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Cour administrative du Luxembourg Administrative Court of Luxembourg 1 CONGRES DE CARTHAGENE (2013) « Le juge administratif et le droit de l’environnement » Questionnaire REMARQUE PRELIMINAIRE Dans la lettre d’accompagnement au présent questionnaire du 5 juillet 2012, il a été demandé de répondre aux questions posées en prenant en compte exclusivement le droit applicable aux trois sous-thèmes retenus, à savoir 1) l’eau, 2) les déchets et 3) la biodiversité et la protection de la nature. Il est entendu que cette démarche ne sera faite ci-après que pour les questions qui se prêtent à cette distinction, bon nombre de questions, dont notamment celles ayant trait au fonctionnement des juridictions administratives, pouvant être traitées de manière uniforme par rapport aux trois sous-thèmes retenus, aucune distinction n’étant utile dans ce contexte. I. LES SOURCES DU DROIT DE LENVIRONNEMENT 1) Quelles sont les sources nationales intéressant le droit de l’environnement (constitutionnelles, législatives, réglementaires, …) ? Quelles sont les autorités compétentes pour les édicter (gouvernement, Parlement, Etats fédérés, agences, collectivités territoriales, …) ? a) Les règles nationales en matière de droit de l’environnement trouvent leurs sources, comme toutes les autres matières du droit, d’une part, dans la Constitution luxembourgeoise, d’autre part, au niveau des lois et, de troisième part, au niveau du pouvoir réglementaire. - Sommairement, on peut dire que la Constitution luxembourgeoise organise les droits fondamentaux et les libertés publiques destinées notamment à protéger le citoyen contre d’éventuels excès de pouvoir de la part de l’Etat et elle détermine par ailleurs la façon dont s’exercent les pouvoirs de l’Etat. La Constitution prend soin de rappeler la hiérarchie entre ses dispositions et les lois qui doivent être portées en sa vertu, c'est-à-dire celles-ci doivent être en tous points conformes à la Constitution. Ce sont les articles 113 et 95ter qui établissent le principe de la supériorité de la Constitution par rapport aux lois ordinaires. Le principe de la supériorité constitutionnelle signifie, d’une part, que ni les lois édictées ni a fortiori les actes réglementaires pris par le pouvoir exécutif ne peuvent suspendre l’application de la Constitution, voire échapper à celle-ci, et, d’autre part, que les règles de la Constitution s’imposent à chaque loi pris en son exécution.

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CONGRES DE CARTHAGENE (2013)

« Le juge administratif et le droit de l’environnement »

Questionnaire

REMARQUE PRELIMINAIRE Dans la lettre d’accompagnement au présent questionnaire du 5 juillet 2012, il a été demandé de répondre aux questions posées en prenant en compte exclusivement le droit applicable aux trois sous-thèmes retenus, à savoir 1) l’eau, 2) les déchets et 3) la biodiversité et la protection de la nature. Il est entendu que cette démarche ne sera faite ci-après que pour les questions qui se prêtent à cette distinction, bon nombre de questions, dont notamment celles ayant trait au fonctionnement des juridictions administratives, pouvant être traitées de manière uniforme par rapport aux trois sous-thèmes retenus, aucune distinction n’étant utile dans ce contexte.

I. LES SOURCES DU DROIT DE L’ENVIRONNEMENT 1) Quelles sont les sources nationales intéressant le droit de l’environnement (constitutionnelles, législatives, réglementaires, …) ? Quelles sont les autorités compétentes pour les édicter (gouvernement, Parlement, Etats fédérés, agences, collectivités territoriales, …) ? a) Les règles nationales en matière de droit de l’environnement trouvent leurs sources, comme toutes les autres matières du droit, d’une part, dans la Constitution luxembourgeoise, d’autre part, au niveau des lois et, de troisième part, au niveau du pouvoir réglementaire. - Sommairement, on peut dire que la Constitution luxembourgeoise organise les droits fondamentaux et les libertés publiques destinées notamment à protéger le citoyen contre d’éventuels excès de pouvoir de la part de l’Etat et elle détermine par ailleurs la façon dont s’exercent les pouvoirs de l’Etat. La Constitution prend soin de rappeler la hiérarchie entre ses dispositions et les lois qui doivent être portées en sa vertu, c'est-à-dire celles-ci doivent être en tous points conformes à la Constitution. Ce sont les articles 113 et 95ter qui établissent le principe de la supériorité de la Constitution par rapport aux lois ordinaires. Le principe de la supériorité constitutionnelle signifie, d’une part, que ni les lois édictées ni a fortiori les actes réglementaires pris par le pouvoir exécutif ne peuvent suspendre l’application de la Constitution, voire échapper à celle-ci, et, d’autre part, que les règles de la Constitution s’imposent à chaque loi pris en son exécution.

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Un seul article de la Constitution luxembourgeoise est consacré à la matière du droit de l’environnement, à savoir l’article 11bis, introduit par la révision constitutionnelle du 29 mars 2007, et qui est de la teneur suivante :

« L’Etat garantit la protection de l’environnement humain et naturel, en oeuvrant à l’établissement d’un équilibre durable entre la conservation de la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et la satisfaction des besoins des générations présentes et futures.

Il promeut la protection et le bien-être des animaux ». - La deuxième source nationale en matière de droit de l’environnement est constituée par la loi nationale qui constitue l’expression solennelle du pouvoir souverain dans la sphère d’action intérieure de l’Etat. Les principales lois en vigueur en matière de droit de l’environnement sont :

- en la matière de l’eau loi du 26 décembre 1855 sur le drainage et les irrigations loi du 11 juillet 1957 portant réglementation du Camping loi du 28 mai 2004 portant création d’une Administration de la gestion de l’eau loi du 2 avril 2008 transposant la Directive 2005/35/CE du Parlement européen et

du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions en cas d’infractions à la Décision-cadre 2005/667/JAI du Conseil du 12 juillet 2005 visant à renforcer le cadre pénal pour la répression de la pollution causée par les navires

loi du 19 décembre 2008 relative à l’eau - en la matière des déchets loi du 14 avril 1990 autorisant le Gouvernement à procéder à la construction d’un

entrepôt pour le conditionnement, le traitement et l’entreposage de déchets destinés à être éliminés dans des centres spécialisés

loi du 9 décembre 1993 portant approbation et exécution de la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontalières de déchets dangereux et de leur élimination, signée à Bâle, le 22 mars 1989

loi du 20 juin 2001 portant approbation de la Convention commune sur la sûreté de la gestion du combustible usé et sur la sûreté de la gestion des déchets radioactifs, faite à Vienne, le 5 septembre 1997

loi du 25 mars 2005 relative au fonctionnement et au financement des actions de la SuperDrecksKëscht

loi du 26 novembre 2008 concernant la gestion des déchets de l’industrie extractive loi du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets (ayant abrogé la loi du 17

juin 1994 relative à la prévention et à la gestion des déchets)

- en la matière de la biodiversité et de la protection de la nature loi du 19 février 1975 portant approbation de la Convention sur le commerce

international des espèces de faune et flores sauvages menacées d’extinction, signée à Washington, le 3 mars 1973

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loi du 26 novembre 1981 portant approbation de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, signée à Berne, le 19 septembre 1979

loi du 16 août 1982 portant approbation de la Convention sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage, faite à Bonn, le 23 juin 1979

loi du 14 juillet 1983 portant approbation de la Convention Benelux en matière de conservation de la nature et de protection des paysages, signée à Bruxelles, le 8 juin 1982

loi du 10 août 1993 relative aux parcs naturels loi du 4 mars 1994 portant approbation de la Convention sur la diversité biologique

faite à Rio de Janeiro, le 5 juin 1992 loi du 31 mai 1999 portant institution d’un fonds pour la protection de

l’environnement loi du 18 juillet 2003 portant approbation de l’Accord sur la conservation des oiseaux

d’eau migrateurs d’Afrique-Eurasie, fait à La Haye, le 15 août 1996 loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources

naturelles loi du 25 novembre 2005 concernant l’accès au public à l’information en matière

d’environnement loi du 24 juillet 2006 portant approbation de la Convention européenne du paysage,

ouverte à la signature, à Florence, le 20 octobre 2000 loi du 20 avril 2009 relative à la responsabilité environnementale et à la réparation des

dommages environnementaux loi du 5 juin 2009 portant création de l’Administration de la nature et des forêts

- La troisième source nationale en matière de droit de l’environnement est constituée par le pouvoir réglementaire, dont plus particulièrement les règlements grand-ducaux et les règlements ministériels. Le règlement général ou grand-ducal est une mesure obligatoire, de caractère général, prise en exécution de la loi. Le règlement grand-ducal a toujours un caractère normatif, c'est-à-dire le caractère d’une disposition générale et abstraite. Le règlement grand-ducal ne peut intervenir qu’en présence d’une justification précise appelée cause d’ouverture. L’article 36 de la Constitution s’oppose à ce qu’une loi confie l’exécution de ses dispositions à un ministre ou au gouvernement. Le règlement ministériel est une mesure prise par un ou plusieurs ministres à la suite d’une délégation du pouvoir réglementaire d’exécution du Grand-Duc (article 76, alinéa 2 de la Constitution). Le Grand-Duc a donc le choix d’agir lui-même moyennant recours à un règlement grand-ducal ou de faire intervenir dans le cadre d’un tel règlement un ou plusieurs membres du gouvernement, voire le gouvernement dans son ensemble, en les autorisant à prendre des règlements ministériels ou de gouvernement en conseil. Cette autorisation n’est possible que dans des cas précis, essentiellement pour voir définir des normes d’ordre technique, une habilitation générale d’agir des membres du gouvernement étant exclue par le texte constitutionnel. Notons que cette délégation de pouvoirs prend encore parfois la forme d’un arrêté ministériel (ex. : arrêté ministériel du 30 juin 1999 concernant l’élimination des huiles et graisses végétales et animales) voir même de décisions du Gouvernement en Conseil (ex. : décision du Gouvernement en Conseil du 11 mai 2007 relative au Plan national concernant la protection de la nature et ayant trait à sa première partie intitulée Plan d’action national pour la protection de la nature).

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b) Au niveau des autorités compétentes pour édicter les sources nationales de droit, il convient de citer en premier lieu l’article 47 de la Constitution luxembourgeoise aux termes duquel « le Grand-Duc adresse à la Chambre les propositions ou projets de lois qu'il veut soumettre à son adoption. La Chambre a le droit de proposer au Grand-Duc des projets de lois ». Partant, en théorie le Grand-Duc a le droit d'initiative en matière législative. C'est un droit, c’est-à-dire une prérogative qu’il exerce concurremment avec le parlement luxembourgeois, appelé la Chambre des Députés. Ce droit d'initiative se manifeste par le fait que le Grand-Duc autorise le Gouvernement à déposer des projets de loi à la Chambre des Députés (la notion de projet de loi se rapporte aux initiatives législatives qui émanent du Gouvernement; la notion de proposition se rapporte aux initiatives législatives qui émanent de la Chambre des députés). L'article 46 de la Constitution énonce clairement que tout acte législatif doit avoir l'assentiment de la Chambre et garantit que le Grand-Duc ne peut pas se passer de la Chambre en matière législative. Le vote de la Chambre est une condition indispensable mais pas suffisante. Il existait une deuxième condition indispensable, la Chambre devait obtenir l'accord du Grand-Duc. Une fois qu'un projet ou une proposition de loi avait été votée par la Chambre, il appartenait au Grand-Duc de la sanctionner, c'est à dire de marquer son consentement. Après le vote de la Chambre, la loi n'était donc pas entièrement faite. Elle n'existait réellement que lorsque le Grand-Duc y manifestait son accord en la sanctionnant. Suite à la modification de l’article 34 de la Constitution par la révision constitutionnelle du 12 mars 2009, le Grand-Duc ne fait plus que promulguer les lois, prérogative relevant de l’exercice du pouvoir exécutif. Cette réforme constitutionnelle est devenue nécessaire, afin d’éviter une crise institutionnelle, suite à la réticence du Grand-Duc d’entériner par sa sanction le vote parlementaire à intervenir sur la proposition de loi sur l’euthanasie et l’assistance au suicide, adoptée le 18 décembre 2008 par la Chambre des députés, et qui est devenue la loi du 16 mars 2009. La promulgation est l’«acte par lequel le Chef d’Etat atteste au corps social l’existence de la loi et en ordonne l’exécution ». Elle atteste la teneur de la loi comme étant conforme au texte de loi voté par la Chambre de députés. Sans promulgation, la loi reste sans force, car à défaut d’avoir été promulguée et publiée, elle n’entre pas en vigueur et ne peut être rendue opposable aux citoyens, tel que l’exige l’article 112 de la Constitution. A défaut de promulgation par le Grand-Duc dans un délai de trois mois à partir du vote de la Chambre, la loi devient caduque (article 34 de la Constitution). D’après l'article 36 de la Constitution, le Grand-Duc a le pouvoir pour exécuter les lois en prenant des mesures obligatoires et générales, essentiellement sous forme des règlements grand-ducaux.

