Le Journalisme Dans Le Systeme Mediatique

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  • 7/31/2019 Le Journalisme Dans Le Systeme Mediatique

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    Les tudes de communication publiqueNumro 16

    Le journalisme dansle systme mdiatique

    Jean CharronJean de Bonville

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    Les tudes de communication publiqueISSN 1183-5079Dpartement dinformation et de communicationPavillon Louis-Jacques-CasaultUniversit LavalQubec, G1K 7P4

    La collection tudes de communication publique prsente les rsultats destravaux raliss par des chercheurs, des professeurs et des tudiants dans ledomaine de la communication publique. La communication publique est dfiniecomme l'ensemble des phnomnes de production, de traitement et dediffusion des discours relatifs aux dbats et aux enjeux publics. Ces discourssont non seulement le fait des mdias, mais aussi des institutions, desentreprises, des mouvements et des groupes qui interviennent sur la placepublique.Les documents publis appartiennent l'une ou l'autre des catgoriessuivantes : rapport de recherche, recueil de donnes, instruments de travail,outil pdagogique, bibliographie analytique, revue de la littrature, traduction.La collection tudes de communication publique se prsente comme unmoyen de diffusion complmentaire aux revues savantes et, en rgle gnrale,

    ne publie pas de textes qui, par leur format et leur contenu, sont assimilables des articles de revue.La prsentation des manuscrits doit tre conforme aux rgles disponibles surle site de la collection (www.com.ulaval.ca/etudesdecompublique).

    Comit de rdactionJean CharronJean de Bonville

    Alain Lavigne

    SecrtariatCarole MurphyMarie-France Hamel

    Universit LavalDpt lgal, 4e trimestre 2002Bibliothque nationale du QubecBibliothque nationale du CanadaISBN 2-921383-18-7

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    Jean Charron

    Jean de Bonville

    Le journalisme dans le systme mdiatiqueConcepts fondamentaux pour lanalyse

    dune pratique discursive

    tudes de communication publique

    Numro 16

    Dpartement dinformation et de communicationUniversit Laval

    Qubec2002

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    ANALYSE

    Le journalisme peut tre dfini comme un systme de relations au sens o un ensemble de rglesprsident aux rapports qu'entretient le journaliste avec son environnement et rendent probable, doncprvisible, un nombre limit de comportements de la part des journalistes et des autres acteurs engagsdans des rapports avec lui. Les rgles en question, qui doivent tre considres dans leurs dimensionshabilitante aussi bien que contraignante et qui fondent le caractre institutionnel du journalisme, sontsouvent englobes dans les concepts de rle et de statut. Ainsi, un paradigme journalistique peut treconsidr comme une institution ou une pratique institutionnalise. Le systme de relations caractrisenon seulement les rapports entre les acteurs (journalistes, sources, lecteurs), mais aussi les rapportsentre les textes et les discours : en effet, le journalisme peut tre dfini comme une activit intertextuelle,l'article de journal tant une production collective laquelle participent les sources, les pairs et mme leslecteurs. Par ailleurs, le discours journalistique est en relation avec d'autres types de discours qu'ilinfluence ou dont il subit l'influence. Enfin, il n'est pas possible de comprendre le fonctionnement etl'volution du systme mdiatique et, plus spcifiquement, du journalisme sans faire intervenir de manire

    systmatique les dimensions temps et espace.Journalisme ; Thorie ; Systme de communication ; Mdias de masse ; Sociologie ;

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    TABLE DES MATIRES

    ANALYSE ..................................................................................................................................4

    TABLE DES MATIRES............................................................................................................5

    INTRODUCTION .......................................................................................................................7

    Chapitre 1

    LA NOTION DE SYSTME ..................................................................................................... 19

    Des systmes de relations..........................................................................................................9Une totalit dlments interdpendants ............................................................................................. 9

    Une totalit organise........................................................................................................................ 12

    Une totalit rgule............................................................................................................................ 12

    Une totalit en changement............................................................................................................... 15

    Individus, acteurs et agents .................................................................................................................. 15

    Institutions, structures et contraintes.......................................................................................... 19

    La notion de structure ........................................................................................................................ 19

    La notion dinstitution......................................................................................................................... 21

    Le paradigme journalistique comme structure ou institution ............................................................. 26

    Chapitre 2

    JOURNALISME ET SYSTME MDIATIQUE ........................................................................ 29

    Discours, texte et intertexte journalistiques .......................................................................................... 29

    Les sources........................................................................................................................................ 31

    Les pairs ............................................................................................................................................ 32

    Le journaliste...................................................................................................................................... 33

    Le journal et le systme de journaux................................................................................................. 33

    Le public............................................................................................................................................. 34

    Le systme mdiatique ......................................................................................................................... 35

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    Chapitre 3

    TEMPS ET ESPACE DU SYSTME MDIATIQUE................................................................ 39

    Le temps du systme mdiatique ...................................................................................................334 40

    L'espace du systme mdiatique.......................................................................................................... 43

    L'espace-temps des mdias ................................................................................................................. 47

    Morphogense : les structures dans le temps et l'espace ............................................................ 49

    CONCLUSION......................................................................................................................... 53

    LISTE DE RFRENCES ....................................................................................................... 55

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    INTRODUCTION

    La recherche empirique sur le journalisme et le travail dlaboration thorique qui laccompagnerencontrent un des problmes classiques des sciences sociales, celui du rapport quil convient dtablir,dans la thorie, entre lacteur individuel et les structures sociales. Comment, en effet, dans une thorieexplicative de ltat et des transformations dune pratique sociale comme le journalisme, pondrerlautonomie des acteurs individuels, par qui cette pratique concrte se ralise et se transforme, etlinfluence des institutions sociales, qui constituent le cadre contraignant dans lequel saccomplit lapratique. Que vaudrait, en effet, une sociologie individualiste du journalisme qui isolerait les individus

    journalistes du tissu des relations sociales dans lesquels ils sinsrent et qui conditionnent leurs actionsquotidiennes ? Faudrait-il prfrer, au contraire, une sociologie holiste du journalisme qui oublieraitqu la base de linstitution que lon dsigne par ce terme, il y a des individus qui, quotidiennement,collectent des informations, slectionnent des communiqus et des dpches, rdigent des articles ou

    produisent des reportages, etc., et qui font tout cela avec, apparemment, une certaine marge de libert.

    Certes, nous pouvons sans doute convenir que les Hommes font les Structures, qui font les Hommes,mais en rester l nous ramne, au pire, une explication tautologique, parce que circulaire, et, au mieux, une ptition de principe qui serait une manire dvacuer le problme sans lavoir rsolu. Cette relationdialectique entre autonomie individuelle et contraintes sociales doit tre explique (au sens tymologiquede dploye , expose ) la fois thoriquement, cest--dire dans le cadre plus abstrait et absolu de la thorie, et concrtement, cest--dire en regard dun objet singulier, circonscrit et concret(ici le journalisme et ses transformations) que la thorie est suppose clairer.

    Les acteurs individuels nagissent pas dans un vide social ; leur action sinscrit dans des ensembles

    (dindividus, de groupes, dorganisations, etc.) plus ou moins structurs et plus ou moins organiss, quedsigne la notion de systme social . Cette notionnous servira ici de principe intgrateur des conceptsd'agent individuel et de collectivit sociale, d'action et de structure. Il nous faudra donc prciser ce quenous entendons par systme en gnral et, plus spcifiquement, par systme social et par systmemdiatique. Nous discuterons ensuite des notions dacteurs et de structure, considres dans leurrelation avec les systmes social et mdiatique. Nous terminerons par des considrations concernant ladimension spatio-temporelle de ces systmes.

    Notre intention n'est pas de dcrire un systme social et un systme mdiatique particuliers ni mmed'esquisser, ne serait-ce que schmatiquement, le portrait-type de ces systmes. Nous nous en tiendronsplutt l'nonc des principes de fonctionnement du systme mdiatique, implicitement considr dansses caractristiques contemporaines, en accordant une attention particulire aux modalits du systme

    les plus susceptibles d'expliquer sa transformation.

    Nous ne prtendons donc pas rsoudre le problme complexe des rapports entre laction individuelle etles structures sociales. Nous cherchons tout au plus faire progresser quelque peu la rflexion sur lesujet en explorant quelques concepts qui articulent ces deux dimensions de laction en socit et, plus

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    spcifiquement, de lactivit professionnelle des journalistes dans le systme mdiatique1.

    La dmarche pourra sembler exagrment, voire inutilement, abstraite. Cette abstraction nous semblenanmoins ncessaire. Nous pouvons, en effet, appliquer aux thories un principe lmentaire de lalogique savoir que lextension dun concept est inversement proportionnelle sa comprhension. Ce qui

    vaut pour les concepts sapplique aussi, analogiquement, la puissance explicative des thories. Notreambition est de formuler des propositions thoriques qui puissent savrer valides dans des contextessocio-historiques diffrents : quelles sappliquent par exemple au journalisme dinformation comme au

    journalisme dopinion et aux nouvelles formes de journalisme en mergence. Cest pourquoi nospropositions sont formules en termes abstraits et ne portent que sur des lments thoriquessusceptibles dune application trs gnrale.

    Cest ainsi que la notion de systme, si abstraite que des auteurs se demandent si elle peut mme avoirquelque utilit pratique2, prsente pour nous cet avantage de se situer un niveau de gnralit quipermet de dpasser, tout en les intgrant, des thories ou des explications restreintes, qui sans treinutiles, ne permettent de rendre compte que daspects circonscrits de la pratique journalistique et dufonctionnement des mdias. La sociologie empirique dinspiration amricaine abonde en thories (plus ou

    moins) locales qui se ramnent souvent un seul concept thorique, comme les thories du gatekeeper , de l agenda-setting , des usages et gratifications, de la diffusion des innovations, etc.Lvocation de ces thories, dont aucune ne permet dimaginer une explication le moindrementexhaustive de ltat et des mutations de la pratique journalistique, convainc de la ncessit de slever un niveau plus lev dabstraction.

