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Le langage sur Dieu peut-il avoir un sens

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LE LANGAGE SUR DIEU PEUT-IL AVOIR UN SENS ?

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DU MÊME AUTEUR :

Association des Publications de l'Université de Toulouse-Le Mirail, 1969.

collection « Sup », Presses Universitaires de France, Paris, 1971.

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PUBLICATIONS DE L'UNIVERSITÉ DE TOULOUSE-LE MIR AIL SÉRIE A TOME 24

Michel COMBÈS

LE LANGAGE SUR DIEU PEUT-IL AVOIR UN SENS ?

ASSOCIATION DES PUBLICATIONS DE L'UNIVERSITÉ DE TOULOUSE-LE MIRAIL

56, RUE DU TAUR — 31000 TOULOUSE

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Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon (art. 2 et suivants du Code pénal). Les copies ou repro- ductions destinées à une utilisation collective sont interdites (loi du 11 mars 1957).

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PRÉFACE

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PRÉFACE *

Jamais les chrétiens n'ont autant parlé de Dieu — surtout si diver- sement — que depuis deux décennies, alors qu'est déjà ancien, mais toujours prégnant, son acte de décès dressé par Nietzsche. Des entre- prises de critique radicale, d'analyse des origines ou de déconstruc- tion convergent, malgré leurs différences d'orientation et de méthode, pour souligner le caractère humain de tout langage sur Dieu. A la question : « que peut signifier un parler sur Dieu ? » sont données des réponses à divers niveaux. La mise au point de M. Michel Combès s'avère d'un intérêt capital et il ne sera point possible dorénavant de l'ignorer — du moins avant d'aborder les jeux de déterminations établis par les sciences humaines.

Au XVII siècle, devant la vague d'athéisme que d'aucuns s'imagi- naient percevoir, paraissaient maints traités visant à démontrer plus ou moins existence de Dieu et immortalité de l'âme. Le centre d'inté- rêt s'est déplacé depuis l'époque de Descartes. Les arguments classi- ques ne paraissent plus efficaces. La défense de la cause de Dieu, comme disait Leibniz, a changé de terrain. Elle ne s'opère plus, en ce dernier tiers du XX siècle, au niveau de la métaphysique et de l'ontothéologie classiques. La question se déporte de plus en plus, d'une part au plan du vécu et de l'action, et même de la praxis, d'au- tre part au sein des théologies de la mort de Dieu, des théologies de la révolution, des théologies dialectiques et, plus généralement, des théologies venant après les maîtres du soupçon et après le départ des sciences humaines et sociales. Si l'on ne se contente point de quelque néo-fidéisme, la justification tend à devenir herméneutique.

(*) Note de M. Combès. Un très grave accident a empêché M. Jean-Marc Ga- baude de mettre la dernière main à cette préface. Nous le remercions vivement d'avoir accepté qu'elle paraisse, malgré tout.

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Logicien, M. Combès ne peut se rallier initialement à ces diverses solutions; d'où une originalité qu'il convient de souligner, non sans remarquer, au demeurant, que son brillant essai appellera une suite — ou plusieurs développements. L'auteur s'est présentement efforcé d'éviter à la fois : les ratiocinations ontothéologiques et métaphysi- ciennes — avec leur Entgötterung qui ne peut se surmonter qu'au prix d'une Gottlosigkeit —; les brumes tant de la via negativa que des néo-fidéismes; et les risques de la prospective théologique ou plutôt athéologiste à la remorque du passé ou du présent laïques. C'est ainsi que M. Combès s'inscrit en faux contre les tentatives qui, devant le désarroi causé par l'autocritique religieuse et le pluralisme théologique de facto, réagissent soit par le recours à des survivances intégristes, soit par une critique et un palliatif fidéistes. Des néo- fidéistes ne reconnaissent-ils pas que toute recherche philosophique au sujet de Dieu présente un caractère soit athéiste, soit absurde ou insensé ? En effet, ou bien Dieu existe, disent-ils, et tout discours sur Lui s'avère infidèle et sacrilège; ou bien il n'existe point, et un tel discours devient inepte. Dans cette optique, le nom de Dieu ne se valorise que s'il est existentiellement révélé. Or, M. Combès refuse toute fuite en avant — la plus progressiste, à notre avis, pouvant être l'athéisme chrétien — tentée afin d'éviter l'athéisme des athées et le matérialisme.

