Le Mariage de Figaro

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ETUDE TABULAIRE

LES INTRIGUES DE LA PIECE - les stratgies - les schmas actantiels - le sujet de la pice : "La disconvenance sociale" est lire dans : petite_histoire_d.htm ( les prfaces)

PORTRAIT DES DIFFERENTS PROTAGONISTES ( Le Comte, La Comtesse, Figaro, Suzanne, Chrubin, Marceline)

MAITRES ET VALETS, UNE RELATION COMPLEXE LES RELATIONS DUELLES - Figaro / le Comte - Suzanne / le Comte LES RELATIONS COMPLICES -Suzanne / la Comtesse

- Figaro, Suzanne ,la Comtesse / le Comte

LE MARIAGE DE FIGARO, UNE COMEDIE AMBIGUE - Une comdie gaie - Une comdie aux frontires du drame - Un thtre de socit (satire de la justice ; critique des privilges ; libertinage et ordre social ; critique de la situation de la femme au XVIIIme sicle )

ETUDE TABULAIRE Etant donn le projet de lecture de la pice, savoir, la relation MAITRE/VALET, nous avons occult dans ce tableau les personnages qui n'interviennent pas directement dans cette relation.Acte I 11sc SCENE 1,2,3,4 5,6,7 8,9,10,11 Le comte la comtesse figaro 0 0 1,2,3, suzanne 1,5,6,7, chrubin marceline bartholo 7, 8,9,10, 0 8,9,10 10 10,11 8,9,10 11 S/T 0 1,2,3,4,5 ActeII ,6,7,8 9,10,11,12, 26 sc 13,14, 15,16,17, 0 18,19,20 21,22,23, 0 24,25,26 S/T ActeIII ,6,7,8, 9,10,11,12, 20 sc 13,14 15,16,17, 0 18,19,20 S/T 0 14 0 11 5 0 15,16,17 0 15,16,17,19 17,18,19 0 18,19 8 18,19 8 0 15,16,17, 15,16,17, 0 9,11,14 0 10,13,14 9,10 0 12,13,14 12,13,14 0, ,7,8, 0 1,2,3,4,5 9 1,2,3,4,5,6 0 5,6,7 0 0 0 0 0 20,21,22 ,25,26 24 5 15,16,19 20 21,22,23,24 21,22,23 24,26 18 8 0 0 2 10,12,13 13 16,17,18,19, 20 19,20 21,22,23, 0 0 0 22,23 15,17,18, 0 0 0 0 0 ,7,8 9,10,11,12, 0 13,14, 9,10,14 0 0 0 3 1 1,2,3,4,5,6 2 1,2,3,4,6,8 4,5,6,7,8 0 0 0 5 7 5 3 3 3 0 0 9,10,11 3,4,5, 3,4,5 bazile 0

1,2,3,4, ActeIV 5,6,7,8, 9,10,11, 16 sc 12,13,14 0 S/T Acte V ,6,7,8, 9,10,11, 19 sc 12,13,14 15,16,17, 0 18,19 S/T Total 0 92 sc 18,19 12 comte :46 12,14 15,16,17, 9,10,11, 15,16 0 1,2,3,4,5 6,7 0 8 5,6,7,8,

2,3,4,5,6 1,2,6 ,7,8, 9,10,11,12, 9,10,11,12 9 13,14 0 8 4,5,6,7 15 10 2,3,4,5,6,7,8, 9,10,11,12, 0 13,14 15,16,17, 19 5 15,16,17,18,19 18,19 18 8 18,19 6 17,18,19 18,19 4 9 18,19 9 15,16,17, 9 13,14 0 12,13,14 12,13,14 0 7 4,5,6,7,8 0 4 4,6 10,11 0 13,15,16 0 8 4 0 3 2 0 1 2 9,10,11,12, 9,10,11 9 1,2,3,4,5, 4,5,6,7 8 0 0

comtesse : Figaro :49 39

Suzanne : Chr 23 45

Marceline Bartholo23 Bazile 15 23

COMMENTAIRE Pour des raisons de lisibilit sur une seule page, nous avons modifi la prsentation habituelle de l'tude tabulaire ; le but de ce tableau est de mettre en vidence l'importance ou non de la prsence sur scne des diffrents personnages. Ce tableau se lit gnralement avant mme la lecture de la pice et constitue un "horizon d'attente". Ainsi, force est de constater que Figaro occupe le devant de la scne contrairement Bazile. Par ailleurs, aprs la lecture de la pice, ce tableau est un outil de reprage qui permet de mieux cerner la relation des personnages et vient de ce fait complter les diffrents schmas actantiels. La prsence muette des personnages n'est pas lisible sur ce tableau : elle concerne essentiellement les personnages de Marcelin, Bartholo, Bazile et particulirement dans le dernier acte, ces personnages jouant un rle mineur dans les scnes nocturne de "cache-cache". Hirarchie des personnages au regard de leur prsence sur scne : - Figaro : 49/92 - Le Comte : 46/92 - Suzanne : 45/92 - La Comtesse : 39/92 - Chrubin, Marceline, Bartholo : 23/92 - Bazile : 15/92 La rpartition des scnes, I,11 ; II,26 ; III, 20 ; IV, 16 ; V, 19, permet de constater que l'acte I, acte d'exposition, comporte beaucoup moins de scnes que les actes II et III qui forment le nud de l'action et que l'acte V, acte du dnouement. par ailleurs, il se produit un phnomne d'acclration d aux nombreux mouvements scniques ( entre et sortie des personnages) qui justifie, entre autre, le titre de la pice : "La folle journe"

Par ailleurs, la concentration des personnages sur scne est plus grande dans les actes I et V : le but de l'acte I tant de prsenter les diffrents protagonistes et celui de l'acte V, de les runir pour le dnouement. Les scnes de duo et les scnes duelles Si le titre de la pice, "Le mariage de Figaro" laisse supposer que le couple Figaro/Suzanne est au centre de l'intrigue, les scnes de duo amoureux sont rares : seulement 3 sur 92 scnes. Aussi pouvons-nous en dduire que la relation "duo" du couple n'est pas privilgie. En revanche la scne runit plus souvent le Comte et la Comtesse mais toujours dans des scnes duelles : 8 scnes insistent sur la relation conflictuelle du couple, mme si par deux fois ces scnes se terminent sur une rconciliation ( II,19 ; V, 19) La relation matre /valet ne donne lieu qu' 2 scnes au cours desquelles Figaro et le Comte vont s'affronter en tte tte( III,3 ; V, 2) En revanche Suzanne et la Comtesse se retrouvent seules 5 fois au cours de l'acte II dans des scnes de grande complicit. Enfin, Figaro et Marceline sont runis 3 fois dans l'acte IV, scnes de tendresse...

La plupart des scnes de la pice met en relation plus de deux personnages : _6 fois le trio Suzanne/la Comtesse/Chrubin _6fois le quatuor Figaro/Suzanne/la Comtesse/le Comte _ l'acte IV et l'acte V donnent lieu des scnes de "foule" puisque, outre les diffrents protagonistes, les paysans sont prsents. Le titre premier de la comdie, " La folle journe", se justifie, entre autre, par une occupation "dbordante" du lieu scnique. Prsence des personnages en corrlation avec les lieux - L'acte III est domin par la prsence de la Comtesse et de sa camriste Suzanne : la comtesse est prsente 24 scnes sur 26 et Suzanne 18 sur 26. La didascalie initiale prcise que nous sommes dans la chambre de la Comtesse : ceci explique cela.Nanmoins, on peut constater que ce lieu intime est un vritable lieu de passage, outre le comte, dont la prsence est justifiable dans la chambre de sa femme, Chrubin et Figaro vont venir tour tour prendre part aux dbats. C'est que cette scne est particulirement importante dans l'conomie de la pice puisqu'elle va mettre en place tout un plan "d'attaque" pour djouer les projets du Comte. - Dans l'acte III, la Comtesse et Chrubin sont absents. La scne se droule dans la salle d'audience du chteau, lieu de l'instance publique, qui runit tous les personnages concerns par le procs qui oppose Figaro Marceline. - L'acte IV, runit la totalit des personnages dans une galerie du chteau , lieu de l'instance publique dans lequel sont clbrs les mariages.

LES INTRIGUES DE LA PIECE

Le choix du titre de la pice nous renseigne sur l'intrigue de la comdie de Beaumarchais : le spectateur sait que le mariage annonc, celui de Figaro, va tre contrari, selon le schma canonique de toute comdie, et que, les opposants deviendront des adjuvants. La seule nigme rside dans les obstacles ce mariage. La comdie de Beaumarchais n'est pas aussi simple que cela. La lecture de l'acte I nous conduit dans un ddale d'intrigues multiples qui se croisent et s'entrecroisent ( "l'imbroglio"): quatre intrigues se mettent en place dans les quatre premires scnes. Intrigue I : l'obstacle au mariage de Figaro et de Suzanne : le comte veut faire de Suzanne sa matresse au nom du "droit du seigneur" qu'il avait pourtant aboli dans "Le Barbier de Sville" pour pouvoir pouser Rosine (la comtesse) alors pupille et future pouse de Bartholo : c'est ce que Suzanne apprend Figaro ds la premire scne :"Monsieur le comte veut rentrer au chteau, mais non pas chez sa femme ; c'est sur la tienne, entends-tu, qu'il a jet ses vues."

