Le Messianisme comme idéologie influente dans la politique extérieure

de Ronald Reagan (1980-1988)

Sébastien Roy

Résumé Depuis la naissance des États- Unis, une idéologie sur laquelle la nation a été construite s'impose en toile de fond à travers les époques et les présidences. Nous faisons référence au messianisme, cette idée que les occupants de la nation américaine se trouvent investis d'une tâche d'une ampleur inégalée jusque-là. Le présent article s'intéresse à l'utilisation de la rhétorique messianique par le président Ronald Reagan pour justifier à la nation ses décisions en matière de politiques étrangères. Par l'étude des discours prononcés par Ronald Reagan entre 1980 et 1988, nous souhaitons démontrer l'influence de cette idéologie sur ses politiques extérieures. Nous croyons que notre approche novatrice et nos conclusions auront comme principale conséquence d'élargir te champ d'étude existant sur la présidence de Ronald Reagan, tout en ouvrant une possibilité d'analyse sur les similitudes existant entre la rhétorique messianique de Reagan et celle du président actuel, George W Bush.

Depuis l'arrivée de George W. Bush à la présidence des États-unis, nous constatons une forte dose de messianisme à l 'intérieur de ses dis­cours en ce qui concerne la politique extérieure du pays. Nous n'avons qu'à penser au concept « d'axe du mal » employé par George W. Bush pour désigner l'Irak, l'Iran et la Corée du Nord. Cette rhétorique nous rappelle celle employée par Ronald Reagan alors qu'il qualifiait, en octobre 1983, l 'URSS «d 'Empire du Mal». Ce constat nous amène à nous interroger sur l ' importance de l'utilisation de cette rhétorique par Ronald Reagan lors de ses deux mandats comme président des États-Unis. Partant de ce quest ionnement , nous démontrerons, à l 'intérieur

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de cet article, de quelle manière l'administration Reagan (1980-1988) a su justifier à la nation ses décisions en matière de politique étrangère à l'aide d'une rhétorique messianique. En effet, nous chercherons à montrer de quelle façon les empreintes d'une idéologie datant du XIXe

siècle ont marqué et influencé le processus décisionnel de l'adminis­tration Reagan en ce qui concerne la politique extérieure de la nation. Pour effectuer cette démonstration, nous analyserons un échantillon de discours du premier mandat, centré sur le réarmement, ainsi qu'un autre échantillon du second mandat de Reagan, qui met l'accent sur le désarmement nucléaire cette fois, dans le but de montrer de quelle manière ce dernier utilisait l'idéologie messianique pour justifier, en partie, ses politiques étrangères à la nation et, par le fait même, à la planète.

Avant de débuter, il est essentiel de bien définir le terme de messia­nisme en lien avec la politique extérieure américaine. En fait, il n'existe pas de définition unique du messianisme. Il est rare de trouver deux auteurs donnant la même définition de ce terme, bien qu'ils partent tous des mêmes racines historiques. Ceci s'explique par le fait que le concept de « Destinée Manifeste » est une idéologie qui est à la fois éternellement contestée et constamment renouvelée. Voilà pourquoi nous avons dé­cidé de construire notre propre définition du messianisme en proposant deux versions, la première centrée sur la genèse de cette idéologie, et la deuxième axée sur une réflexion plus contemporaine. Pour ce qui est de la version originelle du messianisme, elle fut exposée en 1845 par John O'Sullivan, un leader démocratique et éditorialiste américain qui publia un pamphlet intitulé Manifest Destin^ à l'intérieur duquel il définissait le messianisme de la manière suivante:

[...] les occupants de la terre américaine se trouvent investis d'une tâche d'une ampleur inégalée jusque-là. Il ne s'agit pas moins que de peupler d'hommes épris de liberté tout un continent désigné par la Providence, pour qu'accessoirement leur exemple serve la cause des institutions démocratiques sur toute la surface de la terre2.

Quant à la version contemporaine, elle nous est expliquée comme suit par la professeure française Nicole Guétin :

[...] les Américains prétendent être les garants d'un ordre transcendantal. Les États-Unis doivent restituer à l'humanité des préceptes moraux et re­ligieux, un « bonheur » longtemps dérobé aux hommes par la privation de libertés fondamentales. La liberté pour laquelle le peuple américain s'est battu constitue la quintessence de la Démocratie américaine qui doit être érigée en exemple universel3.

