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L e G o u f f r e d ’ E n f e r ,un nouveau regard sur le paysage de Saint-Etienne
Atelier Pédagogique Régional 2005-2006 Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles Direction Départementale de l’Equipement Loire, Direction Régionale de l’Environnement Rhône-AlpesEmmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé; Claude Chazel le paysagiste DPLG
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4 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
Machupicchu, Pérou, photo tirée d’internetTeotihuacan, Mexique
PRÉAMBULE : PREMIÈRES IMPRESSIONS
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 5
Une cité perdue dans le gourg de l’Enfer
Notre première visite sur le site des ouvrages
du Gouffre d’Enfer en octobre 2005 nous a laissées
une très forte impression. Nous ne savions pas
exactement à quoi nous attendre.
Nous sommes arrivées par le chemin du fond
du Gouffre. Le double alignement d’érables nous a
d’abord intriguées. Puis la sensation du froid et le
vertige des parois abruptes ont continué à nous
plonger dans un suspens grandissant. C’est à la sortie
du tournant, que le coup de théâtre éclate enfin : un
mur gigantesque se dresse devant nous.
La surprise est entière. Il nous semble découvrir
une forteresse, une cité, une civilisation enfouie. Les
escaliers au pied du mur invitent à passer de l’autre
côté du mur pour découvrir ce monde insoupçonné.
Les chemins construits et pavés, les murs
maçonnés, et surtout les autres ouvrages tournés
autour de l’eau renforcent cette impression de cité
perdue au fond d’une vallée très arborée.
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S O M M A I R EIntroductionLa démarche du paysagiste
VIVRE AVEC LA RIVIÈRELES POSSIBLES : AUTOUR DES OUVRAGES DU GOUFFRE D’ENFER, LE FURAN COMME FIL CONDUCTEUR DES PROJETS DE SAINT-ETIENNE
UNE VILLE AU PIED DES MONTAGNES
SAINT-ETIENNE DE FURAN, L’ORIGINALITÉ STÉPHANOISE
UNE EAU PURE DES MONTAGNES QUI ARRIVE À LA VILLE
RETENUES ET CONCEPTION LES OUVRAGES DU GOUFFRE D’ENFER, UN LIEU INSOLITE
RÉVEILLER LES OUVRAGES D’ARTINTENTIONS : ENTRE ART ET TECHNIQUE, DES OUVRAGES QUI EVOLUENT AVEC LEUR TERRITOIRE
ECHELLE DU FURAN, DES SOURCES À L’EMBOUCHURE
ECHELLE DU SITE : UN ENCHAÎNEMENT D’OUVRAGES D’ART DANGEREUX
ECHELLE DES OUVRAGES D’ART : GARDER L’OEIL OUVERT
ARPENTER L’AMONTPROJET : LE HAUT-BASSIN VERSANT DU FURAN, REDECOUVRIR L’EAU DE LA VILLE DANS LA MONTAGNE
UN TERRITOIRE DE GESTION DE L’EAU
LE CHEMIN DE L’AQUEDUC FIL CONDUCTEUR ENTRE LA VILLE ET LES SOURCES
DES CRÊTES AU GOUFFRE
PALPITER DANS LE GOURG
REMONTER AUX SOURCES
SUIVRE LA RIVIÈRE JUSQU’À LA VILLE
ConclusionBibiographieRemerciements
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Compte-rendu des comités de pilotage 124
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8 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
Le transfert de propriété du site du barrage du
Gouffre d’Enfer de la DDE Loire à Saint-Etienne Métropole
et l’étude de classement du site par la DIREN, posent deux
questions principales : le devenir du site, et sa gestion
dans le temps.
