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5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
1/25
Samir Amin
Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans
le monde contemporain. La problmatique de transitionIn: Tiers-Monde. 1972, tome 13 n52. Le capitalisme priphrique. pp. 703-726.
Citer ce document / Cite this document :
Amin Samir. Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans le monde contemporain. La problmatique detransition. In: Tiers-Monde. 1972, tome 13 n52. Le capitalisme priphrique. pp. 703-726.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1972_num_13_52_1880
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_tiers_298http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1972_num_13_52_1880http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1972_num_13_52_1880http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_tiers_2985/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
2/25
LE MODLE THORIQUE
D ACCUMULATION
et de
dve loppement
dans le monde contemporain05
LA
PROBLMATIQUE DE TRANSITION
par
Samir Amin*
L objet
de
cette tude est
de
montrer qu il existe une diffrence
fondamentale entre le modle de l accumulation
du
capital
et du dvelop
pement conomique
et
social qui caractrise
un
systme autocentr
et
celui qui caractrise un
systme priphrique.
Cette diffrence
que
nous
considrons
comme absolument fondamentale
dgage, c est
dans ce
cadre
thorique gnral
que
nous
tenterons de remplacer
les
questions de structure
sociale ainsi
que diffrents
aspects
essentiels des
problmes
du
monde contemporain, tant sociaux (notamment celui
du
chmage, du sous-emploi et
de
la
marginalit)
qu idologiques et poli
tiques
(notamment les
problmes
de
la
conscience sociale, de la cons
cience
de classe, les
problmes
de
la planification,
de
la mobilisation
des
ressources et des hommes, les problmes
de
l ducation et
de
son rle
social,
etc.).
*
Directeur
de
l Institut
africain
de
Dveloppement conomique
et
de
Planification
(I.D.E.P.),
Dakar, Sngal.
(i)
Ce modle
n est
pas
autre
chose
qu un
bref
rsum de notre travail
publi
sous
le
titre
de
YAccumulation
l'chelle mondiale
(Paris,
I.F.A.N.-Anthropos, 1970).
Le
lecteur pourra
se reporter, pour plus de dtails, cet ouvrage. Ce travail retrouve les rsultats d un grand
nombre de chercheurs
des sciences sociales,
notamment de
l cole
latino-amricaine.
Ce n est
pas ici le lieu de
faire
la
part
de l apport de chacun (on peut se rapporter pour cela
notre
ouvrage cit). Nous ne
pouvons toutefois
passer sous
silence l analyse magistrale de
la
margin
alit
due Anibal Qui ano (Redefinition de la dependencia
y
marginalisation en America
latina,
Santiago,
Centro de Estudios
Socio
Economicos,
Universidad
de Chile, C.E.S.O., 1970,
document ronot).
703
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
3/25
SAMIR AMIN
Le schma ci-dessous
rsume
abstraitement la diffrence qui
spare
de
ce
point de vue
un
systme autocentr d un systme
priphrique.
i
2
i
3
i
4
Expot- Consommation Consommation Biens
tations
de
masse de
luxe
d quipement
t
t
(articulation
priphrique dpendante
principale)
Le
systme conomique est
partag
en
quatre
secteurs
qui
peuvent
tre
examins
tant
sous
l angle de la production
que
sous
celui
de la
distribution de
la
population
active qui se livre aux activits
de
production
dcrites.
l articulation dterminante dans
un systme
autocentr
L articulation
dterminante
dans
un
systme autocentr
est
celle
qui
relie
le secteur z (la production de
biens
de consommation de
masse ) au secteur
4 (la
production
de
biens
d quipement destins
permettre
la
production
de
2).
Cette
articulation
dterminante
a
effect
ivement caractris le
dveloppement historique du
capitalisme au
centre
du systme (en Europe, en
Amrique
du Nord et au Japon). Elle dfinit
donc abstraitement le mode de production capitaliste pur
et
a t
analyse, comme telle,
dans
le Capital. On pourrait
montrer que
le
procs du dveloppement
de
l U.R.S.S. comme celui
de
la
Chine
est
galement
fond
sur
cette
articulation dterminante,
bien
que les modal
its
e
ce procs
soient,
en ce
qui concerne
la
Chine, originales.
Marx montre en effet que dans le mode
de
production
capitaliste,
il
existe
une
relation
objective
(c est--dire
ncessaire)
entre
le
taux
de
la
plus-value
et
le niveau de
dveloppement
des
forces productives. Le
taux de
la plus-value dtermine pour l essentiel la structure
de
la distr
ibution sociale
du
revenu
(son
partage entre les
salaires
et la
plus-value
qui prend
la forme profit), et
partant celle de
la
demande (les salaires
constituent l essentiel
de
la
demande
de
biens
de
consommation
de
masse,
les profits sont en totalit ou en partie
pargns
en vue d tre
investis ). Le
niveau de
dveloppement
des
forces
productives s exprime
704
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
4/25
LE MODLE THORIQUE D ACCUMULATION
dans la division sociale du travail : l affectation
de
la
force
de
travail,
dans des proportions convenables, aux
sections
2
et
4
(les
sections
2
et
1
du
modle
de
la
reproduction chez
Marx).
Cette relation
objective,
pourtant fondamentale
dans
le Capital, a t
souvent
oublie
,
notam
ment
ans
le dbat sur
la
baisse tendancielle
du
taux
du
profit. L argu
ment,
vanc
souvent,
que
l augmentation
de
la
composition organique
du capital peut tre
compense
par
celle
du
taux de
la plus-value perd
toute consistance ds lors que l on comprend que la contradiction entre
la capacit
de produire
du systme et
sa
capacit
de
consommer imman
ente au mode
de
production capitaliste
est
sans
cesse surmonte
et
que
c est ainsi que s exprime le caractre objectif de
la
relation taux de
la plus-value
niveau de dveloppement
des
forces
productives.
Comme
nous l avons
soulign maintes reprises,
ce modle thorique
de
l accumulation
est
infiniment plus riche que tous les modles empiristes
labors
par
la
suite :
1)
parce
qu il
dvoile
l origine du
profit
(ce
qui
exige une
thorie
pralable
de
la valeur) et te la
rationalit
conomique
toute qualit
absolue,
la ramenant
son statut rel
de rationalit
dans
un systme
et
non
de rationalit
indpendante
du
systme, comme
l a
magistralement
redcouvert
Piero Straffa (1);
2)
parce qu H dmontre
ainsi que les choix conomiques
dans
ce systme sont ncessairement
suboptimaux, dvoilant le
caractre
idologique non
scientifique
des constructions
marginalistes
de
l quilibre gnral; et
3)
parce qu il
dmontre que le
salaire rel ne peut tre
n importe quoi et qu ainsi
il donne aux rapports de
force
sociaux un
statut objectif.
La
relation
objective en question s exprime dans les
fluctuations
conjoncturelles de l activit
et du
chmage. Une augmentation
du
taux
de
la plus-value au-del
de
son
niveau objectivement ncessaire conduit
une crise, par
suite de l insuffisance de
la demande
solvable. Une
rduction
de
ce taux ralentit
la
croissance conomique
et
cre
ainsi
les
conditions
d un march de travail
favorables
au capital. Comme nous
l avons
montr,
le
schma
de
cet
ajustement
qui
correspond
effect
ivement
l histoire
de
l accumulation
de
la rvolution industrielle
la
crise de 1930 (une histoire
marque par
le cycle
conomique) est plus
complexe du fait
de l influence de
l effet second des
variations
du salaire
sur le choix des techniques, traduisant par
l
mme
le
caractre
sub
optimal du systme
conomique. Plein
emploi
tendanciel (lequel n exclut
(1)
In
Production of Commodities by
means
of Commodities, Camb.
Univ. Press, 1960.
.
M. 52
45
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
5/25
SAMIR
AMIN
pas,
mais
implique
au contraire
une
marge de chmage permanent faible)
et
fluctuations conjoncturelles amples
du
chmage traduisent
le fonctio
nnement
de
ce
systme.
Les
transformations internes
du
capitalisme
contemporain
ont
enlev
sa fonctionnalit
ce
mcanisme
d ajustement.
