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Le livre des États généraux L’exclusion n’est pas une fatalité !

Le livre des États généraux - Fédération des acteurs ......bénévoles, usagers…), dresser un état des lieux de l’exclusion et informer un plus large public sur le travail

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Le livre des États généraux

L’exclusion n’est pas une fatalité !

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SOMMAIRE

L’exclusion n’est pas une fatalité 4

La crise du logement et de l’hébergement 9

L’accueil d’urgence en question 31

Les exclus de l’emploi et les travailleurs pauvres 50

Les jeunes adultes en quête d’insertion sociale 68

Garantir un accueil digne aux étrangers – demandeurs d’asile, réfugiés, régularisés, déboutés – 83

Les familles fragilisées 94

Les femmes victimes de violences, la double peine 103

La prostitution, une problématique d’abord sociale 109

Justice : favoriser les peines alternatives à la détention, accompagner la sortie de prison 116

Les inégalités sociales de santé 126

Les associations, acteurs de la cohésion sociale 135

L’Europe des solidarités 149

Ils ont contribué au livre des États généraux 156

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L’EXCLUSION N’EST PAS UNE FATALITÉ !

Ce qui a changé en 50 ans

La Fnars existe depuis 50 ans. Elle regroupe 750 associations qui accueillent, hébergent et aident à se réinsérer les personnes les plus fragiles.

En 1956, la vision de l’évolution de la société était optimiste. La croissance écono-mique allait inéluctablement produire du progrès social, qui lui-même permettrait d’inclure ceux qui étaient exclus des bénéfices de la croissance en raison de leurs difficultés d’adaptation. Aujourd’hui, ce bel optimisme n’est plus de mise. Les associations de solidarité ont constaté de profondes mutations : les visages de la précarité ont changé, la décentralisation a profondément modifié le paysage poli-tico-administratif, les contraintes budgétaires croissantes ont conduit à exiger des résultats immédiats peu compatibles avec le temps nécessaire à l’insertion. Cette nouvelle donne s’est imposée à bas bruit sans que les acteurs prennent toujours conscience des changements de méthode qu’elle impliquait. Elle oblige à repenser radicalement les modes d’élaboration des politiques sociales et les relations des pouvoirs publics avec les associations.

Qui sont aujourd’hui les exclus ?

Pour l’opinion publique en général, l’exclusion reste synonyme de « SDF », et donc de grande pauvreté, une situation « plus voulue que subie » pour laquelle les réponses humanitaires d’urgence sont souvent les seules à paraître légitimes.

Pour ceux qui travaillent au jour le jour auprès des exclus, cette vision plutôt cari-caturale ne correspond plus, et depuis longtemps, à la réalité des personnes qu’ils accueillent. L’exclu n’est plus aujourd’hui cet homme SDF d’une quarantaine d’année, sans travail, sans ressources et sans famille : il s’agit de jeunes adultes en rupture familiale, de femmes victimes de violence, de familles avec des enfants, d’hommes et de femmes qui travaillent mais n’ont pas pour autant des ressour-ces suffisantes pour se loger, d’étrangers demandeurs d’asile, d’ancien détenus, de personnes qui souffrent de pathologies graves… Ces personnes sont exclues de tous les droits, ou seulement de certains droits, sans être nécessairement de « grands exclus ».

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Chaque année, ce sont quelques 600 000 personnes qui passent ou s’installent durablement dans les centres d’hébergement. Chaque jour, en moyenne 14 000 enfants sont également hébergés. Sans oublier les milliers de personnes très éloi-gnées de l’emploi qui travaillent dans les chantiers d’insertion.

Les associations ont cherché à s’adapter progressivement aux besoins de ces nouveaux exclus tandis que les dispositifs administratifs s’empilaient et se super-posaient sans grande visibilité.

Mais la complexité des situations humaines résiste aux catégories administratives et un grand nombre de personnes ne rentrent plus dans les cases conçues parfois un peu abstraitement pour elles.

Dans un contexte où la disparition de la pauvreté et de l’exclusion n’apparaît plus comme un objectif atteignable, les associations de solidarité se trouvent prises dans un double mouvement : le déplacement des politiques nationales au niveau local et, dans le même temps, la double référence à l’État libéral et à l’État social garant des solidarités. Elles sont soumises à des injonctions contradictoires pour lesquelles manquent grilles d’analyse et référentiels d’action.

Pourquoi des États généraux ?

En janvier 2006, la Fnars lançait ses États généraux. Elle voulait, en donnant la parole aux acteurs de terrain (travailleurs sociaux, administrateurs, directeurs, bénévoles, usagers…), dresser un état des lieux de l’exclusion et informer un plus large public sur le travail quotidien des associations de solidarité.

Depuis le mois de janvier, de nombreux débats se sont tenus dans les régions et départements sur les thèmes qui concernent la fédération : les jeunes, l’urgence, le logement, l’hébergement, les familles fragiles, les femmes victimes de violence, l’accueil des étrangers, la prostitution, la réinsertion des personnes sous main de justice, les enjeux européens pour les associations de solidarité, l’insertion par l’activité économique, l’emploi des plus démunis, l’avenir des associations… Cette première démarche a donné lieu à un « livre blanc » soumis à l’expertise et à la discussion d’interlocuteurs extérieurs à notre réseau : élus, associations, chercheurs, services de l’État…

C’est sur la base de ce constat qui croise l’expertise et l’expérience que nous avons élaboré ce Livre des États généraux avec l’ambition de contribuer à l’élaboration d’un diagnostic partagé et de donner des pistes pour les dix ans qui viennent.

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Il s’agit de donner à voir ce qui est souvent invisible aux yeux du grand public : le long travail d’accompagnement et d’insertion nécessaire pour permettre aux personnes les plus démunies de retrouver des conditions de vie acceptables, les obstacles rencontrés qui ne résultent pas tous du manque de moyens, l’effroyable complexité des dispositifs d’insertion sociale qui restent parfaitement illisibles pour les personnes auxquelles elles s’adressent, l’augmentation du nombre de jeunes et de familles en situation très précaire…

Pendant longtemps, les acteurs du social ont cru qu’il suffisait d’être convaincu pour être convaincant. Aujourd’hui nous savons que nous devons expliquer et démontrer à partir de notre expérience que si on s’occupe des personnes dans la durée, si on va au devant de ceux qui n’ont même pas la force de demander de l’aide, ils vont mieux, ils vivent mieux, ils peuvent faire des projets. Et, au-delà d’eux-mêmes, toute la société en bénéficie.

Cette démonstration est exigeante. Elle oblige à un état des lieux rigoureux qui met en perspective les données nationales et locales avec l’expérience et le savoir-faire des associations et services sociaux. Elle oblige à dire ce que nous faisons mais aussi ce que nous ne faisons pas ou mal. Elle oblige à un regard critique sur nos pratiques. Elle oblige enfin à anticiper, c’est à dire à imaginer les besoins auxquels nous devrons répondre dans les dix ans qui viennent.

C’est ce travail long et difficile que nous avons commencé à faire et dont les États généraux ne sont qu’une première étape.

Des constats convergents

À l’issue de ces quelques mois de travail, un certain nombre de constats sont communs aux différents chapitres :

– le déficit de connaissance et d’observation aussi bien quantitative que qualitative sur les profils des personnes accueillies, sur leurs histoires et leurs parcours, ainsi que la faiblesse de l’évaluation des modes d’aide et de prise en charge,

– la difficulté à organiser le pilotage des politiques sociales au niveau territorial dans le contexte de la décentralisation des compétences : incertitude sur l’interlo-cuteur pertinent, multiplicité des commissions, enchevêtrement des responsabi-lités, injonctions contradictoires,

– la relative absence de l’État dans son rôle de garant de la solidarité et des inéga-lités territoriales,

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– la difficulté à penser une politique sur un territoire en associant les différents niveaux de responsabilité et en obligeant les différents acteurs à travailler ensemble,

– la surenchère législative et réglementaire, qui rend l’évolution des dispositifs incompréhensible aussi bien pour les usagers que les professionnels,

– la distance considérable entre l’existence d’un droit, comme le droit au loge-ment, et son application : il ne suffit pas qu’un droit existe pour que les personnes censées en bénéficier puissent y avoir accès et véritablement en tirer profit,

– l’absence de transparence et de prévisibilité des délais dans lesquels l’admi-nistration nationale ou locale statue sur une demande (logement, droits sociaux, droit des étrangers), qui donne le sentiment d’un certain arbitraire,

– la difficulté à anticiper et à adapter constamment les modalités d’accueil et de prise en charge aux nouveaux enjeux.

Les plans successifs annoncés par les pouvoirs publics pour en sortir, pas toujours mis en œuvre, ont montré leurs limites. Nous voulons proposer de nouvelles méthodes d’élaboration et d’explicitation des choix qui permettent à chacun de savoir ce qu’on fait pour les plus démunis et pourquoi on le fait.

Une nouvelle méthode pour agir

Or, que faut-il pour agir ? D’abord, un diagnostic. Bien sûr, tous les acteurs ont une idée de ce qu’il faut faire pour aider les plus démunis mais bien souvent, elle ne résulte que de leur expérience, nécessairement partielle. C’est insuffisant pour élaborer un constat objectif et partagé. La première chose à faire est donc sur un territoire donné d’évaluer les besoins, de connaître mieux les profils des personnes, de faire l’inventaire des dispositifs existants au-delà des catégories administratives, d’évaluer les manques. Pour qu’il soit indiscutable, l’élaboration de ce constat doit s’appuyer sur les compétences d’experts qui permettent d’objec-tiver les expériences de terrain.

Dans un deuxième temps, ce constat quantitatif et qualitatif doit être partagé. C’est une étape trop souvent négligée, et de ce fait de nombreux rapports justes et pertinents restent dans les tiroirs des administrations. Pour être utile, ce diagnos-tic doit faire l’objet d’un consensus entre les services de l’État, ceux des collectivi-tés territoriales et plus particulièrement des départements, et les associations de solidarité sur le terrain. Cette phase de dialogue doit permettre d’établir ce qui est partagé par l’ensemble des acteurs mais aussi ce qui les oppose. C’est également cette étape qui permet d’aller au fond des choses, et d’éviter qu’on se limite à un

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saupoudrage de mesures annoncées comme nouvelles qui ne sont souvent que des effets d’annonce.

Troisième étape. À partir de cette analyse partagée des besoins et des objectifs à se fixer, on peut déterminer les mesures à prendre, celles à court terme et celles à long terme, les chiffrer, fixer un calendrier d’action avec des rendez-vous inter-médiaires, et une méthode de suivi. On peut dire aussi en toute transparence ce qu’on ne fera pas et pourquoi on ne le fera pas.

Cette proposition méthodologique de bon sens nous paraît être la seule garantie pour que les politiques publiques de lutte contre les exclusions s’installent dans la durée et se poursuivent au-delà des alternances politiques.

Nous pensons en effet que dans ce domaine, aucune politique publique ne peut être efficace et durable si elle ne s’appuie pas sur un large consensus qui ne se limite pas aux spécialistes du social. C’est pourquoi la lutte contre l’exclusion et l’insécurité sociale ne doit plus être laissée aux seules associations et aux profes-sionnels du social mais devenir un enjeu politique au même titre que l’emploi ou la sécurité.

Ce livre des États généraux rassemble un certain nombre de données, d’expérien-ces et de propositions qui sont le résultat d’une réflexion en mouvement. Il se veut vivant, ouvert aux débats et aux évolutions. Nous espérons que les candidats aux élections présidentielles et législatives s’en saisiront et qu’au-delà, le dialogue se poursuivra avec le souci de démontrer que les politiques sociales ne constituent pas des dépenses sans contrepartie : si on s’occupe durablement des personnes qui vont mal, elles iront mieux et la société dans son ensemble ira mieux, ce qui est un résultat inestimable.

Nicole Maestracci,

Présidente de la Fnars

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Constat général

Depuis des années, l’écart entre l’offre et la demande de logements acces-sibles aux ménages pauvres se creuse. On n’a jamais tant construit, mais les plus démunis rencontrent aujourd’hui les plus grandes difficultés à se loger. Les classes moyennes sont également touchées.Des logements indignes qu’on pensait relever d’une autre époque réappa-raissent. Des personnes vivent dans des caravanes, dans leur voiture, dans des logements surpeuplés ou dans des hôtels meublés sans confort. Selon l’Insee, nous avons battu récemment des records historiques : jamais la part du loyer n’a été aussi lourde dans le budget des ménages.Quant aux aides au logement, qui restent un outil efficace de redistribu-tion, elles n’ont pas suivi la progression des loyers et des charges (liées notamment à la hausse des dépenses d’énergie). Les revenus n’ont pas suivi non plus.Pourtant, l’accès aux aides a été resserré : en 2004, un ménage de 2 per-sonnes qui touchent plus de 2,1 SMIC n’y a plus droit, alors qu’il fallait dépasser 4 SMIC en 1987.

LA CRISE DU LOGEMENT ET DE L’HÉBERGEMENT

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Cette crise du logement est aussi la conséquence de l’augmentation de la précarité qui se traduit, entre autres choses, par la progression inquiétante du nombre des expulsions locatives, malgré la mise en place en 1998 d’une procédure de prévention des expulsions.

Les pouvoirs publics n’ont rien vu venir

Malgré les alertes incessantes exprimées depuis quinze ans, notamment par le secteur associatif, les pouvoirs publics n’ont pas anticipé les mutations profondes que connaît la société française, en particulier celles engendrées par le vieillissement de la population et les transformations familiales (familles monoparentales, familles recomposées, etc.). Ces mutations ont eu pour conséquence de multiplier les besoins en logements. Le Plan de cohésion sociale a reconnu la nécessité d’un rattrapage, en programmant la construction de 500 000 logements HLM (Habitation à loyer modéré) dans les cinq ans à venir. Mais des interrogations subsistent sur la part de construction de logements très sociaux (accessibles aux personnes à très faibles moyens financiers), sur le prix des logements, ou encore sur l’ambition de mixité sociale, qu’il s’agisse des quartiers où se concentrent les plus démunis ou au contraire de ceux réservés aux plus riches.

L’expérience de la Fnars

Les personnes que nous hébergeons sont les premières victimes de la crise du logement

En période de pénurie sévère, les candidats au logement sont mis en con-currence et, bien sûr, ceux qui sont passés par nos centres sont rarement perçus par les bailleurs comme des « candidats idéals ». Qu’il s’agisse d’allo-cataires de minima sociaux, de « travailleurs pauvres », de mères seules se retrouvant brutalement à la rue avec leurs enfants, de personnes exposées à la prostitution, d’étrangers en attente d’un titre de séjour, de jeunes sans famille ou de familles aux parcours chaotiques, de personnes rencontrant des problèmes psychiatriques ou d’addiction, d’anciens prisonniers, pour tous ceux-ci, trouver un logement est en soi aujourd’hui un « parcours du combattant ».

La crise du logement et de l’hébergement

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Aujourd’hui, l’explosion du coût des loyers et des charges contraint cer-taines familles à s’installer à la périphérie des villes, parfois très loin de leur lieu de travail, dans des quartiers ne disposant pas de services de proximité. Cela constitue un frein à l’insertion sociale et professionnelle pour certains ménages. Ainsi en est-il de certaines femmes seules avec enfants qui ne peuvent accepter un emploi éloigné de leur domicile car cela implique des temps de transport trop longs et un coût trop élevé. De plus, elles ne trouvent pas de modes de garde pour leurs enfants.

■ LES PLUS PAUVRES RENVOYÉS À LA PÉRIPHÉRIE DES VILLES

« Les personnes se voient proposer un logement dont le loyer est compatible avec leurs ressources. Le prix du loyer est un facteur d’orientation vers certains quartiers et entraîne un risque de ghettoïsation. »

États généraux – Fnars Bretagne

« Les publics les plus défavorisés se trouvent souvent renvoyés en périphérie car l’engorgement actuel des métropoles est trop fort. La région Rhône-Alpes n’échappe pas à la règle : difficultés de relogement en centre ville, peu ou pas de logements disponibles et adaptés aux nouvelles structures familiales, coût élevé faisant exploser le budget des ménages. Ces familles sont contraintes de s’éloigner des centres urbains et se voient proposer des appartements situés en zone péri urbaine, souvent mal desservie. »

États généraux – Fnars Rhône-Alpes

La crise du logement et de l’hébergement

■ UNE CONCURRENCE ENTRE TOUS LES CANDIDATS « PRIORITAIRES »

« Ce n’est pas parce que les publics des Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), d’autres dispositifs d’hébergement ou de logement temporaire sont classés, par les articles du Code de la construction et de l’habitation, en publics prioritaires que leur relogement en HLM est forcément plus facile. En effet, en pleine crise du logement social, la concurrence entre tous les candidats, plus prioritaires les uns que les autres, est aujourd’hui exacerbée. »

États généraux – Fnars Nord-Pas-de-Calais

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De la crise du logement à la crise de l’hébergement, une réaction en chaîneLa vocation des lieux d’accueil que nous gérons est d’offrir un héberge-ment de plus ou moins longue durée aux personnes en situation précaire, avec l’objectif ultime d’accéder à un logement. Certains lieux répondent au drame de l’urgence. D’autres offrent un accueil plus long, qui peut s’étendre au-delà d’un an, permettant un accompagnement social dans la durée adapté aux besoins des personnes et des familles.On constate que le temps passé dans les centres d’hébergement connaît une croissance constante dans de nombreuses régions. Cette tendance s’explique par le fait que les personnes accueillies cumulent des difficultés multiples (logement, santé, emploi, maladies…) demandant une prise en charge plus longue. Mais elle est aussi la conséquence du manque de sortie possible vers le logement de droit commun.

Cette crise du logement paralyse l’ensemble de la chaîne qui va de l’hé-bergement d’urgence au logement. Elle provoque un maintien dans les centres d’hébergement de personnes qui devraient accéder au logement social ou au logement de droit commun et empêche l’accès aux héberge-ments d’insertion de ceux qui sont dans les centres d’urgence.

La crise du logement et de l’hébergement

■ TROP PEU DE LOGEMENTS « TRÈS SOCIAUX » EN CONSTRUCTION

« La ville d’Annecy a construit en 2005 beaucoup de logements sociaux, 14 482 demandeurs étaient en attente. Les chiffres indiquent que sur 1 175 logements construits, la quasi-totalité l’a été par des prêts locatifs sociaux : 574 l’ont été par des financements PLUS (Programme locatif à utilité sociale) et 435 par des PLS (Prêt locatif social), qui se veulent être le « suprême » du social contre seulement 31 PLAI (Prêts locatifs aidés d’intégration), qui restent aujourd’hui les seuls véritables logements sociaux accessibles aux publics très défavorisés. »

États généraux – Fnars Rhône-Alpes

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L’hébergement devient le logement des pauvresLongtemps, les CHRS ont accueilli essentiellement des personnes en situation d’urgence sociale. Or, nous constatons depuis plusieurs années qu’un nombre croissant de personnes sont hébergées dans nos centres alors qu’elles ne devraient plus s’y trouver. Elles y sont faute de mieux, faute d’un vrai logement. Ces publics correspondent à 30 % des héberge-ments en CHRS 1.Il s’agit de personnes qui ont rencontré des difficultés temporaires et qui ont eu besoin de soutien. Une fois leur autonomie retrouvée, elles sont prêtes à mener une vie en dehors du centre et n’attendent qu’un logement classique. Mais il y a aussi les autres, ceux qui sont là pour l’unique raison qu’ils ne trouvent pas de logement, à cause de leurs faibles ressources et de leur condi-tion de « travailleur pauvre », ou encore après une rupture relationnelle, une séparation ou un divorce. Nombre de femmes avec enfants, bien insérées socialement, se retrouvent dans l’incapacité de se loger dans le parc privé parce que leurs revenus sont trop faibles et qu’elles sont en liste d’attente pour accéder au parc HLM.Pour les personnes accueillies, l’hébergement est en passe de devenir la seule perspective de logement. Il n’est plus conçu comme une solution provisoire, mais comme la réponse à une pénurie, comme si le fait d’avoir un toit devenait suffisant pour les plus démunis.

La crise du logement et de l’hébergement

■ L’ALLONGEMENT DES DURÉES DE SÉJOUR

Aujourd’hui, on constate un allongement des durées de séjour et de prise en charge (on passe de 12 mois en 2003 à 18 mois en moyenne en 2005 dans la région Rhône-Alpes). Le nombre de relogements baisse et la durée de séjour s’allonge. On trouve ainsi une corrélation entre la pénurie de logements et la baisse de rotation sur le dispositif d’hébergement.En amont, l’attente pour entrer dans un centre d’hébergement est difficile à vivre pour certaines familles et peut parfois contribuer à une accentuation de leurs difficultés. En témoignent l’augmentation du recours aux listes d’attente et l’engorgement des dispositifs d’hébergement.

États généraux – Fnars Rhône-Alpes

1. Chiffres tirés de l’exposé des motifs du projet de loi de Cohésion sociale.

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Mais il y a plus grave. Depuis plusieurs années, une dérive s’est opérée dans les discours des décideurs publics. L’hébergement, auparavant lié à une situa-tion d’urgence sociale, est considéré comme le logement des plus pauvres. À titre d’exemple, la loi Solidarité et renouvellement urbains (SRU) comptabilise dans les logements locatifs sociaux les places en CHRS. Dans la même logique, le Plan de cohésion sociale intègre dans ses actions, pour résoudre la crise du logement, « le renforcement de l’accueil et de l’hébergement d’urgence ». Or, l’hébergement n’est pas un logement. Lorsqu’on on est hébergé, on n’est pas chez soi, même si l’on dispose d’un espace privatif. On n’a pas de visibilité sur l’avenir, on vit dans le provisoire. Le logement, c’est beaucoup d’autres choses. Pour les familles, c’est le lieu de la durée, de l’épanouis-sement et de la vie ensemble. C’est aussi avoir un statut « comme les autres », payer un loyer « comme les autres », ne pas être identifiée comme « famille à problèmes ».Tout le monde a besoin d’un « chez-soi » pour vivre et faire des projets et, pour les publics fragilisés, l’accès au logement est une condition de réus-site de l’insertion. Le logement est le lieu où la personne se sent bien, où elle reçoit sa famille, ses amis, un lieu de vie à partir duquel elle s’intègre dans son quartier, elle tisse des liens.

Cette crise discrédite le travail social

Un temps d’attente trop long joue contre l’insertion. Lorsqu’une assistante sociale a travaillé de longs mois avec une personne hébergée pour l’aider à retrouver son autonomie et sa capacité de vie sociale, en abordant des problèmes très concrets (la nécessité de payer le loyer et les charges, de respecter des parties communes, d’entretenir le logement), la personne vit comme un échec personnel le refus d’un bailleur de lui attribuer un loge-ment et le report du moment où elle pourra enfin s’installer chez elle. Elle peut aussi se dire que les efforts consentis ont été vains. Cela peut générer une régression des publics accueillis alors qu’ils sont prêts à intégrer un logement qui leur serait adapté.

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Les bailleurs pensent souvent que les familles hébergées sont forcément des familles « à problèmes »

Quand l’ensemble de la société jette un regard négatif sur les plus pauvres, les bailleurs le font aussi… Qu’ils soient publics ou privés, ils perçoivent souvent les personnes sortant des CHRS comme des « personnes à problè-mes ». Et peut-être davantage que les impayés de loyer, ce sont les problèmes de « comportement » qui sont pointés par les bailleurs HLM : le bruit, les actes de vandalisme dans les parties communes, les mauvaises relations de voisinage... En dehors du fait que ces publics sont minoritaires dans les CHRS, le travail d’accompagnement social qui y est effectué est largement sous-estimé. Les familles ne sortent pas dans l’état qui était le leur lorsqu’el-les sont arrivées. Elles ont fait l’apprentissage des règles locatives, ont appris la façon de s’approprier un logement et son environnement, de s’intégrer dans un immeuble ou un quartier. Elles ont acquis une autonomie réelle. Et si les travailleurs sociaux soutiennent la demande de logement des person-nes, c’est parce qu’ils estiment qu’elles ont effectué un trajet individuel qui leur permet de s’installer dans un logement classique.Trop souvent, les bailleurs n’acceptent de reloger des personnes sortant de structures d’hébergement qu’en recourant au mécanisme de la sous-location. Alors que la sous-location a été conçue par les associations pour être un outil pédagogique et éducatif, une telle systématisation conduit les bailleurs à faire porter le risque locatif sur les associations. Il existe peu

■ L’ACCOMPAGNEMENT DANS L’ATTENTE

« L’absence de logement remet en cause le travail social effectué et induit une nouvelle pratique du travailleur social : “l’accompagnement dans l’attente”, avec, comme effet pervers, le découragement des demandeurs. Ces derniers sont focalisés sur l’absence de logement, ce qui rend difficile la prise en compte des autres chantiers sur lesquels il faudrait aussi travailler.Les contraintes de la vie en lieux d’hébergement collectif, acceptables pendant six mois ou un an, deviennent insupportables sur le plus long terme. Certains se sentent considérés comme des citoyens de second rang. D’autres, restés trop longtemps, finissent par être déstabilisés à l’idée de quitter le centre. Une dépendance se crée. »

États généraux – Fnars Rhône-Alpes

La crise du logement et de l’hébergement

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de garanties pour couvrir ce risque, à travers les FSL (Fonds de solidarité logement) ou, en Île-de-France, un fonds de sécurisation financé par le Conseil régional.

■ DES BAILLEURS DE PLUS EN PLUS EXIGEANTS

« D’une manière générale, les bailleurs demandent de plus en plus de garanties. Cela peut aller jusqu’à exiger un garant par personne occupant le logement... Et le contrat à durée indéterminée devient un “sésame” incontournable, alors qu’on sait que de plus en plus de salariés enchaînent des contrats précaires. Des bailleurs privés évoquent actuellement la mise en place d’une période d’essai pour les locataires. »

États généraux – Fnars Centre

« Les personnes en difficulté n’accèdent que très difficilement au parc public faute d’une offre suffisante et les loyers dans le parc privé sont devenus prohibitifs. Par ailleurs, le taux d’effort des ménages augmente chaque année. La sélection des “clients” est de ce fait de plus en plus dure (conditions de revenus, caution, etc.) et pour eux l’accès au logement se fait le plus souvent dans des appartements à la qualité dégradée, indignes voire insalubres. »

États généraux – Fnars Aquitaine

« L’impression générale est que, au-delà de la crise du logement, face à une loi qui a cherché certainement à juste titre une plus grande protection du locataire, tout se passe comme si les bailleurs cherchaient à se couvrir le plus possible par rapport à des “candidats” locataires sans passé locatif ou au passé locatif compliqué. Cela entraîne une augmentation des garanties demandées. Les associations accompagnent les personnes par de nouvelles pratiques pédagogiques (sous-location, bail glissant, etc.) ou le développement de nouveaux dispositifs dans le cadre des politiques sociales qui, du coup, permettent aux bailleurs potentiels de leur faire porter le risque. (…)Une question peut finalement être posée : les associations auraient-elles vocation à devenir les gestionnaires d’un tiers secteur du logement ? Elles

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<<<hébergent ou logent finalement les publics que par ailleurs personne ne veut réellement loger. Elles portent le risque, assurent l’accompagnement, là où plus personne n’intervient. »

États généraux – Fnars Poitou-Charentes

« On assiste à une diversification des publics éloignés de l’emploi : publics avec pathologies mentales, problèmes d’alcool, jeunes diplômés en précarité ou en errance, familles monoparentales confrontées à des problèmes de garde d’enfant, étrangers avec des diplômes non reconnus en France. Une partie des personnes en difficulté sont diplômées, mais ne trouvent pas d’offre d’insertion, ni de parcours vers l’emploi qui correspondent à leurs attentes et à leurs besoins.Les travailleurs sociaux doivent faire face à des demandes pour lesquelles les réponses sont souvent insuffisantes ou n’existent pas (financer le permis de conduire, trouver une formation linguistique, trouver des accueils pour les personnes alcooliques, etc.). »

États généraux – Fnars Île-de-France

■ À AMIENS, UN PARTENARIAT BAILLEUR - ASSOCIATION REVITALISE UN QUARTIER

« Il y a sept ans, l’Office public d’aménagement et de construction (Opac) d’Amiens rencontrait de nombreux problèmes dans un quartier du nord de la ville : de nombreux logements étaient vacants, mais le quartier souffrait d’une image très négative et peu de familles acceptaient d’y être logées. Une action de médiation sociale a été mise en œuvre avec une association d’insertion, l’ADMI, qui a permis à des familles d’accéder à un logement tout en bénéficiant d’un accompagnement social. De son côté, l’Opac a pu réhabiliter et louer ses appartements dans une zone sensible.Cette action a pu se faire grâce à un partenariat étroit entre tous les acteurs impliqués dans la politique de logement (ADMI, Opac, Conseil général, préfecture, CCAS [Centre communal d’action sociale], assistants sociaux). >>>

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Si l’on prend l’ensemble des coûts consécutifs à une expulsion, on s’aper-çoit qu’un accompagnement social lourd reviendrait souvent moins cher. Dans la région du Nord-Pas-de-Calais, une famille expulsée de son loge-ment a été hébergée et ses enfants placés. Le coût en a été de 90 000 € pour 12 mois. Un maintien dans le logement avec un accompagnement social intensif n’aurait pas dépassé les 10 000 €.

Des observatoires pour construire une politique du logement

Les politiques du logement et de l’hébergement sont territorialisées. La res-ponsabilité de leur élaboration et de leur mise en œuvre revient désormais

<<<– Un comité de pilotage se réunit 3 ou 4 fois par an. – Un comité technique valide les entrées ou non des familles dans ce dispositif de suivi et réalise une évaluation des sorties (qui ? pourquoi ? vers où ?). – La commission d’attribution des logements tient généralement compte des avis du comité technique.– Des rencontres systématiques avec les ménages à loger ont lieu. La famille s’engage à suivre des objectifs d’insertion en signant un ”contrat social“ avec l’association.– Il est prévu des échanges quotidiens entre les travailleurs sociaux, les conseillères sociales, les conseillères clientèles de l’Opac, les agents techniques et les gardiens qui contribuent à la sérénité du quartier.– Le médiateur social se rend souvent au domicile des familles suivies et peut repérer d’éventuels problèmes à prendre en compte préventivement.– Les ménages peuvent solliciter directement le médiateur qui est présent 4 jours par semaine dans le quartier. Le médiateur social constate un réel investissement de l’Opac dans la réhabilitation du quartier, ce qui a contribué au changement de son image. Aujourd’hui, de plus en plus de familles sollicitent un logement dans ce quartier. Ce ne sont plus seulement les services sociaux qui envoient les ménages.La coordination des efforts de l’Opac et du travail social a permis de repeupler ce quartier, d’y apporter tranquillité et sécurité. »

États généraux – Fnars Picardie

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à la fois aux collectivités locales et à l’Etat. Au plus près des décideurs, elles doivent avoir le souci de répondre aux besoins en logement de l’ensemble des ménages, y compris ceux hébergés dans des structures. Pour cela, elles doivent reposer sur une observation fine de ces besoins.

■ DE L’UTILITÉ D’UN OBSERVATOIRE LOGEMENT

« La Fnars Nord-Pas-de-Calais entretient depuis longtemps de bonnes relations avec les partenaires locaux qui suivent la question du logement des plus démunis. Mais, pendant des années, cette écoute déboucha sur peu de choses. Il était rarement donné suites à nos projets de travail en commun. Nos propositions sur le développement de l’offre de logement à l’attention des hébergés en structures d’accueil restaient lettre morte. En effet, quand arrivait la question de la quantification des besoins, nous devenions évasifs… Bien sûr le besoin existait, mais combien ? Impossible de répondre.En 2003, nous avons décidé de “mesurer” en créant un observatoire. Il s’agissait, à un moment T (deux fois dans l’année : au 30 juin et au 31 décembre), de faire une photographie des besoins en logement des personnes hébergées ou accueillies par les associations. Nous avons présenté nos premiers résultats à la CUDL (Communauté urbaine de Lille) dans le cadre de la préparation du PLH (Plan local de l’habitat). Nous sommes parvenus ainsi à faire reconnaître les besoins et à faire spécifier une offre correspondante avec les moyens nécessaires. Nous avons également présenté cet outil à l’association régionale HLM et l’avons comparé à son propre observatoire. Cela nous a permis de travailler sur des projets en lien avec le développement de l’offre de logements mais aussi sur des thématiques plus spécifiques comme les publics en difficultés psychiatriques.Nos données ont été confirmées par un travail avec la Direction départementale de l’action sanitaire et sociale (Ddass) et la Direction départementale de l’équipement (DDE) du Nord sur le besoin de familles hébergées en capacité d’accéder au logement autonome. Cet observatoire a notamment permis de mieux mettre en évidence la difficulté de reloger les grandes familles (4 enfants et plus), les durées d’hébergement étant pour certaines d’entre elles supérieures à 4 ans. Il a également permis de

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Une surenchère législative créant des outils qui sont peu mis en œuvre

Depuis près de 20 ans, nombreuses sont les lois qui ont créé de multiples dispositifs visant à maintenir ou ramener les personnes défavorisées dans le logement, au plus près du droit commun. Mais la plupart de ces outils ne sont pas mis en œuvre ou fonctionnent mal pour des raisons politi-ques. Ainsi, peu de commissions de médiation pourtant prévues par la loi de lutte contre les exclusions de 1998 ont été mises en place. De même, le dispositif de prévention des expulsions, qui visait à passer d’une logique d’ordre public à une logique de traitement social et préventif de l’expul-sion, n’a pas empêché l’accroissement des expulsions locatives. Cela est dû en particulier à un manque de coordination des acteurs et à l’insuffisance des moyens de l’accompagnement social.Pour être innovant aujourd’hui, il suffirait peut-être tout simplement de mettre en œuvre les dispositions légales prévues dans certains textes…

Orientations

Un objectif à se fixer : un logement pour tous

Les adhérents de la Fnars observent chaque jour dans leurs centres com-bien la question du logement est centrale dans la mise en œuvre des pro-cessus d’exclusion. Pour contrer ce mouvement qui la disloque, la société française doit fournir un formidable effort en matière de logement. Si les acteurs politiques ont enfin pris la mesure de la crise du logement, en accroissant l’effort financier national, ils situent toujours leur action dans une logique de moyens (quels engagements financiers ? quel nom-bre de logements livrés ?). Mais la crise du logement ne sera pas résorbée durablement par un effort supplémentaire, aussi important soit-il. Le

<<<quantifier la présence de travailleurs pauvres dans les structures d’hébergement et de logement temporaire : ils représentent plus de 20 % des hébergés au 30 juin 2005 ! »

États généraux – Fnars Nord-Pas-de-Calais

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logement doit redevenir une véritable priorité nationale sur le long terme, avec pour objectif la construction d’un nombre suffisant de logements économiquement accessibles pour permettre à chacun de disposer d’un logement adapté.

Construire un cadre de responsabilité

Cela suppose une mobilisation générale de tous les acteurs, dans une logi-que de résultats (quels besoins ? quels objectifs ? dans quels délais ?), dans un contexte marqué par l’éclatement de la responsabilité de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques du logement entre l’État, les collec-tivités locales, les collecteurs du 1 %, les bailleurs… L’exemple de l’Écosse, préconisé par le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées dans son 11ème rapport (décembre 2005), paraît à cet égard exemplaire.

En finir avec l’assimilation de l’hébergement au logement

La Fnars réaffirme qu’un hébergement n’est pas un logement, qu’il doit rester une période de transition. Les politiques, aussi bien à l’échelon de l’État qu’à celui des collectivités locales, doivent organiser la complémen-tarité entre l’hébergement et le logement.

Construire une vraie garantie des risques locatifs

Il est nécessaire de réfléchir, comme nous avons commencé à le faire à la Fnars, à un dispositif qui propose en matière de logement quelque chose d’analogue à la Couverture maladie universelle (CMU) sur le plan de la santé.La Fnars demande un dispositif qui ne laisserait personne sans logement, notamment lorsqu’il faut affronter des situations dramatiques pouvant intervenir brutalement dans la vie. Lorsqu’il faut subir un deuil, une mala-die grave, une rupture familiale, la perte de logement est alors encore plus déstabilisante. Un système universel de ce type doit permettre de mainte-nir dans son logement toute personne brutalement touchée par une baisse de ressources la menaçant d’expulsion. Un tel système doit veiller à ce qu’aucun demandeur ne se voit refuser l’accès au logement uniquement pour des considérations économiques et financières.

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Les principes d’une telle garantie sont les suivants : l’universalité, la conti-nuité et l’égalité des droits, la gestion partagée des risques, la responsabili-sation des bailleurs et des locataires, la simplicité d’accès aux droits.