Intrigue II : Marceline nous apprend, scne 4, que Bazile veut l'pouser : " Le pis... est cette ennuyeuse passion qu'il a pour moi depuis si longtemps."

Intrigue III : toujours scne 4, Marceline demande Bartholo, l'amant bafou du "Barbier de Sville" de l'aider " en pouser un autre.... le beau, le gai l'aimable Figaro."

Intrigue IV: scne 7, Chrubin annonce Suzanne que le comte l'a renvoy du chteau et il a besoin de l'aide de sa marraine ( la comtesse) pour faire changer d'avis le comte. De plus , l'intrt que Chrubin porte la comtesse et les rflexions de Suzanne laissent deviner que le jeune page est amoureux de la comtesse ; par ailleurs la tendresse de la comtesse pour le page est explicite ds la scne 1 de l'acte II.

Aussi les obstacles au mariage de Figaro et de Suzanne sont-ils d'une part l'abus de pouvoir du comte et d'autre part le dsir de Marceline. Le Mariage de Figaro est bien l'intrigue principale mais l'on ne sait pas qui sera son pouse.

Ces diffrentes intrigues donnent lieu plusieurs stratgies :

Celle de Figaro, dirige contre le comte , expose dans un court monologue, I,2 : " D'abord avancer l'heure de votre petite fte, pour pouser plus srement ; carter une Marceline qui de vous est friande en diable ; empocher l'or et les prsents ; donner le change aux petites passions de Monsieur le Comte ; triller rondement monsieur Bazile et..." Cette stratgie sera finie d'tre labore dans la scne 2 de l'acte II en prsence de la Comtesse et de Suzanne : d'abord, veiller la jalousie du comte : "temprons d'abord son ardeur de nos possessions en l'inquitant sur les siennes." aussi Figaro a-t-il fait parvenir au comte un billet lui annonant que la comtesse a un rendez-vous avec un galant. Ensuite prendre le comte en flagrant dlit de rendez-vos avec Suzanne : "tu feras dire Monseigneur que tu te rendras sur la brune au jardin" mais en fait, c'est Chrubin, dguis en Suzanne qui s'y rendra. Celle de Marceline, dirige contre Figaro pour le contraindre de l'pouser : elle peut s'opposer au mariage de Figaro et de Suzanne parce qu'elle dtient un engagement sign de Figaro ( cf acte III, scne 15 : "Je soussign reconnais avoir reu de Damoiselle...Marceline....la somme de deux mille piastres ... ; laquelle somme je lui rendrai... et je l'pouserai par forme de reconnaissance.. sign Figaro") De plus , Suzanne se refusant au Comte, elle est sre qu'il la soutiendra pour se venger du refus de la camriste de son pouse. Celle de La Comtesse et de Suzanne, l'insu de Figaro, partir de la scne 3 de l'acte IV, contre le Comte, en faveur de la Comtesse : Suzanne fixera un rendez-vous au Comte mais c'est La Comtesse qui ira ,dguise en Suzanne. Aussi peut-on voir se dessiner les oppositions et les alliances a) Le Comte, Bartholo, Marceline contre Figaro et Suzanne b) Figaro, Suzanne, la Comtesse contre Marceline et le Comte. Si l'opposition matre/valet est vidente en a), l'alliance matre/valet caractrise b). Il faudra attendre l'acte III, scne16, pour que Marceline, ayant reconnu en Figaro son fils Emmanuel, change de camp et uvre pour la russite du mariage de Suzanne et de Figaro .Ce coup de thtre contrarie le comte :" Sot vnement qui me drange" Ces oppositions sont lisibles dans les schmas actantiels suivants : Schma n 1 Destinateur Le libertinage Le droit du seigneur Sujet : Le Comte Objet : Suzanne Opposants Figaro Adjuvants Destinataire Le plaisir goste

La Comtesse Suzanne Schma n2 Destinateur L'amour Sujet : Figaro Objet : Suzanne Opposants Le Comte Marceline Bartholo Schma n3 Destinateur L'amour Sujet : Marceline Objet : Figaro Opposants La Comtesse Suzanne Figaro

Bartholo

Destinataire Le mariage dsir

Adjuvants La comtesse Suzanne Marceline ( partir de III,16)

Destinataire Le mariage "forc"

Adjuvants Le Comte Bartholo

Les schmas 1 et 2 sont diamtralement opposs et les schmas 1 et 3 sont identiques en ce qui concerne les opposants, aussi, force est de constater que la lutte pour le mariage de Figaro et de Suzanne va tre difficile car ingale. La scne de reconnaissance de l'acte III devient ncessaire pour renverser la situation et mener son terme l'intrigue initiale de la comdie. Par ailleurs, il convient de constater que le Comte se retrouve seul dans sa qute ds lors que Bartholo peut pouser Marceline : leur fils les runissant. Aussi, si au dbut de la pice, tout semblait tre en faveur du Comte, son pouvoir, son argent, sa jalousie, vont se retourner contre lui .

PORTRAIT DES DIFFERENTS PROTAGONISTES Les principaux personnages vus par leur auteur. Dans sa prface et dans "caractres et habillements de la pice", Beaumarchais donne de prcieuses indications au lecteur sur ses personnages : - Le Comte est essentiellement caractris par son rang social et par sa puissance :"Un grand seigneur espagnol... un matre absolu que son rang, sa fortune, sa prodigalit rendent tout-puissant... C'est un mari peu dlicat....assez galant,..., un peu libertin."De plus, il doit tre jou "trs noblement avec grce.... la corruption du cur ne doit rien ter au bon ton de ses manires." - La Comtesse est identifie ses qualits morales : c'est "la plus vertueuse des femmes... Un modle de vertu, l'exemple de son sexe et l'amour du ntre.... Un caractre aimable et vertueux".L'loge dithyrambique participe la mise en place de l'image de la femme victime du libertinage de son mari. - Figaro est prsent comme un personnage dominant tant par ses qualits que par son rle. C'est "l'homme le plus dgourdi de sa nation..... il incarne "le feu et l'esprit.... Il ne ruse avec son seigneur que pour garantir ce qu'il aime et sauver sa proprit." De plus, la sagesse et la gaiet en font le parangon du valet mancip , il est " de la sagesse assaisonne de gaiet et de saillies." -Suzanne n'est pas une servante quelconque, elle est " spirituelle, adroite et rieuse ... mais non de cette catgorie presque effronte de nos soubrettes corruptrices... Dans tout son rle, il n'y a pas une phrase, pas un mot qui ne respire la sagesse et l'attachement ses devoirs." - Chrubin est par avance excus et justifi de ses penchants pour la Comtesse. Beaumarchais insiste beaucoup sur sa jeunesse, ce qui ruine toute intention qui pourrait porter atteinte la dcence et la morale : "un enfant de treize ans, aux premiers battements du cur..., idoltre [de] sa marraine est-il sujet de scandale ?... Aim de tous, vif, espigle et brlant comme tous les enfants spirituels.... Pour lui imprimer plus fortement le caractre de l'enfance, nous le faisons exprs tutoyer par Figaro... Timide l'excs devant la Comtesse, ailleurs un charmant polisson." - Marceline est " Une femme d'esprit, ne un peu vive, mais dont les fautes et l'exprience ont rform le caractre." Portrait selon les personnages. Dans "Dom Juan", Molire fait faire Sganarelle le portrait de son matre : vritable tradition dramaturgique, la prsentation du personnage principal est, le plus souvent , prise en charge par un autre personnage qui lui est proche ( autre exemple : Tartufe est tour tour prsent par Madame Pernelle, Orgon, Dorine... bien avant qu'il n'arrive sur scne). Beaumarchais respecte ce principe mais de faon plus discrte : les caractres sont esquisss par petites touches et pris en charge par plusieurs personnages. - Figaro apparat d'abord comme un personnage aux multiples qualits aux dires de la gente fminine :