La monopolisation du capital
d une
part,
l organisation des travailleurs
l chelle nationale d autre
part
rendent
possible
une planification
qui
aurait pour
objectif de rduire les fluctuations conjoncturelles. Si
la
classe ouvrire accepte
de se
situer dans ce
cadre,
celui du
systme,
c est--dire
concrtement
si,
sous
la
houlette
de
l Etat,
capital
et
travail
acceptent
un
contrat social qui lie la croissance du salaire
rel celle
de
la productivit
(dans
des proportions donnes calcules par les
technocrates
),
un
tat
de
quasi
plein
emploi
stable
peut
tre
garanti.
A cela
prs, videmment,
que des
secteurs
de
la socit
peuvent,
en refu
sant le
contrat ,
dterminer
des
troubles :
il en
est
ainsi notamment des
petites
et
moyennes entreprises qui feront les frais de
la
concentration
et
qui peuvent notamment dans des structures
relativement arrires
disposer
d un pouvoir politique
de
chantage plus ou moins
important.
A cela prs
galement
que les relations extrieures chappent
ce
type
de
planification. Or la
contradiction grandit
entre
le caractre mondial
de
la
production
qui se manifeste
par
le poids
grandissant
des socits
multinationales et le
caractre
toujours
national
des
institutions
tant
du
capital
que
du
travail.
L idologie
sociale-dmocrate,
qui
s exprime
dans ce type
de
contrat
social, trouve sa
limite aux frontires
de
l Etat
national.
Si schmatique que soit ce
modle
il l est bien videmment tant
une
abstraction de
la ralit il
n en traduit
pas
moins l essence
du
systme. Dans
ce
modle, on fait abstraction des relations
extrieures, ce
qui
signifie non
pas
que le
dveloppement du
capitalisme se soit opr
dans
un cadre national
autarcique,
mais que
les relations
essentielles
dans le systme peuvent tre
saisies
en faisant
abstraction de ces
relations.
D ailleurs,
les relations
extrieures
de
l ensemble
constitu
par
les
rgions
dveloppes
avec
la
priphrie
du
systme
mondial restent
quantitat
ivement
arginales
par
rapport aux flux
internes du
centre. De
surcrot
ces relations, comme nous l avons montr,
relvent de l accumulation
primitive
et
non
de
la reproduction
largie ;
et
c est pourquoi on peut
en faire valablement abstraction. Le caractre historiquement
relatif
de
la
distinction
entre les biens
de
consommation
de
masse
et
ceux
de
luxe apparat galement ici trs clairement. Au sens strict
du terme,
706
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
6/25
LE MODLE THORIQUE D ACCUMULATION
doivent tre considrs comme des produits
de luxe
dans cette termi
nologie ceux
dont
la demande
provient de
la fraction
consomme
du
profit.
La
demande
qui
procde
des
salaires s largit
avec
la
croissance
conomique
le progrs
des
forces
productives.
Si aux
dbuts
de
l histoire du capitalisme, cette demande s adresse
presque
exclusivement
des
consommations
essentielles
alimentation,
textile et
logement
elle porte
de
plus
en
plus
largement
aujourd hui,
un
stade plus avanc
du dveloppement,
sur des
produits
de
consommation
durable (auto
mobiles, appareils
lectromnagers,
etc.). Cependant, cette succession
historique
du
type des
produits
de masse a une importance dcisive
pour l intelligence du
problme
qui nous proccupe.
La
structure
de
la
demande
aux
dbuts
du
systme favorise
la
rvolution agricole, en
offrant un dbouch aux produits alimentaires
pour
le march intrieur
(historiquement,
cette
transformation de l agriculture a
pris la
forme
du
capitalisme agraire).
On connat par ailleurs
le
rle
historique de
l i
ndustrie textile et
de
l urbanisation
(d o
l adage
quand le btiment
va,
tout
va
) dans le
procs
de l accumulation. Par contre, les
produits
de
consommation durable dont la production
est
hautement consomm
atrice
de capitaux
et
de main-d uvre qualifie
apparaissent tard
ivement lorsque la productivit dans
l agriculture
et
les industries de
pro
duction
de biens
non durables
a
dj franchi des
tapes
dcisives.
l articulation
principale dans
le
modle priphrique
Le modle de l accumulation
et du
dveloppement conomique
et
social
la
priphrie
du
systme
mondial
n a rigoureusement rien voir
avec celui dont
nous
avons dgag l essence
ci-dessus.
A
l origine
se
trouve
la
cration
sous l impulsion du
centre
d un secteur exportateur qui va jouer
le
rle dterminant dans la
cration
et
le faonnement
du
march.
On
n avancera pas
beaucoup
en
rptant
satit cette
platitude que les
produits
exports
par
la priphrie
sont
des produits primaires minraux ou agricoles,
bien
videmment des
produits
pour lesquels
telle ou telle
rgion
de la
priphrie
dispose de
quelque avantage naturel
(minerai
abondant ou produits tropicaux). La
raison ultime qui rend possible la
cration de
ce secteur exportateur doit
tre recherche en direction d une
rponse
la question relative
aux
conditions qui
en
rendent
l tablissement
rentable . Le
capital
central
707
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
7/25
SAMIR
AMIN
national
n est nullement
contraint d migrer par
suite
d une insuffisance
de dbouchs
possibles au centre; mais il
migrera
vers la
priphrie
s il
peut
y
obtenir une rmunration meilleure.
La
prquation du
taux
du profit
redistribuera les bnfices de
cette rmunration
meilleure
et
fera
apparatre l exportation des capitaux comme
un moyen de
combattre
la
baisse tendancielle
du
taux
du
profit. Obtenir
la
priphrie des
produits
qui constituent des lments
constitutifs du capital
constant
(matires
premires) ou du capital variable (produits
alimentaires)
des
prix
de production
infrieurs
ceux qui caractrisaient
la
production au
centre de
produits
analogues
(ou
de
substituts videmment quand il
s agit
de
produits spcifiques comme le caf ou le
th),
telle
est la
raison
de la
cration de
ce
secteur exportateur.
C est donc
ici que s insre
la
thorie
ncessaire
de
rchange ingal.
Les
produits
exports
par la
priphrie
sont intressants dans la
mesure
o
toutes choses gales
par ailleurs et
ici
cette
expression
signifie
galit
de
productivit
la rmunration du travail peut tre infrieure
ce
qu elle est
au centre. Et elle peut l tre dans la mesure o
la
socit sera
soumise par
tous
les
moyens
conomiques et extra-conomiques
cette nouvelle
fonction :
fournir
de
la main-d uvre
bon march
au
secteur exportateur.
Ce n est pas ici le
lieu
de dvelopper l histoire de ce faonnement de
la
priphrie
aux
exigences
du
centre.
Nous
l avons
fait
ailleurs
en
di
stingu nt
les tapes
du dveloppement du
capitalisme
(tape mercantiliste,
tape
du
capitalisme industriel concurrentiel sans exportation de
capi
taux et tape du
capitalisme
financier des
monopoles avec exportation
des
capitaux)
d une
part
et
les diffrentes rgions
du
Tiers Monde
intgr (l Amrique, l Afrique noire, l Asie
et
l Orient) d autre
part.
Disons seulement que ds lors que la socit devenue en ce sens
dpendante est soumise
cette
nouvelle fonction, elle
perd son
caractre
traditionnel
car
ce
n est
videmment pas la
fonction des socits
traditionnelles
vritables (c est--dire
prcapitalistes)
que
de
fournir
de
la
main-d uvre
bon
march au capitalisme
Tous
les problmes
de
la
transformation des socits dites traditionnelles doivent
tre repenss
dans ce
cadre, sans
rfrence au
dualisme
,
c est--dire
la prtendue
juxtaposition
d une
socit
traditionnelle
autonome et
d une
socit
moderne
en
extension.
Car
si
dans
ce
modle
et
ce
stade
il
n y a vritablement aucune
articulation entre le secteur exportateur
et
le
reste
de l conomie , il
708
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
8/25
LE MODLE THORIQUE
D ACCUMULATION
y a
soumission
de
la socit
l exigence
principale
de
fournir une main-
d uvre
bon
march au secteur
exportateur.
L articulation principale qui
caractrise le
procs de l accumulation
au
centre
qui
se
traduit
par
l existence
d une relation objective entre
la
rmunration
du travail et
le
niveau
de
dveloppement des
forces
productives
disparat complte
ment.a rmunration du travail dans le secteur exportateur sera
ici
aussi basse que les conditions conomiques, sociales
et politiques
le
permettent.
