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[Tapez un texte] Musée des Augustins, ville de Toulouse. Service éducatif, Catherine Lemonnier. 2013 Peau tendue par un parcheminier. Gravure de Jost Amman et Hans Sachs, Francfort-sur-le-Main, Allemagne, 1568 Un moine examine le travail du parcheminier. C’est quoi un livre ? Selon la civilisation, la période de référence, la nature du livre, quelle relation le lecteur établit-il avec cet objet ? Comment lit-on et selon quelle(s) intention(s) ? EXPLORATION 3 Le livre et la lecture Technique(s) et fabrication Pour comprendre ces livres ouverts à une double page, ces feuillets exposés sous verre à la verticale, il convient de retracer leur processus de fabrication au risque de les considérer comme des œuvres, statut qu’ils n’avaient pas forcément lorsqu’ils ont été commandés. Le livre, depuis sa fabrication jusqu’à sa commercialisation, nécessite l’intervention de plusieurs personnes et sollicite différents corps de métier. Selon Sophie Cassagnes-Brouquet, on peut les répartir en trois catégories : ceux qui se consacrent aux supports de l’écriture : les parcheminiers et les papetiers à partir du XIII e siècle en France, ceux qui copient et décorent le manuscrit : les scribes ou copistes et les enlumineurs, enfin ceux qui le commercialisent : les relieurs et les libraires. 1 Le parcheminier , dans la civilisation médiévale, est celui qui prépare le support : le parchemin. D’origine animale, il s’agit de peaux de chèvre, de mouton ou de veau. Elles sont trempées durant deux jours dans l’eau afin de leur restituer leur humidité puis sont ensuite tondues. Recouvertes d’une pâte de chaux mouillée d’eau sur le côté chair de la peau, elles sont pliées (côté chair dessous) durant quelques jours afin de laisser agir la chaux sur les follicules de poil. L’épilation de la surface est effectuée généralement avec un petit bâton de bois, une spatule en os ou avec un couteau incurvé. La peau est tendue sur un chevalet afin de retirer la graisse sous cutanée avec un grattoir. La peau ainsi prête, est replongée dans une nouvelle solution de chaux entre 7 et 30 jours. Cette étape permet d’enlever la graisse et d’assouplir la peau afin de l’étirer sur un cadre en bois. La dernière phase consiste à séparer le derme de l’épiderme puis à poncer la peau avec un rasoir et une pierre ponce sur ses deux côtés. L’invention de l’imprimerie vers 1450 va entraîner de profondes mutations dans la technique de fabrication du livre. Si la réalisation de manuscrits enluminés persiste au-delà de cette période, les ouvrages sont désormais imprimés sur papier, accompagnés de gravures rehaussées de couleurs. Ce support, arrivé de Chine par la route de la soie, se diffuse dans le monde musulman pour parvenir en Espagne vers 1100. Puis sa production à Toulouse se développe au XV e siècle seulement. 1 Sophie Cassagnes-Brouquet, Catalogue d’exposition Trésors enluminés. De Toulouse à Sumatra. p.27-32 XIII e siècle. Copenhague, Kongelike Bibliothek, ms 4, Allemagne.

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Musée des Augustins, ville de Toulouse. Service éducatif, Catherine Lemonnier. 2013

Peau tendue par un parcheminier.

Gravure de Jost Amman et Hans Sachs, Francfort-sur-le-Main, Allemagne, 1568

Un moine examine le travail du parcheminier.

C’est quoi un livre ? Selon la civilisation, la période de référence, la nature du livre, quelle relation le lecteur établit-il avec cet objet ? Comment lit-on et selon quelle(s) intention(s) ?