Le droit au logement doit trouver sa place dans le cadre de la nouvelle décentralisation

La loi Libertés et responsabilités locales du 13 août 2004 et la loi de Cohésion sociale de janvier 2005 ont profondément remanié la mise en œuvre du droit au logement. Si la perspective de construction de 500 000 logements sociaux sur cinq ans affiche une volonté politique, la décentra-lisation confirme parallèlement un désengagement de l’État et un renfor-cement des pouvoirs des départements, des communes et des structures intercommunales.Nouvelles instances, nouveaux lieux de décision... Est-ce que cela risque de limiter les possibilités de mise en œuvre du droit au logement des plus défavorisés ou, au contraire, s’agit-il d’une occasion de créer une nouvelle dynamique ? Puisqu’ils ont désormais la charge de la politique sociale, en particulier celle liée au logement dans leurs départements, les conseils généraux vont-ils mettre en œuvre des politiques globales de lutte contre l’exclusion associant les deux volets, ou les compétences vont-elles se disper-ser encore davantage ? Cela va-t-il permettre le développement de logements très sociaux ou bien l’accent sera-t-il mis sur des logements sociaux inter-médiaires qui ne seront pas accessibles aux plus défavorisés ? Des politiques cohérentes sur chaque territoire pourront-elles être élaborées, ou assiste-rons-nous à un éparpillement des compétences et des interventions ?Sur un droit aussi fondamental, l’équité territoriale doit être recherchée et effective.

Tous les acteurs de la politique du logement autour d’une même table

Dans la nouvelle étape de décentralisation, tous les acteurs doivent trouver leur place, pour participer à l’évaluation des besoins, aux politiques de cons-truction, aux politiques de peuplement (quel niveau de mixité sociale ?), aux politiques d’attribution (combien de logements réservés aux plus démunis ?)… Autant d’interventions qui doivent faire l’objet de diagnostics

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partagés, de mise en œuvre et d’évaluation conjointes par l’ensemble des acteurs du logement, qu’il s’agisse des bailleurs sociaux, des collectivités locales, des gestionnaires du 1 %, des associations de solidarité, etc.

La reconnaissance du rôle fondamental des associations d’insertion

Il est temps de prendre en compte les réalités humaines de la crise du logement : les drames, les vies brisées, les enfants sans repères... Dans les instances de concertation, il n’est trop souvent question que de foncier, de contraintes financières, de réglementation, de règles d’urbanisme. Les individus n’existent pas. Or le logement est bien plus qu’un toit. Cette dimension humaine, qui mieux que nos associations d’insertion peut la porter et l’accompagner ? La loi de programmation pour la Cohésion sociale de janvier 2005 prévoit que les représentants des associations siè-gent dans les commissions d’attribution des organismes HLM.Cela va dans le bon sens, mais cela ne suffit pas pour que les associations d’insertion soient reconnues comme de véritables partenaires contribuant à l’élaboration et l’application des politiques locales de l’habitat, en raison de leurs compétences professionnelles et de leur connaissance des réalités de terrain.

L’État doit jouer pleinement son rôle de garant des solidarités envers les plus pauvres

Pour ceux qui sont laissés aux portes du logement, l’État doit exercer pleinement un rôle de garant des solidarités nationales, face aux enjeux politiques locaux qui peuvent entraver la prise en compte des besoins de logements des plus démunis. Il doit impulser une politique du logement social qui s’oppose à la tendance des élus à envoyer les pauvres dans les communes voisines.Si, dans un contexte de décentralisation et de plus grande responsabilisa-tion des collectivités locales, l’État n’a pas vocation à définir précisément, sur chaque territoire, le choix des moyens à mettre en œuvre pour assurer le droit au logement, il est en revanche indispensable qu’il s’assure et garantisse que le résultat est atteint.

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Répondre aux besoins spécifiques de certaines populations

Toute politique de l’habitat doit prendre en compte les projets de logement pour des populations aux besoins spécifiques. Ainsi en est-il des gens du voyage. Avant même la question du travail, de la scolarisation, de la forma-tion et même la santé, celle du stationnement, du logement et de l’habitat est cruciale pour l’amélioration de leurs conditions de vie.Il a fallu deux lois pour donner un cadre législatif à l’accueil et à l’habitat des « gens du voyage », mais il est toujours difficile de faire accepter qu’il y a une manière d’habiter qui nécessite des installations spécifiques, que des individus revendiquent un mode de vie, des valeurs qui leur sont propres. Aujourd’hui, un tiers seulement des aires d’accueil prévues dans le cadre des plans départementaux d’accueil des gens du voyage ont été installées.

Propositions

1. Construire le droit au logement opposable

Le droit au logement opposable impose à la collectivité, non plus une simple obligation de moyens, mais une obligation de résultat. Nous avons conscience que c’est un droit difficile à construire et qu’un projet aussi ambitieux doit s’inscrire dans la durée. Il ne s’agit pas seulement d’une mesure juste, il s’agit d’une mesure nécessaire pour dépasser les blocages et bouleverser le paysage de la responsabilité publique.D’autres pays avant nous ont choisi cette voie, le Royaume-Uni dans une certaine mesure, et l’Écosse de manière encore plus volontariste, en asso-ciant l’ensemble des acteurs du logement (gouvernement, représentants de l’administration, des bailleurs sociaux, des associations de solidarité, des collectivités locales). Ce sont des exemples dont nous pouvons nous inspirer, en observant notamment comment la puissance publique a su associer tous les acteurs sur un constat commun et des modalités d’actions communes. Pour que ce droit ne reste pas un droit théorique, et éviter qu’il ne devienne un recours juridique inadapté à l’urgence des situations, il doit reposer sur une obligation de résultat.Aussi, La Fnars demande que l’État s’engage sur l’élaboration d’un droit au logement opposable applicable sur l’ensemble du territoire et sur un

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calendrier précis de mise en œuvre. Ce cadre de responsabilité doit per-mettre de :– définir de façon précise le champ de responsabilité de chacun des acteurs (État, collectivités locales, bailleurs, associations…) dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de l’habitat,– organiser la complémentarité effective des interventions de ces acteurs,– réaliser le recensement détaillé des besoins en logements et fixer des objectifs assortis d’un échéancier précis,– déterminer les actions et moyens pour atteindre ces objectifs et désigner un chef de file,– évaluer chaque année les résultats et sanctionner les défaillances,– rendre effective pour les personnes des voies de recours amiables et judicaires, ce qui implique de créer des procédures simples et lisibles pour les personnes concernées.

2. Créer une Couverture logement universelle

La Couverture logement universelle passe d’abord par les aides au loge-ment, véritable colonne vertébrale d’une véritable garantie du risque locatif. Elles doivent être consolidées, en ouvrant les droits dès le premier mois d’installation dans le logement, en réévaluant les loyers-plafonds, en intégrant mieux les charges – surtout en période de hausse des prix de l’énergie – dans le calcul des aides, en rétablissant le versement des aides au logement en dessous de 24 € mensuels (288 € par an, ce n’est pas rien pour une famille pauvre !).Cette Couverture logement universelle doit, dans un premier temps, viser à organiser l’articulation et la complémentarité entre les différents dispo-sitifs existant de prise en charge des impayés de loyers (FSL, Loca-pass, assurances…) de façon à ce qu’aucun ménage, quel que soit le parc locatif ou la nature de ses revenus ne puisse être évincé. Mais à terme, il s’agit de mettre en place un fonds de sécurisation qui mutualise les contributions des financeurs des dispositifs actuels (État, collecteurs du 1 %…) et offre une garantie identique en cas d’impayés à l’ensemble des locataires de bonne foi.Cette couverture doit veiller à ce qu’aucune expulsion ne soit mise à exécu-tion sans solution d’hébergement ou de relogement.

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3. Faire des choix budgétaires en faveur du logement à vocation sociale et très sociale

Un pourcentage significatif de logements sociaux doit être systématique-ment imposé dans tout programme de construction nouvelle dans une logique de mixité sociale. La Fnars demande l’extension de la loi SRU à tout programme neuf, qu’il soit public ou privé. C’est seulement en ame-nant les plus pauvres vers le cœur des villes que nous banaliserons l’idée de mixité et que nous ouvrirons les ghettos.Pour résorber la crise du logement, pour la construction, la rénovation et la réhabilitation de logements à vocation sociale et très sociale, pour la création de maisons relais qui répondent à des besoins nouveaux, il est urgent que les politiques s’engagent fermement sur des moyens financiers à allouer au logement, pour la construction de logements à vocation sociale ou très sociale : PLA-I (Prêt locatif aidé d’insertion), PST (Programme social thématique). Cela passe entre autres par un aménagement des avan-tages fiscaux accordés aux propriétaires bailleurs. Ils doivent comporter une contrepartie sociale et permettre la construction de logements dont les loyers sont compatibles avec les revenus des personnes en difficulté. Cela doit contribuer à réguler les loyers. Il s’agit d’un choix politique qui doit être clairement affiché.

4. Tenir les obligations des collectivités locales en matière de logements très sociaux

L’application de l’article 55 de la loi SRU – obligation de construire 20 % de logements sociaux dans les villes de plus de 3 500 habitants – et les conséquences prévues dans le code de la construction et de l’habitation doivent être mises en œuvre de façon effective.Ainsi en est-il de la possibilité pour les préfets de conclure une convention avec un organisme HLM en vue de la construction ou de l’acquisition des logements sociaux nécessaires à la réalisation de l’objectif de 20 % cité ci-dessus lorsqu’une commune n’a pas respecté son obligation.Par ailleurs, il faudrait que soit inscrit sur la feuille d’impôts locaux le montant de la pénalité payée par la commune en raison du non-respect de l’article 55 de la loi SRU, ce qui permettrait aux administrés de connaître le surplus d’impôt ainsi généré.

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La construction de logements locatifs sociaux se pose également en milieu rural. La loi SRU devrait être adaptée aux communes de moins de 3 500 habitants faisant partie d’une communauté de communes qui doivent pou-voir répondre aux besoins de certains ménages aux revenus modestes.

5. Organiser la complémentarité hébergement / logement

La Fnars tient à ce que soient explicitement différenciés les engagements « hébergement » des engagements « logement » dans les Plans locaux de l’ha-bitat (PLH) et dans les Plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD). Ces documents doivent également décrire explicitement les actions permettant d’établir des passerelles de l’hébergement au logement parmi lesquelles : les mesures d’accompagnement social et leurs modalités de financement, la sous-location avec bail glissant accompagnée d’un dispositif de sécurisation du risque locatif pour les associations…

6. Inscrire les « accords collectifs » dans un cadre partenarial

C’est autour « d’une même table », dans le cadre des Programmes locaux de l’habitat (PLH) et des Plans départementaux d’action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD), que les « accords collectifs » – qui fixent le nombre de personnes en difficulté que les bailleurs sociaux acceptent de loger dans leur parc – doivent être déterminés, mis en œuvre et évalués. 7. Organiser des solutions pour les situations difficiles

C’est également dans le cadre des PDALPD ou des PLH que doit être géné-ralisée la mise en place de commissions pour les personnes et familles en situation difficile : tous les acteurs (bailleurs, associations d’insertion, DDE, Ddass, Caisse d’allocations familiales (Caf), collectivités locales, maîtres d’ouvrage…) participent alors à l’élaboration des projets d’habitat adapté aux besoins et aux spécificités des ménages les plus en difficulté.

8. Reconnaître par la loi la place des associations d’insertion dans l’élaboration et la mise en œuvre des Programmes locaux de l’habitat (PLH)

Par leur connaissance de la réalité locale et des publics en difficulté, elles peuvent contribuer utilement au diagnostic. Par ailleurs, étant à la char-

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nière entre l’hébergement et le logement, elles peuvent aider à concevoir des solutions réalistes. La Fnars demande que soit inscrite dans la loi la participation de droit des associations d’insertion à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des PLH.

9. Répertorier le « contingent préfectoral »

C’est un outil essentiel de l’État pour permettre l’accès au logement des plus démunis, notamment ceux sortant des structures d’hébergement. Or, dans de nombreux départements, l’État n’en a pas pérennisé la gestion. Il n’existe plus de manière explicite et l’on identifie mal qui le gère. Aussi est-il indispensable que les préfets le répertorient à nouveau afin que l’État puisse continuer d’exercer son rôle de « garant » et conserve un pouvoir de substitution en cas d’urgence ou d’abus.

10. Accueillir les « gens du voyage »

La Fnars demande que soit poursuivie la création et la réhabilitation des aires d’accueil, que ces lieux de vie soient gérés comme des lieux d’habitat à part entière et non pas comme des campings ou des lieux de loisirs. Elle demande la reconnaissance de la caravane comme habitat principal, l’ouverture des droits liés au logement, des prêts pour l’achat à des taux classiques plutôt que les taux usuriers pratiqués actuellement, le droit à l’assurance logement et le droit à l’allocation logement.Elle demande également que les plans départementaux d’accueil des gens du voyage fassent l’objet d’une réalisation effective.

■ Le droit au logement opposable écossais

UN LOGEMENT POUR TOUS EN 2012Depuis le renforcement de son autonomie politique en 1999 et l’élection de son propre Parlement, l’Écosse s’est engagée dans la construction d’un droit au logement plus ambitieux encore que celui qui préexiste pour l’ensemble du Royaume-Uni (priorité donnée à certaines populations). Par la démarche adoptée et la volonté politique qui l’a précédée, le cas écossais est exemplaire à plus d’un titre et pourrait enrichir la réflexion française sur

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<<<la construction d’un droit au logement opposable qui ne reste pas une incantation sans effets (nous reprenons l’essentiel des constats et des préconisations du Haut comité pour le logement des plus défavorisés [rapport de décembre 2005]).L’action politique s’est déroulée en plusieurs étapes. Dans un premier temps, le gouvernement écossais a constitué en 1999 une « Homeless Task Force » (groupe de travail sur les sans-logis). Sa mission était d’ « examiner les causes et la nature du mal-logement, d’évaluer les réponses apportées actuellement, et de faire des recommandations de prévention et de lutte contre le mal-logement ». Cette Homeless Task Force était présidée par le ministre de la Justice sociale et composée de 13 membres : représentants de l’administration des housing associations, des associations de solidarité, des collectivités locales... Pendant deux ans, elle a tenu une trentaine de réunions, soit pratiquement un rythme d’une réunion mensuelle. Elle a achevé sa mission en 2002, avec la remise d’un rapport final qui préconisait notamment :– l’obligation pour chaque autorité locale de produire une stratégie sur le mal logement, basée sur une évaluation des besoins ;– l’obligation d’informer tous les mal-logés de leurs droits ;– l’obligation de fournir un logement durable à tous les mal-logés entrant dans les critères de priorité (femmes enceintes et personnes résidant avec elles, personnes avec enfants à charge, personnes vulnérables en raison de l’âge, de la maladie, d’un séjour en prison, jeunes de 16 à 17 ans, jeunes de 18 à 20 ans en danger, femmes victimes de violences), avec un élargissement progressif de ces critères et leur suppression en 2012 ;– l’obligation de fournir au moins un logement temporaire à ceux qui n’entrent pas dans les critères prioritaires ;– l’adaptation des politiques du logement : les moyens accordés aux autorités locales devront prendre en compte les besoins évalués par celles-ci ;– l’aménagement des aides à la personne, afin de mieux aider les personnes les plus fragiles ;– la prévention du « homeless », par l’assistance aux publics « à risque » (jeunes sortant d’un hébergement social, sortant de prison, prévention des expulsions...) ;

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<<<– le traitement du mal-logement : sont définis les principes et le contenu de l’action qui doit être menée sous la direction des autorités locales en matière d’accueil, d’hébergement, de logement, d’accompagnement social, ainsi que l’articulation de ces actions avec celles des services qui interviennent en matière d’emploi ou de drogue...Un groupe de suivi a pris la suite, le « Homeless Monitoring Group », présidé par un ministre et rassemblant à peu près les mêmes représentants qu’auparavant. Sa mission est de soutenir et de contrôler la mise en œuvre des recommandations de la « Homeless Task Force ».<<<Les leçons à en tirerIl n’est bien sûr pas envisageable de calquer une telle politique à l’identique, ne serait-ce que par la simplicité des niveaux de pouvoirs écossais (gouvernement et autorités locales) quand la France en superpose cinq : gouvernement, régions, départements, intercommunalités et communes... Mais nous pourrions nous inspirer de la méthode :– La « Task Force » est une démarche de concertation qui a abouti à l’élaboration conjointe d’une politique par le gouvernement et les représentants des principaux acteurs concernés. Comme le soulignait le rapport du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, « si l’accord trouvé sur cette politique est remarquable, le fait que toutes les propositions formulées par cette instance aient été reprises, soit au niveau législatif, soit au niveau réglementaire, par le gouvernement écossais, ne l’est pas moins. »– L’adhésion des collectivités locales et des opérateurs à la politique proposée par la Task Force et arrêtée par le gouvernement est d’autant plus forte que les uns et les autres n’ont pas le sentiment d’un désengagement de l’État. Celui-ci assume pleinement l’apport des financements nécessaires à la construction des logements sociaux et à la solvabilisation des locataires.– L’approche du droit au logement s’inscrit dans un politique globale de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.– La démarche est respectueuse des individus, qui ne sont pas considérés comme simplement bénéficiaires d’une aide, mais comme des citoyens titulaires de droits.– Le droit est justiciable, mais la plupart des litiges se règlent de façon amiable.

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Constat général

L’hiver suscite chaque année un élan d’émotion envers les personnes sans abri de la part d’une opinion publique qui semble prendre conscience à chaque grand froid de la détresse des personnes qui vivent dehors. De son côté, chaque année, à l’approche de l’hiver, l’État met en place un « plan hivernal » 1 : le nombre de places d’accueil d’urgence varie au rythme du mercure dans le thermomètre…Chaque hiver, les associations et les différents acteurs répètent que l’exclu-sion n’est pas un phénomène saisonnier. On souffre toute l’année quand on vit dans la rue. On comptait 86 000 personnes sans domicile en France en 2001, selon le recensement de l’Insee. Mais ce chiffre est sûrement en dessous de la réalité aujourd’hui. Depuis plusieurs années, les associations de solidarité observent une demande croissante d’hébergement d’urgence et l’afflux de nouvelles populations qui n’ont pas grand chose à voir avec le clochard endurci et réfractaire à toute aide. Les centres d’accueil d’urgence héber-

L’ACCUEIL D’URGENCE EN QUESTION

1. Chaque hiver, le ministère en charge de l’action sociale adresse aux préfets une lettre par laquelle il leur demande d’organiser la mise à l’abri des personnes à la rue.

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gent aussi des jeunes, des femmes, des familles avec enfants, des gens qui travaillent. Comme le souligne le rapport d’Agnès de Fleurieu 2, présidente de l’Ob-servatoire de la pauvreté et de l’exclusion sociale, remis au gouvernement en août 2006, « le nombre de personnes sans abri s’accroît dans la capitale et dans toute l’Île-de-France pour de multiples raisons, qui révèlent toutes les dimensions de la précarité dans les sociétés industrielles développées, mais aussi tout l’espoir d’accéder à une vie meilleure, porté par ceux qui prennent un jour la route depuis un pays plus pauvre que le nôtre pour atteindre la ville lumière, croyant y trouver emploi et logement. »

Une connaissance insuffisante des besoins des sans-abri

S’il existe des statistiques, on ne dispose pas de données nationales sur les sans-abri. La Fnars a engagé la construction d’un observatoire national du numéro d’urgence 115. Il permettra de mieux connaître les profils des personnes qui appellent le 115. Mais il ne permettra pas d’appréhender les réalités de celles qui, bien que vivant dehors, n’y ont pas recours.Les données de l’observatoire du Samusocial de Paris 3 permettent toutefois de dégager certaines tendances pour Paris intra-muros. Ainsi, entre 1999 et 2004, on observe un triplement des demandes d’adultes accompagnés d’en-fants (1 500 en 1999, 4 660 en 2004), alors que celles des personnes seules (des hommes principalement) se stabilisent (21 500 en 1999, 21 300 en 2005).Cet observatoire souligne notamment que les familles sont prises en charge quasi systématiquement, le plus souvent en hôtel, alors que les personnes sans enfant sont hébergées dans la limite des places disponibles dans les centres d’hébergement d’urgence. Ceci démontre qu’il n’y a pas d’adéqua-tion de l’offre par rapport aux demandes et, surtout, aux demandeurs.

Un dispositif d’accueil inadapté

Un autre rapport, publié en avril 2006 4, insiste sur le sous-dimensionnement manifeste, tant quantitatif que qualitatif, du réseau d’accueil d’urgence,

2. Rapport sur l’hébergement des personnes sans abri à Paris et en Île-de-France, 2006.3. Rapport d’activité du 115 de Paris, observatoire du Samusocial de Paris, mars 2005.4. Rapport sur la procédure de prévision et de gestion des crédits d’hébergement d’urgence, Iga/Igas, avril 2006.

L’accueil d’urgence en question

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provoqué par la persistance de conditions économiques défavorables et par les flux importants de demandeurs d’asile. Il souligne aussi la présence de personnes qui ne devraient pas s’y trouver, mais qui restent là compte tenu de la paralysie généralisée de la chaîne allant de l’urgence au logement. Ainsi, précise ce rapport, les « publics en situation de rupture récente », qui relèvent effectivement d’un besoin ponctuel de mise à l’abri, ne constitue-raient que 15 à 20 % de la population accueillie. Pour les « grands exclus », la stabilisation de leur situation nécessiterait un hébergement durable et une prise en charge médicale. Quant aux « travailleurs pauvres », ils relèvent davantage du logement temporaire et du logement social que de l’hébergement d’urgence.

L’effet révélateur des tentes de Médecins du monde

Lorsque l’association Médecins du monde a distribué des tentes aux personnes sans domicile de Paris, pendant l’hiver 2005-2006, son inten-tion était de mettre à l’abri, mais aussi de rendre visible cette détresse quotidienne à laquelle on finit par s’accoutumer. Au-delà de ces effets escomptés, l’opération a permis de mettre en évidence l’inadaptation des réponses d’hébergement à certains types de publics.

L’expérience de la Fnars

L’accueil d’urgence, une réponse à une situation de détresse

L’accueil d’urgence est censé répondre immédiatement à une situation de détresse. En principe, on ne fait qu’y passer, un jour ou une semaine, avant d’être aiguillé vers un hébergement plus stable ou vers un logement. Du simple lieu d’accueil en journée, au centre d’hébergement, voire à l’hébergement en hôtel, en passant par l’entretien d’orientation et les pres-tations spécifiques comme les distributions de repas, les douches, les dons de vêtements, la réception du courrier, etc., le dispositif d’accueil propose théoriquement une intervention brève : il doit permettre de faire face à une situation d’urgence et de passer le relais aux services qui travailleront sur une solution de long terme.Dans les faits, les parcours sont bien différents. Les durées sont variables (renouvelables d’un jour sur l’autre, de 3 jours en 3 jours, etc.). Faute de

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voies de sortie, les publics accueillis restent dans les structures. En région parisienne, par exemple, 18 % des personnes hébergées en centre d’ur-gence y sont depuis plus d’un an, faute de pouvoir trouver des solutions d’hébergement 5. Certaines personnes tournent régulièrement d’un centre à l’autre. Dans un contexte de pénurie de places d’hébergement, la limitation des durées de séjour devient un moyen pour favoriser la rotation et accueillir un public plus nombreux. Par ailleurs, des personnes présentant des situations com-plexes ou des comportements difficiles à gérer sont ballottées de centre en centre faute de solution adaptée.Cette réalité a des effets négatifs sur les populations qui se retrouvent à la rue. Elles n’accèdent pas aux services qui leurs permettraient de s’inscrire rapidement dans un parcours d’insertion (soins médicaux, démarche d’in-sertion professionnelle, accompagnement vers le logement…), services qu’elles ne peuvent trouver dans un accueil d’urgence dont ce n’est pas a priori la vocation.

L’instabilité au quotidienPour des personnes souvent très fragiles, vivre dans un lieu d’accueil d’urgence peut alors demander une énergie et une capacité d’organisa-tion prodigieuses. Il leur faut jongler avec les horaires très contraignants (accueil à heure fixe, départ très tôt le matin). Les centres fermant dans la journée, elles doivent trouver à s’abriter, à s’occuper dehors, en transpor-tant parfois leurs affaires personnelles. L’hébergement est une obsession constante. Souvent, l’accueil ne dure pas. À peine posées, les personnes

■ L’URGENCE DÉTOURNÉE

« L’urgence n’en est plus vraiment une car les personnes restent «en urgence», en attendant de pouvoir être accueillies ailleurs. Les personnes présentant des troubles psychologiques et celles qui sortent de l’hôpital ne bénéficient pas de structures adaptées et n’ont pas de solution d’hébergement autre que le centre d’urgence. »

États généraux – Fnars Champagne-Ardenne/CAU Le Nouvel Horizon, Reims

5. Enquête 2004, « Une nuit donnée », Fnars Île-de-France/Mipes/Drassif.

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sans domicile retrouvent l’angoisse de s’assurer un toit pour les jours à venir. Ce va-et-vient permanent, qui fait qu’on les accueille, puis qu’on les renvoie dehors, puis qu’on les accueille à nouveau, les maintient, voire les enfonce dans l’urgence.S’y ajoute la dispersion des services, qui peut contraindre les personnes à se déplacer du centre d’hébergement au lieu de distribution de repas, en passant par l’accueil de jour ou encore le lieu où elles reçoivent leur courrier. Autant de temps et d’énergie gaspillés…Cette instabilité n’est pas compatible avec une démarche d’insertion.

■ UN LIEU POUR SE POSER

« Le principe du Service d’hébergement et d’accompagnement à la stabilisation (Shas), c’est d’offrir des conditions de stabilité et un accompagnement social souple pour permettre aux personnes accueillies de concentrer leur énergie sur leurs démarches, le contrat d’accompagnement social qu’elles signent en arrivant. Les repas et l’hébergement assurés, des services de buanderie et de consigne les libèrent des préoccupations matérielles. L’an dernier, nous avons accueilli un couple arrivé d’un département voisin : la jeune fille, 29 ans, très effacée derrière son compagnon ; lui, tout récemment embauché comme chef cuistot dans un bon restaurant, il avait tendance à vouloir tout gérer. En attendant le 1er salaire, ils dormaient dans leur voiture. Mais, au bout d’un mois, les projets ont changé car l’homme s’est éclipsé. La jeune femme s’est retrouvée seule et sans ressource puisque c’était son compagnon qui disposait d’un revenu. Nous l’avons accompagnée dans ses démarches pour ouvrir ses droits au Revenu minimum d’insertion (RMI). Un bilan de compétences lui a permis de bénéficier d’une remise à niveau en français. Au bout de 4 mois au Shas, elle est sortie vers un appartement ALT (Aide au logement temporaire). Nous avons continué à la soutenir, en extérieur, dans sa recherche de logement. 6 mois plus tard, elle a trouvé un poste de femme de chambre et s’est installée dans un appartement autonome. L’épargne accumulée pendant son séjour au Shas lui a permis de financer la caution et l’emménagement.

États généraux – GHU (Gestion hébergement d’urgence), Marseille

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L’urgence, reflet d’une société qui fabrique de l’exclusion

Les personnes sans abri qui recourent aux services de l’urgence constituent une population de plus en plus hétérogène. S’il s’agit majoritairement d’hommes de plus de quarante ans, on y trouve de plus en plus de jeu-nes adultes en rupture familiale, de femmes avec enfants, de salariés, de personnes malades, des familles en situation irrégulière qui n’ont d’autre perspective que l’hébergement d’urgence. Si certaines personnes sont totalement désaffiliées, d’autres sont encore socialisées. Certaines ont été expulsées de leur logement, confrontées à un accident de la vie (perte d’un emploi, maladie, séparation…).En particulier, la présence de plus en plus importante des jeunes dans les dispositifs d’urgence est révélatrice d’une société qui exclut.

L’urgence, reflet de politiques incohérentes

Au début des années 80, on pouvait penser que l’augmentation des situa-tions de précarité était conjoncturelle, conséquence d’une crise économi-que temporaire. Mais depuis plus de 10 ans, on sait que ce phénomène est bien structurel : la précarité et l’exclusion se sont installées durablement et continuent à s’étendre.

■ LES NOUVEAUX VISAGES DE L’URGENCE SOCIALE

« Je sais quel public je n’accueille quasiment pas, celui que tout le monde a en tête lorsque l’on parle de l’accueil des sans-abri : les personnes fortement marginalisées d’une cinquantaine d’années que je nommerai respectueusement les “clochards”. On nous signale régulièrement leur présence au 115 mais ils n’acceptent pas l’hébergement que leur propose le Samu social qui va les voir.Certains demandent toutefois un abri, mais leur état de santé (démence sénile apparaissant à la cinquantaine et accélérée par les conditions de vie) est une excuse pour que les services sociaux (dont on fait partie...) et les services médicaux se les renvoient heure après heure sans pouvoir chercher, en commun, une solution valable.Nous accueillons donc tous les autres. »

États généraux – Fnars Champagne-Ardenne/

Fondation de l’Armée du Salut, Reims

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Pour autant, l’État a continué à développer une politique de lutte contre les exclusions reposant sur une vision provisoire de la crise et de ses con-séquences sociales, favorisant la logique de la mise à l’abri, sans moyens suffisants d’accompagnement social. Les associations pourtant n’ont cessé de réclamer des politiques à la hauteur des enjeux, permettant une réelle insertion des personnes en difficulté.En définitive, c’est une politique humanitaire qui s’est étendue progressi-vement, mais non d’insertion.Le dispositif d’urgence manque donc aujourd’hui d’une vision d’ensemble. Si les récentes mesures gouvernementales vont bien dans le sens d’une meilleure prise en compte des besoins des personnes accueillies, elles fonctionnent toujours sur une logique du « coup par coup », en instaurant des dispositifs et des financements provisoires, sans souci de cohérence et d’articulation entre eux. Ainsi, on s’interroge sur l’annonce, en avril 2006, de 5 000 places d’héber-gement pérennes toute l’année, alors qu’en septembre 2005, le Premier ministre s’était déjà engagé sur 5 000 places d’hébergement d’urgence et 5 000 places en résidences hôtelières qui n’ont pas encore été créées. Par ailleurs, à quelle logique répond l’injonction du Premier ministre, en novembre 2005, d’allonger à un mois l’hébergement des personnes titulaires d’un contrat de travail, quand on sait qu’on ne trouve pas un logement en un mois et que tant d’autres publics sont en attente d’un hébergement ? Les lieux de concertation existants, tels que le Conseil national de lutte con-tre l’exclusion (CNLE) ou la Conférence nationale de prévention et de lutte contre l’exclusion, ne permettent pas d’associer véritablement les acteurs de terrain, ni au diagnostic, ni à l’élaboration d’un plan d’ensemble. Les associations sont sollicitées pour agir dans la précipitation, en exécution de programmes qui ont été établis sans elles.Ces politiques devraient reposer sur une observation précise des phénomè-nes de précarisation et d’exclusion. Or, il n’existe pas d’organisme national de centralisation des statistiques. Les associations et les établissements disposent pourtant de données, diffusées à travers les rapports d’activité notamment. Mais ces chiffres ne sont pas agrégés. Par ailleurs, de nom-breuses situations échappent à la connaissance des acteurs de l’insertion, les personnes en errance, celles qui vivent dans des logements indignes

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ou de fortune, etc. Il faudrait pouvoir connaître leurs profils pour adapter les politiques.

L’hôtel, un substitut inadapté

Le recours massif à l’hébergement hôtelier traduit bien les conséquences de cette absence d’anticipation des pouvoirs publics. Le manque de places d’hébergement face à l’augmentation de la demande a conduit à recourir à l’hébergement en hôtel comme palliatif. De simple dépannage, cette solu-tion a pris des proportions massives, puisque le nombre de places d’hôtel a été multiplié par 20 entre 2000 et 2005, passant de 1 000 à 20 000 6. Les crédits consacrés aux nuitées d’hôtel suivent une courbe exponentielle. De 10 M€ en 2000, ils sont passés à 120 M€ en 2005 7, dont 40 % concentrés sur Paris.Dans certaines régions (Paris, Isère, etc.), la présence d’enfants implique quasi systématiquement une orientation en hôtel, car les lieux d’accueil d’urgence, conçus à l’origine pour héberger des hommes seuls, ne sont pas adaptés. Mais l’hôtel favorise l’isolement et se prête mal à l’accompa-gnement social et à la vie de famille. L’hébergement en hôtel peut servir de transition vers une réponse adaptée à la situation des personnes. Lorsqu’il perdure, comme c’est souvent le cas, il laisse les situations s’enliser, ce qui est inacceptable.

6. Rapport sur la procédure de prévision et de gestion des crédits d’hébergement d’urgence, IGA/Igas, avril 2006.7. Rapport IGA/Igas avril 2006.

■ LA VIE FAMILIALE EN CHAMBRE D’HÔTEL

« Pour faire face à la demande massive d’hébergement générée par l’arrivée de demandeurs d’asile et la saturation des centres d’hébergement, (…) en accord avec les représentants de l’État, du Conseil général de l’Isère et du collectif d’accueil et d’hébergement, la décision a été prise d’assurer cet hébergement en augmentant les prises en charge hôtelières. (…) En dix ans, le nombre total de places d’hébergement y compris l’hôtel (hors Sonacotra et Foyers de jeunes travailleurs) et hors période hivernale a été multiplié par 6 :1995 : 500 places / 2005 : 3000 places >>>

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Le plan hivernal, une logique inacceptable

On pratique en hiver une action qui relève de l’humanitaire, comme si le froid était une catastrophe naturelle imprévisible. On assure la survie : se réchauffer, manger, se laver. Les places d’hiver sont souvent des accueils

<<<Les conditions d’hébergementAlimentation : l’impossibilité de préparer les repas dans les chambres d’hôtel entraîne les ménages à consommer uniquement des aliments froids et peu variés (sandwichs, certaines conserves). Les denrées périssables sont à utiliser immédiatement et ne peuvent pas être conservées, ce qui reste problématique pour l’utilisation du lait et des produits frais nécessaires aux jeunes enfants.Espace/environnement : 9 à 12 m² représentent la superficie des chambres d’hôtel, comprenant le ou les lits et juste l’espace de circulation autour de ceux-ci. Une famille de 4 à 6 personnes est répartie dans 2 ou parfois 3 chambres (rarement communicantes). Le manque d’espace et la séparation rendent difficile l’organisation de la vie quotidienne (surtout avec des enfants en bas âge) et entraînent la promiscuité.Scolarisation : l’espace restreint, le manque d’intimité, d’isolement, de calme et parfois les changements d’hébergements successifs pénalisent une scolarisation déjà difficile.Hygiène et sécurité : passant outre l’interdiction, certains ménages installent des plaques ou d’autres appareils électriques dans une chambre qui n’est pas adaptée pour cuisiner et prennent des risques (incendies, accidents ménagers). Une famille de 4 à 6 personnes peut se retrouver la journée dans une seule chambre, qui sert de dortoir, de salle à manger, de salle de vie dans des conditions d’hygiène inadaptées.Santé : les différents facteurs énoncés précédemment déterminent directement l’état de santé physique et morale des personnes. La dureté des conditions de vie joue directement sur le moral des personnes qui restent dans l’attente, sans possibilité de travailler et qui se renferment sur elles-mêmes. »

Groupe de travail sur l’hébergement d’urgence en chambre d’hôtel en Isère

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collectifs, qui offrent des conditions de vie plus ou moins décentes. Par ailleurs, le dispositif hivernal ne permet pas de mettre tout le monde à l’abri. Il faut gérer la pénurie de places. Dans certains départements, la consigne de mise à l’abri systématique ne s’applique qu’en période de grand froid (- 5° la nuit), voire de froid extrême (- 10°). Et malgré les moyens supplémentaires, certains départements ne peuvent répondre à l’ensemble des besoins. Face à des publics « prioritaires » (familles, per-sonnes malades, etc.), les hommes seuls, les étrangers, les personnes qui vivent avec des chiens, les toxicomanes, rencontrent plus de difficultés à trouver un toit.Et où aller à partir d’avril, quand le plan hivernal est terminé et que les refuges ferment ? D’une année sur l’autre, chaque hiver, les associations retrouvent les mêmes personnes, encore plus abîmées.

Les plus marginaux… de plus en plus marginalisés

Les personnes en situation de grande exclusion se voient écartées ou bien s’écartent elles-mêmes de certains centres d’accueil. Leur manque d’hy-giène, la perte de repères sociaux, dans certains cas leurs comportements violents, rendent leur accueil problématique pour des équipes et pour des structures qui n’y sont pas spécifiquement préparées.Pourtant, certaines expériences montrent que des règlements intérieurs souples, sans durée de séjour restrictive, jouent en faveur d’une prise d’autonomie et de comportements moins agressifs, et sont donc plus efficaces à moyen terme.