Quant au niveau de
dveloppement
des forces
productives,
il
sera
ici htrogne
(alors
que
dans
le modle autocentr il
tait
homog
ne), avanc (et
parfois
trs
avanc),
dans
le secteur
exportateur,
arrir
dans
le
reste
de
l conomie
,
cette
arriration
maintenue par
le
systme
tant
la condition
qui
permet
au
secteur
exportateur
de
bnficier d une
main-d uvre bon march.
Dans
ces
conditions,
le march
intrieur
engendr par le dvelop
pement du secteur exportateur sera limit
et
biais. Le
caractre
troit
du
march
interne
explique ce fait que la priphrie n attire
qu un
volume
limit
de capitaux
en provenance du centre,
bien
qu elle
leur offre une
rmunration
meilleure. La contradiction entre
la
capacit
de
consommer
et
celle de produire
est
surmonte l chelle
du systme mondial
dans
son ensemble
(centre
et
priphrie)
par l largissement du
march
au
centre, la
priphrie
mritant
pleinement
son
nom
ne
remplissant
qu une fonction marginale, subalterne
et
limite. Cette dynamique conduit
une polarisation
grandissante de
la richesse
au bnfice
du
centre.
Nanmoins,
partir
d un certain niveau
d extension du
secteur export
ateur, un march intrieur
apparat.
Par rapport au march engendr
dans
le
procs central,
celui-ci
est
biais en
dfaveur (relative) de
la
demande
de
biens
de
consommation
de
masse
, et en faveur (relative)
de celle de luxe . Si
tout
le
capital
investi
dans le
secteur exportateur
tait tranger, et si
tous les profits de
ce capital taient
rexports
vers
le
centre,
le march
interne
se
limiterait en fait
une demande de
biens
de
consommation de masse
d autant
plus
limite
que
la
rmunration
du
travail
est
faible. Mais
en fait
une partie
de
ce capital
est
locale. Par ailleurs,
les mthodes mises en uvre pour s assurer une
rmunration
faible
du
travail sont
fondes sur le renforcement de couches sociales
locales paras
itaires diverses
qui
remplissent
la
fonction de
courroie
de transmission :
latifundiaires ici,
koulaks l, bourgeoisie commerciale compradore,
bureaucratie
tatique, etc. Le
march
interne
sera
donc
fond principale
mentur la demande
de
luxe
de ces
couches sociales.
709
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
9/25
S
AMIR AMIN
Une
articulation
spcifique
qui s exprimera par la
liaison secteur
exportateur/consommation de luxe
caractrise de
ce fait le
modle
priphrique
dpendant de l accumulation
et
du dveloppement cono
mique
et social.
L industrialisation,
par
substitution
d importations, va
donc
commencer par
la fin
,
c est--dire par
les
produits correspon
dantux stades les plus avancs du dveloppement du
centre,
les biens
durables .
Comme
on l a dit,
ces
produits sont hautement consom
mateurs
de
capitaux et
de
ressources rares (main-d uvre qualifie, etc.).
Il
en
rsultera une
distorsion
essentielle dans le processus d allocation des
ressources en
faveur de
ces
produits, au dtriment de ceux
du
secteur
2 .
Ce secteur
sera
systmatiquement
dfavoris
:
il ne
suscitera
aucune
demande pour
ses
produits
et n attirera
aucun
moyen
financier
et
humain permettant sa
modernisation. Ainsi s explique-t-on la stagnation
de
l agriculture
de
subsistance
dont les produits
potentiels
sont
peu
demands et
qui
ne
bnficie
d aucun moyen
de transformation srieux
dans
l allocation des
ressources rares.
Tout choix de
stratgie
de
dve
loppement
fond
sur la
rentabilit ,
les structures
de
la
distribution
du
revenu, les structures
de
prix
relatifs et
celles
de
la
demande tant
ce
qu elles sont, conduit ncessairement
cette
distorsion systmatique.
Les
quelques
industries
installes
de
cette
manire
et dans ce
cadre
ne deviendront
pas des ples de dveloppement, mais au contraire
accentuent l ingalit
l intrieur
du
systme,
appauvrissant
la
masse
de
la
population
(qui se situe, en tant que
producteurs
,
dans le sec
teur 2), permettant par contre une intgration plus pousse de
la
minorit
dans le
systme
mondial.
Vu
sous l angle
social
,
ce modle va conduire
un
phnomne
spcifique :
la
marginalisation des masses.
Nous
entendons
par l
un
ensemble
de
mcanismes d appauvrissement des masses dont
les
formes
sont d ailleurs htrognes : proltarisation des petits producteurs agri
coles et
artisanaux, semi-proltarisation rurale
et appauvrissement
sans
proltarisation
des paysans
organiss
en
communauts
villageoises,
urba
nisation et accroissement
massif
du
chmage urbain
ouvert et du
sous-
emploi,
etc. Le
chmage
prendra
donc ici des
formes trs diffrentes
de
celles qu il
a
revtues dans le modle central
de
dveloppement,
le sous-
emploi
en gnral aura tendance crotre au
lieu
d tre relativement limit
et
stable, aux fluctuations conjoncturelles prs. La
fonction du
chmage
et du
sous-emploi
est donc
ici
diffrente
de celle
qu elle remplit dans le
modle
central : le poids
du
chmage assure une rmunration
du travail
710
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
10/25
LE
MODLE THORIQUE D ACCUMULATION
minimale
relativement rigide
et
bloque tant dans
le
secteur i
que
dans
le secteur 3
;
le salaire n apparat pas
la fois comme cot et comme
revenu
crateur
d une demande
essentielle
au
modle,
mais
au
contraire
seulement comme cot,
la
demande ayant son origine ailleurs :
l ext
rieur
ou
dans le
revenu des
catgories
sociales privilgies.
L origine extravertie
du
dveloppement qui se perptue malgr
la
diversification croissante
de l conomie,
son
industrialisation, etc.,
n est
pas
le
pch original,
un
deus ex
machina
extrieur au
modle de
l accumulation priphrique dpendante.
Car
ce
modle est
un modle
de
reproduction
de ses conditions sociales
et
conomiques de fonctionne
ment.
a
marginalisation
des
masses est la condition mme qui
permet
l intgration
de
la
minorit
dans
le
systme
mondial,
la
garantie
d un
revenu croissant pour cette minorit, qui conditionne l adoption par
celle-ci de
modles
de
consommation
europens
. Cette extension de
ce modle
de
consommation
garantit
la
rentabilit
du
secteur
3,
affirme l intgration sociale, culturelle, idologique
et
politique des
classes
privilgies.
A ce stade
de
diversification
et
d approfondissement du sous-dve
loppement apparaissent donc des mcanismes nouveaux de
la
dominat
ion/dpendance.
Des mcanismes culturels et politiques.
Mais aussi des
mcanismes
conomiques
:
la dpendance technologique et la domination
des
firmes
transnationales.
Le
secteur
3
en
effet appelle
des
investiss
ementsapital intensive
que
seules
les
grandes firmes
oligopolistiques
transnationales
peuvent
mettre en uvre
et
qui sont le support
matriel
de la dpendance technologique.
Mais
ce
stade
galement
apparaissent des
formes plus
complexes
de la structure de
la
proprit
et
de
la
gestion conomique. L exprience
historique montre qu une participation
du capital local priv ft-elle
subalterne
au processus d industrialisation par
substitution
d import
ations, st
frquente.
Elle
montre aussi que
au moins dans les grands
pays
un march
suffisant
cr
par
le
dveloppement
des
secteurs
1
et
3
peut
rendre
possible la
cration
d un
secteur
4. Celui-ci
est
frquemment
impuls par l Etat. Le dveloppement
d une
industrie
de
base
et
d un
secteur public ne signifie nanmoins
nullement que le
systme
volue
vers une forme autocentre acheve.
Car
ce secteur 4
ici
est
au service
non
du dveloppement du
secteur 2, mais celui des secteurs 1
et 3.
