. Si j'avais lapossibilité de répondre à chaquepersonne qui m'envoie un messagede soutien, je le ferais. » chelsea manning, à propos du choix de son cas pour la campagned'Amnesty Écrire pour les droits.

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WIRE [ NOV/DEC 2014 ]

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Page 11: Le Fil Novembre/Décembre 2014

RAIF BADAWIARABIE SAOUDITE

9LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

4. INTERDIRE, ACCUSERÀ TORT ET LICENCIER« Beaucoup de blogueurs ont vu leurs

activités restreintes ou interdites. Certainsd'entre eux – que je connais – font toujours l'objetd'une enquête au sujet de blogs qu'ils ont tenus en2008, alors qu'ils ont quitté la blogosphère depuis.Les blogueurs saoudiens peuvent également perdreleur travail et se voir empêchés de gagner leur vie.Beaucoup doivent faire face à des allégationsmensongères les présentant comme “athées” ou“fous”. La quasi-totalité des aspects de la vie dublogueur font l'objet de restrictions. »

5. GÉNÉRALISER LACYBERSURVEILLANCE ET LACENSURE

« La censure bat son plein, surtout depuisl'adoption de la loi sur le terrorisme. Un poète a

été arrêté à la suite d'un simple tweet dans lequel ilcritiquait indirectement le roi Abdullah en des termessymboliques. Sachant qu'il y a plusieurs millionsd'internautes en Arabie saoudite, cela veut dire queles autorités gardent un œil sur tout ce qui s'écrit.Nous avons également appris dans la presseinternationale que l'Arabie saoudite se servait de lacybersurveillance pour pirater et surveiller lescomptes des militants. »

6. MOBILISER UNECYBER- ARMÉE « Les autorités disposent d'une puissante

armée d'informaticiens qui diffusent uneimage trompeuse de la situation en Arabie

saoudite pour leurrer les gens à l'étranger. Ils créentdes sites web, des chaînes YouTube et des blogs quis'en prennent aux militants et aux opposants en lesfaisant passer pour des athées, des infidèles et desagents qui prônent la désobéissance au roi. Enrevanche, ces sites web, ces chaînes et ces blogsfont souvent l'éloge de l'État et de son action. J'aipersonnellement été victime de ce type decampagnes orchestrées par l'État visant à ternir maréputation. »

1. BÂILLONNER TOUTEPERSONNE AYANT UNEOPINION INDÉPENDANTE

« Dans l'ensemble, la situation est trèsmauvaise en Arabie saoudite, surtout pour lespersonnes qui ont des opinions indépendantes, àcontre-courant. Récemment, des journalistes, desathlètes, des poètes, des blogueurs, des militants etdes utilisateurs de Twitter ont fait l'objet d'enquêtes,d'arrestations et de détentions de courte durée. »

2. REJETER TOUSLES PROBLÈMES SURLE TERRORISME

« Les autorités sont fragiles. Elles seservent de différents moyens pour bâillonner

et réprimer la dissidence, notamment la loi sur leterrorisme, un texte scandaleux utilisé pour terroriserles personnes qui ont des opinions. Les tribunauxprononcent des peines de prison de 10 ans ou pluspour un simple tweet. Les personnes athées ou encontact avec des organisations de défense des droitshumains sont accusées de “terrorisme”. »

3. LANCER DES ATTAQUESPERSONNELLES CONTRE LESBLOGUEURS

« On m'a fait toutes sortes de problèmes.Les autorités sont allées voir les fournisseurs d'accèsqui hébergeaient mon site web personnel en leurdemandant de le bloquer et d'en effacer tous lescontenus. Elles m'ont également envoyé des agentsdes forces de sécurité pour me dire d'arrêter ce quej'étais en train de faire dans mon intérêt et celui dema famille. Plus tard, j'ai été officiellement interdit deblog et menacé d'arrestation si je continuais. J'aicédé et j'ai arrêté pour protéger ma famille. »

Raif Badawi purge une peine de 10 ans de prison en Arabie saoudite,notamment pour avoir créé un site web. Un autre blogueur du pays –qui doit garder l'anonymat pour sa sécurité – nous parle desdifférents stratagèmes dont usent les autorités pour museler lesinternautes.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>>raif a été condamné à 10 ans de prison pour avoircréé un forum en ligne dédié au débat social etpolitique en Arabie saoudite. Il lui était reprochéd'avoir créé le site « Saudi Arabian Liberals » etinsulté l'islam. Sa peine a été assortie d'unesanction de 1 000 coups de fouet, de l'interdictionde quitter le pays pendant 10 ans et de l'interdictiond'apparaître dans les médias.

veuillez écrire au roi d'Arabie saoudite en l'exhortantà libérer raif badawi dans les meilleurs délais.

Utilisez la formule d’appel « excellence » et envoyezvotre lettre à l’adresse : His majesty King Abdullahbin Abdul Aziz Al Saud, The custodian of the TwoHoly mosques, office of His majesty the King, royalcourt, riyadh, royaume d'Arabie saoudite.

Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

7. INFLIGER DES SANCTIONSBRUTALES « Le cas de Raif Badawi (voir ci-après)

illustre une fois de plus la cruauté d'unÉtat qui continue de gouverner au moyen desanctions archaïques comme les coups de fouet, lesfortes amendes et les peines de prison excessives. Legouvernement saoudien doit savoir que le monde nelui appartient pas et qu'il ne peut pas réduire lemonde au silence par l'argent. »

« Les tribunaux prononcent des peines deprison de 10 ans pour un simple tweet. »

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10LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

PARASKEVI KOKONIGRÈCE

présent leur a dit qu'il avait trop peur pourintervenir. Plus tard, le mari de Paraskevi a retrouvéKostas dans la rue, sans connaissance. Sesblessures et celles de Paraskevi ont nécessité leurhospitalisation.

Pendant que la maison était vide, des intrus ysont entrés par effraction. « Ils ont cassé les vitres.Ils ont cassé la vaisselle, explique-t-elle. Quand onest rentré, on n'a pas trouvé un seul verre pourboire de l'eau. Il n'y avait plus une seule assiette.Ils avaient tout cassé. »

Paraskevi a pris sa famille avec elle et a quittéEtoliko pour toujours. « La police ne nous a pasprotégés, dénonce-t-elle. Nous avons déménagé àPatras. Nous avons quitté notre chez-nous. Mesenfants ne veulent pas retourner dans la maison.Ils ont peur. »

En novembre 2013, trois des hommes impliquésdans l’attaque ont été inculpés de coups et blessuresgraves. L'affaire est toujours en instance.Quant à Paraskevi, elle vit aujourd'hui en locationdans un appartement. Après avoir été propriétairependant des années, elle a du mal à payer sonloyer. Elle a perdu sa maison, ses voisins, sonquartier.

Etoliko est une ville paisible de l'ouest de la Grècedont le centre est situé sur une île, reliée au continentpar un pont élancé qui dessert le plus vieux quartierrom de la ville.

Les Roms y ont côtoyé les autres habitantspendant des générations. Ils sont allés en classe aveceux, ont travaillé avec eux, ont tissé des liens d'amitiéavec eux. Aujourd'hui, beaucoup de Roms n'osentpas traverser le pont pour se rendre dans le centre-ville, de peur d'être roués de coups.