Sans doute n'y a-t-il pas de la part de M. Combès, déni de toute valeur à l'athéisme. D'ailleurs, bien des philosophes, puis des théo- logiens n'ont-ils point reconnu, du point de vue même du spiritua- lisme et de la religion, le rôle purificateur de l'athéisme ? Ainsi, selon Jules Lagneau, l'athéisme est-il le sel qui empêche la croyance en Dieu de se corrompre et le langage sur Lui de perdre son sens, à telle enseigne que cet athéisme apprivoisé et finalisé se transmue en condition sine qua non du théisme cependant que le véritable athéis- me est déclaré impossible (1) L'on fait aux athées la charité de ne point les reconnaître pour tels et d'enrôler leurs propos. Certains, cbmme Jean Lacroix, se montrent plus respectueux de la pensée de leur prochain et produisent une récupération opératoire, limitée à l'athéisme méthodologique : « il est au moins une forme sous la- quelle cet athéisme est de grande importance et signification dans notre civilisation moderne : c'est la forme scientifique. On pour- rait exprimer schématiquement cette idée en disant que si la philoso- phie peut-être laisse subsister le Dieu de la réflexion, la science a cer-

(1) J. Lagneau, « Cours sur Dieu », Célèbres leçons et fragments, Paris, Presses Universitaires de France, 1950, p. 231.

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tainement détruit le Dieu de l'explication. Et la philosophie dans son ensemble a entériné et approfondi cette destruction par la science. [...] tout le monde est à peu près d'accord aujourd'hui pour admet- tre qu'on ne doit pas faire intervenir Dieu comme explication scien- tifique d'un fait appartenant à l'histoire du monde, voire comme principe d'explication du monde lui-même. L'athéisme, disait Renouvier, est la véritable méthode scientifique. En termes kan- tiens, nous n'avons pas le droit de faire un usage transcendantal du principe de causalité... » (2) Reste posée cependant la question de la fonctionnalité du divin (sur laquelle, il est vrai, M. Combès ne tient point à s'engager ici). Or l'intégrisme religieux exprime un conser- vatisme économico-social et politique, tandis que la tendance à la révolution de la théologie, motivée par une tendance à la théologie de la révolution, exprime d'autres intérêts. Comme quoi la lutte des classes au niveau de l'idéologie n'épargne point le domaine religieux et son langage.

Toutefois, ne conviendrait-il point de s'assurer au préalable que les débats sur le rôle de Dieu ou les témoignages en faveur de son existence présentent quelque signification au plan du langage ? Car la notion d'existence divine paraît vide de sens; et il appartiendrait à l'historien, à l'économiste, au sociologue, à l'ethnologue, au lin- guiste, au psychologue, au psychanalyste, etc. de dégager la signi- fication psychologique de cette phrase vacante : Dieu existe. L'au- teur prend donc la question à sa racine logique : Le langage sur Dieu peut-il avoir un sens ? Remarquons en passant que, pour qui n'ad- met point d'essences éternelles, la question devient : quel sens aujourd'hui peut bien avoir le langage sur Dieu ? Un langage évolu- tif, produit de l'histoire des sociétés. Toujours est-il que la démarche de notre ami paraît, en ce qui concerne l'hypothèse Dieu, plus radi- cale que celle de Descartes. En effet, elle porte non sur l'existence divine, mais, question préalable, sur la validité des noms divins, sur le sens du langage utilisé pour parler de Dieu. Si la formulation « Dieu existe » s'avère insensée, « l'affirmation ou la négation de cette phrase sont, d'emblée, également dépourvues de signification ». L'on s'aperçoit que M. Combès ne craint point d'emprunter ce lan- gage méthodologique au positivisme logique. Au cas où il s'avérerait effectivement que la phraséologie sur Dieu tombe en déshérence sémantique, l'on aboutirait à un athéisme logico-verbal que le père Jules Girardi permet de situer d'un point de vue correspondant à

(2) J. Lacroix, « Sens et valeur de l'athéisme actuel », conférence à la Semaine des intellectuels catholiques de 1953, Esprit, février 1954, p. 171.