L analyse
rappelle
donc la question
fondamentale :
dveloppement
pour qui ? Dans la
mesure
o
l on considre que
le dveloppement n a
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
11/25
SAMIR AMIN
de sens que s il intgre les masses
et
leur bnfice, le
modle
de l accumul
ation
riphrique
dpendante est une voie
sans issue. Une
stratgie
de
dveloppement
pour
les
masses
doit
prendre
pour
base
de
dpart
une
rvision fondamentale des priorits dans
l allocation
des ressources, qui
suppose le rejet des rgles de
la
rentabilit dans le systme. La
signif
ication d une stratgie
de
la
transition
est situe
tout
entire
ici.
La tran
sition n est rien d autre que la priode historique
de
rvision du modle,
de renversement de ses
priorits,
de passage graduel de
l articulation 1-3-4
l articulation 2-4.
Elle
doit tre apprcie
de
ce point
de
vue
et
non
simplement de celui des formes de l conomie : diversification
indust
rielle
versus monoproduction
d exportation,
proprit publique versus
capital
tranger, etc.
* *
Le passage
du modle
de dveloppement sous-dvelopp, dpendant
(fond sur
l articulation principale 1-3)
au modle de
dveloppement
vritable,
autonome et autocentr (fond sur l articulation
2-4) constitue
le
contenu essentiel
de
la problmatique
de
la transition. L intgration
des
pays
devenus sous-dvelopps dans
le
systme mondial
est
l origine
d une
contradiction spcifique
de
ce systme qui tend devenir sa
contradiction
principale
:
d une
part
elle
a
cr les
conditions
objectives
d un
besoin de
dveloppement ressenti
comme
tel par
les peuples de
la
priphrie, mais
d autre part elle a ferm pour
ces pays
la voie d un
dveloppement capitaliste achev qui a t
la rponse
historique au
problme de
l accumulation, condition pralable du socialisme. C est
pourquoi cette contradiction spcifique est devenue
la
contradiction
principale, c est--dire celle par
laquelle
se manifeste la rupture
en direc
tion d un dpassement
de
ce systme.
Ce n est l rien
de
plus qu une expression supplmentaire
de
la loi
du
dveloppement
ingal
selon laquelle
les
systmes
sont
dtruits
et
dpasss
d abord
non
pas en
leur
noyau central
mais
partir
de leurs priphries
qui constituent les
maillons
faibles
de
la chane, celles o s expriment les
contradictions d intensit maximale. On
trouve
dans l histoire des
manif
estations
clatantes de
cette loi
gnrale,
notamment dans
l histoire
du
monde
mditerranen
et europen
: les civilisations les plus anciennes
de
l Orient (Egypte, Msopotamie, etc.) seront dpasses partir de leur
priphrie grco-romaine comme
son tour la civilisation
de l Antiquit
712
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
12/25
LE MODLE THORIQUE D ACCUMULATION
classique sera dtruite
et
dpasse
partir
de sa priphrie barbare o se
constituera
plus
librement
et
d une manire
plus
acheve
la civilisation
de
l Europe
fodale
chrtienne (i).
Prcisons,
si
cela
tait
ncessaire,
que
la
contradiction principale n est pas
la
contradiction fondamentale
du
sys
tme, laquelle
reste
celle qui
oppose
le niveau de dveloppement des
forces
productives au
caractre triqu
des formes
de
l organisation
sociale. La contradiction principale
n existerait
pas
sans
la contradiction
fondamentale. La premire explique seulement le
lieu
de
la
rupture,
la
seconde l essence
du systme en
dernier ressort.
Ce
dpassement du systme
occupe un
temps
historique,
plus ou
moins long, mais qui n est jamais
ngligeable,
qui
est
prcisment
celui
de la priode de
transition.
C est
le
temps
qui
spare
le capitalisme
du
socialisme achev. Et, pour poursuivre le parallle historique que nous
faisons, on considrera de
la mme
manire les premiers sicles de l re
chrtienne comme
une priode
de transition des formations sociales de
l Antiquit
mditerranenne
celles du Moyen Age fodal europen.
les critres
et
les stratgies de
la
transition
l universel et
le particulier :
Nous
dfinissons
donc
la
transition
par
le
passage
graduel
dans
des
conditions historiques
concrtes donnes
celles de
la
priphrie
d aujourd hui dj
intgre
au systme mondial
et
faonne comme
priphrie
dpendante du
modle de
dveloppement
capitaliste
dpendant
un modle de
dveloppement
national autocentr qui
dbouche sur un dpassement socialiste
du
capitalisme.
L exprience historique
de la Russie
sovitique,
bien qu elle comporte
comme
toutes les
expriences
de
l histoire des leons utiles, ne
saurait tre transpose au
Tiers Monde
actuel. Non pas pour des
raisons
d option
idologique
:
par
exemple parce
que l on
jugerait
les
rsultats obtenus, c est--dire
les
structures
nationales conomiques,
sociales
et
politiques de
la Russie
actuelle, non socialistes ;
et
que l on
(i) Nous ne prtendons pas que
ce
schma rende compte
de
tous
les
aspects du problme
des
civilisations dont la thorie
reste
faire. Les travaux de
Pelletier
et Groblot
(Matr
ialisme historique et histoire des civilisations,
Paris,
1969) constituent dans ce domaine
une
pre
mire
ouverture stimulante. De mme voir, en ce qui concerne le monde arabe, Ahmad
el
Kodsy,
Nationalism
and
class
struggles
in
the
arab
world, Monthly
Review,
July-
Aug. 1970.
74
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
13/25
SAMIR AMIN
souhaiterait
viter
des
dviations
analogues
par
rapport un projet
socialiste
dfini
autrement.
Si, en effet, la construction
d une
socit
nationale,
non dpendante, comme
l est
la
socit
russe
actuelle,
tait
possible dans le
Tiers Monde d aujourd hui,
des forces
objectives puis
santes
agiraient dans ce
sens
pour en
faire peut-tre
une
ncessit
historique
objective .
Nous pensons qu il
n en
est rien
parce
qu un
objectif
de
cette nature
est
objectivement impossible pour
les pays sous-
dvelopps
du
dernier tiers
du
xxe
sicle.
La Russie au
dbut
de
ce
sicle n tait pas un pays priphrique mais
un pays de capitalisme
central attard.
Ses
structures taient diffrentes
de
celles du sous-dveloppement, c est--dire
de
celles du
capitalisme
dpendant : la marginalisation par exemple y
tait inconnue. Aussi
la
Rvolution de 1917
a-t-elle permis
simplement d acclrer le
processus
d accumulation
sans
modifier
d une manire fondamentale
le
modle de
l accumulation capitaliste. La suppression de
la
proprit prive des
moyens de
production au
bnfice de celle de
l Etat
a t
la condition
de
cette
acclration. L histoire a
dmontr
qu il tait possible, dans les
conditions de
la
Russie, de raliser
la
tche de l accumulation comme le
capitalisme l et
fait,
mais dans des
formes
de proprit
diffrentes.
Cette
possibilit trouve son
reflet
dans la
thorie sovitique de
la rvo
lution socialiste rduite
un
bouleversement des formes
de
la proprit
qui
permet
par
la
suppression
de
la
proprit
prive
l ajustement
de celles-ci au niveau de
dveloppement
des forces productives (potent
ielles, c est--dire correspondant l objectif d industrialisation ralis).
Cette thorie conduit une idologie
conomiste
de la transition, for
mule en
termes
connus
:
la priorit
de
l industrie lourde
sur
l industrie
lgre, celle de l industrie sur l agriculture, l imitation sans restriction
des
technologies
de l Occident, la
dfinition
des
modles
de
consom
mationpar rfrence
ceux
de
ce mme Occident, etc., bref
l ensemble
de
dogmes rsums dans la formule ambigu
rattraper dans tous les
domaines
de
la
production
les pays
avancs
.
L Angleterre
ayant t
l origine du
capitalisme industriel, tous les
autres pays aujourd hui dvelopps ont t d une certaine manire,
quelque
moment, attards
par
rapport elle. Mais aucun de ces pays
n avait jamais t priphrique au
sens
o nous
l avons
dfini. Avec
un
dcalage dans le
temps,
l Europe
continentale
et
l Amrique
du
Nord ont
rattrap
(puis
dpass
en ce
qui concerne les
Etats-Unis et
l Allemagne)
l Angleterre,
dans
des
formes
largement analogues celles
du
modle
714
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
14/25
LE
MODLE
THORIQUE D ACCUMULATION
anglais.