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L'étendue du pouvoir réglementaire du Grand-Duc est limitée en ce sens qu'il ne peut faire que les règlements et arrêtés nécessaires à l'exécution des lois et il ne peut pas faire des règlements autonomes dans une matière qui n'a pas été légiférée ou qui ne trouve pas son principe dans une loi. En tant que mesure d'exécution, le règlement et l'arrêté ne peuvent pas être contraires à la loi. Le pouvoir réglementaire est réservé par la Constitution au Grand-Duc. Le caractère exclusif du pouvoir du Grand-Duc de prendre les mesures d'exécution de la loi connaît une exception, c'est le pouvoir du législateur lui-même de disposer au sujet de l'exécution de la loi. En effet, la loi peut régler une matière jusque dans le moindre de ses détails, diminuant d'autant les possibilités et les nécessités d'intervention du pouvoir réglementaire. Si le législateur peut tout faire lui-même, il ne peut cependant pas déléguer son pouvoir à un autre organe (p. ex. un ministre, une autorité communale). La deuxième autorité intervenant au niveau du processus législatif est constituée par la Chambre de Députés. La procédure législative varie légèrement suivant qu'elle est lancée par l'initiative parlementaire (la proposition de loi) ou par l'initiative du Grand-Duc/gouvernementale (le projet de loi). La procédure normale en cas d'initiative gouvernementale se résume comme suit : 1) Un avant-projet est préparé par les services de l'administration. Le texte de l'avant-

projet est accompagné d'un exposé des motifs. 2) Le Gouvernement demande au Grand-Duc l'autorisation de présenter le projet à la

Chambre des députés. 3) Le ministre compétent dépose le projet en séance publique de la Chambre. 4) Le projet est transmis pour examen et avis au Conseil d'Etat. L'avis du Conseil d'Etat

est un rapport motivé, qui peut, le cas échéant, contenir un contre-projet. Cet avis est transmis au Gouvernement. Si le Gouvernement modifie le projet initial un avis supplémentaire doit être demandé au Conseil d'Etat.

5) Le projet et l'avis du Conseil d'Etat sont communiqués aux parlementaires. Le projet

est transmis par la commission de travail pour examen devant une (parfois plusieurs) commission permanente ou spéciale de la Chambre. La commission nomme un de ses membres (le « rapporteur ») pour faire un rapport à la Chambre réunie en séance publique. Ce rapport contient les conclusions motivées de la commission.

6) Suite au rapport, la Chambre procède à la discussion en séance publique. Il y a une

discussion générale sur le principe et sur l'ensemble du projet. Ensuite, il y a une discussion des articles. Chaque député a le droit de proposer des amendements.

7) La Chambre doit ensuite approuver ou rejeter le projet par voie de vote. 8) Le projet est d'abord voté article par article par la Chambre.

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9) Si des amendements sont approuvés ou des articles rejetés lors du vote article par article le Conseil d'Etat est à nouveau entendu en son avis. Les modifications une fois avisées par le Conseil d'Etat, la Chambre procède à une nouvelle discussion sur les points modifiés et à un second vote (le « second vote réglementaire »).

10) Immédiatement après le second vote réglementaire, la Chambre procède au vote sur

l'ensemble du projet de loi. 11) Sauf dispense accordée par le Conseil d'Etat, le projet doit encore être soumis à

second vote (le « second vote constitutionnel ») 3 mois au moins après le vote sur l'ensemble du projet.

12) La loi doit ensuite encore être promulguée et publiée au Mémorial. La loi,

contresignée par le ou les membres du Gouvernement dont elle concerne le ressort et signée par le Grand-Duc, est publiée au Mémorial et elle est obligatoire 3 jours francs après sa publication, à moins qu'elle n'ait fixé un délai plus court ou plus long.

En cas d'initiative parlementaire, la proposition de loi (par un ou plusieurs députés) est déposée sur le bureau de la Chambre qui la continue à une commission de travail. Sur proposition de cette commission de travail, la Chambre doit décider sur la recevabilité de la proposition (c'est-à-dire si elle est ou non contraire à l'ordre public et aux bonnes moeurs). Si elle est recevable, la proposition est directement transmise pour avis au Conseil d'Etat et communiquée aux députés. Alternativement, avant la consultation du Conseil d'Etat, l'auteur peut demander que la proposition soit inscrite à l'ordre du jour d'une séance afin qu'il puisse en exposer l'objet (sans que la Chambre ne soit appelée à se prononcer sur la proposition). Si la proposition est appuyée par cinq députés au moins la Chambre est appelée à décider si la proposition doit ou non être prise en considération. Dans l'affirmative, la proposition est transmise au Conseil d'Etat pour avis. Suite à l'avis du Conseil d'Etat, la proposition est transmise à une commission et la procédure normale est appliquée. Comme il se dégage déjà des développements qui précèdent, la troisième autorité intervenant dans le processus législatif est le Conseil d’Etat luxembourgeois. Le Conseil d'Etat est appelé à donner son avis sur les projets et propositions de loi. Tous les projets et toutes les propositions de loi doivent être soumis à l'avis du Conseil d'Etat avant d'être présentés à la Chambre des députés (article 83bis de la Constitution et article 2 de la loi du 12 juillet 1996). Il en va de même des amendements qui peuvent être proposés à ces textes (article 83bis). Le Conseil d'Etat est appelé à donner un rapport motivé avec des conclusions et, le cas échéant, un contre-projet. Si le Conseil d'Etat constate que des projets ou propositions sont contraires à la Constitution, aux conventions et traités internationaux ou aux principes généraux du droit, il le signalera dans son avis. Relevons une exception : le cas d’urgence. En cas d'urgence, le Gouvernement peut présenter un projet de loi directement à la Chambre des députés sans avoir entendu l'avis du Conseil d'Etat. Le Gouvernement est

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juge de l'urgence. Si la Chambre et le Gouvernement sont d'accord sur l'urgence, la Chambre peut passer de suite à la discussion. Cependant l'avis du Conseil d'Etat doit être communiqué à la Chambre avant le vote définitif du projet de loi. Le Conseil d'Etat peut dispenser la Chambre des députés du second vote constitutionnel. Nous avons noté ci-avant que les lois sont, en principe, soumises à un second vote, à moins que la Chambre, avec l'accord du Conseil d'Etat, n'en décide autrement. Lorsque la Chambre s'est prononcée en faveur de la dispense du second vote, la question est soumise au Conseil d'Etat. Celui-ci délibère et décide, en séance plénière et publique, s'il y a ou non lieu de procéder au second vote. En cas de décision négative, la Chambre doit attendre 3 mois avant de pouvoir procéder au second vote. Le Conseil d’Etat dispose ainsi d’un véritable droit de véto suspensif en matière législative. Le rôle du Conseil d'Etat, même s'il n'est que consultatif, est extrêmement important dans notre système législatif qui ne connaît qu'une seule chambre législative. En effet, même si le Conseil d'Etat ne participe pas directement au pouvoir législatif, même s'il ne peut pas bloquer le vote de la Chambre ou intervenir dans sa décision ou celle du Grand-Duc, il est une autorité morale importante dont, en pratique, le point de vue ne manque pas d'influencer les organes du pouvoir législatif. Relevons pour terminer sur ce point que d’après l’article 114 de la Constitution luxembourgeoise toute révision de la Constitution doit être adoptée dans les mêmes termes par la Chambre des Députés en deux votes successifs, séparés par un intervalle d’au moins 3 mois et que nulle révision ne sera adoptée si elle ne réunit au moins les deux tiers des suffrages des membres de la Chambre, les votes par procuration n’étant pas admis. Le texte adopté en première lecture peut encore être soumis à un référendum se substituant au second vote si la demande en est faite soit par plus d’1/4 des membres de la Chambre, soit par 25.000 électeurs inscrits sur les listes électorales pour les élections législatives. 2) Quelles sont les sources supra-nationales (droit international public général, conventions régionales, …) dont le juge fait application en matière de droit de l’environnement ? Les sources supra-nationales en matière de droit de l’environnement ne se distinguent pas des sources supra-nationales classiques de droit administratif, à savoir les traités internationaux, les règlements CE et les directives communautaires. a) les traités internationaux On entend par traité international tout accord conclu entre Etats ou autres sujets de la société internationale en vue de produire des effets de droit dans leurs relations mutuelles. La désignation « traité » ou « convention » est réservée aux actes internationaux plus importants, alors que les noms de « protocole », « accord » ou « arrangement » sont utilisés pour désigner des engagements de caractère technique ou d’importance plus secondaire. Le pouvoir de faire les traités est exercé par le Grand-Duc sous le contrôle de la Chambre des Députés. Ceci résulte de l’article 37 de la Constitution qui dispose comme suit : « Le

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Grand-Duc fait les traités. Les traités n’auront d’effet avant d’avoir été approuvés par la loi et publiés dans les formes prévues pour la publication des lois ». Conformément à la Constitution, c’est donc la prérogative du Grand-Duc de faire les traités et c’est à lui qu’appartiennent toutes les fonctions qui sont nécessaires pour élaborer les traités, pour leur donner existence et pour assurer leurs effets. Cette prérogative comprend non seulement les fonctions proprement internationales, telle que la négociation, la signature et la ratification, mais encore les mesures internes nécessaires pour assurer l’effet des traités. Ceci se dégage de l’article 37, alinéa 4 de la Constitution : « Le Grand-Duc fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des traités dans les formes qui règlent les mesures d’exécution des lois et avec les effets qui s’attachent à ces mesures, sans préjudice des matières qui sont réservées par la Constitution à la loi ». Le Grand-Duc exerce ses prérogatives soit en personne (les instruments de ratification sont signés de sa main), soit par l’intermédiaire du ministre des Affaires étrangères et de plénipotentiaires munis de pleins pouvoirs signés de sa main. Tous les traités internationaux, quelque soit leur désignation, leur contenu et leur forme, sont soumis à l’approbation de la Chambre des Députés. L’approbation revêt toujours la forme d’une loi et tant qu’un traité n’a pas reçu l’approbation parlementaire, il reste inopposable dans l’ordre juridique interne. L’approbation parlementaire des traités intervient régulièrement après la signature, c'est-à-dire lorsque la teneur du traité est déjà définitivement arrêtée, et avant la ratification qui a pour effet de mettre le traité en vigueur. b) les règlements CE Le traité de Lisbonne donne la définition suivante d’un règlement : « Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout Etat membre » (article 288, al. 2 TFUE). Le règlement est de caractère essentiellement normatif et est applicable à des catégories de personnes envisagées abstraitement dans leur ensemble. C’est un acte obligatoire dans tous ses éléments et il se trouve ainsi distingué des directives dont seuls les résultats qu’elles indiquent sont obligatoires. Le règlement impose des résultats aux Etats et aux particuliers. Il jouit d’un effet direct et crée des droits et des obligations dont les juridictions nationales auront à tenir compte. Le règlement CE est partant d’application directe et ne nécessite en principe aucune mesure de transposition hormis les mesures que le règlement imposerait lui-même aux Etats membres en vue d’assurer que ces dispositions puissent être effectivement appliquées, sans que l’effet direct propre aux règlements ne puisse jamais être entravé. c) les directives communautaires « La directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens » (article 288, al. 3 TFUE). Elles ont pour destinataires les Etats membres et visent le rapprochement des différentes législations nationales relatives à une matière donnée, tout en laissant aux instances

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nationales la pleine compétence quant au choix des formes et des moyens à utiliser pour atteindre ce résultat. Les directives bénéficient d’une applicabilité directe dans la mesure où les Etats membres sont, d’une part obligés de les transposer en droit national et, d’autre part, à en respecter strictement le contenu, toute mesure d’application devant se situer dans le cadre des principes énoncés par la directive.