Certains disent que tout a commencé avec lacrise économique. Lorsque les difficultés financièresde la Grèce se sont aggravées en 2010, le pays aconnu une recrudescence de la peur et de lasuspicion. Les agressions racistes et l'intolérance ontgagné du terrain sur l'ensemble du territoire. En juin2012, Aube dorée, un parti néonazi, a recueilli prèsde 7 % des suffrages lors d'une élection nationale.

À gauche : « Mort aux Tsiganes », peut-on lire sur cetteinscription tracée à la bombe sur le mur d'un terrain debasket-ball de la ville grecque d'Etoliko, qui a été lethéâtre d'agressions en bande visant des Roms en 2012et 2013.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>>exhortez les autorités grecques à faire le nécessairepour que les agresseurs de Paraskevi soient jugés sansdélai et que leur condamnation, quelle que soit sanature, reconnaisse le caractère raciste de l'attaque.

Formule d’appel : dear minister, / monsieur le ministre,Adresse :ministry of Justice, Transparency and Human rights96 mesogeion Avenue, 115 27 Athens, Grèce

Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

Conjugués, ces phénomènes ont chamboulé lavie des Roms d'Etoliko. Pour Paraskevi Kokoni,35 ans, mère de sept enfants, c'était la fin du mondequ'elle avait connu.

En août 2012, des centaines de personnes, dontbeaucoup avaient semble-t-il des liens avec Aubedorée, ont fait une descente dans leur quartier, jetantdes cocktails Molotov sur les habitations roms. « Ilscriaient qu'ils allaient tuer des gens », se souvient-elle.

La police n'a rien fait pour repousser la foulehostile. C'était la première d'une série d'attaquesviolentes contre les Roms d'Etoliko.

FRAPPÉS À COUPS DE RONDIN DE BOISEn octobre 2012, Paraskevi était allée faire descourses dans le centre-ville d'Etoliko avec son fils etson neveu Kostas, 23 ans, lorsqu'ils sont tombésdans une embuscade tendue par un grouped'habitants.

« Deux des hommes m'ont attaquée tandis queles autres rouaient Kostas de coups de poing et depied, raconte-t-elle. J'appelais au secours maispersonne ne venait. »

Elle s'est enfuie avec son fils et a couru auposte de police du quartier, mais l'agent qui était

Avant, ils étaient voisins.Aujourd'hui, le racisme et la peurdéchirent cette petite villegrecque tranquille.

DÉCHIRÉSPAR LA HAINE

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mnesty International/G

iorgos Moutafis

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HABITANTS DE BHOPALINDE

11LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

Trente ans après, les personnesqui ont survécu à la fuite de gazmortel ne veulent pas renoncer àleur combat pour la justice etpassent le témoin à la nouvellegénération.

Il y a 30 ans, la fuite de gaz toxique d'une usine depesticides de Bhopal, en Inde, a tué environ10 000 personnes en trois jours. Des centaines demilliers de personnes continuent de subir lesrépercussions de cette fuite et de la pollution crééepar l'usine avant même la catastrophe. Mais les

survivants résistent. En 2006 ils ont obtenu une eaude meilleure qualité pour les habitants. Toutefois, lesite est toujours pollué et les survivants réclamentune indemnisation appropriée. Leur mouvementtenace et puissant réunit jeunes et moins jeunesdans le combat pour la justice.

POURSUIVRELE COMBAT

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MY BODY MY RIGHTSDDD

12LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

Shahzadi Bi (debout, au premier plan) chez elleavec sa famille, à Blue Moon Colony, à quelquesmètres du site où se trouvait l'usine de UnionCarbide (septembre 2014). Elle et ses proches ontété atteints par la fuite de gaz. Depuis lors, ellesoutient avec force la campagne pour la justice.

Rampyari Bai est l'une des rescapées de Bhopalles plus tenaces. Cette femme aujourd'hui âgée de90 ans s'est mobilisée au lendemain de lacatastrophe. En 1984 elle vivait dans un bidonvilleprès de l'usine, avec son fils et la femme de celui-ci,enceinte et sur le point d'accoucher. Alors que l'airse chargeait d'émanations de gaz, sa belle-fille asenti les premières contractions. Elle est morte, etson bébé aussi, peu après.

Rampyari a eu un cancer et souffred'insuffisance respiratoire. Pourtant, dit-elle, elle n'ajamais reçu l'indemnisation à laquelle elle a droit etcontinue de se battre pour cela. En 2011 elle a étéfrappée pendant une manifestation, avec une tellebrutalité qu'elle ne peut plus marcher aujourd'huisans qu'on l'aide. Mais c'est la lutte qui la maintienten vie, explique-t-elle.

« Nous avons beaucoup manifesté. Nous avonstraversé des canalisations à la nage, nous avonsdû nous enfuir en courant lorsque la police nousprenait en chasse, mais nous n'avons jamaisrenoncé à nous battre. Je dis cela à tout le mondeautour de moi, sœurs, frères, mères, filles : ilsdoivent s'inspirer de notre lutte. Je n'abandonnerai pas ce que j'ai entrepris,

pourchasser les autorités. Je me battrai jusqu'àce que j'obtienne une indemnisation. Jusqu'à mamort s'il le faut. Jusqu'à mon dernier souffle, jecontinuerai à me battre. »rampyari bai

Âgée de 20 ans, Safreen Khan appartient à unenouvelle génération de militants. Elle est trop jeunepour avoir vécu les événements en direct, mais toute savie a été marquée par les suites de la catastrophe. Sesparents, qui vivaient près de l'usine à l'époque,souffrent depuis de difficultés respiratoires et deproblèmes oculaires. Safreen a quant à elle un retardde croissance, un phénomène très fréquent chez lesgens qui vivent dans des zones où l'eau estcontaminée, expliquent les militants locaux.

C'est à l'école que Safreen a entendu parler pour lapremière fois de la catastrophe de 1984. Elle s'estrapidement engagée dans la campagne pour la justice.Avec sept autres enfants elle a fondé Children AgainstDow-Carbide. La première action de l'organisation a étéla marche entre Bhopal et Delhi (plus de 700 km)effectuée en 2008.

Trente ans après la catastrophe, Amnesty ademandé au photographe renommé Raghu Raid’illustrer par son travail les conséquences durablesde l’événement sur la population de Bhopal. En1984, Raghu avait été témoin des effets terriblesde la fuite de gaz. Ses photos nous présentent desgens dont la vie a été ravagée et qui ont pris la têted’un combat collectif.Toutes les photos : © Raghu Rai/Magnum

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13LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

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rivate« Les gens ne veulent plus attendre maintenant. Ils souffrent toujours de la perte deleurs proches morts ce jour-là. Il faudrait quand même, au bout de tout ce temps,que notre gouvernement et l'entreprise se décident enfin à les écouter et à agir,parce que 30 ans, c'est trop long pour obtenir justice. »

Safreen Khan, photographiée à bhopal devant une peinture murale commémorative, juste en face de l'usine Union carbide désaffectée

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ LEUR VIE >>>demandez justice pour les habitants de bhopal.

