25
Samir Amin Le modèle théorique d'accumulation et de développement dans le monde contemporain. La problématique de transition In: Tiers-Monde. 1972, tome 13 n°52. Le capitalisme périphérique. pp. 703-726. Citer ce document / Cite this document :  Amin Samir. Le modèle théori que d'accumu latio n et de dévelo ppement dans le monde contemp orain. La problé matique de transition. In: Tiers-Monde. 1972, tome 13 n°52. Le capitalisme périphérique. pp. 703-726. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1972_num_13_52_1880

Le modèle théorique d'accumulation et de développement dans.pdf

Embed Size (px)

Citation preview

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    1/25

    Samir Amin

    Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans

    le monde contemporain. La problmatique de transitionIn: Tiers-Monde. 1972, tome 13 n52. Le capitalisme priphrique. pp. 703-726.

    Citer ce document / Cite this document :

    Amin Samir. Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans le monde contemporain. La problmatique detransition. In: Tiers-Monde. 1972, tome 13 n52. Le capitalisme priphrique. pp. 703-726.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1972_num_13_52_1880

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_tiers_298http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1972_num_13_52_1880http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1972_num_13_52_1880http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_tiers_298
  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    2/25

    LE MODLE THORIQUE

    D ACCUMULATION

    et de

    dve loppement

    dans le monde contemporain05

    LA

    PROBLMATIQUE DE TRANSITION

    par

    Samir Amin*

    L objet

    de

    cette tude est

    de

    montrer qu il existe une diffrence

    fondamentale entre le modle de l accumulation

    du

    capital

    et du dvelop

    pement conomique

    et

    social qui caractrise

    un

    systme autocentr

    et

    celui qui caractrise un

    systme priphrique.

    Cette diffrence

    que

    nous

    considrons

    comme absolument fondamentale

    dgage, c est

    dans ce

    cadre

    thorique gnral

    que

    nous

    tenterons de remplacer

    les

    questions de structure

    sociale ainsi

    que diffrents

    aspects

    essentiels des

    problmes

    du

    monde contemporain, tant sociaux (notamment celui

    du

    chmage, du sous-emploi et

    de

    la

    marginalit)

    qu idologiques et poli

    tiques

    (notamment les

    problmes

    de

    la

    conscience sociale, de la cons

    cience

    de classe, les

    problmes

    de

    la planification,

    de

    la mobilisation

    des

    ressources et des hommes, les problmes

    de

    l ducation et

    de

    son rle

    social,

    etc.).

    *

    Directeur

    de

    l Institut

    africain

    de

    Dveloppement conomique

    et

    de

    Planification

    (I.D.E.P.),

    Dakar, Sngal.

    (i)

    Ce modle

    n est

    pas

    autre

    chose

    qu un

    bref

    rsum de notre travail

    publi

    sous

    le

    titre

    de

    YAccumulation

    l'chelle mondiale

    (Paris,

    I.F.A.N.-Anthropos, 1970).

    Le

    lecteur pourra

    se reporter, pour plus de dtails, cet ouvrage. Ce travail retrouve les rsultats d un grand

    nombre de chercheurs

    des sciences sociales,

    notamment de

    l cole

    latino-amricaine.

    Ce n est

    pas ici le lieu de

    faire

    la

    part

    de l apport de chacun (on peut se rapporter pour cela

    notre

    ouvrage cit). Nous ne

    pouvons toutefois

    passer sous

    silence l analyse magistrale de

    la

    margin

    alit

    due Anibal Qui ano (Redefinition de la dependencia

    y

    marginalisation en America

    latina,

    Santiago,

    Centro de Estudios

    Socio

    Economicos,

    Universidad

    de Chile, C.E.S.O., 1970,

    document ronot).

    703

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    3/25

    SAMIR AMIN

    Le schma ci-dessous

    rsume

    abstraitement la diffrence qui

    spare

    de

    ce

    point de vue

    un

    systme autocentr d un systme

    priphrique.

    i

    2

    i

    3

    i

    4

    Expot- Consommation Consommation Biens

    tations

    de

    masse de

    luxe

    d quipement

    t

    t

    (articulation

    priphrique dpendante

    principale)

    Le

    systme conomique est

    partag

    en

    quatre

    secteurs

    qui

    peuvent

    tre

    examins

    tant

    sous

    l angle de la production

    que

    sous

    celui

    de la

    distribution de

    la

    population

    active qui se livre aux activits

    de

    production

    dcrites.

    l articulation dterminante dans

    un systme

    autocentr

    L articulation

    dterminante

    dans

    un

    systme autocentr

    est

    celle

    qui

    relie

    le secteur z (la production de

    biens

    de consommation de

    masse ) au secteur

    4 (la

    production

    de

    biens

    d quipement destins

    permettre

    la

    production

    de

    2).