Le Japon
est
parvenu
en
dfinitive au
mme modle
d un
capi
talisme achev de premire grandeur, mais
dj
les
formes
de
la
priode
de
transition
prsentaient-elles
quelques
particularits intressantes,
notamment le rle central de l Etat. La Russie constitue
la
dernire
exprience
d un modle
d accumulation semblable,
original seulement
dans ce
sens que
la
proprit
tatique n a pas
t
seulement une forme
transitoire
mais
sa forme
dfinitive,
c est--dire probablement irrvers
ible. est en cela
que rsident
l ambigut provenant des
origines
(la
rvolution socialist)
et la
particularit
de
son systme achev
de capita
lisme
national
d Etat.
Dans
tous ces
modles en
tout cas
la priode
de
transition
a t
caractrise
par
la
soumission des
masses
rduites
au
rle
passif
de rserve
de main-d uvre transfre progressivement vers le secteur moderne
en
constitution
puis en
extension
jusqu au
moment
o il
a
absorb toute
la
socit. Le
kolkhoze et
l oppression administrative ont rempli cette
fonction
comme,
dans le modle
anglais,
les enclosure acts
et
les poor laws
l avaient fait.
Or cette voie
est
ferme aux
pays de
la
priphrie
actuelle du
fait
mme
du
dveloppement, dj
avanc,
des processus de marginalisation,
de
l cart considrable et grandissant entre la technologie moderne mise
en uvre par le capital dominant
et
l exigence d une amlioration immd
iate
du
sort
des
masses,
etc.
L alternative
est
ici
:
ou
bien
dveloppement
dpendant selon
le
modle
dcrit
plus
haut,
ou
bien
dveloppement
autocentr ncessairement original par rapport
celui
des
pays
actuel
lement
dvelopps.
Et c est dans ce
sens que l on retrouve
la loi du
dveloppement ingal
des civilisations :
la
priphrie
est
contrainte de
dpasser le
modle
capitaliste (ft-il d Etat), elle
ne
peut le rattraper .
La priphrie
est en effet contrainte, par suite
des
dsquilibres
spcifiques
que
son
intgration
comme
priphrie
dans
le
systme mond
ial a engendrs (lesquels se traduisent par
la
marginalisation), de
rviser
radicalement
le
modle
capitaliste
d allocation
des ressources.
Elle est
contrainte
de
rejeter les rgles
de
la
rentabilit. En
effet,
les choix
fonds sur
la base
de
la
rentabilit
dans
la structure des
prix relatifs
qu impose
l intgration dans
le
systme mondial entretiennent et
repro
duisent le modle
de
distribution ingale grandissante des revenus (donc
la
marginalisation), donc leur tour enferment dans le
modle
priph
rique allocation
des ressources. L opration
de
redressement
du
processus d allocation des ressources doit donc tre largement envisage
715
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
15/25
SAMIR
AMIN
en dehors des rgles
du
march, par une apprhension directe de l expres
sion
es
besoins (besoins nutritionnels, logements, ducation et cul
ture,
etc.).
Ce
faisant,
la
priphrie est
contrainte de
dpasser
le
capi
talisme, d ouvrir
la
brche en direction
de
l invention
d une
civilisation
socialiste, de dsaliner l humanit
(i).
Tous
les
problmes
techniques
de
la
stratgie
de
la transition
doivent tre examins
nouveau
sous cet
angle
fondamental.
Notam
ment
es articulations agriculture -
industrie,
industries
lgres -
indust
riesde
base, mthodes labour intensive - mthodes capital
intensive,
doivent tre reprises dans ce cadre. Le problme
est
ici de combiner les
installations les
plus
modernes avec des
amliorations
immdiates
dans
le
secteur
pauvre
(le
secteur
2
du modle)
o
se
concentre
la
masse
de
la
population,
de
mettre la technique moderne au service
de
l amlioration
immdiate
de
la productivit et du sort des masses.
C est
en effet cette
amlioration
immdiate,
et
elle seule,
qui
permet de librer
les forces
productives, les initiatives inventives, de mobiliser les masses au sens
vritable
du terme.
Cette
mobilisation, dans ce
sens,
exige videmment
l panouissement des formes spcifiques
d une dmocratie vritable
tous les
niveaux
:
du
village,
de
la rgion
et
de
l Etat
(2).
La combinaison
spcifique
techniques modernes - amlioration
immd
iate u sort des masses exige
sans aucun
doute une
rvision
radicale des
directions
de
la
recherche scientifique
et
technologique. L imitation
des
technologies du
monde dvelopp ne peut pas rpondre ce problme
spcifique
du monde
sous-dvelopp d aujourd hui.
C est
ici
la
raison
majeure
du
plaidoyer en faveur de l autonomie de
la
recherche
scien
tifique
et
technologique
du
Tiers
Monde
(3).
Ainsi conues
les stratgies
concrtes
de
la transition apparaissent
avant
tout
comme des
stratgies de
self-reliance. Self-reliance qui doit tre
apprhende
diffrents niveaux,
en
respectant dmocratiquement les
groupes sociaux populaires
rels
dont
est
compose la nation : le village,
(1)
La
porte universelle
de
la
rvolution culturelle chinoise s inscrit ici trs videmment.
Voir Pierre Amon, La
rvolution
culturelle et le marxisme, Que Faire, n
5,
1970.
(2) Toute
la
problmatique du pseudo tribalisme en
Afrique
doit
tre
rvise
de ce
point
de
vue.
La
dmocratie authentique ncessaire
exige
le respect
intgral de la ralit
sociale.
C est
en
la respectant seulement qu on peut l intgrer positivement
dans
un
processus
qui
en
permet
le
dpassement. La ngation bureaucratique de la ralit bloque l volution et permet
une rapparition perfide
et
ngative
de
cette
ralit
que
l on
nie officiellement.
(3) Voir
l article
de
Urs
Muller-Plantenberg (Technologie et dpendance, Critiques
de l'conomie
politique,
n
3,
1971), qui dfinit d une manire
prcise
la nature de la technologie
qui peut
rpondre aux problmes du monde sous-dvelopp actuel.
716
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
16/25
LE
MODLE THORIQUE
D ACCUMULATION
la
rgion (notamment
en Afrique la rgion
vritable
qui correspond
une
homognit
culturelle
et
ethnique), l Etat
et
ventuellement le
groupement
d Etats.
Le
niveau
de maturation
des conditions
atteint
peut
contraindre
tel
pays
n envisager pour
un temps
que
les niveaux
les plus
lmentaires de ces stratgies
concrtes
de
la transition, conues
ds lors dans une
trs
longue perspective. C est dans ce cadre
que
nous
replacerons la question des
petits
pays
. L exemple du Vietnam
dmontre
en
effet que, mme dans un petit pays
et
ici
dans
les
conditions
objectives
les
plus
dures imposes
par la
guerre
une
stratgie
de
self-reliance peut tre
un
premier
stade
efficace
de
la
transition.
La
perspective,
trs
longue,
de
la
transition
n est pas
ici
l expression
de
l chec
d un
dveloppement
que
l on
souhaiterait
videmment
rapide. Elle tmoigne seulement
qu en
fait
le problme
du
sous-dvelop
pemente peut tre
dfinitivement
dpass
que
dans
le cadre
d un
sys
tme
mondial
rnov radicalement, d une socit socialiste plantaire.
C est
pourquoi
d ailleurs l expression
de transition
est
tout
fait
propos
: transition
du
systme capitaliste mondial,
fond
sur une
hirar
chisation des nations, un
systme
socialiste
mondial
qui ds
lors ne
peut tre
constitu
par la juxtaposition
de
nations
socialistes
relat
ivement
isoles
et
autarciques. La solidarit relle des peuples
dans
le
projet de
refaonnement du monde
manifeste ici ses
effets
: les limites
aux
perspectives immdiates
du
progrs dans
les
rgions
du Tiers
Monde o les conditions
du
dpassement
du systme
capitaliste
mris
sent
e traduisent rien
d autre que la faiblesse
actuelle
des forces
du
socialisme au
centre du
systme.
