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Le Maroc, en transition démographique

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Page 1: Le Maroc, en transition démographique

Robert Escallier

Le Maroc, en transition démographiqueIn: Méditerranée, Tome 81, 1-2-1995. Dynamiques actuelles de la population dans les pays méditerranéens. pp.107-112.

RésuméL'engagement de la population marocaine dans la deuxième phase de la transition démographique est très avancé et paraîtirréversible. Pourtant, l'élément le plus caractéristique est le différentiel de comportement selon les milieux de résidence et lesrégions. Malgré l'imperfection des données, il a été possible de souligner à la fois :- les lourds retards des campagnes et des régions périphériques (montagnes et zones arides) où perdurent des pratiquestraditionnelles à l'égard de la fécondité,- la remarquable transition de la fécondité en milieu urbain, dans les domaines socio-spatiaux ouverts aux modernisations,significative d'une meilleure participation des femmes (scolarisation et travail) à la vie de la cité.

AbstractThe entry of the Moroccan population in the second stage of the demographic transition is well advanced and seems irreversible.Yet, the most characteristic element is the differencial of behaviour in accordance with the residence habitats and the regions. Inspite of the shortcoming of the date it has been possible to underline at the same time :- the heavy gaps of the countries and the outlying regions (mountains and barren zones) where were lost traditional practicestowards fecundity,- the remarkable transition of the fecundity in urban centre, in the socio-spatial fields open to modernizations, suggestive of abetter participation of women (schooling and work) to the life of the city.

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Escallier Robert. Le Maroc, en transition démographique. In: Méditerranée, Tome 81, 1-2-1995. Dynamiques actuelles de lapopulation dans les pays méditerranéens. pp. 107-112.

doi : 10.3406/medit.1995.2881

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medit_0025-8296_1995_num_81_1_2881

Page 2: Le Maroc, en transition démographique

107 Méditerranée N° 1.2 - 1995

Le Maroc, en transition démographique

Robert ESCALLIER*

Résumé ■ L'engagement de la population marocaine dans la deuxième phase de la transition démographique est très avancé et paraît irréversible. Pourtant, l'élément le plus caractéristique est le différentiel de comportement selon les milieux de résidence et les régions. Malgré l'imperfection des données, il a été possible de souligner à la fois : - les lourds retards des campagnes et des régions périphériques (montagnes et zones arides) où perdurent des pratiques traditionnelles à l'égard de la fécondité, - la remarquable transition de la fécondité en milieu urbain, dans les domaines socio- spatiaux ouverts aux modernisations, significative d'une meilleure participation des femmes (scolarisation et travail) à la vie de la cité.

Abstract - The entry of the Moroccan population in the second stage of the demographic transition is well advanced and seems irreversible. Yet, the most characteristic element is the differencial of behaviour in accordance with the residence habitats and the regions. In spite of the shortcoming of the date it has been possible to underline at the same time : - the heavy gaps of the countries and the outlying regions (mountains and barren zones) where were lost traditional practices towards fecundity, - the remarkable transition of the fecundity in urban centre, in the socio- spatial fields open to modernizations, suggestive of a better participation of women (schooling and work) to the life of the city.

Comme dans les autres pays du Monde arabe, le vingtième siècle aura été pour le Maroc, celui d'une vertigineuse expansion démographique. D'environ cinq millions d'habitants en 1900, la population pourrait approcher les 30 millions en l'an 20001. Elle aura, ainsi, été multipliée par six en cent ans.

Le rythme de croissance a progressé jusqu'au début des années soixante-dix, entraîné par la baisse de la mortalité ; le ralentissement modéré, constaté depuis, est dû à la réduction de la fécondité, événement majeur dans l'histoire des populations (Tabl. 1).

TABL. 1 - EVOLUTION DE LA POPULATION MAROCAINE (EN MILLIONS D'HABITANTS) ET RYTHME DE CROISSANCE (MOYEN ANNUEL EN %)

Année Population Accroissement moyen annuel

1900 5

0,64

1912 5.4

1,01

1926 6,2

1936 7,1

1,36

1952 9.45

1,8 2,18

1960 11.2

2,83

1971 15.3

2,57

1982 20.4

1994 26,6

2,48 Source : R. Escaluer in Le Maghreb : Hommes et espaces. 1987.