EXPLORATION 3

Le livre et la lecture

Technique(s) et fabrication Pour comprendre ces livres ouverts à une double page, ces feuillets exposés sous verre à la verticale, il convient de retracer leur processus de fabrication au risque de les considérer comme des œuvres, statut qu’ils n’avaient pas forcément lorsqu’ils ont été commandés. Le livre, depuis sa fabrication jusqu’à sa commercialisation, nécessite l’intervention de plusieurs personnes et sollicite différents corps de métier. Selon Sophie Cassagnes-Brouquet, on peut les répartir en trois catégories : ceux qui se consacrent aux supports de l’écriture : les parcheminiers et les papetiers à partir du XIIIe siècle en France, ceux qui copient et décorent le manuscrit : les scribes ou copistes et les enlumineurs, enfin ceux qui le commercialisent : les relieurs et les libraires.1 Le parcheminier, dans la civilisation médiévale, est celui qui prépare le support : le parchemin.

D’origine animale, il s’agit de peaux de chèvre, de mouton ou de veau. Elles sont trempées durant deux jours dans l’eau afin de leur restituer leur humidité puis sont ensuite tondues. Recouvertes d’une pâte de chaux mouillée d’eau sur le côté chair de la peau, elles sont pliées (côté chair dessous) durant quelques jours afin de laisser agir la chaux sur les follicules de poil. L’épilation de la surface est effectuée généralement avec un petit bâton de bois, une spatule en os ou avec

un couteau incurvé. La peau est tendue sur un chevalet afin de retirer la graisse sous cutanée avec un grattoir. La peau ainsi prête, est replongée dans une nouvelle solution de chaux entre 7 et 30 jours. Cette étape permet d’enlever la graisse et d’assouplir la peau afin de l’étirer sur un cadre en bois. La dernière phase consiste à séparer le derme de l’épiderme puis à poncer la peau avec un rasoir et une pierre ponce sur ses deux côtés. L’invention de l’imprimerie vers 1450 va entraîner de profondes mutations dans la technique de fabrication du livre. Si la réalisation

de manuscrits enluminés persiste au-delà de cette période, les ouvrages sont désormais imprimés sur papier, accompagnés de gravures rehaussées de couleurs. Ce support, arrivé de Chine par la route de la soie, se diffuse dans le monde musulman pour parvenir en Espagne vers 1100. Puis sa production à Toulouse se développe au XVe siècle seulement.

1 Sophie Cassagnes-Brouquet, Catalogue d’exposition Trésors enluminés. De Toulouse à Sumatra. p.27-32

XIIIe siècle. Copenhague, Kongelike Bibliothek, ms 4, Allemagne.

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Musée des Augustins, ville de Toulouse. Service éducatif, Catherine Lemonnier. 2013

Outils du copiste :

calame et plume

d’oie taillés.

Le papetier le produit à partir de chiffons déchiquetés, lavés, entassés dans des récipients où ils sont réduits en bouillie à l’aide de maillets pour obtenir une pâte, ensuite chauffée dans une cuve en

métal. La forme 2, cadre en bois, est plongée dans celle-ci afin que se dépose la pâte sur le feutre. Pressée pour retirer son humidité, la feuille est décollée du feutre pour être séchée sur des cordes. La production s’accélère et s’industrialise grâce aux moulins à eau, premiers moulins à papier, qui actionnent les maillets et aux vis des pressoirs à vin qui sont utilisées pour évacuer l’humidité. Les scribes ou copistes écrivent les manuscrits. Ce sont pour la plupart jusqu’au XIIIe siècle environ, des professionnels de l’Eglise (moines, …) qui se consacrent à cet exercice long et difficile. Ils sont les premiers à intervenir sur les pages en traçant la réglure avec une pointe, une mine de plomb, d’argent ou d’étain. Le trait gris peut être ainsi facilement effacé. Elle leur permet de définir, sur

chaque feuillet, l’emplacement des textes et de l’éventuel décor. La composition de chaque page est ainsi minutieusement orchestrée par une ou plusieurs mains de copistes. Pour écrire, ils utilisent le

calame, un roseau taillé en biseau mais aussi la plume d’oiseau (oie de préférence mais aussi canard, corbeau, cygne, vautour, pélican) également taillée. A cela s’ajoutent un canif pour tailler, un grattoir pour effacer les fautes et bien sûr les réserves d’encre noire mais aussi rouge et bleue, fabriquées à partir de substances métalliques et végétales. La durée de réalisation, parfois sur plusieurs années, explique donc en partie le coût élevé d’un manuscrit.