A partir du moment où une directive exprime une obligation claire, précise et inconditionnelle, ne supposant aucune mesure d’exécution ni de la part des institutions communautaires, ni de la part des Etats et sans laisser un pouvoir discrétionnaire à l’Etat membre chargé de sa transposition en droit national, elle est d’effet direct en droit national, et le juge national devra l’appliquer. Les obligations de transposition pèsent sur l’Etat à partir de l’expiration du délai de transposition. Ce n’est que si elles répondent aux exigences de clarté, de précision et d’inconditionnalité que les dispositions d’une directive communautaire produisent un effet direct vertical en faveur d’un justiciable face à un Etat membre destinataire. Dans la mesure où par essence l’effet direct est destiné à combler la non-transposition totale ou partielle, voire la transposition non correcte par l’Etat membre destinataire de la directive en question, pareil effet ne saurait être opéré comme tel qu’une fois la date butoir de transposition révolue. Une directive pour laquelle le délai de transposition est encore en cours ne produit aucun effet direct et ne saurait être utilement invoquée par un particulier. Appelés à se conformer à une directive entrée en vigueur dans le délai de transposition par elle fixée, les Etat membres destinataires sont corrélativement tenus à ne poser aucune mesure d’ordre général allant à l’encontre du résultat à atteindre par ladite directive, auquel cas un administré pourrait, le cas échéant et de façon indirecte, invoquer la non-conformité de la mesure d’ordre général ainsi posée par rapport à la norme communautaire posée. La possibilité d’invoquer une disposition inconditionnelle et suffisamment précise d’une directive non transposée n’existe qu’en faveur des particuliers et à l’égard de tout Etat membre destinataire, et non pas en faveur desdits Etats. Il s’ensuit qu’une directive non transposée ne peut pas par elle-même créer d’obligations vis-à-vis d’un particulier et une disposition d’une directive ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à l’encontre d’une personne. Un Etat ne saurait tirer avantage de sa méconnaissance du droit communautaire. Les principales sources internationales de droit administratif dans la matière du droit de l’environnement, et plus précisément par rapport aux thèmes de l’eau, des déchets et de la biodiversité et de la protection de la nature, sont listées dans les annexes à la version papier du présent document. 3) Le juge administratif applique-t-il des principes généraux du droit de l’environnement ? A-t-il contribué à dégager / révéler de tels principes ? En droit luxembourgeois, le juge administratif est amené à faire application de deux principes généraux de droit en matière de droit de l’environnement, à savoir le principe de précaution et le principe « pollueur-payeur ».

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Le principe de précaution a été consacré en droit communautaire par l’arrêt ARTEGODAN (T.P.I.C.E. 26 novembre 2002) et notamment à son attendu 184 : « Il en résulte que le principe de précaution peut être défini comme un principe général de droit communautaire imposant aux autorités compétentes de prendre des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l’environnement, en faisant prévaloir les exigences liées à la protection des ces intérêts sur les intérêts économiques. En effet, dans la mesure où les institutions communautaires sont responsables, dans l’ensemble de leurs domaines d’action, de la protection de la santé publique, de la sécurité et de l’environnement, le principe de précaution peut être considéré comme un principe autonome découlant des dispositions susmentionnées du traité ». Il a pour spécificité de prendre en compte des catégories de risques pesant sur la santé ou l’environnement qui présentent la caractéristique d’être incertains. L’absence de certitude scientifique quant à l’existence ou à la portée d’un risque pour la santé ou l’environnement ne peut être un obstacle à l’adoption de mesures visant à prévenir ce risque. De nombreuses questions se posent dans ce contexte, notamment de savoir s’il faut ou non établir le caractère plausible du risque à prendre en compte, si les dommages redoutés doivent ou non être d’un certain seuil, ou encore si l’abstention est de mise jusqu’à ce que soit démontrée l’absence de tout risque. Le principe de précaution ne fait pas partie du droit positif luxembourgeois, en l’absence de texte général le consacrant de manière expresse spécifique. Néanmoins, la jurisprudence en la matière des établissements classés, qui touche de près au domaine du droit de l’environnement, a fait application du principe de précaution en les termes suivants : « Loin d’exclure péremptoirement la prise de tout risque, connu ou inconnu, et d'imposer l'abstention face à toute activité qui comporte un risque, le principe de précaution, tel qu'il est d'ailleurs consacré par l'article 174 du Traité de Rome, impose d'éliminer les risques dans la mesure du possible, et d'encadrer les activités qui comportent un risque qui ne peut pas être mesuré dans le sens d'en réduire au maximum les effets nocifs potentiels. En toute hypothèse, l'absence de certitudes ne doit ni conduire à un immobilisme, ni dispenser de l'adoption de mesures effectives et proportionnées à un coût économiquement acceptable, étant entendu qu'en cas de danger avéré pour la santé des individus ou pour l'environnement, même une impossibilité absolue d'éliminer ce danger ou des coûts prohibitifs pour le faire ne sauraient légitimer une telle activité dangereuse et justifier des autorisations administratives afférentes. – La loi du 10 juin 1999 relative aux établissements classés fait application du principe de précaution en ce qu'elle ne nie pas l'existence de risques et ne cherche pas à interdire toute activité en comportant. Elle les reconnaît en revanche en essayant de les éliminer au maximum, mais non pas totalement, et à encadrer les risques résiduels. C'est ainsi que si, en vertu de l'article 13, 1., des conditions tendant à éliminer les effets nocifs d'une activité peuvent être prescrites, en tenant compte des meilleures techniques possibles, mais à condition que l'applicabilité de celles-ci n'entraîne pas de coûts excessifs, le législateur a envisagé l'exercice d'activités comportant des dangers et des risques qu'il serait trop coûteux d'éliminer. De plus, l'article 13, 6. prévoit que les autorisations peuvent prévoir que les entreprises qui suivant la nature de leur activité présentent un risque quant aux intérêts protégés par ailleurs par la loi, doivent contracter une assurance contre la responsabilité civile ». (trib. adm. 16 mai 2002, n° 13574 du rôle ; trib. adm. 19 septembre 2009 n° 13917 du rôle, confirmé par Cour adm. 1er avril 2003, n° 15498C du rôle).

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De même, la Cour administrative a confirmé un jugement du tribunal administratif retenant ce qui suit : « L'application du principe de précaution repose sur un risque potentiel, mais étayé, c'est-à-dire dont la plausibilité est soutenue par des retours d'expérience, mais n'exige pas un risque avéré, la précaution étant en effet relative à des risques potentiels, tandis que la prévention est relative à des risques avérés ». (trib. adm. 23 mai 2007, n° 21520 du rôle, confirmé par Cour adm. 20 décembre 2007, n° 23140C du rôle). A noter encore le règlement CE n° 178/2002 du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires qui prévoit que le principe de précaution est l’un des principes généraux de la législation alimentaire à respecter lors de l’élaboration et de l’application des règles en la matière. Egalement en ce sens, la directive 2001/18/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement qui fait expressément mention du principe de précaution comme étant un élément déterminant à prendre en compte dans l’adoption et l’application des dispositions requises pour se conformer aux obligations qu’elle prévoit. Pour résumer, le principe de précaution à une quadruple signification : Il oblige à prendre en compte le risque incertain pour autant qu’il soit plausible, il tend à éviter des dommages d’un certain seuil, il impose une méthodologie et enfin il ne peut être mis en œuvre qu’à un coût acceptable et de manière proportionnée (Le principe de précaution en droit public belge, par Benoît JADOT et Françoise TULKENS, dans Le principe de précaution, Rapport international et rapport nationaux de l’Académie internationale de droit comparé, Utrecht 16-22 juillet 2007, Ed. Bruylant 2007, p.49) Son contenu tient dans une démarche de prévention, équivalente à un standard de jugement qui tend à lever, dans la mesure du possible des incertitudes, au moyen d’outils scientifiques probants, pour aboutir à des mesures proportionnées, prises dans le cadre d’un large pouvoir d’appréciation mais sous contrôle juridictionnel (op. cit. Benoît JADOT et Françoise TULKENS, p.59) Le principe « pollueur-payeur » se retrouve expressément consacré en droit luxembourgeois depuis la loi du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets, plus précisément à l’article 17 d’après lequel : « Sans préjudice des dispositions de l’article 19 de la présente loi [régime de la responsabilité élargie des producteurs] et conformément au principe du pollueur-payeur, les coûts de la gestion des déchets sont supportés par le producteur de déchets initial ou par le détenteur actuel ou antérieur des déchets.

Les prix de traitement de tout type de déchets englobent l’ensemble des coûts engendrés par la mise en place et la gestion de l’infrastructure d’élimination ou de valorisation ainsi que de la collecte des déchets. (…) ».

De même, la loi du la loi du 20 avril 2009 relative à la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, intervenue en application de la directive n° 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la

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prévention et la réparation des dommages environnementaux, fait application du principe « pollueur-payeur » en imposant à l’exploitant d’une activité nuisible pour l’environnement l’obligation de réparer le dommage écologique et de prendre des mesures en vue de prévenir un tel dommage et en instaurant même pour un certain nombre d’activités professionnelles dangereuses ou potentiellement dangereuses un régime de responsabilité sans faute. Nous reviendrons plus en détail ci-après sub.) II. 1) sur le contenu de la loi du 20 avril 2009.

4) Le droit de l’environnement est-il reconnu comme un droit de l’homme ou un droit fondamental au sens constitutionnel ou conventionnel ? Comme relevé ci-avant, la Constitution luxembourgeoise, en son article 11bis, érige la protection de l’environnement humain et naturel en droit fondamental. Rappelons la teneur de cet article :

L’Etat garantit la protection de l’environnement humain et naturel, en oeuvrant à l’établissement d’un équilibre durable entre la conservation de la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et la satisfaction des besoins des générations présentes et futures.