■ ACCUEIL DE FEMMES TRÈS MARGINALISÉES

« Pour la seconde année, Labri a offert pendant la période hivernale un hébergement d’urgence pour des femmes sans enfant très marginalisées qui ne pouvaient plus être accueillies dans les structures existantes ni à l’hôtel. Les problématiques qu’elles présentent les contraignent la plupart du temps à la mendicité et à la prostitution.Devant les besoins ainsi mis en évidence et les résultats probants obtenus, le dispositif est en voie d’obtenir une ouverture en continu sur l’année.

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<<<Le projet socialL’hébergement à Labri n’est pas une simple mise à l’abri, mais se complète d’un accompagnement dont les femmes se sont saisies ou pas en fonction de leurs souhaits. Il repose sur l’idée de sécuriser des femmes sur le lieu où elles pourront dormir le soir même, quand on sait que la plupart d’entre elles ne peuvent se projeter au-delà de quelques heures.Les femmes accueilliesElles ont entre 23 ans pour la plus jeune et la cinquantaine pour la plus âgée. La plupart ont été hébergées à un moment ou à un autre dans leur vie au Centre d’accueil et d’hébergement d’urgence (CAHU). Certaines ont eu un domicile personnel où elles ont vécu en couple, puis seules. Certaines sont des habituées de l’errance. Le mode de fonctionnementLes femmes arrivent et repartent à l’heure qui leur convient. Les animaux sont admis. Le seuil de tolérance très bas autorise la venue de personnes qui ont des pratiques addictives ainsi que celles qui présentent des comportements associables.L’accompagnement à la vie quotidienne et aux démarches d’insertionLe personnel a accompagné ces femmes dans leurs gestes quotidiens : apprentissage de la toilette, de l’entretien du linge, du ménage, de la gestion de l’argent.La perte de papiers d’identité a été un problème récurrent, commun aux hébergées de Labri du fait de leur errance. La régularisation des situations administratives a constitué souvent le premier palier des démarches engagées ; ce travail social a permis à 7 femmes sans ressources à leur arrivée de percevoir le RMI, à 9 femmes d’avoir une Couverture maladie universelle (CMU) et pour nombre d’entre elles de reprendre contact avec leur instructeur RMI ou tuteur… Ces démarches nécessitent souvent plusieurs semaines d’accompagnement en raison de courriers égarés, oubliés, non lus…Des solutions adaptées ont été trouvées pour certaines hébergées :– pour une, un appartement en couple au foyer Amli de Metz ;

>>>

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Dans ce contexte, le 115 peut difficilement jouer son rôle

Le 115 joue un rôle d’intermédiaire entre la personne qui cherche un refuge et les différents services sur un territoire (hébergement, aide ali-mentaire ou vestimentaire, soutien administratif ou juridique…). Il assure une fonction d’écoute, d’information et d’orientation.Le 115, pour être efficace, doit s’appuyer sur une diversité de services, bien répartis sur les territoires, et coordonnés entre eux.Par exemple, une offre d’hébergement en hôtel via le 115 n’a de sens que si elle peut donner lieu à une proposition d’hébergement de plus longue durée avec éventuellement une prise en charge adaptée par un travailleur social. Quand ce n’est pas le cas, les personnes se retrouvent à la rue au bout de quelques jours et font appel à nouveau au 115.Dans les grandes métropoles, cela contribue à saturer les lignes du 115 et il n’est pas rare de devoir appeler une dizaine de fois pour obtenir un écoutant, qui n’a pas nécessairement de solution à proposer.

<<<– pour une autre jeune femme de moins de 25 ans, sans ressources, le foyer Clair Logis à Nancy avec la collaboration des centres médico-psychiques de Laxou et de Metz centre ;– pour 3 femmes, après plusieurs mois de stabilisation, une orientation vers le Cahu Sainte-Croix ;– pour une autre jeune femme, une cure à Lille suivie d’une post-cure à Foville ;– pour une autre, une entrée à la pension de famille de la Fondation Abbé Pierre.Au moment de la fermeture de Labri, à la fin de la période hivernale, 5 femmes étaient sans solution immédiate et à court terme.

États généraux – Fnars Lorraine/AIEM (Association d’information

et d’entraide mosellane), Metz

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Orientations

Prévenir l’exclusion

Prévenir l’exclusion, c’est tout d’abord s’interroger de façon systématique sur les conséquences de l’ensemble des politiques proposées, de façon prospective : – en quoi risquent-elles d’engendrer précarisation, fragilisation et exclu-sion ? – quels outils mettre en œuvre pour éviter ces conséquences ? Ainsi, lorsqu’il a été décidé de ne plus verser les aides au logement infé-rieures à 24 € par mois, a-t-on mesuré l’incidence que cela aurait sur la capacité des familles à payer un loyer ? De même, en matière d’emploi, quels effets la mise en œuvre du Contrat nouvelle embauche (CNE) peut-elle avoir sur la capacité à accéder au logement ? Par conséquent, les politiques publiques doivent faire l’objet d’une éva-luation systématique, afin de mettre en évidence leurs effets sur les per-sonnes en difficulté et sur la société tout entière. Ainsi, la lutte contre les exclusions doit-elle être traitée sur un mode transversal à l’ensemble des politiques menées.

■ L’ACTIVITÉ ESTIVALE DU 115

« Le 115 observe une mutation du public entre les périodes hivernales et estivales. Pendant l’été, les appels proviennent pour l’essentiel de jeunes qui viennent d’autres régions dans l’objectif “affiché” de décrocher un travail saisonnier (restauration, cueillettes) sur Marseille. Ces personnes sont orientées sur l’unité d’hébergement d’urgence La Rose. Des tensions se développent lorsqu’elles souhaitent repartir vers leur région d’origine (nord et est de la France) car elles n’en ont pas les moyens et elles expriment des demandes de financements qui leurs sont refusées.Par ailleurs, beaucoup de sollicitations proviennent de mères isolées avec enfants. La période estivale, avec l’interruption de l’école qui marque une rupture d’avec le quotidien et le délitement des liens et des cadres habituels, en serait l’explication.

États généraux – Fnars PACA Corse Dom

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Prévenir les exclusions, c’est également pouvoir repérer suffisamment tôt des situations de précarisation pour éviter que les personnes et les familles ne basculent dans l’exclusion.Enfin, c’est mettre en œuvre des politiques publiques et des partenariats qui permettent de prévenir les processus d’exclusion. Car l’urgence n’est pas une fin en soi. L’intervention en urgence ne sert à rien si elle n’est pas suivie d’un accompagnement dans la durée.

Repenser la politique de lutte contre les exclusions

Dans le contexte actuel de massification et d’évolution des situations de précarité et d’exclusion, il convient de mettre à plat les politiques de lutte contre les exclusions et les dispositifs qui s’y rattachent en s’appuyant sur une connaissance précise des profils et des besoins sur les territoires. Il faut alors réinterroger le sens de ces politiques et leur capacité à sortir durablement les personnes et les familles de leurs difficultés. L’urgence doit y retrouver sa place. Les accueils d’urgence doivent rester des lieux de passage où, selon les besoins, peut être engagé un processus de prise en charge à plus long terme ou une orientation vers le droit commun. Une chaîne cohérente doit pouvoir proposer des parcours individualisés et sans rupture.La Fnars considère que la simple augmentation du nombre de places est insuffisante parce qu’elle entérine le processus d’exclusion dans une société qui précarise et jette de plus en plus de personnes à la rue (expul-sion du logement, perte de l’emploi, abandon de jeunes adultes livrés à eux-mêmes, accueil indigne des familles étrangères, etc.).

Développer des solutions adaptées aux personnes

Les publics accueillis dans les centres d’urgence sont très divers, depuis les familles avec enfants, jusqu’aux grands marginaux, en passant par les jeunes adultes. En conséquence, il faut pouvoir développer, au sein des accueils d’urgence, une diversité de modalités d’accueil et de prise en charge apportant des réponses adaptées aux spécificités des publics.Il faut également assurer des modes de fonctionnement en réseau qui per-mettent un continuum entre les accueils d’urgence et les hébergements et services d’insertion pour éviter des ruptures dans les prises en charge des personnes. Bien plus que des moyens nouveaux, cette orientation nécessite

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l’élaboration d’une méthode qui permette de remettre constamment en cause l’existant et de l’adapter. Elle est exigeante autant pour les pouvoirs publics que pour les associations.

En finir avec la saisonnalité de l’urgence

Le plan hivernal est présenté par les pouvoirs publics comme un dispo-sitif de crise. Or, un dispositif de crise doit être réservé à des situations exceptionnelles et imprévisibles. Le froid hivernal n’est ni exceptionnel ni imprévisible. L’ampleur du dispositif hivernal traduit l’ampleur des besoins qui ne sont pas couverts le reste du temps. En conséquence, il convient de faire fonc-tionner tout au long de l’année l’ensemble des dispositions mises en œuvre uniquement en hiver (extension des horaires d’ouverture des accueils, développement des équipes mobiles et des services d’aide alimentaire…). Certes, le gouvernement a annoncé en mai 2006 des mesures allant dans ce sens. Cependant, pour être efficaces, elles doivent s’inscrire dans un pro-gramme global de lutte contre l’exclusion, lisible et inscrit dans la durée.

Aller vers ceux qui ne demandent rien

La réalité des personnes à la rue, celles qui ne demandent rien ou qui refusent de se rendre dans les centres d’hébergement d’urgence, n’est pas marginale. Elle nous interroge sur les services que nous devons leur rendre et appelle à mettre en œuvre de manière volontariste des actions permet-tant d’aller vers elles au lieu d’attendre qu’elles fassent une demande.

Propositions

1. Commençons par un diagnostic partagé

La Fnars souhaite que soit organisée une « conférence de consensus » sur l’urgence, qui s’inspire du modèle utilisé dans le secteur médical, pour définir les meilleures pratiques professionnelles en fonction de l’état des connaissances un jour donné. Elle réunirait les acteurs, les experts de l’ur-gence sociale, les chercheurs, les services de l’État, des représentants des collectivités locales. Il s’agirait :

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– d’établir un état des lieux partagé (profils des publics de l’urgence, durées de séjour, liens avec l’insertion, liens avec l’hébergement durable et le logement, diversités des services, etc.),– de mettre en évidence de façon plus précise les processus qui conduisent à l’exclusion,– d’identifier des modes de prises en charge et des actions qui ont prouvé leur efficacité et ceux qui demandent à être améliorés,– de proposer des pistes permettant d’améliorer la connaissance des publics et les modalités d’évaluation des politiques publiques mises en œuvre,– de procéder à des comparaisons avec les autres modèles européens.Ce diagnostic partagé doit servir de base à l’élaboration d’une véritable politique de lutte contre les exclusions sur le long terme.C’est dans le cadre du consensus ainsi élaboré que les propositions suivan-tes pourront s’inscrire dans une politique globale.

2. Mesurer systématiquement les conséquences des décisions publiques sur les situations d’exclusion

Si l’État est garant des solidarités, il lui revient de s’assurer que les déci-sions publiques ou certaines d’entre elles ne conduisent pas au contraire à accroître la précarité. Cette vigilance ne peut reposer sur le seul ministère en charge des affaires sociales, elle doit s’imposer, pour éviter les politiques publiques contradictoires, à l’ensemble des secteurs à partir d’une appro-che transversale. Il est ainsi proposé que chaque nouvelle loi ou chaque nouveau dispositif public fasse systématiquement l’objet d’une évaluation préalable qui permette de mesurer ses conséquences sur l’évolution des inégalités sociales et des situations de précarité.

3. Favoriser l’émergence d’instances locales de prévention

La Fnars encourage les lieux de concertation et toutes formes de liens entre les professionnels de différents domaines (l’école, les caisses d’allocations familiales, les commissions de surendettement, les bailleurs, les assistants sociaux...). Il s’agit :

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– d’exercer une fonction de vigilance en amont en repérant des situations personnelles et familiales qui se dégradent,– d’élaborer et proposer en commun des interventions et des solutions coordonnées pour éviter le basculement dans la grande exclusion.Ces instances ne peuvent toutefois être utiles que si la méthode, les objec-tifs et le pilotage de tels lieux sont définis préalablement.

4. Coordonner les acteurs locaux

Une organisation concertée sur chaque territoire doit permettre d’assurer la cohérence et la complémentarité des interventions de l’ensemble des acteurs confrontés de près ou de loin à des situations d’urgence, et au-delà, de proposer des adaptations de l’offre de services face aux besoins repérés.Les comités départementaux de veille sociale ont précisément ce rôle. Pilotés par les préfets, ils doivent regrouper les services de l’État, des collectivités locales, des Centres communaux d’action sociale (CCAS), les représentants des services de premier accueil (115, accueils de jour, équipes mobiles…). Des comités fonctionnent déjà, certains uniquement l’hiver. Il conviendrait de les étendre à l’année, d’en créer dans tous les départements et de les élar-gir à d’autres partenaires tels que les établissements hospitaliers, les autres services d’urgence (pompiers, Samu…), les bailleurs sociaux…Ces comités peuvent permettre d’assurer une meilleure coordination entre les services de l’État qui gèrent une partie des aides et les services des collectivités territoriales qui en gèrent d’autres. Ils peuvent également contribuer à rapprocher les services sociaux et médicaux pour organiser la prise en charge des personnes en s’appuyant ainsi sur des diagnostics cohérents.

5. Des services de base pour rompre avec l’errance

Les réponses doivent être autant qualitatives que quantitatives. Il ne suffit pas d’accroître le nombre de places, ce qui a d’ailleurs été fait ces dernières années, mais de décliner un ensemble d’offres en fonction des différents publics. Pratiquement, il est indispensable d’offrir une gamme complète de servi-ces qui permettent aux personnes en situation de précarité de conserver,

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autant que possible, une vie sociale et de trouver l’énergie nécessaire à une dynamique d’insertion.Il s’agit entre autres de développer :– des lieux d’accueil permanents, ouverts 24h/24 qui offrent un vrai repos, un véritable point d’ancrage et évitent l’errance en journée,– des lieux où se trouvent des consignes qui permettent aux personnes sans abri de déposer en toute sécurité leurs effets personnels ; faute de quoi elles se trouvent entravées et stigmatisées dans leurs déplacements et lors de démarches administratives ou professionnelles,– des lieux de domiciliation bien identifiés qui leur permettent de recevoir leur courrier et de disposer d’une adresse postale, indispensable pour accé-der aux aides telles que RMI ou CMU, pour trouver un travail…Sans oublier des services d’aide alimentaire, des toilettes en accès libre dans les lieux publics…La présence de nombreux jeunes adultes dans l’urgence doit conduire à imaginer pour eux des réponses spécifiques, avec des passerelles souples qui leur permettent de reprendre un parcours d’insertion et de formation.

6. Des accueils spécifiques pour les personnes très marginalisées

Les personnes les plus marginalisées ne sont pas en mesure de s’inscrire dans un projet d’insertion. Celles qui vivent dans la rue depuis longtemps – les « clochards » – sont souvent connues des services sociaux et bien localisées. Il est possible de travailler avec elles, à condition de disposer d’équipes pluridisciplinaires (infirmiers, infirmiers psychiatriques, auxi-liaires de soins…) qui puissent intervenir dans la durée.Pour elles, la Fnars soutient la création de lieux de vie ouverts 24h/24, fondés sur un principe d’accueil inconditionnel, sans limitation de durée de séjour, offrant un accompagnement sanitaire et social adapté et appli-quant des règles de fonctionnement souples. Ces règles doivent intégrer les problématiques qui sont par ailleurs sources de leur exclusion : l’alcool, le manque d’hygiène, l’incontinence, la toxicomanie, la maladie mentale... À condition de bénéficier de l’accompagnement d’une équipe de soins psychiatriques, ce type de lieux peut également permettre d’accueillir

L’accueil d’urgence en question

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certaines personnes ayant des comportements violents, que les autres structures refusent d’héberger.

7. Développer les équipes mobiles pour aller vers les plus exclus Les équipes mobiles sont en pratique le seul moyen d’entrer en contact avec des personnes qui ne viennent pas d’elles-mêmes dans les centres. Certaines équipes peuvent se limiter à des interventions de type humani-taire et nocturne : distribution de repas et de couvertures, transport vers les lieux d’hébergement, etc. Cependant, il faut aller plus loin en dotant des équipes mobiles de pro-fessionnels (travailleurs sociaux, médecins…) en nombre suffisant pour qu’elles travaillent tout au long de l’année à tisser des liens avec les per-sonnes les plus désocialisées, veiller sur les plus fragiles d’entre elles et enclencher une médiation vers les partenaires sociaux et médico-sociaux. Cette démarche se mène dans la durée, elle est difficilement quantifiable mais ses effets se mesurent sur le long terme. Elle nécessite notamment d’intervenir en journée, c’est-à-dire au moment où les personnes sont les plus réceptives et les services sociaux disponibles pour saisir toute demande qu’elles viendraient à exprimer.

L’accueil d’urgence en question

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Constat général

Lorsque l’emploi stable se fait plus rare et que la société française glisse du salariat au « précariat », pour reprendre le terme du sociologue Robert Castel, les plus fragiles sont les premiers à se retrouver aux marges du marché du travail : les intérimaires, les saisonniers, les vacataires du ser-vice public, les jeunes sans formation, les salariés à temps partiel subi... Il existe plusieurs approches de la pauvreté, selon qu’on souhaite l’obser-ver sous sa seule dimension monétaire ou selon qu’on souhaite l’appré-hender par les conditions de vie. En s’en tenant à l’approche monétaire, et en prenant la définition européenne du seuil de pauvreté 1, on compte aujourd’hui 7 millions de personnes qui vivent en dessous de ce seuil en France (sans oublier ceux qui sont juste au-dessus, dont les conditions de vie ne sont pas très différentes). Bien sûr, avec les mêmes revenus, on n’est pas pauvre de la même manière selon la composition du ménage, le type de logement, l’endroit où l’on habite (centre ville, périphérie, campagne). Une personne seule vit sous

LES EXCLUS DE L’EMPLOI ET LES TRAVAILLEURS PAUVRES

1. Seuil de pauvreté = 60 % du revenu médian, c’est-à-dire le revenu qui sépare en deux parts égales l’ensemble de la population : la moitié de la population touche moins, la moitié touche davantage.

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le seuil de pauvreté monétaire si elle dispose de moins de 774 € par mois (Insee, chiffres 2003). Pour fixer grossièrement les idées, il faut 1,5 Smic pour qu’un couple avec deux enfants dépasse ce seuil. Parmi ceux qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté, on compte environ 3 millions de « travailleurs pauvres », c’est-à-dire des personnes qui, bien qu’actives, vivent dans un ménage pauvre. Il s’agit notamment de salariés en temps partiel subi, mais aussi de travailleurs indépendants. Pour eux, la précarité au travail risque de n’être que la première étape d’un processus d’exclusion plus global.Les « travailleurs pauvres », même salariés, sont exclus des systèmes de solidarité traditionnels, qu’il s’agisse des droits au chômage, à la santé ou à la retraite, parce que ces droits sont attachés au statut de travailleur à plein temps. Nous sommes dans des mondes cloisonnés où la représentation des chômeurs et des précaires n’est pas suffisamment assurée par les partenaires sociaux, même si les organisations syndicales de salariés se préoccupent davantage de la précarité et de l’exclusion qu’auparavant.

L’expérience de la Fnars

Qui sont aujourd’hui les exclus de l’emploi ?

Les exclus de l’emploi cumulent de plus en plus de difficultés, des pro-blèmes de formation et d’adaptation au marché de l’emploi, mais aussi un mauvais état de santé, des problèmes de logement, de mobilité (pas de permis de conduire, pas de véhicule), des difficultés de relations sociales, etc. Certains ont traversé des histoires douloureuses qui ne leur ont pas permis de se construire et de s’intégrer dans la société.

■ LES PROBLÉMATIQUES PARTICULIÈRES DES PERSONNES « TRÈS ÉLOIGNÉES DE L’EMPLOI »

« Le manque de socialisation de certaines personnes se traduit par des pertes et des carences de repères et des modèles professionnels, et par des manques de qualification. À cela s’ajoutent l’illettrisme, l’analphabétisme, les troubles psychologiques et du comportement, les conduite addictives. À l’entrée en CHRS, 90 % des personnes ne travaillent pas et 70 % sont très

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Les exclus de l’emploi et les travailleurs pauvres

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Une présence accrue de « travailleurs pauvres » dans les centres d’hébergement

Nous n’avons longtemps accueilli que des personnes sans revenus ou allo-cataires de minima sociaux. Depuis quelques années, nous voyons arriver dans les établissements des personnes pauvres qui, pourtant, travaillent dans des entreprises classiques (emploi partiel subi, précaire, saison-nier ou intérimaire). Elles exercent presque toujours un emploi à temps partiel. Elles se retrouvent dans les centres d’hébergement, brutalement confrontées à un problème de logement (expulsion, rupture familiale ou conjugale), ou sans jamais avoir eu la possibilité financière d’en avoir un (les jeunes notamment).Dans les structures d’accueil d’urgence, il s’agit majoritairement d’hom-mes, dont beaucoup de jeunes. Dans les centres qui offrent un hébergement plus long, on trouve majoritairement des femmes, souvent accompagnées d’enfants.

<<<éloignées de l’emploi. Leur rapport au travail est dévalorisé, elles rejettent souvent les contraintes et l’autorité, et l’accumulation d’échecs antérieurs les amènent aussi à élaborer des stratégies d’évitement du monde du travail.Avant d’envisager un retour à l’emploi, il faut entamer des actions visant : l’accès aux soins, l’estime de soi, ainsi qu’un travail sur les repères, l’autorité, les valeurs. »

États généraux – Fnars Auvergne

■ TRAVAILLER, ÇA APPAUVRIT

« Les modes de calcul des minima sociaux sont parfois jugés inadaptés aux réalités des personnes concernées et peu mobilisateurs, lorsque le fait de reprendre un emploi temporaire ou intérimaire peut induire une perte de l’allocation conduisant à un revenu inférieur au seul RMI.La précarité n’est pas là où l’opinion publique semble la voir. Les allocataires du RMI ne sont pas les plus précaires. Ceux qui ont des “petits boulots”,

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Les exclus de l’emploi et les travailleurs pauvres

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Ces personnes sont d’abord confrontées à des problèmes de ressources trop faibles. Il va de soi qu’un travailleur pauvre, sans problème d’exclu-sion au départ, risque de se retrouver pris dans la spirale de l’exclusion : faibles ressources, perte du logement, perte de confiance en soi, perte du réseau social.Après avoir épuisé l’ensemble des dépannages temporaires (séjour à l’hô-tel jusqu’à épuisement des économies, recours aux amis, etc.), les salariés pauvres vivent comme un échec douloureux le fait de se retrouver en centre d’hébergement d’urgence, comme l’a pointé le rapport de Xavier Emmanuelli et Bertrand Landrieu publié en mai 2006 2. La cohabitation en chambre collective, les horaires stricts, la fermeture des centres pendant la journée et le week-end, la cohabitation avec des personnes sans emploi, rendent souvent difficile la conciliation de ces conditions de vie avec le maintien dans l’emploi.

<<<des contrats temporaires, des temps partiels et qui ne sont pas inscrits dans des dispositifs (ou en sortent) sont dans des situations de précarité parfois bien plus grandes. »

États généraux – Fnars Aquitaine

« La notion même de “travailleur pauvre” est un paradoxe puisqu’il oppose le travail et la pauvreté, alors que le travail a longtemps été présenté comme une solution pour sortir de la pauvreté. Passer d’un revenu minimum à un travail salarié n’est plus une promotion, parce que les aides au logement et les aides de droit commun (comme la CMU) diminuent voire disparaissent. Travailler, ça appauvrit. Les travailleurs pauvres stagnent dans les centres d’hébergement parce qu’ils n’arrivent pas à accéder au logement, ou alors ils s’endettent pour se maintenir dans leur logement. »

États généraux – Fnars Lorraine

2. « L’hébergement d’urgence des travailleurs en situation de précarité en Île-de-France et à Paris ».

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La vocation de l’Insertion par l’activité économique (IAE)

Les Structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) se sont dévelop-pées dans les années 80, sur l’initiative de travailleurs sociaux à la recherche de nouveaux outils de réinsertion pour les exclus de l’emploi. Il s’agissait pour eux de créer des passerelles vers le monde du travail. Leur dénomina-teur commun est l’utilisation du support « travail » comme outil de réinser-tion. Elles ont à la fois un pied dans le monde de l’insertion sociale et de la solidarité, un autre dans le monde économique « classique ».Les structures d’insertion par le travail du réseau Fnars accueillent princi-palement des bénéficiaires de minima sociaux et des chômeurs de longue durée. Elles ont pour mission d’accueillir sans condition, quelles que soient les personnes, et en particulier celles qui sont très éloignées de l’emploi. Par leur diversité, les SIAE peuvent proposer un accompagnement sur la totalité du parcours d’insertion, depuis le réentraînement au travail jusqu’à l’accompagnement dans l’emploi.

■ LES TRAVAILLEURS PAUVRES DANS LES CENTRES D’ACCUEIL

La Fnars a commencé à rassembler des données sur le thème des travailleurs pauvres. – L’Observatoire social de Nantes a réalisé une enquête auprès des personnes hébergées en structures d’urgence sociale de Nantes, lors du 1er semestre 2006. Sur 777 ménages ayant bénéficié des services de l’urgence sociale, 75 personnes ont déclaré une activité salariée, soit 9,65 % (73% d’hommes, 27% de femmes). Parmi ces personnes, 29% étaient en intérim, 22% en CDI. 48% travaillaient à temps complet.– En Île-de-France, 21 % des personnes hébergées dans les structures d’accueil d’urgence travaillent. Elles sont 42 % dans les CHRS.– Les structures d’urgence de Châteauroux comptent 10 % de travailleurs pauvres parmi les personnes qui se présentent pour la première fois. Ce chiffre a doublé en cinq ans. Beaucoup sont en contrat d’insertion ou en intérim.

États généraux – Veille sociale 44 de Nantes,

Enquête 2004 (Fnars – Mipes – Drassif Île-de-France) et Châteauroux.

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La Fnars fédère aujourd’hui un tiers des chantiers d’insertion associatifs (soit plus de 650 au niveau national). En raison de leur faible seuil d’exigence, les chantiers accueillent ceux qui cumulent difficultés sociales et professionnelles. Ils leur proposent des formes d’emploi souples, en durée, en contraintes, et en exigences professionnelles. Les équipes des chantiers valorisent les trajectoires antérieures des personnes en insertion, afin de leur redonner confiance, de recréer un sentiment d’utilité sociale et de construire l’avenir. Les chantiers visent une double mission :– en premier lieu, prendre en compte les difficultés individuelles de la personne (logement, santé, liens familiaux et sociaux…). Lorsqu’on a été longtemps sans travail, prendre en compte l’ensemble de ces fragilités est un gage de réussite– ensuite, améliorer ses capacités professionnelles et ses capacités d’accès à l’emploi.Les structures de l’IAE s’inscrivent dans le cadre de l’économie solidaire, « un mouvement qui regroupe des milliers d’initiatives locales pour produire, con-sommer, employer, épargner et décider autrement. Les entreprises solidaires se battent sur le marché, comme les autres, et doivent donc être performan-tes. Mais en plus, elles emploient des personnes exclues ou qui risquent de l’être » 3. Elles valorisent et revitalisent les espaces fragilisés en milieu urbain et rural. Elles contribuent à rompre l’isolement des personnes les plus fragiles et jouent un rôle essentiel dans la préservation du tissu social local. Peut-on recréer un triangle vertueux entre l’emploi, la cohésion sociale et la démocra-tie ? Peut-on permettre aux plus fragiles de vivre dignement de leur travail ? Nous en sommes convaincus. Nous pensons que l’économie solidaire consti-tue un pôle de résistance à l’individualisme marchand qui mine la société.

■ LES PARCOURS D’INSERTION DE MÉNAGE SERVICE

« Les “Ménage service” accueillent des personnes connaissant des difficultés sociales et professionnelles et leur proposent d’assurer des activités de services chez des particuliers (tâches ménagères, garde d’enfants…), >>>

3. Manifeste de l’économie solidaire dont la Fnars est signataire, aux côtés du CNIAE, de la CFDT, de Solidarités nouvelles face au chômage, de France Active, d’Emmaüs France, de la Cimade… Le Monde du 22 septembre 2006.

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<<<des entreprises et des collectivités (nettoyage de bureau, bricolage...). À leur arrivée, les personnes sont pour la plupart allocataires du RMI ou demandeurs d’emploi longue durée. En 2005, les 19 structures Ménage service de la Fnars ont accueilli 2 332 personnes. Un tiers d’entre elles ont été en capacité de quitter les structures d’insertion, soit en CDI (15%), soit en CDD (15%), ou ont démarré une formation (7%). Ces sorties vers l’emploi ou vers la formation montrent que les actions d’accompagnement sont opérantes.La réussite des Ménages service repose sur la formation des personnes, la professionnalisation des métiers, le tutorat et l’accompagnement. Malgré leur réussite, la durée annuelle de formation par salarié est passée de 40 à 19 heures entre 2002 et 2005, en raison de la réduction du financement de la formation. »

États généraux – Fnars Ménage service

■ LES RÉUSSITES DE L’IAE, L’EXEMPLE DES PAYS DE LOIRE

« 45% des personnes qui passent en Structure d’insertion par l’activité économique (SIAE) retrouvent un emploi à l’issue de leur période d’insertion et 7% entreprennent une formation. Ce qui peut paraître plus surprenant, c’est qu’elles créent plus de richesses qu’elles n’en reçoivent. L’analyse des seuls flux financiers des SIAE de la région Aquitaine en fait la démonstration. Une étude * a été réalisée en 2003 auprès d’un échantillon représentatif des 340 structures d’IAE, qui accueillent 23 000 personnes en insertion salariée chaque année. Sur une année, les SIAE ont reçu de la collectivité publique 37,7 M€ de subventions et 7,4M€ d’exonérations. En parallèle, elles ont restitué à la même collectivité 87,4M€ en charges patronales et impôts.

Coûts pour la collectivité M€ Gains pour la collectivité M€

Subventions 37,7 Charges patronales 15,1Exonérations 7,4 Impôts et taxes 3,3

Économies (coûts évités en revenus d’assistance) 69

Total coûts 45,1 M€ Total gains 87,4

L’IAE, un investissement rentable pour la nation (source Étude CNIAE/Avise 2004)

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Les exclus de l’emploi et les travailleurs pauvres

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Le GEIQ, un pont vers les entreprises « classiques »

La Fnars a été à l’origine du réseau des Groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ). Les GEIQ permettent aux entreprises de se regrouper pour employer une main d’œuvre qu’elles n’auraient pas, seules, les moyens de recruter. Le GEIQ est l’employeur et met ses salariés à disposition des entreprises adhérentes. Il a notamment pour objectif d’accélérer l’accès à un emploi stable, par l’immersion dans le monde du travail, par le choix et l’acquisition d’une qualification. Le réseau des GEIQ a fait la démonstration que les entreprises peuvent embaucher des publics en situation d’exclusion professionnelle, à con-dition de s’appuyer sur un triptyque : formation, accompagnement et tutorat.

<<<Par ailleurs, les SIAE ont réinjecté dans l’économie locale les salaires versés (67,2 M€), achats et prestations (27,3 M€), soit 94,4 M€.Si l’on considère ce que l’IAE a réinjecté dans l’économie d’un côté et ce qu’elle a reçu en aides publiques de l’autre, la richesse nette créée a été de 40 M€. Et en coûts évités pour la collectivité, ce sont 69 M€ qui ont été économisés. »

États généraux – Fnars Pays de Loire

* État des lieux de l’Insertion par l’activité économique dans les Pays de la Loire, 2004. CNIAE / Avise.

■ LES GEIQ : 70 % DES SORTIES S’EFFECTUENT VERS L’EMPLOI

« Les Groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ) regroupent plus de 3 000 entreprises (essentiellement des PME) qui parient sur le potentiel des personnes en difficulté d’accès à l’emploi pour résoudre leurs problèmes structurels de recrutement.Entièrement pilotés et gérés par les entreprises adhérentes, mais respectueux de la charte nationale, les GEIQ ont ainsi la possibilité de mettre en place dans le cadre de parcours d’insertion et de qualification

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L’insertion par l’activité économique soumise à la pression du chômage de masse

Sous la pression du marché du travail qui exige de plus en plus de quali-fications, de plus en plus de compétences, les structures d’insertion par l’économique se voient aujourd’hui contraintes d’embaucher des per-sonnes qui ne sont pas forcément en situation d’exclusion sociale, mais qui sont inadaptées aux exigences du marché du travail. Nous constatons que certains travailleurs, employables et sans graves problèmes sociaux, se retrouvent en structures d’insertion, faute de trouver un emploi peu qualifié, devenu de plus en plus rare.

L’accès à l’emploi « classique » devient plus difficile, avec l’effet pervers que l’on observe souvent : les salariés en insertion décrivent des allers-retours

<<<une véritable médiation entre salariés, entreprises et organismes de formation. Ces parcours, mutualisés entre différentes entreprises adhérentes, permettent à de nombreux travailleurs d’obtenir la qualification et l’expérience professionnelle nécessaires à une insertion durable. Ils permettent également à de jeunes adultes de disposer d’une deuxième chance pour construire un projet professionnel.Chaque année près de 70 % des sorties s’effectuent vers l’emploi. 85% des contrats terminés aboutissent à l’obtention d’une qualification.

États généraux Fnars – CNCE-GEIQ

■ DES RECRUTEMENTS AUX EXIGENCES DISPROPORTIONNÉES

« Le contexte du marché de l’emploi est marqué par la surqualification des postes de travail et des exigences surdimensionnées par rapport aux compétences nécessaires pour tenir le poste. Cette évolution du recrutement conduit à l’exclusion de publics de basse qualification qui disposent pourtant de compétences au regard de la tâche de travail proposée. Certaines exigences des employeurs, par exemple le fait de posséder le permis B, sont irrationnelles vis à vis de l’emploi proposé. »

États généraux – Fnars Île-de-France

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entre contrats aidés et minima sociaux. Au lieu de tracer des trajectoires vers l’emploi, il se crée une « zone grise » de l’emploi aidé dont les person-nes sortent difficilement. L’installation dans la précarité devient une sorte de « régime de croisière ».Ce constat a été confirmé par un rapport sur les Ateliers et chantiers d’in-sertion (ACI), qui montre qu’en 2004, « les sorties vers l’emploi des salariés en ACI n’ont pas dépassé 27 % des sorties totales. En y ajoutant les sorties vers les parcours de formation ou des embauches vers d’autres structures d’insertion, ce taux de sortie positive atteint un peu plus de 40 % » 4. Par ailleurs, 34 % de ces salariés reviennent au chômage et à l’inactivité, et 26 % sont perdus de vue.C’est une conséquence directe de la mutation du marché du travail, mais elle fait peser un soupçon sur l’efficacité des structures d’insertion. Finalement, à quoi servent-elles ? Les pouvoirs publics mettent systématiquement en avant les coûts de l’insertion, sans pointer les économies qu’elle engendre à plus long terme (voir l’étude Pays de Loire p. 53), et sans appréhender les parcours individuels des gens les plus fragiles. Parallèlement, en mettant l’accent sur le retour rapide à l’emploi, les orientations actuelles des politiques publiques privilégient les personnes facilement insérables, au détriment des plus fragi-les, pour lesquelles le parcours d’insertion est forcement plus long.

Les contrats aidés ne permettent pas toujours de sortir de la pauvreté

Les associations constatent qu’un grand nombre des personnes qu’elles accueillent vivent sous le seuil de pauvreté, même lorsqu’elles travaillent, qu’il s’agisse de travailleurs en emploi « classique » (temps partiel subi, intérim, saisonnier, etc.) ou de salariés en insertion. Le diagnostic avait déjà été posé pour les Contrats emplois solidarité (CES). Ils ne permettaient pas de sortir de la pauvreté, en raison de la contrainte horaire (20 heures maximum) entraînant un salaire d’un demi-Smic, et aussi en raison de la perte de tout un ensemble d’aides associées aux minima sociaux et qui disparaissaient lors de la reprise d’emploi (aides au logement diminuées, perte du tarif « EDF démunis », aides locales, aides alimentaires, etc.).

