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OURNAL J Théâtre National de Strasbourg JANVIER-FÉVRIER 2012 / n°12 « Ce besoin vital de soulèvement » Suite de l'entretien avec Pierre Meunier, metteur en scène de Du fond des gorges > page 2 Observer Spectacle de Bruno Meyssat > page 2 Soleil couchant de Isaac Babel Mise en scène de Irène Bonnaud > page 3 • Le pain et le vin Friedrich Hölderlin (extrait) • Nouvelle édition du TNS Klaus Michael Grüber > Stammtisch « Ce besoin vital de soulèvement » Du fond des gorges © Jean Pierre Estournet Caroline Pichut Quel a été votre point de départ ? Pierre Meunier – J'ai le sentiment que le langage s'appauvrit, qu'il est maltraité, que nous limitons son usage à un rôle pure- ment informatif – à l'image caricaturale des bandeaux défilant en continu au bas des journaux télévisés –, qu'il en devient inof- fensif, et, plus grave à mes yeux, que notre propre exigence faiblit à son endroit. Nous apprenons à nous contenter de bien peu, en renonçant à sa puissance évocatrice, poé- tique, résonnante. « Les mots sont faits pour être soulevants, car nous avons besoin d'être soulevés », écrit Marcel Moreau. Ce besoin vital de soulèvement, je l'éprouve chaque jour face aux forces conjuguées du nivellement de la pensée et de la négation de la complexité de l'existence. Pourquoi acceptons-nous cette saignée du langage sans réagir davantage ? C'est peut-être que l'engagement du corps que cela demande nous apparaît de plus en plus déplacé, incorrect, dérangeant. On supporte un remuement du bout des lèvres, mais sur- tout que rien ne bouge, ni ventre ni souffle ! C.P. On voit sur le plateau quatre hommes [les trois comédiens sont accompagnés du régisseur Freddy Kunze] aux prises avec un océan de chambres à air. Peut-on dire que le souffle est au centre de ce travail, plus encore que le langage lui-même ? P.M. – Nous avons été fortement marqués dans nos lectures par la croyance des Dogons, pour lesquels l'homme, artisan de sa propre parole, en forge la matière à l'intérieur de son corps. Les Dogons associent intimement le cœur au foyer de la forge, le foie à l'enclume, le gros intestin au marteau, les poumons au soufflet, le larynx à la tuyère du soufflet, la luette à la pince... C'est dire l'énergie à mettre en jeu pour faire naître de la parole. Et le degré de température nécessaire ! Cette dimension organique et concrète s'est retrouvée en effet au centre du travail. Nous avons été plus inspirés par ce que requiert le langage en termes d'énergie et de mobilisation pneumatique, que par le jeu avec les mots eux-mêmes. Ce qui se joue dans Du fond des gorges est la pneumatisation de l'être requise pour accéder à la parole. Il s'agit d'un marathon théâtral et respiratoire inspiré d'une histoire vraie. Celle d'une espèce parlante, vociférante ou taciturne, et de son désir jamais éteint de dire. C.P. – Il y a une dimension plastique très forte dans la présence toujours changeante de ces chambres à air que le quatrième homme ne cesse de réarranger comme autant de paysages différents. P.M. – Tenter de considérer, d'éprouver le langage comme une matière vive m'intéresse fortement. Parce que lorsque la parole « parle », quelque chose en nous apparaît, se déploie, se met à battre. Une sculpture agissante. Dans un premier temps, nous avions envahi le plateau de pneus. Ils nous sont vite apparus trop lourds, trop inertes, et freinant nos envies de plongeons par leur dureté. Des chambres à air les ont peu à peu remplacés. > Suite page 2 DU FOND DES GORGES Du 31 janvier au 24 février 2012 > Séances spéciales • Surtitrage français Vendredi 17 février • Surtitrage allemand Samedi 18 février Projet de Pierre Meunier • Fabrication collective > Coproduction du TNS Du mardi au samedi à 20h, dimanches 12 et 19 février à 16h Relâche les lundis et dimanche 5 février Salle Gignoux Avec Pierre-Yves Chapalain, François Chattot, Pierre Meunier BORD DE PLATEAU THÉÂTRE EN PENSÉES ATELIER DE CRITIQUE THÉÂTRALE à l’issue de la représentation Samedi 18 février Rencontre avec Pierre Meunier animée par Emmanuelle Ebel Samedi 18 février à 16h TNS, salle Gignoux En partenariat avec l’Université de Strasbourg Lundi 20 février à 18h30 Librairie Quai des Brumes Animé par Barbara Engelhardt, journaliste Inscription obligatoire : [email protected] 03 88 24 88 47 Pierre Meunier qui a présenté au TNS en 2009 et 2010 Au milieu du désordre puis SexAmor, revient cette saison avec sa nouvelle création. Cette fois, ce sont les mots qu'il questionne. Tous les jours, nous parlons. Nous « produisons » des sons, du sens, de l'information. Mais que sont les mots ? Sommes-nous prisonniers d'eux ou sont-ils au contraire notre (peut-être dernier) espace de liberté ? Trois hommes sur le plateau. « Trois, comme le trio clownesque du discoureur savant, du bégayant gaffeur et du logicien embourbé dans sa spirale », dit Pierre Meunier. À ses côtés, François Chattot, le Hamlet de Matthias Langhoff et Pierre-Yves Chapalain, le narrateur du Pinocchio de Joël Pommerat, l'accompagnent dans cette quête poétique et jubilatoire. « Deux soldats. Deux solitudes. » par Jacques Osinski metteur en scène de Woyzeck et Dehors devant la porte > page 3