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celui de M. Combès. Après avoir rappelé la distinction classique entre athéisme pratique et athéisme théorique, le père Girardi définit l'athéisme théorique comme « une doctrine selon laquelle l'existence de Dieu ne peut être affirmée avec certitude : soit qu'on la nie (athéisme assertif), soit que l'on déclare le problème insoluble (athéisme agnostique), soit qu'on déclare ce problème dénué de sens (athéisme sémantique) » (3)

David Hume avait déjà conclu son Enquête sur l'entendement humain par un verdict de vacuité à l'égard des volumes de théolo- gie ou de métaphysique scolastique. L'entreprise de M. Combès se situe dans le sillage — mais parfois à contre-courant — des recher- ches logiques de ce siècle et de leurs répercussions philosophiques. Selon Ludwig Wittgenstein, les problèmes philosophiques ne sont ni vrais ni faux, mais tout simplement dénués de sens et non suscep- tibles de recevoir quelque solution que ce soit; leur formulation est irrecevable et ils ne doivent point être exprimés. Ils dérivent d'une incompréhension de la logique du langage, le seul langage sensé étant celui qui produit une image du monde et dont la forme logique reflète la structure des faits. C'est ainsi que les propositions philoso- phiques relatives à Dieu sont dépourvues de signification.

Pour appréhender le sens de cet ouvrage de M. Combès, il faut se reporter à son essai précédent, Le concept de concept formel. D'après la conclusion de ce dernier, la fidélité au rationalisme ne peut empê- cher de ressentir comme « étouffants » les cadres de la raison (remar- que qui porte contre le rationalisme idéaliste, mais non point, à notre avis, contre le rationalisme marxiste). Et M. Combès pour- suit : « L'idée de limite retrouve alors un sens mais l'au-delà de la limite ne peut être visé que par la voie du symbole et non par la voie des concepts sous peine de contradiction. [...] Et c'est ici qu'avec l'auteur du Tractatus nous ferions commencer le mysticisme non comme un irrationalisme mais comme un transrationalisme » (4) M. Combès cite alors le Tractatus logico-philosophicus : « Contem- pler le monde sub specie aeterni, c'est le contempler en tant que tota- lité — mais totalité limitée. Le sentiment du monde en tant que tota- lité limitée constitue l'élément mystique » (5) Et M. Combès termine

(3) J. Girardi, « Introduction » à l'ouvrage publié sous sa direction, L'Athéisme dans la vie et la culture contemporaine, édition française dirigée par Jean-François Six, Paris, Desclée et C tome I, 1967, p. 36.

(4) M. Combès, Le concept de concept formel, Toulouse, Association des Publications de l'Université de Toulouse-Le Mirail, 1969, p. 88.

(5) L. Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, § 6.45, trad. Pierre Klossowski, Paris, Gallimard, 1961, p .105.

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son premier livre en indiquant le sens de celui-ci qui en constitue la suite : « La mystique commence quand nous éprouvons que la rai- son a un domaine, qu'elle enveloppe une région, et quand nous pres- sentons en même temps qu'elle est elle-même enveloppée par un mystère qui échappe de toutes parts à son étreinte » (6) Mais la déclinaison de Wittgenstein à l'égard de son atomisme nominaliste et logique ne nous paraît pas plus justifiable qu'injustifiable du point de vue de l'empirisme logique. Certes, l'athéisme sémantique peut se cantonner dans l'agnosticisme et il peut aussi bien prétendre que le domaine de la foi incommunicable et volontariste est d'un autre ordre que celui de la science et de la rationalité. Tout positivis- me, néo-positivisme ou empirio-criticisme est récupérable par le mysticisme. Le refus du matérialisme fait refluer vers l'idéalisme. Toujours est-il que M. Combès apprécie le passage wittgensteinien de l'athéisme sémantique au théisme indicible. Si le terme Dieu — ni concept ni idée innée ni prolepse — ne donne lieu qu'à des proposi- tions inanalysables, il peut, selon Wittgenstein, se référer à la symbo- lique du mysticisme approchée comme expression négative des limi- tes du monde. Si M. Combès ne se satisfait point de l'ineffabilité, il n'en part pas moins de Wittgenstein pour se retourner contre le posi- tivisme et l'empirisme logiques du Cercle de Vienne et contre la phi- losophie analytique anglaise, puis surtout américaine, du moins contre leurs conclusions.