4. Rapport d’enquête sur les Ateliers et chantiers d’insertion, Igas/IGF, mai 2006.

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Ce diagnostic est encore valable pour les nouveaux contrats aidés, même si le Contrat d’avenir (CA) permet de travailler jusqu’à 26 heures. Le Contrat d’accompagnement dans l’emploi (CAE) devait initialement permettre d’aller jusqu’à 35 heures, mais l’aide de l’État se trouve aujourd’hui en fait limitée à 24 heures. Il est à craindre que ces plafonds ne maintiennent nombre de personnes dans une situation de pauvreté monétaire. 26 heures au Smic, cela représente une rémunération mensuelle de 700 € net. C’est légèrement au-dessous du seuil de pauvreté pour une personne seule, et largement en dessous dès que le ménage compte plusieurs membres.Ce n’est pas la responsabilité des structures d’insertion qui est en cause, mais celles des politiques de lutte contre l’exclusion. Pour les salariés en insertion, il est difficile de comprendre que cette pauvreté monétaire sub-siste, malgré le retour à l’emploi et les efforts que cela suppose.

■ DES EFFETS DE SEUIL PARALYSANTS

« Les politiques sociales ont créé un certain nombre de dispositifs prévoyant des conditions de ressources pour leur accès. (…) Ces seuils, qu’il ne faut pas dépasser pour être bénéficiaires des dispositifs, provoquent à l’inverse des situations d’exclusion lorsque, dépassés de très peu, ils privent les personnes de certaines autres aides, les mettant rapidement dans une difficulté parfois encore plus grande qu’auparavant. L’effet pervers induit pourrait être d’inciter d’une certaine manière certaines personnes à rester dans leur situation lorsqu’elles ont pris conscience que le fait d’utiliser tel ou tel dispositif les prive en retour de certaines aides qui leur permettaient jusque-là de survivre. Cette situation est jugée tout à fait paradoxale. »

États généraux – Fnars Aquitaine

« N’est-il pas aberrant de constater qu’il est plus intéressant financièrement pour une maman avec des enfants de rester à la maison et toucher les allocations, plutôt que de chercher un emploi aux revenus précaires ? Les allocations assurent une rentrée d’argent stable et permettent davantage d’accéder au logement autonome, mais pour un temps donné, et après ? »

États généraux – Fnars Picardie

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Les nouveaux contrats (CAE et CA) garantissent des droits sociaux ren-forcés par rapport aux CES. Mais ceux-ci avaient le mérite d’une certaine souplesse qui permettait de construire des parcours évolutifs. Ils permet-taient l’accès à des formations financées par l’État. Ils étaient suspensifs et permettaient une alternance avec l’intérim et les CDD. Une personne en CES (20 heures) pouvait passer en CEC (jusqu’à 35 heures) pour accroître ses revenus, accéder au logement, etc. Cela permettait de construire des parcours modulés, jusqu’à 6 ou 7 ans, en passant d’un CES à un CEC. On pouvait ainsi maintenir en activité des salariés relativement âgés jusqu’à leur retraite.Ce n’est plus le cas. Les nouveaux contrats sont limités à 3 ans, on ne peut pas les alterner selon l’évolution du parcours d’insertion de la personne puisqu’ils dépendent en fait de son statut antérieur. Dans certains cas, ils sont même limités à six mois non renouvelables, par décision du préfet de région.

■ LES NOUVEAUX CONTRATS AIDÉS S’AVÈRENT INADAPTÉS À L’INSERTION DES PERSONNES EN GRANDE DIFFICULTÉ

« Tout au long du contrat aidé, le chargé d’accompagnement et le salarié en insertion travaillent ensemble pour construire et déterminer les pistes d’orientation d’un projet professionnel, en vue d’une réinsertion durable. Avec la personne, il faut travailler sur plusieurs critères d’aptitudes tels que le savoir-être, la ponctualité, la mobilité.Pour confirmer leurs aptitudes professionnelles, avant, il y avait les stages en entreprise, aujourd’hui, avec les nouveaux contrats, c’est impossible. (…) Le stage permettait au salarié en insertion de confirmer définitivement son projet ou, à l’inverse, de l’aider à prendre conscience que son projet n’aboutira pas ou qu’il devra passer par plusieurs étapes avant d’y parvenir : remise à niveau, formation qualifiante, résolution de certains problèmes de santé (ex : consommation d’alcool ou autres substances).Le manque de formation dans le cadre des nouveaux contrats ne permet plus d’adapter une formation en lien avec le projet et l’expérience de la personne en insertion.Avec les CES, le salarié avait la possibilité de cumuler un autre emploi dans la limite de 35 heures, allant jusqu’à 39 heures maximum par semaine. Il était également possible de suspendre son contrat le temps >>>

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Il importe de souligner que ces nouveaux contrats sont financièrement lourds à porter par les structures d’insertion, dont la productivité est limitée par leur engagement à accueillir les plus éloignés du marché du travail. Cette situation fragilise l’équilibre économique de nombre de ces structures. La question de leur survie est posée.

Orientations

L’insertion par l’activité économique remplit une mission sociale que la société doit prendre en charge

Les structures d’insertion par l’activité économique assurent une action écono-mique et une mission sociale d’accompagnement, d’encadrement et de forma-tion. Elles contribuent aussi au maintien du tissu social local. Les entreprises d’insertion travaillent dans le secteur concurrentiel et sont soumises aux mêmes

<<<d’une mission d’intérim ou d’un CDD. Cette période permettait souvent à la personne d’évoluer vers le temps plein, tout en gardant la possibilité de reprendre son contrat d’insertion en cas de période d’essai non concluante.Le CA et le CAE ne sont pas adaptés à l‘insertion sociale et professionnelle des personnes en grande difficulté : manque de formation, manque d’alternance avec une entreprise, cumul emploi, stage, etc. »

L’Entr’Aide Ouvrière – Tours – Fnars Centre

■ LA FORMATION SACRIFIÉE

« Les formations sont aujourd’hui sacrifiées par les nouveaux contrats aidés. La formation complémentaire est pourtant indispensable à une reprise d’activité dans le cadre d’un parcours d’insertion professionnelle. Dans certaines régions, des choses se mettent en place à l’initiative des collectivités locales pour pallier cette carence, parfois autour des maisons de l’emploi. Ces collectivités font le choix d’un effort financier et affiche une réelle ambition pour bâtir des parcours d’insertion de qualité. Ce n’est pas le cas partout. »

États généraux – Fnars Nord-Pas-de-Calais

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contraintes et aux mêmes charges que les entreprises ordinaires. Elles ne peuvent compter que sur les exonérations de charges sociales et les aides (aide au poste, à l’accompagnement, etc.), dont elles bénéficient pour compenser les surcoûts liés à la spécificité du public qu’elles accueillent et à l’accompagnement qui leur est nécessaire. C’est encore plus problématique pour les Ateliers et chantiers d’insertion, dans lesquels l’activité d’accompagnement social et professionnel occupe une place beaucoup plus large. La Fnars souhaite que le soutien public aux structures d’insertion soit pérennisé pour la part de leur activité qui ne relève pas du secteur marchand, c’est-à-dire leur mission d’insertion.

Les personnes en contrat aidé doivent pouvoir vivre au-dessus du seuil de pauvreté

Qu’il s’agisse des anciens ou des nouveaux contrats, ils restent complexes à appréhender, pour les personnes salariées et pour ceux qui les encadrent. Le choix de l’un ou de l’autre est incompris, vécu comme aléatoire et injuste. Ainsi, comment expliquer à une personne en contrat d’avenir qu’elle ne peut franchir la barre des 26 heures, alors que son collègue peut travailler plus longtemps en contrat d’accompagnement vers l’emploi ? Surtout, la société française envoie un message contradictoire aux plus démunis, en les incitant fortement à travailler – en les culpabilisant s’ils ne le font pas –, mais en les maintenant dans la pauvreté par les contrats aidés. Pour que leurs efforts d’in-sertion aient un sens, il est indispensable que toute reprise de travail dans le cadre de l’insertion par l’activité économique entraîne une augmentation des ressources. C’est en effet en considérant que le salarié en emploi aidé est un salarié comme un autre qu’on l’accompagnera efficacement vers l’insertion.

L’accompagnement vers l’entreprise « classique »

Vivre, c’est d’une certaine façon parvenir à transformer en ressources les épreuves qui jalonnent nos parcours et chacun ne lutte pas à armes égales face aux difficultés de la vie. Pour les plus fragiles, l’accompagnement vers l’entreprise « classique » doit s’inscrire dans une problématique de transition et se prolonger au-delà de la signature du contrat de travail. Pour réussir ce passage, trois conditions sont nécessaires : une formation en alternance adaptée aux besoins de la personne et de l’entreprise ; un accompagnement social et professionnel, un tutorat en entreprise.

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Le monde de l’IAE (Insertion par l’activité économique) et celui de l’entreprise « classique » sont souvent deux mondes qui s’ignorent. Si les structures de l’IAE s’engageaient dans un rapprochement avec le monde de l’entreprise, il est probable que les salariés en insertion en bénéficieraient.

La formation est un antidote à l’exclusion

S’il est vrai que la formation est une condition nécessaire mais non suf-fisante de l’accès à l’emploi, elle reste pour les personnes en difficulté professionnelle une étape qui rompt le processus d’exclusion.

Propositions

1. Créer un contrat d’insertion unique

Pour contrer l’émiettement des statuts, la multiplication et la complexité des contrats – où les travailleurs sociaux, pas plus que les salariés en insertion, ne se repèrent véritablement – la Fnars préconise une remise à plat des con-trats aidés. Elle demande que les contrats de travail destinés aux personnes en difficulté entrent dans le champ des contrats de travail de droit commun (conventions collectives, protection sociale, mais aussi suivi par les parte-naires sociaux, etc.), tout en étant subventionnés pour la partie « insertion » dans le cadre d’une compensation financée par les pouvoirs publics.La Fnars propose le remplacement des nouveaux contrats par la création d’un contrat d’insertion unique qui puisse prendre en compte les spécifici-tés de chaque personne en situation d’exclusion. L’objectif est d’assouplir les modalités de mise en œuvre, de les rendre plus simples et plus lisibles. Ce nouveau contrat serait :– un contrat simplifié, qui serait ouvert à tous types de publics, indépen-damment de leurs statuts ;– un contrat dans la durée, selon les besoins, offrant de la stabilité et de la visibilité pour le salarié ;– un contrat souple en termes d’horaires hebdomadaires, pouvant suivre l’évolution professionnelle du salarié ;– un contrat qui comporterait un volet de formation et d’accompagnement social et professionnel.

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Pour utiliser ce nouveau contrat dans les meilleures conditions, la Fnars sou-haite que soit attribuée aux employeurs associatifs une enveloppe globale, afin de pouvoir prendre en compte la diversité des situations des personnes. Le contrôle des modalités d’applications de ce contrat s’exercerait a posteriori. En attendant la mise en œuvre de ce contrat unique, la Fnars demande à l’État de respecter ses engagements concernant le surcoût généré par le CA et le CAE, surcoûts notamment dus à l’application des conventions collectives, afin de ne pas mettre en péril les structures qui permettent aux salariés d’avoir un statut de droit commun.

2. Combiner les revenus du travail et ceux de la solidarité

Pour que toute personne qui travaille ne soit plus victime de la pauvreté monétaire, la Fnars plaide pour une réforme des minima sociaux, afin d’assurer à chaque famille un niveau de ressources supérieur au seuil de pauvreté. Le cumul temporaire d’un minimum social avec un revenu d’activité est une mesure pouvant favoriser la reprise d’emploi.La Fnars est favorable à l’expérimentation de dispositifs permettant de cumuler revenus du travail et revenus d’assistance, dans l’esprit du Revenu de solidarité active proposé par le rapport de la commission « Familles, vulnérabilité, pauvreté » 5, à condition qu’ils soient accompagnés de l’en-semble des garde-fous préconisés par la commission (pénalités pour les entreprises qui recourraient davantage aux temps partiels, etc.).

3. Evaluer l’insertion par l’activité économique dans sa double dimension insertion sociale/accès à l’emploi

Pour surmonter la méconnaissance et le scepticisme qui touchent l’ac-tivité des structures d’insertion, la Fnars est favorable à l’évaluation des structures d’insertion, à condition que celle-ci ne porte pas sur les seuls critères financiers ou sur les taux de retour à l’emploi, critères insuffisants et non pertinents pour rendre compte de l’activité d’accompagnement. La Fnars souhaite s’engager dans une démarche de diagnostic partagé avec les pouvoirs publics et participer à l’élaboration d’indicateurs qualitatifs pertinents. Ainsi, on peut concevoir un indicateur d’insertion sociale, qui prendrait en

5. « Au possible nous sommes tenus », rapport de la commission présidée par Martin Hirsch en 2005.

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compte les parcours des personnes en insertion. Par ailleurs, on pourrait mettre en place des questionnaires de satisfaction (satisfaction quant au lien social, à l’accompagnement social, au contenu du travail, aux conditions de travail, etc.).

4. Adapter les conventions collectives pour qu’elles tiennent compte des diversités de l’insertion

La Fnars propose un avenant spécifique aux conventions collectives existan-tes, qui permette la reconnaissance des salariés des structures d’insertion. Cependant, en raison de leurs spécificités, les structures d’insertion, ne peuvent supporter seule la totalité du surcoût financier engendré par l’accès aux droits sociaux. Cet effort de solidarité doit être assumé par la collectivité nationale.

5. Améliorer la formation et la financer

Les formations proposées sont souvent inadaptées aux publics et aux entre-prises, trop longues et trop scolaires. Surtout, elles visent la qualification et les savoirs techniques, alors que les entreprises, lorsqu’elles embauchent, sont de plus en plus sensibles au comportement et au savoir être.La Fnars souhaite que soit développée une palette de programmes de for-mations permettant de répondre aux différents besoins – de l’illettrisme et des connaissances de base à la qualification professionnelle –, une meilleure adéquation entre les démarches pédagogiques mises en œuvre et les besoins de nos publics, rétifs en général aux actions de formation.

6. Faciliter le passage aux entreprises «classiques»

La Fnars veut poursuivre sa démarche volontariste de concertation entre les structures d’insertion par l’activité économique et les entreprises « classi-ques », afin de se connaître mieux, d’établir des passerelles, et de comprendre ce que les deux mondes peuvent s’apporter. Elle propose de créer un métier de « passeur vers l’entreprise », qui puisse accompagner les personnes une fois le contrat de travail signé et dédramatiser la perception du monde du travail « extérieur ». À ce titre, les propositions de l’Institut Montaigne 6 méri-tent d’être saluées : recruter des personnes employables bien que précaires, renforcer l’intégration des collaborateurs en précarité dans l’entreprise et

6. « Pauvreté, exclusion : ce que peut faire l’entreprise », rapport, février 2006.

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son environnement, les coacher, augmenter leur employabilité, mobiliser les réseaux des entreprises.

7. Développer l’épargne salariale solidaire

Depuis 2001, les salariés peuvent confier une partie de leur rémunération à des fonds salariaux solidaires créés dans les grandes entreprises, dont l’objet est d’investir dans des entreprises solidaires. Cette épargne doit être utilisée pour le développement des « très petites entreprises », mais aussi la création, le développement, le renforcement des structures d’insertion par le travail. Les fonds solidaires doivent s’engager à sécuriser l’épargne et assurer la traçabilité de l’usage des fonds.

8. Intégrer les structures IAE dans les bassins d’emploi

La Fnars demande que les structures IAE ne relèvent pas du seul secteur social, mais qu’elles soient intégrées dans l’organisation territoriale globale de traitement du chômage. En effet, une minorité de salariés ne sortent jamais véritablement du secteur de l’insertion par l’activité économique. Ils peuvent trouver leur place dans certaines formes d’organisation du travail, s’épanouir dans certaines activités (maraîchage, entretien forestier, rénovation de sites naturels, etc.), trouver du sens. Mais la législation actuelle ne permet pas de prolonger les contrats d’insertion au-delà d’une certaine durée. Les réponses existantes sont inadaptées à ces personnes qui du coup, circulent d’un chantier à l’autre.

9. Accepter que certaines structures d’insertion deviennent des entreprises solidaires et durables

Le réseau Fnars constate que la fonction de « sas » qu’il joue vers l’emploi « classique » ne répond plus à toutes les situations et qu’il faut imaginer d’autres parcours. Si les structures d’insertion doivent être intégrées aux bassins d’emploi comme acteurs intervenant auprès des plus exclus, elles sont aussi en train d’inventer de nouveaux métiers, notamment autour de l’environne-ment ou du recyclage. L’émergence de ces nouveaux métiers peut faire évoluer certaines structures vers un statut d’entreprise solidaire intégrant des salariés passés par le parcours d’insertion.

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Constat général

Le passage de l’enfance à l’âge adulte s’est profondément transformé depuis trente ans. Ce qui était alors une transition courte permettant de passer de la formation à l’emploi, de trouver un logement et de fonder une famille, est devenu un parcours du combattant qui s’éternise. La société française se montre peu accueillante pour sa jeunesse qu’elle laisse vulnérable face au marché de l’emploi et à la crise du logement 1. C’est particulièrement vrai pour les jeunes adultes issus des classes socia-les les plus défavorisées et ceux issus de l’immigration.Lorsqu’ils n’ont pas d’emploi (taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne nationale), les jeunes adultes de moins de 25 ans n’ont pas accès aux minima sociaux et ne peuvent compter que sur les solidarités familia-les. Lorsque celles-ci sont défaillantes, ils sont privés de ressources.Dans son rapport 2005, la Fondation Abbé Pierre a montré que les jeunes sont plus que les autres touchés par la pauvreté. En 1996, 20 % des ménages de moins de 25 ans vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 8 % en 1979.

LES JEUNES ADULTES EN QUÊTE D’INSERTION SOCIALE

1. « L’accès des jeunes à l’emploi », Données sociales Insee, mai 2006.

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Le pourcentage de demande d’hébergement en urgence des jeunes est en augmentation continue depuis 1999. En 2004, ils représentaient 18 % des demandeurs isolés qui s’adressent au 115 de Paris, contre 1,5 % en 1999 2. Le cercle des jeunes en difficulté s’élargit. Les plus fragiles, en échec sco-laire, en rupture familiale ou en difficulté d’insertion professionnelle, sont de plus en plus nombreux à connaître l’errance et la marginalité.D’une manière générale, la question des jeunes majeurs en difficulté ne fait pas l’objet d’une réelle prise en compte dans les politiques publiques. En 1974, date de l’abaissement de la majorité à 18 ans, un dispositif de protection des jeunes majeurs de 18 à 21 ans a bien été instauré. Il est aujourd’hui remis en cause pour des raisons économiques, aussi bien par le ministère de la Justice que par les conseils généraux, de sorte que de nombreux jeunes majeurs se retrouvent le jour de leur majorité civile sans aucun accompagnement.

L’expérience de la Fnars

Qui sont les jeunes en difficulté sociale ?

La jeunesse est un âge fragile où se crée l’identité, où ceux qui restent dans leur famille ont le temps de se construire, de se tromper, de recommencer. Les autres, les jeunes accueillis par les associations de solidarité, cumulent cette fragilité de l’âge avec l’absence de solidarité familiale. La société est plus exigeante à leur égard : elle leur demande de se construire seul. La plupart des jeunes accueillis dans les structures de la Fnars n’ont pas été bien traités pendant l’enfance (tensions au sein de la famille, placements, aller-retour d’une structure d’accueil à l’autre, situations de guerre pour certains jeunes étrangers ou réelle maltraitance). Si la situation des jeunes en difficultés, notamment les 18-24 ans, se définit par l’absence – absence de ressources, d’emploi, de logement, de forma-tion, de réseau social, etc. –, il ne faut pas oublier qu’ils portent malgré tout un potentiel d’énergie, de richesses et de projets. Tous les acteurs de l’insertion constatent que les jeunes en difficultés se mobilisent lorsqu’ils

2. Rapport d’activité du 115 de Paris en 2004. Observatoire du Samusocial de Paris (mars 2005).

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trouvent l’écoute et les moyens appropriés qui ont pu leur faire défaut jusque-là. Qu’il s’agisse de jeunes adultes en rupture avec leurs familles, de jeunes travailleurs isolés et sans logement, d’étrangers arrivés seuls en France, de très jeunes mères avec leurs enfants, les 18-24 ans sont surreprésentés dans les structures de la Fnars. Ainsi, alors qu’ils représentent 9 % de la population française, ils sont 20 % des personnes accueillies dans les lieux d’hébergement d’Île-de-France 3.

La plupart de ces jeunes expriment, en début de parcours d’insertion, un fort besoin de socialisation, d’apprentissage des codes sociaux et des ryth-mes de vie en société. Ils souffrent d’isolement et de pauvreté matérielle. Parmi les jeunes les plus en difficulté, on peut distinguer :– Les jeunes en errance. Ils ont été confrontés très tôt à des conflits ou à des formes d’abandon de la part de la famille d’origine. L’errance est le fait de jeunes souvent engagés dans des pratiques addictives (alcool, drogues illicites), qui partent sur la route pour tenter de mettre plus de distance entre leur famille et eux.– Les jeunes qui ont connu de longs parcours en dehors de leur famille d’ori-gine (placements en familles d’accueil, internats, foyers). Ayant atteint un âge limite au-delà duquel l’institution ne peut plus le prendre en charge, le jeune majeur peut se trouver confronté à la nécessité d’une vie autonome qu’il n’a pas les moyens d’assumer. Il peut s’agir aussi de jeunes sortant de prison, de l’hôpital ou d’un établissement de désintoxication. On observe là un dysfonc-

3. « Les personnes hébergées en CHRS ». Enquête Fnars Île-de-France/Drassif/Mipes, 2003.

■ DE PLUS EN PLUS DE JEUNES DANS LES CENTRES D’ACCUEIL

« Dans la région Nord-Pas-de-Calais, le nombre de jeunes en difficulté est grandissant. Selon l’observatoire de la Fnars Nord-Pas-de-Calais, les jeunes représentaient en 2003 près de 19 % du public accueilli dans les structures, en 2005 leur part était de 23 %, sachant que les jeunes de 18-25 ans représentent en moyenne 15 % de la population de la région. »

États généraux – Fnars Nord-Pas-de-Calais

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tionnement de notre système de protection de l’enfance qui ne prend pas en compte le moment charnière, la transition, où le jeune cesse d’être sous sa responsabilité. Du jour au lendemain, un jeune qui atteint l’âge adulte peut passer d’une Maison de l’enfant à un Centre d’hébergement d’urgence… Cela résulte d’un manque de continuité dans l’accompagnement.

D’une manière générale, le sentiment de ne pas avoir de futur, répandu parmi ces jeunes adultes, paralyse la capacité à se projeter et à se construire. La déprime, l’ennui, la mésestime de soi, l’absence d’écoute et la faiblesse des réponses institutionnelles constituent autant d’écueils à l’insertion.

Des parcours scolaires chaotiques

Les jeunes adultes accueillis en centre d’hébergement ont en commun leur faible niveau de qualification. Une petite minorité a validé un CAP ou un BEP. Mais la grande majorité a connu l’échec scolaire. La plupart de ceux qui ont quitté l’école sans diplôme ont décroché au collège. Pour eux, l’enseignement proposé par l’école est hermétique et inadapté, et les solu-tions alternatives n’existent pratiquement pas. Beaucoup d’établissements du réseau Fnars constatent aussi depuis plusieurs années une aggravation de l’illettrisme chez les jeunes adultes. Tout ce passif d’échec scolaire rend évidemment problématiques les cursus de formation et d’insertion profes-sionnelle à l‘âge adulte.

■ PAS DE RELAIS APRÈS L’AIDE SOCIALE À L’ENFANCE

« Beaucoup de jeunes que l’on retrouve aujourd’hui dans les structures sont issus des services de l’Aide sociale à l’enfance (Ase). Est-ce que la place d’un jeune qui sort d’une maison de l’enfant est en CHRS ou en accueil d’urgence ? N’y-a-t-il pas à réfléchir en amont aux réponses apportées aux grands adolescents et aux jeunes majeurs à la sortie des dispositifs Ase ? Les services de l’Ase ont-ils connaissance du nombre de jeunes sortant de leurs institutions qui se retrouvent dans nos structures ? »

États généraux – Fnars Nord-Pas-de-Calais

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De plus, les structures qui accompagnent les jeunes vers l’emploi constatent une tendance générale à la réduction des temps de formation. L’absence d’équivalence rendra par ailleurs plus difficile la mobilité professionnelle entre les branches.Dans le contrat « Jeunes en entreprise », aucune formation, aucun suivi du jeune employé n’est prévu. Certes, la durée indéterminée de ce contrat est une bonne chose, notamment pour l’accès au logement. Cependant, l’allègement des charges de l’entreprise n’implique aucun volet d’accom-pagnement ou de formation.

■ ECHEC SCOLAIRE ET FAIBLE NIVEAU DE FORMATION

« L’enquête “Jeunes” 4 réalisée par la Fnars Île-de-France pendant le premier semestre 2006 a mis en évidence que 33 % des jeunes interrogés (16-30 ans) avaient un niveau inférieur ou égal à celui du collège. Certains ont déclaré avoir un niveau collège, mais ont indiqué oralement qu’ils ne maîtrisaient ni la lecture ni l’écriture du français.– 47 % des jeunes interrogés regrettent leur orientation scolaire. Ils ont le sentiment de s’être laissé imposer une orientation qui ne les motivait pas. Pour certains, le fait de ne pas avoir été vraiment aidés dans leur choix d’orientation est l’une des causes de leur situation de précarité, de leur manque de motivation et de leur incapacité à se projeter dans l’avenir.– Près d’un tiers des jeunes interrogés affirment avoir rencontré des difficultés à accéder aux formations qu’ils souhaiteraient intégrer. Ainsi, il existe un nombre insuffisant de formations accessibles aux personnes à bas niveau de qualification et, ce, même sur les secteurs porteurs d’emploi.Obstacles rencontrés : exigences trop élevées à l’entrée en formation, manque de places et sélection, sentiment de discrimination, niveau scolaire insuffisant, régularisation administrative qui empêche l’accès aux formations, problèmes de financement de la formation, difficultés à trouver une entreprise pour les formations en alternance, etc. »

États généraux – Enquête Fnars Île-de-France, 2006

4. Enquête réalisée auprès de 267 jeunes de 16 à 30 ans, accueillis dans 39 structures d’insertion sociale et professionnelle (Espaces dynamiques d’insertion, Missions loca-les, CHRS, Structures d’insertion par l’activité économique, etc.).

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Des jeunes sans ressources

Un grand nombre de jeunes qui se présentent dans les centres d’héberge-ment sont sans emploi et sans ressources. Ils n’ont pas droit au Revenu minimum d’insertion (RMI) avant d’avoir atteint l’âge de 25 ans. Ceux qui travaillent connaissent souvent des statuts précaires. Ceux qui ont travaillé sont mal pris en charge par l’assurance chômage qui suppose d’avoir cotisé au moins six mois pour être indemnisés. Les jeunes dépendent donc essentiellement de l’aide de leur famille. Mais celles-ci, lorsqu’elles sont encore présentes, ne sont pas toujours en mesure de les aider. Il arrive que certains de ces jeunes doivent soutenir leurs parents eux-mêmes en difficulté.

L’improbable accès au logement

Comme effet immédiat du manque de ressources, se pose la question du logement des jeunes, renforcée par la difficulté de trouver des garants et de fournir les cautions exigées par les bailleurs. Le manque de solutions d’hébergement et de logement remonte de tous les acteurs qui travaillent auprès des jeunes dans notre réseau, mais aussi des réseaux partenaires

■ LA PAUVRETÉ, UN POINT COMMUN À TOUS

« Les jeunes en difficulté, qu’ils soient errants ou accueillis dans les structures, ont tous un point commun : la pauvreté, le manque de ressources. Le phénomène de surendettement chez ces jeunes est lui aussi très important. Lorsqu’ils retrouvent un travail, un minimum de ressources, ils commencent par rembourser leurs dettes. »

États généraux – Fnars Nord-Pas-de-Calais

« Un jeune accueilli en Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) a un toit, mais il doit subvenir à ses autres besoins : nourriture, vêtements, transports, etc. Pour cela, il dispose en moyenne de 20 €

par semaine. Il a donc souvent recours au vestiaire des associations de solidarité, aux épiceries sociales et autres services d’aide. »

États généraux – Fnars Rhône-Alpes

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(missions locales, centres de formation…). Ces carences rendent encore plus improbable la réussite des démarches d’insertion. Sans hébergement ou sans logement, les jeunes restent en situation de précarité et de danger.La faiblesse et la précarité des revenus chez les jeunes ne sont pas compati-bles avec les règles et les caractéristiques du marché du logement confronté à une crise : cherté des loyers et des charges, notamment dans le parc privé, insuffisance de petits logements dans le parc HLM pour répondre à la demande potentielle qui s’exprime, contraignant les jeunes à s’orienter vers le parc privé, exigences des bailleurs pour se prémunir contre les risques d’impayés de loyers… Dans un contexte de crise du logement, une concurrence s’exerce entre les jeunes étudiants salariés, ceux qui ont un métier « acceptable » et ceux qui sont en formation, en apprentissage ou encore exercent un métier peu valorisé.

■ COMMENT SE LOGER SANS RESSOURCES ?

« Pour les jeunes n’ayant pas de stabilité financière, il est difficile de trouver son indépendance. Ainsi, 47 % d’entre eux vivent encore chez leurs parents et 37 % en structures d’hébergement. Pour les autres, certains sont en foyer, à l’hôtel ou sont hébergés par des amis. Ces chiffres mettent en lumière la difficulté voire l’impossibilité pour un grand nombre de jeunes de pouvoir accéder à un logement. »

États généraux – Étude Jeunes accueillis en structures d’insertion sociale

et professionnelle (16-30 ans), Fnars Île-de-France, 2006

■ LE KIT JIL, « JEUNES INSERTION LOGEMENT »

« Le kit “Jeune insertion logement” vise à favoriser l’accès au logement de 50 jeunes sans domicile, hébergés dans un dispositif d’urgence ou dans un squat. Cette action permet l’octroi d’une subvention en cas d’absencetotale de ressources ; l’ouverture du compteur d’énergie ; l’achat de kit d’installation (mobilier, vaisselle…).

Parmi les 50 jeunes concernés, 10 sont issus de l’Aide sociale à l’enfance, 40 repérés par la mission locale, l’association l’Étage ou l’AAHJ. Ces jeunes

doivent s’inscrire dans un parcours d’insertion par le travail, la formation ou >>>

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La santé malmenée

Le rapport du Haut comité de la santé publique sur les jeunes (1997) souli-gne « la position défavorable de la santé en France entre 15 et 24 ans » et le taux de mortalité important dû aux accidents et aux suicides. Les épisodes de précarisation des jeunes adultes provoquent « une érosion du capital santé qu’il sera difficile de corriger ». Les jeunes en grande difficulté souffrent souvent de troubles multiples, mais n’ont pas conscience des effets négatifs que cela peut avoir sur leur vie ultérieure et sont peu enclins à se faire soigner. Ils souffrent plus sou-vent que les autres jeunes de maladies liées à la précarité (absence de soins dentaires, maladies de peau). Leur consommation de drogues illicites et d’alcool est préoccupante. Lorsqu’ils souffrent de maladies chroniques, ils s’adressent prioritairement à des infrastructures de soins qui ne sont pas en mesure de mettre en place un suivi médical (services des urgences hospitalières, pharmacies) 5.

<<<la santé qui leur permet d’assumer le paiement d’un loyer. Cette action a été initiée par le Conseil général du Bas-Rhin. Le financement est assuré par le Fonds d’aide aux jeunes (FAJ), le Fonds de solidarité pour le logement (FSL) et le FIPJ (Fonds d’intervention pour les jeunes liés au CIVIS ). »

États généraux – Fnars Alsace

5. Voir à ce sujet les travaux de la Mipes sur les jeunes en grande difficulté et la santé, mars 2004.

■ LA SANTÉ, UN SUJET « TABOU »

« En matière de santé, les jeunes ont tendance à nier fortement leurs problèmes et ont du mal à les repérer. Il faut que le problème de santé prenne une ampleur telle qu’ils ne puissent plus faire “avec” pour que celui-ci soit considéré comme majeur. Pour autant, nous savons pertinemment que la santé des jeunes accueillis au sein des structures d’insertion est loin d’être satisfaisante. La santé demeure un élément “tabou” sur lequel les jeunes ont des difficultés à s’exprimer. Malgré cela,

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Par ailleurs, si la souffrance psychique n’est pas gérée, l’insertion ne se réalisera pas. Or, même lorsque le jeune formule une demande de soins, il se heurte à la difficulté d’accéder à une prise en charge spécialisée. Dans le privé, les coûts sont souvent prohibitifs et les Centres médicaux psycholo-giques (CMP), de leur côté, ont rarement les moyens de réaliser des prises en charge adaptées à cette tranche d’âge et à leurs problématiques (délais d’attente de six mois, etc.).

Quel accompagnement social pour ces jeunes adultes ?

L’accompagnement se situe à plusieurs niveaux : urgence (hébergement, nourriture…), administration (couverture sociale, surendettement, domi-ciliation, inscription à l’ANPE, mobilité…), famille (reprise de contact éventuelle), santé (accès aux soins), hébergement et logement (entrée en CHRS ou aide au maintien dans le logement…), formation (évaluation, orientation), emploi (élaboration d’un projet professionnel). Les établisse-ments n’ont pas à l’origine été conçus ni organisés pour les jeunes adultes. Pour tenir compte des besoins de ces hébergés de plus en plus jeunes, les structures d’accueil ont dû imaginer des modes d’accompagnement spécifiques. En matière d’hébergement, il manque un chaînon pour les plus fragiles d’entre eux, entre l’accueil d’urgence, même éphémère, qui leur assure un

<<<et sachant que ce chiffre ne reflète pas la réalité de cette problématique, 10 % des jeunes interrogés ont avoué avoir beaucoup, voire énormément de problèmes de santé. »

Enquête Fnars Île-de-France auprès de jeunes (16-30 ans)

accueillis en structures d’insertion, 2006

« On a pu constater ces dernières années une accélération des addictions, un passage très rapide aux injections intraveineuses, peu de réceptivité des messages de prévention sur le VIH. On remarque par ailleurs que la toxicomanie résulte souvent d’une automédication à un trouble psychopathologique. »

États généraux – Fnars Île-de-France

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toit, une douche, un repas, et le Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), où on leur demande un engagement dans une démarche d’insertion, un projet de vie, la signature d’un contrat. Certains manquent totalement de repères et ne sont pas en état de se soumettre à des démarches aussi volontaires. Ils auraient besoin d’une étape intermédiaire qui leur permette de se poser sans contraintes fortes et de trouver une écoute.

■ UN BESOIN DE TEMPS POUR SE POSER

Le service d’urgence d’Aurore 93 dispose de 7 places réservées aux 18-25 ans. « Les temps d’accueil s’allongent, de 6 à 7 mois de prise en charge au lieu de deux fois 15 jours. Nous essayons, lorsque le jeune se montre investi et volontaire, de le maintenir le plus longtemps possible dans notre service. Cette prolongation de prise en charge peut lui permettre de finir tranquillement une formation ou un stage sans avoir le souci du lieu où il va dormir le soir, d’accéder à un hébergement plus stable et donc de sortir du circuit de l’urgence, d’accéder à une formation, un emploi, de prendre le temps de monter des dossiers et d’attendre des réponses... »

États généraux – Fnars Île-de-France – Aurore 93

■ DES RÈGLEMENTS D’ÉTABLISSEMENTS QUI PEUVENT EXCLURE… ET QUI PEUVENT ÉVOLUER

« Quand un jeune arrive dans une structure, ses attentes sont parfois, voire souvent, différentes des réponses qui lui sont proposées. Pour accéder à un hébergement, ces jeunes se voient contraints de déterminer leur projet, leur parcours, leur orientation pour l’avenir… Ce qu’ils attendent de cet hébergement, c’est un espace, un lieu, pour pouvoir se poser, sans forcément avoir à travailler dans l’immédiat sur leur avenir. Beaucoup d’entre eux renoncent donc à des propositions d’hébergement au profit des squats, ils refusent le lien. Des réflexions ont été menées par les associations de la région Nord-Pas-de-Calais sur la question de la souplesse et de l’adaptation des pratiques. En effet, des expériences concernant la consommation d’alcool dans

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Les jeunes en hébergement d’urgence

Le pourcentage de demandes d’hébergement en urgence des jeunes sans domicile est en augmentation continue depuis 1999. Sans compter ceux qui ne sollicitent pas les centres d’accueil, soit parce qu’ils refusent d’être hébergés avec des adultes très précarisés, soit en raison du niveau de leur désaffiliation.