Le Journal du TNS #12 / Jan-Fév 2012

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Journal du Théâtre national de Strasbourg. Actualités, spectacles à l'affiche, etc des mois de janvier et février 2012

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Page 1: Le Journal du TNS #12 / Jan-Fév 2012

OURNALJ Théâtre National de StrasbourgJanvier-Février 2012 / n°12

« Ce besoin vital de soulèvement »Suite de l'entretien avec Pierre Meunier, metteur en scène de Du fond des gorges

> page 2

ObserverSpectacle de

Bruno Meyssat> page 2

Soleil couchantde Isaac Babel

Mise en scène de Irène Bonnaud

> page 3

• Le pain et le vinFriedrich Hölderlin (extrait)

• Nouvelle édition du TNSKlaus Michael Grüber

> Stammtisch

« Ce besoin vital de soulèvement »

Du fond des gorges

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Caroline Pichut – Quel a été votre point de départ ?Pierre Meunier – J'ai le sentiment que le langage s'appauvrit, qu'il est maltraité, que nous limitons son usage à un rôle pure-ment informatif – à l'image caricaturale des bandeaux défilant en continu au bas des journaux télévisés –, qu'il en devient inof-fensif, et, plus grave à mes yeux, que notre propre exigence faiblit à son endroit. Nous apprenons à nous contenter de bien peu, en renonçant à sa puissance évocatrice, poé-tique, résonnante.« Les mots sont faits pour être soulevants, car nous avons besoin d'être soulevés  », écrit Marcel Moreau. Ce besoin vital de soulèvement, je l'éprouve chaque jour face aux forces conjuguées du nivellement de la pensée et de la négation de la complexité de l'existence. Pourquoi acceptons-nous cette saignée du langage sans réagir davantage  ? C'est peut-être que l'engagement du corps que

cela demande nous apparaît de plus en plus déplacé, incorrect, dérangeant. On supporte un remuement du bout des lèvres, mais sur-tout que rien ne bouge, ni ventre ni souffle !

C.P. – On voit sur le plateau quatre hommes [les trois comédiens sont accompagnés du régisseur Freddy Kunze] aux prises avec un océan de chambres à air. Peut-on dire que le souffle est au centre de ce travail, plus encore que le langage lui-même ?P.M. – Nous avons été fortement marqués dans nos lectures par la croyance des Dogons, pour lesquels l'homme, artisan de sa propre parole, en forge la matière à l'intérieur de son corps. Les Dogons associent intimement le cœur au foyer de la forge, le foie à l'enclume, le gros intestin au marteau, les poumons au soufflet, le larynx à la tuyère du soufflet, la luette à la pince... C'est dire l'énergie à mettre en jeu pour faire naître de la parole. Et le degré de température nécessaire  ! Cette dimension

organique et concrète s'est retrouvée en effet au centre du travail. Nous avons été plus inspirés par ce que requiert le langage en termes d'énergie et de mobilisation pneumatique, que par le jeu avec les mots eux-mêmes. Ce qui se joue dans Du fond des gorges est la pneumatisation de l'être requise pour accéder à la parole. Il s'agit d'un marathon théâtral et respiratoire inspiré d'une histoire vraie. Celle d'une espèce parlante, vociférante ou taciturne, et de son désir jamais éteint de dire.

C.P. – Il y a une dimension plastique très forte dans la présence toujours changeante de ces chambres à air que le quatrième homme ne cesse de réarranger comme autant de paysages différents.

P.M. – Tenter de considérer, d'éprouver le langage comme une matière vive m'intéresse fortement. Parce que lorsque la parole « parle », quelque chose en nous

apparaît, se déploie, se met à battre. Une sculpture agissante.Dans un premier temps, nous avions envahi le plateau de pneus. Ils nous sont vite apparus trop lourds, trop inertes, et freinant nos envies de plongeons par leur dureté. Des chambres à air les ont peu à peu remplacés.

> Suite page 2

DU FOND DES GORGES

Du 31 janvier au 24 février 2012 > Séances spéciales• Surtitrage françaisVendredi 17 février• Surtitrage allemandSamedi 18 février

Projet de Pierre Meunier • Fabrication collective

> Coproduction du TNS

Du mardi au samedi à 20h, dimanches 12 et 19 février à 16h

Relâche les lundis et dimanche 5 février

Salle Gignoux

Avec Pierre-Yves Chapalain, François Chattot, Pierre Meunier

BORDDE PlatEaU

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DE cRItIqUE tHéâtRalE

à l’issue de la représentation Samedi 18 février

Rencontre avec Pierre Meunieranimée par Emmanuelle EbelSamedi 18 février à 16hTNS, salle GignouxEn partenariat avec l’Université de Strasbourg

Lundi 20 février à 18h30Librairie Quai des BrumesAnimé par BarbaraEngelhardt, journaliste