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La combinaison de ces deux définitions du messianisme constitue, à notre avis, l'explication la plus claire de cette idéologie, dont le peuple américain se croit investit. Cette définition, bien que contestable, décrit clairement les aspects idéologiques et politiques de ce concept.

En ce qui concerne la rhétorique messianique américaine, elle s'éla­bore autour de quatre mythes interreliés. Tout d'abord, nous retrouvons l'aspect religieux, cette idée d'une nation qui se dit élue par la Providence pour accomplir une mission particulière sur Terre. Ensuite, nous perce­vons l'exceptionnalisme, qui est une forme de messianisme sans l'aspect religieux. Cette idéologie veut que l'Amérique représente un idéal pour la civilisation. Puis, nous remarquons l'universalisme, qui se traduit par ce désir de la nation d'accomplir de grandes choses non seulement pour le pays, mais aussi pour l'humanité. Enfin, nous incluons également le culte des pionniers. Ce concept fait allusion à l'utilisation fréquente d'exemples liés aux Pères fondateurs pour venir augmenter l'importance du message véhiculé4. Ces caractéristiques de la rhétorique messianique américaine peuvent être observées, à divers degrés, au sein des discours de présidents dès la naissance des États-Unis jusqu'à aujourd'hui. Le président Reagan est parmi ceux qui adhèrent le plus fortement à ces mythes fondateurs de la nation et l'un de ceux qui y fait le plus allusion.

Premier mandat (1980-1984) Lorsque Reagan arrive au pouvoir en 1981, la nation américaine

est en stagnation. Sur le plan national, la confiance du peuple face à ses institutions politiques est ébranlée : nombreuses récessions économiques, stagflation, dévaluation du dollar, crise du pétrole de 1973, crise politique créée par le scandale du Watergate. Même constat sur le plan des relations étrangères, alors que les États-Unis viennent de sortir de leur engagement dans la Guerre du Viêt-Nam et qu'ils font face à la crise des otages en Iran et à une détente avec l'URSS5. Cette situation sera à l'avantage de Reagan qui arrivera avec une rhétorique optimiste empreinte de messianisme et cherchant à réanimer la flamme patriotique de la nation, tant sur le plan national qu'international.

Lors de son premier mandat, Reagan établit rapidement sa pensée en ce qui a trait à la politique extérieure des États-Unis en mettant l'accent sur le réarmement de la nation. Il souhaite redonner la place de leader mondial aux Forces armées américaines ainsi que resserrer les politiques face à l'Union soviétique6. À l'intérieur de ses discours, le président va mettre l'accent sur le passé glorieux et religieux de la nation, sur l'im­portance pour les États-unis de redevenir la superpuissance incontestée

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sur la scène internationale, et sur l'opposition face aux Soviétiques pour la protection de la liberté et de la paix dans le monde.

Ses discours porteront sur ses premières décisions en matière de politique extérieure. Nous n'avons qu'à penser aux événements du Liban, de la Grenade, du Nicaragua et de l'URSS avec les débuts du plan d'initiative de défense stratégique (IDS). À titre justificatif, Reagan exposera ses politiques en parlant de la responsabilité du peuple amé­ricain envers le maintien de la liberté à travers le monde à l'aide d'une rhétorique religieuse faisant appel au passé des États-Unis. Enfin, lors de la dernière année de son premier mandat, Reagan se retrouvera en pleine campagne électorale. Il fera donc ressortir le progrès de la nation sur le plan international et l'importance pour l'Amérique de continuer dans cette voie pour le bien de l'humanité, puisque les États-Unis constituent un exemple pour le monde.

Le premier discours sélectionné est celui sur l'état de l'Union que Reagan prononça le 26 janvier 1982. En ce qui a trait à la politique exté­rieure américaine, ce discours visait à faire la promotion du réarmement massif de la nation. Reagan affirme alors:

En poussant de l'avant ce nouveau partenariat pour l'Amérique, nous pour­rions accomplir les plus anciens espoirs de notre République - la prospérité pour notre nation, la paix sur terre et les bienfaits des libertés individuelles pour nos enfants et, un jour, pour l'humanité tout entière.

Comportons-nous de telle façon que dans deux siècles d'ici, un autre Congrès et un autre Président, se rencontreront dans cette même Chambre tout comme nous le faisons aujourd'hui, parlerons de nous avec fierté, affir­mant que nous avons relevé le défi auquel nous faisions face et conservé, pour eux, la flamme sacrée de la liberté - ce dernier et meilleur espoir de l'homme sur terre7.