Marceline le considre comme un jeune homme gai et bon "Jamais fch ; toujours de belle humeur ; [...] smillant, gnreux, gnreux."(I,4), sduisant, c'est "Le beau, le gai, l'aimable Figaro" (I,4) et picurien " Donnant le prsent la joie et s'inquitant de l'avenir tout aussi peu que du pass" ( I,4) Suzanne nous prsente un fianc malicieux et ingnieux, "De l'intrigue et de l'argent, te voil dans ta sphre."(I,1),particulirement gai "J'aime ta joie parce-qu'elle est folle" la Comtesse voit en lui l'lment indispensable pour rappeler le Comte l'ordre "... lui seul peut nous [...] aider... il a tant d'assurance." ( II,1) En revanche, le regard des personnages masculins ne voit que ses dfauts. Pour Bartholo, Figaro est un personnage de la parole dbride, " Un bavard enrag" et " le plus fier insolent" (I,3). Le Comte considre son valet comme un menteur (II,20), toujours intress par l'argent et sournois "Cent fois je t'ai vu marcher la fortune et jamais aller droit" (III,5), un insolent qui se trouve partout o on ne l'attend pas et qui brouille les pistes au point que le comte ne sait plus o il en est "Le fil m'chappe"(III,4) Pour parachever le portrait de Figaro, il suffit de lire son auto-portrait dans son monologue (V,3). Il se peint tel " Un jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les gots pour jouir... ambitieux par vanit, laborieux par ncessit, mais paresseux avec dlices ! orateur selon le danger, pote par dlassement, amoureux par folles bouffes..."( c'est moi qui souligne) Amoureux, il n'hsite pas dire et redire son amour pour Suzanne :" Il n'y a que mon amour pour Suzon qui soit une vrit de bon aloi" et il ajoute " En fait d'amour [...] trop n'est pas mme assez."( IV?1) Son amour est tel que sa jalousie clate lorsqu'il croit que Suzanne a donn rendez-vous au Comte sous les marronniers et sa colre est sans limite ( lui qui venait de confier sa mre que la jalousie "n'est qu'un sot enfant de l'orgueil" et que "si Suzanne doit me tromper un jour, je le lui pardonne d'avance" ( IV,13) !!!). Figaro devient alors un personnage trs srieux qui porte un regard cynique sur le monde qui l'entoure, remettant en cause les fondements mmes de la socit(thtre de socit)et se posant des questions existentielles qui prfigurent le hros romantique du dbut du XIXme sicle. A la question "Quel est le moi dont je m'occupe" il rpond "un assemblage informe de parties inconnues ; puis un chtif tre imbcile ; un petit animal foltre". Le bilan amer qui clt ce monologue "J'ai tout vu, tout fait, tout us. Puis l'illusion s'est dtruite et trop dsabus...Dsabus ! ... Dsabus !" a des accents de drliction. Personnage sensible, Figaro cache mal son motion et, sans fausse pudeur, apprenant que Marceline est sa mre, il laisse clater l'intensit de sa joie "Je les ( les larmes) retenais btement ! Va te promener la honte ! Je veux rire et pleurer en mme temps."(III,19) Dans sa prface, Beaumarchais, disait de Figaro qu'il tait "de la sagesse assaisonne de gaiet" et de fait il n'est pas un personnage excessif mais au contraire un personnage nuanc qui use de deux armes pour combattre le Comte : la parole, le rire et la ruse.( thtre de socit) - Le Comte Il s'agit d'un personnage beaucoup moins nuanc que celui de son valet et si Figaro attire les sympathies, le Comte attise les rprobations. Deux traits de

caractres dominants sont mis en vidence par les diffrents personnages : Le libertinage et la jalousie. Ds la scne 1 de l'acte I, Suzanne atteste le libertinage du Comte " C'est sur la tienne qu'il a des vues"

Selon Marceline " il est jaloux et libertin"( I,4) Bartholo prcise " Libertin par ennui, jaloux par vanit" (I,4) La Comtesse constate "Il ne m'aime plus"(II,1) et "la seule vanit" (II,16) est la cause de sa jalousie. Figaro ose lui dire " Vous tes infidle" (III,5) La jalousie du Comte est telle qu'elle va jouer un vritable rle dans la dramaturgie. Ds la scne 2 de l'acte II, Figaro ajuste sa stratgie pour confondre le Comte :"... temprons d'abord ses ardeurs de nos possessions en l'inquitant sur les siennes" : le rendez-vous sous les grands marronniers, source de pripties et de rebondissements, est labor et il faudra attendre la fin de l'acte V pour sa mise en scne. Dans les scnes 10,11,12,13,16,17,19 de l'acte II, la jalousie du Comte, pousse l'extrme, se met en scne et offre au spectateur l'image avilie de ce grand seigneur. Souponneux, craintif, il s'emporte et ne se matrise plus "Furieux", "tapant du pied", il se laisse dominer par la colre. Il prend "des prcautions inutiles" en fermant clef la porte de la chambre de Suzanne alors qu'elle est dans la chambre de la Comtesse. Il est ridicule lorsqu'il s'adresse" au cabinet". Il ne contrle plus ses mouvements " il marche pour sortir et revient" ; il oublie son honneur et n'hsite pas faire "un scandale public" au risque de devenir "la fable du chteau"; il manque de respect sa femme en la tutoyant familirement "tu es bien audacieuse". Les attitudes du comte apparaissent d'autant plus ridicules que la cause de sa jalousie est injustifie : pour l'heure, il n'a rien craindre d'un enfant de treize ans ; de plus sa jalousie est en contradiction avec son libertinage. Le libertinage(thtre de socit) joue lui aussi un rle dans la dramaturgie.Son enjeu est double : il est l'origine, de l'intrigue principale de la pice savoir l'obstacle au mariage de Suzanne et de Figaro et du conflit qui oppose le matre et le valet. Sducteur impnitent le Comte est prt se renier en voulant user d'un droit( "le droit du seigneur") aboli par lui-mme dans "Le Barbier de Sville" pour sduire la future comtesse Almaviva. Enfin, pour assouvir ses dsirs, il abuse de son autorit (cf "la disconvenance sociale dans petite_histoire_d.htm) et agit en matre absolu. Les verbes de volont et les impratifs dominent le plus souvent les propos qu'il tient et quand ces artifices de l'autorit ne suffisent pas il n'hsite pas avoir recours au chantage "Si tu manquais ta parole... point de rendez-vous, point de dot, point de mariage" (III,9) ou la mauvaise foi ( cf le jugement qu'il prononce en la dfaveur de Figaro dans le procs qui l'oppose Marceline) - La Comtesse Elle est un personnage diamtralement oppos son mari. "Noble et belle mais imposante"(I,7) selon Chrubin, elle est consciente des dfauts du Comte et en

souffre. "Il ne m'aime plus" (II,1) confie-t-elle Suzanne et la solitude laquelle elle est contrainte lui pse : "je ne suis plus la Rosine que vous avez tant poursuivie ! Je suis la pauvre comtesse Almaviva ; la triste femme dlaisse, que vous n'aimez plus". La distance entre le prnom et la patronyme est ici loquente : la jeune fille aime et arrache un vieux tuteur jaloux ( Bartholo) dans "le Barbier de Sville" n'est plus qu'un tre social condamn assurer un rle : celui de la femme trompe. Vertueuse, elle reste nanmoins fidle ce mari volage ( mme si d'aucuns considrent sa tendresse pour Chrubin plus importante qu'il n'y parat) mais elle n'est pas rsigne. Elle va tout faire pour reconqurir son mari et par l mme sauver l'honneur du Comte. A l'cole de Figaro, elle va , avec l'aide de Suzanne, laborer une stratgie qui lui rendra son mari. Espigle et ingnieuse Comtesse qui aura la joie d'entendre son mari lui demander pardon (II,19 ; V,19) Contrairement certaines critiques, je ne pense pas que la Comtesse soit un personnage qui se laisse dominer. Certes elle craint la colre de son mari, lors de la "scne du cabinet" et devant l'urgence de la situation elle est prte avouer la prsence de Chrubin mais elle joue parfaitement la comdie au point que le comte ne peut se douter de la supercherie ; de plus il faut lire la pice dans le contexte de son poque et au XVIIIme sicle, la femme ( Marceline nous l'expliquera : thtre de socit) dpend entirement de son mari et si les hommes peuvent tromper leurs femme en toute impunit, la femme marie doit rester vertueuse. D'autre part, c'est l'insu de Figaro et contre la volont de Suzanne qu'elle se rendra au rendez-vous sous les marronniers dguise en Suzanne. C'est donc un personnage qui volue au fil de la pice et qui s'enhardit au point de gagner seule la victoire sur le Comte. - Suzanne Dfinie par Figaro, c'est "une charmante fille ! Toujours riante, verdissante,pleine de gaiet, d'esprit, d'amour et de dlices ! mais sage..."(I,2) Ce portrait logieux dict par un amour sans borne corrobore celui de Beaumarchais et insiste sur la joie de vivre du personnage. Toutefois, Figaro lui reproche sa trop grande sagesse. De fait, Suzanne, trs attache aux traditions morales, garde les panchements amoureux pour leur mariage et lorsque son fianc lui demande "un petit baiser", elle refuse "[..] Et quand dirait mon mari demain ?" (I,1). Sauvegarder son honneur de jeune fille, sa dignit et son amour sont ses buts et c'est au nom de ces trois principes qu'elle refuse de cder au Comte malgr la promesse d'une dot consquente : Suzanne ne se vend pas. Elle entretient avec Marceline des relations conflictuelles. La scne 5 de l'acte I met en prsence les deux rivales et Suzanne persifle en traitant son ane de "Dugne" (comprenez : vieille femme). Le jeu scnique des rvrences ponctue ironiquement la querelle des deux femmes. Suzanne se laisse envahir par une colre jalouse lorsqu'elle voit Figaro embrasser Marceline (III,8 : quiproquo oblige, Suzanne ignore tout de la scne de reconnaissance)"Tu l'pouse gr puisque tu la caresses" Personnage plein de bon sens et d'esprit, elle a le sens de la rpartie. Au chantage du Comte elle rpond par un autre chantage : "Point de mariage, point de droit du seigneur" (II,9). Lorsque le Comte lui demande de ne rien dire de ses intentions Figaro elle dtourne la rponse par une formule bien propos : "Je lui dis tout hors ce qu'il faut taire."(III,19) Perspicace, dans la scne 8 de l'acte I, elle utilise "le gros fauteuil de malade" comme troisime lieu pour cacher Chrubin l'arrive du Comte. De mme, la scne 17 de l'acte II, sortant du cabinet la place de Chrubin, elle sauve la Comtesse d'une situation qui lui tait trs dfavorable.

