Le Livre Tibetain Des Morts

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BARDO THDOL LE LIVRE DES MORTS TIBTAIN OU LES EXPRIENCES D'APRS LA MORT DANS LE PLAN DU BARDO Suivant la version anglaise du LAMA KAZI DAWA SAMDUP

Traduction franaise de Marguerite La Fuente Prcde d'une prface de M. Jacques Bacot

TABLE DES ILLUSTRATIONSFigure 1 Folio 35 A du manuscrit .................................................................................................................................. 3 Figure 2 Folio 67 A du manuscrit .................................................................................................................................. 3 Figure 3 Le Spyang-Pu ................................................................................................................................................ 25 Figure 4 Le Dharma-Kya........................................................................................................................................... 78 Figure 5 Le grand Mandala des Dits Paisibles ........................................................................................................ 99 Figure 6 Le grand Mandala des Dits irrites et dtentrices du savoir ................................................................... 127 Figure 7 L'essence de toute chose .......................................................................................................................... 148 Figure 8 Le Jugement................................................................................................................................................. 162 Figure 9 Le Mantra de Chenrazee ............................................................................................................................. 216

Figure 1 Folio 35 A du manuscrit

Figure 2 Folio 67 A du manuscrit

[VII] PREFACE La provenance de ce livre n'est pas connue. Adaptation tibtaine d'un original indien ou, beaucoup plus vraisemblablement, adaptation bouddhique d'une tradition tibtaine antrieure au VIIme sicle, le Bardo Thdol est un trait de la mort reposant sur un fond d'animisme extrmeoriental. La description, non extrieure, mais interne et vcue de l'agonie est si prcise, qu'on pourrait croire cette science eschatologique acquise par des hommes revenus du seuil mme de la mort. Le traducteur anglais, Dr W. Y. Evans-Wentz, la croit plutt dicte par de grands matres, agonisants attentifs, qui eurent la force d'enseigner mesure, leurs disciples, le processus de leur propre fin. Mais les enseignements de ce Guide vont plus loin. Aprs s'tre adresss au mourant, ils dirigent l'esprit du mort travers les visions infernales qui l'pouvantent et l'garent. Dans l'tat intermdiaire le Bardo entre la mort et la renaissance, se dveloppent selon un dterminisme rigoureux, les effets ncessaires dont les causes furent les uvres de la vie. Car enfers, dieux infernaux, tourments sont crs par l'esprit lui-mme, ils n'existent pas en dehors de lui. Ils ne sont que phantasmes ni plus rels, ni plus mdiats que les mauvais rves des mauvaises consciences. Enfin, ce Livre des Morts aborde avec assurance le problme difficile, la pierre d'achoppement du Bouddhisme, le point o se ferme, sans se souder, l'anneau de la connexion causale, o finit un cycle et commence le suivant : le mcanisme de la transmigration. Alors que des textes plus canoniques font intervenir, assez maladroitement, les Gandharvas, vritables dei ex machina, le Bardo Thdol poursuit son dveloppement discursif plus satisfaisant, et il dtermine par le jeu des attractions et rpulsions [VIII] non seulement les parents mais aussi le sexe de l'tre qui s'incarne. Mme M. La Fuente a traduit de l'anglais tout l'ouvrage du Dr EvansWentz, introduction, texte, notes et opinions personnelles, sans rien ajouter ni retrancher. Cet effacement du traducteur et sa persvrance devant une

tche si ardue font honneur son got dsintress de la recherche objective. Le document que nous rvle Mme La Fuente ne s'adresse pas seulement aux "Amis", mais tous les curieux du Bouddhisme. Son intrt dborde mme les frontires du Bouddhisme par la gravit et l'universalit du sujet. J. BACOT. Paris, mai 1933.

[1] INTRODUCTION Voir 1 "Les phnomnes de la vie peuvent tre compars un rve, un phantasme, une bulle d'air, une ombre, la rose miroitante, la lueur de l'clair, et ainsi doivent-ils tre contempls." (Le Bouddha, dans le Sutra Immuable)

Cette introduction est en grande partie base sur les explications et les notes dictes par le Lama Kasi Dawa Samdup, le traducteur du Bardo Thdol, l'diteur, le Dr Evans-Wentz, pendant leur travail commun Gangtok Sikkim. L'opinion du Lama tait que le Bardo Thdol ne pouvait tre traduit sans que des commentaires soient donns sur les parties du texte les plus abstruses et figures. Ceci tait aussi le vu de son dfunt Guru pour toute traduction en langue europenne de la science de l'cole de la Grande Perfection dont il tait un initi. A cette fin, l'exgse du traducteur, base sur celle de son Guru, fut transmise l'diteur et enregistre par lui. La tche de l'diteur a t de coordonner et systmatiser ces notes, en essayant de les rendre plus intelligibles aux Occidentaux pour qui cette partie du livre est spcialement crite. Le traducteur sentait que, sans la sauvegarde que veut tre cette introduction, la traduction du Bardo Thdol serait particulirement expose une mauvaise interprtation et, en consquence, qu'on en pourrait faire un mauvais usage, particulirement ceux qui, pour une raison ou autre, sont hostiles aux doctrines bouddhistes et spcialement cette secte kargyutpa. Il reconnaissait aussi que cette Introduction, ainsi qu'elle est prsente, peut prter aux critiques du fait qu'elle peut paratre le rsultat d'un clectisme philosophique. De toutes faons l'diteur ne peut faire mieux que redire ici que, soit dans l'introduction, soit dans les annotations suivant de prs le texte, il a voulu prsenter la psychologie et les enseignements particuliers et relatifs au Bardo Thdol ainsi qu'ils lui ont t enseigns par des commentateurs initis et qualifis qui, seuls, ont le droit incontestable de les expliquer. Si l'on critique l'diteur d'avoir expos les doctrines du Bardo Thdol du point, de vue du Bouddhisme du Nord qui croit en elles, plutt que du point de vue Chrtien qui n'admettrait pas au moins certaines d'entre elles, l'diteur ne croit pas devoir s'en excuser, ne trouvant aucune raison valable pour les exposer autrement qu'elles ne sont. L'anthropologie concerne les choses telles qu'elles sont, et le vu sincre de tout chercheur dans l'tude des religions compares, sans passion religieuse, doit toujours tre d'accumuler des documents scientifiques qui aideront un jour les gnrations futures dcouvrir la vrit elle-mme, cette vrit universelle dans laquelle toutes les religions et sectes religieuses pourront enfin reconnatre l'essence de la religion et la catholicit de la foi.

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I. L'IMPORTANCE DU BARDO THDOL Comme contribution l'tude de la mort, de l'existence d'aprs la mort, et de la renaissance, le Livre des Morts tibtain, appel [2] dans cette langue : Bardo Thdol (Libration par entendement dans le plan suivant la mort) 2, est unique parmi les livres sacrs. Comme exposition abrge des principales doctrines de l'cole bouddhiste du Mahyna, il a une, grande importance religieuse, philosophique et historique. Comme trait bas essentiellement sur les sciences occultes de la philosophie Yoga, qui tait la base du curriculum de l'enseignement de l'Universit Bouddhiste de Nlanda (l'Oxford de l'Inde ancienne), c'est sans doute un des plus remarquables ouvrages que l'Occident ait jamais reu de l'Orient. Comme manuel mystique de conduite au travers du monde extrieur des nombreux royaumes d'illusion dont les frontires sont la vie et la mort, il ressemble suffisamment au Livre des Morts gyptien pour suggrer une relation de culture entre eux. Nous ne savons pourtant avec certitude, sur le texte rendu accessible ici aux lecteurs europens que ceci : le germe de ses enseignements en a t conserv jusqu' nous par une longue succession de saints et de voyants de la "Terre aux pics neigeux protge par les Dieux" : le Tibet. II. LE SYMBOLISME Le Bardo Thdol est unique en ceci, qu'il tend traiter rationnellement le cycle de l'existence sangsrique (phnomnale) intervenant entre la mort et la naissance la loi ancienne du karma ou des consquences (enseigne par Emerson comme loi de compensation) et la doctrine des renaissances tant acceptes comme la loi naturelle essentielle de la vie humaine. Bien souvent pourtant, cette relation semble tre l'antithse du rationnel, car elle est un chiffre occulte.

M. Talbot Mundy, dans son intressant roman tibtain, Om, parle de ce titre, Le Livre des Morts tibtain, comme d'une traduction trop libre de Bardo Thdol. Ce titre ne doit pas tre pris ainsi, mais comme la dnomination la plus courte et la mieux approprie pour faire comprendre au lecteur europen le vrai sujet trait dans ce livre.

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Le Dr L. A. Waddell a dclar aprs de minutieuses recherches : "les Lmas savent dvoiler dans la doctrine du Bouddha la signification de bien des choses qui ont t presque inaccessibles aux Europens." 3 Certains des Lmas les plus rudits, parmi lesquels le dfunt [3] Lma Kazi Dawa-Samdup, ont pens que depuis les premiers ges, il y eut une sorte de code secret symbolique international, commun aux initis, donnant la cl du sens profond des doctrines occultes et jalousement gard dans des fraternits religieuses aux Indes, Tibet, Chine, Mongolie et Japon. De semblable manire, les occultistes occidentaux ont considr les critures hiroglyphiques de l'gypte ancienne et du Mexique, comme une sorte de forme popularise et exotrique du langage secret. Ils disent aussi qu'un code symbolique fut parfois employ par Platon et d'autres philosophes grecs dans les relations des sciences orphique et pythagoricienne. Dans le monde celtique, les Druides transmirent symboliquement tout leur enseignement sotrique ; l'emploi des paraboles dans les sermons de Jsus, du Bouddha et des autres Grands Instructeurs, montre la mme tendance. Et par des ouvrages comme les Fables d'sope et les miracles et mystres jous en Europe mdivale beaucoup des vieux symboles orientaux ont t introduits dans la littrature moderne de l'Ouest 4.3 4

L. A. Waddell, The Buddhism of Tibet or Lamasm, Londres, 1895, p.17.

Il y a une grande vidence supposer que l'une des sources de philosophie morale cache dans les Fables d'sope et, par comparaison, dans le Pantchatantra et l'Hitopadesha hindous, peuvent tre retracs dans les contes populaires orientaux primitifs sur les animaux et les symboles d'animaux, qui ont aussi form, d'aprs certains rudits, les Jtakas ou histoires des diverses renaissances du Bouddha (Jtaka, ed. Pa E. W. Cowell, Cambridge, 1895-1907). De mme les mystres chrtiens contiennent un symbolisme si semblable celui des mystres jous encore aujourd'hui sous le patronage religieux dans le Tibet et les territoires bouddhistes du Nord, que cela semble indiquer un autre courant d'orientalisme venu en Europe (Voir Three Tibetan mysteries, Woolf, ed., Londres, sans date). L'apparente canonisation romaine du Bouddha sous le nom mdival de saint Jehoshaphat, montre comme les choses orientales devenaient occidentales (Voir Baralm et Ywasf, Budge, ed., Cambridge, 1923). L'ouvrage mdival De Arte Moriendi (The Book of the Craft of Dying, Comper ed., Londres, 1917) existe en versions et variantes : latines, anglaises, franaises et autres langues europennes, et semble suggrer une infiltration plus profonde des ides orientales sur la mort et l'existence d'aprs la mort, ainsi qu'elle se trouve dans le Bardo Thdol tibtain et le Livre des Morts gyptien. Nous avons mis en notes des extraits du De Arte Moriendi se rapportant au texte du Bardo (Buddhist and Christian Gospels, par A. J. Edmunds, Philadelphia, 1908) est une tude remarquable sur le paralllisme des textes du Nouveau Testament et du Canon Bouddhique, et suggre que ce champ inexplor et plein de promesses pourrait dmontrer les correspondances entre les penses et les littratures orientales et occidentales, ainsi que nous le supposons dans cette note.