2 Source : Denis Muzerelle, Vocabulaire codicologique: répertoire méthodique des termes français relatifs au manuscrit.

Paris, 1985 (Rubricae, 1). Version en ligne sur le site de l'IRHT.

A- Forme E- Fils vergeurs B- Cadre F- Fils de chaînette C- Couverte D- Pontuseau

Tracé de la réglure Psautier hymnaire à l’usage de Maguelone. (Détail) Montpellier ?, vers 1410-1420. Parchemin, 198 ff., 19,5 x 15,3 cm. Montpellier, musée languedocien – collections de la SAM, ms. 7

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Musée des Augustins, ville de Toulouse. Service éducatif, Catherine Lemonnier. 2013

Maître de Jouvenel, Guillaume Jouvenel des

Ursins rend visite à son enlumineur au travail. Giovanni Colonna, La Mer des histoires, Anjou,

vers 1447-1455, BNF, ms. lat. 4915.

Guillaume Jouvenel des Ursins rend visite à son

enlumineur au travail.

Les enlumineurs, une fois la copie des textes réalisés, procèdent à la peinture de lettrines enluminées

ou de décors pleine page. Ils sont désignés comme étant ceux qui éclairent, qui permettent de voir3. Le mot enlumineur vient du latin lumen signifiant lumière. Dans le catalogue d’exposition Trésors enluminés. De Toulouse à Sumatra, le manuscrit enluminé est défini comme un texte ancien sur parchemin ou sur papier, orné de décors peints exécutés à la main. Inséparable de la copie des manuscrits, les enluminures étaient à l'origine réalisées par les moines dans le scriptorium des monastères ou des abbayes. Avec le développement des universités au XIIIe siècle, les différentes activités telles que la copie et l’enluminure furent confiées à des laïcs, professionnels spécialisés. Des

ateliers ont progressivement remplacé les scriptoria. Vers 1500-1550, de nombreux documents nous informent sur le nom et la carrière des enlumineurs, mieux connus qu’au Moyen Âge. Lorsque le style particulier d’un peintre est

identifié, bien qu’il reste anonyme, les spécialistes conviennent d’un nom d’usage en général créé à partir du titre de leur ouvrage le plus caractéristique, ou de leur commanditaire le plus assidu.4 Puis le métier d’enlumineur va progressivement disparaître face à la concurrence de la gravure lorsque le livre est désormais imprimé. Graveurs, imprimeurs et papetiers vont désormais dominer. Les relieurs utilisent le parchemin puis le papier pour fabriquer les cahiers, doubles feuilles emboîtées les unes dans les autres. Une fois copiés et enluminés, ils sont cousus ensemble à l’aide d’un cousoir sur les nerfs, des bandes de cuir ou de septain (petite corde contenant 7 fils) autour desquels on enroule le fil qui sert à fixer les cahiers sur les planchettes de bois, les ais (lorsque le papier sera utilisé, ils seront remplacés par du carton). Ils servent de support à la couvrure. C’est la pièce de cuir (en peau de vache généralement) ou d’étoffe (velours,

3 Définition extraite du CNRTL: centre national des ressources textuelles et lexicales.

4 Charlotte Riou, extrait du dossier de presse : Trésors enluminés. De Toulouse à Sumatra.

Composantes d’un livre relié :

1 - Ais 6 -Boulon

2 - Cornière 7 - Ombilie

3 - Agrafe 8 - Nerf

4 - Tenon 9 - Tirefile

5 - Signet

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Musée des Augustins, ville de Toulouse. Service éducatif, Catherine Lemonnier. 2013