Il promeut la protection et le bien-être des animaux ». De même, au niveau conventionnel, la Cour européenne des droits de l’homme, qui est d’application directe, l’article 13 garantissant le droit à un recours effectif, reconnaît au droit à un environnement sain le caractère de droit fondamental. Sans vouloir aller dans le détail de l’évolution jurisprudentielle de la Cour de Strasbourg en la matière, c’est l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui assure la liaison la plus fructueuse entre la Convention et le droit de l’environnement. Ainsi, dans l’arrêt LOPEZ OSTRA c/ Espagne du 9 décembre 1994, la Cour affirmé que « des atteintes graves à l’environnement peuvent affecter le bien-être d’une personne et la priver de la jouissance de son domicile de manière à nuire à sa vie privée et familiale, sans pour autant mettre en grave danger la personne de l’intéressé ». Dans son arrêt GUERRA et al. c/ Italie du 19 février 1998, la Cour a rappelé ce principe et retenu que par le défaut de production d’informations essentielles permettant d’évaluer les risques pouvant résulter pour les requérants du fait de résider à proximité d’une usine, l’Etat italien avait failli à son obligation de garantir le droit au respect de leur vie privée et familiale, au mépris de l’article 8 de la Convention. II. LA COMPETENCE DU JUGE ADMINISTRATIF EN MATIERE D’ENVIRONNEMENT 1) Le contentieux de l’environnement relève-t-il exclusivement ou partiellement de la compétence du juge administratif ? Les juridictions judiciaires sont-elles également compétentes ? Existe-t-il des juridictions spécialisées ? Quoique la Constitution luxembourgeoise prévoie la possibilité pour le législateur de créer des juridictions administratives spécialisées, la tendance actuelle n’est pas en ce sens. En

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effet, si anciennement certaines instances telles le directeur de l'administration des Contributions directes ou le directeur de l’Inspection du Travail et des Mines ont pu être considérées, à certains moments, comme juridictions de première instance, les juridictions de l’ordre administratif, mises en place avec effet au 1er janvier 1997, n’ont plus suivi cette façon de voir, déjà partiellement abandonnée par le législateur auparavant. En tout cas, il n’existe pas actuellement au Grand-Duché du Luxembourg de juridictions spécialisées dans le contentieux ou dans une branche du contentieux de l’environnement, pas plus que dans d’autres branches du droit administratif ou fiscal. Au sens large, le contentieux de l’environnement ne relève cependant pas exclusivement de la compétence du juge administratif, la juridiction judiciaire, surtout au niveau pénal, ayant également des compétences en la matière. Le législateur luxembourgeois, pour les trois sous-thèmes qui nous occupent, a ainsi donné des compétences aux juridictions pénales. Pour ce qui est de la matière de la protection de la nature, le texte générique en la matière, à savoir la loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles prévoit en ses articles 64 à 66 l’intervention de plusieurs acteurs. Ainsi, le juge pénal est compétent pour sanctionner les infractions aux prescriptions de la loi du 19 janvier 2004, ainsi qu’à ses règlements d’exécution, par un emprisonnement de 8 jours à 6 mois et/ou une amende de 251.- à 75.000.- €. De même, le juge pénal a compétence pour ordonner que les animaux, végétaux et objets enlevés de leur emplacement naturel soient respectivement rendus à la vie sauvage ou restitués à leur milieu naturel aux frais du contrevenant. De même, il peut ordonner aux frais du contrevenant, le rétablissement des lieux dans leur état antérieur et ceci dans un délai maximum d’un an, le cas échéant sous peine d’une astreinte. Au moment de la constatation d’une infraction en matière environnementale, les agents compétents ont le droit de saisir les engins, instruments et matériaux de construction, saisie qui doit être validée dans les 8 jours par une ordonnance du juge d’instruction. Des dispositions similaires existent en la matière de l’eau, plus précisément à l’article 61 de la loi du 19 décembre 2008 relative à l’eau. Compétence est donnée au juge pénal pour sanctionner les infractions en la matière par un emprisonnement de 8 jours à 6 mois et/ou une amende de 251.- à 75.000.- €. A noter que dans la matière de l’eau, en cas de récidive dans un délai de deux ans, le maximum de l’amende est doublé. Le juge pénal a également compétence en la matière pour ordonner aux frais du contrevenant, le rétablissement des lieux dans leur état antérieur et ceci dans un délai maximum d’un an, le cas échéant sous peine d’une astreinte. Dans le domaine des déchets, l’article 47 de la loi du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets donne compétence aux juridictions répressives pour sanctionner les infractions aux prescriptions de ladite loi, ainsi qu’à ses règlements d’exécution, par un emprisonnement de 8 jours à 6 mois et/ou une amende de 251.- à 100.000.- €. Les mêmes peines sont prévues pour des infractions aux articles du règlement (CE) n° 1013/2006 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 concernant les transferts de déchets.

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Le juge peut également ordonner la confiscation des engins et instruments dont les contrevenants se sont servis, ainsi que des véhicules utilisés pour commettre l’infraction. Au moment de la constatation d’une infraction en matière environnementale, les agents compétents ont également le droit de saisir les engins, instruments et matériaux de construction, saisie qui doit être validée dans les 8 jours par une ordonnance du juge d’instruction. Finalement, le juge peut ordonner aux frais du contrevenant, le rétablissement des lieux dans leur état antérieur et ceci dans un délai maximum d’un an, le cas échéant sous peine d’une astreinte. Il est aussi intéressant de signaler à ce stade qu’à côté du régime classique de la responsabilité civile, l’article 18 (4) de la loi du 21 mars 2012 prévoit un régime de responsabilité sans faute en énonçant que « Le producteur des déchets est responsable du dommage causé par ses déchets indépendamment d’une faute de sa part. La victime est obligée de prouver le dommage, l’existence des déchets et le lien de causalité entre le déchet et le dommage ». A noter encore que cet article consacre encore le principe de la responsabilité solidaire pour l’hypothèse où plusieurs personnes sont responsables du même dommage. Relevons pour terminer sur ce point une originalité consacrée par la loi du 20 avril 2009 relative à la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, intervenue en application de la directive n° 2004/35/CE du parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, reconnaissant désormais un dommage d'une espèce particulière caractérisé par le principe de la réparation du dommage écologique, indépendamment de toute atteinte à des biens ou des personnes. Le régime mis en place est qualifié, dans le projet gouvernemental, de régime « original », « sui generis », en ce qu'il mélange les éléments relevant du droit privé avec ceux du droit public, tandis que le Conseil d'Etat souligne qu'il s'agit bien d'un régime de responsabilité civile. La principale originalité de la loi consiste dans ce qu'elle adopte une conception large de la notion de dommage causé à l'environnement. Font l'objet d'une réparation, non seulement les dommages causés à l'environnement (article 7 de la loi), mais aussi la menace imminente de tels dommages (article 6). Peuvent, ainsi, faire l'objet d'une réparation, les dommages graves aux sols, aux eaux, aux espèces et habitats naturels, et aux services écologiques. La loi permet une réparation objective du dommage écologique, dégagée de la considération de l'atteinte à une situation particulière de la victime. En droit commun de la responsabilité civile, pour donner lieu à réparation, le dommage doit être certain, direct et personnel. En matière de préjudice écologique, le caractère personnel fait défaut: il s'agit du dommage subi par la nature. Or, l'environnement faisant partie des res nullius, une atteinte à l'environnement en dehors de tout droit de propriété ne peut être réparée selon les mécanismes traditionnels du droit de la responsabilité.

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Faisant application du principe « pollueur-payeur », la loi impose à l'exploitant d'une activité nuisible pour l'environnement l'obligation de réparer le dommage écologique et de prendre des mesures en vue de prévenir un tel dommage. La loi prévoit en son article 4 deux régimes de responsabilité différents : * Un premier régime de responsabilité s'applique aux activités professionnelles dangereuses ou potentiellement dangereuses énumérées à l'annexe III de la loi. Il s'agit principalement d'activités agricoles ou industrielles soumises à un permis, d'activités rejetant des métaux lourds dans l'eau ou dans l'air, d'installations produisant des substances chimiques dangereuses, d'activités de gestion des déchets ainsi que d'activités concernant les OGM et les micro-organismes génétiquement modifiés. Ce régime, applicable aux activités les plus dangereuses, instaure une responsabilité sans faute en ce que les dommages doivent être réparés par l'exploitant alors même qu'il n'a commis aucune faute. * Le second régime s'applique à toutes les autres activités. La réparation des dommages causés aux espèces et habitats naturels protégés ou la menace imminente de tels dommages n'incombe à l'exploitant que si celui-ci a commis une faute ou une négligence. La mise en œuvre de l'obligation de réparer repose sur l'intervention de l'autorité administrative (administration de l'Environnement, l'administration des Eaux et Forêts et l'administration de la Gestion de l'Eau, article 2, sub 18) qui peut obliger l'exploitant, en tant que pollueur potentiel, à prendre des mesures préventives appropriées ou prendre elle-même ces mesures et recouvrer ensuite les frais afférents à ces mesures. Lorsque le dommage s'est produit, l'administration oblige l'exploitant à prendre les mesures de réparation appropriées (visées à l'annexe II de la loi) ou elle prend elle-même ces mesures et recouvre par la suite les frais. Pour être réparable, le dommage doit, pour le surplus, revêtir une certaine gravité qui est à apprécier selon des critères tels qu'énumérés à l'annexe I de la loi. L'importance du dommage doit être évaluée par rapport à l'état de conservation à l'époque où le dommage a été occasionné, aux services rendus par les agréments qu'ils procurent et à leur capacité de régénération naturelle. L’administration compétente peut obliger l’exploitant à prendre les mesures préventives (article 6 de la loi). Si l’exploitant ne s’acquitte pas de ses obligations, l’administration compétente peut elle-même prendre les mesures nécessaires de prévention respectivement charger des tiers de l’exécution matérielle des ces mesures. Si un dommage a été causé à l'environnement (article 7 de la loi), c’est le ministre qui oblige l’exploitant à prendre les mesures de réparation. Si l’exploitant ne s’acquitte pas de ses obligations, le ministre peut lui-même prendre ces mesures en dernier ressort respectivement charger des tiers de l’exécution des mesures nécessaires de réparation. Il convient encore de signaler dans ce contexte que le ministre est habilité à engager contre l’exploitant qui a causé un dommage ou une menace imminente de dommage une procédure de recouvrement des coûts dans une période de 5 ans à compter de la date à laquelle ces mesures ont été achevées ou de la date à laquelle l’exploitant a été identifiée, la date la plus récente étant retenue (article 11 de la loi).

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Contre les décisions prises en vertu de la loi du 20 avril 2009, un recours au fond est ouvert devant le tribunal administratif, recours qui doit être introduit, sous peine de déchéance, dans un délai de 40 jours à partir de la notification de la décision litigieuse (article 13 de la loi). Signalons finalement que le régime de responsabilité instauré par la loi du 20 avril 2009 a un caractère complémentaire par rapport aux régimes existants et il ne saurait notamment tenir en échec l'applicabilité du droit commun de la responsabilité. 2) Quels sont les critères de répartition des compétences (vis-à-vis des juridictions judiciaires et des juridictions spécialisées) ? A défaut de juridictions spécialisées en la matière du droit de l’environnement, mise à part la répartition des compétences entre les juridictions judiciaires et les juridictions administratives énoncée ci-avant, aucun autre critère de répartition de compétences n’existe au Luxembourg. 3) En cas de compétence du juge administratif, quelle est la juridiction compétente en premier ressort ? Et en appel ? En vertu de l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements. D’après l’article 3 (1) de la loi du 7 novembre 1996, le tribunal administratif connaît en outre comme juge du fond des recours en réformation dont les lois spéciales attribuent connaissance au tribunal administratif, hypothèses les plus fréquentes en la matière du droit de l’environnement. Finalement, le tribunal administratif statue encore, d’après l’article 7 (1) de la loi du 7 novembre 1996, sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent. Pour tous ces recours, les articles 2 (3), 3 (2) et 4 (4) de la loi du 7 novembre 1996 prévoient qu’appel peut être interjeté devant la Cour administrative. Il n’existe au Luxembourg qu’un seul tribunal administratif et une seule Cour administrative. III. LA PROCEDURE PRECONTENTIEUSE ET CONTENTIEUSE

1) L’accès à la justice

1.1 Quelles sont les conditions de recevabilité des actions introduites par les personnes physiques (obligation de justifier d’un intérêt ou d’un droit subjectif lésé, actio popularis, …)? En principe et en règle générale, le droit commun de la recevabilité des actions en droit administratif vaut également en matière environnementale. Ainsi, le droit d’agir est conditionné par la justification d’un intérêt personnel direct, certain, actuel et légitime, ainsi que de la qualité requise.