Utilisez la formule d’appel : dear Prime minister, /monsieur le Premier ministre, et envoyez votre lettre ànarendra modi, Prime minister of India, Prime minister’s office, South block, raisina Hill, new delhi-110011, Inde

Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

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14LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

Enfant, John est imprévisible. Il jure, se bagarre, jouedans un groupe de rock. Puis il s'engage dans lamarine et devient commandant de sous-marin à l'âgede 27 ans.

Une nuit, un appel arrive pour lui sur le téléphonedu navire. C'est sa femme. Elle vient de trouver unsac de vêtements féminins à la cave. John comprendqu'il est découvert mais il est trop risqué d'en parlersur une ligne militaire. Il lui promet de lui écrire unelettre.

Le lendemain matin, le sous-marin de Johnlargue les amarres pour aller patrouiller dans le nordde la mer de Barents, au plus fort de la Guerre froide.Pendant ce temps, son épouse attend le courrier quilui révélera la vérité sur son mari.

EN TERRAIN DANGEREUXL'histoire débute plus de 20 ans auparavant, dansune petite ville côtière de Norvège. Âgé de 4 ansenviron, John est surpris par sa mère vêtu d'unerobe. Elle se met en colère : c'est du jamais-vu, etc'est interdit.

« On a eu peur tous les deux. J'ai compris quej'étais sur un terrain dangereux, mais je me suistoujours sentie fille, j'ai toujours voulu avoir l'air d'unefille et jouer avec les filles. »

John, qui grandit dans les années 1950, unepériode conservatrice, comprend qu'il peut recevoirl'amour dont il a besoin en se faisant passer pour ungarçon. Un amour conditionnel.

« J'ai commencé à jouer la comédie mais, à tropen faire, j'ai surcompensé et je suis devenu plutôtdéplaisant. En peu de temps, j'ai appris les pires grosmots et comment me battre. »

UN SECRETPERCÉ À JOURLe commandant de sous-marinJohn Remø prenait soin dedissimuler toutes les preuves,cachant les vêtements de femmeà la cave. Ce n'est qu'au bout de30 ans que le secret a été éventé.

S'il est un mauvais garçon à l'adolescence, Johnest aussi très mélomane. Ce qui lui permet decontinuer à explorer sa féminité refoulée. Sa tantepossède une guitare et lui donne les clés de chez ellepour qu'il puisse s'exercer.

« Elle avait de très beaux vêtements, des sous-vêtements en soie et des chaussures à talon. C'étaitun sentiment de liberté et de bonheur intense d'êtrelà-bas, de tout essayer, et d'être moi-même. Maisj'étais triste de ne pouvoir le montrer à personne. »

Sa tante est certainement au courant mais n'endira jamais rien. « Ma tante était menue et je mesouviens encore de la tristesse que j'ai éprouvée quandses chaussures sont devenues trop petites pour moi. »

John quitte la maison à 17 ans et se marie peuaprès ses 20 ans. Sa femme et lui ont un fils. Avec sabarbe drue et son métier viril, le père de famillerépond aux attentes liées à son genre.

LA VÉRITÉ ÉCLATELorsqu'elle reçoit enfin la lettre, l'épouse de John enest curieusement soulagée. Elle avait d'abord cru queJohn avait assassiné une femme et caché sesvêtements dans un sac.

Mais, une fois le secret éventé, il apparaîtclairement que leur relation repose sur un mensongeet ne peut plus continuer.

« Je l'aimais et j'avais peur de la perdre.J'espérais que mon besoin d'être une femmedisparaîtrait – que le fait de me marier avec elle mepermettrait de vivre sans. Mais, au bout d'un mois, jeme suis remise à m'habiller en femme en secret. »

Trente ans après la découverte du sac devêtements dans la cave, l'heure est enfin venue pour

JOHN JEANETTE SOLSTAD REMØNORVÈGE

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QUELQUES INFORMATIONSQue veut dire être transgenre ?ce terme désigne des personnes dont l'identité de genre estdifférente du genre sous lequel elles ont été officiellementenregistrées à l'état civil à leur naissance. on pense souventque les personnes transgenres sont homosexuelles. or,l'identité de genre n'a rien à voir avec l'orientation sexuelle.

Pourquoi la situation de John Jeanette relève-t-elle desdroits humains ?L'obligation faite aux personnes transgenres de choisir entreune opération de stérilisation irréversible et la non-reconnaissance de leur genre par l'état civil est une violationde leur droit de vivre à l'abri de toute discrimination et detout traitement inhumain, cruel ou dégradant.

Pourquoi la période est-elle propice au changement ? Le danemark vient d'adopter une loi historique qui autoriseles personnes transgenres à changer officiellement de genreà l'état civil sans se voir diagnostiquer un trouble mental ouse voir imposer une opération. Seule l'Argentine dispose delois analogues. en révisant sa loi à son tour, la norvège semontrera à la hauteur de sa réputation de championne desdroits humains et de l'égalité.

15LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

elle de se libérer de son secret et de s'afficher dans larue commerçante la plus animée d'Oslo sous lesatours d'une femme : « C'était un sentiment de libertéextraordinaire. »

Les passants n'imagineraient jamais que cettesexagénaire élancée à la mise élégante et à ladémarche assurée possède encore le corps d'unhomme.

SEXE : MElle n'a guère de mal à changer de nom. Pour sesamis, elle est simplement Jeanette aujourd'hui. Mais,en public, elle se sert du nom John Jeanette pourmettre en évidence la discrimination à laquelle lesautres personnes transgenres et elle sont toujoursconfrontées en Norvège.

Parce que changer de genre officiel – êtredésignée comme une femme sur les piècesd'identité, comme le permis de conduire ou lepasseport – est une autre paire de manches. La loinorvégienne impose une « véritable conversionsexuelle » obligatoire basée sur un protocolesommaire des années 1970.

Cette procédure implique en particulier le retraitdes organes reproducteurs – et donc la stérilisationde la personne. Un diagnostic psychiatrique estégalement requis et vous oblige à accepter que voussouffrez d'un trouble mental.

John Jeanette refuse d'endurer ces épreuves.« Les hormones changent votre corps et votre esprit –c'est comme revivre l'épreuve de la puberté »,explique-t-elle.

Elle est donc toujours présentée comme un hommesur tous ses papiers officiels. Son identité transgenre est

De gauche à droite : John, qui grandit dans une petiteville côtière dans les années 1950, une périodeconservatrice, comprend qu'il peut recevoir l'amour dontil a besoin en se faisant passer pour un garçon.À 27 ans, John Jeanette est nommé au poste decommandant de sous-marin dans la marine norvégienne.Aujourd'hui, John Jeanette est une sexagénaire élancéeà la mise élégante et à la démarche assurée.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>>exhortez le gouvernement norvégien à modifier la loi desorte que John Jeanette puisse changer de genre àl'état civil sans avoir à subir de traitement médicalobligatoire.

Utilisez la formule d’appel « dear minister,/ monsieur leministre, » et envoyez votre lettre à l’adresse :minister bent Høie, ministry of Health and careServices, Po box 8011 dep, 0030 oslo, norvège

courriel : [email protected] : @helse_og_omsorgwww.facebook.com/helseogomsorgsdepartementetAgissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

ainsi devenue publique, ce qui est pour elle unehumiliation et lui vaut souvent des commentaireslorsqu'elle se présente à la réception d'un hôtel, qu'elleva chercher des médicaments ou qu'elle emprunte unlivre à la bibliothèque de son quartier.