La
problmatique
de la transition formule de
cette
manire aide
comprendre le caractre
born du
cadre
dans lequel
le
dbat
a t enferm
jusqu aux annes 60. La
transition
exige bien autre chose que l extension
de la proprit publique au
dtriment
de
la
proprit prive ou celle de
la part
de
l industrie
lourde,
etc. Cette
extension
du
secteur public
et
de
l industrie lourde,
si
elle n est
pas
accompagne
d une
rvision
radicale
des choix
conomiques,
ft-ce en sacrifiant
partiellement
l objectif d une
croissance maximale
rapide, risque, la priphrie, de perptuer
le
modle
de
dveloppement dpendant, bien que
dans
des formes nouvelles. C est,
comme
nous
le verrons, la
tendance spontane du systme
actuel. La
problmatique des rapports
volutifs
entre
les
formes marchandes et
les formes non marchandes des catgories
de
la
transition
constitue
un
volet essentiel
du dbat
rel, comme
la
problmatique des rapports
717
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
17/25
SAMIR
AMIN
volutifs entre
la
centralisation
et
la dcentralisation, le pouvoir
et la
dmocratie, etc.
La
transition,
dans
les
conditions actuelles
d ingalit
entre
les
nations,
rappelle qu un dveloppement qui n est pas
simplement
dvelop
pement du sous-dveloppement,
sous sa
forme
classique
ou
sous
des
formes
rnoves
,
est
simultanment national, populaire-dmocrat
iqu
t
socialiste
par
le projet
dans
lequel
il
s inscrit. C est donc dans
la
mesure
seulement o l objectif
de maturation
et
de
dveloppement
de
la conscience socialiste n est sacrifi
aucun
stade celui
du
progrs
conomique
rapide
qu une stratgie peut tre qualifie de stratgie de la
transition.
les tendances spontanes du
systme
:
l chec des
politiques de dveloppement
et les formes
rnoves
de
la
dpendance
L analyse
qui
prcde des conditions de
la transition, dfinies
partir du
modle
actuel
de gnration de
l ingalit entre les
nations,
permet, par
opposition,
de
situer
les
raisons de
l chec des politiques
de
dveloppement
pratiques dans
le Tiers
Monde
,
et
de dgager
la
direction des tendances spontanes
du
systme.
Y
a-t-il
une
voie
de
dveloppement
diffrente
possible
?
Un
examen
superficiel des
rsultats
des vingt-cinq dernires
annes
pourrait le
suggrer.
Quelques
pays
du Tiers Monde
ont
en effet vcu, pendant des
priodes plus ou moins longues, des taux de croissance levs,
dans
le
cadre
du systme mondial
actuel. Fonds sur un
dveloppement extra
verti, lui-mme conditionn par la demande
extrieure de
telle ou
telle
matire
premire (secteur i)
et
l investissement
de
capitaux trangers
(dans
les secteurs
i et
3 de
notre
modle), ces miracles
ont
eu pour
contrepartie
la stagnation des autres
pays
dudit Tiers
Monde,
qui sont la
trs
grande majorit.
Par
ailleurs dans
toutes ces
expriences
apparem
ment heureuses les caractres
spcifiques du sous-dveloppement
(ingalits
internes
croissantes et
distorsion
consquente
de
l allocation
des ressources, marginalisation
et dpendance,
etc.) non seulement
n ont
pas t rduits, mais sont de plus
en
plus marqus
(1).
(1) Comme vient de le
reconnatre
la Confrence
des
Nations Unies pour le Commerce
et
le
Dveloppement
(C.N.U.C.E.D.) runissant 77
pays
Lima
(octobre
1971). Cf.
plus
loin l article
de
J.-Ph. Colson, p. 813.
718
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
18/25
LE MODLE THORIQUE D ACCUMULATION
La planification vide de
son contenu
apparat
alors comme une
coquille
creuse :
une technique qui
se rvle
alors inefficiente. On ne
peut
en
effet
planifier
qu un
dveloppement
autocentr.
La
discussion
du modle
de l accumulation
au centre nous
a indiqu
la
base
sur laquelle
une politique conomique nationale peut tre fonde, qui constitue le
contenu essentiel de
la
planification indicative , de l conomie
concerte des
pays capitalistes avancs.
Cette
base est,
rappelons-le,
un
stade avanc
de
monopolisation
d une
part et une conscience sociale
dmocrate
d une
classe
ouvrire fortement organise
d autre
part.
L
conomie
concerte
trouve nanmoins
sa
limite dans la contra
diction grandissante entre le
caractre
mondial
de
la production et le
caractre
national du
contrat
social
(i).
Le
modle d accumulation
acclre de
la
Russie sovitique a
dvelopp, dans
les conditions
spci
fiques
que
nous avons dcrites, les techniques
de
la
planification.
Nous
avons dcrit le contenu essentiel des stratgies de la transition,
nces
sairement
autocentres, qui peut constituer le fondement d un troisime
type
de planification.
Par contre
la
tentative de
planifier
une stratgie de
dveloppement
dpendant et extraverti n a rigoureusement
aucun
sens.
Car elle
est
inutile
si les conditions sont
favorables
,
impuissante si elles
ne
le sont
pas. Cette tentative
est probablement
un rsultat
mineur
certes
de
l alination
technocratique
et
de
l imitation
servile
des
modes,
transpo
ses
ans esprit
critique du monde
dvelopp
au monde
sous-dvelopp,
dans une
version d ailleurs le
plus souvent
pauvre
et
parfois caricaturale.
L chec
de ces planifications se situe tout
entier dans cette constatation
valable
en Afrique, en Asie et en Amrique
latine
que les
rsul
tats
(en
terme
de croissance) ont t presque
absolument indpendants
des prvisions
et
des plans
.
L insuffisance des mthodes
et
des
techniques,
celle
des administrations
charges de
l excution,
invoques
le plus
souvent
pour expliquer l incapacit
des
services du
plan d orienter
vritablement
la vie
conomique
du
pays,
ne
constituent
que
les
appa
rences superficielles
d une
impuissance
qui
trouve
son origine ailleurs.
L action
des
firmes
multinationales dominantes,
dont
les centres de
dcision sont extrieurs
aux pays
sous-dvelopps o elles oprent,
(i)
C est pourquoi la crise
du
systme
apparat dans le domaine des relations montaires
internationales
(la
crise
actuelle du
dollar, etc.).
Triffin (Le
systme
montaire
international,
Paris,
1969)
exprime cette conscience
en plaidant
la cause de
l utopie : celle d une
autorit
montaire supranationale qui suppose la contradiction rsolue.
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
19/25
SAMIR AMIN
rduit la
planification
la prvision
des comportements probables
de ces
firmes, et
celle des rponses de
l conomie
traditionnelle
et
de
la
petite
et
moyenne
entreprise
ces
comportements.
Au
mieux
le plan
sera
rduit
une
prvision
des incohrences des comportements
et
des
blocages
possibles qui en
rsultent sans
pouvoir agir efficacement, ou
l laboration des programmes publics
traditionnels
d accompagnement
d une croissance que l on
ne matrise pas.
La
critique
de
l inefficacit
de
la
planification
dans
ces conditions
est
aujourd hui banale. A tel enseigne que l on recommande
mme
ouverte
menton abandon au profit de
la
rhabilitation simple
du
calcul de la
rentabilit par projet . Cette
politique, prconise
systmatiquement,
notamment par
la B.I.R.D.,
ne rsout pas le problme : elle constate
seulement
l chec des prtentions.
Un
dveloppement
spontan
de
ce type
peut-il
au
moins
crer
les conditions
de
son propre dpassement dans le cadre du systme,
auquel cas
il
apparatrait en dfinitive comme une tape premire,
ncessaire
historiquement ? On peut en douter trs
srieusement
puisque le modle sur lequel il
est
fond
est
un
modle
de reproduction
de ses propres
conditions. Cet approfondissement du dveloppement
priphrique dpendant
s engage
dans des
directions
dj visibles aujour
d hui, qui constitueront
demain
sans
doute les formes principales
du
sous-dveloppement
avanc
.
La
domination technologique
rsulte
ncessairement de
la
priorit
du dveloppement
des
secteurs
i
et
3
,
parce que
ces
secteurs doivent tre comptitifs au niveau inter
national, soit
qu il
s agisse d exportations, soit
qu il
s agisse de produits
de
luxe
dont la promotion traduit l adoption
de
modles
de
consom
mation occidentaux. Cette
domination
indirecte pourra se substituer
au
contrle
direct de l entreprise
par
le
capital
tranger.