<<<les établissements montrent que la levée de l’interdiction n’entraîne pas forcément des conduites abusives. L’exemple d’un établissement lillois a même démontré que cette souplesse a permis de nouvelles avancées avec les jeunes, à travers des ateliers de prévention. »

États généraux – Fnars Nord-Pas-de-Calais

■ L’URGENCE MAL VÉCUE

« Les jeunes exclus ne se sentent pas à l’aise dans les structures d’urgence. Ils disent souvent que c’est pour les vieux, pour les “clochards”. Cela leur renvoie une image de leur avenir épouvantable. »

États généraux – Fnars Pays de la Loire – Veille sociale 44, Nantes

■ UNE MIXITÉ ÉQUILIBRÉE ET PRAGMATIQUE

« Dans la région Nord-Pas-de-Calais, certaines structures ont fait le choix, concernant les accueils de jour, de séparer le public jeune du public plus âgé. Des structures d’accueil réservées aux jeunes de moins de 25 ans ont donc été mises en place permettant ainsi de réguler une partie des conflits qui pouvaient exister. Les expériences des associations montrent bien que la problématique de la mixité est contrebalancée : ce qui est vrai pour un accueil de jour ne l’est pas forcément pour un centre d’hébergement, pour lequel, au contraire, la mixité semble importante et ne crée pas de tensions particulières entre les publics. »

États généraux – Fnars Nord-Pas-de-Calais

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Les jeunes qui vivent dans la rue

C’est une population vers laquelle « il faut aller », qui n’est pas en demande, parce qu’elle exprime souvent une réticence forte à l’égard des accueils d’urgence, qui imposent à ses yeux trop de promiscuité et de contraintes en terme d’horaires. Certains ont des chiens et ne sont accueillis pratique-ment nulle part.

Orientations

Parier sur les jeunes et non les exclure

Que dire de l’état d’une société qui laisse une partie significative de sa jeu-nesse sur le bord du chemin ? Quel avenir se prépare-t-elle ? Même lorsqu’ils rencontrent de multiples problèmes, les jeunes restent des personnes en cons-truction, avec des rêves, des désirs, des ambitions pour l’avenir. La jeunesse se définit aussi par un potentiel d’énergie, de richesses, de projets. Il n’est jamais trop tard pour stopper le processus de marginalisation, à condition d’imaginer des parcours individualisés et d’offrir à ces jeunes un accompa-gnement adapté. L’éducation-formation tout au long de la vie doit devenir un

■ JEUNES ERRANTS EN MILIEU URBAIN

« Les jeunes en errance font rarement appel spontanément aux associations de solidarité. Ils sont installés autour des gares et restent sur leurs territoires. Ils vivent souvent en “groupes d’appartenance”, c’est-à-dire qu’ils se rassemblent par type de déviance : alcool, stupéfiants, prostitution, etc. Ils pratiquent régulièrement la manche.Parmi les problèmes fréquemment rencontrés, on peut citer la prostitution masculine, les troubles mentaux (certains ont interrompu une démarche de soins), les difficultés judiciaires (prison, sursis, aménagement de peine), addictions et poly toxicomanie (alcool, cannabis, cocaïne, etc.). Parmi ces jeunes en errance, 10 % sont des femmes isolées. Pour elles, les conditions de vie sont encore plus dures : violences, racket, état de santé dégradé, cumul de problématiques (troubles psychologiques, toxicomanie, prostitution). »

États généraux – Fnars Île-de-France

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appui permanent de la construction de l’autonomie. Si un certain nombre de dispositifs d’accueil existent pour les jeunes (missions locales, points d’accueil et d’écoute), ils ne sont pas toujours accessibles aux plus en difficulté.

Répondre au manque de ressources des jeunes

Pour les jeunes de 16 à 24 ans, le manque de ressources empêche de construire un projet d’avenir. Dans l’esprit des travaux de la commission présidée par Jean-Baptiste de Foucauld en 2001 6, la Fnars considère que la question des ressources est cruciale pour les jeunes et qu’elle contribue à accroître fortement les inégalités. C’est un enjeu de société. Si nous voulons que chaque jeune acquière une autonomie suffisante, nous ne pouvons nous appuyer seulement sur les solidarités familiales qui, forcé-ment, en laissent un bon nombre sur le bord de la route.

Soutenir les parents

Pour les familles vivant en périphérie des centres urbains, dans des banlieues populaires et, pour nombre d’entre elles, dans la précarité, les parents sont dévalorisés dans leur rôle par les discours dominants. Les derniers textes sur la prévention de la délinquance renforcent cette vision de « démission ». Ces parents, comme la plupart, sont souvent dépassés par les événements et ont plus besoin d’aide et de reconnaissance que de « punition ». C’est pourquoi la Fnars réaffirme la nécessité de soutenir les familles dans leur rôle de parents. Le soutien aux parents dans leur rôle est une condition indispensa-ble pour lutter contre l’exclusion des jeunes, mineurs et majeurs.

Propositions

1. Élaborer une politique publique pour les jeunes majeurs

Afin d’éviter les interruptions de prises en charge – lorsque le jeune atteint l’âge adulte ou en raison de son statut administratif –, la Fnars demande que soit élaborée une politique publique cohérente pour la jeunesse. Pour ce faire, il est nécessaire :– de dresser un état des lieux de l’ensemble des services qui s’adressent

6. « Pour une autonomie responsable et solidaire ».

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aux jeunes, et de les rendre visibles et accessibles aux jeunes les plus en difficulté ;– d’instaurer une réelle continuité dans le parcours des jeunes, par une meilleure articulation des dispositifs existants et une plus grande coordi-nation des différents décideurs (État, région et conseil général).L’absence de cohérence entre les actions de prise en charge des mineurs et celles destinées aux jeunes majeurs en place un grand nombre en situation d’abandon.

2. Créer une allocation d’autonomie

La Fnars constate que certains jeunes adultes ne peuvent s’engager dans des parcours d’insertion faute de ressources financières. C’est une réalité, indépendamment du débat sur les effets négatifs que pourrait avoir un revenu d’assistance délivré dès l’entrée dans l’âge adulte. Certains par-cours d’insertion sociale et professionnelle ouvrent déjà des droits à des ressources (apprentissage, écoles de la deuxième chance par exemple). La Fnars est favorable au versement d’une allocation, en contrepartie d’un engagement dans un parcours d’insertion sociale et professionnelle.

3. Faciliter l’accès au logement

Il est particulièrement urgent aujourd’hui de développer une offre de logements adaptés aux besoins spécifiques des jeunes. Cette offre doit évidemment s’articuler de manière cohérente avec les réponses à apporter à d’autres types de besoins, ceux des familles notamment.Ainsi, le Comité interministériel pour le développement de l’offre de loge-ments (Cidol) prévoit une augmentation, dans le cadre du plan de Cohésion sociale, de l’offre de petits logements destinés aux jeunes par l’accroissement de la part de logements de petite taille dans la production de logements sociaux ou encore une relance de la production de résidences sociales à desti-nation des jeunes. Cela va certes dans le bon sens. Mais ces objectifs doivent être largement impulsés dans le cadre des outils d’élaboration et de mise en œuvre des politiques locales de l’habitat tels les PLH (Programmes locaux de l’habitat), afin d’éviter qu’un public « prioritaire » se substitue à un autre.Par ailleurs, la Couverture logement universelle que réclame la Fnars (voir le chapitre « Logement et hébergement ») doit bien sûr apporter les

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garanties nécessaires pour inciter les bailleurs à louer à des jeunes quelle que soit leur situation au regard de l’emploi, de la formation et la nature de leurs ressources. Cela passe notamment par un aménagement du mode de calcul des aides personnelles au logement pour l’ensemble des jeunes de moins de 25 ans pour, d’une part, réduire le poids de leurs dépenses de logement – notamment lorsqu’ils sont apprentis, stagiaires – en leur laissant un « reste à vivre » décent et, d’autre part, éviter une diminution de ces aides au moment de la perception d’un revenu.

4. Développer les accueils spécifiques « Jeunes »

La Fnars souhaite développer des modalités d’accueil spécifiques « Jeunes », en capacité de répondre à leurs besoins et de les orienter. Il ne s’agit pas forcément de créer des lieux spécialisés dans l’accueil des jeunes, mais d’assurer dans les structures généralistes existantes un service approprié qui prenne en compte les besoins particuliers des jeunes en difficulté sociale, aussi bien au niveau du 115 que dans les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS).

5. Créer des « lieux repères » pour les plus marginalisés

Toutefois, pour ceux qui ne trouvent leur place nulle part dans les structu-res existantes, il faut imaginer des lieux d’accueil de jour, des lieux repères, qui leur permettent de poser leurs valises sans engagement, de partir et revenir. Une transition entre l’urgence et l’insertion, qui soit l’occasion de nouer un premier contact, de les « accrocher » et d’identifier l’ensemble des problèmes rencontrés. Ces lieux de « bas seuil » – en raison des faibles exigences fixées à l’égard des jeunes et non en termes de moyens… – sup-posent de fonctionner avec des équipes aux compétences professionnelles affirmées.

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Constat général

L’Europe affiche le contrôle des flux migratoires comme une de ses priorités. La politique menée depuis quelques années en Europe comme en France à l’égard des étrangers engendre des situations humaines dra-matiques et souvent méconnues du grand public. Les effets peuvent être désastreux : exclusion sociale, exploitation des enfants, travail au noir, tra-fic d’êtres humains, esclavage moderne, toute puissance des marchands de sommeil qui louent des taudis à des prix exorbitants, xénophobie et difficultés d’intégration.Au niveau européen, le droit d’asile est de plus en plus appréhendé sous le prisme du contrôle renforcé des flux migratoires. La demande d’asile était initialement fondée sur une tradition mêlant hospitalité et besoins. Elle semble aujourd’hui mise à mal car elle est considérée comme un instrument détourné pour immigrer, au même titre que le regroupement familial, ce qui constitue de fait une perversion partielle mais réelle du dis-positif d’asile : l’obtention de visas étant rendue de plus en plus difficile, il existe en effet un certain nombre de personnes qui tentent la procédure d’asile comme ultime recours pour régulariser leur situation administra-tive. Pour autant, cela ne devrait en aucun cas affaiblir la protection dont ont

GARANTIR UN ACCUEIL DIGNE AUX ÉTRANGERS

demandeurs d’asile, réfugiés, régularisés, déboutés

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besoin les personnes relevant effectivement de la Convention de Genève 1. On voit bien comment les évolutions législatives récentes portant sur la politique d’immigration française ciblent simultanément le droit d’asile et le rapprochement familial. Cette évolution législative qui durcit le droit d’asile s’inscrit dans un climat de suspicion généralisée à l’égard des étrangers : faux demandeurs d’asile, faux déboutés, faux mariages, faux visas, faux papiers, etc. Le message est clair et clairement dissuasif.

Détour historique : la priorité donnée au contrôle des flux migratoires

Depuis près de trente ans, on est passé d’une époque où l’immigration en tant que telle était assumée comme un phénomène naturel lié aux besoins du marché du travail, où la France était alors reconnue comme terre d’ac-cueil et d’hospitalité, à une nouvelle période où la politique d’immigration n’est qu’un balancement permanent entre tolérance exceptionnelle et répression massive. Tout cela, depuis 1985, avec la volonté d’harmoniser les politiques d’immi-gration et d’asile au niveau européen, pensées, elles aussi, essentiellement comme la nécessité de développer des moyens de plus en plus importants de blocage ou de reflux des personnes aux frontières. On a du même coup créé une nouvelle catégorie d’immigrés : les sans-papiers, c’est-à-dire ces personnes qui, au gré des modifications législati-ves, ont plus ou moins de possibilités d’être régularisées et courent plus ou moins le risque d’être expulsées.On constate également, à partir des années 89-90, un certain consensus politique sur la nécessité de contrôler encore plus étroitement les flux migra-toires. Ce consensus s’accompagne d’une inflation législative et d’amé-nagements continus des dispositifs. On renforce l’ensemble des mesures permettant l’expulsion ou la non-entrée sur le territoire : création des cen-tres de rétention, zones d’attente, expulsion et financement européen des charters, contrôles d’identités plus nombreux et ciblés, etc. Il paraît acquis

1. Convention de Genève relative au statut de réfugiés du 28 juillet 1951. L’asile est la protection qu’accorde un État d’accueil à un étranger qui ne peut, contre la persécu-tion, bénéficier de celle des autorités de son pays d’origine.

Garantir un accueil digne aux étrangers

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que le fait pour un étranger de ne pas avoir de papier est une faute qui doit être sanctionnée. On sent ainsi naître une suspicion grandissante envers l’étranger débouté, qui devient dans une partie de la conscience collective le seul responsable de sa situation. Deux arguments viennent, selon les périodes, servir d’alibis à ces politiques de plus en plus répressives : – d’un côté, l’affichage d’une volonté d’agir en faveur de l’intégration des immigrés qui ont des papiers et des Français issus de l’immigration. C’est en effet au début des années 90 qu’on a pris la mesure de la détresse des jeunes issus de l’immigration dans les « cités » françaises, d’une montée des phénomènes de racisme et de xénophobie, et de la discrimination dont sont victimes ces jeunes dans leur accès à l’emploi et au logement.– de l’autre, l’annonce d’efforts en faveur du co-développement, de par-tenariats avec les pays d’origine, d’aides incitatives au retour... qui sont censés ralentir le flux de personnes en provenance de pays pauvres.Mais des deux côtés, les promesses ne sont pas à la hauteur des besoins. D’une part, les politiques d’intégration marquent le pas et n’ont pas per-mis de combattre efficacement les discriminations dont les jeunes issus de l’immigration font l’objet. D’autre part, les politiques de co-développement restent trop modestes pour dissuader les étrangers de fuir la misère ou la répression dans leur pays.

Un affaiblissement du droit d’asile

Comme le souligne le rapport d’Alvaro Gil-Roblès, commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe (février 2006), l’ensemble des disposi-tions prises ces dernières années et les nouvelles introduites depuis 2003 consacrent un affaiblissement des garanties offertes aux demandeurs d’asile : raccourcissement des délais, obligation de rédiger désormais son récit de vie en langue française, ou recours à des procédures expéditives. La France est aujourd’hui en-deçà des normes d’accueil pourtant minimales de la directive européenne sur le droit d’asile.

Les demandeurs d’asile sont moins nombreux à frapper à notre porte qu’ils trouvent de plus en plus souvent fermée

Si la France reste l’un des pays européens qui reçoit le plus grand nombre de demandes d’asile, ce chiffre est en baisse depuis trois ans, passant de

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52 200 en 2003, à 50 500 en 2004 et 42 600 en 2005 2. Ces chiffres ne prennent en compte que les premières demandes d’asile, hors mineurs. Cette diminution correspond à une tendance générale en Europe et au sein des pays industrialisés.Parallèlement, nous assistons depuis cinq ans à une véritable explosion du nombre de personnes déboutées, c’est-à-dire celles qui se sont vu refuser le statut de réfugié par l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), au titre de la Convention de Genève. Elles étaient 26 000 en 2001, 34 000 en 2003, 56 000 en 2005. Soit 185 000 personnes sur cinq ans, dont beaucoup n’ont pas pour autant quitté le territoire français et se retrouvent sans droits. Si quelques voix s’élèvent pour réclamer un accueil plus convenable (asso-ciations militantes, églises, Réseau éducation sans frontières...), la réalité des situations et du parcours de ces personnes reste mal connue du grand public.

L’expérience de la Fnars

Les conditions d’accueil catastrophiques de nombreux demandeurs d’asile provoquent de cruelles inégalités de traitementLes conditions d’accueil des étrangers sur le territoire français sont catas-trophiques. Même si le nombre de places en accueil spécialisé (Centres d’accueil pour demandeurs d’asile [CADA]) a augmenté, de nombreux étrangers candidats à l’asile sont obligés de recourir à des hébergements en urgence ou des logements de fortune : hôtels meublés, asiles de nuit, hébergement chez des compatriotes, voire dans la rue. Ils « tournent » d’un lieu à l’autre et rencontrent les plus grandes difficultés pour préparer leur dossier de demande d’asile.Pourtant, pour nombre d’entre elles, ces personnes ont traversé des tragé-dies ou des guerres. Elles ont été moralement ou physiquement persécu-tées. Elles ont pour la plupart fui des situations extrêmes de pauvreté, voire de misère. La moindre des choses serait de leur permettre de se poser en leur évitant les tracasseries administratives.

2. Chiffres de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

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Pour faire face à la présence de nombreux demandeurs d’asile dans les centres d’hébergement, les associations se sont vues proposer par l’État de créer des centres spécialisés (CADA) et la Fnars fédère aujourd’hui la moitié des centres accueillant les demandeurs d’asile. C’est donc comme acteurs de premier plan que les centres d’hébergement regroupés au sein de la Fnars, qu’il s’agisse de CADA ou de CHRS, ont très vite tiré la sonnette d’alarme sur le manque de place et l’accueil désastreux réservé aux demandeurs d’asile. Pour ceux-ci, la question du logement est cruciale, à double titre. Le deman-deur d’asile doit justifier d’une domiciliation pour se voir ouvrir certains droits sociaux, et notamment la couverture maladie. Par ailleurs, la chance de voir sa situation régularisée n’est pas la même selon l’hébergement. Ceux qui sont accueillis en CADA ont objectivement plus de chances de voir leur démarche aboutir, parce qu’ils sont mieux entourés, mieux con-seillés. Ainsi, environ 60 % des demandeurs hébergés en CADA reçoivent un statut de réfugié alors que la moyenne nationale est inférieure à 25 %. Ceux qui ne sont pas accueillis en CADA ne bénéficient pas du même soutien – d’une aide juridique précise ou d’un interprète compétent – et se retrouvent livrés à eux-mêmes, sans connaître les « règles du jeu ». Or, la préparation du dossier, et notamment la qualité du récit des persécutions subies, détermine souvent l’acceptation par l’Ofpra du statut de deman-deur d’asile. Pour ces derniers, le délai de 21 jours est évidemment trop court pour constituer un dossier complet, se repérer dans les méandres de l’administration française, trouver les bons interlocuteurs et les conseils utiles. La demande de protection est difficile à mener à bien lorsqu’on est dans la rue... Cette inégalité de traitement, qui résulte de leurs conditions de vie en France et non de la situation réelle des demandeurs d’asile dans leur pays d’origine, apparaît inacceptable.

Les associations manquent de moyens pour mener un accompagnement adapté

La plupart des lieux d’accueil généralistes ne sont pas en mesure de dis-penser un accompagnement axé sur la demande d’asile : une aide pour se repérer dans le labyrinthe administratif, pour remplir son dossier de la manière la plus précise possible, pour traduire son témoignage en français, pour être accompagné, même physiquement dans les démarches administratives, etc.

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Les associations sont débordées par les délais trop courts, par les décisions qui tombent sans qu’aucune solution ne soit proposée aux déboutés. Les pouvoirs publics affirment haut et fort que les étrangers ne seront pas régularisés massivement, mais beaucoup d’entre eux ne seront pas pour autant reconduits à la frontière. Ils se retrouvent dans un « entre-deux », une zone de non-droit, renvoyant vers les associations la gestion concrète des incohérences produites par ce système. Les déboutés se retrouvent sans droits sociaux et sans ressources. Les associations doivent alors assurer la totalité de leur prise en charge : les héberger, les nourrir, leur fournir des vêtements, assurer les frais scolaires, les transports, etc. Et la contradiction inhérente au suivi des demandeurs d’asile pour lesquels il faut tenir compte à la fois du besoin d’accompagne-ment social et du risque d’expulsion, provoque un malaise grandissant au sein des équipes de travail social.

Les injonctions paradoxales des politiques publiques

Faut-il être « humanitaire l’hiver » et « sécuritaire l’été » ? La plupart des associations sont sollicitées en hiver par le ministère de la Cohésion sociale pour garantir un minimum humanitaire à tous ceux, étrangers ou non, qui dorment dehors. Au printemps, il est demandé aux mêmes associations, au terme des circulaires du ministère de l’Intérieur, d’accepter l’interpella-tion des étrangers en situation irrégulière dans leurs locaux. « Toute personne en détresse sociale doit être prise en charge » affirme la Direction générale des affaires sociales (DGAS). En même temps, la Direction de la population et des migrations (DPM), tutelle des CADA, demande la sortie des demandeurs d’asile dans un délai maximum d’un mois après l’obtention d’une réponse, qu’elle soit positive ou négative. Mais pour aller où ? L’absence de ressources et la crise du logement frap-pent évidemment en priorité ces populations particulièrement fragiles qui viennent d’arriver en France. Et le délai d’un mois est impossible à tenir, même pour les étrangers qui ont obtenu le statut de réfugié.Parallèlement, la multiplication des interventions policières dans les cen-tres d’hébergement et aux guichets des préfectures, depuis la circulaire du 21 février 2006, a entraîné une perte de confiance de la part des person-nes hébergées et renforcé la peur. Elles n’osent plus se faire connaître et s’adresser à l’administration.

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Les contradictions entre les politiques de santé et de sécurité publique.

L’Aide médicale d’État (Ame) permet la gratuité des soins médicaux, dans un objectif de santé publique, à toute personne présente sur le territoire français. Mais trois mois de présence sur le territoire sont exigés pour béné-ficier de cette aide. Une telle exigence retarde le traitement de la maladie et rend ses conséquences bien plus coûteuses médicalement et socialement pour la personne concernée et pour l’ensemble de la société. Médecins du monde souligne en outre dans son rapport 2005 que la plupart des patients sans-papiers n’osent pas faire valoir leurs droits à l’Aide médicale d’État, de peur de se faire repérer.Les personnes livrées à elles-mêmes, très précarisées, sans soutien social, sont les cibles idéales du travail au noir et de toutes les formes inhumaines d’exploitation. Elles peuvent être aussi conduites, pour survivre, à adopter des comportements délictueux et violents. Après la fermeture du centre de Sangatte, la région de Calais a eu à connaître de tels débordements, et notamment l’agression de bénévoles associatifs. Parallèlement, les étran-gers deviennent la cible de comportements xénophobes.

L’impossible intégration sociale des « ni-ni »

Si l’obtention d’un titre de séjour leur est refusée, les étrangers disposent d’un délai d’un mois pour quitter le territoire. Cette obligation est rare-ment respectée et la plupart d’entre eux deviennent alors des clandestins et des sans-papiers. Entre 200 000 et 400 000 personnes vivraient ainsi en situation irrégulière, dans le plus grand dénuement, privées de toute aide et vivant avec la peur d’être renvoyées à chaque instant.Lorsqu’elles se sont vues déboutées de leur demande d’asile ou refusées un titre de séjour, les personnes ne sont pas pour autant expulsables. Elles peuvent exercer un recours. Le tribunal administratif peut annuler une décision de reconduite à la frontière, estimant par exemple que la personne court un danger en cas de retour dans son pays d’origine. La personne peut aussi refuser de décliner son identité et se retrouver en prison. Il peut s’agir enfin d’un défaut de coopération avec le consulat du pays d’origine qui refuse de délivrer un document de voyage, ce qui rend impossible l’expulsion.

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Les mouvements de régularisation tels que celui engagé par la circulaire du 13 juin 2006 pour les familles dont un enfant est scolarisé, permettent de résoudre quelques situations individuelles. Cependant, cette égularisa-tion s’appuie sur des appréciations au cas par cas à partir de critères flous, entraînant inégalités de traitement et injustices. Enfin, les politiques d’aide au retour, même si elles sont plus incitatives depuis 2005, se révèlent peu efficaces dès lors qu’elles ne sont pas accom-pagnées de véritables stratégies de développement local.

Orientations

L’Europe reste la bonne échelle pour appréhender la question de l’immigration

Le contrôle des flux migratoires est aujourd’hui l’une des priorités de l’Union européenne. Différentes mesures ont été mises en place pour renforcer la surveillance et éloigner les étrangers en situation irrégulière. Cependant, les politiques européennes de contrôle se mettent en place plus vite que les politiques visant à imposer des conditions minimales d’accueil. Malgré ces difficultés, l’Europe reste l’échelle pertinente pour élaborer des politiques d’immigration.

Garantir une procédure d’asile équitable

Qu’il s’agisse des conditions d’accueil ou de la procédure (délai de 21 jours, obligation de rédiger le dossier en français), la Fnars souhaite que la France renoue avec une plus grande générosité en matière de droit d’asile et applique rigoureusement la Convention de Genève. Ceci implique de proposer une protection systématique et d’aider le demandeur à faire valoir ses droits sans soupçon préalable.La réduction des délais de procédure laisse une chance infime aux deman-deurs et tend à devenir une procédure expéditive. La Fnars dénonce la tendance à généraliser l’utilisation de procédures accélérées d’examen des demandes d’asile sans recours suspensif, notamment pour les ressortis-sants de pays considérés comme « sûrs ». Elle estime que ces procédures courtes ne permettent pas d’examiner dans des conditions correctes la situation personnelle du demandeur d’asile.

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Sortir de l’impasse du « ni régularisable-ni expulsable »

Il n’appartient pas à la Fnars de définir la politique nationale d’immigra-tion. Elle peut néanmoins en souligner les effets pervers, et notamment l’impossibilité de conduire des parcours d’insertion avec des personnes qui ne sont « ni régularisables, ni expulsables ». Aujourd’hui, la réforme de la protection des demandeurs d’asile et les contraintes de plus en plus fortes qui pèsent sur eux conduit à les précariser davantage, entraînant plus d’insécurité pour eux-mêmes mais aussi pour l’ensemble de la société. Pour la Fnars, la solidarité entre les peuples est nécessaire et source de richesses ; elle ne peut s’appuyer que sur une politique ambitieuse de développement et de coopération.

Propositions

1. Améliorer la procédure de demande d’asile

La Fnars demande l’allongement du délai de dépôt de la demande d’asile à l’Ofpra qui n’est actuellement que de 21 jours, ce qui entraîne de nom-breux refus d’enregistrement et des situations humaines intolérables.

2. Assurer l’égalité de traitement et de suivi pour les demandeurs d’asile

Le demandeur d’asile doit se sentir protégé sans être l’objet de soupçons systématiques sur sa sincérité et sa qualité de réfugié. La Fnars demande la mise en place d’un véritable accueil garantissant qualité et équité, par délégation aux structures associatives locales. Quelles que soient leurs conditions d’hébergement, les demandeurs d’asile doivent bénéficier sur l’ensemble du territoire du même traitement, des mêmes aides à la cons-titution du dossier. Dans cette perspective, un accompagnement spécialisé doit être systématiquement proposé aux étrangers dès qu’ils expriment le souhait de déposer leur demande d’asile, et quel que soit leur lieu de résidence. La Fnars demande la généralisation des plates-formes d’accueil des demandeurs d’asile.

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3. Assurer les besoins élémentaires des nouveaux arrivants

La Fnars demande pour les étrangers en attente de régularisation des con-ditions de vie dignes : besoins quotidiens couverts, accès au logement, aux soins, accompagnement dans les démarches administratives. Elle demande également pour les enfants une possibilité d’apprentissage, conforme aux exigences de la convention internationale des droits de l’enfant.

4. Assurer l’accès à des ressources minimales

Pour les demandeurs d’asile (isolés, en couple, en famille), la Fnars demande qu’ils puissent bénéficier de ressources minimales tout au long de la procé-dure, conformément à l’article 13 de la directive européenne sur les normes minimales d’accueil. Elle demande aussi l’accès à l’apprentissage, notam-ment de la langue française, et le droit au travail. Pour les personnes régu-larisées, la Fnars demande qu’elles puissent bénéficier des minima sociaux comme le RMI, de la formation professionnelle et des contrats aidés.

5. Assurer la continuité du droit

Par ailleurs, la Fnars observe que les délais d’attente pour le renouvelle-ment des titres de séjour sont anormalement longs et que cela provoque des ruptures dans les parcours d’insertion. L’étranger est régularisé puis se retrouve à nouveau sans papiers, à la merci du pouvoir discrétionnaire exercé par les fonctionnaires, le « pouvoir du guichetier ». La Fnars propose en conséquence que l’administration soit obligée de fixer le délai d’attente et de le faire connaître à la personne concernée.

6. Mettre en place un pilotage territorial

Il est nécessaire d’articuler les schémas d’accueil régionaux et départe-mentaux, les dispositifs de droit commun et les dispositifs spécialisés « asile », afin de garantir un hébergement ou un logement aux réfugiés et aux personnes régularisées dans des délais raisonnables.

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7. Ne pas faire des CADA un outil de contrôle des flux migratoires

L’accueil inconditionnel et immédiat de toute personne en situation de détresse fait partie des principes qui président à l’action des centres d’hé-bergement. Cet accueil n’est pas subordonné à la régularité du séjour. Le durcissement des règles d’accueil en CADA n’apporte pas de réponse au problème de l’hébergement de ces personnes mais le reporte sur d’autres structures. La sortie des CADA des personnes déboutées doit en conséquence se faire en concertation avec d’autres structures d’accueil, afin d’assurer une cer-taine continuité et ne pas les laisser à la rue.

8. Développer une véritable politique d’insertion pour les réfugiés.

L’insertion de la plupart des réfugiés se heurte à de graves difficultés qui ne sont pas suffisamment prises en compte. La Fnars demande que ces personnes bénéficient d’un accompagnement pour trouver notamment logement et emploi.

9. Ne pas laisser les étrangers dans d’impossibles situations d’intégration

La Fnars demande que les personnes qui ne sont pas expulsables soient régularisées afin d’organiser leur intégration dans des conditions dignes pour elles-mêmes et leurs enfants et acceptables pour l’ensemble de la société. La Fnars demande que des solutions pragmatiques soient trouvées pour les milliers de personnes sans titre de séjour qui restent sur le territoire français. Au moment où des pans entiers de l’économie commencent à manquer de main d’œuvre, la France aurait plus à gagner à insérer dura-blement ces personnes plutôt que de les laisser vivre dans la clandestinité et la précarité en demandant aux associations de les accueillir lorsque la misère est devenue trop visible.

Garantir un accueil digne aux étrangers

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Constat général

Deux millions d’enfants vivent aujourd’hui dans la pauvreté 1. Des enfants qui vivent dans l’inquiétude du lendemain, qui ne sont pas sûrs de rester dans leur maison, qui ne sont même pas certains de pouvoir manger à leur faim, qui sentent le regard des autres sur leur différence, et l’anxiété des parents pour la famille. À l’âge des rêves et des jeux, ces enfants sont précipités précocement dans les difficultés de la vie.En cause, bien sûr, le contexte socio-économique, l’insécurité sociale, le chômage, la précarité de l’emploi, l’augmentation du nombre de tra-vailleurs pauvres, les filets de sécurité insuffisants, les difficultés pour trouver et conserver un logement, et les ruptures au sein de la famille.La législation familiale a évolué depuis plusieurs décennies dans le sens d’une plus grande prise en compte de la réalité des familles et des muta-tions sociologiques (reconnaissance de l’autorité parentale conjointe, nouvelles modalités de divorce, etc.).

LES FAMILLES FRAGILISÉES

1. Selon le seuil de pauvreté défini à 60 % du revenu médian (voir chapitre « Les exclus de l’emploi et les travailleurs pauvres »).

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L’expérience de la Fnars

Des familles plus nombreuses dans nos structures d’accueil

Depuis plusieurs années, la Fnars note une augmentation de la demande d’aide des familles : phénomènes croissants de paupérisation, augmentation des demandes provoquées par des ruptures familiales et inter-générationnelles (demandes de femmes et de couples avec enfants, rajeunissement des deman-deurs), manque de logements, chômage, sous-emploi... Les difficultés, voire l’impossibilité d’accéder à un logement, restent le principal obstacle à la stabi-lité familiale (voir chapitre « La crise du logement et de l’hébergement »).

14 000 enfants dans les centres d’hébergement

Une enquête auprès des centres adhérents à la Fnars a mis en lumière la présence massive d’enfants. À la fin du printemps 2005, on a dénombré près de 14 000 mineurs présents avec leur famille dans les lieux d’héber-gement, ce qui représente un tiers des places disponibles dans ces centres. 8 400 étaient avec leur mère seule, 5 200 avec un couple d’adultes, et 250 avec leur père seul 2.Des établissements qui, dans leur grande majorité, ont été conçus pour des adultes et essentiellement des hommes seuls, doivent s’organiser et s’adapter pour accueillir des enfants, sans réelle reconnaissance des pou-voirs publics. Les parcours de l’urgence se révèlent déstructurants pour les familles qui passent d’un centre d’accueil d’urgence à un hôtel meublé.Quant aux familles étrangères déboutées, elles sont placées délibérément en chambre d’hôtel. Il ne s’agit plus seulement d’une insuffisance de places d’hébergement, mais bien d’une stratégie déterminée qui vise à les décourager de rester sur le territoire français.

Des familles fragilisées par leurs conditions de vie

Quel que soit le milieu social, la famille devrait être pour ses membres le lieu de l’épanouissement, de la socialisation et de la solidarité. Mais elle peut être aussi un espace de dangers, de violences physiques et mentales,

2. « Les enfants et leur familles en centre d’hébergement », octobre 2006, Étude Fnars-Fnors.

Les familles fragilisées

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de désespérances. Nombre des personnes accueillies ont connu de telles situations pendant l’enfance et continuent d’en être marquées profondé-ment à l’âge adulte.Les situations de violence et de souffrance ne sont pas réservées aux familles pauvres. Mais les conditions de vie subies par certaines familles pauvres peuvent contribuer à les aggraver ou à générer du mal-être ensem-ble. Lorsque la famille ne dispose que d’une seule pièce pour vivre, lorsque les parents ne savent pas comment payer le loyer ou la consultation chez le médecin, lorsque chaque événement imprévu devient une source d’an-goisse, les effets de ces manques matériels ont aussi des répercussions sur les relations au sein de la famille.

■ MAINTENIR LE LIEN PARENT-ENFANT

« La Passerelle mène une action visant à favoriser le maintien du lien parent-enfant au-delà de la séparation et du divorce. Elle met en place le droit de visite tel qu’il est demandé par le juge et travaille avec les parents et les enfants sur la question de l’autorité parentale conjointe.Le soutien à la fonction parentale permet à chacun des membres de la famille de retrouver sa place et ses responsabilités dans le respect des uns et des autres. Ce maintien du lien, généralement avec le père (l’hébergement principal de l’enfant étant à 80 % chez la mère) est un facteur important de stabilité et de repère pour l’enfant. L’accueil : il permet une rencontre parents-enfants dans un lieu protégé pour les parents en grande difficulté ou pour une reprise de lien.La médiation familiale : elle permet à des parents, en situation de séparation, de trouver eux-mêmes les bases d’un accord tenant compte des besoins de chacun. »

États généraux – Fnars Rhône-Alpes

■ ACCOMPAGNEMENT ÉDUCATIF AUPRÈS DES ENFANTS

« En dépit de la crise familiale et/ou conjugale, le centre d’accueil d’urgence de Rouen reconnaît et soutient la place de chacun des parents auprès des

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Les familles fragilisées

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La difficile reconnaissance du rôle du père

Lorsqu’ils n’ont pas de logement et qu’ils sont hébergés, les hommes sont « identifiés » comme « RMistes » ou chômeurs, plus rarement comme pères. Malgré les expériences favorisant la valorisation du rôle paternel, la question de la paternité est encore trop rarement évoquée. Bien souvent, ces hommes n’en parlent pas eux-mêmes, ayant intégré ce déni de leur paternité. Ils ne voient d’ailleurs pas comment l’exercer alors qu’ils vivent eux-mêmes dans un centre d’hébergement, encore moins s’ils partagent leur chambre avec d’autres hommes. Comment recevoir ses enfants ? Où les faire dormir ? Même lorsque leurs droits de rencontre sont reconnus, les pères se retrouvent dehors avec leurs enfants et finissent souvent par renoncer à leurs droits. La fonction paternelle est pratiquement impos-

<<<enfants. L’équipe éducative accueille au quotidien les enfants dans un espace adapté, différencié de la collectivité : “L’espace enfant”.“L’espace enfant” est sécurisant. Ce lieu de parole, d’écoute, de détente, de jeux, permet à l’enfant de retrouver “sa place d’enfant”. Les mères restent entièrement responsables de leurs enfants durant le séjour.Le changement lié à la crise familiale engendre chez les enfants la perte de leurs repères habituels (changements de rythme, de lieu, absence du père…) et génère des angoisses et des questionnements (culpabilité, incertitude de l’avenir…). Un travail d’écoute et d’observation sur la relation mère/enfant est réalisé par les équipes pluridisciplinaires. Au titre du maintien du lien familial, des rencontres père, mère, enfants sont proposées et organisées dans les locaux de SOS Crise, en présence du directeur et du personnel éducatif. À cette occasion, des informations sur les droits et devoirs de chacun sont partagées.À “l’espace enfant”, nous nous questionnons souvent devant certains comportements d’enfants : nos observations sont alors partagées avec la mère, l’équipe éducative auprès des mères et les intervenants sociaux extérieurs, afin de déterminer les actions possibles pour l’ “après” CAUCD. »

États généraux – Fnars Haute-Normandie –

Centre d’accueil d’urgence de courte durée (CAUCD), Rouen

Les familles fragilisées

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sible à préserver pour les pères vivant en centre d’hébergement, car les établissements prévoient encore trop rarement l’accueil d’un père avec ses enfants.