Deux intuitions nous sont apparues très rapidement
en commençant ce travail :
Tout d’abord, le barrage semble avoir perdu son
caractère exceptionnel : celui de remplir de manière
indissociable un rôle hydraulique ou technique, et un rôle
culturel ou social. Aménagé par les ingénieurs des Ponts-
et-Chaussées à la moitié du XXème siècle, il était autant
un ouvrage protecteur contre les inondations qu’un lieu
pittoresque (au sens de l’époque, c’est-à-dire d’une mise
en scène qui «montre» le progrès et le territoire par le
langage des émotions).
Aujourd’hui, ces deux rôles sont totalement séparés
dans l’esprit de ceux qui gèrent le site et de ceux qui le
pratiquent.
Ensuite, il nous semble impossible de parler du
barrage sans parler de l’eau du Furan, et de parler de la
rivière sans parler de la ville de Saint-Etienne (puisqu’elle
traverse la ville).
Or la ville est aujourd’hui dans une dynamique
nouvelle et cherche à revaloriser son image, avec
notamment le projet de la cité du Design.
Donc, cette association barrage-eau-ville nous
permet de penser que le barrage et son site pourraient
I N T RODUCT I ON
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 9
être l’occasion de redonner une image positive à la ville
dans son environnement naturel, d’améliorer la qualité
de vie de ses habitants, et d’éventuellement développer
l’attrait touristique de la ville.
Premièrement, les barrages du Furan doivent
retrouver leur caractère exceptionnel : celui de constituer
des ouvrages dont le rôle est à la fois culturel et technique :
culturel, car ils constituent aujourd’hui des ouvrages d’art,
vieux d’un siècle et demi, vus et visités tous les jours
par les Stéphanois, et technique puisqu’ils sont encore
et toujours indispensables à la ville (pour la protéger des
crues, et l’alimenter en eau potable). On comprend que
le site des ouvrages doit assumer une valeur patrimoniale
parce qu’il l’a acquise, et un niveau de sécurité maximum
parce que c’est une obligation. Et deuxièmement, toutes
ces réflexions sur les barrages sont indissociables d’une
réflexion plus générale sur le territoire de l’eau et de la
ville. Comprendre à nouveau la relation de la ville et de sa
montagne, c’est imaginer le danger d’habiter au pied d’un
relief et sur une rivière imprévisible. Les barrages sont
le symbole de la puissance de l’eau et des risques qu’elle
engendre.
Nous considérons la rivière du Furan, à laquelle les
barrages sont associés, comme un véritable fil conducteur
pour les projets de la ville de Saint-Etienne. Ainsi, les
évolutions, nécessaires pour actualiser ces ouvrages d’art,
doivent être pensées dans un projet de territoire. C’est
pourquoi, nous imaginons à long terme une gestion de
l’eau sur l’ensemble du haut-bassin versant du Furan qui
soit associée à des lieux de vie. On redécouvre l’eau de la
ville en pleine montagne à travers le langage émotionnel
du site.
10 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
L A DEMARCHE DU PAYSAG I S T E
L’atelier pédagogique est avant tout un travail qui
développe un certain nombre d’idées ; elles ouvrent le débat
pour un projet à venir. Notre but n’est pas d’apporter un
projet abouti et définitif, mais des réflexions sur lesquelles les
acteurs concernés vont pouvoir débattre pour penser l’avenir
de ce territoire.
En tant que futures paysagistes, il nous semble important
d’expliquer ce que signifie pour nous le paysage. Le paysage est
une épaisseur, formée de strates interdépendantes (géologie,
relief, voirie, bâti, hydraulique, terrassement, boisement…),
et défini par le regard que lui porte un public, une société,
façonné par les acquis culturels d’une époque et propres à
chacun. L’espace et le regard sont les deux composantes
indissociables de la notion de paysage. Par ailleurs, il nous
parait primordial de comprendre chaque lieu dans un territoire
plus vaste, comprendre d’où vient ce lieu, où il va, qui sont
ses voisins, ...
Le paysage exprime alors le sens qui fait le lieu, selon
les trois définitions du mot sens : organisation, signification,
sensibilité lui donnent toute sa dimension.