    Cette

    articulation

    dterminante

    a

    effect

    ivement caractris le

    dveloppement historique du

    capitalisme au

    centre

    du systme (en Europe, en

    Amrique

    du Nord et au Japon). Elle dfinit

    donc abstraitement le mode de production capitaliste pur

    et

    a t

    analyse, comme telle,

    dans

    le Capital. On pourrait

    montrer que

    le

    procs du dveloppement

    de

    l U.R.S.S. comme celui

    de

    la

    Chine

    est

    galement

    fond

    sur

    cette

    articulation dterminante,

    bien

    que les modal

    its

    e

    ce procs

    soient,

    en ce

    qui concerne

    la

    Chine, originales.

    Marx montre en effet que dans le mode

    de

    production

    capitaliste,

    il

    existe

    une

    relation

    objective

    (c est--dire

    ncessaire)

    entre

    le

    taux

    de

    la

    plus-value

    et

    le niveau de

    dveloppement

    des

    forces productives. Le

    taux de

    la plus-value dtermine pour l essentiel la structure

    de

    la distr

    ibution sociale

    du

    revenu

    (son

    partage entre les

    salaires

    et la

    plus-value

    qui prend

    la forme profit), et

    partant celle de

    la

    demande (les salaires

    constituent l essentiel

    de

    la

    demande

    de

    biens

    de

    consommation

    de

    masse,

    les profits sont en totalit ou en partie

    pargns

    en vue d tre

    investis ). Le

    niveau de

    dveloppement

    des

    forces

    productives s exprime

    704

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    4/25

    LE MODLE THORIQUE D ACCUMULATION

    dans la division sociale du travail : l affectation

    de

    la

    force

    de

    travail,

    dans des proportions convenables, aux

    sections

    2

    et

    4

    (les

    sections

    2

    et

    1

    du

    modle

    de

    la

    reproduction chez

    Marx).

    Cette relation

    objective,

    pourtant fondamentale

    dans

    le Capital, a t

    souvent

    oublie

    ,

    notam

    ment

    ans

    le dbat sur

    la

    baisse tendancielle

    du

    taux

    du

    profit. L argu

    ment,

    vanc

    souvent,

    que

    l augmentation

    de

    la

    composition organique

    du capital peut tre

    compense

    par

    celle

    du

    taux de

    la plus-value perd

    toute consistance ds lors que l on comprend que la contradiction entre

    la capacit

    de produire

    du systme et

    sa

    capacit

    de

    consommer imman

    ente au mode

    de

    production capitaliste

    est

    sans

    cesse surmonte

    et

    que

    c est ainsi que s exprime le caractre objectif de

    la

    relation taux de

    la plus-value

    niveau de dveloppement

    des

    forces

    productives.

    Comme

    nous l avons

    soulign maintes reprises,

    ce modle thorique

    de

    l accumulation

    est

    infiniment plus riche que tous les modles empiristes

    labors

    par

    la

    suite :

    1)

    parce

    qu il

    dvoile

    l origine du

    profit

    (ce

    qui

    exige une

    thorie

    pralable

    de

    la valeur) et te la

    rationalit

    conomique

    toute qualit

    absolue,

    la ramenant

    son statut rel

    de rationalit

    dans

    un systme

    et

    non

    de rationalit

    indpendante

    du

    systme, comme

    l a

    magistralement

    redcouvert

    Piero Straffa (1);

    2)

    parce qu H dmontre

    ainsi que les choix conomiques

    dans

    ce systme sont ncessairement

    suboptimaux, dvoilant le

    caractre

    idologique non

    scientifique

    des constructions

    marginalistes

    de

    l quilibre gnral; et

    3)

    parce qu il

    dmontre que le

    salaire rel ne peut tre

    n importe quoi et qu ainsi

    il donne aux rapports de

    force

    sociaux un

    statut objectif.