Sre d'elle, elle n'hsite pas se moquer des autres personnages en les contrefaisant. Ainsi se moque-t-elle de la timidit de Chrubin en prsence de la Comtesse ( II,4) et traduit ses hsitations par des onomatopes pjoratives : " Et gnian, gnian, gnian, gnian...". Elle ridiculise la jalousie du Comte quand apparaissant devant lui elle dit : "Je le tuerai, je le tuerai. Tuez-le donc, ce mchant page."(III,17) Enfin, servante dvoue au service de la Comtesse, elle est une complice attachante qui ne recule devant rien (elle agira contre la volont de Figaro) pour sauver l'amour de sa matresse pour son mari. (La relation matre /valet) - Marceline Il s'agit du personnage qui du point de vue dramaturgique volue le plus. Au dbut de la pice, rivale de Suzanne, allie du Comte, amoureuse de Figaro, lucide quant aux relations qu'entretiennent le Comte et la Comtesse "Elle languit... son mari la nglige."(I,4), elle devient une mre aimante et secourable partir de la scne 16 de l'acte III : "Sois heureux pour toi ,mon fils ; gai, libre et bon pour tout le monde : il ne manquera rien ta mre" et elle accueille Suzanne avec tendresse "Embrasse ta mre ma jolie Suzannette"(III,17). Ds lors, elle change de camp, devient l'allie de Figaro et le Comte se retrouve seul dans la qute de son dsir. Marceline, c'est aussi, et surtout peut-tre, cette femme de caractre qui, le verbe haut, ose se lancer dans un rquisitoire contre le pouvoir des hommes et dans un plaidoyer pour les femmes opprimes. (cf thtre de socit) Fministe avant l'heure Marceline ? Gardons-nous de ces tiquettes et saluons seulement sa lucidit et sa clairvoyance quant la prcarit de la position de la femme au XVIIIme sicle. -Chrubin " Ce rle ne peut tre jou [...] que par une jeune et trs jolie femme" prcise Beaumarchais dans "Caractres et habillements" pour insister sur la jeunesse du personnage et l'innocence de ses intentions. C'est un trs jeune adolescent en pleine pubert, la sensualit naissante ; lui-mme le confie Suzanne : "Je sens ma poitrine agite ; mon cur palpite au seul aspect d'une femme... Enfin, le besoin de dire quelqu'un " je vous aime" est devenu...si pesant, que je le dis tout seul."(I,7), et Suzanne ne voit en lui " qu'un morveux(gamin) sans consquence"(I,7).On peut ce titre considrer comme injuste l'loignement que le comte lui impose. Mais Chrubin est celui qui permettra de mesurer l'ampleur de la jalousie du Comte et de mettre en place une coalition de tous les personnages contre l'autorit abusive du Comte. En effet, chacun s'applique cacher et protger Chrubin contre l'ordre du Comte : n'est-ce pas bafouer son autorit ? Par ailleurs, la prsence de Chrubin jusqu' la fin de la pice est ncessaire Beaumarchais pour annoncer la dernire pice de sa trilogie, "La Mre coupable". Lorsque suzanne affirme "Oh ! dans trois ou quatre ans, je prdis que vous serez le plus grand vaurien"(I,7), elle annonce la relation amoureuse qu'il aura avec la Comtesse. De mme, Figaro entrevoit son destin tragique "A moins qu'un coup de feu"(I,10), destin qui se ralisera dans l'intertexte( Chrubin meurt en 1770, c'est dire 2 ans aprs la fin du "Mariage de Figaro") (cfpetite_histoire_d.htm)

MAITRES ET VALETS, UNE RELATION COMPLEXE

LES RELATIONS DUELLES

LE COMTE / FIGARO Dans l'introduction, nous avons prcis l'volution de la relation entre Figaro et son matre entre " Le Barbier de Sville" et "Le Mariage de Figaro" : la complicit a cd la place au conflit et le Comte ne manque pas de constater ce changement radical :" Autrefois tu me disais tout" (III,5). Regret ? Srement pas puisque seul le comte est responsable de cette msentente. L'opposition entre Figaro et son matre nat, ds la premire scne de la comdie, de la rvlation,par Suzanne, des intentions du Comte : "Apprends qu'il la ( la dot) destine obtenir de moi, secrtement, certain quart d'heure, seul seul, qu'un certain droit du seigneur..."(I,1). Il s'agit alors d'un conflit de classe qui repose, non seulement sur la supriorit du matre mais aussi et surtout sur l'abus de pouvoir. (cf "la disconvenance sociale"). Or, "le droit du seigneur", "droit charmant" (I,7) pour le Comte, est un "droit qui n'existe plus" comme le rappelle Figaro (I,10) puisque, le Comte lui-mme l'a aboli dans "Le Barbier de Sville" pour interdire Bartholo, tuteur de la future Comtesse Almaviva, d'en user. Ds lors, Figaro va s'appliquer mettre son matre dans la situation de confirmer publiquement cette abolition. Il y parvient la scne 10 de l'acte I : Figaro - Monseigneur, vos vassaux touchs de l'abolition d'un certain droit fcheux, que votre amour pour Madame... Le Comte - H bien, ce droit n'existe plus, que veux-tu dire ? Premire victoire de Figaro qui, enhardi par ce succs rapide, prtend avancer son mariage : Figaro - Permettez donc que cette jeune crature, de qui votre sagesse a prserv l'honneur, reoive de vos mains, publiquement, la toque virginale [...] symbole de la puret de vos intentions." Deuxime situation d'chec pour le Comte, mais pas pour autant deuxime victoire de Figaro puisque la Comte va essayer de gagner du temps : "Pour que la crmonie et plus d'clat, je voudrais seulement qu'on la remit tantt." L'obstacle du droit du seigneur est donc cart mais le Comte ne va pas pour autant renoncer son dsir et le conflit social se double d'un conflit amoureux : le matre et le valet sont rivaux. La pice se transforme en un vritable duel dont les armes sont essentiellement, la ruse et la parole. Si Figaro respecte les rgles sociales quand ils s'adressent son matre , c'est toujours avec une pointe d'ironie qu'il le gratifie de "Monseigneur" ou de "Votre excellence", et en son absence, il l'appelle "Le grand trompeur" (I,1), "le perfide"(V, 111). Le Comte , qui affirme " que Figaro, [est]un homme qu'[il] aime, et qu' [il] estime" (I, 9) le nomme en des termes qui disent mal son affection : "Le maraud..Fripon" ( III,8) ; "Sclrat" (V,12) Chacun se cache l'autre pour mieux le tromper. Ainsi, le Comte, qui attend Figaro mais qui ne l'entend pas arriver, explique dans un monologue ses intentions : il