    Dailleurs, le recours des modles abstraits pour rendre compte des processus loeuvre dans lechangement social ne distingue-t-il pas le travail du sociologue de celui de lhistorien? Lhistorien de lapresse et du journalisme cherche dcrire et expliquer, dans leur contingence et leur singularit, lesvnements quil juge marquants dans lhistoire de cette institution sociale. Le sociologue de la presse etdu journalisme considre les mmes vnements, mais en faisant abstraction de leur singularit ; par larecherche des rgularits, il tente de reprer les mcanismes sociaux engags dans la ralisation de ces

    vnements ; il cherche en rendre compte en construisant un modle, ncessairement abstrait parceque pur des contingences ou des particularits vnementielles, modle dapplication gnrale, sinonuniverselle, en tout cas susceptible de rendre compte ou mme idalement de prvoir dautresvnements de mme type dans dautres contextes.

    1 Chez ceux qui connaissent les tudes en langue franaise sur linformation et les mdias, lassociation entre journalisme et systme mdiatique ne manquera pas dvoquer les travaux de Michel Mathien, qui sest employ appliquer ltude de lentreprise de presse et du journalisme les principes de la thorie gnrale des systmes (Voir enparticulier MATHIEN, Michel. Les journalistes et le systme mdiatique (Paris : Hachette Suprieur, 1992) et Le systmemdiatique : le journal dans son environnement (Paris : Hachette, 1989).). Le propos et les vises de Mathien sont enralit loigns des ntres. Ayant dfini lentreprise de presse comme une machine fabriquer des nouvelles , Mathiensattache en dcrire avec beaucoup de soin les composantes ; il analyse dans le dtail les flux dinformation et deressources qui circulent entre les composantes de cette mcanique mdiatique et entre le systme lui-mme et sonenvironnement ; il dcrit le rle que joue le journaliste dans lorganisation mdiatique et dans ses relations avec les autresagents du processus dinformation (les sources, le public, les bailleurs de fonds, etc.). Lapproche systmique quemprunteMathien aboutit une description systmatique et exhaustive de lentreprise de presse dfinie comme systme type. Celadit, les propositions de Mathien ont peu en commun avec les ntres, car nous ne cherchons pas ici dcrire un systmespcifique, comme une entreprise de presse, mais bien comprendre comment laction individuelle sinscrit dans des etest tributaire de relations dinterdpendance (des systmes) et comment ces relations, en sinstitutionnalisant, crentdes structures .

    2 Selon Raymond Boudon et Franois Bourricaud, elle nest vritablement utile que comme ide directrice. Elle ne prendun sens prcis que lorsqu'elle est applique lanalyse de processus et de systmes concrets, cest--dire envisags dansleur singularit (Dictionnaire critique de la sociologie. Paris : Presses Universitaires de France, 1994. P. 608).

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    CHAPITRE 1

    LA NOTION DE SYSTME

    Au march des thories, le rayon des systmes est particulirement encombr. Du marxisme aufonctionnalisme, du structuralisme lindividualisme mthodologique, la notion de systme estomniprsente. Un ouvrage entier ne suffirait pas prsenter les travaux des principaux auteurs quiaccordent une place importante cette notion. Nous ne nous intresserons ici quaux seuls conceptsutiles lexplication du fonctionnement du journalisme dans lenvironnement plus large que constituentles mdias.

    Des systmes de relations

    Rappelons, pour mmoire, ce que lon entend gnralement parsystme. Selon Ludwig von Bertalanffy,

    un systme est un ensemble dlments interdpendants, cest--dire lis entre eux par des relationstelles que si lune est modifie, les autres le sont aussi et que, par consquent, tout lensemble esttransform 3. Cette dfinition met en relief quatre proprits de tout systme : un systme est unetotalit, rgule et dynamique, forme dlments interdpendants. Reprenons ces caractristiques une une.

    Une totalit dlments interdpendants

    Les lments qui forment un systme sont des variables en ce quils peuvent adopter diffrents tatsou prendre diffrentes valeurs . Ces lments entretiennent des rapports dinterdpendance, de sortequune variation dans ltat dun lment est susceptible daffecter ltat des autres lments et, par

    consquent, de tout le systme. Ltat dun systme est donc la rsultante des ajustements rciproquesentre les lments qui le composent. Linterdpendance entre les lments nest pas, pour autant,absolue ; les relations entre les lments dun systme (et entre les systmes) peuvent, en effet,prsenter des degrs variables dinterdpendance. Les lments nentretiennent pas un rapport tel quun tat X de tel lment correspondrait toujours et ncessairement un tat Y de tel autre lment, desorte que la moindre variation dun lment commanderait, par effet de cascade, une variation dans tousles autres.

    Il sensuit que, sur le plan formel, un systme se conoit moins comme un ensemble dlments quecomme un ensemble de relations entre ces lments. On retrouve cette acception de la notion desystme sous la plume de Jean Piaget, qui, parlant des systmes sociaux, note que le tout social nestni une runion dlments antrieurs, ni une entit nouvelle, mais un systme de rapports dont chacunengendre, en tant que rapport mme, une transformation des termes quil relie 4. Cest cette conception

    3 Cit par Raymond Boudon et Franois Bourricaud dans Dictionnaire critique de la sociologie. P. 603.

    4 Cit par Joachim Israel dans The language of dialectics and the dialectic of language. Copenhaguen : Munksgaard, 1979.P. 128.

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    de la socit comme ensemblede systmes de relations que nous retiendrons ici5.

    Il nest sans doute pas inutile de rappeler que, dans la tradition sociologique, les phnommessociaux qui font lobjet dinvestigations sociologiques, sont conus et apprhends, dans lesprit sinondans la lettre, comme des systmes de relations sociales. En effet, la sociologie sintresse aux individusnon en tant que tels, mais en tant qutres sociaux, cest--dire en relation les uns avec les autres. Aussila plus petite unit danalyse de la sociologie nest pas lindividu, mais linteraction entre, au minimum,deux individus formant un systme . Laction individuelle (les comportements, les penses) nintressela sociologie que dans ce quelle doit laction dautrui, quen tant que rponse (entendue ou sous-entendue, consciente ou inconsciente, spontane ou programme) aux actions des autres, peu importeici que cette rponse soit consciente ou inconsciente, spontane ou programme. La sociologie porte sonattention non sur une catgorie dactions, celles qui relveraient des relations aux autres, mais sur unedimension de laction, la dimension sociale, car il nest pas daction humaine qui ne soit tributaire dusocial, qui nengage des normes sociales, des us et coutumes, des institutions, des relations de pouvoir,une culture, une tradition, ou la simple exprience quotidienne de la vie avec les autres, cest--dire desrapports de rciprocit ou dinterdpendance6.

    Avant de poursuivre dans notre exploration smantique de la notion de systme et, plus spcifiquement,de systme de relations, il est sans doute indiqu d'tablir leur validit thorique et leur pertinencemthodologique. Il faut, en effet, montrer quunsystme de relations a une existence propre et ne peuttre rduit aux termes qui le dsignent. Certes, lemploi de tel ou tel terme pour dsigner la notion desystme de relations est purement conventionnel, et les mots pourraient tre remplacs comme cest lecas dune langue lautre. Mais le rfrent de ces termes est bien rel.

    5 Raymond Boudon parle de systmes d'interaction (La logique du social : introduction l'analyse sociologique.Paris : Hachette, 1979). Pierre Bourdieu conoit lui aussi les rapports sociaux laide du concept de systme et parle de lancessit de situer les individus dans un systme de relations objectives (Le mtier de sociologue. Paris : Mouton, 1968. P.41). Pour Roy Bhaskar, lobjet spcifique de la sociologie rside dans ltude de la diffrenciation, de la stratification, de lareproduction et de la transformation des relations sociales. [] [T] he initial conditions in any concrete social explanationmust always include or tacitly presuppose reference to some or other social relation (however the generative structuresinvoked are themselves best conceived). And it is, I suggest, in the (explanation of the) differentiation and stratification,production and reproduction, mutation and transformation, continual remoulding and incessant shifting, of the relativelyenduring relations presupposed by particular social forms and structures that sociology's distinctive theoretical interest lies.Thus the transformational model implies a relational interest for sociology (The possibility of naturalism : a philosophicalcritique of the contemporary human sciences. Atlantic Highlands, N.J. : Humanities Press, 1979. P. 51-52).

    6 Walter Buckley donne la dfinition suivante dun systme social : [A] complex of elements or components directly orindirectley related in a causal network, such that each component is relatedto at least some others in a more or less stableway within any particular period of time. The components may be relatively simple and stable, or complex and changing ;they may vary in only one or two properties or take on many different states. The i nterrelations between them may bemutual or unidirectional, linear, non-linear or intermittent, and varying in degrees of causal efficacy or priority. The particularkinds of more or less stable interrelationships of components that become established at any time constitute the particularstructure of the system at that time, thus achieving a kind of whole with some degree of continuity and boundary (lesitaliques sont de nous) (Sociology and modern system theory. Englewood Cliffs, N.J. : Prentice-Hall, 1967 P. 41). JeanPiaget insiste lui aussi sur limportance des relations dans un systme : ce qui compte nest ni llment ni un toutsimposant comme tel sans que lon puisse prciser comment, mais les relations entre les lments, autrement dit lesprocds ou processus de composition () le tout ntant que la rsultante de ces relations ( Le structuralisme.Paris : Presses Universitaires de France, 1968. P. 9-10). la lecture de pareilles citations, qui prsentent les relationscomme constitutives des systmes, on pourrait critiquer notre choix du syntagme systme de relations , le mot relation ne faisant quintroduire de la redondance. Cependant, nous retenons ce terme pour bien marquer que nousnous intressons spcifiquement et exclusivement aux relations grce auxquelles les systmes existent et voluent.

