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Le modèle des peaux entropiques en turbulence développée

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Page 1: Le modèle des peaux entropiques en turbulence développée

C. R. Acad. Sci. Paris, t. 328, Série II b, p. 541–546, 2000Instabilité et turbulence/Instability and turbulence

Le modèle des peaux entropiques en turbulencedéveloppéeDiogo QUEIROS-CONDE

Groupe « Turbulence, territoires et géométrie », 10, allée du Clos-St-François, 33170 Gradignan, FranceCourriel : [email protected]

(Reçu le 10 février 2000, accepté le 19 mai 2000)

Résumé. Une géométrie dite des peaux entropiques a récemment été proposée pour décrire etinterpréter le phénomène de l’intermittence en turbulence développée. Il est montréque le modèle des peaux entropiques représente la contrepartie géométrique du modèlede She–Lévêque avec toutefois une interprétation différente des principaux paramètres.La comparaison avec l’approche multifractale montre qu’il s’agit d’un nouveau cadregéométrique de l’intermittence. 2000 Académie des sciences/Éditions scientifiques etmédicales Elsevier SAS

turbulence / intermittence / fractales

The entropic skins model in fully developed turbulence

Abstract. A geometry called entropic skins has been recently proposed to describe and interpret thephenomenon of intermittency in fully developed turbulence. It is shown that the entropicskins model represents the geometrical counterpart of the She–Lévêque’s model but witha different interpretation for the main parameters. The comparison with the multifractalapproach shows that this is a new geometrical framework of intermittency. 2000Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS

turbulence / intermittency / fractals

Abridged English version

The recent note entitled “Geometry of intermittency in fully developed turbulence” [5] pointing to a newgeometry describing and interpreting the phenomenon of intermittency is developed and precised here. Inthe context of theentropic skinsmodel of turbulence, the skinΩp is a assumed to be a fractal structure witha dimension∆p and characterizing a fluctuation of orderp in the energy dissipation field. Each structureΩprepresents so the support of the active part from energy dissipation field of moment〈δεpr〉, whereδεr = |εr−〈εr〉| is the fluctuation of rate of energy dissipationεr relatively to its average〈εr〉. Moreover, they followthe conditionsΩp+1 ⊂ Ωp and∆p+1 < ∆p: ∆p extends from the dimension of filaments∆∞ = 1 (wherethe largestδεr events occur) to the embedding dimension∆0 = d = 3. IntroducingVp(r)/Vp+1(r) =(r/r0)∆p+1−∆p as the number of configurations of structuresΩp+1 contained in the structureΩp at thescaler (r0 is the integral scale), whereVp(r) = (r0/r)

∆prd corresponds to the volume occupied by thestructureΩp at the scaler, we define the entropy jump∆Sp(r) = (∆p+1 −∆p) ln(r/r0) correspondingto this number of configurations. Then, by assuming∆Sp(r)/∆Sp−1(r) = γ with 0< γ 6 1, it isobtained for the intermittency exponents the following relations:τp = 2(γ − 1)p + 2(1 − γp) andζp =[(2γ− 1)/3]p+ 2(1− γp/3) with γ = ((1 + 3/

√8)1/3 + (1− 3/

√8)1/3)3 ≈ 0.68. Because theses laws are

Note présentée par René MOREAU.

S1620-7742(00)00024-6/FLA 2000 Académie des sciences/Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. 541

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the same (except for the value ofγ) as the ones obtained in the framework of She and Lévêque’s model [6],a comparison is presented. It is demonstrated that this model can be easily interpreted in the frameworkof the entropic skins approach which appears to be the geometrical counterpart and a generalization ofthe SL model. Moreover, it gives a physical interpretation to some variables introduced in the context ofSL such as the fundamental quantity of the modelε

(p)r /ε

(∞)r which is interpreted in a geometrical way as

ε(p)r /ε

(∞)r = Vp(r)/Vp+1(r). Intermittency in our description is not due to the filaments to which SL model

attributes a dynamical piloting role but is an effect of this intrinsic hierarchical organisation. The secondpart of the paper deals with a comparison with multifractal theory [7]. Using the analytical expression of thescaling exponentsτp = 2(γ − 1)p+ 2(1− γp) established in the entropic skins model, it becomes possibleto calculate by Legendre transform the corresponding multifractal spectrum. Ifα is the local scalingexponent used in multifractal approach (εr ∼ rα−1 for r→ 0) then we obtainα = 2γ − 1 − (2 lnγ)γp

and F (α) = 1 + α∗ − α∗ ln(α∗/2) with α∗ = (2γ − α − 1)/ lnγ = 2γp. It is then evidenced thatF (α) = ∆p − α∗ ln(α∗/2) showing that the dimensions∆p andF (α) due to the termα∗ ln(α∗/2) aredifferent fractal dimensions. A comparison is also made in the context of the generalized dimensionsDp