« C'est une femme qui est assise dans la salled'attente, mais c'est un homme que l'on appelle. J'ysuis préparée mais j'éprouve à chaque fois le mêmesentiment d'humiliation et de frustration. »

John Jeanette ne veut pas être forcée de passerpar une opération pour changer de genre sur sespapiers d'identité. Elle dit avoir été stupéfaite dedécouvrir que des militants d'Amnesty du mondeentier soutiendront son combat en décembre.

« Je pense que c'est très important pour les gensqui se trouvent dans ma situation, a-t-elle confié.Ensemble, nous pouvons faire bouger les choses. »

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mnesty International

JEAN JEANETTE SOLSTAD REMØNORVÈGE

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LIU PINGCHINE

EMPRISONNÉE POURAVOIR « CHERCHÉÀ PROVOQUER DESCONFLITS ET TROUBLÉL'ORDRE PUBLIC »Une démarche généreuse atransformé l'ouvrière chinoiseLiu Ping (ci-dessous) enmilitante anticorruptionacharnée. Liao Minyue, sa fille,(à droite) raconte ce qui s'estpassé.

Ma mère, Liu Ping, était une simple citoyenne, unefemme au grand cœur.

Nous étions très proches. Quand mes parentsont divorcé, il y a une dizaine d'années, j'ai choisi devivre avec elle. Nous ne nous sommes jamaisdisputées, pas une fois. Nous allions ensemble aumarché pour récupérer des légumes invendus, pournous nourrir. Pour moi ce n'était pas du touthonteux. C'était au contraire de bons moments, desmoments privilégiés car nous étions ensemble.

Mais un jour, tout a changé. Le soir, ma mèretravaillait comme vendeuse de rue non déclaréepour compléter son salaire mensuel de 800 yuans(une centaine d'euros) - elle était ouvrière dans uneaciérie. On est venu lui chercher querelle à son étalet mon oncle est intervenu. Il a été tabassé.

Les autorités locales n'ont pas réagi à cesviolences, mais un groupe d'avocats a proposé de secharger de l'affaire gratuitement. Cette démarchegénéreuse est à l'origine de l'engagement de mamère. Elle s'est mise à militer activement pour lesdroits des travailleurs.

C'était en 2011. J'étais encore au lycée. Notrevie a changé du tout au tout après ça.

DISCOURS, TRACTS, PASSAGES À TABACMa mère a commencé à prendre la parole dans larue, à distribuer des tracts. Elle a tenté aussi de seprésenter en tant que candidate indépendante àl'Assemblée populaire locale, afin d'aider lestravailleurs qui avaient été contraints de prendre leurretraite. Elle restait des jours d'affilée sans rentrer àla maison.

Des inconnus se présentaient chez nous. Jecomprends maintenant que c'était des policiers encivil. Je m'inquiétais pour elle, surtout quand je neparvenais pas à la joindre – en général cela voulaitdire qu'elle avait été passée à tabac. Je n'étais pas

du tout d'accord avec ce qu'elle faisait, et j'ai toutfait pour qu'elle s'arrête. J'ai aussi eu la visite depoliciers et de cadres du parti au niveau local, quivoulaient me faire intervenir auprès d'elle pourqu'elle s'arrête.

Je ne savais pas à quoi elle était mêlée. Elle ne m'avait rien dit, pour me protéger. Dans lequartier, des gens disaient qu'elle trempait dans des affaires louches, et j'ai commencé à croire ceque j'entendais. Du coup, nos rapports se sontdétériorés.

ARRÊTÉE POUR AVOIR DÉNONCÉLA CORRUPTIONEt puis, l'année dernière, ma mère et deux autresmilitants anticorruption ont été arrêtés parce qu'ils

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hoto/Aritz P

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17LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

LIU PINGCHINE

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>>Liu Ping aura 50 ans le 2 décembre. envoyez-lui unmessage de soutien à l'occasion de son anniversaire :

Liu Ping, Jiangxi nanchang Women’s Prison, 630 changzheng road, Zhang Leng county, nanchang city, Jiangxi Province, 330100, People’s republic of china

Placez des photos et des vœux d'anniversaire sur notrepage Tumblr : messagesforliuping.tumblr.com

Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

Ci-dessus : La fille de Liu Ping, Liao Minyue, 22 ans, ad'abord essayé de convaincre sa mère de mettre fin àses activités militantes. Elle a changé d'attitude quandla police a placé sa mère en détention, l'an dernier. À gauche : Un policier devant un tribunal où se tient leprocès de membres du Mouvement des nouveauxcitoyens, province du Jiangxi, Chine, octobre 2013. Lemouvement – un réseau informel d'avocats défenseursdes droits humains, de militants comme Liu Ping et deprofessionnels vivant en ville – est la cible des autoritéscar il réclame plus de transparence et de justice de lapart des instances dirigeantes.

avaient tenu un petit rassemblement privé et déployéune banderole demandant que les responsablesrendent public leur patrimoine – leurs biensimmobiliers, leurs investissements. Elle a été accuséed'avoir « cherché à provoquer des conflits et troublél'ordre public ». J'ai alors perdu toute confiance dansle Parti communiste chinois. J'ai mis en ligne unelettre ouverte dans laquelle j'annonçais que je quittaisle parti. J'étais prête à assumer les conséquences.

On dit que Maman et les deux autres militantssont liés au Mouvement des nouveaux citoyens, unréseau informel de défenseurs des droits humains.Quand elle a été condamnée à six ans et demi deprison, en juin, ça m'a indignée. J'ai mis en ligne unenouvelle lettre dans laquelle j'exprimais ma profondedésillusion.

Pendant toute l'année écoulée, je n'ai cessé depenser à l'attitude que j'avais eue face àl'engagement de ma mère. Je m'en veux beaucoupd'avoir essayé de lui faire cesser ses activités. Ce quema mère et les autres subissent actuellement est laconséquence directe de notre passivité et de notrelâcheté.

Je n'ai pas de scrupules maintenant à accepterdes interviews et à évoquer son sort devant lesmédias. On m'a retiré mon passeport et j'ai fait l'objetde pressions de la part des responsables là où jetravaillais avant, mais je n'ai pas peur, ce n'est pasgrave de subir cela. Je n'ai qu'une mère, après tout.

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hoto/Liao Minyue

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18LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

« IL N'A JAMAIS LÂCHÉ L'AFFAIRE »Jennie Pasquarella est une avocate américaine qui atravaillé avec Mohammed al Roken en 2011 lors duprocès de militants des droits humains (les « Cinq desÉmirats »).

La réputation de Doubaï, c'est le luxe et leprestige, mais si l'on fouille un peu sous la surface ondécouvre une réalité qui n'a rien de reluisant. LesÉmirats arabes unis sont un État espion, où tout lemonde fait l'objet d'une surveillance maladive, etsurtout ceux qui sont censés mettre le pays endanger. C'est un pays qui ne respecte pas l'état dedroit – ici on met les gens sous les verrous pour entirer un profit politique.