L’inadaptation des modes de garde

Pour les personnes peu qualifiées subissant des horaires professionnels décalés (personnel d’entretien par exemple), l’accès aux modes de garde est problématique. Ces horaires ne sont pas compatibles avec les heures d’ouverture et de fermeture des crèches ou halte-garderie. Dans un contexte de pénurie générale (manque de places d’accueil pour les enfants en bas âge), de nombreuses structures imposent des critères de priorité, privilégiant les parents qui travaillent, au détriment de ceux qui sont à la recherche d’un emploi.

■ AIRE DE FAMILLE, SOUTIEN À LA FONCTION PARENTALE

« L’association Aire de famille, créée en 97, gère un centre parental qui a ouvert ses portes le 15 mars 2004 à Paris. Ce type d’établissement est le premier dans son genre. Ni CHRS, ni centre maternel, il est inscrit comme structure expérimentale. Le financement du budget de fonctionnement est assuré à la fois par l’État et par le département de Paris, à hauteur de 60% du budget pour le département et de 40% par l’État.La capacité d’accueil est pour l’instant de 15 jeunes couples en situation de vulnérabilité psycho-sociale et dont la jeune femme est enceinte d’un premier enfant.La candidature doit être adressée le plus tôt possible pendant la grossesse.L’accompagnement global des familles est assuré par une équipe pluridisciplinaire. Un projet d’appui global – insertion sociale, professionnelle, accompagnement des parents et du bébé, logement, santé… – est proposé à chaque famille, en même temps qu’est encouragée la découverte des ressources, publiques et associatives, du quartier.L’hébergement se fait dans un premier temps dans un studio relais, avant l’accès à un logement en “bail glissant”, pour une durée pouvant aller jusqu’aux trois ans de l’enfant. Les résidents devront pouvoir assumer financièrement les divers frais inhérents à leur vie quotidienne. »

États généraux – Fnars Île-de-France – Centre parental Aire de famille, Paris

Les familles fragilisées

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Orientations

Une politique familiale tournée prioritairement vers les plus démunis

Il existe une contradiction entre une politique familiale qui vise à aider toutes les familles quel que soit le niveau de leurs ressources et une poli-tique de lutte contre les exclusions qui a pour objectif d’aider les familles les plus pauvres. La Fnars souhaite que les prestations familiales soient réorientées vers les familles à bas revenus. Stabiliser les ressources des familles

La politique familiale doit garantir à toute famille un niveau de ressources lui permettant d’élever dignement ses enfants. La stabilité des ressources conditionne la stabilité de la vie de famille. L’interruption brutale des allo-cations ou des aides a des effets perturbants. Travailler quelques heures de plus par semaine peut entraîner le passage au-dessus d’un certain seuil de revenu, qui conditionne l’obtention d’aides (tarifs EDF démunis ou prime de Noël, par exemple). Le gain de quelques dizaines d’euros supplémen-taires va en réalité diminuer les ressources globales. Par ailleurs, la Fnars plaide pour une réforme du système de minima sociaux qui favorise l’autonomie et permette d’assurer à chaque famille un niveau de ressources supérieur au seuil de pauvreté.

Soutenir la parentalité

La Fnars s’oppose aux discours et aux pratiques qui stigmatisent les « mauvais parents ». Elle estime que la loi pour l’Égalité des chances du 31 mars 2006 (possibilité de sanctionner les familles avec le contrat de responsabilité parentale) ou encore le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance (confusion entre prévention des difficultés sociales et prévention de la délinquance), actuellement en débat, produiront les effets contraires aux objectifs affichés, et qu’ils déstabiliseront encore davantage les familles les plus fragiles. La Fnars souhaite que sur chaque territoire les parents en difficulté trou-vent des lieux accessibles d’écoute et d’aide à l’exercice de leur fonction parentale.

Les familles fragilisées

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Soutenir les pères dans leur fonction parentale

La Fnars souhaite que le statut de père soit reconnu et soutenu, que les hommes soient accueillis ou non avec leur(s) enfants(s) dans les centres. Cette reconnaissance leur permet, en effet, de restaurer leur propre image, de retrouver une utilité sociale et parfois de réapprendre leur rôle parental.

Apaiser les conflits familiaux dans l’intérêt de l’enfant

Dans les cas de séparation parentale les plus conflictuels, la médiation familiale, inscrite dans le Code civil depuis 2002, permet d’éviter ou, du moins, d’accompagner les conséquences les plus douloureuses des ruptu-res. Cette possibilité n’est cependant pas développée également dans tous les départements. De même, les lieux d’exercice de droit de visite, lieux d’accueil neutre qui permettent, en cas de conflit, de maintenir le lien familial entre l’enfant et le ou les parents chez qui celui-ci n’habite pas, sont en nombre insuffisant, ce qui contribue à distendre les relations pour les familles les plus fragiles. Ces rencontres doivent également être possibles et accompagnées dans toutes les prisons. La Fnars est attachée au principe selon lequel les enfants ne doivent être séparés de leurs parents que lorsque c’est strictement nécessaire.

Propositions 1. Réformer les systèmes de solidarité à l’égard de familles

La Fnars souhaite une réforme globale de la politique familiale qui réo-riente la solidarité en direction des familles les plus pauvres. Cela passe notamment par une mise à plat des aides (prestations familiales et avanta-ges fiscaux), afin d’atteindre une plus grande équité entre les familles.La Fnars demande un aménagement de l’attribution des aides sociales, qui lisse les effets de seuil, afin d’éviter les baisses brutales de ressources en cas de changement de situation professionnelle ou familiale. L’accès aux prestations doit se faire en appliquant le principe du contrôle a posteriori. Cela passe aussi par des politiques publiques en matière d’emploi et de logement qui prennent en compte la dimension familiale : logements suf-fisamment grands pour les familles nombreuses, loyers accessibles, etc. (voir les propositions dans les chapitres « Emploi » et « Logement »).

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2. Développer la médiation familiale

La Fnars demande que, dans tous les départements, des services de média-tion familiale soient mis en place, de façon à ce que toute famille puisse y accéder en cas de séparation.

3. Généraliser les « lieux d’accueil neutre »

De même les lieux d’accueil neutre permettant aux parents d’exercer leur droit de visite en cas de séparation conflictuelle doivent être développés et leur financement pérennisé. Enfin, lorsqu’il est nécessaire de décider du placement d’un enfant à l’extérieur de sa famille, la Fnars est favorable à la mise en œuvre d’accueils souples dans le temps (accueils séquentiels prévus par le projet de loi sur la protection de l’enfance) qui permettent d’adapter le temps passé hors de la famille à chaque situation ainsi qu’à l’évolution de l’enfant et de sa famille.

4. Renforcer l’accompagnement des familles dans les centres

L’amélioration de l’accompagnement des familles en difficulté est aujourd’hui une priorité pour la grande majorité des centres d’héberge-ment. Leurs moyens doivent donc être renforcés pour développer des modes de prise en charge diversifiés et répondant aux besoins des per-sonnes (mesures spécifiques pour les familles monoparentales, adaptation des locaux, développement de crèches, etc.).

5. Généraliser les réseaux d’écoute

La Fnars souhaite que le soutien aux Réseaux d’écoute, d’appui et d’accom-pagnement des parents (Reap), jusqu’alors dit « innovants », soit consolidé afin que les projets qui mettent en relation tous ceux qui développent des actions pour aider les parents soient pérennisés. Elle souhaite également que les lieux d’aide et d’accompagnement à la parentalité soit rendus plus visibles et accessibles aux parents en difficulté qui n’osent pas toujours demander de l’aide.

6. Développer « l’accompagnement social de suite »

Même lorsque les familles accèdent à un logement, elles ont parfois besoin d’être encore accompagnées. La Fnars souhaite que cet accompagnement

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des familles puisse se poursuivre, lorsque cela est nécessaire, au-delà de l’hébergement.

7. Développer les modes de garde

La Fnars demande qu’un effort important soit entrepris pour développer les modes de garde d’enfants, élargir leur amplitude horaire, afin de per-mettre aux mères de reprendre un emploi même si leurs horaires sont atypiques.

8. Soutenir l’accompagnement des enfants dans tous les lieux d’accueil des parents

Parce qu’elle accueille 14 000 enfants dans ses centres, la Fnars souhaite que les établissements qui accueillent et accompagnent des familles soient reconnus comme des acteurs à part entière de la protection de l’enfance, ce qui suppose qu’une réflexion soit conduite avec l’État et les départements pour mieux protéger et accompagner ces mineurs.

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Constat général

En France, une femme sur dix est régulièrement victime de violences. Une femme meurt tous les quatre jours des suites de violences conjugales ! Il est nécessaire de rappeler que « le problème de société que constituent les violences à l’égard des femmes, parce qu’elles sont femmes, est ancré au sein de la société française, et n’est devenu un objet de politique publique que depuis quelques décennies, sous les coups de boutoir des mouvements féministes » 1. La loi du 5 avril 2006 renforce la prévention et la répression des violences au sein du couple. La Fnars soutient globalement cette loi, et plus précisé-ment les articles concernant :– l’introduction de la notion de respect dans les devoirs des époux, mesure symbolique forte ;– les dispositions destinées à prévenir les mariages forcés, notamment le relèvement à 18 ans de l’âge légal pour le mariage des filles ;– le renforcement des possibilités d’éloignement du conjoint violent ;

LES FEMMES VICTIMES DE VIOLENCESla double peine

1. Igas, janvier 2006.

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■ LES SPÉCIFICITÉS DE L’ACCOMPAGNEMENT

« Les freins sont nombreux : mal-être psychologique (état dépressif, angoisses, manque de confiance, isolement), difficulté de porter plainte contre l’agresseur (peur des représailles, sentiments subsistant pour le conjoint violent, relation de dépendance), enfants pris dans la crise du couple tant qu’il n’y a pas de décision judiciaire pour poser un cadre, etc. Il faut assurer la protection des victimes et les accompagner dans leurs démarches : plaintes, police, avocat, tribunaux. Il faut assurer la prise en charge des enfants : Aide sociale à l’enfance (Ase), services psychopédagogiques, protection de l’enfance. »

États généraux – Fnars Basse-Normandie, CHRS Louise Michel, Cherbourg

– l’extension de ces mesures aux ex-conjoints, concubins et pacsés, cela étant notamment justifié par le fait que 31 % des décès surviennent au moment de la rupture ou après celle-ci ;– la reconnaissance du viol entre époux ;– la reconnaissance du vol entre époux.Mais, faute de moyens nécessaires pour héberger, contrôler, apporter une aide aux conjoints violents et accompagner les victimes, il est à craindre que ce nouveau texte n’offre aux femmes que des droits théoriques. La question de la protection des enfants et de leur situation au regard de l’autorité parentale pendant la période qui suit immédiatement les violen-ces n’est pas non plus suffisamment prise en compte.

L’expérience de la Fnars

Des vies marquées par la violence

Pour la grande majorité des femmes hébergées, l’arrivée en centre est pro-voquée par une situation de violence familiale, qu’il s’agisse de violences exercées par le conjoint ou d’autres membres de la famille. Si les violences conjugales sont la cause première de la précarité féminine, d’autres for-mes de violences apparaissent quand on retrace le parcours des femmes en situation de détresse, et en particulier des violences familiales pendant l’enfance.

Les femmes victimes de violences, la double peine

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Violence et errance résidentielle, la double peine

Quitter le domicile familial est toujours une décision difficile à prendre, lourde de conséquences, notamment lorsqu’il y a des enfants. D’autant plus que l’image de la femme en très grande précarité, sans domicile, est plus souvent stigmatisée que celle de l’homme, pour qui la société se montre finalement plus compréhensive. Le sentiment de rejet et de discrédit social est, de ce fait, plus présent chez les femmes en situation de détresse. Elles développent des stratégies comportementales particulières, des stratégies « d’invisibilité » qui consistent à cacher tout signe extérieur de précarité de sorte qu’elles ne bénéficient pas des réseaux d’aide.Tous les départements ne sont pas en capacité de répondre au besoin d’ac-cueillir 24 h/24 et 7 jours/7 lorsque des situations de danger se font jour. Certaines associations spécialisées n’accueillent ni la nuit, ni le week-end. Les femmes sont alors renvoyées vers les hôtels, qui ont le mérite d’assu-rer un hébergement immédiat, mais ne garantissent pas la sécurité des victimes qui peuvent être harcelées par l’auteur des mauvais traitements. De même, l’éviction du conjoint violent suppose que des possibilités d’hé-bergement hors du domicile familial existent, ce qui est loin d’être la règle dans tous les départements.

Un engagement des responsables publics parfois très limité

La mise en œuvre de politiques publiques dépend encore trop souvent, au plan local, de la sensibilité et de l’engagement personnel des respon-sables politiques. Cette situation entraîne de grandes distorsions dans l’application des textes selon les territoires. C’est le cas de l’application de la circulaire du 8 mars 2000, censée donner priorité aux femmes victimes de violences conjugales pour l’accès au parc de logements sociaux. D’une manière générale, les administrations et les services de l’État qui ont à intervenir, qu’il s’agisse de la police, de la justice, des services sociaux, des commissions d’attribution des logements, etc., commencent seulement à intégrer la prise en compte spécifique de ce public, et à travailler ensemble dans cette perspective.

Les femmes victimes de violences, la double peine

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Orientations

Les violences faites aux femmes doivent être une préoccupation prioritaire des politiques publiques

De nombreuses politiques publiques sont concernées par la prise en charge des multiples difficultés rencontrées par les femmes victimes de violen-ces : politiques de l’emploi, du logement, de l’action sociale, politiques judiciaires, de sécurité publique, politiques de santé publique, d’éducation et de prévention. La mise en œuvre des actions nécessaires doit donc être interministérielle et multidisciplinaire.

L’abandon de la médiation pénale dans le cadre de violences conjugales et familiales

La Fnars est fortement opposée à l’usage de la médiation pénale en cas de violence conjugale et familiale, compte tenu du lien particulier qui unit la victime et l’auteur de violences. Le maintien d’une telle possibilité traduit une méconnaissance des mécanismes à l’œuvre dans le cadre de violences conjugales.

La réalisation d’études complémentaires et leur large diffusion pour mieux connaître et faire connaître les spécificités du phénomène

Il est indispensable de mieux connaître les mécanismes qui engendrent les situations de violences, de mettre à jour les manques et les résistances dans la prise en compte du phénomène, ainsi que les diverses modalités de prise en charge. Les besoins en hébergement et en logement des femmes victi-mes de violences conjugales doivent être recensés. De même, les différentes modalités de prise en charge des auteurs de violence doivent être évaluées.

Propositions

1. Donner à la femme victime le choix de son lieu de vie

La Fnars considère comme un progrès important la possibilité d’évincer l’auteur de violences du domicile. Mais les femmes doivent avoir le choix

Les femmes victimes de violences, la double peine

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de rester ou de partir. La société doit garantir la sécurité de celles qui sou-haitent rester dans leur logement. Dans cette perspective, les possibilités de contrôle judiciaire socio-éducatif, de prise en charge psychologique et d’hébergement pour les auteurs de violences doivent être renforcées.

2. Offrir des temps d’hébergement souples

Il faut du temps à une femme pour envisager la rupture avec l’auteur des violences, dans un contexte de contraintes multiples (liens affectifs, man-que de ressources et présence d’enfants). Les doutes légitimes et les reculs qui font partie du processus supposent que la personne puisse se poser pendant toute la durée nécessaire.

3. Abandonner le recours à la médiation pénaleLa Fnars demande que la loi soit modifiée afin que le recours à la média-tion pénale, inopérante, voire contreproductive, dans le cas de violences conjugales et familiales, ne soit plus possible.

4. Développer la formation des intervenants La compréhension globale du phénomène des violences par les interve-nants passe par une analyse en terme de rapports sociaux de genre.Ceux qui assurent le premier accueil doivent être en mesure de rompre le silence, de mesurer la gravité de la situation, de donner les informations juridiques, sociales et médicales nécessaires, d’accompagner la personne dans ses prises de décision.

5. Développer la formation et la prévention auprès des enfants et des adolescentsLa Fnars insiste sur la nécessité de mettre en place des politiques publiques de formation et de prévention à destination des jeunes, et plus spécifique-ment au sein de l’Éducation nationale.

6. Accompagner les victimes et les auteurs de violencesLa violence conjugale, qu’elle soit exercée ou subie, génère de l’exclusion sociale. Il ne suffit pas de séparer les personnes pour que les problèmes soient résolus. Les moyens pour accompagner les femmes victimes de violence,

Les femmes victimes de violences, la double peine

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Les femmes victimes de violences, la double peine

ainsi que les enfants qui ont vécu dans ce contexte déstabilisant, sont encore insuffisants. Il est également essentiel de proposer aux auteurs de violences un relogement en cas d’éloignement. Ils doivent par ailleurs pouvoir bénéfi-cier d’un accompagnement social et psychologique, condition indispensable pour que la famille ait une chance de dépasser la situation de violence.

7. Protéger les enfants en temps utileLa Fnars demande que les enfants soient systématiquement protégés pendant la période qui suit immédiatement la révélation des violences. Il est en effet nécessaire qu’une décision judiciaire provisoire, relative aux modalités d’exercice de l’autorité parentale, puisse être prise immédiate-ment lorsque c’est nécessaire.

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Constat général

Environ cinq millions d’êtres humains seraient concernés dans le monde par la prostitution. Depuis une dizaine d’années, avec le développement d’internet notamment, de nouvelles formes de prostitution généralement transfrontalières se sont développées. D’après les estimations de l’Orga-nisation internationale des migrations (OIM), entre 200 000 et 500 000 femmes seraient concernées dans la seule Union européenne. En France, on ne dispose pas de données fiables, à l’exception de celles de l’Of-fice central de répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), qui évalue entre 15 à 18 000 le nombre de personnes qui se prostitueraient. Plus de 80 % des personnes prostituées seraient des femmes et 81 % d’origine étrangère. Plus de la moitié d’entre elles proviendraient des pays de l’Est, des Balkans et d’Afrique. Le proxénétisme toucherait davantage les personnes étrangères. Au niveau mondial, 4 millions de personnes seraient victimes de la traite des êtres humains. L’exploitation sexuelle des enfants ferait, quant à elle, deux millions de victimes, notamment dans le cadre du « tourisme sexuel ». Néanmoins, ces chiffres ne recouvrent qu’une partie de la réalité et il convient de rester prudent. La prostitution se manifeste en effet sous des formes très diversifiées, mouvantes et parfois cachées.

LA PROSTITUTIONune problématique

d’abord sociale

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En l’espace de quelques années, le contexte dans lequel évolue la pros-titution a subi de profondes modifications d’ordre législatif, politique, économique, social, ou encore démographique : Citons par exemple : – la crise économique et le niveau de chômage élevé,– la crise du logement,– la réforme de l’Aide médicale d’État (AME),– la précarité économique et sociale des pays d’Europe centrale et orientale générant une immigration montante de personnes démunies et s’ajoutant aux flux migratoires traditionnels originaires d’Afrique et d’Asie,– la mise en œuvre de la loi de Sécurité intérieure de mars 2003 illustrant une volonté gouvernementale plus répressive à l’égard des personnes prostituées,– des interventions locales plus agressives (les arrêtés municipaux anti-prostitution, actions de riverains…).Par touches successives depuis plus de 60 ans, la législation française sur la prostitution a progressivement évolué. La législation adoptée par chaque pays relève de conceptions philosophiques, religieuses et culturelles diffé-rentes. Trois options principales existent : prohibitionniste, réglementariste et abolitionniste. L’option prohibitionniste considère la prostitution, son organisation et son exploitation comme un délit. Toutes les personnes qui y participent, y compris le client, peuvent être poursuivies (dans la plupart des États des USA par exemple). L’option réglementariste part du principe que la prostitution est un mal nécessaire. Les prostituées disposent d’un statut juridique et social. C’est le cas par exemple de l’Allemagne.La France, elle, a choisi la troisième voie. Depuis la loi de 1946 qui a programmé la fermeture des maisons de tolérance, et la ratification en 1960 de la convention de l’ONU pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, la France s’est clairement inscrite dans le camp des pays qui ont choisi le régime aboli-tionniste. Non pas qu’elle défende l’abolition de la prostitution ni même son interdiction, mais elle n’applique plus de législation réglementant son activité. L’abolitionnisme constitue par ailleurs le fondement d’une action de prévention de la prostitution et accorde une importance primordiale à l’insertion.

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La prostitution, une problématique d’abord sociale

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Si la prostitution n’est pas réprimée en tant que telle, tant du côté de la personne prostituée que du client (sauf cas particuliers), le racolage et le proxénétisme sont, eux, sanctionnés. Les plus récentes dispositions visant leur répression ont été introduites par la loi de Sécurité intérieure du 18 mars 2003. La Fnars s’était mobilisée contre les effets négatifs de cette loi, qui, en augmentant la répression, exposait davantage les personnes prostituées à l’isolement et à la violence. D’autres dispositions de cette loi ont renforcé la répression de la traite des êtres humains et organisé la protection des personnes victimes de cette exploitation.

L’expérience de la Fnars

Une réalité complexe et diversifiée

Sur la base de leurs observations et actions quotidiennes, les associations dressent plusieurs constats :– la prostitution de rue n’a pas diminué, mais elle s’est déployée dans des lieux inhabituels, de façon plus cachée. On constate aussi son dévelop-pement en milieu rural. La prostitution est plus diffuse, elle se déplace, elle est plus « nomade » et évolue rapidement (minitel, Internet, salons de massage, hôtels, etc.)– les personnes rencontrées sont plus jeunes et parfois même mineures – la population plus « âgée » paraît plutôt en baisse– la prostitution masculine augmente et ce phénomène touche surtout les jeunes– l’exploitation sexuelle et le trafic des êtres humains n’ont jamais été aussi importants et sont visibles dans de nouvelles régions, de nouvelles villes– les personnes prostituées subissent de plus en plus de violence– l’isolement s’accroît, en particulier chez les jeunes.Les associations insistent sur la diversité des situations des personnes prostituées. Aucun profil « type » n’existe. Hommes, femmes, transgen-res, mineurs, jeunes et moins jeunes, français, étrangers, victimes de la traite ou non… les histoires de ces femmes et de ces hommes sont autant d’histoires faites d’abandons, de mauvais traitements, d’exclusion. Mais chaque situation fait appel à une réponse sociale spécifique.

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La prostitution s’inscrit dans un parcours de vie. Elle apparaît souvent comme un recours dans une situation d’impasse où précarité affective, économique et sociale s’entremêlent.La prostitution est fréquemment en relation avec différentes formes de violences, celles des réseaux mafieux et proxénètes, celles des « dealers » de drogues, et parfois celle des clients, etc.

Des services spécialisés au service de la lutte contre l’exclusionParce qu’une personne qui se prostitue peut être jeune, sans domicile, toxico-mane, étrangère sans papier, mère isolée à la rue, etc., toutes les associations de solidarité et d’insertion sont susceptibles d’accueillir et d’accompagner des personnes confrontées à la prostitution. En effet, les personnes prostituées rencontrées sont d’abord des personnes en difficulté sociale. L’intervention sociale auprès d’elles relève donc des mêmes modalités que celle exercée auprès de tous les autres publics socialement fragilisés. Une vingtaine de services ont néanmoins développé une offre spécialisée dans l’accueil et l’ac-compagnement de personnes spécifiquement concernées par la prostitution.La complexité des problèmes rencontrés par ces personnes a également conduit les services d’accueil à intensifier leurs collaborations avec de nombreux autres acteurs : santé (notamment Sida et toxicomanie), police,

■ DES PERSONNES FRAGILISÉES

« Une enquête de la Fnars, menée en 2005 dans 10 services spécialisés de villes différentes, à partir de rapports d’activité associatifs de 2001, 2002 et 2003, rendait compte de leur activité quotidienne auprès des personnes :– en dehors de Paris, tous les services indiquent une forte augmentation du nombre de personnes rencontrées, soit dans la rue, soit dans les services– un rajeunissement global de la population prostituée. La très grande majorité des personnes rencontrées se situent dans la tranche d’âge 19-39 ans (environ 70 %), en augmentation relative au fil des ans- les associations rendent comptent d’importants besoins en matière de travail de rue, d’accompagnement administratif, de prévention, de santé, de protection d’hébergement. »

États généraux – Fnars

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justice, services d’aides aux étrangers, éducation nationale, services d’aide à l’emploi, coopérations européennes, etc. Les associations, malgré des moyens limités et souvent très fragiles, sont souvent les seules à être témoins des situations engendrées par la prostitution et à proposer un accompagnement aux personnes prostituées. Elles savent néanmoins qu’elles ne touchent qu’une partie des personnes prostituées qui pour la plupart, par peur, ou par méconnaissance, ne demandent pas d’aide.

Orientations

Privilégier une politique bienveillante à l’égard des personnes prostituées

Toute politique visant à stigmatiser les personnes prostituées amplifie les risques d’exclusions et de violence. Le recours accru à la loi pénale ne permet pas de réguler les problèmes sociaux. Ainsi, la pénalisation du « racolage passif » a engendré une plus grande marginalisation des prosti-tués sans pour autant avoir démontré son efficacité dans la lutte contre le proxénétisme. La France s’éloigne ainsi progressivement des engagements français de respect de la Convention de Genève.

Développer les expériences qui vont « au-devant »

La plupart des services spécialisés mènent un travail social de rue pour amorcer le dialogue, avec des personnes qui, spontanément, ne deman-dent rien, par isolement, par manque de confiance dans les institutions, ou bien tout simplement parce qu’elles ne souhaitent pas s’adresser à des services sociaux. Le travail social de rue s’inscrit dans la durée. Il permet aux personnes approchées de formuler peu à peu leur demande d’aide et d’accompagnement. Il doit permettre aussi de favoriser l’accès aux soins pour des personnes qui ne se font soigner que lorsqu’elles sont atteintes de pathologies graves et n’ont plus le choix.

Favoriser l’insertion sociale

La demande des personnes est en général axée lors des premiers entretiens avec les équipes sur un besoin de dialogue ou des questions de santé (gyné-cologie, toxicomanie) ou encore de régularisation administrative. D’autres

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problèmes peuvent ensuite émerger, lorsque certaines personnes décident d’arrêter de se prostituer. Certaines structures ont donc développé une intervention s’inscrivant prioritairement dans les domaines du travail de rue, de l’accueil, du dialogue, de l’orientation, de la santé, mais aussi, pour certains, de l’insertion professionnelle et de l’hébergement.

Garantir la protection des personnes exploitées

La Fnars réaffirme son attachement au régime abolitionniste et à la conven-tion de Palerme 1. La Fnars demande que toutes les personnes victimes de la traite des êtres humains puissent bénéficier, sans conditions, de protection, d’assistance, de soins, d’aide à l’insertion et/ou au retour dans leur pays d’ori-gine pour les personnes étrangères qui le souhaitent.

Une action globale de prévention, notamment auprès des jeunes

La lutte contre la prostitution passe également par une action plus globale d’éducation, de prévention notamment à destination des jeunes, de com-munication.

Propositions

1. Abroger la pénalisation du racolage

La Fnars demande l’abrogation de l’article 225-10 du code pénal qui péna-lise le racolage qui accroît les risques de violences et d’exclusion. Cette disposition constitue en outre un pas vers l’interdiction de la prostitution, en contradiction avec les engagements internationaux de la France

2. Mieux connaître

Pour agir, il faut mieux connaître. Aujourd’hui les seuls chiffres fiables proviennent du ministère de l’Intérieur et ne rendent pas compte de la réalité. La Fnars souhaite la création d’un observatoire national qui per-mette de croiser les chiffres et les données existantes. La Fnars est prête à apporter sa contribution à un tel observatoire.

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1. Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale, décembre 2000.

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3. Faciliter l’intervention sociale

Dans tous les départements, des actions de rue doivent être développées afin d’aller systèmatiquement au devant de ceux qui ne demandent rien. Les personnes prostituées qui le demandent doivent pouvoir bénéficier d’un accompagnement social adapté, en particulier dans le domaine de la santé et de la prévention. Enfin, la Fnars demande que l’aide aux victimes de la traite des êtres humains soit renforcée et que notamment des places sécurisées soient financées et réparties sur le territoire au sein de lieux d’hébergement existants.

4. Mettre en œuvre une politique publique globale

La Fnars demande la mise en œuvre d’une véritable politique publique in-terministérielle qui intègre et coordonne les différentes actions d’aide aux personnes prostituées et de lutte contre la traite des êtres humains. Elle souhaite qu’un état des lieux soit élaboré en concertation avec les associations et que des objectifs évaluables soient fixés.Les financements méritent, en outre, d’être clarifiés, augmentés et stabi-lisés.

5. Organiser des rencontres et mettre en place des coordinations locales

La Fnars demande par ailleurs le développement des travaux d’initiatives locales de regroupement et de coordination d’acteurs (associations profes-sionnelles, mouvements bénévoles, services d’État, collectivités locales…) qui visent à améliorer l’accompagnement des personnes prostituées, en par-ticulier là où il n’existe pas de service spécialisé. La Fnars souhaite s’associer à ces travaux.

6. Développer des campagnes de prévention

À la lumière d’expériences sur d’autres thématiques (femmes victimes de violences conjugales par exemple) ou réalisées dans d’autres pays, la Fnars demande que des campagnes nationales de prévention, notamment auprès des jeunes, soient mises en œuvre sur la question des violences sexuelles.

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Constat général

Au 1er septembre 2006, on comptait 55 764 personnes détenues dans les prisons françaises 1.Depuis cinq ans, la population carcérale s’est accrue de 25 %. De multiples facteurs entrent dans l’explication de cette inflation carcérale : allongement régulier des durées de peines, stagnation des aménagements de peines, etc. Mais cette situation résulte surtout d’une application beaucoup moins rigoureuse du principe, inscrit dans la loi, selon lequel la mise en détention provisoire et le prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme doivent être exceptionnels. Le chiffre des personnes qui entrent en prison chaque année est passé de 64 730 en 2001 à 84 710 en 2004. Un peu plus de 70% de ces personnes entrantes sont détenues provisoirement (en cours d’instruction, de juge-ment en comparution immédiate ou jugées non définitivement).

JUSTICE Favoriser les peines

alternatives à la détentionAccompagner la sortie de prison

1. Chiffre auquel il faut ajouter 1185 personnes sous surveillance électronique (bra-celet) et 296 en placement à l’extérieur, qui sont détenues mais n’occupent pas une place en prison.

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Une augmentation préoccupante, quand on sait que la majorité des per-sonnes qui rentrent en prison vont y rester moins de 6 mois (c’est le cas pour 67 % des personnes sorties de prison en 2003) et quitter la prison le plus souvent sans que leur sortie ait été préparée. Une augmentation également préoccupante, car elle crée une surpopulation dans les maisons d’arrêt. Or, la surpopulation, outre qu’elle rend plus difficile les conditions de détention, réduit encore un peu plus les possibilités de mener des actions de réinsertion pendant l’incarcération. Ces évolutions ont été favorisées par un contexte politique bien particulier. Les textes législatifs adoptés ces dernières années (loi sur la Sécurité inté-rieure en 2002, lois dites Perben 1 et 2 en 2002 et 2004 2, loi sur la récidive en 2005) marquent un changement d’attitude vis-à-vis des personnes en difficulté sociale. Ces textes affichent un renforcement de la répression, multiplient les mesures de sûreté et mettent fortement l’accent sur les seules responsabilités individuelles ou familiales. Ces orientations vont être complétées par le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. Élaboré par le ministère de l’Intérieur, ce texte laisse croire que seule l’exemplarité de la réponse répressive suffit à prévenir la délinquance. Sa conception de la prévention n’intègre pas en revanche la la mise en place d’actions éducatives, sociales ou de soutien, à l’égard des citoyens mineurs ou majeurs dont on sait pourtant à quel point elles peuvent être efficaces.

L’expérience de la Fnars

De nombreuses associations adhérentes à la Fnars accueillent d’anciens détenus et des personnes placées sous main de justice. Pour 20 % de celles-ci, l’entrée en prison a constitué l’évènement qui les a fait basculer dans la précarité 3. Historiquement, l’accueil des personnes sortant de détention a été à l’origine de la création de notre Fédération. C’est d’ailleurs en analy-sant leur parcours, concrètement, au jour le jour, que la Fnars s’est très tôt

2. Loi Perben 1 : loi d’Orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 ; Loi Perben 2 : loi du 9 mars 2004 sur l’adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. 3. « Détresse et ruptures sociales », enquête OSC-Fnars, avril 2002. Recueils & docu-ments Fnars n° 17.

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engagée pour la promotion des aménagements de peine et des alternatives à l’incarcération.

Une surreprésentation des pauvres et des exclus

Les personnes détenues sont majoritairement issues des couches les plus pauvres de la société. 22,8 % des entrants en prison se déclarent sans res-sources et 25 % d’entre eux n’avaient ni logement, ni hébergement durable avant l’incarcération.D’une manière générale, les détenus sont entrés dans la vie adulte de façon précoce, sans choix professionnel, familial ou social. Neuf détenus sur dix ont quitté le système scolaire avant l’âge de 20 ans, contre six hommes sur dix dans l’ensemble de la population. Ils ont commencé à travailler plus tôt, quittant également le foyer familial plus tôt. Leurs histoires familiales révèlent souvent la grande fragilité des liens qui les unissaient, avant l’in-carcération, à leur conjoint et leurs enfants 4. La prison ne doit rien être d’autre que la privation de la liberté. Mais en réalité, elle aggrave le processus d’exclusion et de déstructuration. La pri-son voit passer nombre de personnes en situation de grande précarité et d’exclusion qui « très souvent, en ressortent plus fragilisées » 5. Elles sont encore plus précaires et plus exclues lorsqu’elles sortent. Il n’est dès lors pas étonnant de constater que « 20 % des personnes recourant aux actions d’accueil organisées par les associations de lutte contre l’exclusion ont séjourné entre deux et cinq fois en prison. » 6

Le difficile accès aux peines alternatives

On sait aujourd’hui qu’il existe un lien entre la première incarcération et la récidive et que les peines alternatives protègent mieux de la récidive que les peines de prison 7. Or, la peine d’emprisonnement n’est pas le

4. L’histoire familiale des hommes détenus, Insee Première. Avril 2000.5. « Pauvreté, exclusion, la prison en question », colloque OIP France-Emmaüs, février 2005.6. Idem.7. Kensey (A.), Lombard (F.), Tournier (P.-V.), Sanctions alternatives à l’emprisonne-ment et « récidive ». Observation suivie, sur 5 ans, de détenus condamnés en matière correctionnelle libérés, et de condamnés à des sanctions non carcérales (département du Nord).

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seul mode de sanction. On peut sanctionner efficacement tout en évitant l’incarcération. Le Travail d’intérêt général (TIG), le contrôle judiciaire socio-éducatif, le régime de probation, la réparation pénale sont autant d’alternatives à la prison.Pourtant, ces mesures ne sont pas suffisamment utilisées. Le Travail d’in-térêt général est insuffisamment développé. Cette peine a souvent valeur de réparation, notamment par le fait que la nature du travail proposé peut correspondre, au moins symboliquement au trouble social entraîné par le délit. Cependant, la majorité des TIG s’effectuent dans des lieux qui ne peuvent assurer l’accompagnement social nécessaire, notamment pour les personnes les plus en difficulté. La reconnaissance de cet accompagnement est pourtant indispensable pour le développement et la diversification du nombre de postes, notamment par le secteur associatif.De surcroît, parce qu’ils offrent le moins de garanties en terme de loge-ment ou d’emploi, les plus pauvres sont ceux qui bénéficient le moins des peines non carcérales.

L’aménagement de peine pour éviter les « sorties sèches » de prison

Si la détention a été décidée, il existe des possibilités d’éviter la sortie sans aucun accompagnement ou sans aucune préparation des personnes incar-cérées et de créer des passerelles entre la prison et l’extérieur. Ainsi, les aménagements de peine, qu’il s’agisse de libération conditionnelle ou de placement à l’extérieur, peuvent constituer un rempart contre l’aggrava-tion de l’exclusion. Pourtant, ils ne concernent que 18 % 8 des personnes condamnées et ne sont pas tous accessibles aux personnes les plus en difficulté. Par exemple, le placement sous surveillance électronique rend nécessaire la disponibi-lité d’un logement et d’un téléphone fixe, ce qui exclut de fait un certain nombre de personnes. Pour les personnes les plus en difficulté, qui n’ont accès ni à la libération conditionnelle, ni à la semi-liberté, ni à la surveillance électronique, faute de projet de sortie suffisamment solide ou d’une certaine stabilité, le place-

8. Annie Kensey, Pierre Tournier, Aménagements des peines privatives de liberté, des mesures d’exception, Questions Pénales, 2000.

