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- 1 - Le GRAND FLEUVE par Lambert Savigneux

Le grand fleuve

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un recueil poétique qui tisse écriture et lignes de dessin sur kraft

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Le GRAND FLEUVE par Lambert Savigneux

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Lambert Savigneux

Le grand fleuve

Précédé de

Frontière de l’estime

par Nathalie Riéra

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Frontière de l’estime par Nathalie Riéra

La poésie attire toujours plus l’inimitié que l’unanimité. Mais le plus déplorable encore est cette marchandisation pathétique et insultante qui fait passer pour poésie ce qui n’en est pas, et nous la fait admirer comme objet poétique insolite. Reste que l’engagement du poète n’est pas à mener à renforts d’éclats médiatiques : la dissidence n’est pas autre part que sur le papier.

Poésie de l’estime, Lambert Savigneux ne cesse de le prouver, mais poésie du désaccord aussi. Car chez lui demeure l’essentialité de la rupture pour ne pas s’empiéger dans des tiraillements inféconds. Son souci : partager le charivari de l’homme du Grand Fleuve.

Que ses lecteurs puissent voir en sa poésie sans frontière comme une offrande.

Dans Le Grand Fleuve, le cœur du poète est une terre de voyelles et de consonnes bousculées. Inlassable terre de nerfs où le bleu trop clément et le clair trop raisonnable ne s’interpellent pas, refusent la noce, afin de combler le désir du poète, et qui est : que la terre soit chant.

Chant libre d’une voix qui se consume de sa plénitude et de sa détonation jamais interrompue.

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Des éclairs de vert et de vermeil dans la mélopée pour au mieux dire l’homme : ses utopies quand elles lui sont bienveillantes, ses rages quand elles sont de le porter vers ce qu’il a en lui de plus effondré et de plus éminent, et ses empathies les plus fraternelles.

… que la terre soit chant, ainsi que les feuilles le sont des arbres, de leurs corps noués, de leurs ombres et leurs effluves qui mendient un peu de ces miettes de lueurs : des éclaircies qui font le tremblement.

JE de terre, de poussière, d’échauffement, JE prurit : JEUX du poète Lambert Savigneux. La poésie est son jeu le plus profond, le plus ludique, et le plus proche de ce qui est enfoui sous la roche, le plus pudique de ce qui palpite sous les paupières, et de ce qui peine à se dire et qui se dit avec entrain et regain, et que le lecteur récolte comme on recueille l’écume ou ramasse un fruit rouge. JE amoureux. JE aux altitudes orageuses. JE aux envolées qui n’ont rien de lyriques, aux sueurs de fleurs et de fièvres seulement. Rien d’extatique non plus. Seulement des brouilleries de tempos et d’aubades sauvages, et qui résonnent comme les fissures d’un peuple arraché à sa patrie, à la « Reine Terre » victime des pires morcellements.

L’homme du Grand Fleuve s’anime dès les premiers mots du poème en transit, avec son délire de voyelles et de consonnes.

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Tous ces soubresauts de lettres pour au mieux dire l’homme et la terre, c’est toujours pour le poète une manière de garder le lien, mais c’est surtout l’occasion pour lui de s’arranger avec lui-même, et au lecteur de lire entre les branches des arbres ces bouffées d’air qui allègent les ombres. Par moment, trouver que nos matins n’ont rien perdu de la transparence de l’eau, de son ouverture et de son désordre liquide exposés aux vents du jour, lui évitant toute emphase, toute immobilité, ou toute oxydation.

Dans les jours et les nuits de Lambert Savigneux, il y a une poésie comme un battement d’effluves et de fleuve qui nous soulève, une éphémère déflagration de bonheur. Et si ce n’est pas le bonheur, du moins en pressentir l’inclination ou la légitime attirance. Bonheur qui ne provient nullement du confort, mais procuré par ce qui ne peut être que fragile et transitoire.

Disons alors, à la manière d’un Philippe Jaccottet : plutôt une « sorte de bonheur ».

Ou les déraisonnables euphonies d’un poète.