Tout au long du procès nous avons eu desrencontres quotidiennes avec Mohamed al Roken. Ilnous donnait tous les détails sur la situation des

droits humains aux Émirats et nous expliquait tous lesstratagèmes du tribunal. Il nous a consacré un tempsincroyable – il était totalement dévoué à la cause desdroits humains, de la démocratie, de l'avènementd'une société plus ouverte.

Nos rencontres avaient lieu dans des lieuxpublics et il y avait presque constamment des gensqui le surveillaient. Parfois il disait : « Il faut qu'onparte, ces types-là nous écoutent ». Mais il n'ajamais lâché l'affaire – même lorsque des avocatscomme lui recevaient des menaces de mort. Il faut

L'avocat Mohammed al Roken a été condamné à 10 ansd'emprisonnement en juillet 2013 à la suite d'une vaguede répression contre les militants politiques et lesdéfenseurs des droits humains aux Émirats arabes unis.Nous avons rencontré trois personnes qui ont travaillé àses côtés et nous parlent de ce courageux défenseur desdroits humains.

IL FAUT VRAIMENT ÊTRE UNE PERSONNEEXTRAORDINAIRE…

royale à Abou Dhabi l'avait consulté pour unproblème personnel. Qu'est-ce qui justifie unepareille volte-face ?

C'est une grande perte pour les Émirats arabesunis de ne plus pouvoir faire appel à cet homme.Maintenant qu'il est emprisonné, nous n'avons pluspersonne pour défendre ces cas. Il faut le libérer, dèsaujourd’hui – en fait, il aurait dû être libéré hier.

UN PIONNIER D’AMNESTYLorsqu'il était chercheur sur l'Arabie saoudite pourAmnesty, Lamri Chirouf a travaillé avec Mohammedal Roken pendant de longues années.

À Amnesty, on ne pouvait pas aller à Doubaïsans aller voir Mohammed al Roken. Il a été l'undes pionniers de notre travail dans les pays duGolfe. Quand nous lui demandions son avis sur unpoint de droit, il ne nous facturait jamais rien. Sans

vraiment être une personne extraordinaire pourtravailler dans un pareil climat.

Je suis affligée par son arrestation. C'estdécourageant. C'est la dernière personne au mondeà mériter cela. J'espère qu'une immense armée vase mobiliser en sa faveur. Il a défendu tant degens !

IL CROIT AUX DROITS HUMAINSAhmed Mansoor est un militant des droits humainsde premier plan, que Mohammed al Roken adéfendu lors du procès des « Cinq des Émirats »,en 2011.

Nous avons particulièrement apprécié lacontribution de Mohammed al Roken lorsque nousavons rédigé une pétition réclamant l'élection duParlement au suffrage universel. C'est une grandefigure dans le domaine des droits humains, et il suittoutes les évolutions de la situation dans la région.C'est un homme qui inspire confiance.

Cela fait des années qu'il défend les droitshumains aux Émirats arabes unis. Ici, il y a des gensqui sont persécutés simplement en raison de leursantécédents intellectuels, et finissent par être mutésou contraints à prendre leur retraite. Il est le seul às'occuper de ces affaires, pas pour de l'argent maisparce qu'il croit aux droits humains.

C'est terrible de l'avoir arrêté. Quelqu'un commelui devrait conseiller les plus hautes instances dupays. Il ne devrait pas avoir à passer un seul jour desa vie en prison. Quelques semaines avant sonarrestation, un membre haut placé de la famille

MOHAMMED AL ROKENÉMIRATS ARABES UNIS

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«Un État espion, où tout le monde faitl'objet d'une surveillance maladive »

Page 21: Le Fil Novembre/Décembre 2014

LES ÉMIRATS ARABES UNISFICHE D’INFORMATIONCréation : 2 décembre 1971

Fédération de sept « émirats » (territoires) semi-autonomes – Abou dhabi, Ajman, doubaï, Fujairah, ras alKhaimah, Sharjah, Umm al Qawain.

Capitale : Abou dhabi. doubaï est l'autre pôle culturel etcommercial des émirats.

Population : neuf millions d'habitants. Seulement 10 % ontla nationalité émirienne. Il y a une grande majorité demigrants, originaires de l'Asie du Sud pour la plupart.beaucoup travaillent dans d'importants chantiers deconstruction.

Président : Le cheikh Khalifa bin Zayed Al nahyan,souverain d'Abou dhabi, est arrivé au pouvoir en novembre2004, après la mort de son père.

Démocratie : Le gouvernement n'est pas issu d'élections.

Médias : La législation sur la presse est stricte. La censuren'est pas rare et il est dangereux de critiquer les familles aupouvoir.

Droits humains : Les organisations de la société civile nepeuvent pas travailler ouvertement, ce qui laisse peu delatitude au débat public.

Répression : de très nombreuses arrestations, de probablescas de torture et des procès totalement iniques ont suivi lapublication en mars 2011 d'une pétition signée par 133citoyens de premier plan, dont mohammed al roken, etréclamant des réformes démocratiques.

Football et compagnies aériennes : etihad Airways –sponsor du club de football de manchester city, qui évolueen Ligue 1 du championnat britannique – est unecompagnie aérienne basée à Abou dhabi et appartenant àdes membres de la famille au pouvoir dans les émirats. Lacompagnie emirates – sponsor de plusieurs grands clubsde football, dont Arsenal, le Paris Saint-Germain, le realmadrid et l'Ac milan – est la propriété du gouvernement dedoubaï.

19LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

Ci-dessus : Mohammed al Roken, avocat et professeur,a consacré de longues années à la défense des droitshumains dans les Émirats arabes unis.

MOHAMMED AL ROKENÉMIRATS ARABES UNIS

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>>demandez au président des émirats arabes unis deremettre en liberté mohammed al roken,immédiatement et sans condition.

Utilisez la formule d’appel « monseigneur » et envoyezvotre lettre à :His Highness Sheikh Khalifa bin Zayed Al nahyan,President of the United Arab emirates, ministry of Presidential Affairs, Abu dhabi Po box 280, émirats arabes unis

Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

des gens comme lui Amnesty ne serait pas connuedans le Golfe.

C'était une personne extrêmement dévouée. Ilétait toujours là quand nous organisions des activitésdans la région. Nous avons mené un grand projet surles droits des femmes dans les pays du Golfe, et ilnous a aidés à obtenir des soutiens.

C'est impossible de trouver un reproche à luifaire. Il est tellement impliqué. Il écrit, il participe àdes séminaires, il agit. C'est un homme trèsdynamique. Et il a un fameux sens de l'humour aussi.J'espère qu'il l'a conservé, même après tout ce tempsen prison.

© MARWAN NAAMANI/AFP/Getty Images

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FEMMES ET JEUNES FILLES DE MKHONDOAFRIQUE DU SUD

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UNE FORCEPOUR LECHANGEMENTMilitante exemplaire, MariaShongwe a surmonté un certainnombre d'obstacles auxquelssont confrontées de nombreusesfemmes et jeunes filles enAfrique du Sud, notamment lapauvreté et le fait de vivre enétant séropositive au VIH.

qu'elles n'avaient pu obtenir dans le système publicde santé. Maria a également décroché récemmentdes fonds de la loterie afin de financer la créationd'un orphelinat. Elle travaille maintenant pour la TACdans la municipalité de Mkhondo, dont les servicesde santé comptent parmi les plus mauvais du pays.Elle évoque pour nous quelques moments de sa vieet de son travail.