Inscription obligatoire :[email protected] 88 24 88 47

Pierre Meunier qui a présenté au TNS en 2009 et 2010 Au milieu du désordre puis SexAmor, revient cette saison avec sa nouvelle création. Cette fois, ce sont les mots qu'il questionne. Tous les jours, nous parlons. Nous «  produisons  » des sons, du sens, de l'information. Mais que sont les mots  ? Sommes-nous prisonniers d'eux ou sont-ils au contraire notre (peut-être dernier) espace de liberté  ? Trois hommes sur le plateau. « Trois, comme le trio clownesque du discoureur savant, du bégayant gaffeur et du logicien embourbé dans sa spirale  », dit Pierre Meunier. À ses côtés, François Chattot, le Hamlet de Matthias Langhoff et Pierre-Yves Chapalain, le narrateur du Pinocchio de Joël Pommerat, l'accompagnent dans cette quête poétique et jubilatoire.

« Deux soldats. Deux solitudes. »par Jacques Osinski

metteur en scène de Woyzeck etDehors devant la porte

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Page 2: Le Journal du TNS #12 / Jan-Fév 2012

Le 6 août 1945, Hiroshima entre dans l’histoire en disparaissant. Aujourd’hui, hormis au Musée du Mémorial, bien peu de traces subsistent de cet événement majeur. En 2009, Bruno Meyssat s’est rendu à Hiroshima avec ses acteurs. Comment représenter une réalité désamarrée à ce point où des êtres ont été privés et de formes et de descendance ? Demeurent des témoignages, des silences et des objets esseulés. Sans raconter Hiroshima – on ne le peut – Observer s’approche du réel quand il est mis à l’épreuve d’une catastrophe.

Les faits

Le 6 août 1945, à 07h15, un premier avion survole une ville qui jusqu’alors a été épargnée par les bombardements intensifs que les Américains ont généralisés sur le Japon (118 villes touchées dont Tokyo en mars). Il s’agit d’un B29 de repérage. Il doit, selon l’état de la météo, donner un signal favorable ou non à l’avion qui le suit à une heure et porte une bombe atomique. Claude Eatherly, son pilote, constate le ciel dégagé, le temps superbe, il fait déjà chaud. Eatherly transmet l’accord. Il crée l’inéluctable car ensuite tout contact radio cesse. Un bombardier B29, piloté par le colonel Paul W. Tibetts, et que ce dernier a bap-tisé du nom de jeune fille de sa propre mère Enola Gay porte en lui une bombe de cinq tonnes : Little Boy (petit garçon). Elle est peinte en noir et orange. Il est accompagné de « Greta Artiste » équipé d’appareils de mesure et de « Necessary Evil » équipé de matériel pho-tographique. À 08h15, l’équipage reçoit l’ordre de se couvrir les yeux de verres teintés noirs et le « viseur » Thomas Ferebee lâche la bombe au-dessus du point qu’il devait identifier précisément : un Y ren-versé formé de deux bras de l’estuaire du fleuve Ota qui traverse la ville, barré par le pont Aioi reconnaissable à très haute altitude. Ils sont à 10 000 mètres. Hiroshima compte 250 000 habitants ; la plupart sont debout, se rendant qui au travail, qui à l’école. C’est une heure de grosse affluence qui a été choisie, comme a été élue cette ville assez plate qui pré-sente une géographie encaissée entre des montagnes permettant un maximum de dégâts mesurables. La bombe explose à

500 mètres d’altitude libérant un éblouis-sant éclair de lumière violette suivi d’une explosion assourdissante et d’une puis-sante onde de choc. Une boule de feu brûlante enveloppe la zone de l’épicentre (nommée par les Américains Ground Zero…), les températures s’élèvent jusqu’à approcher celles de la surface du soleil, et un champignon géant se forme, dont la base est noire de poussières, de maté-riaux divers et de tout ce que ce souffle

aspire désormais vers les hauteurs. En quelques secondes la ville d’Hiroshima est détruite et la moitié de sa popu-lation est morte ou mou-rante. Le kinoko gumo (« nuage en forme de champignon ») est encore visible à 750 kilomètres pour l’avion qui s’éloigne. Hiroshima entre dans

l’histoire en disparaissant.

« Il y a un instant à peine, il faisait si beau, et maintenant... » Futaba Kitayama, ména-gère, 33 ans. Atomisée à 1 700 mètres de l’hypocentre.

À cet instant, tout ce qui se trouve sur le passage de la lumière, les bâtiments, les arbres, les corps deviennent de véri-tables plaques photographiques, comme en témoignent les ombres portées que l’on a retrouvées dessinées sur des pa-rois blanchies aux lendemains des explo-sions. Chaque objet réagit en changeant

de couleurs et passant du blanc au noir ou du noir au blanc selon ses qualités respectives, un peu comme un papier photosensible.