Le geste s’adapte à la forme du livre :

dérouler, déplier, feuilleter … 1-Rouleau protecteur et son étui. a : rouleau. b: étui. Éthiopie, XXe siècle (?). Parchemin et cuir, rouleau : 71 x 9 cm ; étui : 10 cm, diam. 3,5 cm. Figeac, musée Champollion, inv. 03 21 1 (a) et inv. 03 21 2 (b) 2-Livre divinatoire (Pustaha). Nord de Sumatra (Indonésie), famille des Batak (groupe des Toba), XIXe siècle ? Écorce battue de bois d’alim, feuillet : 19 x 25 cm ; longueur totale : 2 mètres. Figeac, musée Champollion, inv. 03 20 1. 3-Recueil d’actes et de privilèges à l’usage de Cordes, dit Libre ferrat. Albigeois ?, fin du XIIIe siècle ou début du XIVe siècle - 1922. Parchemin et papier, 101 ff., 19,7 x 13,5 cm. Cordes-sur-Ciel, mairie, inv. AA1. Restauration : archives départementales du Tarn. Cl MH 20/12/1941

taffetas, satin, damas) qui recouvre les ais (plat du dessus et plat du dessous) et le dos du livre en reliure pleine ou demi reliure. Une presse à relier était utilisée pour ébarber les tranches à la fin de la reliure. Celle-ci répond à un double objectif, protéger et décorer. Certains manuscrits présentent des motifs en relief, obtenus en pressant une plaque gravée en bois ou en métal. Les libraires Avec le développement des premières universités, un nouveau public apparait pour les livres : les étudiants et leurs professeurs. Le commerce du livre se développe alors rapidement, amenant une rationalisation importante de la production désormais aux mains des laïcs.5 Les libraires appelés aussi bibliothécaires ou stationnaires sont libres de s’installer à condition de se placer sous la protection de l’université. A Toulouse, ils sont concentrés en ville en raison de préoccupations économiques et culturelles. Matérialité Forme et format Selon la nature du livre (liturgique, de droit, de magie,…), son destinataire (religieux, laïc, privé, public) ou encore son époque et son origine (Afrique, Europe,…), sa forme et son format varient pour répondre à un usage spécifique. A partir de cinq livres choisis dans l’exposition, regardons-les

grandir ! La forme d’ouvrage peut-être la plus surprenante présente dans l’exposition est un petit rouleau de parchemin provenant d’Ethiopie, sorte de gri gri pour protéger et guérir un mal physique ou psychologique. La peau est découpée en bandes puis cousue bout à bout pour atteindre la taille de son propriétaire et ainsi le protéger. Il est fabriqué sur mesure par un debtera, un lettré-guérisseur, qui peint les images, écrit les noms des dieux et du propriétaire à l’encre rouge et les

5 Charlotte Riou, extrait de l’article Midi-Pyrénées Patrimoine, au sujet de l’exposition Trésors enluminés. De Toulouse à

Sumatra.

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Musée des Augustins, ville de Toulouse. Service éducatif, Catherine Lemonnier. 2013

prières à l’encre noire. Achevé, il est rangé dans un étui de cuir cylindrique à bandoulière pour le transporter. Dans la civilisation médiévale occidentale, les livres d’heures, très présents entre 1350 et 1480, sont des recueils de prières destinés à la dévotion privée des laïcs. Leur petit format permettait de les emmener partout. A cette période, c’était parfois le seul livre possédé. Les images complétant les textes étaient un support pour la prière et la méditation. Dans le domaine public, le livre Ferrat de 1273 à 1922 provenant de la mairie de Cordes-sur-Ciel est singulier par sa chaîne fixée aux ais et reliée à un lutrin pour empêcher son vol. Cet ouvrage comprend de nombreux textes révélant la vie de Cordes-sur-Ciel (taxes à payer sur le marché de la ville, relations avec les autres cités comme Rabastens par exemple, chronique sur le prix du pain, la météorologie,…). Sur les ais de la reliure, on distingue des cabochons de métal qui permettaient de ranger le livre à plat et de le consulter en limitant les frottements et donc l’usure de la couvrure. Franchissons les océans pour découvrir le livre le plus long : il mesure 2 mètres ! Il est originaire du nord de l’île de Sumatra en Indonésie où vit le peuple Batak. Ce manuscrit du XIXe siècle (?), composé de feuilles pliées en accordéon, est fabriqué à partir d’écorce battue de bois d’alim. Il a trois fonctions principales : prolonger la vie, la détruire ou encore prédire l’avenir. Utilisé par un magicien-guérisseur, des formules magiques y sont écrites pour la pratique des rites. Elles sont accompagnées de représentations figurant des animaux mais aussi de dessins géométriques comme cette figure carrée, dérivée des mandalas indiens, appelée bindu mantoga, symbole de pouvoir. Terminons notre parcours en revenant en occident. L’un des deux