Nous retrouvons ici les grandes lignes du messianisme américain expli­quées précédemment. Nous retrouvons l'aspect religieux dans la forme du discours qui se veut une sorte de prophétie. Ensuite, nous constatons une forme d'universalisme dans ce désir de faire bénéficier l'humanité tout entière des bienfaits des libertés individuelles. Puis, avec l'expres­sion du dernier et meilleur espoir de l'homme sur terre, Reagan expose la mission exceptionnelle de l'Amérique. Enfin, il termine son discours en faisant référence à une célèbre phrase d'Abraham Lincoln affirmant que les États-Unis symbolisaient l'espoir de l'humanité. Bref, avec une argumentation de la sorte, il est facile de comprendre de quelle façon Reagan, en utilisant la fibre patriotique de la nation, parvient à rallier

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la grande majorité du pays à son désir de redonner aux Forces armées américaines leurs lettres de noblesse.

L'année suivante, soit le 8 mars 1983, Reagan prononce un discours qui marquera sa présidence lors de la Convention annuelle de l'Associa­tion nationale des Évangélistes à Orlando, en Floride. Lors du discours, Reagan cherche à poser les bases de l 'annonce éventuelle de son projet de bouclier antimissiles, le projet SDI qu'il annoncera d'ailleurs le 23 mars 1988. En diabolisant l 'URSS, il souhaite obtenir l'appui de membres influents de l'association en vue du vote à venir sur le projet. Lors de ce discours, Reagan affirme:

Il y a du péché et du mal dans le monde. Les Écritures et le Seigneur Jésus nous enjoignent de nous y opposer de toutes nos forces. [...]

Tout particulièrement au cours de ce siècle, l'Amérique a tenu bien haut le flambeau de la liberté, non seulement pour nous, mais pour des millions de personnes de par le monde. [...]

[...] tant qu'ils [états totalitaristes] prêchent la suprématie de l'État, tant qu'ils proclament son omnipotence sur l'individu, tant qu'ils prédisent son ultime domination sur tous les peuples de la terre, ils sont et seront le foyer du mal dans le monde moderne. [...]

Dans vos discussions sur les propositions de gel nucléaire, je vous invite à vous méfier de la tentation de l'orgueil [...] qui vous ferait condamner impartialement les deux côtés, qui vous ferait ignorer les faits de l'histoire et les pulsions agressives d'un empire du mal, qui vous ferait simplement dire de la course aux armements qu'elle n'est qu'un terrible malentendu, qui vous ferait ainsi vous tenir à l'écart du combat entre ce qui est bon et ce qui est mauvais, entre le bien et le mal.

L'un de nos Pères fondateurs, Thomas Paine, disait : « Il est de notre pouvoir de recommencer le monde». Nous pouvons le faire, en faisant ensemble ce qu'aucune Église ne pourrait faire à elle seule8.

Ces extraits représentent un exemple parfait d 'un discours faisant usage d'une rhétorique messianique. Nous y retrouvons de façon explicite les quatre caractéristiques propres au messianisme américain. L'universalisme et l'exceptionnalisme sont présents alors que Reagan affirme que «[ . . . ] l 'Amérique a tenu bien haut le flambeau de la liberté, non seulement pour nous, mais pour des millions de personnes de par le monde». Puis, nous remarquons une référence à Thomas Paine, qui est considéré comme l'un des Pères fondateurs des États-Unis. Enfin, nous notons l'aspect reli­gieux, alors que Reagan fait référence à Jésus Christ et au combat entre le bien et le mal ou encore lorsqu'il effectue une comparaison entre la

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nation et l'Église en tant qu'institution. Dans cette optique, il est facile de concevoir que Reagan ait fait usage d'une telle rhétorique afin d'obtenir le soutien auquel il tenait tant pour mettre en place son fameux projet de bouclier antimissiles.

Le dernier discours que nous avons retenu a pour objectif de lancer la campagne présidentielle de Reagan. Il souhaite être perçu comme le représentant d'une Amérique forte et renouvelée. C'est d'ailleurs avec cette stratégie que le président s'adresse au peuple lors de son discours sur l'état de la nation le soir du 25 janvier 1984. Durant ce discours visant à mettre de l'avant ses accomplissements et ceux de l'Amérique, il affirme:

Nous sommes une puissante force pour le bien. Avec foi et courage, nous pouvons accomplir de grandes choses qui engendreront la prochaine étape vers la liberté. Et nous le ferons ! Nous allons poursuivre la tradition d'un peuple bon et digne qui a amené la lumière là où il y avait la noirceur, la chaleur là où il y avait le froid, des remèdes là où il y avait la maladie, des vivres là où il y avait la faim et la paix là où il y avait uniquement des bains de sang9.