    La

    relation

    objective en question s exprime dans les

    fluctuations

    conjoncturelles de l activit

    et du

    chmage. Une augmentation

    du

    taux

    de

    la plus-value au-del

    de

    son

    niveau objectivement ncessaire conduit

    une crise, par

    suite de l insuffisance de

    la demande

    solvable. Une

    rduction

    de

    ce taux ralentit

    la

    croissance conomique

    et

    cre

    ainsi

    les

    conditions

    d un march de travail

    favorables

    au capital. Comme nous

    l avons

    montr,

    le

    schma

    de

    cet

    ajustement

    qui

    correspond

    effect

    ivement

    l histoire

    de

    l accumulation

    de

    la rvolution industrielle

    la

    crise de 1930 (une histoire

    marque par

    le cycle

    conomique) est plus

    complexe du fait

    de l influence de

    l effet second des

    variations

    du salaire

    sur le choix des techniques, traduisant par

    l

    mme

    le

    caractre

    sub

    optimal du systme

    conomique. Plein

    emploi

    tendanciel (lequel n exclut

    (1)

    In

    Production of Commodities by

    means

    of Commodities, Camb.

    Univ. Press, 1960.

    .

    M. 52

    45

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    5/25

    SAMIR

    AMIN

    pas,

    mais

    implique

    au contraire

    une

    marge de chmage permanent faible)

    et

    fluctuations conjoncturelles amples

    du

    chmage traduisent

    le fonctio

    nnement

    de

    ce

    systme.

    Les

    transformations internes

    du

    capitalisme

    contemporain

    ont

    enlev

    sa fonctionnalit

    ce

    mcanisme

    d ajustement.

    La monopolisation du capital

    d une

    part,

    l organisation des travailleurs

    l chelle nationale d autre

    part

    rendent

    possible

    une planification

    qui

    aurait pour

    objectif de rduire les fluctuations conjoncturelles. Si

    la

    classe ouvrire accepte

    de se

    situer dans ce

    cadre,

    celui du

    systme,

    c est--dire

    concrtement

    si,

    sous

    la

    houlette

    de

    l Etat,

    capital

    et

    travail

    acceptent

    un

    contrat social qui lie la croissance du salaire

    rel celle

    de

    la productivit

    (dans

    des proportions donnes calcules par les

    technocrates

    ),

    un

    tat

    de

    quasi

    plein

    emploi

    stable

    peut

    tre

    garanti.

    A cela

    prs, videmment,

    que des

    secteurs

    de

    la socit

    peuvent,

    en refu

    sant le

    contrat ,

    dterminer

    des

    troubles :

    il en

    est

    ainsi notamment des

    petites

    et

    moyennes entreprises qui feront les frais de

    la

    concentration

    et

    qui peuvent notamment dans des structures

    relativement arrires

    disposer

    d un pouvoir politique

    de

    chantage plus ou moins

    important.

    A cela prs

    galement

    que les relations extrieures chappent

    ce

    type

    de

    planification. Or la

    contradiction grandit

    entre

    le caractre mondial

    de

    la

    production

    qui se manifeste

    par

    le poids

    grandissant

    des socits

    multinationales et le

    caractre

    toujours

    national

    des

    institutions

    tant

    du

    capital

    que

    du

    travail.

    L idologie

    sociale-dmocrate,

    qui

    s exprime

    dans ce type

    de

    contrat

    social, trouve sa

    limite aux frontires

    de

    l Etat

    national.

    Si schmatique que soit ce

    modle

    il l est bien videmment tant

    une

    abstraction de

    la ralit il

    n en traduit

    pas

    moins l essence

    du

    systme. Dans

    ce

    modle, on fait abstraction des relations

    extrieures, ce

    qui

    signifie non

    pas

    que le

    dveloppement du

    capitalisme se soit opr

    dans

    un cadre national

    autarcique,

    mais que

    les relations

    essentielles

    dans le systme peuvent tre

    saisies

    en faisant

    abstraction de ces

    relations.

    D ailleurs,

    les relations

    extrieures

    de

    l ensemble

    constitu

    par

    les

    rgions

    dveloppes

    avec

    la

    priphrie

    du

    systme

    mondial restent

    quantitat

    ivement

    arginales

    par

    rapport aux flux

    internes du

    centre. De

    surcrot

    ces relations, comme nous l avons montr,

    relvent de l accumulation

    primitive

    et

    non

    de

    la reproduction

    largie ;

    et

    c est pourquoi on peut

    en faire valablement abstraction. Le caractre historiquement

    relatif

    de

    la

    distinction

    entre les biens

    de

    consommation

    de

    masse

    et

    ceux

    de

    luxe apparat galement ici trs clairement. Au sens strict

    du terme,

    706

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    6/25

    LE MODLE THORIQUE D ACCUMULATION

    doivent tre considrs comme des produits

    de luxe

    dans cette termi

    nologie ceux

    dont

    la demande

    provient de

    la fraction

    consomme

    du

    profit.