En effet,
aux
stades
premiers de
la
formation
des
conomies pri
phriques l cart technologique tant encore rduit, le capital central
dominant
doit,
pour
garantir
le fonctionnement
efficace
du
systme
son
profit, contrler directement les
secteurs
modernes dont il
assure
la
promotion. Des moyens de contrle politique direct sont galement
ncessaires
ce
stade,
d o la colonisation
ou l intervention directe dans
les
semi-colonies
que
sont alors
les pays
d Amrique
latine
et certains
pays
orientaux. A
un
stade avanc
du
dveloppement priphrique
la
domination
technologique,
fonde
sur un
cart
grandissant dans
ce
domaine,
articule sur l existence
de couches
et classes
sociales
locales
720
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
20/25
LE MODLE THORIQUE
D ACCUMULATION
intgres, par leur mode de
consommation
(donc leur
intrt
rel),
et
le plus souvent
l idologie
qui l accompagne
(renonciation
au patrio
tisme
national, rduction
de
l idologie au consumismo,
etc.),
garantit
les
conditions
de
reproduction du systme
sans
investissement direct
de
contrle
et
sans intervention
politique directe. Telle est
la
signification
du
no-colonialisme ou
du no-imprialisme
qui se dessinent
(i).
Dans
ces
conditions la charge
de
l investissement peut tre assure par
par
gne locale, prive ou
surtout
publique. Le dveloppement d un secteur
public, qui peut devenir trs important, voire mme dominant l chelle
locale,
n exclut donc
pas la
dpendance de V
nsemble
du
systme,
secteur
public inclus,
l gard du
monde dvelopp. Cette dpendance
est
garantie
par
le
jeu
de
forces
sociales locales,
fussent-elles
organises
dans
un capi
talisme d Etat qui
se prtend
socialiste . A
un stade
trs avanc mme
on
peut imaginer le
dveloppement
d un secteur 4
c est--dire d une
industrie
lourde qui serve
de
support local au dveloppement dpen
dant
ensemble.
Dans ce
cas,
ce secteur
revt
largement la forme d un
secteur
public,
comme au
Brsil.
La
thorie
politique du subimprialisme (2) rpond
un problme
rel qui se
pose ici :
celui
de
l ingalit dans
le
dveloppement priph
rique.
ar
on peut concevoir que,
dans
le cadre
de
la
hirarchisation
du
monde, certaines rgions de
la
priphrie bnficient de
la
concent
ration
gographique,
sur
leurs territoires,
des
industries
de
type
3
et
4 non
seulement
pour leur
propre
march national , mais
encore
pour celui
de
voisins
maintenus principalement
dans la
fonction de
rserves de main-d uvre bon march. De telles
perspectives ne
sont
pas seulement
visibles dans
quelques grands
Etats du Tiers Monde
(le
Brsil en est l exemple le plus achev, mais on
devrait
examiner dans
cette perspective le rle que l Inde pourrait tre appele
jouer);
elles
le
sont mme
l chelle de
zones plus
modestes, dans le
monde arabe
ou en Afrique noire. En Afrique, plus qu ailleurs peut-tre, la coloni
sation,
directe
et
brutale,
a
bris
l ensemble
des
structures
prcoloniales
et notamment des rseaux du commerce
africain intracontinental
et
des rapports
de
complmentarit entre les diverses rgions
de
ce conti
nent massif. On aura l occasion de voir comment ce refaonnement de
(1) Ce stade n est pas atteint dans l Afrique contemporaine o
l investissement
tranger
direct demeure moteur. C est pourquoi l expression de
nocolonialisme
ne nous a
jamais
paru scientifique.
Nous
prfrons
celle de noimprialisme (faute
de mieux),
qui ne s applique
qu aux pays sous-dvelopps
trs
avancs (comme
le Brsil).
(2) Due
Ruy
Mauro Marini (Subdesarrollo y revolution,
Siglo
XI, Mexico, 1969).
721
.
m.
52 46
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
21/25
SAMIR AMIN
l Afrique
dans le sens
d une
conomie
extravertie dpendante
s est
inscrit dans la
gographie
du
continent
par la polarisation
cotire
du
dveloppement
et
concomitament
l appauvrissement
de
l intrieur.
Les
migrations massives qui en
ont
rsult
ont
accentu
leur
tour les
ingalits rgionales. La balkanisation politique, qui trouve l une
de
ses bases essentielles dans ce processus de dveloppement priphrique
dpendant
ingal, cre les
conditions
de micro subimprialismes dans
le
cadre d un systme
d ensemble
dpendant.
Plus ou moins rgul ou non par une pseudo-planification, le dvelop
pement priphrique dpendant,
mme
dans ses formes
d avenir
encore
embryonnaires se traduit ncessairement par
l accentuation
de
la
marginalisation.
C est
cette
marginalisation
grandissante
qui
est
l or
igine du
problme
dmographique
du Tiers Monde contemporain.
L explosion dmographique, qui
est
un
fait
incontestable, n est
en aucune
manire
la
cause de
la
misre grandissante des masses de ce Tiers Monde,
comme
le prtendent les
raisonnements
simplistes de
la campagne
mondiale
no-malthusienne
de
notre
poque.
Le dveloppement auto-
centr
des pays
actuellement
dvelopps
s est galement
accompagn
d une extraordinaire explosion dmographique
sculaire. Il s est nan
moins sold,
malgr les
cots
rels
d une
croissance
dmo
graphique forte, sur lesquels l accent
est
toujours mis, par une augment
ation
on
moins
prodigieuse
de
la
richesse.
Les
bnfices
en
termes
strictement
conomiques
de densits plus fortes (conomies externes
d infrastructure, etc.), comme,
et
surtout sans
doute, les effets psycho
sociaux
du dynamisme
de
la
confrontation
des gnrations,
ont t
dcisifs. Il n existe d ailleurs pas dans l histoire
de
l humanit
de
priodes
de transformation radicale des
structures
d une
socit
qui n aient t
marques par
un
fort dynamisme
dmographique.
L explosion dmo
graphique
du Tiers Monde est l expression
de
la maturit
de
celui-ci,
c est--dire de son
exigence
de dveloppement, comme elle rvle
la
contradiction
entre
cette
exigence
et
les
effets
du
carcan
du
systme
mondial. La marginalisation
est la
manifestation de
cette contradiction;
elle
doit tre
rapporte au modle
du dveloppement
extraverti dpend
ant,
non
l explosion
dmographique.
On
retrouve ici
encore
sans
doute l un des aspects du problme
de
l ingalit du dveloppement
l chelle des civilisations, c est--dire l une des formes par lesquelles se
rvle la ncessit
de
dpassement du capitalisme,
ressentie
plus fortement
la
priphrie
qu au
centre.
722
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
22/25
LE MODLE THORIQUE
D ACCUMULATION
Ce besoin objectif
de
dpassement du systme ne peut videmment
devenir ralit
que
s il se traduit
dans la
conscience sociale. Et c est
pourquoi
la problmatique de la
transition
conduit
ncessairement
celle
de
la conscience
sociale.
LA
PROBLMATIQUE
DE
LA
CONSCIENCE SOCIALE AU CENTRE
ET
A
LA
PRIPHRIE
DU
SYSTME
Les
problmes relatifs
la conscience
politique
et sociale ne peuvent
tre abords
correctement
en dehors du
cadre de
rfrence du
modle
gnral
du dveloppement propos,
qui
distingue
le
modle
central
du
modle
priphrique,
et
permet
une dfinition correcte
de
la probl
matique des phnomnes sociaux en question.
Ce cadre nous rappelle
en
effet
que
le chmage
et
le sous-emploi
dans
le
systme priphrique n ont pas
les mmes
formes et ne remplissent
pas les mmes
fonctions
qu au centre. Si au
centre
le chmage
revt
une forme clairement dfinissable par ses contours nets, qui
en
permet
une mesure statistique facile, il
n en
est
pas
de mme
la priphrie.
Ici,
la
marginalisation
ne
se manifeste pas seulement par
le
chmage
urbain ouvert, reprable.
Elle
se manifeste
aussi
par
:
i)
Le
sous-emploi;
2) La rotation dans l emploi; 3)
L auto-emploi
dans des activits
trs
faible productivit, seul moyen
de survie
pour des catgories nombreuses
de
la population.