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    Nous essayerons de le dmontrer partir dun exemple simple. Soit un million dindividus regroups dansun espace organis disons : une grande ville. Si ne joue que la loi des grands nombres, la probabilitquun individu particulier (appelons-le journaliste) entre en contact avec un autre individu (appelons-lepoliticien) est de 1 sur 999 999. Par ailleurs, la probabilit que le mme individu-journaliste entre encontact plusieurs fois dans un court laps de temps (par exemple une anne) avec le mme individu-politicien est pratiquement nulle. De plus, la probabilit que la prise de contact entre les deux mmesindividus (elle-mme trs improbable) ait pour consquence, chaque occurrence, (a) un fluxdinformation (b) allant dans le mme sens (du politicien au journaliste) (c) portant sur un ensemble derfrents trs peu nombreux et rcurrents (situation du monde du point de vue lindividu-politicien) dfielimagination. Or cela se passe chaque jour ; cest mme un des principes dorganisation de la pratique

    journalistique. Sur une constellation de rencontres alatoires entre un million dindividus, un certainnombre se reproduisent rgulirement dans des conditions comparables dune occurrence lautre. Cestcetteprobabilit, plus ou moins grande, que certaines relations se reproduisent au mpris du hasard, quidfinit un systme de relations. Spatialement et socialement, les chemins qui vont du journaliste aupoliticien sont tracs (avec plus ou moins de prcision), ce qui nest pas le cas pour ceux qui iraient du

    journaliste aux 999 998 autres individus ; ces chemins sont frquents avec plus ou moins dassiduit etdepuis plus ou moins longtemps. Lorsque journaliste et politicien entrent en relation, le thme delchange nest pas, tout comme leur rencontre, laiss au hasard. Au fil des changes prcdents, entre

    eux ou dautres dindividus semblables, la manire dont la relation stablit, se droule et se termine estdevenue plus ou moins routinire.

    Ce que nous venons de dire propos du journaliste et du politicien pourrait sappliquer aux couplesjournaliste-syndicaliste ou journaliste-financier et, de lautre point de vue, aux couples politicien-syndicaliste, politicien-financier, etc. Il ne saurait tre question de nier la ralit de ces rencontres, ni leurcaractre non-alatoire, prvisible et mme probable. Or affirmer que des systmes de relations existent,cest tout simplement constater, premirement, que certaines relations sont de fait beaucoup plusprobables que dautres et, deuximement, que lorsquelles se produisent ces relations prsentent descaractristiques rcurrentes, du point de vue du rle des protagonistes, de lobjet et des rsultats de larelation.

    On peut voir, dans cet exemple, quun systme de relations peut tre dfini partir de deux de sesmodalits. Premirement, lidentit des acteurs engags dans la relation. Dans lexemple prcdent, leterme journaliste (dans la relation journaliste-politicien) permettait didentifier le systme de relations

    journaliste-sources d'information. La seconde modalit concerne lobjet de la relation. Celle-ci peut tre,notamment, de nature conomique, politique (relations de pouvoir), informationnelle ou affective. Larelation journaliste-politicien a de fortes chances dtre de nature informationnelle, bien quune relation depouvoir puisse sy superposer, comme cest souvent le cas dans la presse de partis7. Une relation estrarement absolument univoque, dabord parce que, pour un acteur, elle peut engager plusieurs objets lafois et, ensuite, parce que lobjet de la relation nest pas ncessairement le mme pour tous lesprotagonistes : elle peut engager de linformation du point de vue du journaliste, du pouvoir, du point devue du politicien, un intrt conomique du point de vue de l'homme d'affaires, etc.

    7 Rappelons, pour le bnfice des lecteurs peu familiers avec lhistoire de la presse, quau XIXe sicle, dans la plupart despays dmocratiques, les journaux taient souvent attachs des partis politiques. Dans ces organes partisans, les

    journalistes faisaient uvre de propagandistes conscients et consentants dune idologie. Ils recevaient et diffusaient lesdirectives des chefs de parti dans lespoir et lattente, pour plusieurs, de gravir les chelons de lappareil, jusqu devenireux-mmes dirigeants du parti. Un grand nombre dhommes politiques de lpoque sont entrs dans la carrire comme

    journaliste.

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    Une totalit organise

    Linterdpendance des lments constitue le systme en une totalit. Certes, cet ensemble peut treenglob dans un ensemble plus vaste, comme il peut ventuellement tre dcompos en sous-ensembles, mais le systme forme une totalit, distincte des autres ensembles qui le composent ou dont

    il fait partie.

    On peut dire quun systme existe si une frontire permet de reprer et de distinguer un dedans (le systme) et un dehors (son environnement). Si, pour tudier certains objets, il peut tre utile derecourir au modle thorique dun systme absolument clos, on conoit plus gnralement les systmescomme des totalits en interaction avec dautres systmes qui constituent leur environnement. Ltat dusystme est alors expliqu par ses relations avec les autres systmes de son environnement8.

    La ralit sociale doit donc tre conue comme un tout organis dont la structure, hirarchise, comprendde nombreux ensembles eux-mmes composs de plusieurs niveaux ou sous-ensembles (individu,famille, groupe, entreprise, profession, association, classe, nation, etc.) qui, sans tre indpendants les

    uns des autres, peuvent tre abstraits et considrs sparment des fins analytiques. Dans la mesureo la socit forme un tout complexe et hirarchis, il faut la concevoir comme un vaste systme desystmes de relations. En dautres mots, ce que la terminologie conventionnelle de lanalyse systmiquedsigne comme des sous-systmes peut tre dfini plus spcifiquement comme des sous-systmes derelations (ou sr). Chaque organisation, entreprise ou groupe professionnel peut donc tre conu commeun systme de relations (sr) en soi et, dans ses rapports avec les autres composantes sociales de mmeniveau, comme faisant partie dun autre systme de relations, d'un niveau hirarchique plus gnral, quiest en fait un systme de systmes de relations (SR). Les systmes de relations lmentairesnimpliquent que des personnes physiques, mais au fur et mesure que lon slve dans la hirarchiedes systmes, de plus en plus ce sont des groupes, des entreprises, des organisations qui sont enrelation. Cela nimplique pas que les acteurs ou groupes dacteurs se volatilisent, mais ils sont subsumsdans la logique des SRauxquels ils appartiennent.

    Tous les concepts importants dans une thorie du journalisme : journaliste, mdia, public, sourcedinformation, texte, code, discours, contrat de travail, contrat de communication, concurrence,conformisme, valeur, rle, norme, fonction, etc. impliquent des relations ; bien plus, ces concepts sonteux-mmes dfinis au moyen du concept de relations.

    Une totalit rgule

    La notion de systme dnote aussi lide selon laquelle les relations entre les lments font lobjet duneforme quelconque de rgulation, variable selon la nature des systmes. Par exemple, certains systmesnaturels ou artificiels sont qualifis d homostatiques lorsquils sont rgis par un principe dquilibre.

    On dira quils sont finaliss lorsquils visent un but et que les actions du systme sont orientes enfonction de cette finalit ou encore quils sont rguls lorsque leur fonctionnement est normalis. Bref,

    8 Dailleurs, lobjet de la Thorie gnrale des systmes qui nest pas le ntre nest pas ltude des systmes en tantque tels (qui sont ramens des botes noires dont laction consiste transformer des intrants en extrants ),mais lanalyse des relations entre les systmes et leur environnement. La thorie gnrale des systmes, dans lacceptionentendue ici, a t labore dans les annes 1950 par un noyau de chercheurs (le biologiste Ludwig von Bertalanffy,lconomiste K. Boulding, le biomathmaticien A. Rapoport et le physiologiste R. Grard), qui soutenaient que le conceptde systme en gnral prsentait un caractre scientifique universel et unificateur.

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    Le journalisme dans le systme mdiatique

    tout ne peut pas survenir dans un systme, et ce qui y survient nest pas le fruit du hasard. En dautrestermes, cest ce qui arrive de ncessaire ou de probable dans le systme qui constitue le systme en tantque tel. Nous avons vu prcdemment que, parmi le nombre infini de rencontres possibles entre unmillion d'individus dans une ville, un certain nombre se reproduisent rgulirement dans des conditionscomparables d'une occurrence lautre. Ces rencontres se produisent parce quelles obissent uneforme quelconque de rgulation9.

    La thorie sociologique,dispose dun grand choix de concepts pour rendre compte de la varit desformes que peut prendre la rgulation des systmes sociaux : intrt, rle, rgles, normes, fonction,socialisation, habitus, idologie, culture, institutions, etc. Ces concepts traduisent des choix thoriquesdiffrents. On retiendra, cependant, que la rgulation des systmes sociaux se ralise diffremment,selon quil sagit, suivant la distinction tablie par Raymond Boudon, de systmes fonctionnels ou desystmes dinterdpendance. Dans un systme fonctionnel, les individusoccupent des positions ouremplissent des fonctions et, par consquent, jouent des rles les uns lgard des autres, comme lepoliticien par rapport au journaliste dans un systme journaliste-sources. Dans des systmesd'interdpendance, les individus agissent en fonction de leurs intrts personnels, sans jouer de rleparticulier lgard des autres individus du mme groupe. Par exemple, les journalistes d'un mme

    groupe dge peuvent former un systme dinterdpendance, en ce sens que, nourrissant des intrtsconvergents et ragissant de manire semblable aux stimuli du milieu social, ils peuvent adopter, sans seconcerter, des conduites individuelles dont la consquence finale risque dtre diffrente de leffetrecherch par chacun, et mme dy tre oppose.Ainsi, les jeunes journalistes frachement diplms et la recherche dun emploi, constatant que les postes libres sont rares, acceptent, en attendant mieux, desconditions de travail prcaires. Il sensuit une prcarisation gnralise du travail dans les entreprises depresse et une rarfaction des postes offrant une scurit demploi et de bonnes conditions de travail.Dans cet exemple, il y a un effet de systme, alors que les candidats lemploi noccupent pas de position et ne jouent pas de rle les uns par rapport aux autres10.