- l’organisation traduit la composition de ce paysage,
les différentes strates qui se superposent et se rencontrent,
- la signification révèle ce que symbolise ce lieu pour
une société, elle révèle donc aussi le regard du public,
- la sensibilité permet à chacun de lire ce paysage et ce
lieu avec les émotions premières et universelles perçues par
notre corps dans l’espace.
Notre démarche n’est pas de venir ajouter un énième
point de vue mais de croiser les différentes strates du paysage,
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 11
prendre en considération leurs interactions, et les observer à
travers le regard de notre société. Notre démarche consiste
ainsi à révéler au regard contemporain la richesse du territoire
que traduit le paysage.
Le site des barrages du Gouffre d’Enfer est une occasion
passionnante d’appliquer cette démarche sur le paysage.
Le paysage du Gouffre d’Enfer est fabriqué :
- par une série d’ouvrages organisés selon une logique
hydraulique en fond de vallée, avec des parcours qui montrent
les ouvrages et la montagne au public,
- par des formes qui racontent le rapport d’une société
à la nature (confrontation technique et nature, fantasmes du
XIXèmesiècle liés au progrès, et mise en scème de ce progrès
dans la nature),
- avec une esthétique qui s’exprime par le langage des
émotions (surprise, suspens, vertige, etc.).
Il nous est donc paru inévitable de comprendre les
barrages et le site du Gouffre d’Enfer comme une étape sur le
Furan, et de toujours l’inscrire dans son contexte géographique,
historique, sociologique… En terme de démarche, nous
nous sentons proches de celle des ingénieurs des Ponts et
Chaussées du XIXème siècle : comprendre le contexte culturel
et technique de ce site, et surtout comprendre son territoire
afin de pouvoir le réinterpréter avec le regard d’aujourd’hui.
Pour nous, le regard de chaque acteur (technicien, historien,
jogger…) définit en partie le paysage du site.
La perception du site doit être guidée à travers le
regard contemporain du public. Des interprétations et des
représentations nouvelles doivent accompagner la réinvention
du site des barrages. L’image de la cité perdue est un
exemple.
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Vivre avec la rivière
Autour des ouvrages du Gouffre d’Enfer, le Furan comme fil conducteur des projets de Saint-Etienne
Vivre avec la rivière
14 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
Une ville au pied des montagnes
Entrer dans le Massif Central par la faille
Dans le contexte régional, on se trouve dans
un système de vallées Nord /Sud, avec l’Allier, la Loi-
re, le Rhône. L’axe rhodanien jouxte le Massif Central
par un escarpement difficilement franchissable. La
faille du Pilat a ouvert une brèche, et on entre dans le
massif en passant par Saint-Etienne. La ville se situe
au milieu des monts : le massif du Pilat, les monts du
Forez, les monts du Lyonnais.
Cette faille crée un relief abrupt entre la mon-
tagne au Sud et les vallées (Giers et Ondaine). La
faille est soulignée par le réseau hydrographique, qui
rejoint l’Atlantique par la Loire, la Méditerranée par
le Rhône. L’urbanisation est venue s’installée dans
cette direction, le long de l’axe de communication.
Ainsi, la ville se trouve au pied de la montagne.
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 15
On passe par Saint-Etienne pour entrer dans le Massif Central
Vivre avec la rivière
16 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
Une ville au pied des montagnes
Maintenir le rapport frontal ville/montagne
Depuis la colline de Montaud, on peut voir le
rapport frontal entre la ville et la montagne : au ni-
veau des vallées du Furan et du Furet, l’urbanisation
de Saint- Etienne vient se caler sur le dos de Roche-
taillée.
Le Parc Naturel Régional du Pilat a limité l’ur-
banisation des pentes depuis les années soixante dix.