« IL M'A VIOLÉE »Je suis née au Swaziland. Tous les jours il fallait faire35 km à pied pour aller à l'école et en revenir. Il yavait un type – c'était comme un oncle. Un jour il m'aprise sur son vélo. Il est allé dans la forêt et il m'aviolée. C'était la première fois pour moi, et je suistombée enceinte. Mais je ne pouvais rien faire. Parceque si tu es une fille et que tu dis quelque chose dece genre à tes parents, ils disent : « Ce n'est paspossible. C'est que tu es amoureuse de cet homme.

« LA LOI N'EN A RIEN FAIRE DE NOUS,LES FEMMES »Plus tard, j'ai été mariée à quelqu'un ici, en Afriquedu Sud. Après le décès de mon mari, sa famille atout pris, même mes meubles. Je me suis bagarréedevant les tribunaux. J'ai fait autre chose aussi. J'enai assez de voir les femmes subir des violences.Parce que la loi n'en a rien faire de nous, lesfemmes. J'ai décidé de tout quitter et de m'installer àAmsterdam.

« NE LE DITES À PERSONNE »J'ai parlé à la dame [du dispensaire] et je lui ai ditque j'étais séropositive [au VIH]. Elle m'a dit : « Non,ne dites à personne que vous avez été testéepositive. » J'ai dit que je voulais de l'aide, parce queje ne savais pas ce que ce virus allait faire dans moncorps. Elle n'a pas compris.

L'ENGAGEMENTMa fille a commencé à être malade. Au bout de sixmois, elle a été contrôlée positive au VIH. Il n'y avaitpas de traitement par ici, alors elle est décédée. Elleavait 19 ans.

Je me suis mise à aller aux groupes de soutien[de la TAC]. On commençait à parler de vivre avec cevirus, mais le traitement était introuvable ici. Je suisallée au dispensaire [privé] d'Iswepe, à 56 km d'ici,et j'ai parlé à l'infirmière. Elle a dit : « Les habitantsd'Amsterdam peuvent commencer le programme[antirétroviral] parce que les gens d'ici ne veulent pasprendre les médicaments. »

Mais c'était difficile parce que nous n'avons pasd'argent pour aller là-bas. Certains de ceux quiprennent les médicaments ne peuvent pas marcher.Je les prenais chez moi jusqu'à ce qu'ils aillent

Ci-dessus : Cette image a été créée par l'artiste JuanOsborne pour représenter les femmes et les jeunes fillesde Mkhondo, dans la province de Mpumalanga, àl'occasion de l'édition 2014 de la campagne d'AmnestyÉcrire pour les droits.

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mnesty International

Dans la petite ville d'Amsterdam, près de la frontièreavec le Swaziland, Maria (à droite) a été la premièreà révéler publiquement qu'elle était séropositive. Ellea aussi ouvert une voie en fondant le comité local dela Campagne d'action pour le traitement du sida(TAC), une grande organisation nationale quis'efforce d'obtenir une meilleure prise en chargemédicale des personnes séropositives.

Grâce à la détermination de Maria, 50 personnesont pu bénéficier d'un traitement antirétroviral

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FEMMES ET JEUNES FILLES DE MKHONDOAFRIQUE DU SUD

21LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ LEUR VIE >>>comme en témoigne l'histoire de maria, des habitants demkhondo, en particulier des femmes enceintes et de jeunesmères, meurent de causes évitables faute de pouvoirbénéficier des soins qui leur sauveraient la vie. beaucoup defemmes ont également du mal à trouver des informations surla contraception et à obtenir de leur partenaire qu'il utiliseun préservatif. Il en résulte des grossesses non désirées etun risque accru de contracter le vIH.

demandez au gouvernement sud-africain de faire del'amélioration des services de santé à destination desfemmes et des jeunes filles de la municipalité demkhondo une priorité.

Utilisez la formule d’appel « dear minister, / monsieur leministre, » et envoyez votre lettre à : Pravin Gordhan, chair of the Inter-ministerial Task Team on Service deliveryPrivate bag X802, Pretoria 0001, Afrique du Sud

Fax : +27 12 326 4478courriel : [email protected] Agissez en ligne : www.amnesty.org

Ci-dessus : Des femmes traversent Amsterdam, une petiteville proche de la frontière entre l’Afrique du Sud et leSwazilandÀ gauche : Maria Shongwe chez elle à Amsterdam(Afrique du Sud), juin 2014.

mieux. Je m'en occupais. Et je faisais du porte àporte. Sans aucun salaire. Je n'étais pas payée dutout. Quand je trouvais quelqu'un qui était malade, jelui disais ce qu'il fallait faire et je l'emmenais audispensaire. Maintenant je suis conseillère[rémunérée] et je m'occupe des comités de la TACdans toute la municipalité de Mkhondo.

DES FILLES QUI SE PROSTITUENT« Nous sommes sur la route du Swaziland, la routequi va de Nelspruit à Durban – il y a beaucoup degens qui passent par ici. Vous voyez les [jeunes] fillesqui vont vendre leur corps aux chauffeurs. Il y abeaucoup de tavernes, de pauvreté. Les parentsmeurent et les enfants se retrouvent tout seuls. Leshommes donnent 20 rands (2 dollars), pour ellesc'est beaucoup d'argent. Elles couchent avec desgarçons à un âge très jeune. J'ai mis en place ungroupe pour ces filles, pour les éduquer sur lamanière de préserver leur santé.

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22LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

MOSES AKATUGBANIGERIA

« IL A UN CŒURQUI BAT,EXACTEMENTCOMME MOI »

La Nigériane Tosin Francis estune ardente militante des droitshumains. Elle nous expliquepourquoi elle soutient MosesAkatugba. Moses était encoreadolescent quand il a été arrêtéet torturé. Il a été condamné àmort il y a un an.« L'affaire de Moses, c'est très important pour moi.Son histoire pourrait être la mienne. Il est nigérian,comme moi. Il a du sang qui lui coule dans lesveines, comme moi, et il a un cœur qui bat,exactement comme moi.

J'imagine son angoisse lorsqu'il se réveille tousles matins et qu'il pense à sa sentence capitale, àcette épée de Damoclès. Je pense à ses proches, quine savent pas ce qu'il va advenir de leur enfant.

Quand j'ai découvert son cas, j'ai commencé àme documenter sur la torture, pour comprendre ceque c'est vraiment et quelles sont ses conséquencessur la vie des victimes. J'ai lu des livres et j'ai vu desfilms. J'ai découvert que j'étais capable d'en parleraux autres sans crainte et avec compassion. Et tousles gens à qui j'en ai parlé ont eu de très bonnesréactions. En soutenant Moses, j'ai la joie de plaiderpour l'espoir, la justice et l'équité.

« NOUS SOMMES PLEINS D'ESPOIR »Nous, les militants des droits humains au Nigeria,nous devons affronter des difficultés dans notretravail : agressions, harcèlement, diffamation. Maisbeaucoup de gens se mobilisent pour défendre leursdroits. Il y a une prise de conscience croissante, etnous sommes pleins d'espoir. Le gouverneur de l'Étatdu Delta a réagi récemment aux pressions exercéespar les sympathisants d'Amnesty et a indiqué qu'ilétudiait l'affaire. Nous progressons.