    Dans le cas des systmes d'interdpendance, Boudon suggre de parler dagents plutt que dacteur.Lemploi de ces termes introduit dans lanalyse une subtilit quil nous semble utile de conserver. Le

    journaliste est tour tour acteur et agent : il est acteur, par exemple, dans les systmes de relations oses actions ont pour finalit la production de textes journalistiques ; il peut tre agent dans dautressystmes comme, par exemple, lorsque la rsultante dune couverture critique de lactualit politiquea pour consquence de rendre les citoyens cyniques lendroit des institutions politiques. En ce quiconcerne laspect proprement discursif du journalisme, les concepts dacteuret dagentdsignent deuxdimensions de lactivit professionnelle. Ainsi, le journaliste est acteur lorsquil fait la collecte desinformations, choisit langle de prsentation de son article, en organise le contenu et le rdige. Mais, enmme temps quil joue son rle dans les systmes de relations fonctionnels journaliste-source,

    journaliste-secrtaire de rdaction, etc., le journaliste est aussi, en tant que scripteur, un agentlinguistique dans le systme dinterdpendance que constitue la langue. La faon dont il crit (choix destermes, syntaxe, registre) peut tre influence par les conditions sociolinguistiques de son milieu ; ellepeut aussi, en retour, influer sur certains aspects des pratiques linguistiques de son groupe social11.

    9 Certes, le journaliste peut rencontrer un politicien au supermarch, mais cette rencontre, qui semble le fruit du hasard, nerelve pas des rgles du systme.

    10 Nous reviendrons plus loin sur la notion deffet agrg ou effetmergent.

    11 Il serait abusif, selon Boudon, et cest un des travers du fonctionnalisme, de rduire lensemble des relations des jeuxde rles, en dautres termes ne considrer les individus que comme des acteurs au sein de systmes fonctionnels.

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    Les systmes fonctionnels sont dots dune organisation interne plus ou moins complexe, contrairementaux systmes dinterdpendance, qui sont inorganiss. Lorsquun systme inorganis prsente des effetsindsirables, des agents peuvent chercher le doter de certains lments dorganisation. Le passagedun systme inorganis un systme organis est un processus frquemment observ dans lensembledes secteurs dactivit sociale, y compris le systme mdiatique. Par exemple, la mise en commun deressources pour assurer la collecte des nouvelles rduit de beaucoup les cots de lopration mme sielle prive les collaborateurs doccasions de se mettre en valeur. Le regroupement des mdias au seindorganismes de normalisation des donnes de diffusion, mme sil entrane des cots pour chacun desparticipants, facilite les relations de lensemble avec les autres composantes de lindustrie de la publicit.En contrepartie, de tels processus dorganisation entranent l'apparition de contraintes nouvelles, quirduisent la marge de manoeuvre des participants au systme.

    La distinction entre systme fonctionnel et systme dinterdpendance renvoie la distinction entrerelations spcifiques et non-spcifiques ; celle-ci renvoie son tour la distinction entre rle actuel et rlelatent, dont il sera question plus loin. Tous les acteurs sociaux peuvent tre analyss sous plusieursdimensions, dont chacune peut correspondre un systme de relations spcifiques. Par exemple,lindividu-journaliste est mari ou clibataire, lecteur, syndiqu, etc. ; il appartient un groupe dge,

    une classe sociale, peut-tre une famille politique, etc. chacun de ces titres, il sinsre dans unsystme de relations diffrent, qui a une incidence plus ou moins directe et marque sur son activitprofessionnelle. Du point de vue d'un systme de relations quelconque, certaines relations pourraientdonc tre qualifies de spcifiques en ce sens quelles sont lies aux caractristiques propres ausystme. Par exemple, en ce qui concerne ltude du journalisme, les relations tablies en vue delexcution des tches professionnelles, avec les sources ou avec les responsables hirarchiques de lasalle de rdaction notamment, seraient spcifiques, tandis que dautres relations ne concernant pas lapratique professionnelle en tant que telle seraient dites non-spcifiques, mme si elles sont susceptiblesdinfluer sur lactivit des journalistes (ce pourrait tre le cas des relations du journaliste avec ses enfantsou avec les membres de la cooprative dhabitation dont il est le trsorier)12.

    Comme nous lavons dit plus haut, pour tre considres spcifiques, il nest pas ncessaire que les

    relations dun journaliste aient pour objet de linformation : il peut sagir dune relation conomique (salairede lemployeur, pot-de-vin de la source) ou de pouvoir (assignations donnes au reporter par le chef desnouvelles). Il suffit, en somme, que lenjeu concerne toujours l'activit professionnelle du journaliste.

    Les relations dans lesquelles les acteurs sont engags peuvent appartenir trois classes principales,selon (a) que les termes de la relation sont mutuellement exclusifs et exhaustifs comme dans les relationslibert-censure et employ-employeur ; (b) que les termes sont mutuellement exclusifs, mais nonexhaustifs, comme dans information-propagande, journaliste-pairs ; ou (c) que les termes sontcontraires, dans le sens dinverses, mais complmentaires dans le sens de dpendants lun de lautre,comme dans publicit-mdias ou journaliste-source. Dans ces trois cas, les termes opposs forment untout engag dans un processus interactif. Le statut dune relation peut changer selon le rle quy jouentles acteurs. Ainsi, journaliste et employeur peuvent se placer en situation dantagonisme (employ-

    employeur ; type a) ou de collaboration (reporter-secrtaire de rdaction ; type b).

    12 Nous abordons ici le sujet du point de vue de la nature des relations dans le systme, mais, du point de vue de lacteur,la mme distinction introduirait les concepts de rle actuel (correspondant aux relations spcifiques) ou latent(correspondant aux relations non-spcifiques), dont il sera question plus loin.

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    Une totalit en changement

    Les systmes de relations sont des entits dynamiques, en mouvement ; les lments (ou les sous-systmes) qui les composent sont en constant ajustement les uns par rapport aux autres. Lanalysesystmique sintresse prcisment aux transformations des systmes ou dans les systmes. On peutainsi analyser le changement social comme le produit des ajustements des lments du systme socialles uns par rapport aux autres et de ladaptation dun de ces systmes aux variations dans sonenvironnement. Le changement social napparat plus alors comme une rupture, mais comme unprocessus sans fin et indfini de transformations. Cest ainsi que la socit, en tant que totalit, engagedans un mouvement ininterrompu de transformations, se produit et se reproduit elle-mme sans cesse ;plus prcisment, elle est la rsultante des relations systmiques qui l'habitent et la dfinissent tout en laproduisant.

    La notion de totalit implique donc celle de processus : la socit est la fois donn etprocessus. Elleest le produit de lHomme agissant sur lenvironnement antrieur son action, c'est--dire surlenvironnement qui rsulte dactions antrieures la sienne. Il est donc possible de considrer la socitselon deux perspectives complmentaires : comme processus en cours et comme rsultat de ceprocessus. Sur le plan mthodologique, on peut considrer un phnomne social selon une coupediachronique ou gntique (processus) ou selon une coupe synchronique ou structurale (donn),les deux se combinant dans ce que Pierre Bourdieu appelle un structuralisme gntique 13.Cependant, quelle que soit la perspective, il faut garder lesprit que le processus transforme un donn,et que ce donn nest que la rsultante dun processus. La reproduction de la socit nimplique pasncessairement la coopration harmonieuse de ses parties, ni la coordination de ses composantes ; aucontraire, elle tolre, voire suppose, lexistence de tensions, qui sont sources de changement.

    Individus, acteurs et agents

    Le systme social nvolue que du fait de lactivit des acteurs ou agents sociaux. Nous avons djpostul la validit de cette proposition, mais il nest sans doute pas inutile de prciser la signification dontnous linvestissons, en particulier sur la contribution respective des acteurs et des agents dans lestransformations du systme social.

    En tant quacteurs sociaux, les individus jouent des rles ou possdent des statuts lintrieur dessystmes de relations.Les notions de rle et de statut servent essentiellement souligner le caractresocial de laction individuelle. Il ny a, en effet, de rle et de statut que dans des relations sociales(pre / enfant ; soignant / malade ; poux / pouse ; gouvernant / gouvern ; etc.). La traditionfonctionnaliste sest attache avec un certain succs dfinir les notions de rle et de statut. Nous enrsumerons brivement les grandes lignes.

    Dans un systme fonctionnel, lindividu occupe une position (pre dans la famille, trsorier dans lacooprative dhabitation, journaliste dans lentreprise de presse) qui lui confre un statut et un rle. Statutet rle sont des notions distinctes, mais complmentaires : si on se place du point de vue de lindividu, lerle est constitu de lensemble des attentes lgitimes que les autres membres du systme ont songard du fait quil occupe telle position dans le systme ; le statut est constitu de ses attentes lgitimes lgard des autres, compte tenu de sa position. Le pre de famille doit, en vertu de son rle de pre,

    13 BOURDIEU, Pierre. Choses dites. Paris : ditions de Minuit, 1987.

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    voir au bien-tre de ses enfants ; en vertu de son statut, il attend deux respect et obissance. Dans unsystme fonctionnel, le rle dAlter (les enfants) renvoie au statut dEgo (le pre) et inversement. PourEgo lui-mme, son rle et son statut entretiennent un rapport dialectique : ils se dfinissentmutuellement14.

    Les attentes sexpriment travers des normes, positives (obligations) ou ngatives (interdits), dontcertaines peuvent tre plus contraignantes que dautres. Par exemple, la norme selon laquelle le

    journaliste doit vrifier ses informations pour viter dinduire le lecteur en erreur est plus imprieuse quecelle qui prescrit quun article doit tre rdig dans un style clair et prcis.