    La

    demande

    qui

    procde

    des

    salaires s largit

    avec

    la

    croissance

    conomique

    le progrs

    des

    forces

    productives.

    Si aux

    dbuts

    de

    l histoire du capitalisme, cette demande s adresse

    presque

    exclusivement

    des

    consommations

    essentielles

    alimentation,

    textile et

    logement

    elle porte

    de

    plus

    en

    plus

    largement

    aujourd hui,

    un

    stade plus avanc

    du dveloppement,

    sur des

    produits

    de

    consommation

    durable (auto

    mobiles, appareils

    lectromnagers,

    etc.). Cependant, cette succession

    historique

    du

    type des

    produits

    de masse a une importance dcisive

    pour l intelligence du

    problme

    qui nous proccupe.

    La

    structure

    de

    la

    demande

    aux

    dbuts

    du

    systme favorise

    la

    rvolution agricole, en

    offrant un dbouch aux produits alimentaires

    pour

    le march intrieur

    (historiquement,

    cette

    transformation de l agriculture a

    pris la

    forme

    du

    capitalisme agraire).

    On connat par ailleurs

    le

    rle

    historique de

    l i

    ndustrie textile et

    de

    l urbanisation

    (d o

    l adage

    quand le btiment

    va,

    tout

    va

    ) dans le

    procs

    de l accumulation. Par contre, les

    produits

    de

    consommation durable dont la production

    est

    hautement consomm

    atrice

    de capitaux

    et

    de main-d uvre qualifie

    apparaissent tard

    ivement lorsque la productivit dans

    l agriculture

    et

    les industries de

    pro

    duction

    de biens

    non durables

    a

    dj franchi des

    tapes

    dcisives.

    l articulation

    principale dans

    le

    modle priphrique

    Le modle de l accumulation

    et du

    dveloppement conomique

    et

    social

    la

    priphrie

    du

    systme

    mondial

    n a rigoureusement rien voir

    avec celui dont

    nous

    avons dgag l essence

    ci-dessus.

    A

    l origine

    se

    trouve

    la

    cration

    sous l impulsion du

    centre

    d un secteur exportateur qui va jouer

    le

    rle dterminant dans la

    cration

    et

    le faonnement

    du

    march.

    On

    n avancera pas

    beaucoup

    en

    rptant

    satit cette

    platitude que les

    produits

    exports

    par

    la priphrie

    sont

    des produits primaires minraux ou agricoles,

    bien

    videmment des

    produits

    pour lesquels

    telle ou telle

    rgion

    de la

    priphrie

    dispose de

    quelque avantage naturel

    (minerai

    abondant ou produits tropicaux). La

    raison ultime qui rend possible la

    cration de

    ce secteur exportateur doit

    tre recherche en direction d une

    rponse

    la question relative

    aux

    conditions qui

    en

    rendent

    l tablissement

    rentable . Le

    capital

    central

    707

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    7/25

    SAMIR

    AMIN

    national

    n est nullement

    contraint d migrer par

    suite

    d une insuffisance

    de dbouchs

    possibles au centre; mais il

    migrera

    vers la

    priphrie

    s il

    peut

    y

    obtenir une rmunration meilleure.

    La

    prquation du

    taux

    du profit

    redistribuera les bnfices de

    cette rmunration

    meilleure

    et

    fera

    apparatre l exportation des capitaux comme

    un moyen de

    combattre

    la

    baisse tendancielle

    du

    taux

    du

    profit. Obtenir

    la

    priphrie des

    produits

    qui constituent des lments

    constitutifs du capital

    constant

    (matires

    premires) ou du capital variable (produits

    alimentaires)

    des

    prix

    de production

    infrieurs

    ceux qui caractrisaient

    la

    production au

    centre de

    produits

    analogues

    (ou

    de

    substituts videmment quand il

    s agit

    de

    produits spcifiques comme le caf ou le

    th),

    telle

    est la

    raison

    de la

    cration de

    ce

    secteur exportateur.

    C est donc

    ici que s insre

    la

    thorie

    ncessaire

    de

    rchange ingal.

    Les

    produits

    exports

    par la

    priphrie

    sont intressants dans la

    mesure

    o

    toutes choses gales

    par ailleurs et

    ici

    cette

    expression

    signifie

    galit

    de

    productivit

    la rmunration du travail peut tre infrieure

    ce

    qu elle est

    au centre. Et elle peut l tre dans la mesure o

    la

    socit sera

    soumise par

    tous

    les

    moyens

    conomiques et extra-conomiques

    cette nouvelle

    fonction :

    fournir

    de

    la main-d uvre

    bon march

    au

    secteur exportateur.