Cette rupture contribue à accentuer l’impression de
seuil quand on passe de l’espace urbain à l’espace
montagnard. L’autoroute vient marquer cette limite
de façon claire : on sort de la ville par le cours Fau-
riel, et en passant sous l’autoroute, qui crée un effet
de porte, on emprunte alors une route sinueuse de
montagne qui nous mène vers Rochetaillée.
Dans ce contexte de ville/montagne bien sé-
parées, le site du Gouffre d’Enfer se trouve à proxi-
mité immédiate de la ville, à 6 km environ.
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 17
Une limite nette est lisible entre la ville et la montagne
Dos de Rochetaillée
Vivre avec la rivière
18 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
Une ville au pied des montagnes
S’appuyer sur une géographie complexe
Il parait assez regrettable que Saint-Etienne
ait oublié sa géographie car celle-ci est exception-
nelle. Or on sait, avec les exemples connus des vil-
les de San Francisco et même de Grenoble , que la
géographie peut être un excellent moyen de valoriser
une ville.
Saint-Etienne est d’abord une ville de piémont,
puisqu’elle se trouve au pied de la faille du Pilat.
C’est ensuite une ville de col car elle se trouve
presque sur la ligne de partage des eaux entre Atlan-
tique et Méditerranée.
Enfin, c’est une ville logée dans la dépression
de sa rivière.
La ligne de partage des eaux passe sur les hauteurs orientales de Saint-Etienne
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 19
Vivre avec la rivière
20 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
Une ville au pied des montagnes
Se tourner vers le Pilat, périphérie magique de Saint-Etienne
Beaucoup de villes ont une périphérie urbani-
sée peu attractive. Saint-Étienne a la chance d’avoir
comme périphérie immédiate le massif du Pilat qui
offre des paysages variés et préservés facilement ac-
cessibles depuis la ville:
-Des vallées encaissées et boisées, offrant des
perspectives sur le lointain. C’est le cas de la vallée
du Furan, dans laquelle viennent s’insérer les ouvra-
ges du Gouffre d’Enfer : lieu particulier qui permet
d’entrer dans les hauteurs du Pilat.
-Au dessus s’étendent des plateaux pâturés
comme celui de la Barbanche.
-Puis au col de Chaubouret s’ouvre une large
vue sur la vallée du Rhône : «le portail des fleuves».
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 21
Le massif du Pilat culmine à 1429m , Saint-Etienne est installée au pied, vers 500m d’altitude.SudNord
Col de Chaubouret
Plateau de la Barbanche
Vallée du Furan
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1760
1960
1900
Plan topographique IGN, issu de «Cartes et plans de Saint-Etienne»
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 23
Vivre avec la rivière
Souligner une urbanisation Nord/Sud
Il n’est pas seulement regrettable, mais aussi
assez curieux que Saint-Etienne ait oublié sa géogra-
phie et sa rivière, puisque la ville montre une origi-
nalité unique dans la continuité urbaine des vallées
Est/Ouest du Giers et de l’Ondaine. Au tournant du
XIXème siècle, le développement et les extensions ur-
baines montrent que la ville se détache de cet axe
Est/Ouest pour suivre l’axe Nord/Sud du Furan. Il en
résulte que la ville est installée sur les alluvions de
sa rivière, et s’est dotée d’un Plan de Prévention des
Risques d’Inondations (PPRI) pour gérer son urbani-
sation en conséquence.
Donner la montagne au regard de la ville
Les villes de la vallée du Giers et de l’Ondaine
se sont développées dans l’axe de leur rivière et de
la faille du Pilat. Saint-Etienne a elle aussi suivie la
direction de sa rivière et s’est donc installée frontale-
ment au Pilat. La ville a alors l’originalité de regarder
la montagne.
Le grand axe La Terrasse-Bellevue qui struc-
ture et compose Saint-Etienne donne la direction du
Furan et s’oriente face au Pilat, il offre la perspec-
tive du massif au Sud et des coteaux du Lyonnais au
Nord.