* Centre de la Méditerranée Moderne et Contemporaine, Université de Nice-Sophia Antipolis, Nice.

Page 3: Le Maroc, en transition démographique

108

1 - DIMENSION GEOGRAPHIQUE DE LA MORTALITÉ DIFFÉRENTIELLE.

Le taux brut de mortalité, environ 7 %o en 1993, situe le Maroc à un niveau intermédiaire au sein du monde arabe où les taux varient entre 3 %o (principautés du Golfe) et 15 %o (pays pauvres de la périphérie : Mauritanie, Soudan...). L'espérance de vie à la naissance est supérieure à 65 ans ; la surmortalité masculine est modérée, estimée à 2,7 ans : 63 ,7 ans contre 66,4 ans pour le groupe féminin, en 1987.

Depuis 1962,1a vie moyenne a gagné 18 années. La progression résulte de la diminution, sensible quoiqu'iné- gale, de la mortalité des jeunes enfants. Ainsi, le quotient de mortalité infantile a" chuté de 149 %o en 1962, à 91 %o en 1980 et à 57,4 %o en 1987-91 (ENPS 1992) ; dans le même temps, le quotient de mortalité juvénile (4Q1) est passé de 96,2 à 20 %o. Dans la lutte contre la maladie et la mort, le Maroc a progressé, ayant pu à la fois améliorer l'organisation et le fonctionnement du système de santé, et assurer un meilleur développement économique et social.

Pourtant, de nombreux points faibles demeurent ainsi que le démontrent le poids, encore excessif, des décès infanto-juvéniles, et les trop grandes inégalités selon les milieux sociaux et résidentiels. Les populations citadines jouissent de nombreux avantages comparatifs, particulièrement celles des grandes villes où sont installés la plupart des moyens de lutte contre la mortalité : équipements hospitaliers et sanitaires, forte concentration des médecins et des pharmaciens... De plus, les ménages y bénéficient d'un niveau économique et culturel supérieur à la moyenne nationale (Tabl. 2)

Le critère «lieu de résidence» demeure une caractéristique discriminante de la mortalité, surtout infanto- juvénile. L'écart de l'espérance de vie à la naissance entre les villes et les campagnes s'élève à 7,7 ans en 1 987, tandis que la mortalité juvénile des campagnes est trois fois plus élevée que celle du milieu urbain. Malgré quelques progrès, le Maroc rural conserve, vis-à-vis du Maroc urbain, un très grand retard.

La carte de la mortalité infantile par province, établie à partir des données relatives aux naissances et aux décès des douze derniers mois du recensement de 1982, suggère les violents contrastes qui caractérisent la société et l'espace régional marocain (fig. 1).

Le quotient de mortalité infantile provincial variait de 50 %o (Préfecture de Rabat) à 141 %o (province de Chefchaouen).

Les aires de mortalité infantile aiguô forment un vaste domaine régional comprenant toutes les zones arides et de montagnes, et ceinturant les plaines et les bas pays ouverts sur l'Atlantique. Les régions du Rif, des montagnes atlasiques et du Sud intérieur sur lesquelles pèsent les multiples précarités propres aux espaces périphériques, éloignés et en partie délaissés, sont particulièrement affectées.

Les régions de basse mortalité infantile (relative) constituent deux ensembles inégaux nettement distincts et de moindre superficie. Le principal se confond avec la conurbation atlantique et les arrières-pays de Casablanca et de Rabat, avec les plaines atlantiques de la Chaouïa et des Doukkala et les riches espaces agricoles du Rharb et du Sais. L'extrême nord-est, les pays deNadoretd'Oujda, est un autre domaine de faible mortalité infantile.

Rabat. Casablanca

Espaces avantagés | 1 50à69%» | | 70à89%o

Espaces attardés à très haute MA. 90 à 109%. plus de 110%.