antiphonaires de Lévis-Mirepoix commandé par Philippe de Lévis pour la cathédrale de Mirepoix en 1533 mesure plus de 80 cm de hauteur sur près de 60 cm de large ! Ce livre de chants pour les offices religieux témoigne de la persistance des modèles médiévaux en pleine Renaissance. Posé sur un lutrin, son format monumental s’explique par le fait qu’il était destiné à être lu et chanté par plusieurs personnes à la fois. Sans souci de conservation et de conscience de la préciosité de ce patrimoine, son contenu a été mutilé au XIXe ( ?) siècle par des personnes avides de belles images. Les initiales peintes, ont été découpées parfois arrachées des pages et certains fragments ont même été réassemblés dans des montages.

Initiale historiée déchirée du livre de chants

80cm de haut, 55 cm de large, un livre monumental Fragment d’encadrement marginal. Antiphonaire de Philippe de Lévis. Maître de Philippe de Lévis-Mirepoix. Toulouse ou Italie centrale ?, vers 1533-1535. Parchemin, 83 x 59 x 12,4 cm. Foix, bibliothèque municipale, ms 47-48 (seul volume exposé)

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Firdawsi, détail d’un feuillet d’un Livre des Rois. Accession au trône de Khusrow. Iran, XVI

e

siècle. Papier, 2 ff., 25 x 16 cm. Figeac, musée Champollion, inv. 01 42 1

Support et matériau Selon le lieu et la période de référence, différents matériaux sont employés pour peindre et écrire. A travers les ouvrages exposés, on en distingue trois : le parchemin, le papier et l’écorce de bois. La qualité du parchemin varie selon différents facteurs : l’espèce animale, l’âge de celle-ci, ce qui influera sur sa couleur, sa finition (les peaux sont cousues mais non collées), son épaisseur et sa surface (rugueuse ou lisse). Au XVe siècle, le papier est quatorze fois moins cher que le parchemin. Deux qualités de papier existent : le papier moyen et le papier marchand de qualité supérieure. Les papetiers introduisent dans la feuille encore humide un petit fil de métal en forme de dessin ou de

lettre qui permet de dater et de situer la fabrication, c’est le filigrane.6 Par ailleurs, le papier est parfois façonné laissant deviner de longs motifs végétaux dorés comme dans les deux feuillets du Livre des Rois ou Shâhnâmeh écrit au Xe siècle par Ferdowski en persan.

Pour qui ? Si le livre est omniprésent dans la civilisation médiévale, sa lecture est loin de concerner toutes les catégories sociales. Jusqu’au XIIe siècle, il fut l’apanage des religieux ; il s’est ensuite démocratisé auprès des laïcs à partir du XIIIe siècle avec le développement des universités. Ce nouveau public va s’élargir progressivement à la bourgeoisie (marchands, artisans, légistes, …), classe montante de la société de l’époque. La demande croissante va transformer la production et la diffusion de l’écrit tout en faisant évoluer les pratiques de lecture. D’une lecture oralisée et publique, on passe à une lecture individuelle, oculaire et silencieuse7 selon l’expression de Florence Bouchet. Comment lit-on ? Selon quelle(s) intention(s) ? Le livre en tant qu’objet est un trésor, une richesse pour celui qui le possède. La relation entretenue entre l’objet et son lecteur développe une symbolique forte liée au savoir et à l’autorité. La lecture a une double fonction : d’une part instruire, mais aussi édifier, remémorer, sensibiliser… d’autre part procurer un agréable moment. Au Moyen Âge, le livre est lu à voix haute devant l’assemblée des moines. Cette activité complémentaire du travail manuel vient rythmer leur journée monacale. Lors des temps de repos après sexte (midi), ils peuvent aussi lire pour eux-mêmes. L’exercice de lecture implique tout le corps comme l’explique Jean Leclercq : Au Moyen Âge, on lit généralement en prononçant avec les lèvres, au moins à voix basse […]. Plus qu’une mémoire visuelle des mots écrits, il en résulte une mémoire musculaire des mots prononcés, une mémoire auditive des mots entendus. La meditatio consiste à s’appliquer avec attention à cet exercice de mémoire totale ; elle est donc inséparable de la lectio. C’est elle qui, pour ainsi dire, inscrit le texte sacré dans le corps et l’esprit8. La lecture induit ainsi une forme de voyage. Cette idée s’étend aussi à la littérature profane. Elle est