    Rle et statut sont la fois donns (cest--dire rsultats dun processus) et processus ; ce sont desentits dynamiques, en constante actualisation et transformation. En effet, le rle et le statut du pre, et plus forte raison celui du journaliste, changent dans le temps et dans lespace. Plusieurs dimensions desrles et des statuts contribuent leur transformation. Dabord, la plupart des rles sociaux laissent auxacteurs une latitude que ceux-ci mobilisent dans leurs relations aux autres et qui contribue la dfinitiondes systmes de relations. En effet, les rles sociaux ne sont gnralement pas dfinis avec une grande

    prcision, si bien quil subsiste une marge dinterprtation plus ou moins grande, chez les titulaires desrles comme dans les groupes dont ils font partie, propos de la manire dont les acteurs doiventsacquitter de leurs rles. La thorie parle ce propos de la variance de rle . Ainsi, le comportementde rle, cest--dire la manire dont lindividu satisfait, peu ou prou, aux attentes de son rle, demeureindtermin ; les rles effectivement jous par les individus peuvent scarter plus ou moins des rlessocialement attendus.

    De plus, les rgles auxquelles sont soumis les acteurs sont souvent contradictoires, ce qui force lacteur choisir celles auxquelles il voudra se conformer. Par exemple, pour un journaliste, la pression de laprimeur soppose au respect de lembargo sur une information. Les contradictions tiennent souvent uneopposition entre des normes organisationnelles et des normes institutionnelles ou, pour reprendre unedistinction de Bailey15, entre les rgles pragmatiques (comment faire pour gagner) et les rgles

    normatives (les rgles du jeu proprement dites). Cest ainsi quen journalisme les rgles normatives derigueur, dobjectivit, dquit, dquilibre des points de vue, de qualit, etc. qui contribuent la dfinitiondu rle de journaliste peuvent entrer en conflit avec les rgles pragmatiques defficacit, de productivit,de rapidit dexcution, de rentabilit, etc., qui dcoulent des objectifs de fonctionnement delorganisation-journal.

    En outre, les rles sont souvent composs de sous-rles, qui associent les acteurs diffrents srcomplmentaires. Par exemple, un journaliste joue des rles dans la salle de rdaction, en rapport avecses collgues et surtout ses suprieurs hirarchiques, dans sa spcialit ou son domaine dassignationen rapport avec ses homologues dautres mdias, dans ses relations avec les sources dinformation, avecle public, etc.

    Enfin, un mme individu est appel jouer des rles dans plusieurs sren rapports souvent loigns les

    14 In social life only relations endure. Note also that such relations include relationships between people and nature andsocial products (such as machines and firms) as well as interpersonal ones. And that such relations include, but do not allconsist in, 'interactions'. (Thus contrast the relationship between speaker and hearer in dialogue with the deonticrelationship between citizen and state). (BHASKAR, Roy. The possibility of naturalism P. 52).

    15 BAILEY, Frederick G. Les rgles du jeu politique : tude danthropologie. Paris : Presses Universitaires de France. 1971.

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    uns avec les autres. Par exemple, un journaliste peut tre pre de famille, prsident dune associationcaritative ou reprsentant de son quartier au conseil municipal. La thorie distingue le rle actuelet lerle latent. Le premier dcoule de la position de lindividu dans le systme actuellement considr etimplique des relations spcifiques, au sens dfini plus haut ; le second est le rle jou dans dautressystmes et, de ce fait, engage des relations non-spcifiques. Les attentes lies chacun de ces rlespeuvent entrer en contradiction et crer des zones dambigut, cest--dire de choix. Le journaliste (rleactuel), qui est aussi prsident du Comit des parents de lcole primaire de son quartier (rle latent),pourrait interprter son rle de journaliste de manire diffrente lorsquil traite de la rforme scolaire ou dela politique du gouvernement en matire de garde en milieu scolaire. Lindividu fait face des conflits derles lorsque des rles comportant des prescriptions contradictoires se combinent.Par exemple, le faitdtre syndiqu, pour le journaliste qui couvre les affaires syndicales, ou lappartenance une famillepolitique, lpoque du journalisme dopinion.

    Il faut toutefois viter de tomber dans un rductionnisme fonctionnaliste qui consisterait interprterlensemble des relations sociales lintrieur de la notion de rle. La ralit sociale ne sexplique pas parles seules actions poses par les acteurs en vertu de leurs rles, et la description de la contribution desindividus au fonctionnement du systme social serait incomplte, si elle se limitait leurs seuls rles titre d'acteurs sociaux. En effet, lindividu exerce une influence non seulement dans les sro il entre enrelation titre dacteur, mais sur dautres srou SRet sur lensemble du systme social titre dagent ; ilsubit aussi, en retour, linfluence des autres agents sociaux. Nous avons considr plus haut lexemple du

    journaliste agent dans le systme gnral de la langue, mais il serait possible de multiplier les exemples.Un grand nombre dvnements ou de situations qui entrent dans lexplication des mutations du

    journalisme participent de ce type de phnomnes16. Par exemple, le renforcement ou laffaiblissementdu statut social dune catgorie dacteurs sociaux (les athltes professionnels ou les chanteurs populairesdans le premier cas, les politiciens ou les membres du clerg dans le second) influent sur la manire dontles journalistes traitent les informations les concernant. Certes, ce mme traitement mdiatique est sontour incorpor dans le processus dialectique de dfinition des statuts, mais il nen est pas lorigine. Lesexpressions effets d'agrgation, effets mergents ou effets pervers dsignent ce type dinfluence.

    Ce type deffet sapplique aussi, videmment, lactivit spcifique des acteurs. Ainsi, lmergence ou laremise en question de lobjectivit comme norme professionnelle ne sont pas des consquencesexpressment recherches par des acteurs ; elles sont plutt laboutissement, au niveau de la collectivitprofessionnelle rflchissant sur elle-mme, dune longue suite de conduites discursives individuelles parlesquelles le journaliste, soit tablit laltrit journaliste-rfrent, soit tend la brouiller. Le mme constatpourrait tre formul, par exemple, propos de dcisions prises par lentrepreneur de presse de la fin duXIXe sicle : en affectant un plus grand nombre de journalistes et de correspondants au reportage desnouvelles et en leur accordant plus despace dans le journal, il cherche satisfaire les gots dunnouveau lectorat afin dassurer la rentabilit de son entreprise et non pas faire disparatre le journalismedopinion. Toutefois, cest ce dernier effet que provoquera long terme lagrgation de toutes lesdcisions de mme nature prises par lensemble des propritaires de journaux.

    Il arrive que leffet mergent stende dans le temps et lespace et devienne mme rcursif, cest--direse reproduise du fait mme de lactivit des acteurs sociaux ; on peut ds lors le considrer commeincorpor la structure sociale et parler de proprit mergente de la structure sociale. Dans de pareilscas, ce qui, au dpart, relve surtout de linitiative isole de quelques acteurs et qui est considr par lesautres comme un cart la norme, une nouveaut, est progressivement intgr la pratique normale

    16 CHARRON, Jean et DE BONVILLE, Jean. Journalismes en mutation : perspectives de recherche et orientationsmthodologiques . Communication. Vol. 17, no 2 (1996). P. 15-49 et Le paradigme du journalisme decommunication : essai de dfinition . Communication. Vol. 17, no 2 (1996). P. 51-97.

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    des acteurs et en vient se reproduire de manire routinire. Ainsi en est-il de lapparition de lobjectivitjournalistique ou de linstitutionnalisation du reportage, dont il vient dtre question.

    Lacteur ou lagent social doit tre conu comme dot de rflexivit. lintrieur des limites prciserdans chaque cas concret, il est conscient et responsable de son activit ; il peut faire un retour sur elle etla modifier.Le journaliste ne fait pas exception la rgle : il ajuste constamment son activit celle desautres journalistes et sa propre activit, passe (le plus souvent) ou future (parfois), de mme qulactivit (passe ou future) des acteurs des diffrents sr dans lesquels il est engag : employeur etcadres de rdaction, sources, pairs, etc. Ceci tant admis, une proportion importante des actions posespar les acteurs sociaux relve dactivits routinires, lesquelles, de ce fait, ne requirent pasncessairement une planification expresse et une valuation des rsultats.

    La socit est la rsultante des systmes de relations complexes au sein desquels les humains nouentdes rapports les uns avec les autres. Mais, pour que la socit soit pensable, en tant que telle (commeSR) ou dans une de ses parties (un sr), elle doit obligatoirement tre envisage au niveau des entitsspcifiques17, plus ou moins fines, qui la constituent. Autrement dit, il faut faire abstraction des traits

    idiosyncrasiques des individus qui la composent. En effet, sil est possible, au niveau du particulier, dedcrire la socit et cest notamment le travail de lhistorien il est impossible de la concevoircommeun tout ni den abstraire des parties pour les analyser en tant que sous-systmes. Lanalyse desprocessus socitaux ne peut donc sengager quau niveau des caractres spcifiques des individus, entenant compte de leur situation dans les diffrents sret SRqui constituent la socit. Do la ncessit dedistinguer lindividu au destin singulier des catgories plus ou moins spcifiques auxquelles cet individupeut tre analytiquement rapport.

    Un exemple. Conrad Black dirige Hollinger et, ce titre, fut propritaire du Soleilde Qubec, et PierrePladeau a fond Quebecor, compagnie laquelle appartient Le Journal de Qubec. Les deux individusavaient des personnalits diffrentes, leurs opinions politiques taient opposes, leurs intrts culturelsdivergeaient, etc. Cependant, certains traits de caractre les rapprochent : tous deux self-made men et

    non conformistes, ils aimaient se mettre en scne sur la place publique, etc. En quoi ces traits individuelsnous sont-ils utiles pour comprendre leur rle respectif dans lindustrie des mdias et dans lejournalisme ? Certes, leur idiosyncrasie les rend pittoresques et colore leur action (et, ce titre, ellecorrespond aux intrts mdiatiques de traitement de linformation), mais cette action ne sexplique quepar les classes de sr dans lesquelles ces deux personnes interviennent et par la manire dont leursgestes modifient ces sr. On comprend beaucoup mieux la finalit, la nature et la porte de leur action si, leur identit personnelle, on substitue la classe spcifique dacteurs en vertu de laquelle ils agissent. Endautres termes, ces individus posent des actions, entretiennent une pratique, en fonction de rles qui leurconfrent une position dans un sret dans le SR18.