FIG. 1 - MORTALITÉ INFANTILE %e ET ESPACE PROVINCIAL 1981-82

TABL. 2 - MORTALITÉ ET MILIEUX DE RÉSIDENCE

Monde urbain Monde rural

Espérance de vie à la naissance

en 1987 69,7 ans 62,0 ans

Quotient de mortalité infantile 1987-1991 43,5 %o 64,8 9k

Quotient de mortalité juvénile 1987-1991 16,4 %o 51,0 %o

Taux brut de mortalité 1987 4,7 %o 9,4 %o

Source : ENDPR 1986-88. D.S. - ENPS 1992 MSP.

Page 4: Le Maroc, en transition démographique

109 Ainsi, de façon générale, la carte de la mortalité

infantile dessine les grandes lignes de force de l'espace marocain. Les zones de basse mortalité appartiennent aux régions les mieux desservies, les plus riches, placées sous forte influence urbaine, ouvertes à la circulation dense des marchandises, des idées et des hommes. Plusieurs indices suggèrent que certaines populations régionales bénéficient de meilleures conditions de vie et d'un statut de la femme plus favorable (scolarisation plus intense, moindre nuptialité et descendance...). Ainsi donc, plusieurs provinces peuplées d'une majorité de familles rurales, sont parvenues à des niveaux de mortalité inférieurs à ceux constatés dans des provinces à

majorité citadine. Le milieu rural est loin d'être homogène, les fortes variations de la mortalité infantile régionale ne peuvent pas être attribuées uniquement à l 'urbanisation différentielle.

Tout indique qu'une réduction de la mortalité des plus jeunes enfants passe par la dynamisation des principaux secteurs économiques, sociaux et culturels du développement (nutrition, scolarisation, emploi, statut de la femme), réalisée dans le cadre d'une politique d'aménagement territorial, dont le pivot doit être la recherche de l'allégement du poids des inégalités spatiales.

2 - LA TRANSITION DE LA FECONDITE

L'Etat civil n'est pas encore en mesure d'assurer totalement son rôle d' information démographique. Néanmoins, il est possible d'estimer l'évolution de la fécondité selon les milieux de résidence, depuis une trentaine d'années, en utilisant les données fournies par les enquêtes démographiques, réalisées sous l'autorité de différentes institutions (Tabl. 3).

De 7,2 enfants par femme en 1962, l'indice synthétique de fécondité (I.S.F.) est parvenu au niveau de quatre enfants par femme, au début de la décennie 1990. Comparé à la moyenne des pays en voie de développement non africains et arabes, il demeure élevé; cependant, la baisse plus rapide que prévue, porteuse d'un projet de fécondité révisée, est significative des transformations qui brassent, en profondeur, la société. En effet, lente et hésitante jusqu'au milieu des années 1970, elle se réalise depuis à un rythme très rapide. Ces années marquent le décrochage de la fécondité marocaine.

L'intensité de la baisse varie d'un milieu de résidence à l'autre (fig. 2). Elle fut plus précoce (un décalage d'environ 15 ans) et plus intense en ville. De 1972 à 1988, l'I.S.F y a diminué de 4 enfants par femme citadine, contre 2,3 pour les femmes rurales. Au début de la prochaine décennie, la fécondité urbaine pourrait atteindre le seuil de remplacement. Déjà, dans les plus grandes villes et pas seulement dans les groupes les plus favorisés, économiquement et socialement, le modèle de la famille nucléaire avec deux enfants est popularisé.

La fécondité rurale accuse un lourd retard et a un indice supérieur au double de celui enregistré en ville; néanmoins, elle a amorcé un mouvement de baisse qui paraît, désormais, bien engagé.

Nb d'enfants/femme 8-

7

6

c _ o

A

Q

Q

>< \

\

Fécondité rurale \ \ Fécondité urbaine \ \ 1960 70 80 90 FIG. 2 - INDICE SYNTHÉTIQUE DE FÉCONDITÉ (IFS) SELON LES MILIEUX DE RÉSIDENCE DE 1962 À 1990 Maroc Monde urbain (1) Monde rural (2) Différence (1M2)

TABL.