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Contrairement aux litiges portant sur des droits civils et, plus généralement, à ceux portant sur des droits subjectifs, où l'intérêt est conditionné par l'allégation d'une situation juridique et factuelle qui, à la supposer établie, conférerait au demandeur un droit et entraînerait le succès de sa demande, en matière de contentieux administratif portant sur des droits objectifs, l'intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu'une décision administrative affecte négativement la situation de fait ou de droit d'un administré qui peut partant tirer un avantage corrélatif de la sanction de cette décision par le juge administratif. Ainsi, en matière de contentieux administratif objectif, dont plus particulièrement les autorisations délivrées en matière de protection de l'environnement, qui s’analysent en des autorisations individuelles et peuvent être entreprises moyennant un recours en réformation, la conséquence en est qu’« une fois l'intérêt à agir vérifié, le juge ne tranche pas un litige portant sur les droits respectifs des parties au litige, mais il est appelé à vérifier, entre autres, la légalité objective de l'acte administratif critiqué ». ( Cour adm. 15 juillet 2010 (n° 26739C du rôle) Pasicrisie administrative, Bulletin de jurisprudence administrative 2011, V° Procédure contentieuse n° 49, p. 794 ; Cour adm. 16 novembre 2010 (n° 26852C du rôle). A noter cependant un assouplissement instauré en la matière par l’article 12 de la loi du 20 avril 2009 relative à la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux, article qui habilite les personnes physiques et morales a) touchés ou risquant d’être touchés par le dommage environnemental ou ; b) ayant un intérêt suffisant à faire valoir à l’égard du processus décisionnel environnemental relatif au dommage ou ; c) faisant valoir une atteinte à un droit, d’une part, à soumettre au ministre ou à l’administration compétente toute observation liée à toute survenance de dommages environnementaux ou à une menace imminente de tels dommages dont elles ont eu connaissance et, d’autre part, de demander que respectivement le ministre et l’administration compétente prennent des mesures en vertu de cette loi. A cette fin, l’intérêt de toute organisation non gouvernementale qui œuvre en faveur de la protection de l’environnement et qui bénéficie d’un agrément au titre de la loi du 10 juin 1999 relative aux établissements classés et de la loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles est réputé suffisant au fins du point b) ci-avant. Ces organisations sont aussi réputées bénéficier des droits susceptibles de faire l’objet d’une atteinte aux du point c). Finalement, il convient encore de signaler une innovation en la matière du droit de l’environnement se dégageant de l’article 3. 1. de la loi du 25 novembre 2005 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement. Cet article oblige les autorités publiques de mettre les informations environnementales qu’elles détiennent ou qui sont détenues pour leur compte à la disposition de tout demandeur sans que celui-ci soit obligé de faire valoir un intérêt, ledit demandeur pouvant ensuite en cas de refus de communication ou de consultation total ou partiel introduire un recours devant le président du tribunal administratif, statuant comme juge des référés (article 6 de la loi du 25 novembre 2005).

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1.2 Quelles sont les conditions de recevabilité des actions introduites par les personnes morales, notamment pour les associations, les ONG et pour les personnes publiques ayant des compétences en matière d’environnement ? Existe-t-il des présomptions d’intérêt pour agir ? Classiquement il y avait lieu de distinguer ici entre les recours en annulation contre les actes administratifs à caractère réglementaire, tels que prévus par l’article 7 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, et les recours dirigés contre des décisions administratives individuelles.

Depuis la modification opérée par la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, l’article 7, paragraphe 2, alinéas 2) et 3) de la loi précitée du 7 novembre 1996 dispose, de manière expresse, que le recours contre des actes administratifs à caractère règlementaire est ouvert aux associations d’importance nationale, dotées de la personnalité morale et agréés au titre d’une loi spéciale à exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits constituant une infraction au sens de cette loi spéciale. Ce recours ne leur est cependant ouvert que pour autant que l’acte administratif attaqué tire sa base légale de la loi spéciale dans le cadre de laquelle l’association requérante a été agréée. La loi est restée muette sur l’intérêt de ces mêmes associations à agir contre des actes administratifs individuels.

Par un jugement du 11 février 2010 (n° 25050 du rôle), le tribunal administratif déclara irrecevable pour défaut d’intérêt à agir le recours d’une association environnementale contre une décision individuelle ayant accordé à une société de transport d’énergie électrique l’autorisation de procéder au raccordement d’un poste de haute tension au Luxembourg à un autre poste de haute tension en France. Sur appel de l’association environnementale en question, la Cour administrative, dans son arrêt du 15 juillet 2010 (n° 26739C du rôle), était appelée à analyser la situation de la recevabilité quant à l’intérêt à agir de l’association en question pour son recours dirigé contre la décision d’autorisation individuelle obtenue.

Quant à la question précise posée, la Cour était amenée à dégager de travaux parlementaires préparatoires à d’autres pans de la législation postérieure à 1999, que le législateur s’était en fait cantonné dans une position d’attente, laissant aux juridictions le soin de préciser l’étendue de l’intérêt à agir des associations en matière de décisions administratives individuelles. La Cour considéra essentiellement le fait qu'en matière pénale, où l'intérêt à agir des parties autres que le ministère public est apprécié de manière semblable qu'en matière de contentieux administratif, puisqu'une partie privée ne peut déclencher l'action publique qu'en rapportant la preuve qu'elle a été effectivement affectée par une infraction pénale, les associations d'importance nationale et bénéficiant d'un agrément ministériel peuvent exercer, aux termes de l'article 63 de la loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits constituant une infraction au sens de ladite loi et portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre, même si elles ne justifient pas d'un intérêt matériel et même si l'intérêt collectif dans lequel elles agissent se couvre entièrement avec l'intérêt social dont la défense est assurée par le ministère public.

C’est à partir d’un argument d’analogie que la Cour considéra qu’il fallait admettre que si, à côté de l'Etat agissant par la voie du ministère public et des victimes individuelles, de telles associations se voient reconnaître l'intérêt à déclencher l'action publique, exercée ni dans l'intérêt privé ni pour faire reconnaître des droits individuels, mais pour faire

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appliquer, dans l'intérêt général de la protection de l'environnement, des sanctions d'une importance telle que des sanctions pénales, elles ont pareillement intérêt à soumettre au contrôle du juge administratif et à faire sanctionner par celui-ci, des décisions administratives individuelles rendues dans le même domaine et susceptibles de porter atteinte, de manière illégale, à l'environnement.

De plus, eu égard à la circonstance qu'en matière pénale, l'Etat a admis que, parallèlement à sa propre action, un autre organisme qui s'est chargé de la défense de l'intérêt général, puisse faire contrôler, par le juge, le respect de la réglementation en vigueur, la reconnaissance de l'intérêt à agir pour la défense de l'intérêt général est d'autant plus importante en matière administrative où, contrairement à la matière pénale, il n'y a pas deux acteurs parallèles pouvant déclencher une action en justice, puisque l'un des acteurs potentiels, à savoir l'Etat, n'est conceptuellement pas appelé à agir contre des violations de la législation sur l'environnement, étant donné qu'il est l'auteur de la décision à laquelle il est reproché de porter atteinte à la législation afférente. Etant donné, par ailleurs, qu'il se peut qu'une autorisation illégale n'affecte pas individuellement une personne pouvant alors justifier d'un intérêt à agir personnel, les associations de défense de l'environnement peuvent, le cas échéant, être les seules à pouvoir faire contrôler et sanctionner, par un juge, une violation alléguée de la législation environnementale.

La Cour tira de toutes ces considérations la conclusion que l’association environnementale en question, dont l’objet social d’ores et déjà vérifié était la défense de l’environnement, bénéficiait en principe d’un intérêt à exercer un recours contentieux contre une décision administrative individuelle, à condition que soit vérifiée l’existence dans son chef d’un agrément ministériel. Tel ayant été le cas, le tribunal, sur renvoi, était amené à déclarer le recours recevable.

Depuis cet arrêt de principe, l’intérêt à agir des associations environnementales contre une décision administrative individuelle se trouve vérifiée du moment que leur objet social est précisément la défense de l’environnement et qu’elles bénéficient de l’agrément ministériel tel que prévu par l’article 63 de la loi du 19 janvier 2004 précitée. 2) La procédure

2.1 Existe-t-il un mécanisme de recours administratif préalable (facultatif ou obligatoire) ? De manière générale, l’introduction d’un recours en matière environnementale répond aux exigences de droit commun. Aux termes de l’article 13 (1) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives « sauf les cas où les lois ou les règlements fixent un délai plus long ou plus court (…), le recours au tribunal n’est plus recevable après 3 mois du jour où la décision a été notifiée au requérant ou du jour où le requérant a pu en prendre connaissance ». Il n’existe en règle générale pas de mécanisme de recours administratif préalable obligatoire au Luxembourg, sauf de rares exceptions, mais uniquement un mécanisme de recours préalable facultatif appelé « recours gracieux », réglementé aux paragraphes (2) et (3) de la loi du 21 juin 1999. Ainsi, en toutes matières, une partie intéressée peut adresser un recours gracieux à l’autorité administrative compétente avant l’expiration du délai contentieux. Dans cette

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hypothèse, le délai de recours contentieux est suspendu et un nouveau délai commence à courir à partir de la notification de la nouvelle décision qui intervient à la suite du recours gracieux. Si un délai de plus de 3 mois s’est écoulé depuis la présentation du recours gracieux sans qu’une nouvelle décision ne soit intervenue, le délai du recours contentieux commence à courir à partir de l’expiration du troisième mois. Soulignons une exception dans une matière qui touche le droit de l’environnement au sens large et dans laquelle une obligation d’un recours administratif préalable existe. Ainsi, en la matière d’adoption de plans d’aménagement généraux ou particuliers, la loi du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, prévoit, à la suite de la loi antérieure du 12 juin 1937, un double degré de recours administratif préalable, le premier étant constitué par l’objection devant le conseil communal de la commune concernée contre la délibération du conseil communal portant adoption provisoire du plan d’aménagement et le deuxième étant constitué par la réclamation devant le ministre de l’Intérieur contre la délibération communale portant adoption définitive dudit plan.

2.2 Dans quels délais après l’intervention de la décision administrative, l’action doit-elle être introduite (délais de droit commun, délais spécifiques en fonction du demandeur, …) ?

Le délai de recours contentieux de droit commun, tel que relevé ci-avant, est de 3 mois (article 13 (1) de la loi du 21 juin 1999). Cependant, pour certaines matières spécifiques, les délais de recours ne sont pas ceux de droit commun, notamment dans la matière du droit de l’environnement. Ainsi, la loi du 20 avril 2009 relative à la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux prévoit en son article 13 que les exploitants concernés et les personnes physiques et morales autorisés à introduire un recours contentieux sont tenus d’introduire ce recours, sous peine de déchéance, dans un délai de 40 jours à partir respectivement de la notification ou de la publicité de la décision en question. Pour l’hypothèse d’une demande d’action introduite par des personnes physiques ou morales sur base de l’article 12 de ladite loi du 20 avril 2009 (observation liée à la survenance d’un dommage environnemental ou relative à la menace de pareil dommage), le silence gardé par l’autorité compétente (administration ou ministre) pendant 30 jours vaut décision de refus et le recours contentieux contre cette décision de refus implicite est à introduire, sous peine de déchéance, dans un nouveau délai de 30 jours.