Pour M. Combès, chacune des sciences, quelle qu'elle soit, est nécessaire, mais leur ensemble demeure insuffisant : loin de nous contenter de nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature (7) nous devons également nous ouvrir à ce qui nous englobe. C'est pourquoi les concepts formels ne suffiront point et c'est ici que M. Combès fait appel aux symboles. Il sait bien que l'objecti- visme théologique est décrié. Reprenant une idée de l'apophatisme et de la mystique, Rudolf Bultmann écrivait en 1925 : « Si l'on entend que parler de Dieu signifie parler sur Dieu, un tel discours est tout simplement un non-sens. Avant de commencer, il a déjà perdu son objet. En effet, parler sur implique qu'on se soit préalablement établi dans un point de vue extérieur à ce sur quoi l'on parle. Mais un point de vue extérieur à Dieu est simplement impossible » (8) M. Combès ne veut point rallier cette théologie de l'inobjectivable

(6) M. Combès, Le concept de concept formel, op. cit., p. 88, in fine. (7) Descartes, Discours de la méthode, 6 partie, éd. Adam et Tannery, p. 62. (8) R. Bultmann, Welchen Sinn hat es, von Gott zu reden ? in Glauben und

Verstehen, vol. I, cité et traduit par B. Rordorf, La parole, articulation de la présence, Lausanne, Editions L'Age d'Homme, 1971, p. 92.

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présence, pour laquelle Dieu ne peut être appréhendé qu'à travers notre existence qu'il nous révèle à nous-mêmes. M. Combès n'est pas davantage d'accord avec Bernard Rordorf et il ne pense pas qu'il soit nécessaire, pour éviter l'objectivisme théologique, de confondre écoute et parole, l'écoute apparaissant pour le phénoménologue comme la dimension originaire constitutive de la présence com- mune. C'est ainsi que B. Rordorf écrit : « En Jésus, la parole est parole de vérité, la parole est parlante : elle découvre et communique d'un seul mouvement la possibilité de l'existence authentique. Dès lors, il s'agit pour nous d'habiter cette parole dans l'écoute, il s'agit plus encore de recevoir cet habiter comme parole. Il s'agit pour nous de prendre la parole, mais de telle sorte qu'écouter et parler y soient un même acte. Par là on comprendra que prendre la parole ne veut pas dire parler de Dieu. Il est impossible, en effet, de parler de Dieu sans faire de lui l'objet d'un problème ou d'une connaissance théo- rique. Parler de Dieu, c'est en faire un lui, à la manière des choses du monde qui sont en face de nous sous la forme d'objectités » (9) M. Combès refuse cette voie qui aboutit à faire de la théologie un lan- gage sans objet, comme le dit C. Asmussen qui déclare : « Dieu ne se montre qu'à celui en qui il a supprimé toute prétention à un savoir objectif, digne d'une écriture éternelle » (10) Nous reconnaissons là une expression religieuse de l'irrationalisme de l'idéologie dominante qui prône la récession de l'objectivité et du savoir et met à la mode tout ce qui semble anti-intellectualiste. En théologie, l'offensive anti- objectiviste a été renforcée par les courants phénoménologiques, exis- tentiels et gauchistes (théologies de la mort de Dieu).