1962 EOM 7,2

7.8

6,9

+ 0,9

3 - EVOLUTION DE L

1972-73 CERED 7,4

6,6

7,8

-1,2

1975-79 ENFPF 5,9

4,4

7.0

-2,6

•I.S.F. 1962-1990 (NOMBRE D'

1981-82 RGPH 5.5

4.3

6,6

-2,3

1881-83 ENPC 5,3

3,7

6,7

-3

1984-87 ENPS 4,6

3,2

5,9

-2,7

ENFANTS PAR FEMME)

1986-87 EDNPR 4,4

2.8

5.9

-3.1

1987-88 ENDPS 4,1

2.6

5.5

-2,9

1990 ENPS 4,2

Sources : EOM Enquêtes Objectifs multiples DS - CERED : Centre de Recherche et d'Etudes Démographiques (Rabat) DS ENFPF, Enquête Nationale Fécondité et de Planning familial. RGPH Recensement Général de la Population etde l'Habitat. ENPC Enquête Nationale de Prévalence Contraceptive. ENDPR Enquête Nationale Démographique à passages répétés. DS ENPS Enquête Nationale sur la Planification Familiale, la Santé et la Population, MSP.

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110

TABL. 4 - FÉCONDITÉ ET CONDITION DE LA FEMME

Année de référence

Monde urbain

Monde rural

Ensemble

Indice synthétique de fécondité (Nb d'enfants/femme) 1972-73 1981-82 1984-87 1987-88

6,6 4,3 3,2 2,6

7,8 6,6 5,9 5,5

7.4 5,5 4,6 4,1

Célibataires âgées de 15 ans et plus (%) 1960 1971 1982 1986-88

8,2 23,6 31,9 25,4

6,1 13,2 20,3 21,6

6,7 17,0 25,6 28,2

Age moyen des femmes au premier mariage (en années) 1960 1971 1982 1986-88

17,5 20,9 23,8 25,4

17.2 18,5 20,8 21,5

19,6 19,3 22,3 23,4

Taux d'analphabétisme (en % de la pop. de 10 ans et +) 1960 1971 1982 1991

88 68 57 49

99 98 95 87

96 87 78 68

Tx de prévalence contraceptive (femmes mariées 15-49 ans) 1967 1979-80 1983-84 1987 (ENPS) 1992 (ENPS) Taux brut d» 1960 1971 1982 1990

51,9 54,4

5 29,6 25,5 24,6 31,5

35,9 41,5

activité (en % population âgée de 15 ans et +) 11,3 17,3 21,6 22,6

6,7 9,9 12,9

6,9 8,0

11,6

Les facteurs de la baisse de fécondité et du différentiel entre les villes et les campagnes sont mieux connus. Le déclin de la fécondité dépend de l'efficacité du complexe socio-culturel moderne qui associe deux éléments déterminants de la promotion du statut de la femme marocaine : la scolarisation des jeunes filles et l'entrée des femmes sur le marché du travail (Tabl. 4).

La baisse de la fécondité est en phase avec la scolarisation féminine, le niveau de fécondité étant en relation inverse avec le degré d'instruction. La fécondité est réduite de plus de la moitié chez les femmes instruites par rapportaux femmes analphabètes (Tabl. 5).

L'instruction féminine influe non seulement sur les déterminants proches de la fécondité : l'âge au premier mariage, l'utilisation de moyens de contraception, mais aussi sur la santé des plus jeunes enfants. Le recul de six années de l'âge moyen au premier mariage des femmes (huit années en ville), réalisé en un quart de siècle, révèle le passage du modèle de nuptialité précoce au modèle de mariage plus tardif. La contribution de la nuptialité à la baisse de la fécondité est ainsi passée de 28 % en 1973 à 39 %en 1987tandisquecelledelacontraception grimpait

de 7 à 35 % ; la contribution de l'allaitement étant en nette régression, de 36 à 27 % (CERED, 1994).