La première partie de cet extrait fait référence à l'aspect universaliste et exceptionnel de la mission de l'Amérique. Par ailleurs, la seconde partie de son allocution, qui correspond à l'énumération des bienfaits de la nation américaine, est un exemple patent de l'usage du religieux dans la rhétorique reaganienne alors qu'il oppose constamment le bien et le mal à l'aide d'analogies ; le bien étant représenté par les réalisations des États-Unis face aux conséquences de la présence du mal dans le monde, présence personnifiée par l'URSS.

Enfin, à la suite de l'analyse des trois extraits de discours prononcés par Reagan lors de son premier mandat, nous constatons de quelle façon il utilise une rhétorique messianique afin de mettre en valeur l'importance de ses politiques pour le bien du pays et de l'humanité, encourageant ainsi la nation à croire en sa destinée.

Second mandat (1984-1988) À la suite de sa réélection, Reagan poursuit sa vision de la politique

extérieure américaine sous l'égide d'une mission incombant aux États-Unis de libérer le monde du communisme et de se réaliser en tant que nation. Cependant, au début de son second mandat, il effectue un tour­nant à cent quatre-vingts degrés en ce qui concerne sa position face aux armements et à l'URSS en prônant une réduction des armes nucléaires pour le bien de l'humanité et en réitérant l'importance des États-Unis dans ce combat pacifique en tant que nation protectrice de la liberté. Les

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années 1984-1988 furent marquées par deux événements importants sur le plan de la politique étrangère, soit l'escalade des problèmes au Nicaragua culminant avec l'affaire Iran-Contra10, ainsi que l'amorce des pourparlers avec l'URSS sur le désarmement lors des sommets de Genève, Reykjavik, Moscou et Washington. Malgré certaines difficultés (Iran-Contra) lors de son deuxième mandat, Reagan va continuer à utiliser une rhétori­que messianique pour justifier les politiques extérieures américaines en mettant l'accent sur le passé de la nation et sur son importance pour le bien du monde entier. Bref, il maintient un discours messianique pour défendre l'exact opposé de ce qu'il prônait quatre ans plus tôt.

En mars 1985, Reagan propose une rencontre à son homologue du Kremlin, Mikhaïl Gorbatchev, dans le but de discuter des possibilités pour les deux superpuissances de contrôler, voire même de diminuer, leurs armements nucléaires offensifs". Cette rencontre historique, la première entre les deux dirigeants, aura finalement lieu les 19 et 20 no­vembre 1985 à Genève, en Suisse. La veille de son départ pour Genève, le président s'adresse à la nation lors d'un discours télévisé afin d'expli­quer les enjeux de ce sommet pour l'Amérique. Le 14 novembre 1985, Reagan affirme:

La cause de la liberté a pour nous, Américains, un poids particulier - car nous croyons à la dignité de l'homme devant Dieu, conviction qui a donné naissance à notre pays, qui est au cœur même de notre existence. Il y a un siècle et demi, Thomas Jefferson disait au monde: «L'humanité n'est pas née chargée d'une selle [...]» La liberté est le cœur de l'Amérique. Nous ne devons jamais la nier ni y renoncer. S'il arrive un jour que nous, Américains, demeurons silencieux face à l'agression armée, alors la cause de l'Amérique, la cause de la liberté, aura été perdue et le cœur généreux de ce pays brisé. Cette affirmation de liberté n'est pas seulement notre devoir d'Américains, elle est essentielle au succès des négociations de Genève12.

Cet extrait représente la rhétorique classique du président faisant appel à la fibre patriotique de la nation en rappelant les paroles d'un des Pères fondateurs, Thomas Jefferson, et en associant le sommet à la cause de la liberté. Puis, nous constatons une allusion à l'universalisme et l'excep­tionnalisme de la cause américaine lorsque Reagan explique que le rôle de l'Amérique est de protéger la cause de la liberté pour la planète. Enfin, Reagan fait référence à l'aspect religieux lors de la conclusion de son dis­cours, alors qu'il parle de la dignité de l'homme devant Dieu et de cette conviction qui a donné naissance à l'Amérique.