Le monde renversé

Ces événements sont irrepré-sentables. Pourtant il existe une continuité entre ce monde ren-versé, « hors de ses gonds » et le nôtre. Cela a bien eu lieu sur terre et on peut aujourd’hui se rendre sur les lieux même où cela s’est passé, il y a soixante six ans.Comment deux espaces, l’équi-page de l’Enola Gay et le sol d’Hiroshima, qui ne furent dis-tants que de 10 kilomètres, ont-ils pu coexister ? Leur proximité est l’Impensable. Elle révulse et parle de nous certainement. Là se forment des questions empoi-sonnantes. Il faudrait les poser, correctement.Nous pouvons tenter une évoca-tion… […]La spécificité de cet événement

tient aussi à l’incapacité d’être compris par ceux qui le vivent et en sont submer-gés, éblouis, comme rendus fous. La rapi-dité d’un tel choc dépasse nos capacités psychophysiologiques et prive le témoin de sa capacité à bien comprendre ce qu’il a vécu, le rendant quasiment incapable de s’adapter s’il se trouvait de nouveau confronté à une situation similaire.

« Des gamins de mon âge avaient fait l’école buissonnière le 6 août. Trouvant la canicule trop insupportable pour s’enfer-mer dans une classe, ils étaient allés se promener au bord de la rivière qui se dé-verse dans le fleuve Ota. Ils se baignaient, chahutaient dans l’eau lorsque survint leur maître. En le voyant, ils plongèrent et restèrent au fond le plus longtemps pos-sible. Quand ils remontèrent à la surface, le paysage était transformé, le maître cal-ciné, tout noir au bord du chemin. » Keiji Nakazawa dans J’avais 6 ans à Hiroshima.

Hiroshima est une première fois, c’est un saut dans le vide de l’humanité, un décalage absolu avec toutes les autres agressions de masse classiques. On sait que les Américains vont rééditer cet acte trois jours plus tard sur la ville de Nagasaki (puisque le temps était trop couvert sur la ville de Kokura) procurant à la conscience universelle « une deuxième fois », ce qui signifie explicitement le début d’une menace planétaire qui dure encore. C’est aussi un fait qui, au regard de son importance, connaît une bibliographie disponible bien plus réduite que la Shoah, l’autre versant horrifique de la Seconde Guerre mondiale. […]

« J’ai parcouru la ville en tramway et à pied. J’ai expérimenté combien on est étonné d’être là, d’arpenter une ville si normale construite au-dessus d’une autre ville absente. Le sol, en dessous est celui de 1945, les pierres sur les-quelles sont posées les rails du tram-way actuel sont les mêmes. Le temps a résorbé un invisible qui atteint là des proportions gigantesques, mais il y a bien eu contact. On ressent physique-ment la disparition. D’autant plus que le Musée nous emporte vers un temps aboli. Des objets et des matières inertes ont vu ce que nous ne pouvons concevoir ou nous représenter. » Bruno Meyssat

L'équipe de Observer

ObserverSpectacle de Bruno Meyssat

Hiroshima est une première fois, c’est un saut dans le vide de l’humanité, un décalage absolu avec toutes les autres agressions de masse classiques.

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Ces chambres à air sont usées, tout comme les mots me donnent l'impression de l'être au-jourd'hui. Elles ont beaucoup servi, beaucoup voya-gé. Elles sont toutes meurtries, rustinées, jusqu'à la prochaine crevaison. Elles nous encombrent et sont à la fois tout ce dont nous disposons. On peut y voir un amas de viscères, une montagne, des puits sans fond, un vocabulaire en désordre, une masse liquide... Elles sont également les réserves de cet air, dont nous avons tant besoin pour parler.

C.P. – Vous êtes sur scène en compagnie de Fran-çois Chattot et de Pierre-Yves Chapalain. Pour-quoi un trio ? P.M. – En commençant à rêver à ce spectacle, j'ai pensé à un trio d'hommes. Le trio des Fratel-lini ou des Marx Brothers ne doit pas y être pour rien. En sortant de l'antagonisme obligé du duo, le trio permet la situation du deux contre un, d'un chœur naissant, ou de trois solitudes contempo-raines. Avec François Chattot, sorte d'athlète de la présence et de la parole au théâtre, il y avait longtemps que nous avions envie de travailler ensemble. Et Pierre-Yves, avec lequel j'ai joué chez Joël Pommerat, est un acteur à la force singulière, dans son rapport à la parole, au discours. Il a une forme d'embarras bien à lui, très savoureuse, intri-gante, qui m'a donné envie de lui proposer cela. Ce qui nous a rassemblé est ce même désir d’en découdre avec ce qui est aussi origine et essence du théâtre : du sens proféré de vive voix vers la communauté rassemblée. Mais avec la présence de Freddy Kunze, nous sommes de fait un quatuor. Un quatuor d'expéri-mentateurs. Le quatrième homme réinvente sans cesse l'espace, il s'active sans parler du début à la fin, déclenche la machinerie, entasse les chambres ou les disperse, nous les lance, contribuant ainsi à renouveler chaque fois le cadre de l'expérience.