Saint Etienne de Furan, l’originalité sté-phanoise
Vivre avec la rivière
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Retrouver la continuité du Furan
Dans le massif du Pilat, l’eau est pure et court
dans la pente, alors qu’elle s’engouffre dans un tun-
nel à l’entrée de Saint-Étienne pour servir d’égout.
Elle ressort, puante à la Terrasse et sera traitée avant
d’être rejetée dans la Loire. L’eau est donc visible
dans la montagne alors qu’elle disparaît dans la ville.
Seuls les travaux du tramway ont permis de l’aperce-
voir quelques temps, faisant alors attraction.
Dans l’esprit des stéphanois, on retrouve cette
rupture entre l’eau de la montagne et celle de la vil-
le, on ne considère pas qu’elles appartiennent à une
seule et même rivière, le Furan.
L’eau du Furan a creusé des vallées profondes
et sinueuses dans le Pilat. C’est le cas au Gouffre
d’Enfer où l’on peut apprécier les escarpements ro-
cheux qui nous parlent de la fureur de cette rivière
torrentielle (autrefois gourg d’enfer). La ville s’est
installée sur les alluvions de la rivière, elle la nie et
oublie qu’autrefois elle portait son nom : Furania.
Boiser la vallée pour protéger l’eau
On remarque une tendance à la fermeture du paysage par les boisements. Depuis 150 ans, la ville de Saint-Étienne rachète les parcelles dans le but de protéger la qualité de l’eau du Furan : les plantations forestières témoignent de cette politique.
Une eau pure des montagnes qui arrive à la ville
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 25
Le Furan montagnard en cascade Le Furan, ancien égout de la ville
Les rives boisées au Pas du Riot, Oct 2005
Les rives pâturées au Pas du Riot, début du XXème
Les travaux donnent à voir le Furan place du Peuple, Oct 2005
26 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
Grand Croix
Monts du Lyonnais
Saint Chamond
Saint-Etienne
La Ricamarie
Mont du Pilat
Gouffre d’Enfer
Pas du Riot
Chaque ville au pied du Pilat a son barrage
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 27
Vivre avec la rivière
Retenues et conception
Qualifier une région de barrages
La région concentre un grand nombre de bar-
rages, et ceci est dû en partie à l’absence de nappe
phréatique dans le massif granitique. Il y a deux sys-
tèmes de gestion de l’eau : dans le Pilat, pratique-
ment chaque rivière encaissée a son barrage, pour
alimenter ou protéger de façon collective les villes en
aval. Dans les monts du Lyonnais, les agriculteurs ont
installé des retenues d’eau en série dans les fonds de
vallons afin d’alimenter les arbres fruitiers. Ils gèrent
l’eau de façon plus individuelle.
Le site se trouve à la croisée de ces deux sys-
tèmes : en amont, les barrages du Pas du Riot et du
Gouffre d’Enfer retiennent l’eau pour alimenter Saint
Etienne en eau potable, et pour la protéger des crues.
En aval, les retenues des usiniers procédaient à une
gestion de l’eau successive, échelonnée le long de la
pente, ce qui a contribué à créer un lien maîtrisé en-
tre les barrages et la ville. Aujourd’hui, les retenues
en aval ont été remblayées et on n’en perçoit plus
que des traces.Les biefs des usiniers en 1767
Plan de la ville de Saint-Etienne en 1767, cartes et Plans, Publications de l’université de St-Etienne
28 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
Dessins des ingénieurs des Ponts et Chaussées, tiré de L’ingénieur artiste, Antoine PiconPont de Céret, XIVème
Pont de Briançon, 1734
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 29
Vivre avec la rivière
Considérer les principes de conception
Les barrages de Saint-Eienne sont particu-
liers, dans la mesure où les ingénieurs De Graëff et
Grandchamps ont exprimé deux principes lors de leur
conception en 1860 : une confrontation lisible en-
tre technique et nature, à l’époque où l’on fait dé-
monstration de telles prouesses et une considération
précise du territoire dans lequel viennent s’inscrire
les ouvrages. Ici les barrages prennent appui sur les
verrous rocheux du fond de vallée.