La loi du 25 novembre 2005 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement énonce en son article 6 que le refus de communication ou de consultation total ou partiel est notifié, sous peine de nullité, par les autorités publiques au demandeur sous forme d’une décision écrite motivée par lettre recommandée avec accusé de réception. Le silence gardé par l’autorité pendant respectivement plus d’un mois ou 2 mois (informations volumineuses ou complexes) vaut décision de refus. Contre cette décision de refus explicite ou implicite un recours est ouvert devant le président du tribunal administratif, statuant comme juge des référés, recours qui doit être introduit, sous peine de déchéance, dans un délai de 30 jours à compter de la notification de la décision implicite ou de l’expiration du délai d’un mois ou de 2 mois en cas de refus implicite.

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La loi du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets prévoit en son article 50 que contre les décisions d’octroi, de refus, de suspension, de radiation ou de retrait d’autorisation prises en vertu de la loi, le recours contentieux doit être intenté sous peine de déchéance dans un délai de 40 jours à compter de la notification de la décision.

La loi du 21 mars 2012 prévoit également la possibilité de la prise de mesures préventives et curatives. Ainsi, d’après l’article 43 de la loi :

« En cas de risque imminent pour la santé humaine ou d’atteinte à celle-ci ou à

l’environnement, le ministre peut prendre toutes les mesures que la situation requiert. Il peut : - ordonner la fermeture de l’installation ou du site ; - prescrire la suspension de l’activité susceptible d’être à l’origine d’une telle atteinte ;

- ordonner des travaux visant à arrêter, à réparer ou à enlever les atteintes à l’environnement.

Les mesures prescrites en vertu de l’alinéa qui précède auront un caractère provisoire et deviendront caduques si, dans un délai de 8 jours à dater de la décision, elles ne sont pas confirmées par le ministre, la ou les personnes contre qui les mesures ont été prises, entendues ou appelées. Dans les 40 jours de la notification, par lettre recommandée, de la décision de confirmation, un recours est ouvert devant le tribunal administratif qui statuera comme juge du fond ».

Finalement, d’après l’article 49 de la loi du 21 mars 2012, le ministre est encore en droit de prendre des mesures administratives en cas de non-respect des dispositions de la loi, à savoir : « impartir à l’exploitant d’un établissement ou à un producteur ou un détenteur, importateur ou distributeur un délai dans lequel ce dernier doit se conformer à ces dispositions, délai qui ne peut être supérieur à deux ans ; et, en cas de non-respect du délai de mise en conformité, faire suspendre, après une mise en demeure, en tout ou en partie l’activité de négociant, de courtier, de collecteur, ou de transporteur de déchets, l’exploitation de l’établissement ou les travaux de chantier par mesure provisoire ou faire fermer l’établissement ou le chantier en tout ou en partie et apposer des scellés ».

De nouveau, ces mesures sont susceptibles d’un recours devant le tribunal administratif qui statue comme juge du fond, recours à introduire sous peine de déchéance dans les 40 jours de la notification de la décision.

La législation en matière d’eau contient des dispositions similaires. La loi du 19 décembre 2008 relative à l’eau prévoit en son article 25 que les recours contre les décisions prises en matière d’autorisations sont à introduire, sous peine de forclusion, dans un délai de 40 jours à compter de la notification de la décision. De même, l’article 17 de la loi du 19 décembre 2008 prévoit que le recours contentieux à l’encontre des bulletins d’établissement des taxes de prélèvement d’eau ou de rejet des eaux usés est à introduire devant le tribunal administratif dans un délai de 40 jours à compter de la notification dudit bulletin.

Par contre, la loi générique du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles prévoit en son article 58 « que contre les décisions prises en vertu de la présente loi un recours est ouvert devant le tribunal administratif qui statuera comme

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juge du fond », de sorte que le délai de recours contentieux de droit commun de 3 mois est d’application en cette matière, intéressant notamment des demandes d’autorisation de constructions ou d’installations dans des zones vertes ou des zones de protection.

Relevons encore qu’en la matière des établissements classés, domaine qui intéresse de manière indirecte le droit de l’environnement, l’article 19 de la loi du 10 juin 1999 relative aux établissements classés prévoit de nouveau que le recours contentieux est à introduire sous peine de déchéance dans un délai de 40 jours à partir respectivement de la notification ou de l’affichage de la décision en question.

2.3 Le recours est-il suspensif ? Si non, existe-t-il des procédures d’urgence (suspension, mesures conservatoires, …) ?

En droit luxembourgeois, l’introduction d’un recours contentieux n’a en principe pas d’effet suspensif, la règle étant celle du préalable administratif, les décisions administratives étant en principe exécutoires nonobstant l’introduction d’un recours précontentieux ou contentieux. Par exception, la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives prévoit en ses articles 11 et 12 la possibilité pour le président du tribunal administratif de prononcer l’effet suspensif sinon de prévoir une mesure de sauvegarde provisoire par rapport à un recours au fond qui doit avoir été préalablement déposé auprès du tribunal administratif. Il s’agit du référé administratif.

En règle générale, et sauf rares exceptions prévues par la loi, les ordonnances de référé du président du tribunal ont un effet provisoire et valent jusqu’à ce que la juridiction du premier degré, formation collégiale du tribunal, ait statué au fond. Aucun appel n’est prévu, en principe, à l’encontre des ordonnances du président du tribunal statuant en tant que juge des référés.

Ces règles constituent le droit commun en matière de procédure contentieuse devant les juridictions administratives et il n’existe pas de référé spécifique en matière environnementale, sauf une exception particulièrement lotie. Lorsque le législateur luxembourgeois, par la loi précitée du 25 novembre 2005, a transposé en droit luxembourgeois la directive 2003/4/CE du Parlement Européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public aux informations en matière d’environnement, l’accent a été mis en cours de procédure sur l’urgence inhérente à cette matière. Alors qu’il était initialement prévu de consacrer un recours devant le tribunal administratif dans sa formation collégiale, la loi du 25 novembre 2005, dans sa mouture définitive, a prévu un référé au fond devant le président du tribunal et déclaré, sans autre précision, que contre toute ordonnance afférente du président appel pouvait être formé devant la Cour administrative.

Dans le silence de la loi et devant la toile de fond de ce qu’en règle générale les ordonnances présidentielles en matière de référé ne sont pas appelables, la Cour était amenée à décider de façon constante que cet appel suit le droit commun de la procédure d’appel devant la Cour administrative et se trouve dès lors soumis à la formation collégiale de la Cour statuant à trois membres. De même, les délais d’instruction normaux s’appliquent. Cependant si l’urgence le requiert une abréviation des délais peut être demandée et obtenue devant la Cour par toute partie intéressée.

En principe les ordonnances de référé du président sont exécutoires par provision nonobstant toute voie de recours, étant constant qu’en règle générale, il n’existe pas de

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recours contre ces ordonnances. La loi du 25 novembre 2005 ne prévoit rien à ce sujet. La matière est délicate. Les points litigieux devant le président se résument généralement en ce que l’une des parties demande l’accès à une information que l’autre n’entend pas divulguer. Si en cas de divulgation ordonnée, le président revêtait, comme d’accoutumée, son ordonnance de l’exécution provisoire, la voie de recours de l’appel, pourtant expressément prévue par la loi, serait entièrement vidée de sa substance. Le président a ainsi été amené, pour que l’appel garde un sens, à ne faire courir l’exécution provisoire de son ordonnance qu’une fois le délai d’appel révolu (ord. prés. 16 juin 2006, n° 21452a du rôle).

2.4 Existe-t-il d’autres particularités procédurales spécifiques à ce champ du droit ?

Il n’y a pas d’autres particularités à signaler en la matière du droit de l’environnement.

3) Les pouvoirs du juge Remarque préliminaire : Le soussigné se propose de traiter les réponses aux questions 3.2, 3.3, 3.4. et 3.5 dans un premier stade de manière globale (sous le point 3.1), sous l’intitulé « l’étendue des pouvoirs du juge administratif en la matière du droit de l’environnement », avant de répondre d’une manière précise, sur base des développements antérieurs, aux différentes questions posées. 3.1 Quels sont les pouvoirs d’instruction du juge (expertise, amicus curiae, visite sur place, communication de données par l’Etat ou les opérateurs économiques, …) ?

En application de l’article 14 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, chaque fois que l’examen d’une affaire l’exige, la juridiction administrative saisie peut ordonner des mesures d’instruction exécutées par un technicien. Dans ce contexte, elle règle la forme et les délais dans lesquels il est procédé à la mesure et commet en principe un de ses membres pour procéder à ces actes d’instruction, les recevoir ou les surveiller. L’article 14, alinéa 2, prend soin de préciser que « le principe du contradictoire doit en tout état de cause être respecté ». Cette approche est utilisée aussi souvent que des questions d’ordre technique indispensables pour toiser le litige se posent au juge administratif sans que les éléments du dossier produits devant lui ne permettent de toiser utilement l’affaire sans recours à l’aide d’un technicien. Une balance est évidemment à trouver entre les délais nécessairement engendrés par une telle mesure d’instruction et l’exigence d’évacuation rapide et pertinente inhérente aux recours pendants devant les juridictions administratives. En pratique, une minorité de cas exige la nomination d’un technicien. Le juge évalue essentiellement la qualité de l’expertise sur base des prises de position afférentes des parties et de ses connaissances personnelles de la matière traitée. Une mesure qui a fait particulièrement ses preuves est celle d’organiser soit en audience publique, soit en chambre du conseil, suivant le cas, une audition du technicien en présence des parties et de leurs mandataires. Cette audition est toujours effectuée par la formation de jugement entière et non pas par le seul magistrat délégué le cas échéant à la surveillance des opérations du technicien. La Cour administrative a pu tirer des enseignements très probants des dernières auditions de techniciens ainsi effectuées.

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Parfois, avant même l’institution d’une mesure d’instruction, la Cour a été amenée à organiser une audition des parties et de leurs mandataires autorisés à se faire accompagner de consultants techniques de part et d’autre. Pareille démarche a déjà à plusieurs reprises permis à la Cour de déblayer utilement le terrain d’un point de vue technique sans que par la suite le recours à un technicien nommé à titre d’expert ou de consultant n’ait été nécessaire. Cette façon de procéder permet également de respecter le principe du contradictoire et de combler l’impossibilité pour la formation de jugement de faire participer à son délibéré une quelconque personne étrangère à ladite formation. Ainsi, les experts, pas plus que d’autres tierces personnes, ne sont admis à participer aux délibérations de jugement, seuls les magistrats composant la formation de jugement y participant à l’exclusion de toute autre personne. Le secret du délibéré s’impose. Par ailleurs tous les magistrats doivent disposer d’une formation juridique accomplie. Une personne qui ne dispose pas de cette formation ne peut pas accéder à la fonction de magistrat. Le Luxembourg ne connaît pas, comme d’autres pays tel la Finlande, la possibilité de voir nommer des spécialistes dans une matière non juridique en tant que juge. Un aménagement particulier a été créé de manière prétorienne par la Cour dans une affaire d’accès à l’information (Cour adm., 1er juillet 2010 (n° 26420C et 26421C du rôle). Il s’agissait d’une question pointue de savoir dans quelle mesure une étude en matière de fourniture d’électricité pouvait être dévoilée, alors que l’argument de sécurité nationale et de secret afférent avait été invoqué devant le président du tribunal. Celui-ci avait alors ordonné une comparution personnelle des parties à laquelle il ne convoqua que les représentants des sociétés de fourniture d’électricité à l’exception de leurs défenseurs et des autres parties et de leurs défenseurs. En appel, la Cour retint que pareille façon de faire était certes incompatible avec les exigences du principe du contradictoire, mais qu’il fallait éviter de rendre la fonction juridictionnelle raisonnablement in-opérationnelle et de vider la procédure contentieuse de toute son efficacité. Dans cette optique, la Cour a permis le recours du président à un conseiller technique indépendant devenant à son tour confident nécessaire en dehors de l’intervention des parties. Cette faculté a été réservée à des hypothèses strictement limitées et jugée applicable également devant la juridiction d’appel.