C.P. – On est frappé par le caractère hétérogène du spectacle, par la multiplicité des pistes abor-dées. Différents types de comique cohabitent également. Cela demande au spectateur, me semble-t-il, de s'abandonner à ce vagabondage plutôt que de rechercher un fil unique qui lierait l'ensemble de manière rationnelle. Ne craignez-vous pas de générer une sorte de frustration de sens ?P.M. – Permettez-moi de vous citer ce texte d'Ossip Mandelstam :« Un mot, n'importe lequel, se présente comme un faisceau et le sens, au lieu de se concentrer en un point donné, se projette dans diverses directions. En prononçant "soleil", nous effectuons une sorte de voyage immense dont nous avons une telle ha-bitude que nous le parcourons comme en rêve. Ce

qui distingue la poésie de la parole machinale, c'est que la poésie justement nous réveille, nous secoue en plein milieu du mot. Ce dernier se révèle alors à nous d'une étendue bien plus vaste que nous ne l'imaginions, et nous nous souvenons soudain que parler veut dire : se trouver toujours en chemin. »Ces mots m'ont inspiré durant tous ces mois de recherche. Il est vrai, comme je vous l'ai dit, que je n'arrive pas au début du travail avec une pré-écri-ture qu'il s'agirait de mettre en scène, mais avec une somme d'éléments épars (textes écrits par moi ou non, matières diverses : pneus, chambres à air, pompes, soufflet...) à partir desquels nous allons chercher ensemble, avec tous les membres de l'équipe. L'écriture du spectacle naît du plateau, de l'échange entre les acteurs, le son, la lumière, l'espace et ceux qui en ont la charge. Des moments se révèlent peu à peu importants, fondateurs de ce que nous poursuivons, des couches de propo-sitions s'accumulent jour après jour, du sens ap-paraît, des liens souterrains. Tout cela reste long-temps mouvant, instable, provisoire, inconfortable. Ce qui se construit peu à peu est chargé de cette traversée sensible, et le spectacle reste en défini-tive une série de tentatives d'aller au cœur de ce qui résistera toujours à une monstration univoque. C'est le contraire du cryptage scénique d'un sens (ou d'un message) qu'il s'agirait de déchiffrer. Ce que j'espère toujours, c'est que la musicalité de l'ensemble soit assez inspirante pour aider le spectateur à accepter de ne pas toujours com-prendre dans l'instant ce qui se vit sur le plateau, mais d'accueillir au fil du spectacle une somme de sensations, qui, à un moment donné feront sens pour lui.

C.P. – Pourquoi Du fond des gorges ?P.M. – « Gorge » évoque le passage obligé d'un flux, parole ou rivière qui cherche son chemin vers la clarté. Cela renvoie à une origine primitive, ani-male. À un paysage profond, obscur, secret qui attire irrésistiblement.

Entretien avec Pierre Meunier, acteur et initiateur du projet collectif

Du fond des gorgesPropos recueillis par Caroline Pichut

Auxerre, le 30 novembre 2011

OBSERVER de Bruno Meyssat

Du 10 au 22 janvier 2012

Conception et réalisation Bruno MeyssatDu mardi au samedi à 20h, dimanche 22 à 16h

Relâche dimanche 15 et lundi 16

Salle Gignoux

Avec Gaël Baron, Pierre-Yves Boutrand, Marion Casabianca, Elisabeth Doll, Frédéric Leidgens, Jean-Christophe Vermot-Gauchy

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ExPOSItION PROJEctION

à l’issue de lareprésentationVendredi 20 janvier

Rencontre avecBruno Meyssatanimée par Magali Mougel (département des Arts du spectacle)Lundi 16 janvier à 20hTNS, salle GignouxEn partenariat avec l’Université de Strasbourg

Objets etphotographiesautour du spectacle (accessible les soirs de représentation)TNS, hall Gignoux

Rhapsodie en août Film réalisé par Akira Kurosawa(1991- 98 minutes)Jeudi 12 janvier à 20h, cinéma Le Star Rencontre avec Bruno Meyssatà l’issue de la projectionEntrée libre. Réservation recommandéeau 03 88 24 88 00En collaboration avec Le Star.Avec la participation de l’association Amitié Strasbourg Japon.

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les ateliers publics

ATELIER DE JEU« Grand week-end théâtre »> Du 26 au 29 janvier

Muriel Inès Amat, Cécile Péricone et Fred Cacheux, comédiens de la troupe du TNS, encadreront 24 participants comédiens amateurs débutants ou expérimentés. Ces quatre jours de pratique théâtrale porteront sur le texte Jean la chance de Brecht.

Le prochain atelier aura lieudu 29 mars au 1er avril.Inscription jusqu’au 24 février auprès de Anne-Claire Duperrier03 88 24 88 03 • [email protected]> Tarif 40 €

les tournées du tNS

CRÉATION DU TNSDOM JUAN de MolièreMise en scène de Julie BrochenCréé au TNS le 8 mars 2011.• Saint-Brieuc, La Passerelle,11 > 13 janvier• Lorient, Théâtre de Lorient,17 > 19 janvier • Dijon, Théâtre Dijon-Bourgogne-CDN,2 > 11 février

COPRODUCTIONS 2011-2012 DU FOND DES GORGESProjet de Pierre MeunierCréation collective au Théâtre Dijon-Bourgogne le 8 novembre 2011• Verdun, Théâtre,4 et 5 janvier • Meylan, L’Hexagone,10 > 13 janvier• Saint Quentin en Yvelines, Théâtre,18 > 20 janvier• Paris, Théâtre de la Bastille,29 février > 30 mars