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ment à l’extérieur s’avère particulièrement adapté. Il s’agit d’une sanction pénale qui s’effectue à l’extérieur de la prison, souvent dans une associa-tion, sous réserve du respect par la personne condamnée des conditions individuelles fixées. Mais force est de constater qu’il reste peu développé.

Le rôle des associations dans la réinsertion des détenus les plus exclus

En proposant un accompagnement social hors des murs, les associations adhérentes à la Fnars contribuent à prévenir l’effet désocialisant de la détention et à mettre en place les moyens d’une réinsertion durable des personnes condamnées. Elles participent ainsi à la lutte contre la récidive. Qu’il s’agisse d’une structure d’hébergement et de réinsertion sociale ou d’une structure d’insertion professionnelle, elles accompagnent la per-sonne accueillie dans la construction progressive d’un projet d’avenir. Outre les aspects strictement liés à l’exclusion, l’accompagnement d’an-ciens détenus ou de personnes placées sous main de justice revêt des aspects particuliers. Il prend en compte les problématiques liées à la trans-gression de la loi et au passage à l’acte, sans toutefois réduire la personne aux actes qu’elle a commis.

■ LE PLACEMENT À L’EXTÉRIEUR EST EN PERTE DE VITESSE.

Jusqu’en 2000, c’était environ 3 300 mesures à l’année qui étaient prononcées. Depuis, la moyenne tombe à 2 500 mesures, parmi lesquelles seulement 1 500 se déroulent sous la responsabilité de partenaires associatifs habilités, en milieu libre. La libération conditionnelle oscille autour de 6 000 mesures, mais a connu quelques années de creux où elle se situait à 5 200/5 300 mesures. Elle reste une mesure fragile, sujette à des variations sensibles, en fonction de la médiatisation de récidives dramatiques mais isolées. La semi-liberté reste stable avec 6 500 mesures annuelles. En revanche, le placement sous surveillance électronique connaît une forte croissance, qui est sans doute lié à sa création récente, passant de 359 mesures en 2002 à 4128 mesures en 2005 9.

9. Chiffres : administration pénitentiaire.

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La sortie des personnes présentant des troubles psychiatriques

La prise en charge psychiatrique en prison existe, mais elle est insuffi-sante et très inégale selon les lieux, les établissements et les besoins. La dernière étude épidémiologique disponible évalue à 35 % la proportion de détenus qui souffrent d’un trouble mental qualifié de grave à sévère, voire très sévère 10. La même étude précise que le tiers des hommes incarcérés avaient déjà consulté pour un motif psychiatrique avant l’incarcération. Deux études de la Drees 11 réalisées en 2001 et 2005 sur l’état de santé des détenus montrent que le nombre des personnes ayant besoin de soins psychiatrique est important. Ainsi, un peu plus de la moitié des détenus verra un professionnel en santé mental pendant son incarcération. Or, ces personnes sont mal prises en charge à leur sortie. Même lorsqu’une obligation judiciaire de soins a été prononcée, le déficit de moyens dans les secteurs de psychiatrie (800 postes de psychiatres vacants) ne permet pas de prise en charge dans des délais raisonnables : il faut attendre parfois 5 ou 6 mois avant d’obtenir un rendez-vous dans un CMP (Centre médico-psychologique).Il est également probable que la suppression de nombreux lits dans le secteur psychiatrique a entraîné un plus fort recours à la prison pour des personnes qui ont essentiellement besoin de soins psychiatriques.

■ PAROLES D’UNE PERSONNE SORTANT DE PRISON

« Je suis rentré en détention en 2000. Je suis sorti en 2002 et suis rentré en 2003. C’est alors que je me suis pris en main. J’ai dit au service social que j’étais dans la rue une fois que j’étais sorti. Alors il m’a donné l’adresse du foyer Maurice Liotard… Dans ce foyer, on avait des contrats d’une période de six mois. Pour le projet, alors, je suis resté 9 mois au foyer où ils m’ont beaucoup aidé sur tous les domaines. Maintenant je suis en appartement, toujours avec le foyer, et j’avais toujours mon suivi avec mon éducatrice. Si je n’avais pas trouvé ce foyer d’insertion, je serai à la rue et retombé en détention… »

États généraux – Fnars Rhône-Alpes

10. B. Falissard. Prevalence of mental disorders in French prisons for men 2006. 11. Direction de la recherche des études et de l’évaluation et des statistiques.

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Ces insuffisances rendent difficile l’installation d’une bonne coopération entre les services de psychiatrie et les centres d’hébergement de sorte que ceux-ci se sentent peu armés pour faire face à des pathologies lourdes. Sans préparation sérieuse de leur sortie les personnes risquent en conséquence d’être rejetées par les lieux d’accueil, avec le retour dans l’errance ou la galère.

Orientations

Sanctionner sans exclure

Les adhérents de la Fnars sont depuis cinquante ans des observateurs privi-légiés de ce qui marche et ne marche pas dans le domaine de la prévention de la délinquance et de la récidive. Cette expérience a conduit la Fnars à demander, en accord avec d’autres acteurs, que les sanctions alternatives deviennent la règle et les peines de prison l’exception. Cette orientation rejoint d’ailleurs les constatations des rapports parlementaires récents sur la prison dont on peut regretter qu’ils n’aient pas été suivis d’effet. La sanction pénale ne doit pas s’accompagner d’une peine sociale et encore moins devenir un moyen de régulation sociale. La prison ne doit pas être une réponse aux disfonctionnements de notre société (délinquance liée à la pauvreté, difficultés d’insertion des jeunes, traitement des situations administratives irrégulières, etc.).Le premier passage en prison, au lieu d’être exemplaire pour la personne condamnée, provoque souvent encore plus d’exclusion sociale, encore plus de mal-être dans la société, plus de délinquance. Et, au bout du compte, de la récidive. C’est la raison pour laquelle la Fnars demande que le recours aux sanctions et mesures non carcérales soit systématisé.Elle insiste cependant sur la nécessité de prévoir pour toutes les sanctions alternatives un accompagnement social adéquat.

Aménager les peines de prison

La loi du 9 mars 2004 a considérablement modifié les modalités d’amé-nagement des peines par les juges de l’application des peines : aménage-ment possible de toutes les peines d’emprisonnement inférieures à un an, proposition systématique d’exécution, hors les murs, des derniers mois des condamnations inférieures à 5 ans d’emprisonnement.

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Cette loi a réaffirmé le principe selon lequel l’exécution des peines doit favo-riser « l’insertion ou la réinsertion des condamnés, ainsi que la prévention de la récidive ». Elle a réaffirmé également que « l’individualisation des peines doit permettre, chaque fois que cela est possible, le retour progres-sif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire. » En accord avec ces principes, la Fnars souhaite s’engager davantage dans le développement de tous les aménagements de peine qui permettent de renouer avec la vie à l’extérieur.

Développer un accompagnement social spécifique

Ces avancées indéniables en matière d’aménagement des courtes peines ne peuvent avoir d’impact positif sur la réinsertion que si un accompagne-ment social de la personne est systématiquement proposé. Cela implique par exemple que le placement sous surveillance électroni-que soit assorti d’un accompagnement social individualisé. Il ne s’agit pas de prendre en compte le seul aspect sécuritaire, mais aussi de préparer la réintégration sociale de la personne. Cela est également vrai pour les con-damnés au travail d’intérêt général. Il est nécessaire de développer, au sein des associations, des postes de travail correspondant aux compétences et aux projets des personnes, et de leur proposer un accompagnement social individualisé. L’expérience montre en effet que, faute d’accompagnement social, ces mesures peuvent également conduire à l’échec.

Favoriser l’insertion des personnes pendant la détention

Lutter contre l’exclusion, c’est aussi lutter contre l’exclusion en détention. En prison, tout coûte plus cher. Les postes de travail sont en nombre insuffisants et sous-payés. Les détenus ne bénéficient pas des minima sociaux. Nombre d’entre eux n’ont donc aucune ressource, sont incapables de subvenir à leur propre besoin en détention et à ceux de leur famille à l’extérieur, et de dédommager les parties civiles.Il est donc nécessaire de développer de façon résolue l’accès aux droits com-muns, le travail en détention conçu comme un outil d’insertion, la formation professionnelle, en fonction des besoins constatés des personnes incarcérées, en faisant du temps de détention un temps tourné vers la préparation de la sortie. La prise en charge des soins psychiatriques doit également être amé-liorée notamment dans les établissements qui ne disposent pas d’un SMPR

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(Service médico-psychologique régional), l’objectif devant être que chaque détenu, qui en a besoin, bénéficie en prison et à sa sortie d’un suivi adapté. Il n’existe actuellement que 26 SMPR pour 188 établissements pénitentiaires.

Sanctionner et prévenir

Une politique de prévention de la délinquance ne peut être un outil d’éva-luation de la dangerosité des personnes. De ce point de vue, le projet de loi sur la prévention de délinquance, actuellement en cours de discussion, ne répond pas aux besoins. Elle doit au contraire permettre à chacun de retrou-ver une autonomie et des projets. Les personnes que la Fnars accueille ont connu des ruptures de socialisation qui les ont conduites à la précarité. Pour lutter contre l’apparition de comportements délinquants, il faut d’abord agir contre la rupture des liens de filiation, d’intégration et de citoyenneté, ce qui signifie organiser un accompagnement social qui s’appuie sur la compé-tence et l’expérience des travailleurs sociaux et des associations.

Propositions

1. Développer des alternatives à l’incarcération

Pour les courtes peines, le recours aux sanctions alternatives doit être la règle et la prison l’exception. Tout ce qui permet d’éviter la première incar-cération doit en conséquence être fortement développé : travail d’intérêt général, sursis avec mise à l’épreuve, contrôle judiciaire, etc. Pour que ces affirmations qui font l’objet aujourd’hui d’un large consen-sus ne restent pas lettre morte, il est nécessaire de penser la création d’un véritable service public de l’insertion des personnes placées sous main de justice, dotée de moyens suffisants, qui associe les services pénitentiaires d’insertion de probation et les associations sur la base d’une convention. Cette convention serait accompagnée d’un financement pour les structu-res qui accueillent ces personnes placées sous main de justice et d’une évaluation stricte de l’efficacité de la prise en charge.

2. Développer les aménagements de la sortie de prison

La libération conditionnelle est « l’une des mesures les plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion

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des détenus dans la société » 12. Il est établi que les personnes en libération conditionnelle récidivent moins que ceux qui sortent en fin de peine sans aucun suivi. La Fnars propose que la libération conditionnelle soit la règle, au moins pour les peines de prison inférieures à 10 ans et le maintien en détention l’exception spécialement motivée. Au même titre que pour les sanctions alternatives, la Fnars propose que pour l’accueil des personnes en aménagements de peines, des conventions départementales soient systémati-quement conclues avec des associations et que des objectifs évaluables soient déterminés. Dans ce cadre, le placement à l’extérieur doit être relancé sur l’ensemble du territoire et son financement revalorisé. En effet, cette mesure est particulièrement adaptée aux personnes en grande difficulté sociale, en présentant une proposition de prise en charge progressive et individualisée, qu’il s’agisse d’une remise au travail par le biais d’une intégration dans des activités d’insertion ou de construction d’un projet propre à la personne.

3. Mettre en œuvre les recommandations européennes

Des recommandations majeures 13 ont été adoptées ces dernières années par le Conseil de l’Europe en matière pénale et pénitentiaire. La recommandation R(99)22 sur le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale encourage notamment le développement des aménagements de peines, estimant que la construction de nouvelles places de prison ne suffit pas. La recommandation R(2003)22 sur la libération conditionnelle émet des règles novatrices sur les critères d’octroi de la mesure. Enfin, la recommandation R(2006)2, portant réécriture des règles pénitentiaires européennes, redéfinit tous les aspects du régime de détention : discipline, conditions de vie, santé, travail, etc. Certaines de ces recommandations n’ont eu qu’un impact limité sur la politique pénale et pénitentiaire. La Fnars demande que ces recommandations ne restent pas lettre morte. Les politiques internes de la France doivent être en cohérence avec cet ensemble de règles, dont l’objectif est à la fois de contribuer à réduire l’exclusion des personnes détenues ou placées sous main de justice et de les accompagner dans un cursus d’insertion durable.

12. Citation du texte de la recommandation européenne sur la libération condition-nelle R(2003)22.13. R(99)22 : recommandation adoptée le 30 septembre 1999, R(2003)22 : adoptée le 24 septembre 2003, R(2006)2 : adoptée le 11 janvier 2006.

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Justice : favoriser les peines alternatives à la détention, accompagner la sortie de prison

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Constat général

De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque les inégalités sociales de santé ? À l’âge de 35 ans, l’écart entre l’espérance de vie d’un ouvrier non spécialisé et celle d’un cadre supérieur est de 9 ans. Une étude comparative entre onze pays européens sur les disparités sociales de mortalité place la France au dernier rang, au même niveau que la Finlande 1. Cette « spécificité » française s’ex-plique en grande partie par la consommation excessive d’alcool.Si l’on s’arrête sur les personnes les plus démunies, force est de constater que la santé des personnes s’altère quand s’accentue leur précarité. Les risques augmentent en fonction du degré d’exclusion. Une étude réalisée auprès de populations précaires et non précaires met en évidence la pro-gression du risque de maladie avec l’aggravation de l’exclusion 2. Par ailleurs, on ne peut ignorer deux pathologies de la pauvreté qui restent d’actualité en France : le saturnisme, maladie des enfants pauvres, et la tuberculose 3.

LES INÉGALITÉS SOCIALES DE SANTÉ

1. « Disparités sociales de mortalité : inégalités sociales de santé », Jougla, Rican, Péquignot, Le Toullec, 2003. 2. « Inégalités de santé et comportements », BEH, octobre 2005.3. Bulletin épidémiologique hebdomadaire, BEH, avril et mai 2005.

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La création de la Couverture maladie universelle (CMU) en janvier 2000 a sensiblement amélioré l’accès aux soins des personnes les plus démunies, mais il reste beaucoup de chemin à parcourir, notamment en matière de prévention et de soins spécialisés. La CMU complémentaire a également levé nombre d’obstacles qui empê-chaient les personnes pauvres de se soigner (puisqu’elle permet de béné-ficier d’une prise en charge totale des dépenses de santé, sans avoir à faire l’avance des frais). Mais il reste encore trois millions de personnes sans couverture complémentaire.

L’expérience de la Fnars

Précarité sociale et cumul des pathologies

Précarité sociale et problèmes de santé sont souvent intimement liés. Une santé fragile peut entraver l’insertion sociale et professionnelle. Inversement, des conditions de vie précaires peuvent provoquer des trou-bles physiques et mentaux.La santé ne dépend pas d’un facteur en particulier mais de l’interaction de plusieurs déterminants. Pour ce qui concerne les publics accueillis dans les établissements adhérents de la Fnars, la pauvreté est l’un des détermi-nants centraux de leur état de santé. Elle a de multiples conséquences : diminution de l’espérance de vie, risque accru de maladies infectieuses, hausse des taux de tabagisme et des taux de consommation d’alcool, sur-consommation de médicaments, etc. Elle engendre également des effets sur l’état psychique des personnes avec une plus grande prévalence de la dépression, du suicide et des troubles du comportement 4.Une enquête de l’Insee sur les usagers des services d’aide 5, qui relèvent du champ de la Fnars, a montré que ces personnes ont une plus forte propension à la migraine (20 %), aux maladies respiratoires (14 %), qu’elles souffrent cinq fois plus du système digestif, deux fois plus d’hypertension et de troubles cardio-vasculaires, et deux fois plus de problèmes dermatologiques.

4. Guide méthodologique de l’accompagnement santé, document de travail, mai 2006.5. Insee Première, avril 2003.

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Les inégalités sociales de santé

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Ces données sont étayées par une enquête réalisée auprès des populations défavorisées en 2004 et 2005 6, qui montre que l’accès à une alimentation saine et équilibrée est un besoin fondamental non complètement satisfait dans notre pays, notamment pour les plus démunis, et que les personnes qui bénéficient de l’aide alimentaire sont confrontées à des risques nutri-tionnels spécifiques, liées aux carences en produits frais et en légumes. Les personnes en situation de grande précarité présentent donc un état de santé plus fragile que le reste de la population. À cela s’ajoute un cumul des symptômes plus élevé que la moyenne. Ainsi, on constate que, parmi les individus qui consultent dans les centres de soins gratuits, la moitié des usagers ont au moins quatre problèmes de santé identifiés, et 20 % ont au moins huit problèmes 7.

La difficile prise en charge de la maladie mentale

On dispose de peu de données épidémiologiques sur les pathologies psychiatriques des personnes les plus en difficulté. Une étude réalisée en 1997 auprès des Sans domicile fixe à Paris a révélé que 57 % d’entre

■ UNE CONSULTATION D’ADDICTOLOGIE EN CHRS

« Depuis deux ans, tout nouveau résident doit rencontrer en principe le médecin alcoologue. L’alcool est présent chez plus de 80 % des résidents. Ils parlent volontiers de cette difficulté. Ils ont du mal à envisager une rupture avec le produit. 30 % entament une démarche de soins.Certains fumeurs envisagent le sevrage mais sont freinés par le coût du traitement (les bilans de santé de la Caisse d’assurance maladie permettent toutefois la gratuité des patchs). 30 % des résidents consomment du cannabis et, là aussi, la rupture est difficile. Pour les drogues dures, quelques résidents y ont recours, 5% utilisent des produits de substitution. »

États généraux – Fnars Aquitaine

6. Enquête « Alimentation et nutrition des bénéficiaires de l’aide alimentaire » (Abena), BEH, mars 2006.7. Guide méthodologique Fnars.

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Les inégalités sociales de santé

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eux souffraient de troubles mentaux 8. Mais aucune étude ne permet de distinguer ce qui relève de troubles de la personnalité antérieurs de ce qui relève des conséquences du mode de vie. La plupart des centres d’hébergement témoignent de leur difficulté à accueillir des personnes rencontrant des pathologies mentales qui néces-siteraient une prise en charge adaptée, ce que nombre de lieux d’accueil ne sont pas en mesure d’assurer. Ce constat pose aussi la question de la coopération, ou plutôt l’absence de coopération, entre les établissements psychiatriques et les structures d’accueil (aller-retour entre le service psychiatrique et la rue ou l’accueil d’urgence).

Une question se pose toutefois. A-t-on affaire à une progression réelle du nombre de personnes connaissant des problèmes de santé mentale dans nos structures, ou cela relève-t-il d’une conscience plus aiguë, d’un plus grand professionnalisme des équipes, capables d’identifier plus qu’avant les troubles psychiques ? La réponse est complexe, mais il est certain que les conditions de vie des personnes en situation d’exclusion sociale contribuent à révéler ou à aggra-ver les problèmes psychiques. L’exclusion sociale produit de l’angoisse et de la dépression et, pour les plus exclus, la vie prolongée dans la rue a un

8. V. Kovess et C. Mangin-Lazarus. « L’abord épidémiologique des troubles mentaux dans les populations défavorisées. La santé des sans abri à Paris », Revue Fr Psychiatrie 1997, n°9.

■ QUE FAIRE DE CEUX QUI NE PEUVENT MÊME PAS COMPOSER LE 115 ?

« Il faut souligner l’usure du travailleur social face à la prise en charge d’un usager présentant une lourde pathologie psychique. Certains responsables de CHRS reconnaissent que la vie du centre devient compliquée quand les personnes présentant des troubles psychiques représentent plus de 10 à 15 % des hébergés. Et que faire des personnes qui ne sont pas prises en charge ? Certaines n’arrivent même pas à composer le 115, et celui-ci ne dispose pas des compétences nécessaires pour les prendre en charge. »

États généraux – Fnars Île-de-France

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Les inégalités sociales de santé

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impact très lourd sur la santé mentale, comme elle en a sur la santé physi-que. Elle modifie le rapport au temps, à l’espace et à son propre corps. Le recours à l’alcool et aux drogues pour atténuer l’angoisse et l’absence de soins accélère par ailleurs les processus de déstructuration.

La Fnars développe « l’accompagnement santé »Les questions de santé et d’accès aux soins ont longtemps été relativement absentes des préoccupations des travailleurs sociaux prenant en charge les personnes les plus en difficulté. Il est vrai qu’il y avait d’autres urgences : alimentation, hébergement, réponse aux besoins de première nécessité. La prise de conscience qu’il ne peut y avoir d’insertion durable sans que la santé soit véritablement prise en compte est donc récente. Cette prise en compte ne peut reposer sur les seuls spécialistes du soin. Elle suppose que les professionnels du social se préoccupent au quotidien de la santé des personnes en grande précarité, et pas seulement quand elles sont malades. C’est ce que la Fnars appelle « l’accompagnement santé ».

■ LA MALADIE MENTALE EN ACCUEIL DE NUIT

« Très régulièrement, nous sommes confrontés à nos propres limites, et à celles du secteur sanitaire, dès lors que les personnes accueillies expriment des souffrances psychiques, voire des problèmes de santé mentale (…).Régulièrement, nous rencontrons à l’accueil de nuit des personnes dont les comportements laissent craindre des psychopathologies (désorientation, délires, discours paranoïaques, etc.) avec des troubles du comportement (agitation, colère mal contenue, agressivité). Ces problèmes sont souvent masqués ou amplifiés par l’abus de toxiques. Nous accueillons aussi des personnes laissant apparaître des souffrances psychiques importantes (inquiétude forte, stress, peurs, pleurs…) souvent associées à des consommations d’alcool importantes.Le séjour à l’accueil de nuit peut permettre de repérer ces difficultés. (…) Mais pour les personnes connaissant des problèmes de santé mentale, nous dépassons rarement le simple constat. Elles restent parfois en contact avec le service, puis disparaissent. La famille est parfois contactée mais le sentiment d’impuissance demeure. »

États généraux – Fnars Poitou-Charentes

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Les inégalités sociales de santé

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De plus en plus d’associations mettent donc en place des actions d’accès aux soins, d’entretien des droits, de mise à jour des dossiers, d’éducation à la santé et de prévention. De la même manière que des travailleurs sociaux se sont spé-cialisés dans des actions d’insertion par l’économique ou d’accès au logement, des référents-santé prennent en charge cette question spécifique.

■ L’ACCOMPAGNEMENT SANTÉ, UN LEVIER VERS L’INSERTION

« La santé est considérée par les travailleurs sociaux comme un levier pour l’insertion, mais elle est rarement vécue comme telle par les usagers. Un accompagnateur va par exemple travailler autour du problème de l’alcool rencontré par une personne, et le mettre en lien avec ses retards au travail, son manque de concentration, etc. Il s’agit d’un préalable à l’insertion, mais il doit être abordé avec précaution. Nous devons faire attention aux priorités des personnes, qui ne sont pas toujours celles que nous identifions.Les personnes en situation d’exclusion se sentent en mauvaise santé à partir du moment où elles ressentent une grande douleur. Elles montrent des seuils de tolérance à la douleur supérieurs à la moyenne. Leur santé est rarement une priorité pour elles. »

États généraux – Pays de la Loire

■ DES ACTIONS SANTÉ À L’EXTÉRIEUR DES CENTRES D’ACCUEIL

« À Tours, le Point accueil solidarité est une permanence d’accueil assurée par un infirmier à la gare, afin d’apporter écoute, information et orientation. »« À Marseille, une équipe de maraude de jour, composée d’une infirmière, d’un éducateur spécialisé et d’un accompagnateur, rencontre les personnes qui vivent dans la rue pour aborder avec elles les questions de santé (image de soi, prise en compte des douleurs, réinvestissement du corps…). »

États généraux – Fnars Centre – Fnars Paca Corse Dom –

Casous de Tours et Sara Marseille

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Orientations

Le droit à la santé

Le droit à la santé est l’un des pans de la politique de lutte contre les exclu-sions. Mais une politique de santé publique, d’accès à la protection sociale et aux soins, même performante, ne suffit pas à améliorer l’état de santé des personnes les plus démunies si elle n’est pas associée à un accom-pagnement individualisé. L’objectif d’une politique publique devrait être non seulement de faciliter l’accès aux soins de ceux qui sont demandeurs mais aussi de proposer des soins à ceux qui ne demandent rien. Si tout le monde est d’accord sur de tels principes, leur mise en œuvre pratique se heurte à de nombreux obstacles qui ne sont pas seulement des problèmes de moyens. Car la santé repose sur d’autres déterminants impliquant plu-sieurs politiques publiques (éducation, logement, emploi, etc.).

L’accent mis sur la prévention

La prévention est l’anticipation des risques susceptibles d’entraîner des problèmes de santé ou de les aggraver. Des actions d’éducation à la santé doivent être développées (VIH, tuberculose, saturnisme, maternité, etc.) en tenant compte des modes de vie des personnes concernées. La prévention, c’est aussi aller au-devant des personnes les plus marginali-sées. Les retards des politiques publiques au début de la pandémie de Sida ont en effet mis en évidence le danger qu’il y avait à se contenter d’attendre la demande de soins.

■ UNE ANTENNE VIH AU CHRS

« La Cité Saint-Martin à Paris propose 8 lits adaptés pour les familles et les personnes isolées atteintes par la maladie. La vie au sein de la collectivité permet une convivialité qui sort les personnes malades de leur isolement. Parallèlement, une médiatrice culturelle travaille en relation avec l’infirmière, le médecin et les travailleurs sociaux pour dédramatiser la maladie et renouer des liens avec l’entourage. »

États généraux – Fnars Île-de-France – Cité Saint-Martin, Paris

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Les inégalités sociales de santé

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La notion de partage de l’information

Plutôt que de « secret partagé », nous préférons parler de « partage d’in-formations ». Le partage d’informations est nécessaire dans la co-cons-truction d’un projet d’insertion, en le soumettant à un certain nombre de règles déontologiques. Il s’agit de développer des pratiques en réseau entre travailleurs sociaux et professionnels médicaux, où le travail ne se fait plus dans un champ disciplinaire clos, mais à travers des approches « collaboratives » entre travailleurs sociaux et soignants. Il convient de ne transmettre que les informations nécessaires, d’associer la personne suivie à cette transmission, et de s’assurer que les professionnels avec qui l’on collabore sont eux aussi soumis au secret professionnel.

Accompagner les personnes souffrant de troubles mentaux

Les centres d’hébergement rencontrent de nombreuses difficultés pour orga-niser la prise en charge de ces personnes. Celles-ci sont en effet susceptibles de provoquer des attitudes de rejet, de la violence et un sentiment d’insécu-rité qui aboutit à l’échec de la prise en charge, lorsque les institutions ne sont pas préparées à assurer leur accueil. Il est en conséquence indispensable d’organiser une coopération étroite avec le secteur psychiatrique et, surtout, de prévoir une supervision des équipes des centres d’hébergement.

Propositions

1. Rendre immédiat pour tous l’accès aux soins

Toute personne présente sur le territoire qui rencontre un problème de santé doit pouvoir être prise en charge. L’accès à la Couverture maladie universelle (CMU) et à l’Aide médicale d’État (AME) doivent permettre de prendre en charge toutes les situations. À cet égard, la condition d’un séjour de trois mois sur le territoire français pour accéder à l’aide médicale d’État doit être supprimée.

2. Renforcer les liens entre sanitaire et social

La dimension sociale des pathologies rend nécessaire une coopération étroite entre intervenants sanitaires et sociaux. « L’accompagnement

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Les inégalités sociales de santé

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santé » implique un changement profond des relations entre le secteur sanitaire et le secteur social qui doit aller au-delà de l’accès aux spécialistes du soin.

3. Des accompagnateurs santé

Pour développer les liens entre le secteur social et le secteur médical, et pour promouvoir la prévention, la Fnars souhaite que soient formés des « accompagnateurs santé », capables d’appréhender ensemble les dimen-sions sanitaire et sociale de certaines pathologies. Ces accompagnateurs doivent garantir dans toutes les structures une vigi-lance quotidienne à l’égard des problèmes de santé mentale et physique rencontrés, et pas forcément exprimées, par les hébergés. Elles doivent faciliter l’accès aux soins et le suivi des traitements.

4. Aller vers les personnes les plus démunies

Il est également nécessaire de développer dans le cadre des équipes mobi-les (voir le chapitre sur « l’accueil d’urgence ») une vigilance à l’égard des problèmes de santé de ceux qui ne demandent rien.

5. Améliorer la prise en charge des personnes souffrant de troubles mentaux

La Fnars demande que le travail entre les centres d’hébergement et le secteur psychiatrique soit obligatoirement organisé et fasse l’objet d’une convention qui prévoit notamment des temps institutionnels, d’analyse et d’échange pour les équipes, et une supervision systématique. Dans le cadre de cette convention, les relais entre les différents services et insti-tutions doivent être prévus afin d’éviter que les personnes accueillies ne fassent l’objet de rejets en cascade.

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Constat général

Les premières associations adhérentes à la Fnars se sont créées dans la mouvance militante de l’après-guerre. L’improvisation des premières années s’inscrivait souvent dans une approche charitable et fraternelle de l’exclusion – on ne parlait d’ailleurs pas d’exclusion, mais de misère et de pauvreté. Il s’agissait de porter secours aux plus démunis – les sortants de prison, les prostituées, les sans-logement de l’après-guerre. Cela se faisait avec des formes d’actions inventées chaque jour. Faut-il rappeler l’Appel de l’Abbé Pierre en 1954 et la lame de fond qu’il a provoquée dans l’opinion ? Le dynamisme des associations de solidarité, leur capacité d’innovation, l’énergie de leurs bénévoles ont été à l’origine de bien des politiques publiques en matière d’hébergement, d’insertion et d’accom-pagnement social.En cinquante ans d’histoire, les associations adhérentes à la Fnars ont connu des évolutions profondes. Elles ont créé des services sociaux, géré des établissements, recruté des professionnels, milité pour la formation des travailleurs sociaux. La Fnars fédère aujourd’hui 750 associations gestionnaires de quelque 2 200 établissements et services sociaux qui sont

LES ASSOCIATIONSACTEURS DE LA COHÉSION SOCIALE

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financés principalement par des fonds publics et qui accueillent chaque année 600 000 personnes en situation de précarité.Les associations constituent des lieux de démocratie et d’exercice de la citoyen-neté, où se côtoient usagers, professionnels salariés, bénévoles, adhérents et administrateurs. Elles pèsent socialement et économiquement. Elles sont régulièrement sollicitées pour leur expertise et leur professionnalisme. Elles recouvrent cependant des réalités différentes qui résultent aussi bien des missions qu’elles se sont fixées (expertise, gestion de service, vocation humanitaire, rôle d’alerte), de leurs modalités de financement (financement sur fonds publics ou appel à la charité publique), que des acteurs auxquels elles font appel (niveau de qualification, professionnels, bénévoles, etc.). Ces différences constituent la richesse d’un réseau comme la Fnars, mais elles provoquent inévitablement débats et confrontations d’idées lorsqu’il s’agit d’élaborer des orientations communes. Quel avenir pour les associations ?

Après cinquante ans d’existence, la Fnars est confrontée à une nouvelle période de son histoire. La décentralisation des politiques publiques, la nouvelle répartition des responsabilités entre les différentes collectivités territoriales et l’État, l’émergence difficile de l’Europe sociale, ont inéluc-tablement des effets sur la vie des associations. Quelle sera à l’avenir la nature du lien avec leurs financeurs ? Quelles seront leurs missions dans la société, leur rôle auprès des pouvoirs publics ? Devront-elles évoluer vers d’autres statuts de l’économie sociale ? Les adhérents de la Fnars n’ont pas tous la même conception de l’association. Entre ceux qui mettent l’accent sur l’engagement bénévole et le projet politi-que associatif, et ceux qui se définissent avant tout comme des intervenants professionnels du secteur social, les approches sont multiples. Leur plus petit commun dénominateur est-il le statut associatif, l’attachement à la dimen-sion non-lucrative, ou encore des pratiques et des valeurs communes ? Après cinquante ans d’existence, ces questions se posent inévitablement au sein d’un réseau en évolution, signe de la vitalité du débat démocratique au sein de la Fnars.

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Les associations, acteurs de la cohésion sociale

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L’expérience de la Fnars

Les associations sont des capteurs de la société

Les associations sont les capteurs des mouvements qui animent la société, des mutations qui se dessinent, des fractures qui se creusent. À l’écoute de ceux qui n’ont pas d’expression organisée, elles les aident à se construire en tant que citoyens, elles sont l’interface entre les « silencieux » et les pouvoirs publics. Elles peuvent légitimement interpeller l’ensemble de la communauté nationale. Elles sont aussi légitimes pour innover et proposer des réponses adaptées aux besoins des plus démunis, pour rassembler les différents acteurs.L’opinion publique ne s’y trompe pas : les associations sont perçues comme des acteurs essentiels de la lutte contre les exclusions 1. Pour autant, dans un contexte où la pauvreté augmente, les Français, saisis par leur propre peur de l’avenir, sont moins disposés qu’auparavant à aider les exclus. Cela peut s’expliquer par une perception plus critique du comportement des plus pauvres, considérés de plus en plus comme responsables de leur situation. Par l’action qu’elles mènent et la fonction d’alerte qu’elles remplissent, les associations tentent de modifier ce regard négatif porté sur les plus démunis, s’attachant à rappeler la volonté de ces personnes de reprendre place dans la société.

Les associations de solidarité sont les principaux acteurs de la lutte contre les exclusions

Nombre d’associations adhérentes à la Fnars ont été, bien avant toute mise en œuvre d’actions publiques contre les exclusions, actrices d’une solidarité fondée au départ sur des valeurs de fraternité et de charité. C’est donc logi-quement que ces associations ont constitué les premiers relais d’une politique sociale, lorsque l’État s’est reconnu une responsabilité dans ce domaine.Engagées dans des missions d’intérêt général, les associations de solida-rité sont l’un des bras agissants des politiques publiques. Financées par l’État et les collectivités locales, ce sont elles qui, dans certains domaines, rendent effectives ces politiques publiques, au jour le jour, sur le terrain.

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Les associations, acteurs de la cohésion sociale

1. Sondage Institut CSA/Fnars/La Croix, mai 2004.

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Ce sont elles qui hébergent les plus démunis, les aident à construire des projets de vie et les accompagnent vers une autonomie retrouvée.

Les associations sont souvent le dernier recours

Quelle que soit l’organisation de la société, il subsiste inéluctablement des vides et des besoins qui ne sont pas couverts. Pour tenter de combler ces failles, les associations de solidarité vont souvent au-delà des missions pour lesquelles elles sont financées. Les services publics utilisent alors leur souplesse d’intervention et la proximité qu’elles entretiennent avec les plus démunis, au-delà de leurs missions strictes. Qu’il s’agisse de trouver un hébergement d’urgence à une famille à la rue, de renforcer une équipe de maraude, de fournir une aide alimentaire immédiate, les travailleurs sociaux de l’État et des collectivités locales n’hésitent pas à renvoyer les personnes qu’elles reçoivent vers les associations. Celles-ci sont souvent l’ultime recours pour apporter une réponse rapide à une situation dramatique et urgente.

Les associations comblent les vides de l’action publique

Après les émeutes urbaines de novembre 2005, il est apparu évident, pour les pouvoirs publics notamment, que la réduction drastique des subven-tions accordées aux associations avait eu un effet délétère. Les associations sont tout à coup devenues à nouveau incontournables. Leur engagement sur le terrain, leur réactivité, leurs interventions auprès des jeunes, apportent un inestimable soutien social aux familles fragilisées. Ce sont aussi leurs intervenants (éducateurs, arpenteurs, médiateurs de nuit) qui ont su donner les clés pour comprendre la crise et qui ont tenté d’ouvrir des perspectives politiques pour les jeunes (telles que l’initiative « inscription sur les listes électorales »). Le gouvernement a donc annoncé que ces subventions seraient rétablies sans qu’aucune explication n’ait été avancée, ni sur les raisons pour lesquelles elles avaient été réduites, ni sur les effets attendus de leur rétablissement. Cette annonce n’a pas été précédée non plus d’une consultation des associations concernées.

Les plus-values associatives

Les spécificités des associations ne tiennent ni au statut ni aux valeurs affi-chées, si celles-ci restent sans effet sur les comportements et les manières

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Les associations, acteurs de la cohésion sociale

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d’agir. Les spécificités prennent corps dans l’action au jour le jour. Ainsi, assurer une activité de portage de repas auprès des personnes âgées ne se résume pas à les nourrir. L’association pourra, par le biais de son activité, mettre en œuvre son projet : aller à la rencontre des personnes isolées et exercer une vigilence sociale.Le projet associatif vise à associer les différents acteurs de l’insertion : travailleurs sociaux, bénévoles, mais aussi les personnes accueillies 2. C’est véritablement une révolution culturelle pour nombre d’associations adhérentes à la Fnars. C’est un chantier de long terme difficile à mettre en œuvre, mais c’est sur cela que repose aujourd’hui notre spécificité.