Nathalie Riera - Le 8 avril 2008

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Le grand fleuve

« Ma propre obscurité nourrit des dessins à l'ocre de peau, à la blancheur de l'esprit dans la fermeture pesante de la roche qui m'habite, m'encercle et me laisse libre, par inadvertance. La terre a un chant qui m'interroge et me replace au cœur du mystère »

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Souffle de l'œil

la respiration au rythme de l'air

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souffle

la peau le sang

sourire aimant

sédimentation rend l’accord

enferme les paupières

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replier un genou

s’aspire

se déplie

s'évade

circule

libre à corps

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JE

me retrouve fier du grand fleuve

la terre sur l'air accroche à la peau

jE la bête indomptée sauvage hurlante

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moi l'homme du grand fleuve

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bat

mon cœur

tangue

mon sang

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les strates pierre à pierre ma langue rive à mon exil

la fourmilière ronge à la tâche et nomade la terre de partout et d'ailleurs

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liberté d'être sans autre frontière

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que tu même

puisque mon peuple le beau souffle d'une flute

puisque je

la parole forte du sang bat aux tempes

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mes frères

peuplier en lance

aigrette

air fier en bec

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parce que rien qui entaille ferme

LA TERRE

trachée de ce qui coule ni arrêté ni encagé

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puisque que ma tête est dans le bleu

que mon corps noue comme un arbre

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JE le roc irrigué de mon eau

parce que poussent les fouletitudes d'être gigues de vie que je ne cesse d'être

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parce que non la peur, parce que non la laideur et le confort inutile

parce que JE

par ce que poisson dans les flots du grand fleuve

le long de l'eau en ramage les rives talus en ramure.

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L’empoignade

(à jean Capdeville)

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Il y avait la danse au feu du chant les deux mots tronc

peintre si simple

si libre si plein

libre

car fidèle à son étranglement

et qu'il creuse, creuse

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et la force, l'accent de la terre l'empoignade des roches la giclée l'entaille le sang raille le son sourd la résonance il s'en tient à ripaille saillant refus de renoncer

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semonce

s’instille sang

hématite fer au rouille en bâton qui tape la terre au corps se sait

noueux cordier cade coude soude

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et rompt en avant

de là rebrousse et tonne s'élance

en flèche deux pieds rieurs

tiennent à cet aimant

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quand je m'endoute

ma déroute route broutent les uns brament là ni vérité les autres tannent mon cuir à tordre

leçon comme pique

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les rencontres Machanes viennent bousculer mon sang

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Il

qui se souvient et immobilité soudaine sous Terre Reine

et tu

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le chant magnétise de a en b en r en h en t en haut plané pour chant circonvole et plane se repère la tête au nombril le dit le chant

les pieds au corps se défroque l'art souille du roc à l'arbre griffent les feuilles à l'étoile

large

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le chant danse se tait se sait

qui tranquillisé d'être

merci Grand Jean merci la chaleur du geste merci la mort amusée en encre vite zébrée vibrée en_esse

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ne jamais plus sans cesse de parler

en étoile en branche en neige en roc en fil en lin en joie

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siempre s'encre homme art homme tambour homme plume homme chant

orteil grasseux et poils Tibia verrouillée en peau

rasseux

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mes montagnes à rives dansent au saut bélier âtre de mon chant

Temps

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Ris ban belle

(à louve en guise de suite)

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Ris ban belle

essaime de froid ta hutte de paille en rime de feu même argile m'aime ton corps

craquelé

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sème la poussière d'ambre fille au désert ma serine ma voix belle sirène de fil en fil mon goût cerise

iris

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tu ris ma belle la pluie te brille les yeux bille et doux s'entortille le rêve

et casse

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la magie au corps souple vase et large en crin le dos bas

mon vert s'empoussière les carreaux de ta grève

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ma peau en dessous s'ébroue le rose s'effrite et je tousse je shoote toi qui me venin qui m'ardente en mouvement en avant en écharpe en devant

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pierraille sable crabe je m'écartèle en j'avancement je recule je m'enterre en ventelle je me relève en bourrasque je réitère je tournoie aux cimes du grain je dort sable d'argent eau qui ruisselle

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eau

ma bave filandreuse eau cille

et je dune de ride en dune la soif aux talons les côtes en archer et je tire les pans de ma rame j'arme le bras en pagaie rive en appui