Ci-dessus : Dessin évoquant la pratique de la torture auNigeria, d'après le récit d'une victime de la torture.À gauche : Tosin est l'une des 80 000 membresd'Amnesty présents dans un pays où il n'y a pas debureau de l'organisation. Parce qu'elle se sent liée à unmouvement mondial, elle a eu l'idée d'organiser pour lapremière fois un événement Écrire pour les droits auNigeria en 2011, et elle fera de même cette année.

Vivez-vous dans un pays où il n'y a pas de bureau d'Amnesty ? Cette vidéo explique comment organiser votre événement Écrire pour les droits en décembre 2014 : http://bit.ly/1wwSxt2

Quelles que soient ses croyances, sa couleur, satribu, sa race ou sa sexualité, chaque personne a ledroit de voir ses droits défendus. Personne ne mérited'être puni injustement.

À Moses, je veux dire : nous tous ressentons tadouleur, et nous la partageons. Nous sommes avectoi à chaque instant – dans ce moment sombre, necraque pas, ne renonce pas. Tu es au cœur de nospensées, au cœur de nos prières. Il y a une lumièreau bout du tunnel, nous la voyons tous, et c'est laseule chose que tu dois voir. Nous avons bon espoird'un dénouement heureux, et nous avons hâte de teretrouver bientôt.

Avec toute l'affection de la famille amnestiennedu monde entier. »

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23LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

JERRYME CORREPHILIPPINES

« JE N'OUBLIERAIJAMAIS LEURS VOIX »

« Ils sont arrivés à moto. Ils ont commencé à se ruersur moi et m'ont obligé à m'allonger face contre terre,raconte Jerryme. Puis ils m'ont roué de coups depied et de coups de poing. Je leur ai demandé qui ilsétaient, s'ils étaient de la police. Si oui, je voulaisqu'ils me disent de quel crime j'étais accusé. Je leurai demandé s'ils avaient un mandat d'arrêt. Mais ilsse sont contentés de répondre que je n'avais pas ledroit de poser de questions. »

Trois ans plus tard, après avoir été condamnépour détention de stupéfiants – une infraction qu'il ditne pas avoir commise –, Jerryme croupit dans unecellule de prison humide et continue de revivre enpensées ces minutes terrifiantes. Les dernièresminutes de liberté de ce chauffeur de 34 ans.

Ce qui est arrivé ensuite à Jerryme, alors que lespoliciers tentaient de lui extorquer des aveux, estcourant dans un pays où la torture est utilisée à trèsgrande échelle et en toute impunité par la police.« Ils m'ont placé un chiffon sur la bouche et ontversé de l'eau dessus. J'avais l'impression de menoyer, je ne pouvais plus respirer. Puis ils m'ontaspergé d'eau jusqu'à ce que je sois complètementtrempé et m'ont administré des déchargesélectriques, encore et encore. »

FAITES ENTENDRE VOTRE VOIXJamais aucun policier n'a été tenu de rendre decomptes pour des actes de torture commis auxPhilippines. Mais il existe une lueur d'espoir, àl'heure où plusieurs milliers d'entre vous fontentendre leur voix. Pas plus tard qu'en juin dernier,après avoir reçu des lettres envoyées par desmembres d'Amnesty International, les autorités ontenfin ouvert une enquête sur les actes de torture

L'histoire de Jerryme Corre est une nouvelle illustration desagissements de la police philippine, qui torture en toute impunité.En braquant les projecteurs sur cette pratique, nous pouvons ymettre un terme.

dont a été victime Alfreda Disbarro, une mèrecélibataire de 32 ans.

« Je n'oublierai jamais leurs voix », confieJerryme. Les souvenirs mettront du temps à s'effacer.Mais la justice a des vertus curatives et pourrait enfinobliger la police à rendre des comptes pour sesagissements. Comme l'a dit Jerryme au policier qui lefrappait : « Vous avez fait le serment de protéger lesgens, les gens comme moi. »

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>>demandez à la Police nationale philippine de menerdans les meilleurs délais une enquête impartiale etapprofondie sur les allégations de torture de Jerrymecorre.

Utilisez la formule d’appel « dear Inspector General/monsieur le directeur de la police » et envoyez votrelettre à l’adresse :Police director Alexander roldanActing Inspector GeneralInternal Affairs ServicePhilippine national Police compoundcamp General crame, Quezon citymetro manilaPhilippines 1100

courriel : [email protected], [email protected],[email protected] en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>>

moses Akatugba avait 16 ans lors de son arrestation. Ila raconté à Amnesty qu'il avait été suspendu et frappépendant plusieurs heures. on lui a tiré une balle dansla main et on lui a arraché les ongles. on l'a alors forcéà signer une déclaration déjà rédigée dans laquelle il« avouait » un vol à main armée. Il a été condamné àmort l'année dernière, alors qu'il était mineur aumoment où il a été arrêté.

écrivez au gouverneur de l'état du delta, emmanuelUduaghan, pour lui demander de commuer la peinecapitale prononcée contre moses et de mener une enquêtecomplète sur les allégations de torture qu'il a formulées.

Utilisez la formule d'appel « His excellency dremmanuel Uduaghan, / monsieur le Gouverneur, »et envoyez votre lettre à :Governor of delta State, office of the Governor,Government House, Asaba, delta State, nigeria

courriel : [email protected]/euduaghanTwitter : @euduaghanAgissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

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hijioke Ugw

u Clem

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24LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

« ON POUVAIT RESSENTIRLE DANGER»Daniel Quintero, un étudiant vénézuélien de 21 ans, n'aurait jamaispu imaginer qu'il serait torturé après avoir participé à unemanifestation contre le gouvernement. Il nous parle de ce qui lui estarrivé et de son état d'esprit actuel.

DANIEL QUINTEROVENEZEULA

« J'ai décidé de descendre dans la rue pour manifesteren février 2014 simplement parce que, dans notrepays, un certain groupe de personnes ne respecte pasla façon de penser des autres.

« Il régnait une atmosphère de guerre – on pouvaitressentir le danger, il y avait trop d'adrénaline. Centagents de sécurité se tenaient devant moi dans la rueavec des boucliers, juste parce que nous pensionsdifféremment.

« J'espérais que la situation se calmerait, mais celan'a pas été le cas. »

En fait, Daniel a été arrêté par des membres de laGarde nationale vénézuélienne. « Ils m'ont donné descoups de pied et des coups de poing au visage et dansles côtes, et des coups de crosse sur le front. »

COUPS ET MENACESAprès lui avoir enlevé ses vêtements, ne lui laissant queses sous-vêtements, ses tortionnaires l'ont menotté etforcé à passer neuf heures plié en deux, les mains surles chevilles. Au moindre mouvement, ils le frappaient.

À un moment donné, le commandant lui a dit qu'ilsallaient le brûler. « Il avait un bidon d'essence, des filsmétalliques et des allumettes. Tous les soldatsformaient un cercle autour de moi pendant qu'ilm'administrait neuf coups de matraque. » Daniel aégalement été menacé de viol.