    Ce n est pas ici le

    lieu

    de dvelopper l histoire de ce faonnement de

    la

    priphrie

    aux

    exigences

    du

    centre.

    Nous

    l avons

    fait

    ailleurs

    en

    di

    stingu nt

    les tapes

    du dveloppement du

    capitalisme

    (tape mercantiliste,

    tape

    du

    capitalisme industriel concurrentiel sans exportation de

    capi

    taux et tape du

    capitalisme

    financier des

    monopoles avec exportation

    des

    capitaux)

    d une

    part

    et

    les diffrentes rgions

    du

    Tiers Monde

    intgr (l Amrique, l Afrique noire, l Asie

    et

    l Orient) d autre

    part.

    Disons seulement que ds lors que la socit devenue en ce sens

    dpendante est soumise

    cette

    nouvelle fonction, elle

    perd son

    caractre

    traditionnel

    car

    ce

    n est

    videmment pas la

    fonction des socits

    traditionnelles

    vritables (c est--dire

    prcapitalistes)

    que

    de

    fournir

    de

    la

    main-d uvre

    bon

    march au capitalisme

    Tous

    les problmes

    de

    la

    transformation des socits dites traditionnelles doivent

    tre repenss

    dans ce

    cadre, sans

    rfrence au

    dualisme

    ,

    c est--dire

    la prtendue

    juxtaposition

    d une

    socit

    traditionnelle

    autonome et

    d une

    socit

    moderne

    en

    extension.

    Car

    si

    dans

    ce

    modle

    et

    ce

    stade

    il

    n y a vritablement aucune

    articulation entre le secteur exportateur

    et

    le

    reste

    de l conomie , il

    708

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    8/25

    LE MODLE THORIQUE

    D ACCUMULATION

    y a

    soumission

    de

    la socit

    l exigence

    principale

    de

    fournir une main-

    d uvre

    bon

    march au secteur

    exportateur.

    L articulation principale qui

    caractrise le

    procs de l accumulation

    au

    centre

    qui

    se

    traduit

    par

    l existence

    d une relation objective entre

    la

    rmunration

    du travail et

    le

    niveau

    de

    dveloppement des

    forces

    productives

    disparat complte

    ment.a rmunration du travail dans le secteur exportateur sera

    ici

    aussi basse que les conditions conomiques, sociales

    et politiques

    le

    permettent.

    Quant au niveau de

    dveloppement

    des forces

    productives,

    il

    sera

    ici htrogne

    (alors

    que

    dans

    le modle autocentr il

    tait

    homog

    ne), avanc (et

    parfois

    trs

    avanc),

    dans

    le secteur

    exportateur,

    arrir

    dans

    le

    reste

    de

    l conomie

    ,

    cette

    arriration

    maintenue par

    le

    systme

    tant

    la condition

    qui

    permet

    au

    secteur

    exportateur

    de

    bnficier d une

    main-d uvre bon march.

    Dans

    ces

    conditions,

    le march

    intrieur

    engendr par le dvelop

    pement du secteur exportateur sera limit

    et

    biais. Le

    caractre

    troit

    du

    march

    interne

    explique ce fait que la priphrie n attire

    qu un

    volume

    limit

    de capitaux

    en provenance du centre,

    bien

    qu elle

    leur offre une

    rmunration

    meilleure. La contradiction entre

    la

    capacit

    de

    consommer

    et

    celle de produire

    est

    surmonte l chelle

    du systme mondial

    dans

    son ensemble

    (centre

    et

    priphrie)

    par l largissement du

    march

    au

    centre, la

    priphrie

    mritant

    pleinement

    son

    nom

    ne

    remplissant

    qu une fonction marginale, subalterne

    et

    limite. Cette dynamique conduit

    une polarisation

    grandissante de

    la richesse

    au bnfice

    du

    centre.

    Nanmoins,

    partir

    d un certain niveau

    d extension du

    secteur export

    ateur, un march intrieur

    apparat.