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et j'efface j'oblitère je me terre à taire à terre à mousse

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eaux

je bois je te vois j'irradie je me relève ivre

os

limon m'aime à la vague flotte

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lion

je m'appuis à l'âge ra m age à l'envie

dos o rivage

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HoMMage

(Manciet in mémoriam)

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Le vent d'est en ouest se frotte aux vagues

hOmme Mage l'œil en sourire oblique roches éruptées en sang l'affirmation singulière

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le grand vent de langue insuffle l'opposition défie l'encravaté im-monde

il répond en braille

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le sel la ligne océane marée mauve les fleurs de lichen les pierres roulent aux rousses douces

ici la mélodie foudroie au chant elle tournoie et mire en rond

et danse

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s’emboîtent les deux barrières montagne et mer à grande plaine osseuse Les mots couleurs au temps qui braille

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sifflement câlin le schisme en désaccord rugueux l'accent surgit en taille et raille le parler l’arrière irrigue un fond ancien creuse une ripaille

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balafre genêts de gouaille faille où roucoule le grand fleuve Outre vagues la langue se retrouve en tempête

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car ici et là le pays se retrouve comme en ses sources fausse rage et talus des crocs la rive se fend en air le charme hôte de l'âge s'entrefend le mot

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aurore

je me réjouis je me rejoins

mon dense ailleurs

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Caillasse aux pieds de bois

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caillasse au pied de bois

feuilleté d'écorces les trachées ocre s'anglent superposées en taillis des rocs

pierres sèches les anfractuosités vides et la poussière qui s'en mêle fine

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le pollen pigmente les vents cyans essaime aux grains des troncs

migrations des éléments nervures réfractaires

éblouissement sournois

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le bois morcelé réouvre la poussée

se creuse des vies aux ombres

ténèbres fastes du pourrissement

pérégrinations de ce qui se devine en larves

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tailles des feuilles brunes les filaments se pendent aux verticalités souples filandreuse atomisation en blancs entassés comme une ville grouillante

d'Afrique

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molles les mousses s'humectent des verts à jamais les mêmes variation à l'infini de la tendresse et la conquête

Taj Mahal

creux dormance recreux éruptif et rupture des lichens en rang de branchages lunaires

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épinèdes

arrachement brusque à la fécondité écrasé en mares infimes de sang accrochage virulent des règnes

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parterre d'aiguilles tapis comme une prière muette une fois à terre rives cimes en déroute stratifiées un passage pour l'éternité s'apprête à se dissoudre en humus

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défécations des chèvres au stries du chemin

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Flûte peule

(sur un solo d'Ali Wagué)

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Framboise dans les brisées de l'air

cramoisi d'embrun où perce le bleu

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fine pluie en gouttelettes épiques

l'air se gonfle et s'éructe

la mélopée triste s'insinue au vertige du vivant

obstination dérisoire

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des troncs en creux s'échappe les libations

libres

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l'arbre chant se convulse

les parallèles

épousés

disloqués

effort forcené de phalènes

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hors de contexte inexplicablement

file de nerfs boisés le long de ces graviers

grave

en souffle asséché

livré à la gronde douce

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je croise

j'écrase

fourmis pattes à pattes

se déplient en caravane

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le ruban de Lune

petite pépite criarde

l’oiseau

m'interjecte

le tronc

l'aiguille

le sol

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à l'intersection

anguleux

le vert le dispute au rugueux

l'appel impitoyable de la faim

boire au filet d'eau

sous la touffe émergence

du gouffre

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le soleil s'apitoie et aboie se dispute aux étoiles

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au noir féroce

jaune strident la mélopée d'argent inlassable en roulade circonflexes

tue

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une fois frappée en aigu surpris endigué jaune d'un son jamais interrompu ces pointes encrassées duel dressé aux béances vives

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bleu jasé par l'île versante.

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Table

Frontière de l’estime, Préface de Nathalie Riéra page 4

Le grand fleuve page 7

L’empoignade (à Jean Capdeville) page 28

Ris ban belle (à Louve en guise de suite) page 47

HoMMage (Manciet in mémoriam) page 62

Caillasses aux pieds de bois page 73

Flute peule ( sur un solo d’Ali Wagué) page 84

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