    17 Nous insistons sur le sens quil faut donner, dans ce texte, au terme spcifique. Nous le prenons dans le sens courant enlangue franaise dadjectif driv du substantif espce. Ainsi, les traits spcifiques dun groupe ou dun individucaractrisent ce groupe ou cet individu comme membre dune classe ou espce de groupes ou dindividus lintrieur dunensemble plus grand ou genre de groupes ou dindividus. Le terme spcifique nest donc pas employ ici dans le sens desingulier, comme en anglais.

    18 Finally, crit Roy Bhaskar, it is important to stress that from the standpoint of the social sciences, though notnecessarily either that of the psychological sciences or that of historical explanation, the relations one is concerned with[here] must be conceptualized as holding between the positions and practices (or better, positioned-practices), not betweenthe individuals who occupy/engage in them (litalique est de nous) (BHASKAR, Roy. The possibility of naturalism P.52). Il arrive certes que des individus sortent de leur rle, mais leur comportement sera sans doute interprt par leurentourage comme dviant ou irrationnel en rapport avec leur rle. La raison de ce comportement inattendu peut tre

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    Au niveau microsocial, les facteurs biographiques et idiosyncrasiques peuvent jouer un rle nonngligeable dans la configuration particulire du contexte. Mais plus on sloigne de ce niveau pour serapprocher du niveau macrosocial, plus linfluence de ce type de facteurs sattnue. Ce sont toujours desindividus qui agissent, ce sont toujours leurs actions qui favorisent ou ralentissent les changements, maisce ne sont plus leurs caractristiques idiosyncrasiques, mais spcifiques, qui expliquent leur influencedans le contexte global19.

    Institutions, structures et contraintes

    Il est impossible de rendre compte de lactivit des acteurs sociaux sans faire appel aux notionsdinstitutions et de structures sociales. Celles-ci sont souvent penses comme des contraintes pesant surles individus, rduisant leur autonomie. Acteur et institution sont alors considrs en situationdopposition, la marge de manoeuvre des individus tant inversement proportionnelle au caractreinstitutionnel du contexte daction. Par ailleurs, la signification respective de structures et institutionssociales ne simpose pas demble et sans quivoque.

    La notion de structure

    Le concept de structure nest pas dfini de manire uniforme par les diffrents courants scientifiques pourlesquels il constitue une composante thorique importante. Dans certaines dfinitions, structure estassimilable systme20, mais ailleurs la notion renvoie plutt aux lments statiques du systme paropposition aux lments dynamiques, qui en constituent les processus. En ce sens, la structure dunsystme quelconque, le systme conomique par exemple, est rductible aux caractristiques dusystme qui apparaissent comme relativement stables par rapport aux autres , sans pour autantcarter lide quune structure est une organisation abstraite dlments lis ensemble par une forteprobabilit de co-occurrence 21. Ces deux modalits sont videmment relies. Nous le constatonslorsque nous essayons de comprendre pourquoi, pour lessentiel, le systme social semble fonctionnerde lui-mme, aujourdhui comme hier, ici comme ailleurs, sans quil ne soit ncessaire de dire chaqueacteur quel rle jouer, de quelle manire le jouer, quitte lui livrer une infime partie de ce quil faut faire,

    cest--dire le diffrentiel , soit, dans le cas du journaliste, ses assignations. Cette cohsion de lasocit dans lespace et le temps, cette rgularit des phnomnes sociaux impliquent lexistence destructures. Plutt que de faire des synonymes de systme et de structure, leur distinction permet de seservir de lun pour caractriser lautre : la structure serait cette proprit du systme qui lui assure stabilitdans lespace et le temps. Saussure, pour caractriser la structure de la langue envisagecomme systme, la compare au jeu dchecs : la structure du jeu, ce sont les rgles qui prvoient la

    trouve lintrieur du systme (lagent enfreint les rgles du systme avec des motivations ou dans un but prcis) ousans gard aux rgles spcifiques du systme (lagent est devenu fou). Cependant, mme cette dernire ventualit, pourimprobable quelle soit, nest pas alatoire dans la mesure o le systme est compos dtres humains, qui ne sont pas labri de ce risque.

    19 On nous servira peut-tre le contre-exemple typique, celui du grand homme qui bouleverse le cours des

    vnements : Napolon ou Hitler. Mais si, sous le troisime Reich, le mme Adolf Hitler avait t un clochard plutt quunchef dtat, on aurait tt fait de lenfermer dans un asile dalins.

    20 Par exemple, cette dfinition du Dictionnaire de sociologie : La structure est un ensemble dlments entre lesquelsexistent des relations telles que toute modification dun lment ou dune relation entrane la modification des autreslments ou relations (Paris : Le Robert, Seuil, 1999).

    21 CHARRON, Jean et DE BONVILLE, Jean. Journalismes en mutation . P. 23. (La coquille concurrence dansnotre article tait celle de lditeur !). Dans cet article nous insistions sur la modalit dure et ne faisions qu'voquer lamodalit configuration stable d'lments.

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    fonction des pices et prescrivent les dplacements autoriss22. En somme, la structure nexiste pascomme telle, mais plutt comme proprit dun systme.

    Anthony Giddens, qui retient cette acception de structure, la dfinit comme des ensembles de rgles etde ressources rcursives, cest--dire organises de telle manire quelles se reproduisent indfiniment23.

    Les rgles sont des techniques ou des procdures gnralises appliques dans la reprsentation et lareproduction des pratiques sociales. Cette dfinition englobe la signification usuelle de rgle comme prescriptions de la vie sociale , mais son extension est beaucoup plus large. Elle sapplique aussi bienaux rgles superficielles , cest--dire explicites, formalises, fortement sanctionnes et demploioccasionnel ou peu frquent, comme les lois, les obligations protocolaires, les codes de dontologie,quaux rgles profondes , cest--dire dun usage intensif dans la vie quotidienne, qui sontgnralement informelles (peu ou pas codifies) et tacites (appliques sans que les acteursnprouvent le besoin de se concerter), et dont les carts sont faiblement sanctionnes, comme le sontles rgles de la conversation en famille. Les rles, qui sont des ensembles de rgles dordre prescriptif oucognitif, appartiennent la classe des rgles profondes . La connaissance dune varit indfinie dergles concernant la conduite en socit, la vie prive ou le travail, assure le caractre averti, raisonn etsocialement congruent des conduites des acteurs sociaux24. Les ressources, deuxime lmentconstitutif, selon Giddens, des proprits structurelles des systmes sociaux, se composent des moyens

    la disposition des acteurs pour assurer le maintien du systme social25

    . Nous ne nous attarderons pasau classement quen donne Giddens, lequel na gure dimportance pour notre propos26. Mais il importede noter que les relations dans le systme sont influences par la quantit et la qualit de ressourcesdont disposent chaque acteur ou chaque groupe dacteurs.

    Ainsi comprises, avons-nous dit, les structures ne possdent pas en tant que telles dexistenceconcrte : elles nexistent, dans un cadre spatiotemporel donn, quactualises dans les pratiquessociales des acteurs et comme traces mnmoniques orientant leur conduite. En ce sens, structuresapparente la notion dhabitus, dfini comme un ensemble de dispositions durables, acquises parapprentissage, qui faonnent les modes de perception, de jugement et daction27. Les structures ou pluttles proprits structurelles des systmes imposent aux individus des contraintes de plusieurs ordres :contraintes matrielles (dcoulant des conditions naturelles et techniques de laction individuelle),contraintes organisationnelles (dcoulant de la coprsence dun grand nombre dacteurs dots de leurs

    22 FRANCK, Robert. Les explications causale, fonctionnelle, systmique ou structurale, et dialectique, sont-ellescomplmentaires ? , dans FRANCK, Robert (directeur). Faut-il chercher aux causes une raison ? Lexplication causaledans les sciences humaines. Paris : Vrin, 1994. P. 287-288.

    23 Nous nous inspirons librement de Giddens dans ce passage sur les structures. noter que dans la version franaise, Laconstitution de la socit : lments de la thorie de la structuration (Paris : Presses Universitaires de France, 1987), letraducteur emploie les mots le structurel pour dsigner ce que Giddens dsigne en anglais par le terme structure .Nous n'entrons pas suffisamment ici dans l'oeuvre de Giddens pour qu'il nous paraisse utile de discuter de cette nuance etde nous prononcer sur sa pertinence.

    24 Giddens parle de la knowledgeability des agents sociaux, mot traduit, dans l'dition franaise, par le terme comptence .

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    Bourdieu parlerait de capital , terme qui nous semble inopportun, voire trompeur, et que nous nutiliserons ici quedans lacception restrictive que lui confre la terminologie conomique.

    26 Giddens en propose une dichotomie trs sommaire qui nous claire sur le sens de la notion de ressource. Ellecomprend les ressources allocatives (ressources naturelles, moyens matriels de production et de reproduction, biensproduits par linteraction des deux premires catgories de ressources, etc.) et les ressources dautorit (qui permettentlorganisation de lespace et du temps social, la conduite et la coordination des individus, lorganisation des chances dedveloppement individuel (exemple : analphabtisme/alphabtisation)).

    27 Dictionnaire de la sociologie (Paris : Le Robert/Seuil, 1999). P. 287.

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    propres autonomie et marge de manoeuvre), contraintes et sanctions dcoulant de lingalit hirarchiquedes acteurs28.