Montrer une prouesse technique
A l’époque où ont été construit les barrages,
la volonté était de montrer la prouesse technique.
Le barrage du Gouffre d’Enfer, construit en 1866 est
le premier barrage poids d’Europe, il est contempo-
rain de l’exposition universelle de 1867 qui montrent
les nouveautés de l’époque et notamment les Buttes
Chaumont.
C’est l’époque aussi où l’on montre le contexte
dans lequel vient s’insérer le bel ouvrage. Au Gouffre
d’Enfer, le barrage s’insère d’un côté dans le versant
de Planfoy et de l’autre dans le piton rocheux de la
Flèche.
L’escalier qui permet de gravir le barrage épouse aus-
si ce relief abrupt.
Retenues et conception
Le barrage du Gouffre d’Enfer prend appui sur les verrous rocheux de la vallée
30 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
Le promeneur, F.Friedrich, tiré de L’homme dans le paysage, Alain Corbin
Sur le mur du barrage, carte postale début XXe siècle
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Vivre avec la rivière
Influence du courant pittoresque
L’intégration de l’ouvrage dans la roche s’ins-
crit parfaitement dans le mouvement pittoresque
des aménagements de ce milieu du XIXème siècle.
Comme nous l’avons souligné en introduction, le rôle
affecté au barrage n’a pas été uniquement techni-
que, mais également culturel. On ne montre pas seu-
lement une prouesse technique, on la met en scène,
par différents procédés.
Une citation permet de définir rapidement le
mouvement pittoresque : «le paysage n’est pas un
spectacle que l’on regarde de la terrasse d’un châ-
teau, c’est un territoire dans lequel on pénètre et
qu’on découvre en y marchant au fil d’une prome-
nade qui le déroule au regard comme un infini pano-
ramique».
Tout d’abord, comme le symbolise parfaite-
ment la peinture de Friedrich, un nouveau regard sur
la nature, l’environnement, les horizons, apparaît. Le
barrage permet de se tourner vers la montagne qui
jusqu’ici représentait un milieu hostile, et d’y porter
un nouveau regard.
Retenues et conception
32 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
Lac et cascade font partie du registre pittoresque de l’époque pour mettre en scène le paysage de montagne, cartes postales du début du XXe siècle
Vue sur Rochetaillée depuis la Flèche
La promenade des dames
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Vivre avec la rivière
Retenues et conception
On crée ainsi des points de vue, comme celui
au sommet du piton rocheux nommé « la Flèche ».
On favorise ensuite la découverte du site par
le parcours et on ménage des effets de surprise,
comme le permet très facilement le chemin tortueux
suivant la vallée.
On cherche également à animer le paysage
comme avec la grande cascade. On ne veut pas mon-
trer un paysage figé.
On favorise les plans d’eau, avec notamment
l’ancien Lac du Gouffre d’Enfer.
Et pour finir, on crée des évènements par les
fabriques et les essences exotiques (séquoias). Les
fabriques sont des éléments architecturés qui ponc-
tuent la promenade. Sur le site du Gouffre d’Enfer, ils
servent à la gestion de l’eau.
Promenades plantées
On reconnaît également l’inspiration des pro-
menades plantées sur les boulevards urbains de cette
époque, notamment le Cour Fauriel à Saint-Etienne.
On plante des alignements d’arbres, utilisés le plus
souvent en milieu urbain (érables sycomores, tilleuls),
au fond d’une vallée montagnarde. Cela crée un dé-
calage que nous avons trouvé intriguant et harmo-
nieux.