(Renyi’s dimensions) [14,15]. It is calculated thatDp = d + 2(1 − γp − p + γp)/(p − 1). Finally, it iswritten that the main difference of entropic skins with multifractal approach is that a single parameterγ(which is determined exactly) is needed to obtain all the hierarchy of fractal dimensions∆p because theseones are linked to each other byγ = (∆p+1 − ∆p)/(∆p − ∆p−1) or γ = (∆p+1 − ∆∞)/(∆p − ∆∞).Moreover, because the direct measurement of dimensionsF (α) is very difficult and delicate [1,20,21],their determination is realized through the Legendre transform after having measured structures function.The direct measurement of dimensions∆p should be possible by a successive thresholdings on the energydissipation field [5]. Let us note that the formulaF (α) = ∆p − α∗ ln(α∗/2) would give a new wayto determine the multifractal spectrum. We expect to develop very soon some other experimental andtheoretical consequences due to this vision in terms of entropic skins of turbulence.

1. Introduction

Dans le domaine de la turbulence développée le phénomène de l’intermittence et la statistique qui luiest associée occupent une place de première importance [1,2]. Il a été préssenti et montré à travers denombreuses recherches en turbulence mais aussi dans d’autres champs de la physique que ce phénomènepossède vraisemblablement un statut universel [3,4]. Une récente interprétation géométrique basée surl’introduction d’une hiérarchie de structures fractales (que nous appellerons « peaux entropiques ») liéesentre elles par une cascade désordre-ordre basée sur un argument entropique a fait l’objet d’une récentenote [5] qui nécessite certaines précisions et développements. En effet, les lois donnant les exposantsd’échelleζp etτp caractéristiques de l’intermittence obtenues grâce à ce modèle se révèlent être les mêmesque celles obtenues dans le cadre du modèle de She et Lévêque [6] bien que leurs bases théoriques soientfondamentalement différentes. Les deux approches seront donc discutées. D’autre part, nous compareronscette description avec l’approche multifractale [7] et dégagerons les grandes différences ainsi que leséventuelles passerelles. Ces deux points représentent l’objectif de ces Comptes Rendus de l’Académiedes Sciences.

2. Modèle des peaux entropiques

Dans ses aspects statistiques, la turbulence développée est souvent abordée à l’aide des fonctions destructure〈δV pr 〉 ou 〈εpr〉 où δVr est la fluctuation de vitesse entre 2 points distants der et εr le tauxde dissipation d’énergie moyennée sur une boule de dimensionr. Une question importante est de savoirsi, comme l’a postulé Kolmogorov [8], il existe vraiment des lois universelles du type :〈δV pr 〉 ∼ rζp,

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〈εpr〉 ∼ rτp. Nous nous intéressons à la fluctuationδεr du taux local de dissipation d’énergieεr par rapportà sa moyenne spatiale〈εr〉 : δεr = |εr−〈εr〉|. L’idée du modèle des peaux entropiques [5] est de considérerque, dans la valeur du moment〈δεpr〉 qui devrait suivre les mêmes lois d’échelle que〈εpr〉, l’ordrep joue lerôle d’un paramètre de seuillage sur la fluctuation de la dissipation d’énergie. Il suppose ainsi que la partiedu champ contribuant aux fluctuations d’ordrep est portée par une structure fractaleΩp de dimension∆p. Dés lors, sip = 0 (seuillage sur la fluctuation mis à zéro) alors le support est le champ lui-même(∆0 = d = 3) ; si p = 1 le support est la partie active et on a∆1 = Df où Df est dimension fractaleclassique telle qu’elle est définie dans leβ-model [10] ; enfin, sip→∞ (seuillage maximal) le support estconstitué de filaments de dimension∆∞ = 1.