Au début du mois de juillet 1986, Reagan est un président en plein contrôle de la situation, aimé de ses citoyens et heureux d'avoir redonné à

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l'Amérique sa fierté. Ses impressions lui sont confirmées lors des célébra­tions qui ont lieu en l'honneur du centenaire de la Statue de la Liberté. Cette fête, organisée par les États-Unis pour célébrer les cent ans de la Statue allait devenir une sorte de publicité à valeur « exponentielle » pour le président. En effet, devant près d'un milliard de téléspectateurs et près de mille journalistes provenant de plus de quarante nations, il profite de l'occasion pour célébrer l'Amérique qu'il vient de ramener sur le droit chemin13. Lors de l'inauguration de ces célébrations, le 3 juillet 1986, Reagan s'exclame :

John Winthrop, qui allait devenir le premier gouverneur du Massachusetts, sur le pont de ce minuscule bateau [Arabella], rappela alors à ses compa­gnons, les puritains, qu'ils devaient rester fidèles à leur Dieu, que les yeux du monde entier étaient braqués sur eux, qu'ils ne devaient pas faillir à la mission que Dieu leur avait confiée, qu'ils devaient être la lumière des nations du monde entier — la ville étincelante sur la colline.

On pourra sans doute parler de mysticisme, mais j'ai toujours cru que la main d'une divine providence avait placé cette terre entre deux grands océans, pour qu'elle soit découverte par des hommes et des femmes venus des quatre coins de la terre, des hommes et des femmes uniques, uniquement attachés à la liberté, uniquement courageux pour ainsi quitter leur patrie, quitter leur amis et leurs familles, s'installet sur cette terre étrangère afin d'y construire un nouveau monde de paix, de liberté et d'espoir14.

La première partie de ce discours correspond à la genèse de la « Destinée Manifeste» américaine. Il cite textuellement l'histoire qui est à la base du messianisme américain en parlant d'un des premiers pèlerins, John Winthrop. Reagan fait directement référence aux premiers pèlerins qui, en découvrant ces nouvelles terres, avaient accepté de remplir la mission que Dieu voyait destinée pour eux et pour le monde. Ce premier passage contient l'aspect religieux, l'universalisme et la référence aux pionniers. Puis, dans la seconde partie de son allocution, Reagan admet publique­ment sa croyance en cette destinée propre aux Américains en parlant de providence, de paix, de liberté et d'espoir pour le monde. Ce passage correspond à l'exceptionnalisme que nous retrouvons dans la rhétorique messianique américaine.

Au début de l'automne 1986, le président s'apprête à rencontrer à nouveau son homologue soviétique pour poursuivre les discussions amorcées lors du Sommet de Genève sur la destruction de toutes les ar­mes nucléaires. Cette nouvelle réunion aura lieu à Reykjavik en Islande, les 11 et 12 octobre 1986. Lors de ce sommet, Reagan souhaite profiter de la montée du mouvement en faveur du gel nucléaire avec l'objectif

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d'être perçu comme le «champion de la paix»15. À la suite de son retour d'Islande, le 13 octobre, Reagan s'adresse à la nation pour expliquer les succès et les progrès engendrés par cette rencontre. Lors de ce discours, il conclut son allocution comme suit :

Partout où s'est déployé l'étendard de la liberté et de l'indépendance, là bat le cœur de l'Amérique, là vont ses bénédictions et ses prières » a dit un jour John Quincy Adams. Tel est le destin de notre nation. Américains, Américaines, l'histoire nous a fait cet honneur d'être investis par le destin du plus ancien rêve de l'humanité - le rêve d'une paix durable, le rêve de la liberté pour l'homme16.

Cet extrait de la conclusion du discours de Reagan nous montre que, encore une fois, il use d'une rhétorique messianique pour convaincre l'opinion publique. Comme par le passé, il cite les paroles de grands personnages de l'histoire américaine. Cette fois-ci, ce sont celles du sixième président, John Quincy Adams. Ensuite, il aborde les aspects de l'exceptionnalisme et de l'universalisme, alors qu'il parle du destin de la nation et de cette croyance que l'Amérique est porteuse du rêve d'une paix durable et de la liberté pour l'homme. Puis, il aborde l'aspect religieux en parlant des prières de la nation pour le bien de l'humanité.

Enfin, l'analyse de ces quelques extraits nous montre de quelle façon, lors de son second mandat, Reagan a continué d'utiliser une rhétorique messianique faisant souvent référence au passé exceptionnel des États-Unis pour justifier ses politiques à la nation et au monde.