Quoi qu'il en soit, il est certain que pour les grands systmes de la pense anciens, ni les littratures nationales ni le langage journalier n'taient capables d'exprimer les doctrines transcendantales, ni toute la valeur de la signification des maximes morales. [4] L'agneau, le dragon (ou serpent), la colombe au-dessus de l'autel, le triangle entourant l'oeil la vision universelle (commun la FrancMaonnerie), le symbole sacr du poisson, le feu ternel, ou l'image du soleil levant sur le tabernacle, les symboles architecturaux de l'orientation des glises et cathdrales, la croix elle-mme, et les couleurs et dessins des robes des prtres, des vques et du pape sont les tmoins muets des survivances du symbolisme paen dans les glises chrtiennes modernes. Mais le sens secret contenu dans ces symboles christianiss a t inconsciemment rejet. Des ecclsiastiques non initis se runirent en conciles pour dtruire l'hrsie ; s'tant pris regarder la chrtient primitive si enveloppe de symbolisme (les Gnostiques) comme "une imagerie orientale folle" ils la rpudirent comme hrtique, alors qu'elle tait seulement sotrique. De mme, le Bouddhisme du Nord, dont le symbolisme est si vivant, a t condamn par le Bouddhisme du Sud, pour avoir prtendu tre le gardien de la doctrine sotrique transmise oralement de gnrations en gnrations par des initis depuis le Bouddha. Il enseigne aussi des doctrines (comme dans le Saddharma Pundarka) qui ne sont pas en accord avec celles du Ti-Pitaka (sans. : Tri-Pitaka) : le Canon Pali. Et pourtant, bien que le Bouddhisme du Sud maintienne qu'il ne peut y avoir qu'une interprtation littrale des enseignements du Bouddha, les critures palies contiennent beaucoup de paraboles et de mtaphores, certaines d'entre elles tant regardes par les Lmas comme la confirmation symbolique de leur propre tradition sotrique, dont ils prtendent avoir la cl initiale (et peut-tre non sans bonne raison). Les Lmas admettent que le Ti-Pitaka (les trois corbeilles de la loi) sont, ainsi que le disent les Bouddhistes du Sud, les paroles crites de la doctrine des anciens : le Thera Vda ; mais ils prtendent que les Pitakas ne contiennent pas toutes les Paroles, et qu'il y manque beaucoup des enseignements yogiques du Bouddha, enseignements transmis sotriquement jusqu' aujourd'hui. Le Bouddhisme sotrique, ainsi qu'on l'a appel tort ou raison, semble avoir t transmis principalement "de

bouche oreille" et suivant les doctrines de ce genre selon une rgle orale et tablie de Guru Shishya. Le Canon Pali rapporte que le Bouddha n'a rien tenu secret "dans un poing ferm" (Mah Parinibbna Sttanta du Dgha Nikya II), cela veut dire qu'il n'a rien cach de la doctrine [5] essentielle aux membres du Sangha (communaut), comme de nos jours un guru ne cache rien de ce qui est ncessaire l'illumination spirituelle de ses disciples initis. Ceci est loin d'impliquer, cependant, que tous les enseignements devaient tre mis en crit pour la multitude des non-initis, et qu'on les ft tous figurer dans les Canons. Le Bouddha lui-mme n'a crit aucun de ses enseignements ; ses disciples qui, aprs sa mort, ont compil les Saintes critures, peuvent n'avoir pas rapport tout ce que leur matre enseigna. S'ils ne l'ont pas fait, et il y a, comme les Lmas le soutiennent, certains enseignements du Bouddha qui ne furent jamais dits ceux qui ne sort pas du Sangha, il existerait sans doute dans ce cas un Bouddhisme sotrique en dehors du Canon. Ce Bouddhisme sotrique ainsi compris ne doit pas tre regard comme en dsaccord avec le Bouddhisme exotrique canonique, mais en relations avec lui comme les hautes mathmatiques le sont avec les mathmatiques simples, ou, comme le sommet de la pyramide de l'ensemble bouddhiste. En rsum, l'vidence que l'on peut allguer est un apport substantiel la prtention des Lmas qu'il existe (et le Bardo Thdol le suggre) un enseignement bouddhiste non crit transmis oralement en complment du Bouddhisme canonique 5.

Il est sans doute utile que l'diteur rappelle ses amis professant le Theravda (Bouddhisme du Sud) que cette Introduction prsente le Boudhisme du point de vue de la secte kargyutpa du Bouddhisme du Nord, pour qui le Bardo Thdol est un livre sacr. Bien que le Bouddhiste du Sud ne puisse s'accorder avec certains enseignements du Bardo Thdol dans leur intgralit il en trouvera les points essentiels bass sur des doctrines communes toutes les coles et les sectes bouddhistes. Et mme les doctrines qui ne sont pas admises par lui peuvent l'intresser et l'amener une rvision de certaines de ses croyances opposes.

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III. LA SIGNIFICATION ESOTERIQUE DES 49 JOURS DU BARDO tudiant notre texte, nous trouvons qu'il est bas situe nombre symbolique 49, le carr du nombre sacr 7. Suivant l'enseignement occulte, commun au Bouddhisme du Nord et l'Hindousme suprieur enseignement qui ne fut jamais rpudi par le Bodhisattva n aux Indes qui devint le Bouddha Gautama le rformateur de l'Hindousme infrieur et le Codificateur du savoir il y a 7 mondes ou 7 degrs de My 6 dans le Sangsra 7 constitus [6] chacun comme 7 globes d'une chane plantaire. Sur chaque globe il est 7 cercles d'volution faisant 49 (7 fois 7) stations d'existence active. De mme que, dans l'tat embryonnaire humain, le ftus passe par toutes les formes de structure organique depuis l'amibe jusqu' l'homme, le plus lev des mammifres, ainsi dans l'tat postmortem, tat embryonnaire du monde psychique, "le Connaisseur" ou principe de conscience, avant sa rintgration dans la matire grossire, exprimente analogiquement les conditions psychiques pures. En d'autres termes, dans les deux processus embryonnaires interdpendants, le physique et le psychique, les acquisitions d'volution et d'involution correspondantes aux 49 stages d'existence sont repasses. Similairement, les 49 jours du Bardo peuvent symboliser les 49 Pouvoirs du Mystre des 7 Voyelles. Dans la mythologie hindoue, d'o vient beaucoup de symbolisme du Bardo, ces Voyelles devenaient le Mystre des 7 Feux, et des 49 subdivisions ou aspects du feu. Ils sont aussi reprsents par le signe du Swastika sur les couronnes des 7 ttes du Serpent de l'ternit des Mystres du Bouddhisme du Nord, ayant leur origine dans l'Inde ancienne. Dans les crits hermtiques, ils sont les 7 zones des expriences d'aprs la mort ou expriences du Bardo, symbolisant chacune la venue dans l'tat intermdiaire, d'un des 7 lments

My, le sanscrit quivalent au gyma (sgyuma) tibtain, veut dire spectacle magique ou illusoire, en rfrence directe avec les phnomnes de la nature. En brhmanisme, dans un sens plus lev, il se rapporte la Shakti de Brman (l'esprit suprme, le Ain Soph du Judasme). Le terme sanscrit Sangsra (ou Samsra), le Khorva (Hkhorva tibtain), se rapporte au phnomne universel lui-mme. Son antithse est le Nirvna (tib. : Myang-hdas), qui est au-del du phnomne.7

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particuliers du principe conscient complexe. Ils donnent ainsi au principeconscient 49 aspects ou feux ou champs de manifestation 8. Le nombre 7 a t longtemps un nombre sacr pour les races aryennes ou autres. Son emploi dans les Rvlations de saint Jean illustre ceci ainsi que la conception du septime jour considr comme saint. Dans la nature, le nombre 7 gouverne la priodicit et les phnomnes de la vie, comme par exemple les sries d'lments chimiques, les sons et les couleurs en physique, et c'est sur ce nombre de 49, ou 7 fois 7, que le Bardo Thdol est bas scientifiquement. [7] IV. LA SIGNIFICATION ESOTERIQUE DES CINQ ELEMENTS De la mime faon, et d'une manire trs frappante, les enseignements sotriques concernant les cinq lments, tels qu'ils sont symboliquement exposs dans le Bardo Thdol, sont pour une grande part semblables aux enseignements de la science occidentale. On en verra l'indication dans l'interprtation suivante du Lma Kazi Dawa Samdup Au premier temps de notre plante, un seul lment tait volu : le feu. Dans le brouillard de feu qui, suivant la loi karmique gouvernant le Sangsra ou Cosmos, se mit en motion rotative et devint un corps globuleux brasillant de forces primordiales non diffrencies, tous les autres lments demeuraient en embryons. La vie se manifesta d'abord vtue de feu, et si l'homme existait ce moment, il possdait (comme on le croyait pour les Salamandres de l'occultisme mdival) un corps de feu. En deuxime volution, comme l'lment feu assumait une forme dfinie, l'lment air se spara de lui et entoura l'embryon de plante comme la coquille couvre l'oeuf. Le corps de l'homme et celui de toute crature organique furent alors composs de feu et d'air. En troisime volution, la plante baigne dans l'lment air et vente par lui, transforma sa nature incandescente et l'lment eau sortit de l'air vaporeux. En quatrime volution, qui est celle qui dure encore actuellement, l'air et l'eau

En regard de la signification sotrique des quarante-neuf jours du Bardo, comparer : La Doctrine Secrte, de H. P. Blavatsky, Londres, 1888, p. 238, 411, 617, 627-28. Le lama Kasi Dawa Samdup considrait, en dpit des critiques diriges contre ses ouvrages, que H. P. Blavatsky devait incontestablement avoir reu un enseignement lamaque lev, ainsi qu'elle le prtendait.

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neutralisant l'effet de leur parent feu, le feu produisit l'lment terre qui l'entoura. sotriquement, les mmes enseignements sont contenus dans le vieux mythe hindou du barattement de la mer de lait qui tait le brouillard de feu, et d'o sortit le beurre : la terre solide. De la terre ainsi forme, les Dieux sont dits s'tre nourris, ou en d'autres termes, aspirant l'existence dans des corps physiques grossiers, ils se sont incarns sur cette plante et sont devenus les procrateurs divins de la race humaine. Dans le Bardo, aux quatre premiers jours, ces quatre lments se manifestent au dfunt dans leur forme primordiale, mais non dans leur vrai ordre occulte 9. Le cinquime lment, l'ther, [8] dans sa forme primordiale symbolise comme "le chemin de lumire verte de la Sagesse des actions parfaites", n'apparat pas, car, ainsi que le texte l'explique, la Sagesse, ou facult de conscience (Bodhique) du dfunt, n'a pas t dveloppe parfaitement. L'lment ther, comme l'agrgat de la matire (symbole du brouillard de feu), est personnifi par Vairochana "Celui qui rend toutes choses visibles en formes". L'attribution psychique de l'lment ther pour rendre la conception lamaque dans le langage psychologique de l'Ouest est le subconscient. Le subconscient, comme une conscience transcendantale plus haute que la conscience normale de l'humanit et encore insuffisamment dveloppe, est le vhicule de la facult bodhique que l'on croit destine devenir la conscience active de l'humanit au temps du cinquime cycle. L'enregistrement dans la mmoire de toutes les existences passes dans les nombreux tats de l'existence sangsrique est latent dans le subconscient ainsi que le dit l'enseignement du Bouddha lui-mme (voir p. 36). Les races de la cinquime volution, en qui il deviendra actif, seront donc capables de se souvenir de toutes leurs existences passes. En place de foi

On tient aussi que des cinq Dhyni Bouddhas manent, comme dans notre texte les cinq lments : ther ou agrgat de la matire, Vairochana ; Air ou agrgat de volition, Amogha Siddhi ; Feu ou agrgat de sensations, Amitbha ; Eau ou agrgat de conscience, Vajra Sattva, sotriquement le reflet d'Akshobhya ; Terre ou agrgat du toucher, Ratna-Sambhava. De l'Adhi Bouddha (d'o suivant l'cole du mme nom, manent les cinq Dhyni Bouddhas) mane le sixime lment qui est l'esprit (manas). Vajra-Sattva, comme dit sotrique, occupe parfois, ainsi que le fait Vairochana (suivant les divers coles et rituels), la place de l'di-Bouddha et en est synonyme.