En 1986-88, le taux de mortalité des enfants (de moins de un an) nés de mères analphabètes ou de niveau préscolaire, s'élevait à 78,7 %o contre 33,5 %o pour les nouveau-nés dont les mères avaient le niveau primaire ou plus.

De manière générale, l'instruction féminine est propice à l'égalisation de savoirs entre les sexes au sein du couple (réelle en milieu urbain) et à la réduction de l'âge entre les époux 2. Elle est l'instrument principal de la rupture avec les pratiques traditionnelles, notamment celle de la claustration, et de l'élargissement de l'expérience du vécu des filles, qui sont autant d'éléments capables de favoriser la transformation du modèle familial. Le passage à la famille nucléaire ne signifie pas, pour autant, l'abandon du rôle de la grande famille qui demeure l'espace sécurisant et englobant.

Le déclin de la fécondité devrait s'accentuer en raison de la plus grande participation des femmes au travail... rémunéré, promise dans un contexte d'urbanisation accrue (déjà plus de la moitié de la population vit en milieu urbain). L'enquête sur la population rurale de 1986-87 révèle que le taux d'activité féminin dépasse largement celui de citadines : 36,5 % contre 22,6 % (1990). Mais, la participation à l'activité productive des femmes ou des filles de fellah s'effectue presqu'exclusivement en tant qu'aides familiales et apprenties (84,4 %). Seule une minorité exerce un emploi rémunéré, contre 93,7 % en ville (CERED, 1992b). De fait, cette variable sensible de la transition de la fécondité doit être, dans les campagnes, replacée dans le contexte régional de modernisation économique et socioculturelle .

En ville, la proportion des femmes illettrées au travail est loin d'être négligeable (34,3 % du total); elles occupent de nombreux postes non qualifiés dans les industries de main-d'œuvre et dans le secteur des petites activités de service personnel ou domestique. La majorité des actives scolarisées dans le primaire et le secondaire (43,4 %) exerce dans les services : administration, santé, enseignement. Jusqu'à récemment, l'activité féminine, relativement forte dans le groupe d'âge 20-24 ans déclinait dans la classe 25-29 ans, puis s'effondrait à partir de 30 ans, décrivant une sorte de courbe «à deux bosses». L'enquête sur la population active urbaine (1992) démontre une évolution significative des comportements. Les sorties du travail pour raisons familiales -activité et nuptialité furent longtemps incompatibles- sont devenues moins fréquentes, et ne concernent plus ou fort peu les femmes actives qui possèdent un niveau de formation et de qualification élevé et exercent dans le secteur structuré moderne (Tabl. 6). De façon générale, les difficultés du quotidien, subies par le plus grand nombre des ménages, impliquent la préservation serrée de toutes les sources de revenu. La banalisation du travail féminin est accomplie et ne devrait pas être remise en cause. La nécessité aussi fait loi. Remarquons que la fréquence des

Page 6: Le Maroc, en transition démographique

111 TABL. 5 - FÉCONDITÉ ET INSTRUCTION FÉMININE (NOMBRE D'ENFANTS PAR FEMME)

Niveaux d'instruction 1981-83 1984-87

Secondaire et plus 2,2 2,3

Primaire

3,8 3,2

Aucun

5,8 5.2

Total

5,3 4,6

Source : CERED, 1992

femmes marocaines sur le marché de l'emploi représente un fait assez exceptionnel à l'échelle du monde arabe ; elle ne se retrouve qu'en Tunisie et au Koweït.

L'accélération de la transition de la fécondité est liée à la capacité de la société à offrir une place à la femme en tant que l'égale de l'homme aussi bien dans le domaine du savoir que dans celui du travail rémunéré. Pour y parvenir, l'effort principal devrait porter sur la scolarisation en milieu rural, particulièrement celle des filles3.

L'étude de la fécondité différentielle, réalisée au niveau provincial, vérifie la complexité des interrelations entre les variables socio-économiques qui déterminent les variations de la fécondité. Celles-ci, mesurées au début de la décennie 1980, dessinent deux grands domaines régionaux : les espaces à transition «avancée» et les espaces à «transition retardée» (fig. 3).