veut "le sonder adroitement et tcher .... de dmler d'une manire dtourne s'il est instruit ou non de mon amour pour Suzanne" ( III, 4). Figaro, qui a tout entendu se dit : "Voyons le venir et jouons serr" et la scne 5 de l'acte III progressera rythme de : "elle n'a pas parl" / "Suzanne m'a trahi". Figaro est son aise, il "l'enfile et le paye en sa monnaie". dans cette joute oratoire, c'est Figaro qui l'emporte . Le Comte se trouve chaque fois en situation d'infriorit ; Figaro possde la suprmatie de la parole, arme redoutable contre laquelle le Comte ne peut lutter. Il a rponse tout et surtout, il possde l'art du dtour : il noie le Comte dans un flot de paroles illustr, entre autre, par la tirade sur " God-dam", expression qui en soit ne veut rien dire. Scne 8 de l'acte III, il est contraint d'avouer la supriorit de son valet : "Le maraud m'embarrassait ! En disputant, il prend son avantage, il vous serre, vous enveloppe... Ah ! friponne et fripon ! vous vous entendez pour me jouer ?" Acte IV, scne 8, oblig de se rsoudre clbrer le mariage de Figaro et de Suzanne, il confesse : "... Il faut bien souffrir ce qu'on ne peut empcher." et, dan la dernire scne de la pice, il reconnat sa dfaite : "J'ai voulu ruser avec eux, ils m'ont trait comme un enfant." Figaro ne se laisse pas impressionner par son matre et, lorsque le Comte croit tenir l'argument contre lequel aucune rponse n'est possible, le valet, avec brio, retourne l'argument contre lui : Le Comte - Combien la comtesse t'a-t-elle donn pour cette belle association ? Figaro - Combien me donntes-vous pour la tirer des mains du docteur ?( III,5) Figaro prend de plus en plus de libert et il ose reprocher son matre son libertinage abusif : "Votre excellence se permet de nous souffler toutes les jeunes " (III,5) Audacieux quand il se rend compte qu'il est en train de perdre la partie, il ne craint pas de se moquer du Comte en lui tenant des propos absurdes, dclins sur le mode de la raison . Tandis qu'il est pris en flagrant dlit de mensonge, parce-qu'il ignore que la Comtesse vient de tout rvler quant la supercherie de la scne du "cabinet", il continue soutenir sa fausse vrit : "La rage de sauter peut gagner : voyez les moutons de Panurge ; et quand vous tes en colre... on aurait saut deux douzaines" ( IV,5) Bien dcid aller jusqu'au bout, aprs avoir compris la supercherie des dguisements, il dit Suzanne, avec un plaisir non dissimul : "Achevons-le, veuxtu ?" (V,9) et il obtient une dernire revanche en gratignant, pour la dernire fois le Comte : "Je sais qu'un grand seigneur s'en est occup quelque temps : mais, soit qu'il l'ait nglige, ou que je lui plaise mieux qu'un aimable, elle me donne aujourd'hui la prfrence." ( V,17) MAIS la fin de la pice les place dans des situations identiques : celle du dupeur dup : le Comte et Figaro sont abuss par leurs pouses et tous deux sont contraints de leur prsenter des excuses. C'est ce prix que la relation entre le matre et le valet va cesser d'tre conflictuelle ; Complices et allis, ainsi les retrouverons-nous dans "La mre coupable" Le conflit social qui oppose Figaro son matre est expliqu dans "le thtre de socit"

SUZANNE / LE COMTE Le conflit qui oppose Suzanne repose moins sur la diffrence de statut social que sur la diffrence de sexe. en effet, c'est la femme qui est convoite bien plus que la camriste et l'abus de pouvoir des hommes sur le sexe fminin dnonc par Marceline illustre cette relation (cf thtre de socit". Victime de son pouvoir de sduction, de sa jeunesse et de sa gaiet, Suzanne doit se dfendre des assiduits du Comte. Elle pourrait mme se vanter d'avoir autant d'importance pour lui si elle entendait ce que dit le comte son sujet : "Qui donc m'enchane cette fantaisie ? j'ai voulu vingt fois y renoncer... Etrange effet de l'irrsolution ! Si je la voulais sans dbat, je la dsirerais mille fois moins." (III,4) La rsistance de Suzanne et la tnacit de Figaro vouloir protger "son bien" attisent le dsir du Comte. Suzanne devra donc lutter jusqu' la fin de la pice. Elle oppose au Comte sa ruse et son sens de la rpartie. Elle prtexte un malaise de la Comtesse et laisse croire au Comte qu'elle est prte cder son dsir : "Et n'est-ce pas mon devoir d'couter son excellence ?" ( ,9), excellente comdienne(timidement ; baissant les yeux ; faisant la rvrence) et digne fiance de Figaro, elle use de la parole pour ensorceler le sducteur sans faire veiller le moindre sur son hypocrisie. Le Comte - Pourquoi donc, cruelle fille ! ne pas me l'avoir dit plus tt ? Suzanne - Est-il jamais trop tard pour dire la vrit ? le Comte - Tu te rendrais sur la brune au jardin ? Suzanne - Est-ce-que je ne m'y promne pas tous les soirs" Son sens de la rpartie vaut bien celui de Figaro quant au chantage du Comte elle rpond : "Mais aussi point de mariage, point de droit du Seigneur, Monseigneur."(III,9). Et le Comte de saluer son talent : "Elle a rponse tout" ; "O prend-elle ce qu'elle dit , D'honneur j'en raffolerai." L'aveuglement du Comte est un adjuvant inespr pour Suzanne qui, sans se compromettre, peut se jouer du Comte tout en servant les intrts de sa matresse et ceux de Figaro. Abuseur abus par celle qu'il appelait "friponne" et qu'il appelle maintenant du doux nom de "mon cur", le Comte Almaviva accumule les dfaites et se rvle tre un pitre stratge : soumis son dsir il manque de lucidit et de clairvoyance. Il a pu rire de Bratholo dans "Le Barbier de Sville", il a, dans cette comdie le mme rle.

LES RELATIONS COMPLICES

LA COMTESSE / SUZANNE Dans la premire scne de la pice, Suzanne prsente ses relations avec sa matresse sous le signe de la tendresse. En effet, elle rappelle Figaro que la Comtesse veut tre la premire la voir le jour de son mariage , srement pour lui

prodiguer conseils et encouragements et en ce sens elle a presque le rle de substitut de mre. L'acte II les runit seules pour la premire fois et la discussion qui les occupe tmoigne de leur entire complicit et de leur affection rciproque. La Comtesse appelle Suzanne du diminutif affectif "Suzon", la camriste "n'[a] rien cach Madame" quant aux propos que le comte lui a tenus, La Comtesse confie son dsarroi "Il ne m'aime plus du tout" et affirme sa dtermination aider Suzanne pouser Figaro ...je veux que tu pouses Figaro". Ds lors c'est une vritable alliance qui se conclue entre les deux femmes contre le mari et le matre. Elles vont jouer un rle important et se rvler tre, au fur et mesure que la pice progresse, bien meilleurs stratges que Figaro. Tout d'abord, la Comtesse recommande d'agir sous les directives de Figaro : "Lui seul peut nous y aider" (II,1). Mais lorsque Figaro renonce la stratgie du rendezvous (IV,1), elle ordonne Suzanne d'agir contre la volont de son futur mari, pour l'aider sauver son couple : "En me cdant ta place au jardin, tu n'y vas pas, mon cur ; tu tiens parole ton mari ; tu m'aides ramener le mien."(IV,3). Ds lors, s'tablit entre les deux femmes une complicit telle que, par le truchement du dguisement, la seule solution qui s'offre elles est l'change des identits : la frontire entre la matresse et la servante est abolie : le marquage social n'existe plus. Leurs changes sont par moment semblables ceux de deux "amies" : elles "chiffonnent" ensemble, elles jouent dguiser Chrubin en fille, la Comtesse prte sa guitare Suzanne pour qu'elle accompagne Chrubin dans sa romance ; lors de la crmonie du mariage de Figaro et de Suzanne, elles changent "des signes d'intelligence" (IV,9) Quand elles n'agissent pas ensemble, c'est tantt la Comtesse qui agit en faveur de Suzanne, tantt l'inverse. Ainsi, la scne 13 de l'acte II, Suzanne tourne en drision une situation qui aurait pu tre dramatique de consquences pour sa matresse lorsqu'elle prend la place de Chrubin dans le cabinet qui jouxte la chambre de la Comtesse aprs avoir pris soin de faire sauter le petit page par la fentre. Scne 24 de l'acte II, pour calmer la Comtesse qui craint que le Comte ne dcouvre Chrubin au chteau alors qu'il lui a donn l'ordre de partir, Suzanne va "recommander de le cacher si bien..." que personne ne pourra le dcouvrir. Scne 20 de l'acte II, la Comtesse presse son mari de clbrer le mariage de sa camriste : "Allons Monsieur le Comte, ils brlent de s'unir ; leur impatience est naturelle ; Entrons pour la crmonie". Ignorante de la scne de reconnaissance entre Marceline et Figaro, elle donne Suzanne une dot pour qu'elle puisse s'acquitter des sommes dues par Figaro Marceline et ainsi rendre impossible une union qu'elle rprouve.(III,17) ce qui provoque la colre du Comte : "au diable la matresse, il semble que tout conspire"(III,17) La Comtesse et Suzanne symbolisent l'entente parfaite possible entre le matre et le valet et forment un contrepoint sans quivoque au couple le Comte / Figaro. Beaumarchais s'carte ainsi du schma traditionnel de la relation conflictuelle dicte par la dpendance. Par ailleurs, si leur ingniosit a triomph de tous les piges qui leur taient tendus, c'est qu'elles taient dtermines sauver ce qui leur importe le plus : leur amour.