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ou simple croyance, l'homme possdera le savoir et viendra se connatre lui-mme suivant l'injonction des Mystres de l'ancienne Grce. Il ralisera l'irralit de l'existence sangsrique atteignant l'Illumination et l'mancipation du Sangsra et des lments, et ceci viendra comme le processus normal de l'volution humaine. Malgr cela, le but de toutes les coles de Yoga indienne ou tibtaine ainsi que le Bardo Thdol est de dpasser ce lent procd d'volution normale et gagner la libration ds maintenant. Dans le corps de l'homme tel qu'il est prsent, en quatrime volution, il y a quatre royaumes de cratures vivantes : celles de l'lment feu ; celles de l'lment air ; celles de l'lment eau ; celles de l'lment terre.

Au-dessus de la vie collective de ces myriades innombrables vivantes, rgne l'homme. S'il est un grand roi rempli de la conscience transcendante du Yog triomphant (ou Saint), la [9] multitude de ses sujets lmentaux se rvle souvent lui en leur vraie nature et place ainsi dans sa main le sceptre (symbolis par le Dorje tibtain ou foudre) de la Domination universelle sur la Matire. Ainsi est-il vraiment le Seigneur de la Nature devenant son tour gouverneur par droit divin. Un Chakravartin ou empereur universel, Dieu et crateur 10.

Laws of Manu, trad. Sir William Jones, ch. XII, p. 10 et 11. "Celui qui, par ferme comprhension, commande ses paroles, commande ses penses et commande tout son corps, peut tre appel justement celui qui a le triple commandement..."L'homme qui exerce ce triple commandement envers toute crature anime ayant dompt entirement la convoitise et la colre obtiendra par ces moyens la batitude."

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V. LES ENSEIGNEMENTS DE LA SAGESSE Enveloppes dans le langage symbolique, il y a dans le Bardo Thdol des doctrines occultes, ce que le traducteur appelle "Enseignements de la Sagesse". Ces doctrines essentielles du Mahyna peuvent tre esquisses ainsi : Le vide. Dans tous les systmes tibtains de Yoga, la ralisation du vide (tib. : Stong-pa-nid, pron. : Tong-pa-nid ; sansc. : Shnyat) est le grand but. Car la ralisation est l'atteinte du Dharma-Kya inconditionn, ou divin corps de la Vrit (tib. : Chos-sku, pron. : Ch-Ku) l'tat primordial de l'incr, de la toute conscience bodhique supra-mondiale : l'tat de Bouddha. La ralisation du vide (pali : Sunnata) est aussi le but des Theravdistes. Les trois corps. Le Dharma-Kya est le plus lev des trois corps (tib. : Shu-gsum, pron. : K-sum, sansc. : Tri-Kya) du Bouddha et de tous les Bouddhas et des tres ayant l'illumination parfaite. Les deux autres corps sont : le Samboyha-Kya ou divin corps parfaitement dou (tib. : Longs-spyod-rzogs-sku, pron. : Long-chd-zo-ku) et le Nirmna-Kya ou divin corps d'incarnation (tib. : Sprul-pahi-sku, pron. : Tl-pai-ku). Le Dharma-Kya est symbolis car tous les mots concepts humains sont impuissants dcrire ce qui est sans qualit par un ocan infini, calme, sans une vague, duquel s'lvent brumes, nuages et arc-en-ciel symbolisant le Sambogha-Kya ; ces nuages illumins de la gloire de l'arcen-ciel se condensent et retombent en pluie, symbolisant le NirmnaKya 11. [10] Le Dharma-Kya est la Bodhi primordiale sans forme qui est la vritable exprience libre de toute erreur ou obscurcissement inhrent ou accidentel. En lui est l'essence de l'Univers, inclus le Sangsra et leSj. Atal Bihari Ghosh a ajout le commentaire suivant : "Le mot Dharma drive de la racine Dhri, voulant dire supporter, soutenir. Dharma est ce qui supporte l'univers comme l'individu, Dharma, soutien pour l'humanit, est la conduite juste rsultant du vrai savoir. La vrit suivant le Brhmanisme est le Brhman, la Libration Moksha, Nirvna, Sambogha est la vie de la joie. Nirmna est le processus de construction. Dans la pense Brhmanique, Dharma est la premire chose ncessaire, puis vient Artha (prosprit en possessions) qui correspond au Nirmna. Aprs cela vient Sambogha et enfin en dernier Moksha ou libration.11

Nirvna qui, en tant qu'tats ou conditions des deux ples de la conscience sont, en dernire analyse (et dans le domaine purement intellectuel), identiques 12. En d'autres termes, le Dharma-Kya (lit. : Corps de la loi) est la sagesse essentielle (Bodhi non modifie) ; le Sambogha-Kya (lit. : corps de compensation ou corps orn) donne une forme, comme dans les cinq Dhyani Bouddhas la sagesse reflte ou modifie, le Nirmna-Kya (lit. : corps changeable), ou corps de transformation, donne une forme, comme dans les Bouddhas humains la sagesse pratique ou incarne 13. L'incr, le non-form, le non-modifi sont le Dharma-Kya. [11] La descendance, la modification du non-modifi, la manifestation de tous les attributs parfaits en un corps sont le Sambogha-Kya. Ce qui prend forme de tout ce qui est sage, pitoyable et aimant dans le Dharma-Kya comme les nuages devant les cieux, ou l'arc-en-ciel devant les nuages est dit tre le Sambogha-Kya 14. La condensation et diffrenciation du corps unique en plusieurs, est le Nirmna-Kya ou incarnations divines parmi les tresQuel que soit ce qui est visible ou invisible, que ce soit Sangsra ou Nirvna, cela la base est un (Shunyat) avec deux sentiers (Avidy, ignorance, et Vidya, savoir) et deux fins, Sangsra et Nirvna... "La fondation de tout est incre et indpendante, non compose, et au-del de l'esprit et de la parole. De cela ni le mot Nirvna ni celui Sangsra ne peuvent tre dits". The good wishes of the di-Buddha, trad. L. K. Dawa Samdup, Tantric texts, vol. VII, Londres, 1919. Le Shnyata, le Vide, synonyme du Dharma-Kya, est ainsi au-del de tout concept mental, au-del de l'esprit dfini avec toutes ses imaginations et de l'emploi de termes ultimes du monde dualiste, tels que Nirvna et Sangsra.13 12

Waddell, op. cit, p. 127, 347.

Ashvagosha, le grand philosophe bouddhiste mahyniste (p. 197), a expliqu la doctrine du TriKya, dans The Awakening of Faith, T. R. Suzuki, Chicago, 1900, p. 99-103, ainsi : Puisque tous les Tathagatas sont le Dharma-kya mme, sont la plus haute vrit mme (paramrthasatya), ils n'ont rien faire avec l'tat conditionnel (samvritti-satya) et les actions forces, tandis que la vue, l'oue, etc. (les sens particularisants), des tres anims diversifient (pour leur propre compte) l'activit des Tathgatas. Et cette activit (en d'autres termes le Dharma-Kya) a un double aspect. Le premier dpend de la conscience particularisante des phnomnes au moyen de laquelle l'activit est connue par l'esprit du peuple ordinaire (prithagjana), Crvakas et Pratyekabuddhas. Cet aspect est appel Corps de Transformation (Nirminakyas) mais comme les tres de cette classe ne savent pas que le Corps de Transformation est simplement l'ombre (ou rflexion) de leur propre conscience voluante (pravitti-vijna), ils imaginent qu'il vient de sources externes, et ainsi, lui donnent-ils une limitation corporelle. Mais le corps de transformation (ou ce qui revient au mme, le Dharmakya) n'a rien voir avec la limitation et la mesure. "Le second aspect (du Dharma-kya) dpend de l'activit de la conscience (karma-vijna), au moyen de laquelle l'activit est conue par les esprits des Bodhisattvas alors qu'ils s'lvent du stage de leur premire aspiration (cittopada) la hauteur de l'tat de Bouddha. Ceci est appel le corps de joie (Sambhogha-Kya...). Le Dharma-Kya peut se manifester lui-mme en diverses formes corporelles, exactement parce qu'il est leur essence relle.14

Voir A. Avalon, Tantric Texts, VII, Londres et Calcutta, 1919, p. 36 n., 41 n.

anims et sensibles, c'est--dire parmi les tres plongs dans l'illusion appele Sangsra, dans les phnomnes et dans l'existence du monde. Tous les tres illumins qui renaissent dans ce monde ou un autre, en pleine conscience, pour travailler l'amlioration de leurs semblables sont dits tre des incarns du Nirmna-Kya. Au Dharma-Kya est associ par le Bouddhisme tantrique, le Bouddha primordial : Samanta-Bhadra (tib. : Kn-tu-bzang-po, pron. : Kn-tu-zangpo) qui est sans commencement ni fin, la source de toute vrit, le Pre parfaitement bon de la foi lamaque. Dans ce mme royaume du Bouddha le plus lev, le lamasme place : Vajra-Dhra (tib. : Rdorje-Chang, pron. : Dorje-Chang) "Celui qui tient le Dorje" (ou la foudre), Vajra-Yna ou Mantra Yna (tib. : Rdorje-Theg-Pa, pron. : Dorje-Theg-Pa), le divin interprte de la doctrine mystique, et aussi le Bouddha Amitabha (tib. : Hod-dpag-Med, pron. : Wod-pag-med), le Bouddha de la Lumire sans entraves qui est la source de vie ternelle. Dans le Sambogha-Kya sont placs les cinq Dhyn Bouddhas (ou Bouddhas de mditation), les Herukas du Lotus et les Dits Paisibles et Irrites, qui toutes apparaissent dans les visions du Bardo. Avec le Nirmna-Kya est associ Padma Sambhava qui, tant le premier Matre qui interprta au Tibet le Bardo Thdol, est appel le Grand Guru par tous les dvots des enseignements du Bardo. L'opinion commune beaucoup de personnes non inities aux plus hauts enseignements lamaques, qui consiste croire que le Bouddhisme du Nord reconnat dans le Bouddha primordial, ou dhi-Bouddha la Dit Suprme, est fausse. Le Lama K. D. S. maintenait que di-Bouddha et toutes les dits associes avec le Dharma-Kya ne devaient pas tre regardes comme des dits personnelles niais, comme personnifications de forces [12] lois ou influences spirituelles primordiales et universelles, elles soutiennent ainsi que le soleil soutient la vie physique de la terre la nature divine de toute crature anime dans tous les mondes, et rendent possible l'mancipation de l'existence sangsrique pour l'homme. "Dans le panorama sans limites de l'univers existant et visible, quelles que soient les formes qui apparaissent, quels que soient les sons qui vibrent, quelles que soient les radiations qui l'illuminent, ou quoique la conscience connaisse, tout est le jeu ou la manifestation du Tri-Kya : le Triple principe de la cause de toutes les causes, la Trinit primordiale. Pntrant toute chose, baignant toute chose, cette intelligence est l'Essence