Au premier (à plus faible fécondité), appartiennent la région moyenne atlantique polarisée par la conurbation atlantique (wilayat de Casablanca et de Rabat) , provinces de Settat, de Khouribga, Ben Slimane, Khemisset et Kenitra), les régions dominées par de grandes villes (Meknès, Fès, Tanger, Oujda, Safi et Marrakech), les provinces du Moyen-Atlas (Khenifra, Ifrane) et celles du Nord-Est (Al Hoceïma, Nador). Ces espaces sont les plus urbanisés, caractérisés par les taux de scolarisation des filles les plus élevés ainsi que par la plus intense insertion des femmes sur le marché du travail et par des quotients de mortalité infantile relativement faibles. Ils sont aussi les plus riches (agriculture commerciale, centres industriels...) et les mieux équipés. Ici, les variables décisives de la transition démographique sont les plus favorables ; les modernisations et la promotion du statut de la femme ont contribué à diminuer la fécondité.

En 1962, les montagnes pastorales appartenaient aux zones à natalité basse, alors que l'ensemble régional septentrional -de la montagne rifaine (et Prérif) aux pays de la Basse Moulouya- enregistrait les plus hautes natalités (Noin, 1970), supérieures à 50 %o. Si les premières ont sans doute préservé leurs caractères anciens, relatifs à la plus grande instabilité des unions (taux élevé de divortialité), et leurs effets induits, la région «nord» a connu des changements profonds. Les provinces d'Al

Hoceïma, de Nador et d 'Oujda ont enregistré une baisse rapide de la fécondité. Les déterminants classiques, directs et proches, économiques et sociaux, ne restituent pas clairement les raisons de celle-ci. Mais, on observe que le seul événement important qui ait marqué profondément la vie des populations fut la migration internationale. Celle-ci a débuté massivement dans les années 1960, à la suite de l'arrêt des flux traditionnels vers l'Oranais, tournée exclusivement vers l'Europe occidentale. Depuis, elle représente la principale source de revenu des familles, intégrées dans un champ relationnel trans-méditerranéen. La baisse de la fécondité est accordée aux bouleversements socio-économiques et culturels généraux, ainsi qu'aux transformations des pratiques à l'égard du mariage et de la famille (âge au mariage, contraception et nombre idéal d'enfants...) inhérents au rôle moteur de la femme, qui a dû suppléer l'absence du mari et élargir son espace de responsabilité.

Rabat Casablanca

Transition avancée inférieur à 1 22%o (moyenne urbaine) de 123 à1 57%. (moyenne nationale)

Transition retardée de158à188%o (moyenne rurale) supérieur à 1 88%o

RG. 3 - TAUX DE FÉCONDITÉ GÉNÉRALE %c PAR PROVINCE 1981-82

Groupes d'âge 1984 1991

TABL. 6 - ACTIVITÉ FÉMININE SELON L'AGE AU MAROC (EN %)

15-25 ans

22,6 22,4

25-34

29,9 37,1

35-44

20,9 26,3

45-54

16,2 16,8

55-64

13,2 11,9

65et +

6,5 6,6

TOTAL

21,9 24,9

Source: Enquête Nationale sur la population active urbaine, 1992

Page 7: Le Maroc, en transition démographique

112

Les régions de plus haute fécondité dessinent un vaste croissant qui, du Rif occidental à l'Anti-Atlas, comprend toutes les zones de montagne et d'aridité. Elles ne souffrent d'aucune ambiguïté tant les caractères s'affichent. Ce sont les espaces les moins urbanisés; à l'exception des provinces d'Agadir, Béni Mellal, Sidi Kacem et Tetouan, ils ont des taux inférieurs à 25 %. Les effets négatifs d'une telle situation vis-à-vis de l'encadrement scolaire et sanitaire des populations sont criants ; les taux d'analphabétisme des populations âgées de 10 ans et plus, sont partout supérieurs à 75 %. Ces espaces, les moins accessibles aux flux d'innovations, les plus mal développés, demeurent immergés dans des tâches essentiellement agricoles et pastorales (plus de la moitié des actifs sont agriculteurs), de faible productivité, dégageant de maigres surplus commercialisables. Dès lors, les conditions difficiles du milieu impliquent la mobilisation précoce de toute la force de travail familiale. Les échanges inter-générationnels parents-enfants se font au bénéfice des premiers, tant l'utilisation de la main-d'œuvre des enfants correspond, souvent, à la nécessité de survie pour l'unité de production familiale.