M. Combès échappe à la fois à l'objectivisme et au subjectivisme théologiques, notamment à l'herméneutique existentiale bultma- nienne et à la théologie comme anthropologie de Karl Rahner. Il n'en bénéficie pas moins du questionnement de Bultmann qui somme la théologie de justifier la possibilité même de son langage et il hérite du double constat bultmanien : sous certaines conditions, il est pos- sible d'investir le langage sur Dieu en se gardant tant de l'objecti- visme de l'orthodoxie passée (l'hétérodoxie que devient l'orthodoxis- me) que du subjectivisme libéral. Seulement, l'herméneutique bult- manienne n'est-elle pas elle-même subjective ? M. Combès aurait plutôt l'ambition de transposer l'objectivation métaphysique de la déité que de glisser vers quelque subjectivisme existentiel ou vers

(9) B. Rordorf, La parole, articulation de la présence, op. cit., pp. 13-14. (10) C. Asmussen in Parole et dogmatique, Hommage à Jean Bosc, Paris, coéd.

Le Centurion et Labor et Fides, 1971, p. 11.

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une théologie néo-négative et praxéologique de l'indicible impératif. La prudence de notre ami n'épouse point davantage la tendance com- préhensiviste selon laquelle il y aurait des langages qui ne peuvent se recouvrir ni même s'opposer ni encore se complémentariser sous peine d'être utilisés à proférer autre chose que ce qu'ils voudraient dire. Chaque langage exprimerait alors une visée hétérogène, un signifier dans un ordre propre. Dans une telle optique, au lieu de s'attacher à ce qu'énoncent philosophes et théologiens au sujet de l' Objet-Dieu, l'on essaye de décrypter ce qu'ils voudraient traduire/ induire et l'on tente de dégager l'intention signifiante. « Pour cela il nous faut remonter en quelque sorte du contenu de leurs discours à la source de ces discours, c'est-à-dire en direction des consciences qui en sont responsables. C'est alors seulement que nous pourrons saisir d'une façon claire le sens, l'orientation originaire que chacun met au principe de sa démarche » (11) Or, M. Combès ne se résigne point à décoller pour cela du monde des objets ni à se laisser enfer- mer dans un retour au sujet. Il accueille des significations générales et ne tient point à séparer Dieu de la raison. La théologie tradition- nelle conduisait à l'objectivation d'une déité conçue comme fonde- ment des étants et de la vérité; M. Combès estime que l'on peut con- server le sens de sa démarche, expurgée, certes, de la conceptua- lisation explicatrice, du réalisme des transcendantaux et de l'ana- logisme.

De tout ce qui précède, il ressort que la démarche de M. Combès, précautionneusement audacieuse, devrait jouer un rôle stimulateur à un carrefour du champ théologique plurivalent de notre époque. Selon M. Combès, un objet n'est plus obstacle dès lors qu'il devient instrument d'anagogie. La visée de l'indicatif religieux ne s'arrête point à l'objet symbolique, elle se réfère à Dieu lui-même. L'indicatif religieux est mixte. « De même que les indicatifs de la pensée ordi- naire articulent les charpentes logiques avec les concepts descriptifs, de même les indicatifs de la conscience religieuse articulent les char- pentes logiques et les symboles ». Ainsi M. Combès désigne Dieu en n'ayant besoin de recourir à aucun concept descriptif et il détermine seulement dans les charpentes logiques un lieu qu'investiront des symboles religieux transrationalisant. Or, l'office de ces derniers n'est point d'atteindre le divin; ce sont les concepts formels qui nous permettent de nous référer à l'absolu, mais sans fonction gnoséo- logique, quasi-aveuglément. Nous voici écartelés entre une visée à

(11) F. Chapey, Science et foi : affrontement de deux langages, Paris, Le Cen- turion, 1974, pp. 29-30.