SUZANNE / FIGARO / LA COMTESSE Cette triple alliance est rendue ncessaire par le jeu de deux intrigues qui se croisent et se superposent ( l'imbroglio :" Deux, trois, quatre la fois ; bien embrouilles, qui se croisent. II, 2) mais qui ont un but commun : djouer les plans du Comte. Figaro et Suzanne veulent protger leur union, la Comtesse veut sauver son couple ; Or le comte en convoitant Suzanne est infidle sa femme ; Donc les deux valets et l'pouse vont unir leur force dans une lutte commune : c'est aussi logique qu'un syllogisme. Outre la stratgie qu'ils laborent ensemble, la scne 21 de l'acte II est tout fait rvlatrice de leur complicit : tandis qu'Antonio vient se plaindre qu' un homme a abm les fleurs de son jardin en sautant de la fentre de la chambre de la Comtesse, un dialogue en apart se met en place : c'est d'abord Suzanne qui a l'initiative : Suzanne, bas Figaro. - Alerte, Figaro ! Alerte. [...] - Dtourne, dtourne. et Figaro va effrontment affirmer que c'est lui qui a saut, sauvant ainsi Chrubin et la Comtesse. Puis, propos du papier ramass dans le jardin qui compromet Chrubin, c'est la comtesse qui intervient d'abord : La Comtesse, bas Suzanne. - Le cachet Suzanne, bas Figaro.- Le cachet manque Figaro - C'est... qu'en effet il y manque [...] le sceau de vos armes. Le Comte, rouvre le papier et le chiffonne de colre. Le Comte est oblig de se rsigner et de subir une situation qu'il n'arrive pas matriser : seul contre trois, ayant pour seul tmoin un jardinier ivrogne, la lutte est volontairement ingale.

LE MARIAGE DE FIGARO, UNE COMEDIE AMBIGUE

UNE COMEDIE GAIE "La Folle Journe" est une comdie domine par "l'ancienne et franche gaiet" : celle des caractres de Suzanne et de Figaro, celle des situations et celle du verbe. Beaumarchais use de tous les ressorts du comique, en fidle hritier de la farce, de la commedia dell'arte et de la comdie moliresque.

Le comique de gestes : nous proposons une srie de rfrences titred'exemple.

- L'change des rvrences entre Suzanne et Marceline (I,4), traduit sur le mode plaisant l'antagonisme entre les deux femmes.- Figaro qui se prosterne " genoux, ventre terre" (V,18).- Le Comte "une pince la main", se transforme en serrurier du chteau. - "Il pleut des soufflets" : c'est Suzanne qui donne le premier Figaro ( III, 8) et qui s'amuse (V,8) en distribuer en cascade, pour se venger du peu de confiance de son mari : "Et voil pour tes soupons ; voil pour tes vengeances et pour tes trahisons...." - C'est Figaro qui reoit le soufflet que le Comte destinait Chrubin (V,6) - Le Comte reoit le baiser qui tait destin la Comtesse ( dguise en Suzanne) par Chrubin.

Le comique de mots : il est de loin celui qui domine la pice.- On joue avec les mots : Antonio considre que sa rputation de jardinier "est effleure"(III,21) parce que ses fleurs ont t pitines. Figaro, apprenant que "le badinage est consomm", voudrait qu'il en ft de mme de son mariage - Balbutier devient "balbucifrer"(III,15) pour le jardinier qui ne comprend pas ce qui se passe. - Pour Figaro, Bazile n'est pas un musicien faire "briller" un chanteur, mais le faire "brailler". La contreptrie en dit long sur le peu d'estime de Figaro pour le matre de musique ! - Tous deux se livrent un change d'injures, sur le rythme endiabl de la stichomythie :(IV,10) Figaro, vite - Un musicien de guinguette ! Bazile, vite - Un postillon de gazette ! Figaro, vite - Cuistre d'oratorio ! Bazile, vite - Jockey diplomatique ! - Bartholo et Figaro, lors du procs (III,15) ,se lancent dans une joute oratoire pdante quant l'emploi de "la conjonction copulative ET qui lie les membres corrlatifs de la phrase" ou de "la conjonction alternative OU". - Bazile et Figaro pastichent les proverbes: sur le mode du calembour ( bien nanti pour bien n) : Figaro - Gaudeant bene nati / Bazile - non, gaudeant bene nanti ; sur le mode de la "rnovation" : (I, 11) Figaro - "Tant va la cruche l'eau qu' la fin ".../ Bazile - "Elle s'emplit" et (II, 13) : Bazile - "Je n'irai pas lutter contre le pot de fer moi qui ne suis"... / Figaro - "Qu'une cruche"

- Tout un jeu d'aparts se met en place scne 7, acte V, tandis que le Comte et la Comtesse ( dguise en Suzanne) discutent de la ncessit pour une femme de tout faire pour garder sa mari : Le Comte - ..." on l'oublie trop" La Comtesse - "Ce ne sera pas moi" Le Comte - "Ni moi" Figaro, part - "Ni moi" Suzanne, part - "Ni moi" Le Comte - ... "Il y a de l'cho ici..." - Quelques bons mots retenir : Suzanne : " Prouver que j'ai raison, c'est accorder que je puis avoir tort." ; " Je lui dis tout hors ce ce qu'il faut taire" (III,9) ; "La jalousie de Madame est aussi connue que ses droits sur Figaro sont lgers" (I,5 en parlant de Marceline) Figaro : "Ce n'est pas moi qui mens, c'est ma physionomie" (II,20) ; "Un plus adroit serait rest en l'air" ( propos de sa chute) ; "... pdant, pdant et demi" ; toute la tirade sur la dfinition de la politique ( III,5) joue sur les antithses" Feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore [...] tcher d'ennoblir la pauvret des moyens par l'importance de l'objet"; "Il ne me restait plus qu' voler ; je me fais banquier de pharaons" (V,3) Antonio "[...] je ne suis pas assez bte, moi, pour renvoyer un si bon matre" (II,21)

Le comique de situation - La scne 8 de l'acte I, offre un exemple trs intressant de comique de situation : la scne se passe dans la chambre de Suzanne, elle s'entretient avec Chrubin. Surpris par l'arrive du Comte, Chrubin se cache derrire le fauteuil sur le quel Suzanne jette une robe. L'arrive impromptue de Bazile contraint le Comte trouver une cachette : une longue didascalie nous prcise le jeu scnique : "Suzanne lui barre le chemin ; il la pousse doucement, elle recule, et se met ainsi entre lui et le petit page ; mais pendant que le Comte s'abaisse et prend sa place, Chrubin tourne et se jette sur le fauteuil genoux, et s'y blottit. Suzanne prend la robe qu'elle apportait, en couvre le page, et se met devant le fauteuil?" Ainsi le Comte ignore-t-il la prsence du petit page qui a entendu tout ce qu'il a dit Suzanne, et tous deux vont tre tmoins de la conversation entre Bazile et Suzanne.- L'acte V a recours aussi aux cachettes, mais la scne est rendue plus complexe par le jeu des quiproquos gnrs par les dguisements : le Comte croit entraner Suzanne et Figaro croit parler la Comtesse. Ce spectacle est amusant pour le spectateur qui est dans la confidence et instaure une relle complicit avec les deux femmes qui entendent des propos qu'elles n'auraient jamais d entendre. - D'autres scnes de quiproquo sont moins comiques : c'est le cas lorsque Suzanne se mprend quant au baiser que Figaro donne Marceline ou quand Figaro pense que le billet remis au Comte est de Suzanne. - Comique de situation aussi, lorsque Figaro dit Brid'oison, demi-mots qu'il a eu sa femme pour matresse ( dans l'intertexte qui spare "Le Barbier de Sville " du

"Mariage de Figaro") et que l'enfant qu'il chrit est le fruit de l'adultre". Mais le juge ne comprend rien.

Le comique de caractres nat du contraste entre le personnage et sasituation. - C'est le cas de Brid'oison, juge ridicule qui illustre la discordance entre le srieux de son mtier et son incomptence. - C'est Bazile qui se croit un grand musicien alors qu'il n'est qu'un "musicien de guinguette". - C'est le Comte, grand Seigneur et matre du chteau, qui crie, tape du pied et est prt, une pince la main, dfoncer la porte du "cabinet". - C'est Antonio qui dit au Comte qu' "on jette toutes sortes de choses par ces fentres ; et tout l'heure on vient d'en jeter un homme."(II,21) - C'est Figaro qui juste aprs avoir affirm sa mre "Si Suzanne doit [le] tromper un jour, [il] le lui pardonne par avance" (IV,12)" se laisse gagner par une colre jalouse.

La mise en abyme- Nous assistons par endroit de vritables scnes de comdie dans la comdie. Ainsi,scne 19 de l'acte II, la Comtesse feint d'avoir jou une farce son mari qui, voyant Suzanne sortir du "cabinet" dclare : "... vous jouez fort bien la comdie". Ds lors elle va jouer la comdie de la femme choque et due de la mfiance jalouse de son mari, en prenant soin "d'assur(er] son ton par degr" - Scne 11, acte I, rappelle que pour la crmonie de son mariage,"Il faut bravement nous accorder ; ne faisons point comme ces mauvais acteurs qui ne jouent jamais si mal que le jour o la critique est la plus veille ... Sachons bien nos rles aujourd'hui." - Les dernires scnes de l'acte V, par le truchement des dguisements est une farce pour le Comte et pour Figaro ; puis Suzanne, ayant manqu son rle en oubliant de masquer sa voix va tre identifie par Figaro et tous deux, vont regarder le spectacle du comte se faisant abuser par sa femme.