Dans ce vaste domaine périphérique, les départs temporaires d'une partie de la main-d'œuvre disponible n'ont pas encore remis en question le fonctionnement des

structures tribales et parentales ; le départ et la perte d'identité concourent même à figer les pouvoirs où la femme est toujours dominée. Analphabétisme, conservatisme socio-culturel, faible niveau de consommation, enfermement societal sont autant de caractères qui favorisent la pérennité des hautes fécondités, en accord spatial avec les plus fortes mortalités infantiles.

Vie et mort des enfants se situent dans une relation complexe, mais en fait assez banale. Car, en définitive, l'exemple marocain illustre bien la reproduction des comportements des communautés humaines à l'égard de la vie et de la mort, au cours de la phase de transition. Comme en Europe au cours des XIX et XXe siècles, ce sont les familles les plus instruites, les mieux intégrées au monde du travail, les plus attentives aux modernisations, en majorité résidentes en ville et à la recherche d'ascension sociale, qui réduisent le plus précocement leur descendance.

L'accélération de la transition démographique requiert des mesures en faveur d'une plus grande justice sociale et d'une homogénéité spatiale. C'est à ces conditions que se réaliseront l'élévation de l'instruction féminine et la promotion du statut de la femme, déterminants décisifs de la transition dans les espaces périphériques en mal de développement.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

CERED (1986).- Analyses et tendances démographiques au Maroc, Direction de la Statistique, Rabat, 229 p.

CERED (1992 a).- Femme et développement au Maroc. Etudes Démographiques, Direction de la Statistique, Rabat, 250 p.

CERED (1992 b).- Population et Emploi. Etude Démographiques, Direction de la Statistique, Rabat, 291p.

CERED (1993).- Fécondité, infécondité et nouvelles tendances démographiques au Maroc. Etudes Démographiques, Direction de la Statistique, Rabat, 273 p.

CERED (1 994).- Les données de base pour la construction du modèle IN M A. Etudes Démographiques, Direction de la Statistique, Rabat, 291 p.

ENPS (1992).- Enquête Nationale sur la Planification Familiale, la Fécondité et la Santé de la Population. Résultats préliminaires, Ministère de la Santé, Rabat.

Escallier R., (1987).- Population et urbanisation in Le Maghreb, Hommes et Espaces , Sous la direction de J.F. Troin, A. Colin, Paris, 368 p.

Noin D., (1970).- La population rurale du Maroc , P.U.F., Paris, 2 volumes, 275 et 342 p.

NOTES

1 - Les projections démographiques qui prennent en compte les résultats de l'enquête nationale démographique de 1986-88, s'écartent nettement des projections précédentes (CERED, 1986). La population totale dont l'effectif était estimé à 31,83 millions d'habitants (variante moyenne) pour l'an 2000, selon les projections anciennes, ne serait que de l'ordre de 29,6 Mhab. selon les nouvelles (CERED, 1993), soit une différence significative de 2,194 millions d'habitants.

2- Au recensement de 1960, les femmes se mariaient en moyenne à un âge inférieur de sept années à celui de l'homme; en 1986-88, l'écart n'était plus que de 4,5 ans. Les femmes se marient 8 années plus tard qu'en 1960 en ville, seulement 4,3 années en milieu rural. 3 - En 1991, le taux de fréquentation de Fécole'primaire par les enfants âgés de 7 à 13 ans, était chez les filles de 28,3 % dans les campagnes et de 78,7 % en ville, contre respectivement 53,6 et 82,4 % chez les garçons.