    Par rapport au march engendr

    dans

    le

    procs central,

    celui-ci

    est

    biais en

    dfaveur (relative) de

    la

    demande

    de

    biens

    de

    consommation

    de

    masse

    , et en faveur (relative)

    de celle de luxe . Si

    tout

    le

    capital

    investi

    dans le

    secteur exportateur

    tait tranger, et si

    tous les profits de

    ce capital taient

    rexports

    vers

    le

    centre,

    le march

    interne

    se

    limiterait en fait

    une demande de

    biens

    de

    consommation de masse

    d autant

    plus

    limite

    que

    la

    rmunration

    du

    travail

    est

    faible. Mais

    en fait

    une partie

    de

    ce capital

    est

    locale. Par ailleurs,

    les mthodes mises en uvre pour s assurer une

    rmunration

    faible

    du

    travail sont

    fondes sur le renforcement de couches sociales

    locales paras

    itaires diverses

    qui

    remplissent

    la

    fonction de

    courroie

    de transmission :

    latifundiaires ici,

    koulaks l, bourgeoisie commerciale compradore,

    bureaucratie

    tatique, etc. Le

    march

    interne

    sera

    donc

    fond principale

    mentur la demande

    de

    luxe

    de ces

    couches sociales.

    709

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    9/25

    S

    AMIR AMIN

    Une

    articulation

    spcifique

    qui s exprimera par la

    liaison secteur

    exportateur/consommation de luxe

    caractrise de

    ce fait le

    modle

    priphrique

    dpendant de l accumulation

    et

    du dveloppement cono

    mique

    et social.

    L industrialisation,

    par

    substitution

    d importations, va

    donc

    commencer par

    la fin

    ,

    c est--dire par

    les

    produits correspon

    dantux stades les plus avancs du dveloppement du

    centre,

    les biens

    durables .

    Comme

    on l a dit,

    ces

    produits sont hautement consom

    mateurs

    de

    capitaux et

    de

    ressources rares (main-d uvre qualifie, etc.).

    Il

    en

    rsultera une

    distorsion

    essentielle dans le processus d allocation des

    ressources en

    faveur de

    ces

    produits, au dtriment de ceux

    du

    secteur

    2 .

    Ce secteur

    sera

    systmatiquement

    dfavoris

    :

    il ne

    suscitera

    aucune

    demande pour

    ses

    produits

    et n attirera

    aucun

    moyen

    financier

    et

    humain permettant sa

    modernisation. Ainsi s explique-t-on la stagnation

    de

    l agriculture

    de

    subsistance

    dont les produits

    potentiels

    sont

    peu

    demands et

    qui

    ne

    bnficie

    d aucun moyen

    de transformation srieux

    dans

    l allocation des

    ressources rares.

    Tout choix de

    stratgie

    de

    dve

    loppement

    fond

    sur la

    rentabilit ,

    les structures

    de

    la

    distribution

    du

    revenu, les structures

    de

    prix

    relatifs et

    celles

    de

    la

    demande tant

    ce

    qu elles sont, conduit ncessairement

    cette

    distorsion systmatique.

    Les

    quelques

    industries

    installes

    de

    cette

    manire

    et dans ce

    cadre

    ne deviendront

    pas des ples de dveloppement, mais au contraire

    accentuent l ingalit

    l intrieur

    du

    systme,

    appauvrissant

    la

    masse

    de

    la

    population

    (qui se situe, en tant que

    producteurs

    ,

    dans le sec

    teur 2), permettant par contre une intgration plus pousse de

    la

    minorit

    dans le

    systme

    mondial.

    Vu

    sous l angle

    social

    ,

    ce modle va conduire

    un

    phnomne

    spcifique :

    la

    marginalisation des masses.

    Nous

    entendons

    par l

    un

    ensemble

    de

    mcanismes d appauvrissement des masses dont

    les

    formes

    sont d ailleurs htrognes : proltarisation des petits producteurs agri

    coles et

    artisanaux, semi-proltarisation rurale

    et appauvrissement

    sans

    proltarisation

    des paysans

    organiss

    en

    communauts

    villageoises,

    urba

    nisation et accroissement

    massif

    du

    chmage urbain

    ouvert et du

    sous-

    emploi,

    etc. Le

    chmage

    prendra

    donc ici des

    formes trs diffrentes

    de

    celles qu il

    a

    revtues dans le modle central

    de

    dveloppement,

    le sous-

    emploi

    en gnral aura tendance crotre au

    lieu

    d tre relativement limit

    et

    stable, aux fluctuations conjoncturelles prs. La

    fonction du

    chmage

    et du

    sous-emploi

    est donc

    ici

    diffrente

    de celle

    qu elle remplit dans le

    modle

    central : le poids

    du

    chmage assure une rmunration

    du travail

    710

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    10/25

    LE

    MODLE THORIQUE D ACCUMULATION

    minimale

    relativement rigide

    et

    bloque tant dans

    le

    secteur i

    que

    dans

    le secteur 3

    ;

    le salaire n apparat pas

    la fois comme cot et comme

    revenu

    crateur

    d une demande

    essentielle

    au

    modle,

    mais

    au

    contraire

    seulement comme cot,

    la

    demande ayant son origine ailleurs :

    l ext

    rieur

    ou

    dans le

    revenu des

    catgories

    sociales privilgies.