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vide, sans référent, et une symbolique enrichissante. Toujours est-il que M. Combès paraît là plus rationaliste que dans Le concept de concept formel, puisqu'il estime maintenant que la Réalité au- delà de toute limite peut être visée — bien que ce soit à vide — par le moyen des concepts formels et non plus par des symboles. Ceux-ci ne sont plus eux-mêmes porteurs d'une visée et il n'y a plus un au- delà du symbole : « la conscience symbolique ne se donne comme objet que les symboles eux-mêmes ». Les symboles valent dans la mesure où ils induisent une mise en relation avec la Réalité tout autre, plus précisément dans la mesure où les attitudes intérieu- res qu'ils favorisent « sont correctes relativement à cette Réalité qui nous englobe et sur laquelle sans doute des jugements avec des concepts matériels n'ont pas de prise, mais à laquelle nous pou- vons nous référer par les concepts formels ». Comme Spinoza, M. Combès estime que l'on ne doit point conceptualiser les symboles et que l'on ne peut les éclairer qu'en les commentant à l'aide d'autres symboles. La complémentarité des concepts formels et des symboles (complémentarité hardie et féconde de différences) autorise, selon M. Combès, à parler de Dieu; le langage sur la divinité peut être affecté d'un sens, sans risque d'équivocité.

Ayant dépassé et transposé l'ontologie, la novatrice et brillante théo-logique de M. Combès, anti-ontologique, donne à penser aujour- d'hui. Et à penser rigoureusement. Logicien et mathématicien, l'au- teur ne se laisse point emporter par la logorrhée. Aussi se trouve-t-il isolé dans le champ idéologique de la philosophie française contem- poraine. Avec Jules Vuillemin, il aurait le droit de dénoncer « l'état de la philosophie française, son dédain et son ignorance de la pensée anglo-saxonne, de la logique et, généralement, de tout style un peu exact dans l'art de s'enquérir de la vérité » (12) Il pourrait égale- ment s'associer à ce jugement de Louis Rougier : « L'ontologie som- bre dans une logomachie épouvantable qui caractérise de nos jours l'enseignement philosophique de la Sorbonne, comme si elle était revenue à ses plus détestables traditions » (13) A la philosophie non marxiste et à la théologie, M. Combès peut donc donner des leçons de rigueur. Sa méthode, la puissance évocatrice de son écriture dense, sa force de penser, son exemplarité idéologique ouvrent bien des hori- zons et susciteront des discussions utiles. M. Pierre Eyt, professeur à la Faculté de théologie catholique de Toulouse, remarque que la

(12) J. Vuillemin, Leçons sur la première philosophie de Russell, Paris, Ar- mand Colin, 1970, p. 5.

(13) L. Rougier, Dictionnaire rationaliste, Paris, Ed. de l'Union rationaliste, 1964, p. 349.

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recherche de M. Combès « intéressera à juste titre les philosophes et tous ceux que préoccupe le statut des langages métaphysique et religieux dans le contexte actuel de l'épistémologie. La difficile ques- tion du sens de l'analogie retiendra plus encore le théologien ou le croyant soucieux de son dire sur Dieu ». M. Combès débouche sur tous les champs de la pensée, notamment — outre la théologie — métaphysique, logique, sciences humaines... Des problèmes classi- ques tel celui de la liberté, sont renouvelés, cependant que des questions actuelles suscitées par l'intérêt pour l'analyse du langage et par la crise de la religion, reçoivent un éclairage appelant de futurs développements. Dans le désarroi des théologies de la mort de Dieu, M. Combès essaye, non sans mérite, de tenir le terrain de la rationa- lité autant qu'il est possible à un croyant. Certes, il a tout autant raison de réprouver, avec d'autres, la perversion ratiocinative de l'onto-théo-logisme, opérée, au demeurant, au bénéfice de l'idéolo- gie dominante — surtout d'antan, puisqu'aujourd'hui l'idéologie dominante mise davantage sur l'irrationalisation que l'auteur cher- che également à éviter.

Après avoir, comme M. Combès, vécu de l'intérieur (surdéterminé comme intériorité et comme sein de l'Eglise) le phénomène religieux, nous avons fini par nous rendre compte du caractère superstructu- rel de la religion. Nous n'en croyons pas moins utile de développer rencontres et discussions entre chrétiens et athées (14) Remarquons en passant qu'il arrive aux incroyants non marxistes de laïciser l'idéologie religieuse sans sortir de l'idéologie dominante.