« On ne pense jamais qu'une telle chose peut nousarriver, que l'humanité peut en arriver là. Ces méthodesarchaïques d'un autre âge – cette douleur physiqueinfligée sans aucune raison – c'est inhumain. Cela nedevrait plus exister aujourd'hui.

UNE NOUVELLE FAÇON DE VOIR LES CHOSES« La torture et les agressions m'ont affecté physiquementmais, spirituellement, elles m'ont donné de la force. Celavous donne plus d'outils pour continuer le combat, sanshaine. Au contraire, cela apporte une nouvelle façon devoir les choses. Si je pouvais dire quelque chose à mestortionnaires, je leur dirais : je vous pardonne.

« Sortir de cette expérience et découvrir que j'ai lesoutien de nombreuses personnes par le biais d'Amnesty,c'est magnifique. Je ne sais pas comment exprimer magratitude, à part dire merci, merci beaucoup. »

Daniel Quintero fait partie des nombreusespersonnes qui auraient été torturées au Venezuela. Lesautorités semblent avoir pris pour cible des personnesqu'elles soupçonnent d'avoir participé aux manifestationsorganisées à travers le pays en février 2014.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>>exhortez le président du venezuela à ordonnerl'ouverture d'une enquête exhaustive et indépendantesur les allégations de torture formulées par daniel, et àtraduire les responsables présumés en justice.

Utilisez la formule d’appel « monsieur le Président » etenvoyez votre lettre à l’adresse :Sr. nicolás maduro moros, President of venezuela, Final Avenida Urdaneta, esq. de bolero, Palacio demiraflores, caracas, distrito capital, venezuela

Twitter : @nicolasmaduroAgissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

Ci-dessus : Les forces de sécurité prennent positiondans les rues, ici dans l’État de Tachira, au Venezuela,à la suite de manifestations favorables et hostiles augouvernement en février 2014.

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arlos Becerra

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ERKIN MOUSSAÏEVOUZBÉKISTAN

25LE FIL [ NOV/DÉC 2014 ]

« MON FILSN'EST PAS UNESPION »

Quelqu'un a décidé que mon fils serait dépossédé deneuf précieuses années de vie. Il est de mon devoirde père de le défendre, alors qu'il est accusé à tort, etde me battre pour la justice.

Ces neuf dernières années, j'ai écritd'innombrables courriers aux autorités. Compte tenudes risques, je ne laisse personne travailler sur cetteaffaire et j'écris moi-même aux autorités. Je suis unvieil homme et je crains pour la sécurité de mesautres enfants et de mes petits-enfants. J'ai passéun an à essayer d'obtenir un rendez-vous avec leprocureur général, mais il a toujours refusé de mevoir.

Nous fondons beaucoup d'espoir sur Écrire pourles droits pour attirer enfin l'attention sur le casd'Erkin. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoirpour obtenir la justice.

MANŒUVRES POLITIQUESEn 2006, Erkin a été arrêté juste avant de prendrel'avion. Il allait au Kirghizistan assister à uneconférence en rapport avec ses fonctions au sein duProgramme des Nations unies pour ledéveloppement. Un dossier contenant desinformations confidentielles avait été placésubrepticement dans ses bagages.

Ensuite, nous n'avons plus su où il était. Nousne savions même pas s'il était en vie. Finalement,10 jours plus tard, nous avons appris qu'il étaitdétenu par le Service de sécurité nationale. Il nousa fallu encore attendre quatre mois avant de pouvoirle voir.

Pendant que nous étions à sa recherche, Erkinsubissait de terribles tortures. Pendant un mois, il aété soumis à des passages à tabac quotidiens et àdes interrogatoires nocturnes. On lui a dit que sa

L'Ouzbékistan est l'un des États les plus autoritaires du monde et il estdangereux d'y exprimer son opinion. Mais, près de neuf ans après que son filsErkin a été accusé d'espionnage puis torturé et placé en détention, AïdjanMoussaïev a jugé que l'heure était venue de raconter leur histoire.

famille l'avait dénoncé. Il a été forcé de signer des« aveux » dans lesquels il reconnaissait être unespion.

Les mots ne peuvent pas exprimer nossentiments lorsque nous avons appris ce qui lui étaitarrivé. C'était de la tristesse, de la colère, del'incompréhension et de la douleur. Mais aussi laferme volonté d'obtenir justice. Peut-être sommes-nous devenus les pions d'une sorte de jeu politique,mais nous ne pouvons rien y faire.

CHANGÉ PAR LA TORTURESes amis et collègues disaient d'Erkin qu'il étaithonnête et droit. Il faisait toujours de son mieux pouraider ses proches, et cela n'a pas changé. Mais, aubout de neuf ans de prison, il ne fait aucun doutequ'il a changé mentalement. La torture et la pressionpsychologique l'ont vieilli et il a besoin de soinsdignes de ce nom. En prison, on lui donne au mieuxde l'aspirine. La plupart du temps, on ne tient pascompte de ses demandes.

Chaque année, nous avons droit à quatre visiteslongues (de deux jours chacune), quatre visitescourtes (de deux heures chacune) et sommesautorisés à lui apporter six colis (de 10 kilos chacun).Erkin adore apprendre et il m'a demandé un jour delui apporter un livre de français pour apprendre lalangue (son anglais est presque irréprochable). Maismême un simple manuel de français lui a valu desennuis en prison. Les dirigeants de la prison – eux-mêmes plus ou moins illettrés – l'ont accuséd'espionnage en le voyant lire des livres étrangers.

Malgré tout, Erkin ne perd pas espoir que lajustice triomphe un jour. Dans une lettre récente, ilnous demandait de mener ce combat jusqu'au bout,quoi qu'il lui arrive, et de laver son honneur.

ÉCRIVEZ UNE LETTRE, CHANGEZ SA VIE >>>écrivez aux autorités ouzbèkes en leur demandant delibérer erkin, au motif que les appels répétés en faveurd'un nouveau procès respectant les règles d'équité sontrestés sans réponse depuis plus de huit ans. réclamezune enquête approfondie sur les allégations selonlesquelles erkin aurait été torturé en détention.

Utilisez la formule d’appel « dear Prosecutor General/monsieur le Procureur » et envoyez votre lettre à l’adresse :Prosecutor General rashidzhon KodirovProsecutor General’s office of Uzbekistanul. Gulyamova 66Tashkent 700047ouzbékistan

Agissez en ligne : www.amnesty.org/writeforrights

STOP TORTUREENSEMBLE, C'EST POSSIBLEdans le monde entier, des milliers de personnesinterviennent pour que daniel, erkin, Jerryme, moses etbien d'autres qui ont connu le même sort obtiennentjustice dans le cadre de notre campagne mondiale StopTorture. rejoignez-nous ! www.amnesty.org/writeforrights

Ci-dessus : Les parents d'Erkin Moussaïev chez eux, enOuzbékistan. Professeur de géologie à la retraite,aujourd'hui âgé de 81 ans, le père d'Erkin a passé neufannées à militer pour la libération de son fils, au méprisdu danger.

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Page 28: Le Fil Novembre/Décembre 2014

« Avec un stylo,on peut changerle monde »

MALALA YOUSAFZAILAURÉATE 2014 DU PRIX NOBEL DE LA PAIX ET DU PRIX AMBASSADEUR DE LA CONSCIENCED'AMNESTY