Nous introduisonsfp(r) = Vp(r)/VT = (r/r0)d−∆p comme étant la fraction de volume occupée parla structureΩp dans le champ totalΩ0 dont le volume estVT = rd0 . En interprétantWp(r) = 1/fp(r)comme le nombre de configurations à l’écheller que peut prendre la structure fractaleΩp plongée dans levolumeVT, l’entropie d’échelleSp(r) = ln(Wp(r)) est introduite. Nous définissons alors le saut d’entropie∆Sp(r) = Sp+1(r) − Sp(r) entre 2 peaux consécutivesΩp et Ωp+1. Il est alors supposé que le rapport∆Sp(r)/∆Sp−1(r) est une constanteγ telle que0 < γ 6 1. L’ordre p variant de 0 à l’infini, une cascaded’un état totalement désordonnéΩ0 (distribution gaussienne, pas d’intermittence) à un état hautementordonnéΩ∞ (filaments, intermittence maximale) est ainsi générée où chacune des peaux de la cascadeposséde son niveau de désordre d’où la dénomination depeaux entropiques. Dans notre première note [5],le terme de « peaux fractales » avait été utilisé mais la quantité réellement pertinente dans cette étude estl’état de désordre d’un systèmeΩp et non la dimension fractale à travers une éventuelle fractalité despeaux en question. En effet, nous nous sommes placé dans l’hypothèse où les dimensions fractales∆p

existent et sont bien définies ce qu’on espère pour des écoulements à grands nombres de Reynolds et pourdes échelles appartenant à la gamme inertielle. En réalité, la fractalité pure n’existe pas et les systèmes apriori fractals exhibent seulement une tendance vers la fractalité avec une dimension fractale qui dépend del’échelle [11,12]. Nous avons donc choisi d’introduire l’entropie d’échelle qui ne fait aucune hypothèse surla fractalité de l’objet. Cependant, supposer l’existence de ces dimensions permet alors un calcul simple del’entropie.

Les moments〈δεpr〉 sont alors calculables par〈δεpr〉 ∼ δεprfp(r) oùδεr est la moyenne sur la partie active

des fluctuations du taux de dissipation d’énergie. On montre queδεr = (v30/r0)(r/r0)µ oùµ=Df −d etv0

est la vitesse caractéristique associée à l’échelle intégraler0. Ce cadre théorique permet alors d’obtenir lesexpressions suivantes pour les exposants :τp = 2(γ− 1)p+ 2(1− γp) etζp = [(2γ− 1)/3]p+ 2(1− γp/3)avecγ = ((1 + 3/

√8)1/3 + (1 − 3/

√8)1/3)3 ≈ 0,68. Bien que les deux approches relèvent de bases

théoriques différentes, ces lois sont les mêmes (excepté pour la valeur deγ) que celles obtenues par She etLévêque [6]. Une discussion entre le modèle des peaux entropiques (noté PE) et celui de She et Lévêque(noté SL) s’impose donc.

3. Comparaison avec le modèle de She–Lévêque

Le modèle de She–Lévêque [6] a fait l’objet d’un très grand intérêt depuis quelques années. Sa grandecapacité à décrire la statistique de l’intermittence en turbulence développée a été maintes fois mise en avant.Son champ d’application s’est même élargi à d’autres systèmes a priori plutôt éloignés de la turbulencecomme l’agrégation limitée par la diffusion (DLA) où une statistique équivalente à l’intermittence à étémise en évidence et décrite grâce à ce modèle [4]. Or, le caractère essentiellement géométrique des amasde DLA suggère une interprétation géométrique du modèle de She–Lévêque que nous présentons dans lecadre de cette note.

She et Lévêque introduisent des moments relatifsε(p)r = 〈εp+1

r 〉/〈εpr〉 associés aux hypothèses suivantes :(SL1) ε(p)

r obéit à la relationε(p+1)r = Apε

(p)βr ε

(∞)1−βr (0 < β < 1) où Ap sont des constantes et

ε(∞)r = limp→∞ ε

(p)r une quantité caractérisant les structures les plus intermittentes (filaments) ;

(SL2) la quantitéε(∞)r suit la loi d’échelle :ε(∞)

r ∼ rλ∞ .

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La description SL permet alors une prédiction des exposantsτp et ζp dont l’aspect remarquable a étéévoqué de façon constante depuis sa publication. Le modèle SL fait appel à un argument dimensionnelpour déterminer le paramètreλ∞ caractérisant les filaments. Les auteurs écrivent queε

(∞)r ∼ δE∞/tr

où δE∞ est une énergie cinétique ettr un temps caractéristique basé sur l’hypothèse que le mélange dûaux éléments du fluide possédant ce temps caractéristique est homogène. Cela signifie que la descriptionclassique de Kolmogorov peut être appliquée : on a alorstr ∼ ε−1/3 r2/3 ce qui donneλ∞ =−2/3.