de l'esprit. C'est incr, impersonnel, existant par soi, immatriel et indestructible." (Lma Kazi Dawa Samdup.) Ainsi, le Tri-Kya symbolise la Trinit sotrique du Bouddhisme le plus lev de l'cole du Nord. La Trinit exotrique tant dans l'cole du Sud : le Bouddha, le Dharma (les critures), le Sangha (communaut). Regardant ainsi les deux trinits doctrinales comme sotrique et exotrique, il y a correspondance directe entre les deux. Une comprhension dtaille de la doctrine du Tri-Kya est, ainsi le disent les Lmas, le privilge des initis qui seuls peuvent la saisir et la raliser. Le Lma K.D.S. considrait que la doctrine du Tri-Kya avait t transmise par une longue suite ininterrompue d'initis, certains Indiens, d'autres Tibtains, depuis le temps du Bouddha. Il pensait que le Bouddha l'avait redcouverte et simplement transmise des prcdents Bouddhas, qu'elle tait donne oralement de guru en guru et n'avait jamais t crite jusqu'au temps relativement rcent de la dcadence du Bouddhisme, quand il n'y eut plus assez de gurus vivants pour la transmettre l'ancienne manire. A lui, initi, la thorie des rudits occidentaux, disant : parce qu'on ne trouve pas de traces crites d'une doctrine avant un certain temps, elle n'existait pas auparavant, paraissait risible. Quant aux efforts zls des apologistes chrtiens, rclamant une origine chrtienne pour la Doctrine du Tri-Kya, il la tenait pour absolument irrecevable. Il avait tudi de prs et avec sympathie le Christianisme, tant jeune homme, il avait t trs recherch par les missionnaires chrtiens, car, [13] en raison de son instruction remarquable et sa situation sociale leve, il et fait un converti de choix. Aprs avoir tudi trs soigneusement leurs arguments, il les rejeta, son opinion tant que le Christianisme, ainsi qu'il tait prsent par eux, n'tait qu'un Bouddhisme imparfait. Il pensait aussi que les missionnaires bouddhistes du temps d'Asoka envoys en Asie Mineure, en Syrie et Alexandrie 15, avaient d influencer profondment le Christianisme par quelque lien comme celui des Essniens. Enfin que, si Jsus tait un caractre historique et le Lma interprtait ainsi le Jsus du Nouveau Testament il tait srement un Bodhisattva (candidat l'tat de

15

Voir V. A. Smith. Early History of India, Oxford, 1911, p. 184.

Bouddha) et alors tait indiscutablement averti des thiques bouddhistes, ainsi qu'il l'enseigna dans le Sermon de la Montagne. La Doctrine des trois Corps contient l'enseignement sotrique concernant le Sentier des Gurus, leur descente du Suprieur l'Infrieur, du seuil du Nirvna au Sangsra et leur progression de l'Infrieur au Suprieur, du Sangsra au Nirvna, ce qui est symbolis par les cinq Dhyn Bouddhas, chacun d'eux personnifiant un attribut divin universel. Enclos dans les cinq Dhyn Bouddhas est le Sentier sacr qui conduit l'union dans le Dharma-Kya l'tat de Bouddha, l'Illumination parfaite, au Nirvna qui est l'mancipation spirituelle par l'absence de Dsir. Les cinq Sagesses. En tant que Vide qui pntre partout, le DharmaKya est la forme (qui est l'absence de forme) du Corps de la Vrit. "Cela" qui le constitue est le Dharma-Dhtu (tib. : Chs-kyi-dvyings, pron. : Ch-kyi-ing), la semence ou potentialit de la Vrit. Ceci luit le premier jour du Bardo comme la magnifique lumire bleue du Dhyni Bouddha Vairochana, celui qui manifeste "Celui qui rend visible en formes" (l'univers de la matire). Le Dharma-Dhtu est dit symboliser l'agrgat de la matire. De l'agrgat de la matire se lvent les cratures de ce monde et de tous les mondes, en elles la stupidit animale est la caractristique dominante. Mr (l'illusion de la forme) constitue dans tous les royaumes du Sangsra ainsi que dans le royaume humain ou manas (esprit) commence oprer la servitude dont l'mancipation est le Nirvna. Lorsque dans l'homme, rendu aussi parfait que la vie humaine peut le faire, la [14] stupidit de la nature animale et l'illusion de la forme ou personnalit sont transmus en savoir juste et en divine sagesse, la sagesse omnipntrante du Dharma-Dhtu (ou la sagesse ne du vide qui pntre partout) vient luire dans sa conscience. Comme l'agrgat de la matire brillant dans le Bardo au premier jour produit des corps physiques, l'lment de l'eau brillant le deuxime jour produit le courant de vie, le sang. La colre est sa passion obscurcissante, la conscience en est l'agrgat, ceux-ci, une fois transmus, deviennent la sagesse semblable au miroir personnifie en Vajra-Sattva, le reflet dans le Sambogha-Kya du Dhyn Bouddha Akshobya : "Le triomphant l'esprit divin hroque". L'lment terre du troisime jour, produisant les principaux constituants solides de la forme humaine et de toutes les formes physiques,

donne naissance la passion d'gosme ; son agrgat est le toucher. Aprs la transmutation divine, ils deviennent la sagesse de l'galit personnifie en Ratna-Sambhava "Celui qui embellit." L'lment feu du quatrime jour, produisant la chaleur animale des tres humains et animaux incarns, donne naissance la passion de l'attachement ou la convoitise, et a comme agrgat : les sensations. Ici, la transmutation produit la Sagesse de tout discernement (qui permet au dvot de connatre toutes choses comme spares et pourtant unies) personnifie par le Bouddha Amitbha "Celui de la lumire infinie", celui qui illumine ou claire. L'lment air du cinquime jour produit la respiration de la vie. Ses qualits ou passions dans l'homme sont l'envie ou la jalousie, son agrgat est la volition. La transmutation donne la "Sagesse qui accomplit tout", avec la persvrance, l'infaillibilit dans les choses spirituelles, personnifies dans Amogha Siddhi, le Conqurant tout puissant, le donneur du divin pouvoir. Ainsi qu'il a t expliqu, section IV, le dernier lment, l'ther, qui produit l'esprit "Le Connaisseur" et le corps du dsir des habitants de l'tat intermdiaire, n'apparat pas au dfunt car suivant le texte la facult de Sagesse ou Conscience (ce qui veut dire la sagesse supra-mondiale bouddhique ou bodhique) n'a pas t dveloppe dans l'humanit ordinaire. A cette facult sont relis (dans notre texte) Vajra-Sattva, la sagesse semblable au miroir et l'agrgat de la sagesse bodhique ; [15] Vajra-Sattva tant sotriquement synonyme de Samanta Bhdra (qui, son tour, est souvent personnifi par Vairochana, le chef des cinq Dhyn Bouddhas) de l'di-Bouddha, du Primordial, du non-n, du non-form, le Dharma-Kya sans modifications. Quand la perfection de l'agrgat du divin corps est atteinte par l'homme, elle devient Vajra-Sattva, l'inchang, l'immuable. Quand la perfection du Principe de parole divine est atteinte, advient le pouvoir de la parole divine, symbolis par Amitbha. La perfection du Principe de pense divin amne la divine infaillibilit symbolise par Vairochana. La perfection des qualits divines de Bont et de Beaut se ralise en Ratna Sambhava qui les produit. Et, avec la perfection des actions divines vient la ralisation d'Amogha Siddhi, le conqurant omnipotent.

Comme dans un drame symbolique d'initiation, le dfunt est prsent l'un aprs l'autre de ces attributs divins ou principes inns en tout tre humain, afin de l'prouver et savoir si une part quelconque de sa nature divine (ou Bodhique) a t dveloppe. Le plein dveloppement des pouvoirs bodhiques des cinq Dhyn Bouddhas, que personnifie chacun d'eux, conduit la libration et l'tat de Bouddha. Le dveloppement partiel conduit la renaissance dans un tat plus heureux : deva-loka, monde des dvas ou dieux, asura-loka, monde des asuras ou titans, naraloka, monde humain. Aprs le cinquime jour, les visions du Bardo deviennent de moins en moins divines. Le dfunt sombre de plus en plus dans un marcage d'hallucinations sangsriques. Les radiations de la nature suprieure s'effacent en lueurs de nature infrieure. Alors, le rve d'aprs la mort se termine mesure que l'tat intermdiaire s'puise de lui-mme pour celui qui le peroit. Les formes penses contenues dans son mental s'tant montres toutes comme les spectres d'un cauchemar, il passe de l'tat intermdiaire dans l'tat illusoire appel veil ou vie, en prenant naissance dans le monde humain, ou l'un des nombreux plans d'existence. Ainsi tourne la Roue de la Vie jusqu'au moment o celui qui s'y trouve attach, rompant lui-mme ses liens par illumination, arrive la fin de la douleur, ainsi que le Bouddha l'a proclam. Dans les sections I V, viennent d'tre exposs, brivement, les plus importants des enseignements occultes ayant rapport avec le Bardo Thdol. Dans les sections VI XII qui vont [16] suivre, les principaux rites et crmonies du livre du Bardo et ses doctrines, seront expliqus et interprts. Les dernires sections XIII XV seront consacres notre manuscrit, son histoire, les origines du Bardo Thdol, notre traduction et notre dition. En addition ces quinze sections, on trouvera en addenda, p. 183, six sections complmentaires crites l'intention des tudiants qui, plus qu'un lecteur ordinaire, seront intresss par certains problmes, ou thories abstruses, aprs la lecture rflchie de cette traduction et ses annotations.

VI. LES CEREMONIES MORTUAIRES Lorsque les symptmes de la mort, dcrits dans les premires pages du texte, ont eu lieu, on jette un drap blanc sur la figure. Personne alors ne touche plus au corps, afin que le processus de la mort (qui ne se termine qu'avec la sparation complte du corps du Bardo d'avec sa contrepartie du plan terrestre) ne soit interrompu. On croit gnralement que le cours normal est de trois jours et demi ou quatre jours, moins que l'on ne soit assist par un prtre appel hpho-bo (pron : Pho-o), "extracteur du principe conscient". Mme si le prtre l'a assist, le dfunt ordinairement ne ralise pas avant cette priode de temps le fait qu'il n'a plus son corps humain. Le hpho-bo son arrive s'assied sur une natte ou une chaise prs de la tte du corps ; il renvoie de la chambre mortuaire tous les parents en lamentations et fait fermer les portes et fentres afin d'assurer le silence ncessaire la bonne excution du service hpho-bo. Celui-ci consiste en une psalmodie mystique contenant des indications pour permettre l'esprit du mort de trouver le chemin du Paradis de l'Ouest d'Amitbha et chapper ainsi (si son karma le permet) l'indsirable tat intermdiaire. Aprs avoir command l'esprit de quitter son corps, son attachement ses proches et ses biens, le Lma examine le dessus de la tte l'endroit de la suture sagittale o les deux paritaux se joignent, appel ouverture de Brhma (sans. : Brhma-randhra). Ceci afin de dterminer si l'esprit est bien sorti par l, ainsi qu'il le devait. Si le crne n'est pas chauve l'officiant enlve quelques cheveux au-dessus de l'ouverture. Si, par suite d'accident ou autre cause, il n'y a pas de corps, le Lma se concentre mentalement [17] sur le dfunt, et "visualisant" 16 le corps, l'imagine prsent. Appelant alors l'esprit du mort, il accomplit la crmonie qui dure environ une heure. Pendant ce temps, le Tsi-pa ou Lma astrologue a t appel pour l'horoscope de la mort (bas sur l'heure de la mort), afin de dterminer : quelles personnes doivent toucher le corps, la meilleure manire dont on doit le disposer, le temps et le mode des funrailles et la sorte de rites qui doivent tre excuts pour le bnfice du dfunt. Alors le corps est attach en position assise trs semblable celle des squelettes ou momies trouvsJ'emprunte ce mot Mme David Neel dans ses livres, Mystiques et magiciens du Tibet, Plon d., et Initiations lamaques, Adyar d. Il veut dire : construire une image mentale, imaginer une chose assez fortement pour qu'elle soit prsente. M. L. F.16