La gaiet : une philosophieIl est indubitable que le spectateur rit beaucoup. La gaiet est une disposition naturelle chez Suzanne et chez Figaro et le ton du badinage domine le plus souvent leurs conversations. Mais la gaiet est plus qu'une tradition littraire, elle devient un vritable art de vivre voire une philosophie pour Figaro. Dj dans "Le Barbier de Sville", il rpondait au Comte qui l'interrogeait sur l'origine de sa gaiet : " L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'tre oblig d'en pleurer." - De fait, la joie de vivre gnre chez le personnage un optimisme qui l'aide triompher de la ncessit comme il le confie dans son monologue : "[...] laborieux par ncessit mais paresseux... avec dlices."(V,3). Opportuniste, il s'adapte aux diffrentes situations "Valet ici, matre l, selon qu'il plat la fortune". Personnage pragmatique, il est conscient qu'il faut possder "un savoir faire plus qu'un grand savoir" et il devient le matre incontest de la ruse.

- Bouffon qui fait rire par ses bons mots et par ses pitreries, il amuse le spectateur qui partage le sentiment de Suzanne : "J'aime ta gaiet parce qu'elle est folle"(IV,1), mais il devient grave quand il s'interroge sur sa gaiet : " Je dis ma gaiet, sans savoir si elle est moi"(V,3). - Ainsi la gaiet devient-elle un thme de rflexion de la pice et, rire de tout n'est pas possible, mme lorsqu'on s'appelle Figaro. Force est de constater que bien souvent, au cours de la pice, la gaiet, le rire, sont des moyens pour dtourner une situation et viter qu'elle ne devienne tragique. Beaumarchais explique dans sa prface qu'il suffisait de mettre "un poignard la main de l'poux outrag" pour que la comdie soit "une tragdie bien sanguinaire".

UNE COMEDIE AUX FRONTIERES DU DRAME La pice de Beaumarchais obit au schma classique de la comdie : un mariage annonc est contrari et il faudra vaincre les obstacles pour qu' la fin, le mariage puisse avoir lieu. Nanmoins, il aurait fallu peu de choses pour que cette comdie ne tourne au drame. D'abord, l'obstacle majeur est une atteinte la morale , la biensance, l'ordre social, l'honneur et la dignit, c'est--dire autant de motifs qui portent atteinte l'intgrit de la personne et que l'on retrouve dans des pices tragiques ( Rodrigue ne peut pouser Chimne au nom de l'honneur : on n'pouse pas l'assassin de son pre et on n'est pas digne de se marier si on n'a pas veng l'honneur bafou de son propre pre.) De plus, plusieurs reprises au cours de la pice, des pripties viennent contrarier les actions des personnages et la tension devient telle que toute issue heureuse semble impossible. Ainsi, si l'acte II s'ouvre sur une sance de dguisement au cours de laquelle, la Comtesse, Suzanne et Chrubin s'amusent beaucoup, l'arrive inattendue du Comte provoque une inquitude, une angoisse telle que la comtesse est contrainte d'avouer que Chrubin est cach dans son cabinet. Jalousie, colre, cris incontrls chez le Comte, trouble grandissant, dsespoir, supplications pour la comtesse, le temps n'est plus de rire mme des attitudes dmesures du Comte, tant la comtesse nous meut : donner raison aux inquitudes de son mari et compromettre son honneur pour un jeu invitent la piti. Certes la scne, grce l'ingnue Suzanne, se termine bien, mais nous avons frl le drame. Le dsir de Marceline a failli engendrer un inceste. Le long monologue de Figaro, par son contenu, sa tonalit pathtique sied mal une comdie lgre. Beaucoup s'accordent dire que ce monologue est proche de la parabase de la tragdie antique et si Figaro nous a beaucoup amus jusqu' la fin de l'acte IV, force est de constater que le lecteur/spectateur est enclin plaindre ce valet qui ne sait lus qui il est et o il va. Enfin, si la comdie, par tradition littraire tudie les caractres des personnages , la comdie de Beaumarchais tudie davantage les conditions sociales et morales de ses personnages et en cela, il se rapproche du "genre dramatique srieux". Il considre que "la comdie lgre" privilgie le rire en offrant " la rise publique un pdant, un fat...un imbcile... en un mot tous les ridicules de la socit". Mais ce qui importe l'auteur de thtre, c'est de prsenter "des sujets touchants" qui invitent la rflexion et qui aient pour objet une morale. Au "rire

bruyant ennemi de la rflexion", Beaumarchais prfre "l'attendrissement" et on ne peut nier que certaines scnes nous attendrissent bien plus qu'elles ne dclenchent des rires fracassants.

UN THEATRE DE SOCIETE

La satire de la justice : L'acte III consacre plus de quatre scnes au procs qui oppose Figaro Marceline (scnes 12,13,14,15, et une partie de la scne 16), ce qui peut paratre disproportionn par rapport son enjeu. Certes, ce procs nous est annonc ds le dbut de l'acte I et nous savons combien il importe Marceline de le gagner pour pouvoir pouser Figaro. Par ailleurs, il devient un moyen pour le comte de ruiner les espoirs de mariage entre Figaro et Suzanne. Mais le droulement mme du procs et sa mise en scne cachent mal les vritables intentions de Beaumarchais, savoir rgler ses propres comptes avec une justice injuste. Marceline (12) dplore le principe de recrutement des juges : tre juge ne dpend en rien de la comptence mais de la possibilit matrielle d'acheter une charge : "C'est un grand abus que de les vendre" ce qui d'ailleurs consterne le juge Brid'oison qui pense qu'"on ferait mieux de [...]les donner pour rien"( !!!) Le choix du juge est rvlateur de l'intention satirique : Ridicule par son nom : Brid'oison signifie " oison brid", c'est dire une jeune volaille qui on a pass une baguette dans le bec pour l'empcher de franchir le poulailler. Son prnom : GUSMAN est homophonique de GOEZMAN, juge alsacien contre lequel Beaumarchais a soutenu un procs pour corruption. Son dfaut d'locution, le bgaiement, sied mal qui doit faire preuve d'loquence. Ridiculement sot, il transforme l'absence de patronyme en patronyme et Figaro "fils de personne"devient: " anonyme Figaro". Il affiche son incomptence en rtorquant au Comte, qui venait de lui faire remarquer que "En robe ici, seigneur Brid'oison..."(III,14) tait un habit inutile pour une affaire domestique, "Tel rit d'un juge en habit court qui-i tremble au seul aspect d'un procureur en robe"(III,14).( Monsieur de La Fontaine auriez-vous crit en vain " que l'habit ne fait pas le moine" !!! Mais on peut pas exiger des juges qu'ils soient cultivs !!!) Le personnage de Double-Main ,qui comme l'illustre son nom cumule deux charges, celle de greffier et celle de secrtaire du juge, dnonce ce que l'on appellerait aujourd'hui "le cumul des mandats" et la vnalit de la justice. Beaumarchais nous offre une vritable parodie de procs qui atteint son paroxysme lorsque Bartholo, avocat de Marceline et Figaro, avocat de lui-mme, s'opposent dans une joute verbale dont l'enjeu est l'emploi de "la conjonction copulative "et" ou l'emploi de "la conjonction alternative "ou". Enfin, Le jugement rendu par le Comte est tel que la justice est tourne en drision et devient un moyen officiel de servir des intrts personnels sans lien aucun avec l'objet du procs. En effet, en condamnant Figaro " payer deux mille piastre fortes la demanderesse ; ou bien l'pouser dans le jour", Le comte condamne Figaro pouser Marceline : il sait que son valet est dans l'impossibilit de s'acquitter d'une telle somme. D'autre part, en demandant l'excution immdiate de la sentence, il s'autorise toute libert avec Suzanne, devenue libre de tout lien malgr elle.