A la question posée par le titre du présent livre, nous répondrons par l'affirmative. En effet, nous ne versons point dans l'athéisme sémantique, variante logico-linguistique de l'agnosticisme. Il n'im- porte nullement non plus de ressusciter des formes dépassées de matérialisme, d'athéisme et d'anticléricalisme. Religion et langage sur Dieu offrent un sens humain, c'est-à-dire historique et social. La religion apparaît originellement comme un mode d'approche, d'expression, de domestication et de compensation, systématiques et symboliques, de la réalité. Ce mode s'est modifié selon les moments de l'histoire, les faits religieux demeurant effets et reflets, non sans exercer, en retour, une influence prépondérante. Le langage sur Dieu n'est donc point purement autonome et il dépend, tout comme

(14) Cf. « Observations » du R.P.J. Cardonnel à la fin de notre ouvrage Le jeune Marx et le matérialisme antique, Toulouse, Privat, 1970 et notre dialo- gue avec le R.P. P.-C. Courtès, « Philosophie et religion », Revue thomiste, janvier-mars 1973.

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la religion, de réquisits extrinsèques et du contexte socio-historique, selon tout un jeu d'expressions et d'interactions. C'est pour mas- quer cette référence à l'histoire (15) que l'anti-objectivisme s'enferme dans le domaine du sujet. C'est là un procédé pour mettre les déter- minations entre parenthèses. Car l'histoire de Dieu serait gênante, même l'histoire sainte, a fortiori l'histoire humaine. Sont donc reje- tés d'un même mouvement de dignité offensée objectivité historique et objectivisme théologique. Fernand Chapey écrit : « ... que signifie ce mot : Dieu ? C'est le mot dont on se sert dans notre civilisation occidentale pour désigner ce qui doit nous préoccuper de façon inconditionnée. Mais ce mot a une histoire, il s'est chargé d'équivo- ques, il a souvent été pris à contresens. Et surtout l'illusion est fré- quente de croire que lorsque l'on prononce le mot Dieu on désigne un être dont on pourrait démontrer l'existence et les propriétés com- me nous avons les moyens de le faire pour tout ce qui relève de notre expérience quotidienne et de notre recherche scientifique, pour tout ce qui fait l'objet de nos préoccupations finies » (16) Sont censu- rables l'histoire de Dieu, l'histoire du langage sur Lui, l'histoire des sens de ce langage ! Mais nous avons remarqué que M. Combès ne donne point dans cet anti-objectivisme.

Le point de vue historique n'empêche pas de reconnaître la richesse humaine de la signification du langage sur Dieu, tout en constatant que cette richesse est habituellement pervertie par l'inver- sion éthico-idéaliste selon laquelle l'appel à changer les mentalités sert d'alibi pour ne point modifier les structures. C'est pourquoi le langage sur Dieu offre non seulement une interprétation psychologi- que et psychanalytique — si bien que certains théologiens progres- sistes oublient Dieu le Père, car ils ne symbolisent point la pater- nité comme M. Combès —, mais aussi une signification politique : « l'affirmation de Dieu, déclare J. Lacroix, a été un moyen commode et efficace de réclamer des sujets l'obéissance et la soumission » (17) Paternalisme/filialité et obédientialisme semblent, d'ailleurs, soli- daires (18) D'après l'analyse stylistique des discours chrétiens, d'une

(15) C'est ainsi que la structure théologique originelle du christianisme répon- dait à une triple série d'exigences sociales dans l'Empire romain. Cf. Antoine Casanova, « Christianisme, structures et histoire », La Pensée, août-octobre 1968.

(16) F. Chapey, Science et foi : affrontement de deux langages, op. cit., p. 64. (17) J. Lacroix, art. cité, pp. 174-175. Cf. notre ouvrage Philosophie justifica-

trice de la liberté (tome III de notre série Liberté et raison), Association des Publications de l'Université de Toulouse-Le Mirail, 1974, pp. 368-372.