dans des tombes trs anciennes en diverses parties du monde. Cette position, appele embryonniforme, symbolise la naissance hors de cette vie une vie au-del de la mort. Le corps ainsi dispos est plac dans un coin de la chambre mortuaire qui n'est pas celui assign au damon de la maison. Les parents et amis prvenus de la mort se runissent la maison mortuaire o on les loge et on les nourrit jusqu' ce que le corps soit enlev. S'il y a un doute sur la sparation complte entre le corps et le principe conscient (ou esprit) du dfunt, on ne touche pas au corps avant trois jours et demi ou quatre jours aprs la mort. Tant que l'on reoit les personnes du deuil ce qui dure usuellement deux ou trois jours on offre l'esprit du mort sa part de nourriture solide et liquide chaque repas. La nourriture est place dans un bol en face du corps, et, aprs que l'esprit du mort a extrait la subtile essence invisible de la nourriture, elle est jete. Aprs que l'on a emport le corps pour les funrailles, une effigie du dfunt est mise dans le coin de la chambre qui fut occupe par le corps, et, devant cette image, on continue dposer de la nourriture jusqu' l'expiration du quarante-neuvime jour du Bardo. Pendant les rites funraires comprenant la lecture du Bardo Thdol excuts dans la maison du dfunt ou l'endroit de sa mort, d'autre Lmas chantent, nuit et jour en se relayant, le service pour aider l'esprit atteindre le paradis occidental d'Amitbha. En tibtain, ce service (qui a t aussi chant par le hpho-ho) s'appelle De-wa-chan-kyi-mom-lam. Si la famille est [18] fortune on fait un service semblable au temple que frquentait le dfunt par tous les moines assembls. Aprs les funrailles, les Lmas qui lisent le Bardo Thdol, retournent la maison mortuaire une fois par semaine jusqu' ce que le quaranteneuvime jour de l'tat intermdiaire soit pass. Il arrive, cependant, qu'ils suppriment un jour de la fin de la premire semaine et des priodes suivantes pour abrger le service et ils reviennent aprs 6, 5, 1, 3, 2 et 1 jour terminant ainsi la lecture en trois semaines. Du premier au quatorzime jour, ainsi qu'on le verra au Livre 1 du texte, le Chnyid Bardo doit tre lu et relu ainsi que le Sidpa Bardo partir du quinzime jour. Dans les funrailles pauvres, le rite peut cesser aprs le quatorzime jour ; pour les familles plus aises, il est usuel au Sikkim de continuer les rites au moins jusqu'au vingt et unime jour et

parfois pendant les quarante-neuf jours du Bardo. Le jour mme des funrailles, si le dfunt tait riche ou d'une position leve, une centaine de Lmas y assistent ; si c'est un pauvre homme, on n'en fait venir qu'un ou deux. Aprs le quatorzime jour, la rgle est gnrale pour tous, un seul Lma vient achever de lire le livre. L'effigie du corps du dfunt est faite en habillant un tabouret ou bloc de bois ou autre avec ses vtements. A la place de la face on met un papier imprim appel : mtshan-spyang ou spyang-pu (pron : chang-ku) dont nous donnons la reproduction 17. Dans ce spyang-pu la figure centrale reprsente le dfunt, les jambes attaches et dans l'attitude de l'adoration, entour des symboles des "cinq choses excellentes des sens". Un miroir (premier des trois objets droite numrot 1), symbole du corps refltant tous phnomnes et sensations et de la vue. Une conque (n2) et une lyre (n3), symboles du son. Un vase rempli de fleurs (n1), symbole de l'odorat. Des gteaux sacrs dans un ciboire comme celui de l'Eucharistie (n5), symboles de l'essence de la nourriture et du got. Les vtements de soie de la figure centrale et le dais, symboles de la parure, de l'art ornemental et du toucher. C'est devant cette image de papier insre la place de la face que les offrandes de nourriture continuent tre faites l'esprit du mort, et c'est cette image que le Lma considre comme le dfunt pour lui lire le Bardo Thdol. [19]

Cette reproduction, faite avec la permission spciale de l'diteur du Dr L. A. Waddell, est la planche XXI de la Gazetter of Sikkim, section Lamasm in Sikkim, H. H. Risley ed., Calcutta.

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Figure 3 Le Spyang-Pu

[20] Ayant commenc mes recherches au Tibet, aprs avoir tudi durant trois ans les traditions funraires de la valle du Nil, je compris, ds que j'eus connaissance des rites funraires tibtains (qui sont en grande partie pr-Bouddhiques), que l'effigie du mort employe au Tibet et au Sikkim est absolument semblable l'effigie appele "Statue de l'Osiris" (ou du mort). L'emploi qu'on en faisait dans les rites funraires de l'gypte antique indique une origine commune. De plus le Spyang-pu, pris en luimme pour reprsenter la tte de l'effigie, a son parallle gyptien dans les

images faites pour le Ka ou esprit. Ces images n'taient bien souvent que des ttes compltes pour remplacer ou doubler celle de la momie et fournir une assistance additionnelle au Ka lorsque (semblable au "Connaisseur" dans le Bardo) il cherchait un corps o se reposer (v. p. 158, notre texte l'appelant un soutien pour le corps). Et, de mme que les prtres de l'antique Egypte lisaient le Livre des morts cette statue d'Osiris, ainsi maintenant les Lmas lisent le Bardo Thdol l'effigie tibtaine. Ces deux traits semblables n'tant rien d'autre qu'un guide pour le voyageur dans le royaume de l'au-del de la mort. Les prliminaires rituels des funrailles gyptiennes se proposaient de confrer au dfunt le pouvoir magique d'lever le corps-fantme, ou Ka, possesseur de toutes les facults des sens, le rite consistant "ouvrir la bouche et les yeux" et rendre l'usage de toutes les autres facults du corps. De la mme faon les Lmas tendent restaurer compltement la conscience aprs l'tat syncopal qui suit immdiatement la mort et habituer le dfunt, l'entourage inconnu de l'autre monde supposant qu'il peut manquer de lumire, comme il arrive au plus grand nombre et tre incapable d'mancipation immdiate. Conformment notre opinion, que cette partie des funrailles tibtaines concernant l'effigie et le spyany-pu est venue jusqu' nous comme la survivance d'un temps trs ancien et pr-Bouddhique, le Dr L. A. Waddell crit ce qui suit : "Ceci est essentiellement un rite Bn (la religion prvalente au Tibet avant le Bouddhisme, et parente du Taosme dans son ct transcendantal). On y fait allusion dans les histoires du Guru Padma Sambhava, comme tant pratiqu par le Bn et ayant caus le dplaisir du Guru Padma Sambhava, fondateur du Lamasme". Au sujet du spyang-pu lui-mme, le Dr Waddell ajoute ceci : "Voici son libell usuel : Moi, celui qui part de ce monde (ici on [21] crit le nom du dfunt), j'adore, je prends mon refuge dans mon Lma-directeur, dans toutes les dits douces (que nous avons appeles paisibles) et irrites 18. (Puisse) le Grand Pitoyable 19 pardonner mes pchs accumuls et les

Des cent dits suprieures, quarante-deux sont supposes tre douces et cinquante-huit de nature colreuse. L. A. Waddell. Une dit aborigne chinoise, identifie maintenant avec Avalokita et ayant beaucoup de traits communs avec lui. L. A. Waddell.19

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impurets de mes vies prcdentes, et me conduire dans le chemin d'un autre monde bon." 20 Prs de l'paule gauche de la figure centrale du spyang-pu, dans notre gravure, et quelquefois au milieu en bas, sont inscrits des symboles phontiques se rapportant aux six mondes de l'existence sangsrique traduits comme suit : S = sura ou dieu pour le monde dva ; A = asura ou titan pour le monde asura ; Na = nara ou homme pour le monde humain ; Tri = trisan ou animal brute pour le monde brute ; Pre = preia ou esprit malheureux, pour le monde preta ; Hung (de huan : tomber) = enfer pour le monde enfer. Aprs la terminaison des funrailles, le spyang-pu ou face de papier, est brl crmonieusement la flamme d'une lampe de beurre et l'on adresse l'esprit du mort l'adieu final. D'aprs la couleur de la flamme et la faon dont elle brle, on peut connatre quel sort a eu le dfunt dans l'aprs-mort. Les cendres du spyang-pu sont recueillies dans une assiette, on les mlange avec de la glaise et l'on en forme des stupas miniatures appels sa-tscha faonns en motifs symboliques ou en lettres sacres. L'un d'eux est gard pour l'autel familial dans la maison du dfunt, les autres sont mis dans les endroits abrits au croisensent de deux chemins ou en haut d'une colline, habituellement sous un rocher saillant ou dans une grotte s'il s'en trouve une. En mme temps que l'on brle le papier, on dfait l'effigie et les vtements sont donns aux Lmas qui les emportent et les vendent au premier acheteur venu, gardant le prix de la vente comme honoraires. Au bout d'une anne, on donne gnralement une fte en l'honneur du dfunt

20

Waddel, The Gazetteer of Sikkim, p. 387-8.

o est clbr le service des [22] Bouddhas mdicaux 21. Aprs ce temps, la veuve du dfunt peut se remarier 22. Li aux funrailles mmes, il existe au Tibet, un rituel trs intressant. Par exemple, quand le Lma officiant prpare la leve du corps laquelle il assiste, il prsente au corps une charpe d'honneur, et, s'adressant lui comme s'il tait le dfunt, il l'avise de prendre librement sa part de nourriture offerte, le prvient qu'il est mort et recommande son esprit de ne pas venir hanter la maison et troubler ses parents vivants, terminant par ces mots : "Souviens-toi du nom de ton Lma-matre spirituel qui est (untel) et avec cette aide prends le droit chemin, le chemin blanc. Viens par ici 23". Alors, tandis que le Lma conduit la procession funraire, il prend un des bouts de la longue charpe, l'autre ayant t attach autour du corps, et commence psalmodier une liturgie. Il est accompagn d'un petit tambour main (tenu par un manche que l'on fait tourner pour que le tambour soit frapp par de petites boules pendues des rubans) ou d'une trompette faite avec un os de fmur. Quand il y a plusieurs prtres, le plus important marche en tte, en agitant une sonnette (comme certains prtres le font des enterrements de paysans bretons). Les autres prtres psalmodient, l'un souffle par intervalles dans la conque sacre, un autre fait rsonner les cymbales de cuivre, un autre a le petit tambour et le dernier la trompette en fmur. De temps en temps, le Lma principal se retourne pour inviter l'esprit accompagner son corps et l'assurer que la route suivie est dans la bonne direction. Aprs les porteurs du corps viennent les gens en deuil ; certains d'entre eux portant des rafrachissements (qui seront rpandus sur le bcher funraire en l'honneur du dfunt, et le reste, partag entre les prtres et les assistants) ; en fin de cortge la famille pleurant et gmissant. La direction donne par le prtre l'esprit du dfunt ne se fait que pour les laques ; l'esprit des Lmas dfunts est jug assez entran dans les doctrines du Bardo Thdol pour connatre sans guide le droit chemin. [23]

A Ceylan, des ftes mortuaires sont offertes aux Bhikkhus, sept jours, un mois et un an aprs la mort. Ces ftes, donnes au nom du mort pour lui en offrir le mrite peuvent, dans certaines circonstances, aider le mort atteindre une renaissance plus haute. Cassius A. Pereira.22 23

21

Waddell, Gazetteer of Sikkim, p. 391-383. Id., ibid., p. 391-383.