    La notion dinstitution

    Le sens commun dsigne gnralement par ce terme des formes sociales et des structures organises,tablies par les lois ou par la coutume 29 ; mais, au-del des formes plus ou moins directementobservables, la tradition sociologique dfinit linstitution comme les rgles qui assurent la permanencedes faits sociaux dans le temps et leur extension dans lespace. Une institution sociale ne serait donc,comme laffirme Giddens, quune classe de proprits structurelles des systmes : le trait spcifique dessystmes possdant ces proprits serait leurgrande extension spatio-temporelle. En dautres termes, unsystme serait qualifi dinstitutionnalis (ou, par mtonymie, dinstitution) si ses rgles sappliquent demanire rcursive sur une dure et dans un espace relativement grands. Considrons, par exemple,linstitution scolaire. Le fait, pour un individu dpositaire dun savoir ou dune exprience quelconques, detransmettre ce savoir et cette exprience un autre individu qui en est dpourvu est aussi vieux quelhumanit. Linstitution scolaire, cependant, est dapparition beaucoup plus tardive. Avant quil deviennepossible de caractriser un ensemble de pratiques pdagogiques par le terme institution, il a fallu que

    ces pratiques se rpandent, se gnralisent, en viennent se reproduire de manire rcursive sous uneforme et dans des conditions comparables. De mme en est-il du journalisme : le fait de rdiger un texterelatant un accident et mme de limprimer ou de le diffuser ne fait pas dun individu un journaliste et nefonde pas le journalisme. Cest la multiplication dans le temps et lespace de pareilles pratiquesdiscursives qui nous justifie de les qualifier, ventuellement, dinstitutionnelles et de les dsigner du terme

    journalisme.

    Ces deux exemples mettent en relief la gense de linstitution ou linstitutionnalisation de pratiquessociales. Berger et Luckman30 suggrent de distinguer trois dimensions dans ce processus. Au dbut,lextriorisation assure la transmission des pratiques dautres individus que ceux qui en ont prislinitiative. Les rgles constitutives des nouvelles pratiques se rpandent grce leurintriorisation par unnombre croissant dindividus et elles acquirent de la sorte une extension spatio-temporelle plus ou moins

    grande. Enfin, les pratiques connaissent un processus dobjectivation en acqurant, aux yeux des acteurssociaux, lapparence dune ralit objective.

    28 Ainsi dfinies, les structures sociales perdent le caractre rifi que leur confre demble le sens commun et quellesconservent dans la sociologie spontane . En revanche, le postulat sur lequel se fonde cette dfinition est lourddimplication : il nexisterait pas de structures objectives , indpendantes de la conscience ou de laction des individus. Sile postulat semble aller de soi lorsquon considre les structures ordinaires de la vie quotidienne, dans la perspectiveethnomthodologique, il ne simpose pas demble lorsquon envisage lactivit des agents au niveau macrosocial. Ainsi, onaccepte plus facilement lide que les conversations quotidiennes se droulent grce et conformment des rgles tacitesintriorises par les acteurs que celle selon laquelle le capitalisme nexisterait que dans le cerveau des acteurs ou actualisdans leur pratique. Tous les spcialistes de la question ne sont videmment pas disposs aller jusque-l, et plusieurscontesteront luniversalit du postulat. En ce qui nous concerne, nous mettons provisoirement la question entreparenthses puisquelle ne se pose pas avec acuit, au niveau o nous analysons ici le fonctionnement des systmes

    mdiatique et journalistique, ce niveau tant plus proche de la conversation que du fonctionnement du systme capitaliste.Cela dit, la question doit ventuellement tre aborde de front, puisque le problme fondamental qui nous intresse estprcisment de mettre au jour les rapports entre le principe dorganisation de la socit (par exemple, le mode deproduction capitaliste) et la pratique quotidienne, ordinaire, des journalistes.

    29 Dictionnaire de la sociologie. P. 286.

    30 BERGER, Peter et LUCKMANN, Thomas. The social construction of reality : a treaty in the sociology of knowledge. NewYork : Doubleday, 1966. Il faut prfrer la version orginale anglaise la mauvaise traduction parue sous le titre de : Laconstruction sociale de la ralit (Paris : Mridiens Klinksieck, 1996).

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    La tradition sociologique a beaucoup insist sur laspect contraignant des institutions, au risque demasquer leur caractre habilitant. Toute institution doit, au contraire, tre perue et analyse la foiscomme posant des limites la libert des acteurs et comme leur fournissant des moyens dagir. Lesrles, par exemple, circonscrivent lactivit de lacteur aux actions programmes dans ces rles, mais,de ce fait, ils confrent ceux qui les dtiennent le pouvoir de poser ces actions. Ainsi, tout le personneldune entreprise, du plus petit actionnaire au PDG en passant par les membres du conseildadministration, a son mot dire dans le fonctionnement de lorganisation. Mais, en rgle gnrale, lastructure institutionnelle, qui sexprime dans un ensemble de rgles (lgales et dontologiques, officielleset officieuses, etc.), investit le PDG dun pouvoir incomparable avec celui du mme individu agissant enson nom personnel, hors de lentreprise. Aussi longtemps quil agit lintrieur des rgles applicables son rle, le PDG dispose du pouvoir dinfluer sur le cours des choses dans lentreprise ; sil enfreint lesrgles ou sil intervient lextrieur du cadre dtermin par ces rgles, son pouvoir diminue ou svanouit.

    Toutes les institutions (ou plus prcisment tous les systmes institutionnaliss) reclent des propritssemblables : elles contraignent les acteurs se conformer aux rgles, plus ou moins rigoureusementselon la nature des sanctions, mais en retour elles confrent aux mmes acteurs le pouvoir de contribuerau maintien, la reproduction et lvolution du systme. Ainsi, les rgles applicables la confrence de

    presse interdisent au journaliste de poser au politicien des questions sur sa vie prive ( moins quellenait une incidence sur sa vie publique), mais ces mmes rgles confrent au journaliste le pouvoirdinterroger le politicien sur les affaires publiques et, corrlativement, contraignent ce dernier rpondreaux questions. Les rgles et les ressources impliques dans ce sous-systme de relation (sr) permettentde produire une confrence de presse particulire, et le caractre rcursif de ces mmes rgles etressources assure la reproduction dautres confrences de presse sans quil soit ncessaire dtablir lesrgles chaque fois.

    Les structures se distinguent les unes des autres, de deux points de vue au moins. Dabord, du point devue de la nature, de la finalit ou du contenu spcifiques des systmes quelles caractrisent : en cesens, certaines structures sont dites (ou caractrisent des systmes) conomiques, politiques ouculturelles. Ensuite, du point de vue de leur extension spatiale et temporelle en tant que proprits

    structurelles des systmes. Ainsi, une institution comme la famille possde une trs large extensionspatio-temporelle, tandis que dautres institutions comme le parlementarisme sont dune extensionbeaucoup plus limite.

    Sans pour autant entrer dans le dtail de ces distinctions31, il nous semble utile, pour comprendre le

    31 Par exemple, du point de vue de leur contenu, Giddens distingue trois ordres de structures : les structures designification, qui appartiennent lordre du symbolique et aux modes de discours, les structures de domination, quiappartiennent lordre du politique et de lconomique et, enfin, les structures de lgitimation, qui appartiennent lordrede la justice et du droit. lintrieur du concept de structure, Giddens distingue ensuite trois niveaux dabstraction, savoirle principe structurel, les ensembles structurels et les lments de structuration. Le principe structurel reprsente lasynthse, sur un plan abstrait et analytique, des proprits les plus fondamentales qui assurent la reproduction de lasocit. Cest, selon Giddens, le principe dorganisation des totalits socitales (La constitution de la socit. P. 244).Un principe structurel caractrise une socit particulire. Ainsi, dans les socits de classes contemporaines, le principe

    structurel est la sparation, accompagne dune dpendance rciproque, de ltat et des institutions conomiques (Ibidem. P. 242). Quant au concept densemble structurel, il dsigne des rgles et des ressources qui encadrent lespratiques sociales des acteurs, sans que ncessairement ces derniers en prennent conscience ou les mettent enapplication de manire explicite dans leur action : par exemple, dans les socits capitalistes industrialises, les rglesapplicables au processus de transformation de la proprit prive en argent, puis en capital, puis en contrat de travail etenfin en profit. Enfin, les axes de structuration sont la composante la plus concrte du structurel : ce sont les rgles etressources engages dans des activits institutionnalises ayant cours dans des environnements dlimits du point de vuespatio-temporel et impliquant des acteurs en situation de co-prsence. Si nous revenions lexemple du systmecapitaliste, un axe de structuration serait form par les activits, rgles et ressources que suppose le fonctionnementquotidien dune usine ou dune salle de rdaction.

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    fonctionnement des systmes sociaux, dinsister sur limportance du niveau dabstraction et, partant,dextension spatio-temporelle des structures ou des institutions. Les propositions suivantes illustrent troisniveaux dabstraction diffrents :

    L'institution familiale est la base de la socit.

    Le mariage est une institution remise en question.

    Chez les Dupont, les querelles de mnage sont une institution.

    Ces trois propositions concernent des rgles portant sur un mme objet, mais toutes ne sexpriment pasau mme niveau d'abstraction et ne possdent pas le mme enracinement social. La premire renvoie un principe accept quasi universellement. La deuxime concerne des conventions fermement tablies,mais dont les acteurs sociaux peuvent, plus ou moins facilement selon les lieux et les poques, concevoirle caractre relatif. La troisime proposition met en scne des individus aux prises, dans la viequotidienne, avec les proprits structurelles dun systme de relation beaucoup plus troitementcirconscrit dans le temps et lespace ; consquemment, le caractre institutionnalis de ce derniersystme est beaucoup plus faible. Lensemble des propositions illustre le fait que ces institutionsapparentes (famille, mariage, querelles) nont pas toutes la mme extension spatio-temporelle.

    La troisime proposition est particulirement intressante pour deux raisons. Tout dabord, elle claire unaspect important des institutions en tant que proprits structurelles des sr, savoir la banalit, voire latrivialit, de leur prsence dans la vie quotidienne. Les institutions y prennent souvent la forme deroutines, cest--dire de squences dactions excutes selon un modle tabli et rod par lhabitude.Deuximement, cette proposition met en relief un aspect important des systmes sociaux du point de vuedes rapports entre les acteurs et le systme, savoir que structures sociales et acteurs individuels nesont pas des ralits distinctes, mais deux aspects dune mme ralit. Les acteurs jouent les rles quileur sont assigns dans et par le systme, et le systme est produit et reproduit parce que les acteursacceptent de jouer ces rles. En outre, le systme volue pour diffrentes raisons : parce que les acteurs

    jouent leur rle diffremment, parce que la position relative des acteurs volue, parce quelenvironnement dans lequel les acteurs jouent leur rle a chang, etc.