La critique des privilges Le vritable sujet de la pice est, "la disconvenance sociale"( petite histoire d'une trilogie), c'est--dire, l'abus de pouvoir que le Comte exerce sur ses "vassaux". La relation hirarchique fodale qui justifie une relation dominant/domin est remise en cause et dnonce , non seulement par ceux qui la subissent mais aussi par la Comtesse : il s'agit ds lors de dmontrer que cette relation n'a plus lieu d'tre une poque en pleine mutation sociale ( rappelons que l'action de la pice se situe en 1768). Figaro est le personnage qui, de loin ose dire haut et fort ce que les autres dplorent : il est l'interprte des valets opprims. Dans son monologue ( V,3) il dnonce le privilge de la naissance qui prside aux autres privilges : "Parce que vous tes un grand seigneur, vous vous croyez un grand gnie ! ... noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fier ! Qu'avez-vous fait pour tant de biens ! vous vous tes donn la peine de natre, et rien de plus." L'absence de relation de cause effet entre l'appartenance une classe sociale et l'intelligence, l'orgueil de classe, le pouvoir de l'argent, mettent en vidence, non seulement la "btise" de certains nobles mais aussi l'injustice de leur situation d'autant qu'elle n'est due qu'au hasard de la naissance .( c'est ce que rappelle le VIIme couplet du vaudeville qui clt la pice :" Par le sort de la naissance,/L'un est roi, l'autre est berger...") Etre noble c'est avoir tous les pouvoirs sans pour autant les mriter et tre incapable d'en user avec discernement. Figaro condamne cette socit qui repose sur des acquis sans fondements et il oppose sa valeur la mdiocrit du Comte : "Du reste homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu !"L'vocation des divers mtiers qu'il a exercs et les difficults qu'il a rencontres pour mener bien ses entreprises sont autant d'exemples qui attestent l'nergie qu'il a due dployer et l'intelligence et de la ruse dont il a d faire preuve pour ne pas se laisser anantir :"Perdu dans la foule obscure, il m'a fallu dployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu'on n'en a mis depuis cent ans gouverner toutes les Espagnes." Figaro remet en cause l'ordre social sur un ton amus qui relve de l'humour grinant. Ainsi, lorsque le Comte dplore que "les domestiques sont plus longs s'habiller que les matres", Figaro s'empresse de lui rpondre que "c'est parce qu'ils n'ont pas de valets pour les y aider." Pour russir dans une carrire, il ne faut pas avoir de l'esprit mais tre "mdiocre et rampant." (V,3) ce qui confirme la caricature qu'il fait du courtisan : "Recevoir, prendre, et demander, voil le secret en trois mots" (II,2) La dfinition qu'il propose de la politique insiste sur son hypocrisie,sa btise,son inutilit, ses incomptences : "Feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore ; d'entendre ce qu'on ne comprend pas, de ne point our ce que l'on comprend[...] s'enfermer pour tailler des plumes et paratre profond, quand on est, comme on dit, vide et creux [...] rpandre des espions et pensionner des tratres..."(III,5) Si les valets manquent la morale et ont recours la ruse c'est parce qu'ils n'ont pas le choix et que pour survivre, ils sont obligs de se battre . Au Comte qui lui reproche de ne "jamais aller droit", Figaro rpond "Comment voulez-vous ? La foule est l : chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse, arrive qui peut ; le reste est cras..."(III,5)

Enfin, Figaro considre que la supriorit sociale ne permet pas le non respect d'autrui . "[...]n'humilions pas l'homme qui nous sert bien, crainte d'en faire un mauvais valet."(III,5), telle est la leon de sagesse qu'il donne son matre qui tente de lui dmontrer que seul l'appt du gain dicte sa conduite.

Libertinage et ordre social

Au dix-septime sicle, les libertins taient, selon la dfinition de Luce Rudent, de "jeunes nobles dbauchs, rudits et critiques l'gard des traditions et de l'autorit". Affranchis de toute considration d'ordre moral, ils poursuivent le plaisir sans tenir compte des obligations et des convenances. Opportunisme, plaisirs picuriens, absence de morale , frivolit, tels sont les termes qui caractrisent les libertins . Le Comte correspond en tous points cette dfinition : ngligeant la fidlit conjugale, il convoite, pour se divertir, une femme qui ne lui appartient pas mais qu'il peut obtenir en faisant fi des convenances sociales et morales et en ne suivant que les lois de la nature, c'est--dire son plaisir. Ce libertinage menace l'ordre du chteau d'Aguas-Frescas : les lois sont transgresses( celle du mariage, du droit du seigneur) et deux couples sont dchirs.L'ordre social est renvers : le valet qui doit obissance son matre va tout mettre en uvre pour djouer ses plans. En affrontant son matre, Figaro rompt le pacte social qui dterminait leurs relations. La Comtesse va droger sa position sociale en scellant une alliance avec sa camriste ; elle va se moquer publiquement de son mari en empruntant le costume de Suzanne la fin de l'acte V. Le Comte sera oblig de constater qu'il y a " de la libert chez [ses]vassaux (III,4) et de fait, tous vont bafouer ses ordres en cachant et en protgeant Chrubin, injustement renvoy du chteau par la jalousie du Comte. Aussi peut-on lire dans cette comdie un vritable dsordre o chacun n'est plus la place qui lui est normalement attribue. Il faudra attendre la fin de la pice pour que l'ordre soit rtabli.Chacun retrouve sa vraie place et "tout finit-it par des chansons"(V,19)

Outre que le retour l'ordre tabli condamne le libertinage, Beaumarchais, en mettant le Comte, plusieurs reprises, en situation d'chec, illustre la vanit et l'impudence de ses intentions. Ainsi, la scne 16, de l'acte III, la reconnaissance mre/fils est "un sot vnement qui [le]drange" ; scne 17 de l'acte III, il lui "semble que tout conspire"; scne 4 de l'acte III, il se rend compte que "le fil [lui]chappe" et scne5 de l'acte V, il pense qu' "il y a un mauvais gnie qui tourne tout ici contre moi." Enfin, condamn demander publiquement pardon sa femme ( II, 19 et V,19), le Comte est oblig de reconnatre qu'tre matre et mari ne donne pas tous les droits.

La femme dans la socit du XVIIIme sicle La pice de Beaumarchais, insiste sur les caractristiques de la situation de la femme: : l' absence de droits juridiques pour la femme marie qui la place sous la totale dpendance matrielle de son mari et et la primaut du dsir de l'homme

auquel la jeune fille doit se soumettre. Marceline part en guerre contre ces tats de fait et devient la porte-parole des femmes. Ds la scne 4 de l'acte I, elle dresse un portrait de la femme qui en dit long sur sa prcarit : "Sois belle si tu peux, sage si tu veux ; mais sois considre, il le faut" Le problme du respect de la femme domine la pice : Suzanne veut que son dsir soit respect, Marceline attend depuis de longues annes que Bartholo rpare l'injustice qui lui a t faite ( matresse mais pas pouse), la Comtesse se bat pour retrouver son honneur et ne plus tre une femme trompe. Elle se lance dans un long rquisitoire contre les hommes(III,16), les accusant d'user des femmes pour leur seul plaisir en abusant de leur pauvret : "... les sducteurs nous assigent pendant que la pauvret nous poignarde, que peut opposer une enfant tant d'ennemis rassembls ?" Elle dnonce ensuite le mpris dont elles sont payes pour avoir assouvi leurs dsirs : "Hommes plus qu'ingrats, qui fltrissez par le mpris les jouets de vos passions, vos victimes" Elle demande justice et qu'ils soient reconnus coupables : "C'est vous qu'il faut punir des erreurs de notre jeunesse." Elle s'insurge contre le pouvoir des hommes sur leur femme et contre l'ingalit dont elles sont victimes : "...les femmes n'obtiennent de vous qu'une considration drisoire ; leurres de respects apparents, dans une servitude relle ; traites en mineur pour leurs biens, punies en majeur pour leurs fautes..." Si Marceline exprime une critique personnelle, trs vite le "Je" se transforme en "nous" et son discours devient celui de toutes les femmes, qu'importe leur milieu social, puisque " Dans les rangs mme plus levs" les femmes souffrent des mmes contraintes. Enfin, en accusant les hommes, c'est le procs de la socit que nous offre Marceline . Si les femmes sont obliges de se prostituer, c'est parce que le travail qui leur tait rserv ( la broderie) est donn aux hommes : "Elles avaient un droit naturel toute la parure des femmes : on y laisse former mille ouvriers de l'autre sexe." Il faut donc que les femmes se soutiennent entre elles contre les hommes : la Comtesse, Suzanne, puis Marceline uniront leurs volonts et leurs ruses pour lutter contre l'emprise des hommes (mme de Figaro puisqu'il sera exclu de la dernire ruse et Suzanne agira contre sa volont.) : "... nous sommes toutes portes soutenir notre pauvre sexe opprim, contre ce fier, ce terrible.. (en riant) et pourtant un peu nigaud de sexe masculin."(IV,16)

CONCLUSION Mme si tout ce que Figaro avait prvu "n'est pourtant pas arriv" ( IV,1), mme si Figaro est oblig de constater que "le hasard a fait mieux que nous tous... : ainsi va le monde ; on travaille, on projette, on arrange d'un ct ; la fortune accomplit de l'autre..." (IV,1), il n'en demeure pas moins vrai que le hasard a t provoqu et qu'il n'a servi que les valets et la sagesse et non les projets du Comte. "Le Mariage de Figaro", c'est le triomphe des humbles sur les puissants, c'est la victoire du bon sens et de la morale, c'est la faillite de la suprmatie du pouvoir de l'argent, de la noblesse . La dfaite du Comte Almaviva consacre la supriorit du hros populaire et lui dcerne ses lettres de noblesse : noblesse du cur contre noblesse sociale,

puret des intentions contre libertinage honteux, respect des lois contre abus de pouvoir, sont autant de coups assens la disconvenance sociale. Beaumarchais s'tait donn pour but de corriger en amusant : "chaque rle important a quelque but moral", prcise-t-il dans sa prface et si Figaro fait rfrence Alceste en fredonnant "J'aime mieux ma mie, gu !" , c'est peut-tre pour que le lecteur /spectateur, par le jeu de l'intertextualit, ne se mprenne pas sur la lgret apparente de cette comdie.