LE SYSTêME DE PONZITexte et mise en scènede David LescotCréation au Théâtre de l’Union de Limoges le 17 janvier 2012• Limoges, Théâtre de l’Union-CDN,17 > 19 janvier• Paris, Théâtre de la Ville,25 janvier > 11 février• Blois, La Halle aux Grains,17 février

COPRODUCTIONS ANTÉRIEURES2010-2011LIGNES DE FAILLED’après le roman de Nancy HustonMise en scène Catherine Marnas Adaptation collective Cie ParnasCréé au Théâtre La passerelle de Gap le 12 mars 2011.• Béthune, Comédie,25 > 27 janvier• Chambéry, Espace Malraux,4 février• Cavaillon, Théâtre,10 février

Pour découvrirle théâtre traditionnel japonais

Le Centre Européen d’Études Japonaises d’Alsace (CEEJA) favorise les échanges, notamment universitaires, et la découverte de la culture du Japon.

Il propose :Une représentation de théâtre kyôgen (Le Jeune Marié dans un bateau) et de théâtre nô (Adachigahara)Deux « trésors nationaux vivants » du Japon interprètent des chefs-d’œuvre du répertoire classique.> Mardi 24 janvier à 20h

Espace Culturel le Parc/RibeauvilléRéservations 03 89 29 50 84Renseignements www.ceeja-japon.comEn collaboration avec la Fondation du Japon et la Maison de la Culture du Japon à Paris.

Soleil couchantde Isaac Babel, mise en scène Irène Bonnaud

SOlEIl cOUcHaNt d’Isaac BabelcONVERSatION

à la librairie Kléber Du 17 au 29 janvier 2012 > Séances spéciales

• Surtitrage françaisVendredi 27 janvier• Surtitrage allemandSamedi 28 janvier

Avec Irène Bonnaudet l'équipe artistiqueSamedi 21 janvier à 11h

Mise en scène Irène Bonnaud

Du mardi au samedi à 20h,dimanche 29 à 16h

Relâche dimanche 22 et lundi 23

Salle KoltèsAvec Dan Artus, Bernard Ballet, David Casada, Bernard Escalon, Marie Favre, Laurence Mayor, Jacques Mazeran, Sophie-Aude Picon, Franck Seguy, Fred Ulysse

Deux soldats. Deux solitudes.Deux hommes confrontés à un monde qui les broie. Woyzeck et Dehors devant la porte parlent de la difficulté d'être un homme dans un monde qui pour fonctionner s'en remet à un système et par là même perd son humanité. Victime de la violence du monde, Woyzeck répond par la violence. Beckmann, qui fut lui aussi violent et violenté, s'interroge sur la nature de celle-ci. Tous deux mourront de ne pouvoir être aussi violents que le monde. Cela résonne si fortement avec notre époque qu'il y a pour moi une vraie nécessité de dire ces textes aujourd'hui. Comme nous, Woyzeck et Beckmann regardent le monde sans espérer avoir prise sur lui. Jouées par les mêmes comédiens, dans des scénographies qui se reflètent l'une l'autre, les deux mises en scène se répondent et posent toutes deux la question qui me hante : quelle place la société laisse-t-elle à l’homme ? Au cœur des deux, la dureté, la solitude, la difficulté de com-muniquer avec les autres. Au cœur des deux, une quête : celle de notre humanité. Juin 2011

Woyzeckde Georg Büchner

Le soldat Woyzeck vit en marge d’une société qui le méprise et l’écrase. Il n’a rien d’autre au monde que Marie, son amour fou. Lorsqu’il apprend qu’elle lui est infidèle, il la tue dans un moment de folie. « Plus que le fait divers, plus que la folie et l’histoire d’amour, c’est cette existence brute des faits et des personnages qui m’intéresse » explique le metteur en scène Jacques Osinski. Dans sa vision de Woyzeck, il nous propose un spectacle d’une grande pureté tragique, d’une intelligence radieuse, où huit inter-prètes subtils se plongent avec force et courage dans les sombres profondeurs de l’âme humaine.

WOYZEcK de Georg Büchner et DEHORS DEVaNt la PORtE de Wolfgang Borchert

Du 7 au 18 février 2012Mises en scène Jacques Osinski

Salle Koltès

WOYzECK : du mardi 7 au samedi 11 février DEHORS... : du mardi 14 au samedi 18 février

Du mardi au samedi à 20h Du mardi au samedi à 20h

Avec Vincent Berger, Frédéric Cherboeuf, Jean-Claude Frissung, Delphine Hecquet, Alice Le Strat, Baptiste Roussillon, Stanislas Sauphanor, Arnaud Simon

Avec Véronique Alain, Vincent Berger, Frédéric Cherboeuf, Jean-Claude Frissung, Alice Le Strat, Baptiste Roussillon, Stanislas Sauphanor