Les
frontires entre ces
diffrents
modes d emploi
et
de
sous-emploi
sont floues
et
changeantes. Le reprage quantitatif
implique donc des dfinitions propres,
diffrentes
de celles
en
cours
dans
les pays
dvelopps.
Des
phnomnes
sociaux varis
et
importants,
comme l organisation
de
la solidarit redistributive, ne peuvent tre
analyss en termes de
survivances
de
la
socit traditionnelle (soli
darits
ethniques
et villageoises,
etc.), mais doivent au contraire
tre
rinterprts
comme les
moyens
de
rsistance
et
de survie
dans
les
condi
tions du
capitalisme
priphrique, mme s ils
se
moulent dans
des
formes
traditionnelles
. Il en
est
de mme de
nombreuses
activits
conomiques
pauvres , notamment dans l artisanat, les
services
et
le
petit
commerce.
La conscience sociale
et
politique, notamment la conscience
de
classe, ne peut pas tre comprise
et
situe dans l abstrait, en dehors de
toute rfrence
au
systme
social rel
dans lequel sont
situs les
groupes
723
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
23/25
SAMIR AMIN
sociaux tudis. La conscience ne peut tre
que
prise de conscience de la
ralit.
Cette prise de
conscience
permet
aux
groupes
sociaux d envisager
ds
lors
une
action
efficiente,
soit
dans
le
cadre
du
systme, en
acceptant
les rles qui leur y sont affects, soit pour en modifier radicalement
l organisation.
Dans
le
systme central, on constatera
que
la conscience
de l appar
tenance
un
groupe social (le proltariat, par exemple) ne dfinit pas
elle seule
la
conscience de classe.
Celle-ci
peut tre une conscience
rformiste une conscience
de
classe social-dmocrate qui
constitue,
comme nous l avons
vu,
une condition
objective
du
fonctionnement
du
systme central
notre poque.
A
la
priphrie,
par contre, une
cons
cience
sociale
de
ce
type
n est pas possible,
puisque
le fonctionnement
objectif du systme n intgre pas les masses, mais au contraire les rejette
en
dehors de lui-mme, les marginalise. Ds lors,
la
prise de conscience
de
la
marginalisation
doit conduire
au rejet
du
systme. La
question qui
se pose ici
est
donc de savoir concrtement
si dans tel
pays
tel
moment
les
groupes
ou
les
sous-groupes
marginaliss
attribuent leur
sort
au
fonctionnement
objectif du systme ou y voient au contraire l effet des
forces sociales
tranges,
voire
surnaturelles,
ce qui videmment rduit
leur capacit d agir pour modifier le
systme et
contraint leur
action
politique
ne pas dpasser
le stade de
rvoltes
sans
stratgie. La rponse
cette
question,
la
seule
question
qui
se
pose
effectivement
notre
avis,
sera videmment diffrente selon les groupes, les lieux
et
les moments.
C est
dans
ce
cadre thorique qu H faudrait replacer tous les
problmes
sociaux, idologiques, culturels et
politiques
du
Tiers
Monde
contemporain.
Le
dbat
tradition-modernit
oppose
gnralement d une manire
absolue les deux termes qu il dfinit, le second
en
le
rduisant
sa forme
historique (capitaliste
et occidentale)
en
fermant par
l
mme
la
porte
un dpassement
du
capitalisme
qui
soit
plantaire
vritablement
universel
(mais
non
homognisant)
le
premier
sans
rfrence
aux
socits
priphriques actuelles, en situant
le traditionnel
dans
un
prcapitaliste
(et
non
occidental) qui n existe plus.
Car
o sont les
socits
tradition
nelles aujourd hui ?
Soumises
la
fonction de
fournir
de
la
main-
d uvre
bon march au secteur
moderne
(aux secteurs
i et
3 articuls
comme ils
le sont),
la socit
majoritaire
du
point de vue
du nombre
des hommes qu elle englobe, dite
traditionnelle ,
ne
l est plus : elle
est
pseudo-traditionnelle, c est--dire d une traditionnalit
transforme,
724
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
24/25
LE
MODLE THORIQUE D ACCUMULATION
dforme, soumise. On
verra
d ailleurs
que,
sur l exprience
de
l Afrique,
des mouvements
de
transformation sociale
d allure
traditionnelle (les
mouvements
religieux
de
protestation
qui
prennent
des
formes
propht
iques,
les mouvements
thocratiques de rorganisation
du
pouvoir
local comme ceux des confrries
musulmanes
d Afrique
de
l Ouest
Mourides
du Sngal,
sultanats
du
Nigeria
ou le
mahdisme
soudanais,
l volution de certaines
monarchies centralises
de
l Afrique
animiste comme les Etats Wolof ou dahomens, etc.) sont des rponses
aux
problmes
de l intgration dans le
systme mondial
naissant, c est--
dire
en
dfinitive des
mouvements d adaptation,
d ajustement
la
condi
tion
e
priphrie. Des phnomnes
que les
sociologues
analysent
trop
souvent en
termes
de
survivances
comme
le
tribalisme
ou
les
solidarits villageoises, familiales, claniques ou ethniques chez les immig
rants
urbains
sont trop tenaces pour ne pas appeler une critique
de
cette approche
dualiste
mcaniste. Leur tnacit s explique quand on
comprend que ces
formes
pseudo-traditionnelles
cachent
un
contenu
moderne
,
bien
que
pauvre
; qu elles
constituent
un
moyen
de
survie
dans les conditions dramatiques
de
la
marginalit
(i).
La
marginalisation
pose un
problme
rel
trs
srieux : celui de ses
formes (et des
consquences de ces
formes sur la conscience sociale) et
de
ses
frontires
(qui sont toujours trs floues). L observation empiriste des
phnomnes
sociaux a conduit
dans
ces domaines des conclusions qui
sont le plus souvent trop rapides notre avis. Le
thme
des cultures
de
la
pauvret (2)
et
les analogies entre ce thme
et
celui de la lumpen-
proltarisation constituent un
exemple
de simplification dont la
critique
reste faire. A
l autre
ple
le thme de l aristocratie
ouvrire
des
pays
sous-dvelopps en constitue
un
exemple
tout
autant
discutable.
Certes des stades trs lmentaires de l industrialisation, comme on
les connat
encore trs largement en Afrique, la
classe
ouvrire
au
sens strict peut
apparatre
privilgie , proche des couches petites
bourgeoises
dans
son
statut
social
et
sa
conscience.
La
politique
des
firmes internationales
accentue ce
caractre
(3).
Dans les conditions sp-
(1) Le grand film sngalais d Ousmane Sembne (Le mandat) constitue
une dmonstrat
ioncientifique vivante de
cette
thorie, meilleure
que
bien
des
analyses sociologiques pr
tentieuses
(2) Oscar Lewis (Les enfants de Sanchez)
a inaugur cette
cole.
(3)
G. Arrighi {International
Corporations,
labour aristocracies and economic development in
Tropical
Africa,
doc. ronot, Dar es-Salaam, 1969) a dvelopp
ce
thme
de
la
manire
la
plus
cohrente
notre connaissance,
sur le
cas de la Tanzanie.
725
5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf
25/25
SAMIR
AMIN
cifiques de certaines rgions d Afrique tropicale notamment le
retard
de
la mise en valeur
coloniale
(le retard du dveloppement du
secteur
i
),
la
solidit
des
structures
prcapitalistes
non
entames
par
la
pri-
phrisation de
la socit
(ces structures demeurant ds lors dominantes
dans
le secteur
2 ),
limitent
la ponction
que le secteur
moderne
(1
et
3)
naissant
peut exercer sur la socit en voie
de priphrisation.
En
termes
conomistes l offre
de main-d uvre bon march
pour
le secteur
moderne
naissant
est
limite; d o
les
rmunrations
moins
mauvaises
de
celle-ci.
Mais
l acclration
du
processus
de
priphrisation dmontre
qu des stades plus avancs
la condition
de
ce
noyau proltarien se
dtriore
en
termes
relatifs, et
souvent
absolus. Des relations
d alliance
nouvelle apparaissent
alors
possibles
entre
ce
noyau
et
la masse
margin
alise, dsormais semi-proltarise au sens plein
du terme,
fondes sur
une solidarit objective (le poids que
le
chmage
dclar
exerce dsormais
direc