Conclusion Il est important de garder en mémoire que ces quelques extraits

de discours de Reagan représentent une infime partie par rapport à la totalité touchant de près ou de loin l'aspect du messianisme dans la politique extérieure des États-Unis. Par ailleurs, il est clair que, lors de sa présidence, Reagan a utilisé une rhétorique messianique au sein de ses discours afin de justifier en partie la nature et les orientations de ses politiques extérieures. Ce retour aux racines de la nation, à sa mission, à sa responsabilité, à son importance, à sa force et à sa grandeur rehaussait l'opinion des Américains face à leur pays et face à la compétence de leur président. La vision d'une Amérique salvatrice des maux de l'humanité et exemple de liberté et de prospérité pour le reste du monde jouait dans l'opinion publique un rôle catalyseur dans ce processus.

Le constat auquel nous arrivons nous permet également de compren­dre comment il nous est possible de voir un héritage reaganien dans les

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discours de George W. Bush en ce qui concerne l'usage d'une rhétorique messianique dans la politique extérieure américaine. Cependant, nous sommes en droit de croire que le succès de G. W. Bush est quelque peu mitigé par rapport aux réalisations de Reagan. Nous n'avons qu'à regar­der le taux de popularité du président actuel pour s'apercevoir qu'il ne parvient pas à faire usage de cet outil de façon aussi ingénieuse que l'a fait Reagan. Plusieurs hypothèses commencent à faire surface quant à de possibles explications sur les difficultés éprouvées par G. W. Bush. De notre côté, nous souscrivons à l'hypothèse voulant que cet échec puisse être dû au fait que G.W Bush soit le premier président à accorder une valeur démesurée au côté doctrinaire, négatif et dangereux du concept de la « Destinée Manifeste».

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Notes 1. Michael T. Lubragge, Manifest Destiny, http://odur.let.rug.nl/-usa/E/manifest/ma-

nifxx.htm (Page consultée je 17 avril 2006). 2. Gérard Hugues et Cécile Coquet, Un destin Manifeste, Paris, Mallard Éditions,

1999, p. 7. 3. Nicole Guétin, Le Messianisme américain, Esprit Libre, mai 2003. http://www.

éditions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=article&no=2455 (Page consultée le 17 avril 2006).

4. Élise Marienstras, Les mythes fondateurs de la nation américaine, Paris, François Maspero, 1976, p. 89-113.

5. Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis: de 1492 à nos jours, Paris, Agone, 2002, p. 625-630.

6. Ronald Reagan, Une Vie Américaine : Mémoires, Paris, Éditions Jean-Claude Lattes, 1990, p. 296.

7. Ronald Reagan, Address Before a Joint Session of the Congress Reporting on the State of the Union, 26 janvier 1982. http://www.reagan.utexas.edu/archives/speeches/1982/ 12682c.htm (Page consultée le 17 avril 2006).

8. Ronald Reagan, Les discours de Ronald Reagan, Paris, Éditions Jean-Claude Lattes, 1990, p. 169, 172 et 173.

9. Ronald Reagan, Address Before a Joint Session of the Congress on the State of the Union, 25 Janvier 1984. http://www.reagan.utexas.edu/archives/speeches/1984/12584e. htm (Page consultée le 17 avril 2006).

10. L'affaire Iran-Contra est un scandale politique survenu au milieu des années 1980 aux États-Unis. L'administration Reagan, avec l'aide d'Israël, vendit alors des armes à l'Iran, un ennemi avoué des États-Unis, utilisant les profits obtenus pour financer un mouvement d'insurrection au Nicaragua, nommé Contra, dans le but de bloquer la montée des éléments communistes dans ce pays. Par ce stratagème, les Américains attendaient également de l'Iran qu'elle fasse pression sur les terroristes islamistes au Liban pour qu'ils libèrent les otages américains qu'ils détenaient. Bref, un échange « armes pour otages » s'effectua alors à l'insu de la nation américaine entre les Amé­ricains et les Iraniens.

11. Pierre Mélandri, Reagan : Une biographie totale, Paris, Éditions Robert Laffont, 1988, p. 393.

12. Ronald Reagan, Les discours de Ronald Reagan, Paris, Éditions Jean-Claude Lattes, 1990, p. 247.

13. Lou Cannon, President Reagan: The Role of a Lifetime, New York, Simon and Schuster, 1991, p. 580.

14. Ronald Reagan, op. cit., p. 296. 15. Pierre Mélandri, op. cit., p. 413-415. 16. Ronald Reagan, op. cit., p. 313-314.