    On peut opposer cette approche explicative une interprtation du changement social base sur les grands hommes . Les tenants de ce type dexplication semblent accorder implicitement la priorit auxacteurs sur les structures. Pourtant, y regarder de prs, on se rend compte que si cette perspectivevalorise, en effet, linfluence quune minorit dindividus sont en mesure dexercer sur linstitution ou lesystme, elle implique, en revanche, que la majorit des acteurs, cest--dire ceux qui ne peuvent influerdirectement sur le systme, subissent passivement le poids des structures. Autrement dit, tous leshumains ne seraient pas gaux devant les systmes, devant les institutions : pour quelques-uns,structure serait synonyme de pouvoir et pour les autres, de contrainte. Les exemples de domination tirsde lhistoire politique, dAlexandre le Grand Bonaparte, de Nron Hitler, semblent accrditer cetteconception. Paradoxalement, ce type dexplication, parce quil soumet les autres acteurs la contraintedes systmes, accorde une place prpondrante aux structures. Or, le problme vient de ce que les casvoqus lappui de cette thse sont des exceptions plutt que la rgle gnrale, et que les systmes derelations quils impliquent ne constituent quune infime partie de lensemble des systmes. La thorie des grands hommes nexpliquerait donc quune partie du fonctionnement social. Le sens commun et lasociologie spontane la privilgient prcisment cause du caractre saillant, exceptionnel, de cetteclasse dactions ou dacteurs. Cette explication est non seulement partielle, elle est aussi superficielle,puisquelle ne tient compte que de laspect manifeste de laction et passe sous silence les conditions decette action, lesquelles dpendent des structures (ou y sont assimilables) et de la majorit des autresacteurs qui rendent possible la production et la reproduction de ces structures.

    Pour surmonter le paradoxe que prsente ce type dexplication, il faut introduire des considrations sur le

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    rle de lacteur dans le sous-systme auquel il appartient et sur la fonction du sous-systme (sr) lintrieur du systme (SR). Si nous reprsentions la socit daprs une mtaphore mcaniste, nouspourrions dire que certains acteurs jouent des rles et que certains sous-systmes possdent desfonctions qui correspondent aux organes de locomotion, dautres aux organes de direction, etc. Or, lathorie des grands hommes donnerait implicitement prpondrance aux acteurs et aux sous-systmes assimilables aux organes de direction et, par consquent, linfluence de ces acteurs et sous-systmes. Elle reposerait sur le mme raisonnement et, consquemment, naurait pas plus de validit,que la proposition suivant laquelle le volant conduirait le moteur . Si les acteurs engags dans lessous-systmes assimilables des organes de direction, dans notre mtaphore mcaniste, paraissentplus importants, cest tout simplement parce que les effets de leur action sont plus immdiatementperceptibles. En ralit, ils ne concourent pas plus que les autres acteurs au fonctionnement dusystme.

    Prenons lexemple dun galion espagnol traversant lAtlantique au XVIe sicle : le pilote dirige le naviresuivant les ordres du capitaine, qui, aux yeux de lquipage, joue un rle prpondrant dans ce voyage.Pourtant, y regarder de plus prs, on se rend compte des limites de laction du capitaine et descontraintes qui psent sur elle. Premirement, le galion quil commande matrialise un tat desconnaissances techniques et scientifiques, un mode de production, des procds de fabrication, une

    organisation sociale, etc. la constitution desquels des centaines de milliers dautres acteurs ontcontribu. Ce galion compte aussi un quipage, plus ou moins nombreux, plus ou moins disciplin, sanslequel les ordres du capitaine seraient sans effet. Voyons lusage que nous pouvons faire de cet exemple.La majorit des acteurs (ici, tous les individus qui ont contribu rendre le voyage possible) jouent unrle dont linfluence sur le systme doit tre analyse laide du concept deffet mergent. Ilsaccomplissent gnralement des activits routinires dans des sous-systmes autres que les sous-systmes assimilables aux organes de direction. Leur action est souvent routinire, difficilementperceptible et, de ce fait, elle rsiste lanalyse. Elle est, toutefois, dterminante : elle explique, parexemple, que notre capitaine commande un galion qui mettra des mois traverser lAtlantique pluttquun paquebot moderne ou un vaisseau spatial. En ce qui concerne les acteurs qui font partie de sous-systmes assimilables aux organes de direction, leurs actions nchappent pas aux rgles communes lensemble des acteurs. Gnralement, ces acteurs ne font, eux aussi, quappliquer les rgles, souventroutinires, constitutives de leur rle. Les dcisions susceptibles dinfluer sur le systme appartiennent des classes dactions qui leur sont offertes en vertu de leur rle. Toutefois, les actes singuliers capablesdinflchir la trajectoire dun systme ou le cours de lhistoire sont exceptionnels, y compris dans cetteclasse de sous-systmes. En outre, les actions et les dcisions des acteurs en position de directionninfluent pas directement sur le sous-systme, pas plus que lordre de hisser les voiles et de mettre lecap lOuest nest, en soi, oprant. Elles ncessitent une srie dactions intermdiaires relevant dautresacteurs du sous-systme ou des acteurs dautres sous-systmes, lesquels adaptent les conditions dusystme lordre donn. Cest pourquoi les actions poses par les acteurs en position de direction nontde chance dentraner les actions des autres acteurs que dans la mesure o elles appartiennent aurpertoire dactions attendues de ces acteurs : sauf situation exceptionnelle, les marins ne mettraient pasle feu au galion ou ne le dirigeraient pas sur des rcifs, mme si le capitaine le leur commandait.

    Mme lorsque les actions ou les dcisions des acteurs en position de direction sont lgitimes (cest--dire

    conformes ce qui est attendu deux en vertu de leur rle), les autres acteurs y donnent suite avec plusou moins de rapidit, de fidlit ou de conviction. Les notions de rsistance au changement, de dviance,de rvolution ne sont que des applications spcifiques du phnomne gnral que nous venonsdvoquer, cest--dire des modifications, voire des interruptions, plus ou moins compltes et brutales duprocessus de production-reproduction des structures. En rsum, mme si laction microscopique dela trs grande majorit des acteurs ne produit pas de consquences perceptibles par lanalyste, leffetmergent de cette action (cest--dire la structure produite-reproduite par cette action) dtermine lactionplus saillante des acteurs en position de direction. Ainsi le capitaine du galion, quoi quil veuille ou quoi

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    quil fasse, ne pourra jamais diriger son vaisseau vers la Lune comme le feront les astronautes quelquessicles plus tard. Ce qui vaut pour les contraintes techniques vaut aussi pour les contraintesconomiques, politiques, sociales ou culturelles. Le directeur du journal peut bien demander aux cadresde rdaction de produire un journal plus vendeur , cette injonction ne se concrtisera que dans lamesure o les journalistes consentiront, au jour le jour, adapter leurs rgles professionnelles auxattentes de la direction. Sils considrent cette orientation inopportune, ils disposent dune marge demanuvre importante pour y rsister. Par ailleurs, la directive mme, formule par le propritaire, nestplausible que dans une entreprise de presse dont le fonctionnement repose sur une certaine division dutravail et une certaine distribution des rles, qu lintrieur dun certain type dorganisation conomiquedes mdias, etc.32 Or les proprits structurelles du systme-journal dpendent sans doute plus des

    journalistes et cadres de rdaction que du propritaire. Cest ces acteurs qui assurent collectivement laproduction-reproduction du systme que le propritaire doit de pouvoir donner des ordres.

    Une vidence se dgage de cette discussion sur le rle de certains acteurs et la fonction de certainssous-systmes : pour tre entirement satisfaisante, une thorie des systmes devrait comporter unprincipe dorganisation hirarchique des systmes. De mme, notre modle du journalisme commesystme de relations implique, au-del de la dfinition de ses concepts constitutifs, un ensemble de

    propositions sur lorganisation hirarchique du systme, cest--dire sur le pouvoir relatif des acteurs dansles sous-systmes et des sous-systmes dans lensemble du systme. Dans ltat actuel de notrerflexion, il ne nous apparat pas possible de formuler de telles propositions de manire gnrale et propos de systmes abstraits. Nous pensons plutt quil appartient au chercheur, par et dans lanalyse desystmes concrets, de dgager ltat des contraintes lintrieur du systme. En effet, chaquecoordonne spatio-temporelle, nimporte quel systme (sr ou SR) prsente un ensemble dfini deproprits structurelles, dont certaines concernent la distribution du pouvoir. Nous proposons de dsignerpar le terme configuration ces tats successifs du systme ou plus prcisment les propritsstructurelles particulires quexhibe le systme chacune de ces coordonnes. Une configuration estdonc un tat particulier dun systme, tat dfini par la nature des rles prsents dans ce systme et parleur distribution33. Cette distribution des rles implique videmment une rpartition particulire desressources. Dans cette perspective, la responsabilit du chercheur en sciences sociales ou de lhistorienconsisterait reconstituer ces configurations successives. Quant la recherche sur le journalisme, elle

    sintresserait en particulier aux configurations du sous-systme journalisme et du systme mdiatique,mais elle porterait aussi sur les relations dialectiques de ces sr spcifiques et du systme social dans sonensemble. En loccurrence, le terme configuration dsignerait aussi bien ltat des sr spcifiques que

    32 Plus prcisment, la directive est pertinente dans le contexte de lindustrie des mdias contemporaine ; ainsi formule,elle aurait t incongrue au XVIIIe sicle, mme si les imprimeurs et les gazetiers ne se dsintressaient pas des gots etdes attentes du public.

    33 Norbert Elias emploie le terme configuration dans un sens diffrent