    L origine extravertie

    du

    dveloppement qui se perptue malgr

    la

    diversification croissante

    de l conomie,

    son

    industrialisation, etc.,

    n est

    pas

    le

    pch original,

    un

    deus ex

    machina

    extrieur au

    modle de

    l accumulation priphrique dpendante.

    Car

    ce

    modle est

    un modle

    de

    reproduction

    de ses conditions sociales

    et

    conomiques de fonctionne

    ment.

    a

    marginalisation

    des

    masses est la condition mme qui

    permet

    l intgration

    de

    la

    minorit

    dans

    le

    systme

    mondial,

    la

    garantie

    d un

    revenu croissant pour cette minorit, qui conditionne l adoption par

    celle-ci de

    modles

    de

    consommation

    europens

    . Cette extension de

    ce modle

    de

    consommation

    garantit

    la

    rentabilit

    du

    secteur

    3,

    affirme l intgration sociale, culturelle, idologique

    et

    politique des

    classes

    privilgies.

    A ce stade

    de

    diversification

    et

    d approfondissement du sous-dve

    loppement apparaissent donc des mcanismes nouveaux de

    la

    dominat

    ion/dpendance.

    Des mcanismes culturels et politiques.

    Mais aussi des

    mcanismes

    conomiques

    :

    la dpendance technologique et la domination

    des

    firmes

    transnationales.

    Le

    secteur

    3

    en

    effet appelle

    des

    investiss

    ementsapital intensive

    que

    seules

    les

    grandes firmes

    oligopolistiques

    transnationales

    peuvent

    mettre en uvre

    et

    qui sont le support

    matriel

    de la dpendance technologique.

    Mais

    ce

    stade

    galement

    apparaissent des

    formes plus

    complexes

    de la structure de

    la

    proprit

    et

    de

    la

    gestion conomique. L exprience

    historique montre qu une participation

    du capital local priv ft-elle

    subalterne

    au processus d industrialisation par

    substitution

    d import

    ations, st

    frquente.

    Elle

    montre aussi que

    au moins dans les grands

    pays

    un march

    suffisant

    cr

    par

    le

    dveloppement

    des

    secteurs

    1

    et

    3

    peut

    rendre

    possible la

    cration

    d un

    secteur

    4. Celui-ci

    est

    frquemment

    impuls par l Etat. Le dveloppement

    d une

    industrie

    de

    base

    et

    d un

    secteur public ne signifie nanmoins

    nullement que le

    systme

    volue

    vers une forme autocentre acheve.

    Car

    ce secteur 4

    ici

    est

    au service

    non

    du dveloppement du

    secteur 2, mais celui des secteurs 1

    et 3.

    L analyse

    rappelle

    donc la question

    fondamentale :

    dveloppement

    pour qui ? Dans la

    mesure

    o

    l on considre que

    le dveloppement n a

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    11/25

    SAMIR AMIN

    de sens que s il intgre les masses

    et

    leur bnfice, le

    modle

    de l accumul

    ation

    riphrique

    dpendante est une voie

    sans issue. Une

    stratgie

    de

    dveloppement

    pour

    les

    masses

    doit

    prendre

    pour

    base

    de

    dpart

    une

    rvision fondamentale des priorits dans

    l allocation

    des ressources, qui

    suppose le rejet des rgles de

    la

    rentabilit dans le systme. La

    signif

    ication d une stratgie

    de

    la

    transition

    est situe

    tout

    entire

    ici.

    La tran

    sition n est rien d autre que la priode historique

    de

    rvision du modle,

    de renversement de ses

    priorits,

    de passage graduel de

    l articulation 1-3-4

    l articulation 2-4.

    Elle

    doit tre apprcie

    de

    ce point

    de

    vue

    et

    non

    simplement de celui des formes de l conomie : diversification

    indust

    rielle

    versus monoproduction

    d exportation,

    proprit publique versus

    capital

    tranger, etc.