■ DES HÉBERGÉS BÉNÉVOLES POUR AIDER LES ÉQUIPES DE MARAUDE

« Dans notre service de maraude, des SDF qui étaient accueillis depuis 15 jours ont voulu spontanément aider les éducateurs. Nous n’avions pas prévu cela mais ça correspondait tout à fait à l’esprit dans lequel on travaille ici. On leur a donc proposé un protocole. Pour être bénévole, il fallait déposer une candidature, signer la charte du bénévole qui prévoit qu’au bout de 2 ou 3 interventions, on est adhérent. Ce type d’action permet aux différents acteurs de coopérer différemment et de faire évoluer les représentations que l’on a des uns et des autres. La charte du bénévolat a permis de concevoir l’usager autrement que comme un bénéficiaire, et donc de pouvoir lui proposer ensuite d’adhérer à un projet. De plus, cela a vraiment marqué l’association différemment en termes d’image. On a pu sortir de notre dimension technique vis-à-vis du grand public et par rapport aux sans domicile fixe. C’est sur ce type d’actions que l’on peut voir la spécificité associative. Dans un service public, cela n’aurait pas pu se passer de la même manière, cette dimension est vraiment un plus par rapport au service rendu. On l’a fait parce qu’on a pu être très réactif et que cela fait partie de notre culture. Dans d’autres lieux, on aurait d’abord répondu : “Il faut que tu t’occupes de ta situation, et puis il y a le problème de l’assurance, etc.” »

États généraux – Fnars Centre – Foyer d’accueil Chartrain (FAC), Chartres

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Les associations, acteurs de la cohésion sociale

2. La loi du 2 janvier 2002 (dite Loi 2002-2) sur les établissements sociaux et médico-sociaux entend «promouvoir l’autonomie des personnes, la cohésion sociale, l’exercice de la citoyenneté».

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Autre plus-value des associations : leur capacité à inventer des réponses qui franchissent les cadres traditionnels du travail social, qui créent des passerelles avec le quartier, qui provoquent des rencontres, qui répondent plus finement aux attentes des personnes accueillies.

La précarité des associations

« Nous accompagnons des personnes précaires et nous vivons nous-mêmes dans la précarité, sans visibilité sur ce que nous pourrons faire demain. » Ce constat est dressé de manière récurrente par les responsables d’établis-sements et les travailleurs sociaux. En effet, l’opinion publique sait-elle par exemple qu’une association a en charge des salariés de janvier à décembre, mais qu’elle ne recevra souvent ses subventions qu’en fin d’année, devant emprunter pendant plusieurs mois pour assurer son fonctionnement ? Sait-elle en conséquence que les frais bancaires peuvent grever de 8 à 10 % les sommes versées pour des actions en faveur des exclus ?

■ LE CAFÉ DES FAMILLES

« La parentalité est créatrice de liens et d’échanges. Les expériences liées à l’éducation, les façons de se découvrir parent, qu’elles soient positives ou douloureuses, peuvent être communes et partagées. C’est dans cet esprit que nous avons conçu le Café des familles, situé au cœur de la ville : unespace de rencontre et de socialisation ouvert à tous dans lequel la mixité sociale est recherchée, favorisée et valorisée.De nombreuses personnes rencontrées à l’association nous avaient fait savoir qu’elles vivaient mal le fait d’être “étiquetées” comme “personnes à problèmes”. Nous en avons tenu compte lors de la création du Café des familles, qui est un lieu où chacun vient à sa guise, sans prescription d’un travailleur social. Il est centré sur les potentialités de chacun. Parents et accueillants y discutent ensemble, on y joue avec les enfants, on y boit un café tranquillement, sans mettre l’accent sur les difficultés rencontrées par les uns et les autres.Pour que le projet prenne tout son sens, nous avons souhaité que le Café des familles soit porté par des parents, des bénévoles, des professionnels, qu’il soit le fruit de l’implication de tous. C’est également ainsi qu’il est animé aujourd’hui. »

États généraux – Fnars Gard – Association La Clède, Alès

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La pauvreté n’a pas reculé. Comment faire plus avec moins ?

Même si le budget de l’État consacré à la solidarité a continué de progresser ces dernières années, le désengagement de l’État sur les financements non pérennes a mis nombre d’associations en situation difficile, avec des réper-cussions sur la vie des établissements : gestion par à-coups, impossibilité de bâtir une stratégie, équipes déstabilisées, problèmes grandissants avec les banques, fuite des administrateurs... Elles ont aussi été confrontées au fait que les pouvoirs publics recouraient de plus en plus souvent aux procédures de marché public, jusque là réservées au secteur privé, avec des critères de sélection qui risquent de faire la part belle aux propositions les moins coûteuses, au risque de réduire les exigences de qualité.

■ PETIT VERBATIM DE NOTRE PRÉCARITÉ FINANCIÈRE

« – Je n’osais pas vous appeler parce que j’ai l’enveloppe pour vous confier cette mission, mais on vient de me dire qu‘on va peut-être me la reprendre. Un service de l’État, février 2006.– Et si je ne vous donne rien, vous tenez combien de temps ? Un service de l’État, février 2006.– Je me dois de vous informer que la Direction régionale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ne sera pas en mesure d’assurer le paiement des factures pour service fait que les établissements dépendants de votre association nous font régulièrement parvenir. Direction régionale de la PJJ, septembre 2005.– Avec tous les problèmes qu’on a, pourquoi faire un schéma qu’on n’arrivera pas à tenir ? Un service de l’État, rentrée 2005. »

États généraux – Fnars Paca Corse Dom

■ L’APPUI SOCIAL INDIVIDUALISÉ EN HAUTE-SAVOIE : LE RECOURS AUX APPELS D’OFFRE

« Deux associations assuraient depuis environ quinze ans une action d’appui social individualisé auprès de publics en grande difficulté sociale, pour le compte du Conseil général. Celui-ci a organisé un appel d’offres pour les trois années à venir. Sans remettre en cause son principe, le secteur

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<<<associatif ne peut que s’interroger sur cette procédure et ses conséquences :– aucune évaluation préalable des interventions menées jusque là, alors que les travailleurs sociaux ont expérimenté diverses actions collectives et des pratiques innovantes qu’on retrouve désormais dans le cahier des charges de l’appel d’offres. Même si le partenariat est apprécié, la compétence reconnue par les pouvoir publics, les critères du marché balaient tout.– aucune exigence de qualification professionnelle ni de compétence particulière dans le cahier des charges. Les caractéristiques sociales du public ainsi que la nature des interventions ne mériteraient-elles pas une mention particulière ? Comment s’apprécie alors la qualité de la prestation si aucun critère qualitatif n’est évoqué au préalable ?Il faut dire que le cahier des charges précise que le critère financier est apprécié pour 60 % et l’aspect technique pour 40 %. Celui-ci ne sert en réalité qu’à départager d’éventuels ex-aequo financiers.La perte d’un “marché” n’est pas anodine. Du jour au lendemain, sans remise en cause des compétences et des pratiques, des salariés donnant toute satisfaction peuvent se retrouver licenciés. Que dire aussi des bénévoles qui le vivent comme un désaveu ? »

États généraux – Fnars Rhône-Alpes

■ UNE ABSENCE DE SUIVI

« Nous avions le projet de créer un hôtel de jour pour femmes. Tout le monde était d’accord, qu’il s’agisse de la Ddass, du département, etc. Les travaux ont été menés à bien et l’hôtel doit ouvrir fin 2006. En septembre, la Ddass nous a annoncé qu’elle n’aurait peut-être pas l’argent pour le fonctionnement. Allons-nous ouvrir ? Allons-nous renoncer ? »

Etats généraux – Fnars Pays de la Loire

« Le Plan départemental de cohésion sociale a proposé la création de 4 CHRS offrant 200 places. Le ministre de l’Emploi et de la Cohésion sociale est venu à La Réunion en décembre 2004 et a annoncé que “120 places en CHRS devraient être prochainement financées”. Mais aucune amélioration significative n’a été enregistrée à ce jour. »

États généraux – Fnars Océan Indien

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Des incertitudes qui déstabilisent les associations et bousculent leurs valeurs

Les incertitudes financières placent les associations dans une situation schizophrénique. Elles affichent comme valeurs l’accueil sans condi- tion 3 qui reste d’actualité dans le contexte social actuel. Mais si le degré de rentabilité des personnes qu’on accueille devient le critère de « réus-site » d’une insertion, l’accueil des plus éloignées de l’emploi est-il encore possible ? Qui accueillir en foyer quand on a une seule place pour cinq personnes qui se présentent, envoyées par les services de l’État ? Et que dire des effets sur les personnes accueillies ? « Puisque l’association est là pour m’aider, pourquoi ne le fait-elle pas ? »

La difficile indépendance des associations

Par ailleurs, les associations se retrouvent régulièrement écartelées entre leur projet politique, leur engagement éthique et l’obligation d’entretenir de bonnes relations avec les pouvoirs publics qui les financent. Sur les questions politiques sensibles, elles sont prises en tenaille.

3. Le Manifeste de Dunkerque adopté par la Fnars en 1992 affirme que « les associa-tions s’obligent à assumer collectivement pour les personnes en difficulté un contrat moral de non abandon. »

■ UNE INDÉPENDANCE À DÉFENDRE

« À propos de la gestion d’un CADA (Centre d’accueil pour les demandeurs d’asile), nous avons été interrogés sur nos positions concernant les sans-papiers. “Faites-vous partie du Collectif des sans-papiers ?”, nous a-t-on demandé en préfecture, laissant entendre que la convention CADA pourrait bien être revue à la baisse en cas de réponse positive. Pour nous c’est très dur à tenir. Que faire si le fait de dire que certaines personnes sont effectivement en situation administrative irrégulière mais en grande détresse, met notre association en difficulté ? Doit-on renoncer au principe d’accueil inconditionnel ? Doit-on renoncer à des financements ? Si une famille doit être expulsée, c’est à la justice de le faire, pas au préfet par un chantage à la convention. »

États généraux – Fnars

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Qui fait quoi ? Où sont les interlocuteurs pertinents ?

La décentralisation en cours des politiques sociales et la montée en puis-sance du rôle des départements provoquent une redistribution des compé-tences entre l’État, les collectivités territoriales et l’Europe. Dans une phase transitoire de mise en œuvre de la décentralisation, dont l’objectif, à terme, vise à simplifier les procédures et à rapprocher les prises de décision du terrain, les associations sont au contraire confrontées à des processus de décision plus complexes et plus dispersés. Elles ont du mal à identifier leurs nouveaux interlocuteurs dans cette période de transition.Ce transfert de compétences et de pouvoirs entraîne chez les élus une prise de conscience de l’importance des enjeux politiques, stratégiques et financiers (que faire en face d’une augmentation régulière du nombre d’allocataires du RMI quand l’enveloppe est pratiquement constante ?). L’avènement de la décentralisation renforce considérablement le pouvoir des conseils généraux. Les rapports qu’ils entretiennent avec les associa-tions varient considérablement d’un département à l’autre. Dans certains cas, elles sont co-productrices des politiques locales, dans d’autres, elles ne dépassent pas le stade d’opérateurs. Dans ce dernier cas, la décentralisa-tion est alors vécue comme un système sans véritable pilote qui consiste à se renvoyer la « patate chaude » que constituent les plus pauvres.

L’impossible suivi de la surenchère législative et réglementaire

L’empilement et la valse des mesures réglementaires sont incompréhen-sibles pour les personnes concernées qui ne rentrent jamais exactement dans les cases que l’administration a faites pour elles. Elles constituent pour celles-ci des parcours « administrés » complexes, produisant parfois autant d’obstacles que de solutions dans la mise en œuvre de leur projet de vie, entraînant parfois de véritables régressions.La veille législative devient impossible à assurer par les équipes des asso-ciations, surtout les bénévoles, mais aussi les professionnels du travail social (exemple : la valse des contrats aidés). Cela rend encore plus impro-bable une lecture partagée des enjeux. Leurs relations avec les services de l’État se tendent, personne ne disposant plus d’une vision claire des objectifs des politiques publiques. Sinon que l’État entend reporter sur les collectivités territoriales (régions, départements, communes) les charges

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de celles-ci, tant sur le plan opérationnel que sur le plan financier. Il en résulte que les associations de solidarité sont placées devant des choix de politiques sociales non plus nationaux mais éclatés, inégalitaires d’un territoire à l’autre.

Orientations

Un objectif qui prime sur tout le reste : le soutien des plus démunis

La légitimité des associations gestionnaires de services sociaux réside dans leur capacité à agir pour rétablir les solidarités qui manquent à l’égard des plus fragiles, avec deux objectifs : faire en sorte que l’usager soit aussi un citoyen, et transformer la perception de l’opinion publique sur la pauvreté.

La spécificité des associations de solidarité

Les pouvoirs publics qui sollicitent les associations les considèrent de plus en plus exclusivement comme des prestataires de services. Or, pour les associations, la gestion d’activités ne se justifie que si elle s’accompagne d’un projet politique qui consiste à donner un sens au parcours des per-sonnes les plus exclues et, plus généralement, à transformer la société. Les acteurs associatifs adhérents à la Fnars situent leur action dans un cadre plus global que celui d’un seul service marchand. Même s’ils n’en ont pas le monopole, ils partagent des valeurs qui sont notamment : – le respect de la personne dans sa singularité, qu’elle soit fragilisée par l’âge ou un handicap, démunie ou exclue,– l’affirmation du droit des personnes démunies et de leur capacité à pren-dre des initiatives et à s’exprimer sur la réalité sociale,– la gratuité du bénévolat et la solidarité,– la non-discrimination et l’égalité dans l’accès aux services,– l’enrichissement et la revitalisation du tissu social, le maillage de l’envi-ronnement par les réseaux d’adhérents, les liens avec d’autres acteurs de l’exclusion.

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L’association, lieu de citoyenneté

Les associations savent créer des espaces de coopération entre les usagers, les salariés, les bénévoles, les adhérents, les administrateurs. Des lieux où les personnes hébergées, accueillies ou accompagnées, peuvent retrouver une certaine citoyenneté, souvent mise à mal par les difficultés de la vie.

Refonder la relation avec les pouvoirs publics

Les associations peuvent identifier sur le terrain des besoins non pris en compte parce qu’elles sont aux avant-postes pour observer les nouvelles formes d’exclusion. Du même coup, elles sont en mesure d’apporter des réponses appropriées. Mais cela suppose de ne pas les enfermer dans une logique exclusive d’appel d’offres, de ne pas les réduire à de simples pres-tataires de services. La Fnars souhaite établir des relations de reconnaissance mutuelle entre pouvoirs publics et associations. Elle revendique d’être associée aux ins-tances de concertation et de décision, afin d’aboutir à un constat commun des besoins et des réponses à apporter.C’est à partir de ce diagnostic partagé que le mandat donné par les pouvoirs publics aux associations pourra être concrètement défini. Cette définition suppose la détermination d’objectifs évaluables non seulement sur une structure mais sur un territoire donné. Faute d’une telle procédure, les contrôles exercés par les tutelles administratives sont souvent vécus comme tatillons et bureaucratiques sans qu’ils permettent pour autant de vérifier que l’ensemble des personnes concernées est mieux pris en charge. Mettre l’exclusion au cœur du débat public

L’une des missions des associations de solidarité était de porter l’exclusion sur la place publique, d’en faire un enjeu des rendez-vous démocratiques. Or, il faut reconnaître que cet objectif n’est pas atteint.

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Propositions

1. Stabiliser les financements des associations par des conventions pluriannuelles

La Fnars demande la mise en œuvre d’un audit général des dispositifs de financements des actions des associations, qui aboutisse à un diagnostic partagé et à des préconisations améliorant l’efficacité de l’action publique. Elle souhaite en particulier que cela permette d’asseoir les actions dans le long terme, grâce à la mise en place effective de conventions pluriannuel-les qui optimisent l’utilisation des deniers publics.

2. Définir les missions d’intérêt général

Réduire les activités des associations à une délégation de mission de ser-vice public ou à des activités économiques soumises à appels d’offres est réducteur. En France, la vision du service public est très extensive. Or, la liberté d’initiative et l’action d’intérêt général peuvent ne pas être systéma-tiquement qualifiées de mission de service public. En partant de la notion d’intérêt général, il doit être possible de repositionner les associations comme partenaires des pouvoirs publics au regard des missions qu’elles exercent. Cette notion a également l’avantage de contribuer à élaborer un langage commun au sein de l’Union européenne.

3. Encourager la pratique du diagnostic partagé

Avant toute prise de décision, il est nécessaire d’établir un état des lieux qui soit partagé par tous. Cela suppose de définir une méthode d’évaluation des besoins et de concertation autour des réponses à apporter. Cela devrait permettre aux associations de définir plus librement leurs modalités d’ac-tion dans le cadre d’objectifs précis et évaluables définis conjointement.

4. Développer la pratique de l’audience publique

Afin de replacer les politiques de lutte contre l’exclusion dans le débat public (quels objectifs ? quelle part de l’effort national ? etc.), la Fnars souhaite que soit développée la pratique de l’audience publique, afin que l’opinion publique puisse avoir accès aux arguments des uns et des autres.

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Il est essentiel que celle-ci puisse voir ce qui fait consensus et ce sur quoi se focalisent les désaccords, et surtout qu’elle puisse comprendre pour-quoi et comment les politiques publiques de lutte contre l’exclusion ont des effets sur l’ensemble de la société. Le grand public doit en effet se sentir concerné par un débat jusqu’à présent cantonné aux experts et aux fonctionnaires.

5. Mettre en place un observatoire des bonnes pratiques sociales

L’observatoire sera un lieu d’évaluation des actions, de transfert d’expé-rience, d’identification et de diffusion des actions innovantes, d’optimisa-tion des méthodes de gestion.Il développera les réflexions, les études et leur partage au sein de notre réseau et à l’extérieur, afin d’optimiser l’accueil, le suivi, l’insertion des personnes en risque ou en situation d’exclusion.

6. Promouvoir l’action bénévole

Faut-il ou non un statut du « bénévolat » ? Certains le souhaitent pour faciliter l’engagement citoyen des salariés, qui pourraient ainsi mieux concilier vie professionnelle et vie associative. D’autres estiment que le bénévolat est par définition un don de temps et de savoir-faire qui ne peut être encadré par un statut. Le débat doit se poursuivre mais l’engagement bénévole fait partie des spécificités associatives et, à ce titre, doit être favo-risé et soutenu, quelles que soient les formes que cela peut prendre.

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Constat général

Aujourd’hui, l’opinion française ne perçoit plus clairement les enjeux sociaux de la dimension européenne. Elle voit l’Europe comme un niveau de pouvoir contraignant, éloigné des préoccupations des citoyens, voire menaçant le système de solidarité mis en place depuis 50 ans. Le rejet de la Constitution de l’Union a traduit cette déception. Il aura eu toutefois le mérite de susciter un débat sur l’Europe. Les Français attendent que l’Europe sociale prime enfin sur l’Europe économique. Ils auraient souhaité qu’on les informe de l’impact des déci-sions européennes sur la politique nationale. Les responsables politiques français ont été effectivement trop peu nombreux à introduire l’Europe dans le débat public, à montrer les effets de ses recommandations sur la législation nationale ainsi que les aspects positifs ou négatifs de certaines de ses orientations. S’il est vrai que l’Europe s’attache en priorité à mettre en œuvre des règles de concurrence et de contrôle, elle est aussi porteuse d’avancées sur des questions de société telles que la parité homme-femme, l’insertion des personnes handicapées, la promotion du dialogue avec la société civile et la participation des personnes concernées.

L’EUROPE DES SOLIDARITÉS

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L’Europe des solidarités

La mobilisation du secteur associatif européen a permis en 1997 l’intro-duction de la lutte contre les exclusions dans les compétences de l’Union (Traité d’Amsterdam, art. 136-137). Dans le cadre de la stratégie définie à Lisbonne en 2000 et de l’agenda social adopté à Nice, l’Union s’est engagée à coordonner les politiques nationales en matière de lutte contre les exclu-sions, en s’appuyant sur la Méthode ouverte de coordination (Moc) et en particulier sur les Plans nationaux d’action inclusion (PNAI). L’Europe apporte également des financements importants à travers le Fonds social européen (FSE) qui soutient des actions d’insertion dans l’emploi. Malgré la complexité administrative du montage et de la gestion des dossiers, le FSE est un partenaire financier de plus, sans lequel certains projets ne verraient pas le jour.Enfin, l’Union s’est montrée réceptive aux revendications de la société civile à laquelle elle a donné les moyens de jouer son rôle d’expert et de peser ainsi sur certaines décisions politiques, grâce à l’intervention des associations internationales de solidarité. Elle n’a cependant pas de véri-tables compétences en matière de solidarité, susceptibles d’équilibrer ses compétences économiques.

L’expérience de la Fnars

Quelle place pour l’économie sociale en Europe ?

Historiquement, le marché intérieur est le fondement de la construction de l’Europe. Les traités ne reconnaissent que le secteur marchand et le sec-teur public. Au fil des années, les associations sanitaires et sociales se sont trouvées de plus en plus confrontées, en tant qu’opérateurs de services revêtant également une dimension économique, aux règles européennes de la concurrence et du marché intérieur.Actuellement, le droit communautaire de la concurrence et du marché inté-rieur prime sur l’intérêt général. En effet, les règles européennes ne s’atta-chent pas au statut de l’opérateur (lucratif ou non lucratif) mais à la nature de ses activités. Or, lors du débat sur la directive « services » dite Bolkestein, il est apparu qu’on ne pouvait pas intégrer nos activités dans la définition des « services » proposée, à savoir une relation économique entre un prestataire et un destinataire impliquant une rémunération de la part de celui ci.

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L’Europe des solidarités

Or, nos « destinataires » ne sont pas des clients et nos associations ne sont pas de simples « prestataires ». Si nous offrons une activité économique temporaire à des personnes, c’est davantage en raison de leur « inemploya-bilité » dans le marché du travail tel qu’il est que de leur employabilité, ce qui nous différencie radicalement des entreprises « classiques ». Notre activité est fondée sur le regroupement de citoyens (salariés, usagers, bénévoles) travaillant pour l’insertion des personnes les plus fragiles. Rappelons à cet égard l’objet statutaire de la Fnars, qui est de « développer toutes initiatives visant la dignité, l’épanouissement, l’autonomie des per-sonnes en difficulté d’adaptation ou d’insertion sociale ».La qualité d’acteurs sociaux des associations à caractère non lucratif n’est donc pas actuellement reconnue au niveau européen. De notre point de vue, deux principaux risques apparaissent pour le secteur de l’insertion, au regard de l’impact du droit communautaire :– Un risque de dérégulation de la réglementation nationale. En France, le secteur de l’insertion exerce son activité dans un cadre fortement régulé (autorisations préalables, habilitations, contrôles, pouvoirs de fermeture administrative, obligation d’évaluation, etc.). Ces exigences ont pour objectif d’assurer la qualité du service et surtout de protéger l’usager « vul-nérable », même si les procédures peuvent apparaître pesantes aux acteurs sociaux.– Un risque de banalisation des opérateurs avec le développement de l’offre lucrative. La logique des appels d’offres les place sur un pied d’égalité et nie la spécificité de l’offre associative. Elle réduit l’acteur social à sa fonction de « prestataire ». De plus, cette logique risque, dans un souci de rentabilité, d’aboutir à une sélection des publics et à une inégalité territoriale.

L’échec à mi-parcours de la politique de Lisbonne

Le Sommet de Lisbonne s’est fixé comme objectif de réduire significative-ment la pauvreté d’ici 2010. Les moyens mobilisés n’ont pas été à la hau-teur de cette ambition. C’est ce qu’a montré le rapport officiel d’évaluation à mi-parcours. En 2005, la Commission européenne a voulu réorienter le processus de Lisbonne en faisant de l’emploi le seul outil de lutte contre les exclusions, écartant des financements européens les interventions des acteurs de l’insertion qui n’étaient pas centrées sur le retour à l’emploi.

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La Fnars, avec l’ensemble des réseaux de solidarité européens, a dénoncé cette conception restrictive de la dimension sociale de Lisbonne. Cela n’a pas été sans effet, puisque le Conseil européen de mars 2006 a réaffirmé que la cohésion sociale est un des éléments centraux de la stratégie de Lisbonne.

Des instances européennes à l’écoute de la société civile

Il faut souligner que, au niveau européen, les pratiques de concertation sont beaucoup plus avancées qu’elles ne le sont en France, et que les asso-ciations européennes s’exprimant au nom de la « société civile organisée » disposent d’instances de consultation et de procédures d’intervention. La Fnars participe au débat européen par l’intermédiaire des réseaux dont elle est membre : la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (Feantsa), le Réseau européen anti-pauvreté (Eapn) et le Réseau européen d’action sociale (Esan).

Des financements européens mal utilisés

Grâce au Traité d’Amsterdam, des financements existent pour intervenir dans le champ social. Les enjeux financiers sont considérables puisque, sur le programme 2000-2006, le Fonds social européen (FSE) a dispensé 15 milliards d’euros.Mais le cloisonnement des interventions des politiques publiques françai-ses a un impact négatif sur notre capacité à solliciter les fonds européens destinés à la lutte contre l’exclusion. Retards, délais trop longs… Le ver-sement des fonds arrive souvent un an ou deux après le lancement des projets, en raison de la mauvaise gestion de l’administration française. La France s’est d’ailleurs fait rappeler à l’ordre pour sa mauvaise gestion des fonds européens et a été condamnée à reverser une part importante de FSE.Depuis la réforme du processus de Lisbonne en 2005, chaque pays déter-mine librement les axes de son plan national d’action inclusion. Or, l’éla-boration du nouveau PNAI français s’est faite sans véritable concertation avec les associations, alors que d’autres pays ont été capables de mobiliser les partenaires sociaux et la société civile travaillant dans le domaine de l’exclusion

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L’Europe des solidarités

Orientations

Vers une Europe des solidarités

Malgré les différences historiques et culturelles qui caractérisent les systè-mes de protection sociale des différents pays, on peut parler d’un modèle européen fondé sur la solidarité. Cependant, tandis que l’Europe avance à grands pas dans le domaine économique et sécuritaire, sa politique sociale reste à construire.Or des avancées sont indispensables, tant au niveau communautaire que national. De leur côté, les pouvoirs publics français doivent inscrire pleine-ment leur action dans la stratégie de Lisbonne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

La reconnaissance juridique des missions d’intérêt général exercées par les associations de solidarité

La reconnaissance juridique des missions d’intérêt général des associations de solidarité est une étape primordiale dans la construction d’un modèle de solidarité européen. Il s’agit de sécuriser juridiquement les « services »

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■ CONDAMNÉS À L’ASSISTANCE

« Nous sommes en septembre 2006, les actions FSE (Fonds social européen) de l’année sont réalisées à 8/12e. Depuis mai, des rumeurs inquiétantes circulaient qui se confirment aujourd’hui. L’année 2006 sera l’année des baisses de subventions accordées ou de la suppression pure et simple des aides.Pour l’État, le solde des budgets FSE à redistribuer en 2006 est à - 30 %. Les associations très fortement démarchées en 2003-2004 pour mettre en œuvre des actions de retour à l’emploi via des ACI (Ateliers et chantiers d’insertion) ou des actions de formation au profit des plus éloignés du marché du travail, se voient aujourd’hui reprocher leur manque de prudence et leurs engagements financiers. C’est vrai ! Quelle entreprise accepterait de travailler gratuitement 8 mois sans ordre signé, sans bon de commande ? Quelle entreprise accepterait d’être payée à 18 mois ? »

Fnars Île-de-France et Midi-Pyrénées

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d’intérêt général propres au secteur de la solidarité, d’autant que ce dernier joue un rôle fondamental dans tous les États pour réaliser ce que l’Union estime elle-même essentiel : l’accès aux droits fondamentaux, la lutte contre l’exclusion et la pauvreté, l’accès à l’emploi et la cohésion sociale.

La reconnaissance juridique et le développement de l’économie sociale d’insertion

L’accent mis uniquement sur le retour à l’emploi « marchand » est contra- dictoire avec la lutte contre l’exclusion. Une action complémentaire de l’Union européenne est nécessaire pour que la démarche des entrepri-ses sociales d’insertion qui existe dans la plupart des États membres de l’Europe soit légitimée au niveau européen et reconnue aussi bien par la Direction générale Entreprises que par la Direction générale Emploi et affaires sociales.En conséquence, l’accès aux financements FSE doit être ouvert aux actions d’insertion par l’activité économique (IAE).

Propositions

1. Obtenir une directive cadre sur les services sociaux d’intérêt général (SSIG)

En raison des publics qu’elles visent, les missions d’intérêt général ne peuvent relever des seules règles de la concurrence et du marché. De plus, il est le plus souvent impossible de séparer l’intérêt général de l’intérêt économique général.C’est pourquoi, la Fnars souhaite une directive cadre relative aux Services sociaux d’intérêt général (SSIG), qui assure la sécurité juridique à ces ser-vices. Il s’agit de garantir le primat de la solidarité et de la cohésion sociale sur les règles du marché en reconnaissant le rôle spécifique joué par le secteur associatif dans le domaine économique. Cela nécessite aussi une clarification au niveau français des modalités de fonctionnement de ces services et du mandat qui leur est donné par la puissance publique.

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2. Généraliser l’étude d’impact social de toutes les décisions de l’Union européenne

La réussite de la politique d’inclusion implique que l’impact des décisions prises dans d’autres domaines ne soit pas contradictoire avec les princi-pes du processus de Lisbonne. C’est pourquoi nous demandons que la directive « marchés publics » et la directive « TVA » prennent en compte les actions d’inclusion menées par les associations de solidarité.

3. Répondre aux besoins urgents d’hébergements et de logements sociaux

Partout en Europe, la lutte contre les exclusions se heurte à l’insuffisance de l’offre de logements sociaux et/ou d’insertion, rendant inopérant le droit au logement alors même qu’il est reconnu par la loi. Sur la base du processus de Lisbonne, des initiatives européennes sont donc nécessaires, qu’elles portent sur la relance d’un programme de financement de projets d’insertion globale par le logement et l’emploi ou par une directive européenne introduisant une obligation de clause sociale dans les marchés de construction de logements.

4. Créer en France une cellule ministérielle de coordination de la politique européenne d’inclusion

Les associations de la Fnars doivent pouvoir identifier les interlocuteurs compétents au sein de l’administration. Les pouvoirs publics doivent exercer une veille permanente sur la com-patibilité et la cohérence de l’ensemble de ses décisions avec la politique européenne de lutte contre les exclusions.Elle doit institutionnaliser la consultation de la société civile organisée sur les questions européennes.

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Les associations régionales Fnars qui ont enrichi les thématiques du Livre des Etats généraux

■ Alsace : culture, étrangers, familles, femmes, jeunes, logement, urgence sociale■ Aquitaine : logement■ Auvergne : emploi, familles, jeunes ■ Basse normandie : emploi, femmes victimes de violences, réfugiés, santé, urgence sociale■ Bourgogne : gens du voyage■ Bretagne : logement■ Centre : emploi, réalités associatives, urgence sociale■ Champagne-Ardenne : urgence sociale■ Franche-Comté : emploi■ Haute Normandie : familles, jeunes■ Île-de-France : emploi, familles, jeunes, santé, urgence sociale■ Languedoc Roussillon : emploi, réalités associatives■ Lorraine : emploi, femmes, jeunes, personnes étrangères, urgence sociale■ Midi-Pyrénées : femmes victimes de violences, urgence sociale■ Nord Pas de Calais : emploi, logement, santé■ Océan Indien : hébergement, urgence sociale

NOUS REMERCIONS tous ceux qui ont contribué

à l’élaboration du Livre des États généraux

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■ Paca Corse Dom : logement, réalités associatives, urgence sociale ■ Pays de la Loire : étrangers, santé, urgence sociale■ Picardie : logement■ Poitou Charentes : logement , santé■ Rhône-Alpes : Livre blanc régional : droit d’asile, emploi, enfants en CHRS, femmes, logement, urgence sociale, vie associative

Ceux qui ont participé aux tables rondes *

■ Jean ALLAIN – UFJT (Union des foyers de jeunes travailleurs)■ Elisabeth BEBIN – Assemblée nationale■ Jean-Luc BERHO – UESL (Union d’économie sociale pour le logement) / CFDT■ Martine BILLARD – Députée■ Nicole BORVO-COHEN-SEAT – Sénatrice■ Patrick BOULTE – Solidarités nouvelles face au chômage■ Patrick BRIENS – Fap (Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés)■ Michel BRUGIERE – MDM (Médecins du monde)■ François CARIOU – Fapil (Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement)■ Katy CHARPENTREAU – Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux)■ Sabine CITROEN – Mouvement ATD Quart-monde■ Serge CONTAT – Anah (Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat)■ Pascale COTON – CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens)■ Agathe DAHAN – Collaboratrice parlementaire d’Hélène MIGNON, députée

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* L’exclusion, la précarité et l’insertion, mardi 27 juin 2006La crise du logement et de l’hébergement, jeudi 7 septembre 2006Les exclus de l’emploi et les travailleurs pauvres, 15 septembre 2006L’urgence en question : les nouveaux visages de la précarité, 9 octobre 2006

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■ Christine D’AUTHUNE – Igas (Inspection générale des affaires sociales)■ Pierre de PORET – FFBA (Fédération française des banques alimentaires)■ Jacques DECKER – Acmil (Association de coordination de moyens d’intervention pour le logement)■ Jean-Loup DRUBIGNY – CNV (Conseil national des villes et du développement social urbain)■ Jacques DUGHERA – CNIAE (Conseil national de l’insertion par l’activité économique)■ François FONDARD – Unaf (Union nationale des associations familiales)■ Marie-Thérèse GEFFROY – ANLCI (Agence nationale de lutte contre l’illettrisme)■ Michèle GRENOT – Mouvement ATD Quart-monde■ Bruno GROUES – Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux)■ Marie GUIDICELLI – FADS (Fondation de l’Armée du Salut)■ Isabelle HENNION – DGUHC (Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction)■ Patrick KAMOUN – USH (Union sociale pour l’habitat)■ Bernard LACHARME – Haut comité pour le logement des défavorisés■ Gérard LAUGIER – CGT (Confédération générale du travail)■ Marie-Françoise LEFLON – CFE-CGC (Confédération française de l’encadrement CGC)■ Marc LERICHE – MDM (Médecins du monde)■ Michel LESENECHAL – Sonacotra■ Peggy LUTON – Alliance villes emploi■ Olivier MARGUERY – FADS (Fondation de l’Armée du Salut)■ Marilia MENDES – Unaf (Union nationale des associations familiales)■ Hélène MIGNON – Députée■ Annick MOMENCEAU-LARDET – Samusocial de Paris■ Luc MONTI – ACSC (Association des Cités du secours catholique)■ Eric NEDELEC – ANLCI (Agence nationale de lutte contre l’illettrisme)■ Pascal NOBLET – DGAS (Direction générale de l’action sociale)

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■ Ministère Emploi, cohésion sociale et logement■ Patrick PERROT – Collaborateur parlementaire de Martine LIGNIERES-CASSOU, députée■ Alain RAOUL – FADS (Fondation de l’Armée du Salut)■ Jacques RASTOUL – CFDT (Confédération française démocratique du travail)■ Hugo RICHARD – Restos du coeur■ Régine RICOUR – UNPI (Union nationale de la propriété immobilière)■ Graciela ROBERT – MDM (Médecins du monde)■ Pascal RODIER – Secours populaire Français■ Patrick ROUYER – Association Emmaüs■ Jacqueline SAINT-YVES – Fédération Coorace (Fédération des Comités et organismes d’aide aux chômeurs par l’emploi)■ Bernard SEILLIER – CNLE (Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale)■ Gilles SERAPHIN – Unaf (Union nationale des associations familiales)■ Mylène STAMBOULI – Mairie de Paris■ Gisèle STIEVENARD – Mairie de Paris■ Fabien TULEU – Emmaüs France■ Dominique VERSINI – Conseil d’État■ Anne WINTREBERT – ARF (Association des régions de France)

Ceux qui nous ont transmis des contributions

■ ACSC (Association des Cités du secours catholique)■ CCMSA (Caisse centrale de mutualité sociale agricole)■ CNCE Geiq (Comité national de coordination et d’évaluation des Groupements d’employeurs pour l’insertion et la qualification)■ CNIAE (Conseil national de l’insertion par l’activité économique) / Avise (Agence de valorisation des initiatives socio-économiques)■ FADS (Fondation de l’Armée du Salut)■ Fapil (Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement)■ Fédération nationale des centres Pact-Arim

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© Fnars, 200676, rue du Faubourg Saint-Denis 75010 Paris

Conception-réalisationLa maison d’été

ImpressionMame, novembre 2006, à Tours