Au Tibet, on connat toutes les mthodes religieuses de disposer des corps et on les pratique. Mais, par suite du manque de combustible pour les crmations, le plus souvent on porte le corps sur le haut d'une colline ou d'une minence rocheuse, et l, le corps dpec est donn aux oiseaux et btes de proie la manire Parsi de Perse et de Bombay. Si le corps est celui d'un homme noble dont la famille peut faire la dpense d'un bcher, on fait la crmation. Dans certains districts loigns, on inhume dans la terre : c'est la faon employe dans tout le Tibet quand la mort a t cause par une maladie trs contagieuse et grave comme la petite vrole. Autrement, les Tibtains sont plutt opposs l'enterrement, car ils croient que lorsqu'un corps est enfoui, l'esprit du mort en le reconnaissant essaie d'y retourner, et que s'il y parvient, cela cre un vampire. C'est pourquoi on prfre la crmation et autres mthodes qui font vivement disparatre les lments d'un corps, ce qui prvient le vampirisme. Quelquefois la manire hindoue, les corps sont jets dans les rivires ou autres points d'eau. Pour le Dala-Lama et le Tashi-Lama, et quelques autres trs grands personnages ou saints, on pratique l'embaumement. D'une manire trs semblable celle de l'gypte antique, le corps est mis dans une bote de sel de marais pendant environ trois mois ou jusqu' ce que le sel ait absorb tous les liquides du corps. Le corps bien dessch est ensuite enduit d'une substance comme un ciment compos de glaise, de bois de santal pulvris, d'pices et de drogues. Ceci adhre en durcissant et les parties creuses ou rides comme les yeux, les joues et le ventre ayant t recouvertes et modeles par cet enduit leurs proportions naturelles, il en rsulte une sorte de momie gyptienne. A la fin, quand l'ensemble a sch et a t recouvert d'une peinture d'or liquide, la momie est dpose dans une sorte d'Abbaye de Westminster tibtaine. A Shigatze o rside le Tashi-Lama, il y a cinq de ces temples funraires. Avec leur double toit dor, ils ressemblent aux palais et chsses sacres de Chine. Comme taille et ornementation, ils diffrent suivant le rang et la prosprit des momies qui les occupent, certains tant incrusts d'or, d'autres d'argent 24. Devant ces momies enchsses, on prie, on brle de l'encens, et des rites compliqus sont accomplis la manire du culte des anctres chinois et japonais. [24] Les quatre mthodes de disposer des corps dans le Bouddhisme du Nord correspondent celles mentionnes dans divers traits sacrs24

Three years in Tibet, par Ekai Kawaguchi, Madras, 1909, p. 394.

hindous. Il y est dit qu'un corps humain se composant des quatre lments : terre, eau, air et feu, doit retourner ces lments aussi vite que possible. La crmation est considre comme la meilleure mthode adopter. La spulture en terre, comme chez les Chrtiens, est aussi le retour l'lment terre, la spulture dans l'eau, retour du corps l'lment eau, la spulture l'air, retour cet lment les oiseaux qui dvorent le corps tant des habitants de l'air et le bcher rendant le corps l'lment feu. Quand la spulture de l'air est adopte au Tibet, on fait disparatre mme les os (aprs que les oiseaux en ont enlev toute chair) en les martelant en petits morceaux dans les creux des rochers des collines funraires, puis en les mlangeant dans une pte de farine donne aux oiseaux 25. La spulture tibtaine de l'air est plus complte que celle des Parsis qui laissent les os de leurs morts se dcomposer lentement l'air. Dans les funrailles Tibtaines ordinaires, on n'emploie pas de cercueil. Le corps aprs avoir t couch sur une pice d'toffe tendue sur un cadre port par deux perches et fait d'un matriau lger comme l'osier, est recouvert d'un drap blanc. Deux hommes passant leurs ttes entre les extrmits des perches qui dpassent les deux bouts, portent cette litire. Au Sikkim, le corps est port assis dans la posture embryonniforme dcrite plus haut. Au Sikkim et au Tibet les funrailles sont faites suivant les indications donnes par l'astrologue qui a fait l'horoscope mortuaire indiquant qui doit toucher le corps, qui doit le porter, et la faon de l'enterrer. L'astrologue dit aussi quelle sorte de mauvais esprit a caus la mort, car suivant la croyance populaire (commune aussi parmi les peuples celtiques d'Europe) la mort n'est jamais naturelle, mais due l'intervention d'un des innombrables dmons de la mort. L'astrologue indique galement quelles crmonies sont ncessaires pour exorciser le dmon de la mort, et le chasser de la maison mortuaire, quels rites spciaux sont utiles l'esprit du mort, les prcautions prendre pour lui [25] assurer une bonne renaissance ainsi que le pays et le genre de famille o cette renaissance aura lieu.

Les hommes qui excutent cette partie de l'enterrement appartiennent une caste spciale et, tant regards comme impurs, sont gnralement vits par les autres Tibtains.

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Au Sikkim, sur l'espace de terrain dblay pour le bcher funraire, on trace avec de la farine une sorte de diagramme mystique qui symbolise le Royaume heureux de Sukhavati ou Royaume Rouge heureux de l'Ouest (v. p. 96). Ce trac est divis en compartiments, l'espace central (sur lequel est le bcher) tant ddi au Dhyn Bouddha Amitbha. Au commencement de la crmation, le Lma principal "visualise" le bcher comme le mandala d'Amitbha et le feu, comme Amitbha qui personnifie le feu (v. texte p. 96). Alors le corps lui-mme, qui est dpos sur le bcher, est "visualis" comme le mandala d'Amitbha et son cur comme la demeure d'Amitbha. Quant le feu commence grandir, on y jette en sacrifice des huiles parfumes, des pices, du bois de santal, des btons d'encens, comme dans le rite Hindou de Homa le sacrifice au feu. Finalement, la fin de la crmation, les prtres et les assistants "visualisent" l'esprit de celui qui est parti comme tant purg de toutes les obscurits karmiques par le feu qui est Amitbha : la Lumire incomprhensible. Telle est, en rsum, la pense mystique cache sous les beaux rites excuts pour le mort au lieu de la crmation dans le Sikkim. Pour toutes les autres formes de spulture travers le Tibet et les territoires, sous influence Tibtaine, un service funraire parallle ou correspondant est excut avec des variantes suivant les sectes ou les provinces. VII. LE BARDO OU ETAT D'APRES LA MORT Voir 26 Depuis le moment de la mort et pendant trois jours et demi ou quatre jours, on croit que le "Connaisseur" ou principe conscient des personnes ordinaires demeure dans un tat de sommeil ou de transe, sans savoir qu'il est spar de son corps du plan.humain. Cette priode du premier Bardo est appele le Chikkhai Bardo (tib. : Hchi-khahi-bardo) ou "tat transitoire du moment de la mort" o luit d'abord la claire Lumire dans son tat de puret primordiale. Puis, si celui qui l'aperoit est incapable de [26] la reconnatre (ce qui veut dire incapable de se maintenir dans l'tat d'esprit transcendantal non modifi en concordance avec elle), il peroit cetteBardo, Litt. Bar = entre, Do = deux, entre deux tats, l'tat entre la mort et la renaissance et ainsi (tat) intermdiaire ou transitoire. Le traducteur penchait pour la traduction "tat incertain". On pourrait aussi l'exprimer (tat) crpusculaire.26

lumire obscurcie karmiquement, ce qui est son second aspect. Quand le premier Bardo se termine, le "Connaisseur" s'veillant la comprhension du fait de sa mort, commence exprimenter le deuxime Bardo appel Chnyid Bardo (tib. : Chs-nyid-Bar-do) "tat transitoire (de l'exprience ou aperu) de la Ralit". Cet tat se fond dans le troisime Bardo appel Sidpa ou Sidpai Bardo (tib. : Srid-pahi-Bar-do) ou "tat transitoire (de la recherche) de la renaissance" lequel se termine au moment o le principe conscient a pris renaissance dans le monde humain, un autre monde, ou l'un des mondes paradisiaques. Ainsi qu'il a t expliqu section III, le passage d'un Bardo l'autre est analogue au processus de la naissance. Le "Connaisseur" s'veille et passe d'un vanouissement ou tat de transe l'autre, jusqu' la fin du troisime Bardo. A son veil, dans le deuxime Bardo, il voit une par une des visions symboliques, hallucinations cres par les rflexes karmiques des actions faites par lui dans son corps terrestre. Ce qu'il a pens, ce qu'il a fait, devient objectif. Les formes-penses que l'on a "visualises" consciemment, que l'on a laiss s'enraciner, crotre, s'panouir, produire, passent en un panorama solennel et puissant comme le contenu de la conscience de sa personnalit 27. Dans ce troisime Bardo, le dfunt ( moins qu'il ne soit illumin autrement) est encore plus ou moins dans l'illusion que malgr sa mort, il a encore un corps de chair et de sang. Lorsqu'il arrive comprendre que rellement il n'a plus ce corps, il commence d'prouver un dsir insurmontable d'en possder un, en le cherchant la prdilection karmique devient naturellement dterminante, et il entre dans le troisime Bardo de la recherche de la renaissance. Suivant sa renaissance dans ce monde ou un autre, l'tat d'aprs la mort se termine. Pour la gnralit, ceci est le processus normal, mais pour les esprits exceptionnels, possesseurs de savoir Yogique et d'illumination, seuls les stages les plus spirituels des premiers jours du [27] Bardo seront expriments. Les plus illumins des Yogs peuvent chapper au Bardo en passant dans un royaume paradisiaque, o se rincarnant dans ce monde aussitt qu'ils ont rejet leur corps humain gardant sans interruption la

Certains des Lamas les plus instruits, principalement de la secte Gelugpa ou des Bonnets jaunes, croient que les hautes visions symboliques des cent dix principales dits du Chnyid Bardo ne seront vues que par les adeptes dj avancs spirituellement et ayant tudi le Tantrisme. Les personnes ordinaires n'auraient, leur mort, que des visions comme celles dcrites dans le Sidpa Bardo.