Un léger apport sur ce dernier calcul va nous permettre de retrouver le nombreγ du modèle des peauxentropiques. En effet, le tempstr peut être estimé partr = r/〈|δVr |〉 avec〈|δVr |〉 ∼ rζ1 . L’hypothèsetr ∼ ε−1/3r2/3 signifie en fait queζ1 = 1/3. Au lieu de fixer tout de suite la valeur deζ1 gardons plutôtl’expression〈|δVr|〉 ∼ rζ1 . On obtient queλ∞ = ζ1− 1. Bien entendu, on retrouve pourζ1 = 1/3 la valeurλ∞ =−2/3 donnée par l’argument SL. En exprimantζ1 avec la formule générale deζp et en utilisant lesrelationsλ∞ = ζ1 − 1 et λ∞ = C0(β − 1) oùC0 est la codimension des structures les plus intermittentes(cette dernière relation dérive deζ3 = 1), il est possible d’établir une équation pourβ, 3β1/3 + 2β− 4 = 0,dont la solution estβ = ((1 + 3/

√8)1/3 + (1 − 3/

√8)1/3)3 = γ ≈ 0,68. On aboutit ainsi à une valeur

légèrement différente deβ = 2/3.

Dans le cadre du modèle PE, en appliquant la relation〈δεpr〉 ∼ δεpr(r/r0)d−∆p , on peut écrireε(p)

r ∼δεr(r/r0)∆p−∆p+1 et, par conséquent,ε(∞)

r = limp→∞ ε(p)r ∼ δεr ce qui signifieµ = λ∞. D’autre part,

remarquons que, puisqueε(p)r /ε

(∞)r ∼ (r/r0)∆p−∆p+1 et γ = (∆p+1 − ∆p)/(∆p − ∆p−1), alors il est

immédiat queβ = γ. Nous pouvons donc conclure que les paramètres clés des deux modèles (β etλ∞ pourSL etγ etµ pour PE) devraient posséder les mêmes valeurs quantitatives. Cependant, leurs interprétationsphysiques sont fondamentalement différentes et surtout en ce qui concerneλ∞ et µ. En effet, le modèleSL, à travers le paramètreλ∞ attribue aux filaments un rôle dynamique essentiel dans l’émergence del’intermittence. Dans le modèle PE, le paramètreµ définit une quantité moyenneδεr, la fluctuationmoyenne du taux de dissipation d’énergie sur les parties actives du champ de dissipation. Ajoutons enfinqu’il peut être montré que, dans le cadre PE,ε

(p)r /ε

(∞)r = Vp+1(r)/Vp(r) oùVp(r) est le volume à l’échelle

r couvert par la structureΩp. Ainsi la variable statistiqueε(p)r /ε

(∞)r du modèle SL trouve dans le modèle

PE une signification physique basée sur des quantités géométriques : elle représente la fraction de volumeoccupée par un objet fractalΩp+1 de dimension∆p+1 plongé dans un domaineΩp lui-même fractal dedimension∆p avec∆p+1 <∆p et Ωp+1 ⊂Ωp.

4. Comparaison avec la théorie multifractale

La multifractalité du taux de dissipation d’énergieεr signifie qu’il existe une infinité d’exposantsαcontenus dans une gamme[αmin;αmax]. Pour chaque valeur deα, il existe alors un ensemble fractalS(α)de dimensionF (α) = f(α) + 2 tel que pourr→ 0 on ait la loi d’échelleεr ∼ rα−1 [7]. Le spectre desdimensionsf(α) et celui des exposantsτp sont liés par la transformée de Legendre :α − 1 = dτp/dpet f(α) = qα − τp. Le champ de dissipation d’énergie (mais c’est la même chose pour le champ desincréments de vitesse) d’un écoulement turbulent est donc décrit par une infinité de structures fractalescaractérisant chacune un type de singularité d’exposantα. Grâce à l’expressionτp = 2(γ−1)p+ 2(1−γp)établie dans le cadre du modèle PE il est possible de déterminer le spectre multifractal associé maisuniquement pour des valeurs positives de p seules valeurs ayant un sens dans notre approche. On obtientainsiα= 2γ−1−(2 lnγ)γp etF (α) = 1+α∗−α∗ ln(α∗/2) oùα∗ = (2γ−α−1)/ lnγ = 2γp. On montreaisément queF (α) = ∆p−α

∗ ln(α∗/2). Le termeα∗ ln(α∗/2) fait donc de∆p et F (α) des dimensionsdifférentes excepté pour les cas extrêmesp= 0 et p→∞.