6 Sophie Cassagnes-Brouquet, Les métiers du livre dans la région toulousaine à la fin du Moyen Âge dans le catalogue

d’exposition Trésors enluminés. De Toulouse à Sumatra. p.29 7 Florence Bouchet, Livres et lecteurs au Moyen Âge dans le catalogue d’exposition Trésors enluminés. De Toulouse à

Sumatra. p.35 8 Jean Leclercq, L’amour des lettres et le désir de Dieu. Initiation aux auteurs monastiques du Moyen Âge. Paris, éditions du

Cerf, 1957.

Papier façonné de motifs végétaux

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oralisée : récitée en public à haute voix, chantée et associée à la musique (poésie lyrique). Le public aussi bien populaire qu’aristocratique est avant tout auditeur lors de rassemblements tels que les foires, les cours, fêtes de corporation ou autres lieux de pèlerinage. Le premier genre littéraire consacré à la lecture (encore à voix haute) et non plus au chant est le roman. A la fin du XIIIe siècle puis au XIVe et XVe, la lecture, avec les progrès de l’instruction, devient progressivement individuelle. Elle est non pas cursive et intégrale, comme on peut la pratiquer aujourd’hui, mais sélective, par morceaux choisis, selon les goûts et les besoins du lecteur. Les illustrations, les pieds de mouche signalant les paragraphes,… jouent en quelque sorte le rôle de balise pour aider le lecteur à se repérer et à s’orienter dans l’ouvrage. Si l’œil est actif, la main qui feuillette les pages l’est aussi en annotant dans les marges les gloses. Citons par exemple le livre de grammaire en latin d’un étudiant à Figeac qui les a écrites en occitan. Ce contact personnel avec l’objet livre contribue à développer une idée de cheminement et de voyage. Les catégories d’ouvrages se diversifient pour répondre aux besoins d’un lectorat de plus en plus large mais encore bien disparate. On repère une multitude de livres liés à la pratique religieuse (psautier, missel, bréviaire, graduel, antiphonaire, sacramentaire,

livre d’heures,…) mais aussi au droit (livres juratoires, terriers, armoriaux, firmans…) à l’enseignement (grammaire, encyclopédies, traités consacrés à la chasse, à l’astrologie, à la médecine, et bien d’autres encore), au divertissement (poésie, épopée, roman, pièces de théâtre…). Celle-ci témoigne d’une richesse graphique et picturale sans égale pour un lectorat en devenir. Crédits photographiques : © Copenhague, Kongelike Bibliothek - © Montpellier, musée languedocien – Charlotte Riou- © Paris, Bibliothèque nationale de France- © Toulouse, trésor de la basilique Saint-Sernin – IRHT- © Figeac, musée Champollion- © Cordes-sur-Ciel – Charlotte Riou- © Foix, bibliothèque municipale – Charlotte Riou – © Figeac, musée Champollion – Charlotte Riou

Grammaire latine avec glose en occitan. France méridionale, 1404. Papier, 125 ff., 14,6 x 10 cm. Figeac, musée Champollion, inv. 05 14 1

Glose dans les marges

Glose dans les

interlignes