PROJEctION> Séance spéciale • Audiodescription Jeudi 16 février

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1913. Le quartier de la Moldavanka, à Odessa, ses bistrots, son port, ses marchands, truands, prostituées, boutiquiers, rabbins. C’est là que vit la famille Krik. Mendel, le père, est un riche entrepreneur juif, un personnage tonitruant, un ogre de vie qui tyrannise sa famille et multiplie les excès en tous genres. Il n’accepte pas d’être au crépuscule de sa vie. Il est bien décidé à dilapider la fortune familiale pour s’en offrir une seconde avec Maroussia, âgée de vingt ans. Mais ses deux fils, l’un hussard et l’autre truand, vont s’y opposer.À travers les enjeux d’une famille et de la com-munauté qui l’entoure, Isaac Babel, dans une langue cinglante et imagée, où le lyrisme côtoie le trivial, déploie tout le questionnement d’une société en transition. Dans un espace mouvant au fond ouvert comme sur un port, des person-nages truculents, hauts en couleur, se croisent. Des mots et des corps surgissent, la drôlerie et la violence cohabitent, la musique est là, aussi, comme un acteur à part entière. Irène Bonnaud aime à travailler sur les communautés intimes qui révèlent l’essence du caractère humain.

ODESSA

« À Odessa, il y a un ghetto juif, très pauvre, très populeux et très mal-heureux, une bourgeoisie pleine de suffisance et une assemblée muni-cipale ultra-antisémite. À Odessa, il y a des soirées printanières douces et languissantes, le parfum épicé des acacias et une lune dont la lumière étale et inimi-table se déploie au-dessus de la mer obscure.

À Odessa, il y a un port, et dans le port, des cargos venus de New-castle, Cardiff, Marseille et Port-Saïd ; des Noirs, des Anglais, des Français et des Américains. Odessa a connu une période d’épa-nouissement, elle connaît un temps de déclin, déclin poétique, un petit peu insouciant et tout à fait sans retour.

Odessa, se dira le lecteur en définitive, c’est une ville comme les autres, c’est vous seulement qui êtes d’une partialité invraisem-blable.

Eh bien, d’accord, je suis partial, en effet, et peut-être même d’une façon invraisemblable, mais, parole d’honneur, il y a quelque chose dans cette ville. Et l’authentique être humain percevra ce quelque chose et dira que la vie est triste, monotone – tout cela est certain – mais tout de même, quand même et malgré tout, elle est extraordinairement, extraordinairement intéressante. »

Isaac Babel, Odessa, article de 1916, dans Chroniques de l’an 18, trad. du russe André Markowicz, Actes-Sud / Babel

Dehors devant la portede Wolfgang Borchert

1945. Un homme revient de la guerre. C’est l’ancien soldat Beckmann. Mais il n’a plus de « chez lui ». Personne ne l’attend. Sa femme l’a remplacé. Ses parents ont disparu. Le pays est dévasté. Mémoire vivante de l’horreur, il erre, étranger, dans un monde qui fut autrefois le sien. Il frappe aux portes, à toutes les portes. Mais celles-ci refusent de s’ouvrir. Mis en scène par Jacques Osinski, Dehors devant la porte est un spectacle qui creuse au plus profond de l’être humain et qui met admirablement en valeur la puissance sidérante de ce texte, conte fantastique et cruel, grinçant et désespéré.

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de Jacques Osinski, metteur en scène

tHéâtRE EN PENSéES

Rencontre avec Jacques Osinski animée par Emmanuel Béhague (département d’Études allemandes)Lundi 13 février à 20h TNS, salle GignouxEn partenariat avec l’Université de Strasbourg

BORD DE PlatEaU

à l’issue de la représentation de Dehors...Jeudi 16 février

PROJEctION

Woyzeck de Marcel BluwalMardi 21 février à 19h Auditorium du MAMCS

Page 4: Le Journal du TNS #12 / Jan-Fév 2012

Stammtisch

À paraître en février

Édité par le Théâtre National de Strasbourg • Directrice de la publication Julie Brochen • Responsables de la publication Éric de La Cruz, Fanny Mentré, Chantal Regairaz • En collaboration avec Lorédane Besnier, Anne-Claire Duperrier, Tania Giemza, Chrystèle Guillembert, Fabienne Meyer et Mélanie Goerke, Lorraine Wiss • Graphisme Tania Giemza • Remerciements à Ruth Walz, Nathalie Trotta • Impression Roto Offset – Rixheim

Renseignements/Location : 03 88 24 88 24

Tarifs saison 2011-2012 : de 5,50 € à 27 €

Où et comment acheter vos billets ?(hors abonnement)

• Au guichet du TNS : Place de la RépubliqueHoraires d’ouverture : le lundi de 14h à 18h,du mardi au samedi de 10h à 18h.

Informations pratiques • Par téléphone : 03 88 24 88 24et par Internet http://billetterie.tns.fr(à moins de 2 jours avant la date choisie,les réservations ne peuvent plus être acceptées).

• À la caisse du soir  (uniquement le spectacle du jour)  : ouverte 45 min. avant le début de la représentation.

• Autres points de vente : Boutique Culture (place de la Cathédrale), au Kiosque Culture - réservé aux détenteurs de la carte Culture (L’Agora - bâtiment Le Platane), et dans le réseau « FNAC, Carrefour, Géant, Système U, Intermarché » (www.fnac.com –www.carrefour.fr – www.francebil let .com0892 68 36 22 : 0.34€/mn)

Où se jouent les spectacles ?