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continuit de la conscience 28. Ce que les hommes pensent ils le deviennent aussi bien dans le prsent que plus tard, les penses tant des choses et la source de toutes actions bonnes ou mauvaises. Ce qui a t sem sera rcolt. Tant que l'on n'a pas chapp l'tat intermdiaire par la renaissance dans un autre tat, durant les quarante-neuf jours symboliques (priode qui est dtermine par le karma) le dfunt reste sujet toutes les illusions karmiques du Bardo heureux ou misrable suivant le cas, et le progrs est impossible. La renaissance en enfer est possible, mais trs rare, et pour celui qui a fait un mal exceptionnel, les personnes ordinaires se purifient de leurs dfaillances morales courantes en renaissant dans le monde humain. En dehors de la libration par l'atteinte du Nirvna aprs la mort qui rompt les liens karmiques de l'existence du monde ou existence sangsrique dans un corps illusoire de tendances le seul espoir d'atteindre l'tat de Bouddha pour les personnes ordinaires est de renatre homme. La naissance dans un monde autre que le monde humain retarde celui qui est dsireux d'atteindre le But final. VIII. LA PSYCHOLOGIE DES VISIONS DU BARDO Une signification psychologique dfinie s'attache chacune des dits apparaissant dans le Bardo Thdol. Mais pour les saisir, l'tudiant ne doit pas oublier (ainsi qu'il a t dit) que les visions apparaissant au dfunt dans l'tat intermdiaire ne sont pas des visions relles. Elles ne sont que l'hallucination qui manifeste les formes-penses nes dans le mental de celui qui les peroit. Ou, en d'autres termes, elles sont les formes personnifies des impulsions intellectuelles du vivant dans son tat de rve aprs la mort. Ainsi, les Dits paisibles (tib. : Z'i-wa) sont les formes personnifies des sentiments humains les plus sublimes qui procdent [28] du centre psychique du cur. Comme telles elles se lvent en premier, car, psychologiquement parlant, les impulsions nes du cur prcdent celles nes du cerveau. Elles viennent sous un aspect paisible pour diriger et influencer le dfunt dont le lien avec le monde humain vient seulementCeci est tir du Ti-Pitaka Pali, qui rapporte divers exemples de trs hauts devas renaissants sur le plan humain immdiatement aprs leur mort (Cassius A. Pereira).28

d'tre rompu. Le mort a laiss derrire lui des parents, des amis, des travaux inachevs, des dsirs insatisfaits, et dans bien des cas, il ressent un regret profond et un dsir de retrouver l'occasion perdue d'illumination spirituelle dans son incarnation humaine. Mais karma est tout-puissant sur toutes ses impulsions, tous ses regrets. A moins que le destin karmique du dfunt soit de gagner la libration dans les premiers stages, il errera en descendant vers les stages o les impulsions du cur cdent celles de l'esprit. Comme les Dits paisibles personnifient les sentiments, les Dits Irrites (tib. : T'o-wo) personnifient les raisonnements et procdent du centre psychique du cerveau. Mais de mme qu'une impulsion ne dans le cur peut se transformer en raisonnement dans le cerveau, ainsi les dits irrites sont les dits paisibles sous un autre aspect. L'intellect entrant en activit aprs que les sublimes impulsions du cur diminuent, le dfunt ralise de plus en plus l'tat o il se trouve. Il commence user des facults supra-normales du corps bardique, la manire d'un enfant nouveau-n qui commence user des facults sensorielles du plan humain. Il est capable de penser comment il pourra gagner tel ou tel stage d'existence ; karma est pourtant encore son matre et dfinit ses limitations. Sur le plan humain, les impulsions sentimentales sont plus actives dans la jeunesse et se perdent la maturit qui les remplace par des raisonnements ; ainsi dans le plan d'aprs la mort appel Bardo, les premires expriences sont plus heureuses que les dernires. Sous un autre aspect, les dits principales elles-mmes sont les manifestations des forces divines universelles avec lesquelles le dfunt est en relations insparables. A travers lui, qui est le microcosme du macrocosme, pntrent toutes les impulsions, toutes les forces bonnes ou mauvaises galement. Samanta-Bhadra, l'Universellement Bon, personnifie ainsi la Ralit, la Claire Lumire Primordiale du Dharma-Kya non n et non form. Vairochana est l'origine de tous phnomnes, la [29] Cause des causes. Comme Pre Universel, Vairochana manifeste ou projette au loin toutes choses comme la graine ou semence ; sa shakti, la Mre du Grand Espace, est le sein universel o tombent les graines o elles voluent comme les systmes des mondes. Vajra-Sattva symbolise l'Immuable, RatnaSambhava est l'embellisseur, la source de toute beaut dans l'univers.

Amitbha est la Compassion infinie et l'amour divin, le Christos. AmoghaSiddhi personnifie le Pouvoir tout-puissant, l'omnipotence. Les dits mineures : hros, dkinis (ou fes) desses, seigneurs de la mort, rkshasas, dmons, esprits et tous autres, correspondent des penses humaines dfinies, des passions, des impulsions hautes ou basses, humaines, sous-humaines ou surhumaines, prenant leur forme karmique dans les germes des penses qui forment la conscience de celui qui les peroit (voir p. 190). Ainsi que le Bardo Thdol l'indique trs clairement en des assertions rptes, aucune de ces dits ou tres spirituels n'a plus que n'en ont les tres humains une existence individuelle relle. "Il est suffisant pour toi (le dfunt qui les peroit) de savoir que ces apparitions sont les rflexions de tes propres formes-penses" (p. 88). Elles sont simplement le contenu de la conscience "visualise" par l'action karmique comme les apparences dans l'tat intermdiaire, des riens ariens tisss en rves. La reconnaissance complte de cette psychologie par le dfunt le libre dans la Ralit. C'est par l que le Bardo Thdol, comme son nom l'indique, est la Grande Doctrine de Libration par l'audition et la vision. L'tre humain dfunt est le seul spectateur d'un panorama merveilleux de visions hallucinatoires ; chaque germe de pense du contenu de sa conscience revit karmiquement, et lui, comme un enfant merveill regardant des images projetes sur un cran, les observe, inconscient de la non ralit de ce qui parat ( moins qu'il ne soit un adepte en Yoga). En premier lieu les visions heureuses et glorieuses, nes des semences d'impulsions et aspirations de la nature divine la plus leve, frappent de crainte le non-initi. Ensuite, comme elles se fondent en visions nes des lments mentaux correspondants la nature basse ou animale, elles le terrifient et il veut les fuir. Mais hlas, comme le texte l'explique, elles sont insparables de lui-mme et quelle que soit la place o il fuira, elles le suivront. [30] Il n'y a pas lieu de croire que tous les morts exprimentent les mmes phnomnes dans l'tat intermdiaire, pas plus qu'ils ne le font dans leurs vies ou dans leurs rves. Le Bardo Thdol est simplement un exemple et une suggestion de toutes les expriences de l'aprs-mort. Il dcrit seulement en dtail ce que peuvent tre les visions bardiques du contenu

de la conscience d'un adepte ordinaire de l'cole des bonnets rouges de Padma Sambhava. Ce que l'on enseigne un homme, il le croit. Les penses tant des choses, on peut les planter comme des graines dans l'esprit d'un enfant et dominer compltement son contenu mental. Si l'on trouve le sol favorable au dsir de croire, que la semence de la pense soit bonne ou mauvaise, de pure superstition ou de vrit ralisable, elle prend racine, crot, et fait l'homme ce qu'il est mentalement. En consquence, pour un Bouddhiste de toute cole, comme pour un Hindou, un Musulman ou un Chrtien, les expriences du Bardo seront diffrentes. Les formespenses du Bouddhiste ou de l'Hindou comme dans un rve, donneront naissance aux visions correspondantes des dits du panthon bouddhiste ou hindou. Un Musulman verra le Paradis de Mahomet, un Chrtien aura la vision du Ciel chrtien, un Indien d'Amrique celle de la Terre de Chasse heureuse. De mme faon, le matrialiste aura des visions d'aprs la mort aussi ngatives, aussi vides, aussi dnues de dits que celle qu'il rvait dans son corps humain. Rationnellement, il est considr que les expriences d'aprs la mort sont, ainsi que l'implique l'enseignement du Bardo Thdol, entirement dpendantes du contenu mental de chaque personne. Ou en d'autres termes (ainsi qu'il a t expliqu) l'tat d'aprs la mort est trs semblable un tat de rve, et ces rves sont enfants par la mentalit du rveur. Cette psychologie explique scientifiquement pourquoi, par exemple, des dvots chrtiens ont eu si nous acceptons les tmoignages des saints et visionnaires Chrtiens soit pendant des transes, soit dans un tat de rve, soit aprs la mort, des visions de Dieu le Pre assis sur un trne dans la Nouvelle Jrusalem, de son Fils son ct, et de tout le dcor biblique et les attributs du Ciel, de la Vierge, des Saints, des Archanges ou du Purgatoire et de l'Enfer. Le Bardo Thdol semble tre bas sur des donnes vrifiables d'expriences humaines physiologiques et psychologiques et il considre le problme d'aprs la mort comme un simple problme [31] psychophysique, ce qui est surtout scientifique. Il affirme d'une manire rpte que ce qui est peru dans le plan du Bardo est d entirement au propre contenu mental de celui qui le peroit. Qu'il n'est pas de visions, de dieux ou de dmons, de cieux ou d'enfers autres que celles qui naissent des hallucinations karmiques de formes-penses constituant la personnalit.

Celle-ci est un produit impermanent s'levant de la soif d'existence et de la volont de vivre et de croire. De jour en jour, les visions du Bardo changent, en concordance avec l'ruption des formes-penses de celui qui les peroit ; jusqu' ce que leur force karmique conductrice s'puise d'elle-mme. Pour prendre une autre comparaison, les formes-penses nes des tendances habituelles tant des enregistrements du mental comparables ceux d'un film, une fois que ce film s'est droul, l'tat d'aprs la mort cesse, et le Rveur, sortant d'un germe, recommence son exprience des phnomnes du monde humain. La Bible des Chrtiens, comme le Koran des Musulmans, ne semble jamais considrer que ces expriences spirituelles formes d'hallucinations visionnaires des prophtes ou des dvots, puissent ne pas tre relles. Mais le Bardo Thdol est si gnral dans ses affirmations qu'il laisse au lecteur l'impression nette que toute vision sans aucune exception est purement illusoire. Que des tres spirituels, des dieux, des dmons, des paradis, des endroits de tourments ou d'expiation jouent un rle dans un Bardo ou une extase, un rve semblable au Bardo, c'est une illusion base sur les phnomnes sangsriques. Tout l'enseignement du Bardo Thdol tend, ainsi qu'on l'a tabli ailleurs, tre la cause de l'veil du Rveur la Ralit. Celui-ci, une fois libr de toutes les obscurits des illusions karmiques ou sangsriques doit atteindre un tat nirvnique supra-mondial, au-del des phnomnes de : paradis, cieux, enfers, purgatoires ou monde d'incorporations. Dans ce sens, le Bardo Thdol est purement bouddhique, et diffrent de tous les livres non-bouddhistes du monde, qu'ils soient sculiers ou religieux. IX. LE JUGEMENT La scne du Jugement dcrite dans notre texte et celle du Livre des Morts gyptien, semblent si pareilles dans leurs points [32] essentiels, qu'elles suggrent une origine commune, inconnue jusqu' prsent, et laquelle nous avons dj fait allusion. Dans la version tibtaine, DharmaRja (tib. : Shinje-chho-gyal) roi de la Mort (connu par les Theravdistes comme Yama-Rja) le Pluton bouddhiste et hindou, correspond comme Juge des morts l'Osiris de la version gyptienne. Dans les deux rcits on trouve la pese symbolique ; devant Dharma-Rja, on place dans un des

plateaux de la balance des cailloux noirs et dans l'autre, des cailloux blancs, symboles des bonnes et mauvaises actions ; devant Osiris, c'est le cur et la plume (parfois en place de la plume une statue de la desse de la vrit) qui sont pess, le cur reprsentant la conduite ou conscience du dfunt, et la plume la droiture ou la vrit. Dans le Livre des Morts gyptien, le dfunt s'adressant son cur dit : "Ne t'lve pas en vidence contre moi. Ne sois pas mon adversaire devant le Cercle Divin. Que le plateau de la balance ne penche pas contre moi en prsence du grand Dieu Seigneur de l'Amenti", et, c'est Toth la tte de singe (moins communment tte d'ibis), dieu de la sagesse qui surveille la pese. Dans le Jugement tibtain c'est Shinje la tte de singe : les deux scnes se passent devant un jury de dits, certaines ttes d'animaux, d'autres ttes d'hommes 29. Dans la version gyptienne, une crature monstrueuse attend pour dvorer le dfunt s'il est condamn ; dans la tibtaine, des dmons attendent pour conduire celui qui a fait le mal dans monde de l'expiation. La table de rcapitulation, que l'on dit parfois tre tenue par Toth, correspond au Miroir du karma tenu par Dharma-Rja, ou, comme dans certains rcits, par l'un des assistants du jury divin. En continuant nous trouvons dans les deux Livres que le dfunt, s'adressant au juge, plaide qu'il n'a pas fait de mal. Devant Osiris, ce plaidoyer semble tre accept dans toutes les versions connues jusqu'ici. Devant DharmaRja, il est soumis l'preuve du Miroir de Karma ; ceci semble tre une addition spcialement indienne et bouddhiste l'hypothtique version [33] prhistorique d'o sortent les deux versions gyptienne et tibtaine, l'gyptienne semblant avoir t moins influence. Platon en racontant dans le dixime livre de La Rpublique, les aventures d'Er dans l'autre monde, dcrit un Jugement similaire o l'on trouve des juges, des tables karmiques (fixes sur les mes juges), des chemins : l'un pour le bien, conduisant au Ciel, l'autre pour le mal menant