Ces moyens viennent d’être incidemment relevés ci-avant. Souvent, une visite des lieux est souvent nécessaire afin que la juridiction saisie puisse se rendre compte in situ de la situation des lieux. Tel est essentiellement important lorsque la juridiction administrative siège en tant que juge de la réformation et est appelée à prendre une décision en lieu et place de l’autorité administrative. Si la situation factuelle est complexe, la juridiction peut ordonner une comparution personnelle des parties, soit sur les lieux si le dossier l’exige, soit à l’audience. Le cas échéant, surtout en matière de faits complexes, la juridiction peut ordonner que les parties soient assistées de techniciens (unilatéraux) de leur choix, afin que sur leurs explications et réponses aux questions de la juridiction, le terrain puisse être déblayé et que la juridiction soit éclairée sur des différents aspects d’ordre factuel et technique litigieux et insuffisamment dégagés à travers la procédure d’instruction qui est par ailleurs essentiellement écrite. 3.2, 3.3, 3.4 et 3.5 L’étendue des pouvoirs du juge administratif en la matière du droit de l’environnement.

Pour répondre à la présente question, il convient en premier lieu de faire la distinction entre les actes administratifs individuels et les actes réglementaires.

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La loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif consacre cette distinction en traitant les deux catégories d’actes dans des dispositions distinctes, à savoir en son article 4 pour les actes individuels dénommés « décisions administratives » et en son article 7 pour les « actes administratifs à caractère réglementaire ». Ainsi, d’après l’article 7 de la loi du 7 novembre 1996 : « (1) Le tribunal administratif statue encore sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre les actes administratifs à caractère réglementaire, quelle que soit l’autorité dont ils émanent. (2) Ce recours n’est ouvert qu’aux personnes justifiant d’une lésion ou d’un intérêt personnel, direct, actuel et certain ». L’obligation d’emprunter exclusivement la voie du recours en annulation pour les actes réglementaires (Cour adm., 28 novembre 2002, n° 14173C) se justifie par la considération que « dans le cadre d’une stricte séparation des pouvoirs, le juge administratif ne saurait se substituer au pouvoir exécutif dans le cadre de l’édiction d’actes administratifs à caractère réglementaire ». Quant à l’intérêt à agir des requérants, il est de jurisprudence constante que « le tribunal administratif est compétent pour connaître des recours en annulation dirigés contre toute disposition à caractère règlementaire, peu importe que ledit acte administratif à caractère réglementaire est ou n’est pas de nature à produire un effet direct sur les intérêts privés d’une ou de plusieurs personnes ou qu’il nécessite, en vue d’affecter immédiatement la situation d’une telle personne, la prise d’un acte administratif individuel d’exécution, cette question devant être examinée lors de l’analyse de la recevabilité du recours, dans le cadre de l’appréciation de l’intérêt à agir » (Cour adm., 6 juin 2002, n° 14136C du rôle). Un simple intérêt virtuel est donc admis. Pour attaquer un règlement, l’administré ne doit pas attendre que ce règlement lui soit appliqué par une décision individuelle d’exécution. Il faut mais il suffit que le règlement litigieux soit susceptible de lui être appliqué. Comme exemple d’une possible violation, par un règlement, des formalités destinées à protéger les intérêts privés on peut citer la méconnaissance de dispositions protégeant les intérêts privés dans le cadre du classement d’un terrain en zone protégée. Quant à l’étendue du contrôle des actes à caractère réglementaire par les juridictions administratives, contrairement aux actes administratifs individuels qui doivent être motivés en la forme, les actes réglementaires ne sont pas assujettis à l’obligation de motivation. Ce n’est pas à dire pour autant que les actes réglementaires soient dépourvus de tout motif. Tout acte administratif, qu’il soit individuel ou réglementaire, doit reposer sur des motifs matériellement exacts et légalement admissibles. Seulement, en ce qui concerne les actes réglementaires, cette motivation ressort non pas du corps du texte même mais du dossier administratif. Dans son contrôle, le juge administratif aura donc égard aux pièces du dossier administratif ainsi qu’aux éléments fournis par l’administration en cours d’instance, le tout, dans le respect du principe du contradictoire. Il suffit dès lors que les motifs de l’acte réglementaire peuvent être retracés à la fois par le juge administratif et par les administrés intéressés en vue d’assurer l’efficacité du contrôle juridictionnel. A noter encore que le principe de la séparation des pouvoirs s’oppose à ce que le juge statue sur des « questions de pure opportunité politique de la mesure ».

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Comme la frontière entre le contrôle de légalité et le contrôle d’opportunité pour les actes réglementaires est particulièrement difficile à cerner, le juge administratif a recours respectivement à la théorie de l’« erreur manifeste d’appréciation » et au « principe de proportionnalité » de l’acte administratif, en exigeant un lien raisonnable de proportionnalité entre les mesures prises et la fin d’intérêt général poursuivie. Ainsi, la Cour administrative a décidé que : « Il n’appartient pas au juge de la légalité d’apprécier le bien-fondé de la pondération relative que le pouvoir réglementaire attribue aux considérations d’intérêt général par rapport aux intérêts des particuliers qui nécessairement sont susceptibles d’être atteints par une mesure d’ordre réglementaire » (Cour adm. 29 novembre 2001, n° 13357C du rôle). Ce postulat ne doit cependant pas être interprété comme excluant toute appréciation par le juge administratif de l’existence d’un juste équilibre entre les considérations d’intérêt général et les droits individuels. En effet, pareille approche viderait le contrôle juridictionnel d’une partie de sa substance et contreviendrait aux standards supranationaux de contrôle juridictionnel dont ceux de la Cour européenne des droits de l’homme reposant sur la recherche d’un juste équilibre entre les droits de l’individu et l’intérêt général (arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, § 69). Dans un arrêt du 19 février 2009 (n° 24834C du rôle), la Cour administrative a souligné qu’en cas de contradiction irréductible entre l’intérêt général et les intérêts privés, l’intérêt général devait l’emporter : l’intérêt général commandait qu’un plan d’aménagement fasse passer une route d’accès à l’aéroport sur le terrain d’un club privé de golf plutôt que par le bois à proximité fréquenté par le grand public. Le juge administratif se reconnaît encore le pouvoir de vérifier l’exactitude matérielle des motifs de fait et la proportionnalité des mesures prises par rapport à ces faits ainsi qu’à l’objectif poursuivi même si certaines décisions parlent de « contrôle marginal de proportionnalité » (Cour adm. 6 mai 2010, n° 26515C du rôle). Les faits doivent être établis « à l’exclusion de tout doute raisonnable » (arrêt précité du 19 février 2009). Le juge administratif s’estime également compétent pour vérifier la légalité des motifs de droit par rapport aux normes hiérarchiquement supérieures, telle la loi de base (Cour adm. 7 mars 2002, n° 14136C du rôle). Finalement, pour être complet quant à l’étendue des pouvoirs du juge administratif dans le cadre du contrôle des actes réglementaires, il convient de noter que l’appréciation de la validité des actes de droit européen échappe à la compétence du juge national. L’examen de la compatibilité des mesures européennes, telle une directive, avec les principes fondamentaux des traités européens reste l’apanage du juge européen (trib. adm. 5 avril 2006, n° 20372 du rôle). En cas de doute sur la validité d’un acte de droit européen, il incombera au juge administratif de poser une question préjudicielle au juge européen sur base de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Concernant les décisions administratives individuelles, nous avons vu ci-avant sous le point III 2.2, traitant des délais d’agir en justice, que dans le domaine du droit de l’environnement, et plus précisément dans les textes de loi concernant les matières de l’eau, des déchets et de la protection de la nature, le juge administratif est chaque fois appelé à statuer comme juge du fond respectivement qu’il est saisi d’un recours en réformation.

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La mission et les pouvoirs du juge de la réformation ont été définis par la jurisprudence comme suit : « Le recours en réformation est l'attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l'administration, sur tous les aspects d'une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu'il la confirme ou qu'il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l'administration a prise sur base d'une situation de droit et de fait telle qu'elle s'est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire – indépendamment de la légalité – l'appréciation de l'administration, mais elle l'appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l'administration et des administrés concernés ». (Cour adm. 27 juillet 2011, n° 28150C et 28151C du rôle). – En matière de recours en réformation, le juge administratif est appelé non à examiner si l'administration est restée à l'intérieur de sa marge d'appréciation, une telle démarche s'imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l'administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l'administration ». (Cour adm. 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle). Cette étendue des pouvoirs du juge de la réformation dans la matière du droit de l’environnement en présence d’un acte administratif individuel se trouve encore résumée dans un arrêt de la Cour administrative du 6 mai 2008 (n° 23341C du rôle) dans une affaire de protection de l’environnement concernant la construction d’une exploitation agricole en zone verte. Dans cet arrêt, la Cour s’est exprimé comme suit par rapport aux pouvoirs lui attribués : « Il y a lieu de concevoir le recours en réformation, aussi dénommé recours de pleine juridiction ou recours au fond, comme étant l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, - exerçant un pouvoir « de révision » suivant la terminologie ancienne - sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Si dans le contentieux de l’annulation, où il est demandé au juge d’annuler une décision administrative comme non conforme à l’ordonnancement juridique, le juge ne peut que soit rejeter le recours qu’il juge mal fondé, soit annuler – en tout ou partie – la décision administrative s’il juge le recours fondé, la nature du contentieux de réformation est plus complexe, en ce sens que le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire – indépendamment de la légalité – l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des

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administrés concernés. Le recours en réformation ne traduit autre chose que le choix du législateur de confier au juge administratif la mission de statuer au fond et de refaire l’appréciation en fait et en droit. La Cour se départage ainsi du courant jurisprudentiel invoqué par le délégué du gouvernement tablant sur la prémisse du conditionnement du pouvoir de réformation par la vérification préalable d’une cause d’annulation. Il convient au contraire de retenir qu’en tout état de cause et même si la situation de droit et de fait ne devait point avoir évolué depuis la prise de la décision, voire indépendamment de toute cause d’annulation, le recours en réformation – dans la limite des moyens invoqués par les parties – appelle le juge administratif à substituer son appréciation à celle de l’administration et à prendre la décision qu’il considère en tant que juge du fond comme appropriée, et cela alors même que la décision administrative entreprise est légale et ne saurait être annulée ». Sur base des développements ci-avant, les réponses aux différentes questions 3.2. à 3.5 sont les suivantes :

3.2 Le juge exerce-t-il un contrôle limité à la régularité de la procédure ? Son contrôle porte-t-il sur le fond de la décision ? Les pouvoirs du juge administratif luxembourgeois en la matière du droit de l’environnement ne se limitent pas à un contrôle de la régularité de la procédure mais son contrôle s’étend également sur le fond de la décision. Le contrôle au fond est plus étendu pour l’hypothèse d’un litige qui porte sur un acte administratif individuel qu’en cas de contrôle de la légalité d’un acte réglementaire. Si dans la dernière hypothèse, le juge ne se livre qu’à un « contrôle marginal de proportionnalité », à la recherche d’un juste équilibre entre les droits de l’individu et l’intérêt général, ses pouvoirs sont des plus étendus lorsqu’il statue en tant que juge du fond dans le cadre du contrôle d’une décision individuelle, le juge pouvant substituer son appréciation à celle de l’administration et prendre la décision qu’il juge appropriée.