TNS : 1 avenue de la Marseillaise- Salle Koltès, placement numéroté- Salle Gignoux, placement libre

ESPACE KLAUS MICHAEL GRüBER :18 rue Jacques Kablé, placement libre

Toutes les salles sont accessiblesaux personnes à mobilité réduite.

Espace Klaus Michael Grüber

Le 17 octobre 2010, l’Espace Kablé est devenu Espace Klaus Michael Grüber. Le travail de ce très grand metteur en scène allemand qui a fait de nombreuses créations en France, a été déterminant pour ceux qui ont eu la chance de le connaître, collaborateurs comme spectateurs. Tous s’accordent à dire qu’il y a « un avant et un après Grüber  ». Pourtant, il existe très peu de témoignages le concernant. Lors de l’inauguration, nombre de ses collaborateurs se sont réunis dans ce lieu portant désormais son nom, pour évoquer son travail, participer en paroles ou en musique à cette soirée, ou simplement être présents à cette occasion. Au vu de la richesse des interventions, le TNS va publier un ouvrage. Une publication écrite, qui sera accompagnée d’un CD. Le public pourra y lire et entendre des extraits de cette soirée d'inauguration, ainsi que des témoignages d’invités qui n’avaient pu être présents ce soir-là. L’ouvrage contiendra aussi de nombreuses photos.

Ont participé au contenu de cet ouvrage :Eduardo Arroyo • Francis Biras • Luc Bondy • Julie Brochen • Ami Flammer • Bruno Ganz • Ellen Hammer • Stéphane Lissner • André Marcon • Muriel Mayette • Jeanne Moreau • Michel Piccoli • Rudy Sabounghi • Otto Sander • Hanna Schygulla • Peter Stein • Jean-Pierre Thibaudat • Eric Vigner •Jean-Pierre Vincent • André Wilms • Angela Winkler

Date de sortie février 2012 Prix de vente 8 €Renseignements et commandes auprès deNathalie Trotta • [email protected] • 03 88 24 88 43

Où trouver le Journal du TNS Au TNS et dans de nombreux lieux de dépôts : Boutique culture, bibliothèques, FNAC, théâtres, musées, bars… (liste consultable sur le site du TNS) •Sur le site du TNS www.tns.fr (téléchargeable dès les 1er Septembre, Novembre, Janvier, Mars, Mai) • Sur le blog du TNS : www.tns.fr/blog > catégorie Le Journal du TNS.

À Heinse

LE PAIN ET LE VIN (extrait)

1La ville autour de nous s’endort. La rue illuminée accueille le silence,Et le bruit des voitures avec l’éclat des torches s’éloigne et meurt.Rassasiés des plaisirs du jour, vers le repos s’en vont les hommes,Et satisfait, songeur, un front penché soupèsePertes et gains. Dépouillé de ses fleurs, dépouillé de ses grappes,Las du labeur de mille mains, désert, le marché dort.Mais au cœur des jardins s’éveille et tremble une musique lointaine,Là-bas joue un amant, qui sait ? ou peut-être un homme saisi de solitudeQui se souvient de ses amis perdus, de sa jeunesse, et dans l’arômeDes parterres fleuris chantent les fraîches fontaines infatigables.La voix des cloches vibre au calme crépusculeEt le veilleur, gardien des heures, crie un nombre à pleine voix.Oh ! voici naître et frémir la brise aux feuilles extrêmes du bocage,Regarde ! et le fantôme de notre univers, la lune, Mystérieusement paraître ; et la fervente, la Nuit vient,Peuplée d’étoiles, et tout indifférente à notre vie ;La Donneuse d’émerveillements, l’Étrangère parmi les hommesAux cimes des monts là-bas s’éploie et brille dans sa mélancolique magnificence.

2Ô miracle, ô faveur de la Nuit sublime ! Nul ne saitLa source, la grandeur des dons qu’un être reçoit d’elle.C’est ainsi qu’elle meut le monde et l’âme des hommes chargée d’espérance,Les sages même n’ont point l’intelligence de ses desseins, car telEst le vouloir du Dieu suprême qui t’aime de grand amour, et c’est pourquoiPlus qu’elle encor le jour t’est cher où règne ta pensée.Mais parfois le limpide regard lui-même goûte l’ombre, et devançant l’heureIl quête le sommeil comme une volupté,Et l’homme au cœur fidèle aime à plonger les yeux dans la nuit pure.Qu’on lui dédie, ainsi qu’il sied, des chants et des couronnes !Car elle est le trésor sacré des insensés et des morts,Et perdure, elle-même éternel esprit pur de contrainte.Mais qu’elle aussi (car il le faut, afin qu’en notre lent séjourDans cette ombre, quelque chose nous soit gardé qui nous conforte)Qu’elle aussi nous donne l’oubli, qu’elle aussi nous donne l’ivresseSacrée et le jaillissement du verbe ! et qu’ainsi, comme des amants,Yeux jamais clos, coupes à pleins bords, audace à vivre et sainteSouvenance, nous traversions la nuit au comble de l’éveil.

Extrait de Élégies, trad. Gustave Roud dans Œuvres de Hölderlin, Éd. Gallimard, 1967

> Cet extrait est lu par Jeanne Moreaudans le CD qui accompagne l'édition Klaus Michael Grüber

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de Friedrich Hölderlin

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