Ces dits ttes d'animaux, telles qu'elles apparaissent dans le Bardo Thdol, viennent en grande partie de la religion pr-Bouddhique du Tibet, appele Bn, et sont d'une grande antiquit. Elles semblent, comme leurs parallles gyptiennes, tre plus ou moins totmiques. Leur personnification par des prtres masqus dans les mystres de l'antique gypte, ou les mystres survivants tibtains, peut tre (comme le suggre notre texte) une symbolisation d'attributs dfinis, de passions, de tendance des tres sangsriques ou incorpors, humains, sous-humains, ou surhumains.

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en Enfer. Des dmons attendent pour conduire les mes condamnes aux places de punitions exactement comme dans le Bardo Thdol (v. p. 42) 30 La croyance au purgatoire, maintenant christianise, enseigne par saint Patrick en Irlande, tout le cycle des lgendes celtiques de l'autre monde et des renaissances mlanges avec leur croyance aux fes, la lgende de Proserpine rapporte universellement dans les Livres sacrs de l'humanit ; les doctrines smitiques du ciel, de l'enfer, du jugement et de la rsurrection (corruption christianise d'une doctrine de la renaissance pr-chrtienne et pr-juive), le rcit de Platon, tout cela tmoigne d'une croyance universelle probablement bien antrieure aux plus anciens rcits de Babylone ou de l'Egypte 31. La peinture reprsentant le Jugement Tibtain (reproduite p. 144) fut faite suivant la tradition monastique Gangtok province de Sikkim, l'anne 1919 par Lharipa-Pempa-Tendup-La, artiste tibtain, durant le sjour qu'il y fit. Une des premires et des plus anciennes fresques illustrant ce sujet tait, rcemment encore, conserve en bon tat au Temple de Tadishing au Sikkim dans la fresque de la roue de la vie. Le Dr L. A. Waddell l'a dcrite ainsi : "Le jugement est toujours prsid par l'impartial Shinjechho-gyal, "le roi religieux de la Mort" (Dharma-Rja), une [34] forme de Yama le dieu hindou de la Mort, qui tient un miroir o se rflchit l'me nue, tandis que le serviteur Shinje pse dans une balance les bonnes actions opposes aux mauvaises, les premires reprsentes par des cailloux blancs, les autres par des noirs" 32. Le Dr Waddell fait remonter l'origine de cette image une peinture similaire de "La Roue de la Vie", appele d'habitude le Zodiaque, qui se trouve dans l'entre de laVoir section VII, Addenda, version christianise du Jugement dans le curieux ouvrage mdival : les Lamentations de la crature mourante. Dans le livre Fairy Faith in Celtic Countries, Oxford, 1911, ch. X, le Dr Evans-Wentz suggr qu'il est probable que la lgende du purgatoire, qui s'est centralise en Irlande autour d'une caverne, servant primitivement aux initiations mystiques paennes, situe dans une le du Lock Derg en Irlande et o a lieu aujourd'hui le fameux plerinage catholique du Purgatoire de Saint-Patrick, a donn origine la doctrine du purgatoire dans l'glise romaine. La caverne purgatoriale ancienne a t dmolie par ordre du gouvernement anglais en Irlande pour, fut-il dit, dtruire une superstition paenne. D'ailleurs, des places souterraines d'adoration et d'initiation, ddies au dieu solaire Mithra, subsistent dans les contres sud de l'Europe et ressemblent tellement au purgatoire irlandais, ou autres lieux souterrains d'initiations celtiques, tels que New Grange en Irlande et Gavrinis en Bretagne, qu'elles peuvent indiquer une commune origine prhistorique, essentiellement religieuse et lie avec le culte d'un monde Bardo et ses habitants.32 31 30

Gazetter of Sikkim, H. H. Risley, d., p. 269.

Cave XVII Ajant, Inde. Ceci tablit l'antiquit de la scne du Jugement dont notre texte contient une version. Les versions en sont nombreuses dans le Bouddhisme du Nord, qu'elles soient canoniques ou littrairement apocryphes. Dans le Canon Pali du Bouddhisme du Sud, il y a des versions parallles par exemple dans le Devadta Vagga de l'Anguttara Nikya et le Devadta Sttam du Majjhima Nikya. Cette dernire version peut tre rsume ainsi : Celui qui doit tre exalt : le Bouddha, sjournant au monastre de Jetavana, s'adresse aux moines assembls et parle de l'existence d'aprs la mort. Comme un homme la vision claire, assis entre deux maisons ayant chacune six portes, il considre ceux qui vont et viennent. Une des maisons symbolise l'existence du Bardo ou existence dsincarne, l'autre symbolise l'existence incarne et les douze portes, les portes d'entre et de sortie des six Lokas. Alors, aprs avoir expliqu la manire dont karma gouverne tous les tats d'existence, le Bouddha dcrit comment celui qui a fait le mal est amen devant le roi de la Mort et questionn par lui sur les cinq Messagers de la Mort. Le premier messager est symbolis par un enfant nouveau-n reposant sur le dos, sa signification est que pour lui, comme pour toute autre crature vivante, la vieillesse et la mort sont invitables. Le second messager qui vient sous la forme d'une personne ge de 80, 90 ou 100 ans, dcrpite, casse comme la poutre tordue d'un angle de toit, s'appuyant sur un bton, tremblant en marchant, pathtique, misrable, sa jeunesse enfuie jamais, les dents casses, les cheveux gris ou manquants, le front rid, signifie que le bb grandit, atteint la maturit et la dcrpitude, simplement pour tre victime de la mort. Le troisime messager est un tre terrass par la maladie, couch dans ses ordures, incapable de se lever ou de s'tendre sans aide, il montre que la maladie est [35] invitable comme la mort. Le quatrime messager, un malfaiteur supportant de terribles punitions, enseigne que la punition pour le coupable dans ce monde n'est rien, compare celle du karma d'aprs la mort. Le cinquime messager, pour accentuer le sens de la mort et de la corruptibilit du corps, est un cadavre abm, gonfl et se dcomposant. Pour chaque exemple, le roi Yama demande au mort s'il a vu le messager, quoi le mort rpond "non". Le roi lui explique alors qui tait le messager et le sens du message qu'il portait. Le dfunt se souvenant est oblig de reconnatre que n'ayant pas accompli de bonnes actions, il n'a pas agi suivant les messages reus, mais qu'il a fait le mal, oubliant que la mort est

inluctable. Sur cet aveu, Yama juge que le dfunt n'ayant pas accompli de bonnes actions doit en supporter les consquences karmiques. Les furies des enfers se saisissent alors du mort et lui font subir cinq sortes de punitions expiatoires, et, bien qu'il souffre terriblement, ainsi que le Bardo Thdol l'explique clairement, il est incapable de mourir. Dans la version de l'Anguttara Nikya, il n'y a que trois messagers : le vieillard, le malade et le cadavre. Le Bouddha termine ainsi son discours : "Si les hommes qui ont reu les messagers clestes sont rests indiffrents ce qui est la religion, ils souffrent longtemps tant ns dans des conditions infrieures. Si des hommes vertueux ont reu en ce monde les messagers clestes, ils ne ngligent pas les saintes doctrines. Comprenant le danger de l'attachement, qui est cause de la naissance et la mort, ils arrivent dans cette vie l'extinction des misres de l'existence, en atteignant la condition affranchie de la peur, condition heureuse et libre de passions et de fautes." 33 X. LA DOCTRINE DE LA RENAISSANCE En examinant la doctrine de la renaissance plus particulirement telle qu'elle se prsente dans notre texte, deux interprtations doivent tre prises en considration. L'interprtation littrale ou exotrique, qui est l'interprtation populaire et l'interprtation symbolique ou sotrique qui est tenue pour correcte par les quelques initis qui ne demandent pas l'appui des critures ou de la foi, mais celui du savoir. [36] Au Tibet, cette minorit est reprsente par quelques Lmas instruits qui sont dits avoir russi pratiquer avec succs les mthodes exposes par le Bouddha pour se souvenir des incarnations passes et acqurir le pouvoir yogique de voir ce qui rellement prend place dans le processus naturel de la mort et la renaissance. Au dvot cherchant savoir plutt qu' croire, le Bouddha a donn les directives suivantes "... Il dsire (le dvot) tre capable de rappeler son esprit ses divers tats temporaires dans les jours passs tels que 1, 2, 3, 4, 5, 10, 20, 10, 50, 100, 1.000, 100.000 naissances dans de nombreux ons de destruction et de nombreux ons de rnovation, dans de nombreux ons de destruction et33

Anguttara Nikya, Eka Duka et Tika Nipta. E. R. J. Gooneratne (Galle, Ceylan, 1913), pp. 160-

5.

de rnovation (de faon pouvoir dire): A cette place tels taient mon nom, ma famille, ma caste, ma subsistance, telle mon exprience de joie ou de peine, et telle fut la limite de ma vie. Et aprs avoir quitt cela, je pris forme encore dans cet autre endroit, o mon nom tait un tel, ou tels taient ma famille, ma caste, ma subsistance, mes expriences heureuses ou tristes, et le terme de ma vie. Et de l je naquis ici, ainsi suis-je capable de rappeler mon esprit mes diffrents tats temporaires d'existence passe. Dans cet tat de concentration en soi, si l'esprit est fix sur la connaissance d'un objet, cet objet sera atteint". Le Bouddha dit encore : "... Il dsire avoir la vision pure et cleste surpassant celle des hommes, voir les tres tels qu'ils passent d'un tat d'existence l'autre les tres bas ou nobles, beaux ou disgracis, heureux ou misrables, suivant le karma dont ils hritent dans cet tat de concentration en soi, si l'esprit est fix sur l'acquisition de n'importe quel objet, cet objet est obtenu". (Lonaphala Vagga-Anguttara Nikya.) Dans le Brhmana Vagga de l'Anguttara Nikya est dcrite de la mme faon la mthode yogique de recouvrer le contenu de la subconscience ; laquelle en confirmation de la psychologie du Bouddha, a t dfinie par la science occidentale "le sige de tout ce qui est latent" 34. Il est ajout : "Ainsi il rappelle son esprit les apparences et formes varies de ses naissances prcdentes. Ceci est le premier stage du savoir ; son ignorance (de ce qui est relatif ses naissances prcdentes) s'est dissipe et sa connaissance (idem) s'est leve. L'obscurit a fui, la lumire [37] est venue, c'est le juste rsultat obtenu par celui qui vit dans la mditation et sait matriser promptement ses passions." 35 A