Le cours Fauriel, promenade urbaine
34 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
Parc des Buttes ChaumontGravure extraite des Promenades de Paris, J.Ch. Alphand, 1873
Tiré de Les parcs et jardins dans l’urba-nisme parisien XIXe et XXe siècles
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 35
Vivre avec la rivière
Amener la ville dans la montagne
On peut faire une dernière comparaison entre
le site des ouvrages du Gouffre d’Enfer et le parc
des Buttes-Chaumont à Paris, construit au cours des
mêmes années, et symbolisant le mouvement pitto-
resque dont nous avons parlé précédemment. Dans
les deux cas, on établit un rapport entre ville et mon-
tagne, on crée un paysage extraordinaire avec des
paysages ordinaires, on cherche à montrer la techni-
que en se servant du pittoresque.
Par contre, ces deux sites utilisent cette dé-
marche dans des sens contraires : pour le parc des
Buttes-Chaumont, on crée de manière artificielle un
paysage de montagne en pleine ville ; pour le site
du Gouffre d’Enfer, on amène les urbains en pleine
montagne.
Retenues et conception
36 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
Le site des ouvrages d’art hydrauliques forme un lieu insolite en pleine montagne
Le caractère aménagé contraste avec une vallée abrupte et montagnarde
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 37
Vivre avec la rivière
Découvrir un décalage harmonieux
A la sortie de Saint-Etienne, on pénètre dans le
Pilat par un parcours en baïonnette qui fait que le site
des barrages n’est pas donné d’emblée. Lorsqu’on y
parvient, on découvre qu’il a la particularité d’offrir
des qualités urbaines en plein milieu montagnard, ce
qui en fait un lieu insolite: il apparaît comme un mor-
ceau de ville dans la vallée rocheuse et encaissée. On
est guidé par des chemins à niveau, sur l’aqueduc ou
le long de la fausse rivière. Des arbres d’alignement,
érables sycomores, viennent souligner les parcours.
Ouvrages et promenades datent du XIXe siè-
cle et sont amenés à subir des travaux de mise aux
normes, ainsi que l’abattage des arbres les plus abî-
més. D’autres petits ouvrages maçonnés qui servent
à la gestion de l’eau viennent ponctuer le parcours
jusqu’à Saint-Etienne.
Les ouvrages du Gouffre d’Enfer: un lieu insolite
38 APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006
Saint-Etienne
Premières intentions de projet à trois échelles de territoire
T RANS I T I ON
APR Gouffre d’Enfer Emmanuelle Carrette, Sophie Gérin, Anna Thomé - encadrant: Claude Chazelle ENSP Versailles 2005-2006 39
Travailler à trois échelles
Les barrages du Furan sont liés à une rivière qui parcourt un territoire. Agir sur les ouvrages revient donc à agir sur la rivière et sur ce territoire. C’est pourquoi les réflexions sur chaque ouvrage doivent être considérées à plusieurs échelles, en rapport avec la rivière, la ville voisine, les autres ouvrages. Nous avons retenu trois échelles de territoire, l’échelle du Furan, l’échelle du site des barrages, et pour finir l’échelle de chaque ouvrage. La première partie de ce travail nous a permis de mieux comprendre le rôle paysager des barrages dans la vallée du Furan, des sources jusqu’à l’embouchure en passant par Saint-Etienne. Nos premières intentions en résultent. Le site des barrages pourrait être un lieu de prestige pour la ville de Saint-Étienne, et retrouver ainsi son rôle culturel. D’autre part, c’est un site qui protège la ville des crues, et il nous semble important d’appuyer à nouveau ce rôle fonctionnel dans la conscience collective.
Le site des barrages propose un aménagement urbain dans un site montagnard : ce caractère insolite repose sur un équilibre subtil qu’il est important de cultiver. Enfin, le lien entre les barrages, l’eau et la ville, n’est plus évident aujourd’hui. Pour comprendre à nouveau ce lien, il nous semblerait intéressant de retrouver une lecture du Furan dans la ville.
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