(18) Dans notre ouvrage susdit, nous étudions ce lien chez Leibniz dont le langage sur Dieu doit beaucoup au culte du père et à la justification du pouvoir.

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COLLECTION DES PUBLICATIONS DE L'UNIVERSITÉ DE TOULOUSE - LE MIRAIL

OUVRAGES DISPONIBLES

SERIE A (in-8° raisin) T. 3 The Beggar's Opera (« Pastorale à Newgate ») par John Gay (1728), préface et traduction de

V. Dupont. 1967, 13,00 F. T. 4 Victor DUPONT. Les Paradis perdus. 1967, 70 p., 12,00 F. T. 5 Maurice BORDES. La Réforme municipale du contrôleur Laverdy et son application (1764-1771).

1967, 351 p., 44,00 F. T. 6 M.T. BLANC-ROUQUETTE, La presse et l'Information à Toulouse des origines à 1789. 1968.

319 p., 38,00 F. T. 7 Fernand LAGARDE. John Webster (2 vol.) 1968, 1 418 p., 130,00 F. T. 8 Michel COMBÈS. Le concept de concept formel. 1969, 92 p., 14,00 F. T. 9 Maurice LEVY, Le Roman « gothique » anglais, 1764-1824, 1968, 750 p., 90,00 F. T. 11 Julián MARIAS. Idée de la métaphysique. Traduit de l'espagnol par Alain Guy. Préface d'Henri

Gouhier, membre de l'Institut. 1969, 46 p., 6,00 F. T. 12 DU BARTAS, La Judit, édition critique avec commentaire par André Baïche, 1971, 539 p.,

49,00 F. T. 13 J.M. GABAUDE. Liberté et Raison. Philosophie réflexive de la volonté. 1971, 432 p., 52,00 F. T. 14 J.M. GABAUDE. Liberté et Raison. Philosophie compréhensive de la nécessitation libératrice.

1972, 348 p., 44,00 F. T. 15 René PICHELOUP, Les ecclésiastiques français émigrés ou déportés dans l'État Pontifical de 1792

à 1800, 1972, 51,00 F. r. 17 Pensée ibérique et finitude. Ouvrage collectif de l'équipe de recherche associée au C.N.R.S.

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hors-texte, 200,00 F. 1. 20 M E. MAGNOU-NORTIER. La Société laïque et l'Église dans la province ecclésiastique de Nar-

bonne de la fin du VIII à la fin du XI siècle, 685 p., 95,00 F. T. 21 J.M. GABAUDE. Liberté et Raison. Philosophie justificatrice de la liberté, 450 p., 53,00 F. T. 22 Penseurs hétérodoxes du monde hispanique. Ouvrage collectif de l'équipe de recherche associée

au C.N.R.S. n° 80, 1974, 396 p., 45 F. T. 23 Pierre BONNASSIE. La Catalogne du milieu du X à la fin du XI siècle : croissance et mutations

d'une société, tome I, 1975, 522 p., 5 pl. h.-t., 142 F. T. 24 Michel COMBÈS. Le langage sur Dieu peut-il avoir un sens ? 1975, 150 p. environ, 30 F.

A PARAITRE T. 25 Henri JONES. Mallarmé chez Gabriel Séailles, 150 p. environ, 1975, 35 F. T. 26 Roger LESUEUR. L'Enéide de Virgile : étude sur la composition rythmique d'une épopée, 1975. T. 27 Rémi PECH, Entreprise viticole et capitalisme en Languedoc-Roussillon, 1975.

SERIE B (in-8° carré) T. 1 Roger BRUNET. Les Campagnes toulousaines. 1965, 727 p., 78,00 F. T. 2 B. KAYSER et P. de GAUDEMAR. Dix années d'une génération d'étudiants de la Faculté des

Lettres et Sciences Humaines de Toulouse. 1967, 113 p., 13,50 F.

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Page 19: Le langage sur Dieu peut-il avoir un sens

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