Une autre façon d’exprimer la multifractalité d’une mesure est de travailler avec les dimensionsgénéraliséesDp [14,15] appelées aussi dimensions de Renyi (différentes des dimensions∆p) : Dp =d + τp/(p − 1) où d est la dimension de la mesure. On obtientDp = d + 2(1 − γp − p + γp)/(p− 1).Un résultat remarquable apparaît pourp→ ∞. En effet,D∞ = 1 + 2γ. Or, dans le cadre du modèle

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PE, on a∆1 = Df = 1 + 2γ. La dimension généraliséeDp tendrait donc vers la dimension fractaleDf ≈ 2,36 trouvée pour de nombreux types d’interfaces turbulentes [16,17]. Ceci est une prédiction dumodèle PE qui pourra être testée expérimentalement ou numériquement. Citons à ce propos l’étude deMeneveau et Sreenivasan [18] qui a permis d’atteindreD10 = 2,4. Les auteurs, en utilisant un argumentempirique, prédisent la valeurD∞ ≈ 2,12. La signification physique deD∞ = Df , dans le cadre de lathéorie multifractale, reste cependant à déterminer.

La grande différence de l’approche PE par rapport à la multifractalité réside fondamentalement dansl’existence d’une hiérarchie liant toutes les peauxΩp entre elles par un argument entropique ce quiréduit considérablement le nombre de variables. Cette structure n’apparaît pas dans le cadre de la théoriemultifractale qui donne lieu à un spectre de dimensionsF (α) ne possédant pas de relation évidente entreelles, un élément de la théorie qui a d’ailleurs été souligné par certains auteurs [19,20]. Dans le modèlePE, un seul exposantµ est requis pour décrire la déviation au comportement moyen de Kolmogorov. Ilcaractérise la fluctuation du taux de dissipation moyennée sur les zones actives du champ :δεr ∼ rµ.Cet exposantµ n’est pas un exposant local (type multifractal) mais « global » car il définit une grandeurmoyenne. D’autre part, le résultat exact de Kolmogorovτ1 =0 [9] conduisant ൠ= (d − ∆∞)(γ − 1),on en déduit que le seul vrai paramètre du modèle PE estγ qui est, en outre, déterminé analytiquement.Cependant, le fait que nous considérions une valeur moyenne sur les zones actives n’est absolument pasincompatible avec des fluctuations locales du taux de dissipation d’énergie que la théorie multifractale décrittrès bien grâce aux exposants locaux. Enfin, dans le cadre de la pratique multifractale, les exposantsα et lesdimensionsF (α) ne sont généralement pas mesurés directement car cette mesure est extrêmement difficileet délicate [1,20,21]. Des fonctions de partition (en fait les fonctions de structure) sont donc définies et lesexposantsτp ou ζp sont mesurés. Par le biais de la transformée de Legendre, on calcule alors le spectre desdimensionsF (α). Les dimensions∆p du modèle PE devraient pouvoir être mesurées directement par unsimple seuillage sur le champ de dissipation [5] qui révèlera alors cette construction en feuillets dissipatifs.Ceci pourrait être réalisé numériquement ou expérimentalement grâce à une expérience du type de celle deFrederiksen et al. [22]. Notons enfin que, grâce à l’expressionF (α) = ∆p−α∗ ln(α∗/2) établie plus haut,nous disposerions alors d’une nouvelle méthode pour déterminer le spectre multifractal sans passer par latransformée de Legendre.

5. Conclusion

Nous avons comparé la description de She et Lévêque [6] et le modèle des peaux entropiques [5]. Ilapparaît ainsi que le modèle des peaux entropiques est la contrepartie géométrique de la théorie SL avec, enoutre, l’introduction d’une cascade basée sur un argument entropique dans la hiérarchie des fluctuations dela dissipation d’énergie. Par ailleurs, le modèle PE n’attribue pas aux filaments l’origine de l’intermittencemais à une symétrie interne due à l’existence même des peaux entropiques. Par ailleurs, il a été montré que,bien qu’il existe des passerelles entre multifractalité [7] et peaux entropiques, il s’agit cependant de deuxcadres géométriques différents. Une nouvelle vision de la turbulence semble alors émerger et nous espéronsprochainement révéler les changements de perspectives théoriques ainsi que les ouvertures expérimentalessous-jacentes à cette approche.

Remerciements.Toute ma reconnaissance au Professeur M.G. Rocha pour son aide précieuse dans l’élaborationdes idées exposées dans cette note.

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