3.3 Le juge exerce-t-il un contrôle de légalité ? d’opportunité ? Tant pour les actes réglementaires que pour les décisions individuelles, le juge administratif exerce un contrôle de la légalité en considération de la situation de droit ou de fait au jour où la décision a été prise. Pour les actes réglementaires, il vérifie encore la légalité des motifs de droit en les confrontant aux normes hiérarchiquement supérieures, de même qu’il se reconnaît le pouvoir de vérifier l’exactitude des motifs de fait et la proportionnalité des mesures prises par rapport à ces faits, ainsi que l’objectif poursuivi par la mesure réglementaire. De la sorte, il exerce également un contrôle d’opportunité que l’on peut qualifier de « limité ». Pour les décisions individuelles, le juge de la réformation, dispose en outre du pouvoir de tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date à laquelle la décision a été prise et à apprécier, au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations de l’administration et des administrés concernés. Il substitue son appréciation à celle de l’administration et prend la décision

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qu’il considère comme appropriée, et cela alors même que la décision entreprise est légale et ne saurait être annulée. Les pouvoirs du juge de la réformation en matière de droit de l’environnement vont dès lors au-delà du simple contrôle d’opportunité.

3.4 Quelle est l’intensité du contrôle du juge ? Au vu de ce qui précède, nous pouvons retenir une intensité croissante du juge luxembourgeois en la matière du droit de l’environnement et ceci en fonction de la nature de l’acte administratif à vérifier. Tant pour les actes réglementaires que pour les décisions individuelles son contrôle se porte sur la régularité de la procédure suivie par les actes concernés. De même, il exerce un contrôle par rapport au fond des deux catégories de décisions (réglementaires ou individuelles), à savoir un contrôle de légalité. Pour les actes réglementaires, la jurisprudence l’autorise encore à vérifier, outre l’exactitude matérielle des motifs de fait à la base de l’acte, le lien raisonnable de proportionnalité qui doit exister entre la mesure prise et la fin d’intérêt général poursuivie, c’est-à-dire un contrôle d’opportunité limité. Pour les décisions individuelles seules, il est encore appelé à statuer en tant que juge de la réformation avec le pouvoir de statuer à nouveau en lieu et place de l’administration sur tous les aspects de la décision querellée.

3.5 Quelles sont les mesures susceptibles d’être décidées par le juge ? - Le juge peut-il seulement annuler la décision ou dispose-t-il d’un pouvoir de réformation ? Comme relevé ci-avant, le juge administratif luxembourgeois dispose d’un pouvoir d’annulation en présence d’un acte administratif à caractère réglementaire. Lorsqu’il se trouve saisi avec l’examen d’une décision individuelle, le juge administratif luxembourgeois dispose en outre d’un pouvoir de réformation.

- A-t-il un pouvoir de sanction ? Peut-il l’exercer de sa propre initiative ou doit-il être invité à le faire par l’une des parties ? Le juge administratif luxembourgeois ne dispose pas d’un pouvoir de sanction au sens classique du terme, à savoir prononcer des amendes ou toute autre sanction comme une saisie ou confiscation. Au sens élargi, la législation en matière d’établissements classés, qui touche de près le droit de l’environnement, lui permet cependant de prendre des mesures et sanctions administratives. D’après l’article 27 de la loi du 10 juin 1999 relative aux établissements classés, article intitulé « mesures et sanctions administratives », l’autorité administrative peut, pour l’hypothèse de la commission de diverses infractions à diverses dispositions en la matière, soit impartir à l’exploitant d’un établissement un délai dans lequel ce dernier doit se conformer à ces dispositions (délai qui ne peut être supérieur à 2 ans), soit faire suspendre, après une mise en demeure, en tout ou en partie l’exploitation ou les travaux de chantier par mesure provisoire ou fermer l’établissement ou le chantier en tout ou en partie et apposer des scellés.

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A noter que l’administration peut être saisie par tout intéressé avec une demande d’appliquer les mesures décrites. La décision prise par l’administration est susceptible d’un recours devant le tribunal administratif qui statue comme juge du fond, recours qui doit être introduit sous peine de déchéance dans un délai de 40 jours à partir de la notification de la décision. Partant, en relation avec cette problématique spécifique, le juge administratif, en tant que juge de la réformation, est appelé à se prononcer de manière indirecte sur le bien fondé respectivement des mesures et sanctions administratives prononcés à un stade antérieur par l’autorité administrative compétente. - Peut-il accorder des dommages-intérêts ? Si oui, à partir de quels éléments le montant des dommages-intérêts est-il calculé ?

Il y a lieu de rappeler que les juridictions administratives n’ont pas compétence pour régler une indemnisation du dommage causé par l’acte illégal qu’elles ont annulé. C’est dire encore que dans pareille hypothèse, lorsque le juge administratif a annulé un acte administratif, un deuxième tour, doit être tourné, c'est-à-dire une nouvelle procédure devant le juge judiciaire doit être intentée pour voir obtenir l’indemnisation requise sur le plan civil. Si, classiquement une jurisprudence civile exigeait que l’acte administratif avait dû au préalable être annulé par le juge administratif avant qu’une demande d’indemnisation ne pouvait être envisagée, dorénavant diverses décisions des juridictions civiles s’accordent la compétence pour vérifier si l’acte critiqué de l’administration correspond à un dysfonctionnement de celle-ci au sens des dispositions spécifiques de la loi du 1er septembre 1988 relative à la responsabilité civile de l’Etat et des collectivités publiques pour, en cas de réponse positive, toiser le volet indemnitaire. Suivant cette tendance jurisprudentielle, un passage devant le juge administratif aux fins de voir annuler l’acte incriminé ne serait plus requis. La pratique est cependant encore essentiellement dans le sens d’un procès préalable devant le juge administratif. - A-t-il le pouvoir d’obliger à une remise en état ? Est-ce une obligation ou une simple faculté pour le juge de prononcer cette remise en état ? Sous quelle forme la remise en état se présente-t-elle (compensation physique, compensation financière, …) ?

Au Luxembourg, les juridictions administratives n’ont pas la possibilité, après avoir procédé à l’annulation ou la réformation de la décision en cause, d’ordonner une remise en état. Comme il a été exposé ci-avant sous le point II. 1), le pouvoir d’obliger à une remise en état aux frais du contrevenant est seulement donné au juge pénal sur la base de dispositions légales spécifiques existant en la matière du droit de l’environnement, et plus précisément au niveau des législations concernant l’eau, les déchets et la protection de la nature.

IV. LES SUITES DE LA DECISION JURIDICTIONNELLE 1) Existe-t-il des mécanismes spécifiques destinés à assurer l’exécution des décisions juridictionnelles rendues en matière environnementale (pouvoir d’injonction, astreintes, autres mesures de coercition contre l’administration ou les opérateurs économiques) ?

Au Luxembourg, les juridictions administratives ne disposent pas d’un pouvoir d’injonction à l’égard de l’administration dans le cadre de l’exécution de leurs jugements et arrêts.

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Les juges administratifs ne sont pas non plus en mesure de condamner l’administration récalcitrante au paiement d’une astreinte ou d’une amende. Pareille compétence se heurterait notamment à la répartition des compétences entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif, les condamnations à une astreinte ou à une amende, partant à une somme d’argent, étant à ramener à des demandes portant sur les droits civils. Cependant d’après l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une des parties les sommes par elles et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. Cette compétence pour l’allocation d’une indemnité de procédure, basée essentiellement sur des considérations d’équité, appartient tant au tribunal administratif qu’à la Cour administrative. Lorsque l’administration exécute un jugement ou un arrêt, elle le fait en règle générale suivant une décision individuelle nouvelle. Contre celle-ci de nouveaux recours sont ouverts. Une telle décision nouvelle peut dès lors être soumise aux juridictions administratives pour contrôle. Dans le cadre des moyens pouvant être invoqués par le justiciable à l’encontre de cette nouvelle décision administrative, celui du non-respect de la chose jugée se dégageant d’un jugement antérieur des juridictions administratives peut être, le cas échéant, un moyen pertinent. En l’absence de pouvoir d’injonction, il y a tout juste lieu de préciser à partir des dispositions de l’article 84 de la loi précitée du 7 novembre 1996 que tant le tribunal administratif que la Cour administrative peuvent être appelés à nommer un commissaire spécial, si la décision non exécutée dans les délais impartis a émané soit de l’une, soit de l’autre de ces juridictions. Ainsi, l’article 84 dispose-t-il que lorsqu’en cas d’annulation ou de réformation, coulée en force de choses jugée, d’une décision administrative qui n’est pas réservée par la Constitution, à un organe déterminé, la juridiction ayant annulé ou réformé la décision a renvoyé l’affaire devant l’autorité compétente et que celle-ci omet de prendre une décision en se conformant au jugement ou à l’arrêt, la partie intéressée peut, à l’expiration d’un délai de 3 mois, à partir du prononcé de l’arrêt ou du jugement, saisir la juridiction qui a renvoyé l’affaire en vue de charger un commissaire spécial de prendre la décision en lieu et place de l’autorité compétente et aux frais de celle-ci. Dans ce cas, la juridiction fixe au commissaire spécial un délai dans lequel il doit accomplir sa mission et la désignation du commissaire spécial dessaisit l’autorité compétente. Quant au choix du commissaire spécial, l’article 85 de la même loi prévoit qu’au cas où la décision devait être prise par une personne publique décentralisée ou par une autorité déconcentrée, le commissaire spécial est choisi parmi les fonctionnaires supérieurs de l’autorité de tutelle ou du ministère dont relève l’autorité à laquelle l’affaire a été renvoyée. Dans tous les autres cas, le commissaire spécial est choisi par les membres de la juridiction. Si tel est le cas, le commissaire spécial sera normalement et suivant le degré d’acuité de l’affaire, soit le juge rapporteur, soit le président de la composition. La Cour administrative a considéré que l’institution d’un commissaire spécial est une ultima ratio. De fait, lorsqu’une requête en nomination d’un commissaire spécial est

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pendante, dans plus de 90% des cas, l’administration « se rattrape » et procède à l’exécution du jugement ou arrêt qu’elle n’avait pas effectuée dans le délai de trois mois imparti par la loi. D’après l’article 87 de la loi du 7 novembre 1996 précitée, les commissaires spéciaux ont droit à une indemnité qui est fixée par la juridiction suivant la nature et la complexité de l’affaire. 2) Quelles sont les voies de recours ouvertes contre cette décision ? Sont-ce les voies de recours de droit commun ? L’article 86 prévoit que la décision rendue par le commissaire spécial est, selon le cas, susceptible d’un recours en annulation ou d’un recours en réformation. Il est donc possible pour une partie intéressée de porter à nouveau la décision rendue par le commissaire spécial devant le juge administratif. Si le commissaire spécial aura été un des membres de la formation de jugement, sa décision, prise en tant que commissaire spécial, sera ainsi directement jugée par ses pairs. Le cas de figure ne s’est pas encore présenté devant les juridictions de l’ordre administratif depuis leur création au 1er janvier 1997. Depuis lors, dans une seule affaire portée devant la Cour, un de ses membres a été amené à être nommé commissaire spécial sans que sa décision prise qualitate qua n’a été par la suite soumise aux juridictions administratives. Théoriquement le cas de figure est possible qu’une décision d’un membre de la Cour administrative ayant statué comme commissaire spécial soit portée devant le tribunal administratif qui est appelé à y statuer en premier lieu et à charge d’appel. Lynn Spielmann Conseiller à la Cour administrative 22.10.2012 Annexes :

- Constitution luxembourgeoise - loi du 19 décembre 2008 relative à l’eau - loi du 21 mars 2012 relative à la gestion des déchets - loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources

naturelles - loi du 20 avril 2009 relative à la responsabilité environnementale - loi du 10 juin 1999 relative aux établissements classés - loi du 25 novembre 2005 concernant l’accès du public à l’information en matière

environnementale - relevé des conventions internationales et des textes communautaires en la matière

de l’eau - relevé des conventions internationales et des textes communautaires en la matière

des déchets - relevé des conventions internationales et des textes communautaires en la matière

de la protection de la nature - relevé des conventions internationales et des textes communautaires « divers »