    * *

    Le passage

    du modle

    de dveloppement sous-dvelopp, dpendant

    (fond sur

    l articulation principale 1-3)

    au modle de

    dveloppement

    vritable,

    autonome et autocentr (fond sur l articulation

    2-4) constitue

    le

    contenu essentiel

    de

    la problmatique

    de

    la transition. L intgration

    des

    pays

    devenus sous-dvelopps dans

    le

    systme mondial

    est

    l origine

    d une

    contradiction spcifique

    de

    ce systme qui tend devenir sa

    contradiction

    principale

    :

    d une

    part

    elle

    a

    cr les

    conditions

    objectives

    d un

    besoin de

    dveloppement ressenti

    comme

    tel par

    les peuples de

    la

    priphrie, mais

    d autre part elle a ferm pour

    ces pays

    la voie d un

    dveloppement capitaliste achev qui a t

    la rponse

    historique au

    problme de

    l accumulation, condition pralable du socialisme. C est

    pourquoi cette contradiction spcifique est devenue

    la

    contradiction

    principale, c est--dire celle par

    laquelle

    se manifeste la rupture

    en direc

    tion d un dpassement

    de

    ce systme.

    Ce n est l rien

    de

    plus qu une expression supplmentaire

    de

    la loi

    du

    dveloppement

    ingal

    selon laquelle

    les

    systmes

    sont

    dtruits

    et

    dpasss

    d abord

    non

    pas en

    leur

    noyau central

    mais

    partir

    de leurs priphries

    qui constituent les

    maillons

    faibles

    de

    la chane, celles o s expriment les

    contradictions d intensit maximale. On

    trouve

    dans l histoire des

    manif

    estations

    clatantes de

    cette loi

    gnrale,

    notamment dans

    l histoire

    du

    monde

    mditerranen

    et europen

    : les civilisations les plus anciennes

    de

    l Orient (Egypte, Msopotamie, etc.) seront dpasses partir de leur

    priphrie grco-romaine comme

    son tour la civilisation

    de l Antiquit

    712

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    12/25

    LE MODLE THORIQUE D ACCUMULATION

    classique sera dtruite

    et

    dpasse

    partir

    de sa priphrie barbare o se

    constituera

    plus

    librement

    et

    d une manire

    plus

    acheve

    la civilisation

    de

    l Europe

    fodale

    chrtienne (i).

    Prcisons,

    si

    cela

    tait

    ncessaire,

    que

    la

    contradiction principale n est pas

    la

    contradiction fondamentale

    du

    sys

    tme, laquelle

    reste

    celle qui

    oppose

    le niveau de dveloppement des

    forces

    productives au

    caractre triqu

    des formes

    de

    l organisation

    sociale. La contradiction principale

    n existerait

    pas

    sans

    la contradiction

    fondamentale. La premire explique seulement le

    lieu

    de

    la

    rupture,

    la

    seconde l essence

    du systme en

    dernier ressort.

    Ce

    dpassement du systme

    occupe un

    temps

    historique,

    plus ou

    moins long, mais qui n est jamais

    ngligeable,

    qui

    est

    prcisment

    celui

    de la priode de

    transition.

    C est

    le

    temps

    qui

    spare

    le capitalisme

    du

    socialisme achev. Et, pour poursuivre le parallle historique que nous

    faisons, on considrera de

    la mme

    manire les premiers sicles de l re

    chrtienne comme

    une priode

    de transition des formations sociales de

    l Antiquit

    mditerranenne

    celles du Moyen Age fodal europen.

    les critres

    et

    les stratgies de

    la

    transition

    l universel et

    le particulier :

    Nous

    dfinissons

    donc

    la

    transition

    par

    le

    passage

    graduel

    dans

    des

    conditions historiques

    concrtes donnes

    celles de

    la

    priphrie

    d aujourd hui dj

    intgre

    au systme mondial

    et

    faonne comme

    priphrie

    dpendante du

    modle de

    dveloppement

    capitaliste

    dpendant

    un modle de

    dveloppement

    national autocentr qui

    dbouche sur un dpassement socialiste

    du

    capitalisme.

    L exprience historique

    de la Russie

    sovitique,

    bien qu elle comporte

    comme

    toutes les

    expriences

    de

    l histoire des leons utiles, ne

    saurait tre transpose au

    Tiers Monde

    actuel. Non pas pour des

    raisons

    d option

    idologique

    :

    par

    exemple parce

    que l on

    jugerait

    les

    rsultats obtenus, c est--dire

    les

    structures

    nationales conomiques,

    sociales

    et

    politiques de

    la Russie

    actuelle, non socialistes ;

    et

    que l on

    (i) Nous ne prtendons pas que

    ce

    schma rende compte

    de

    tous

    les

    aspects du problme

    des

    civilisations dont la thorie

    reste

    faire. Les travaux de

    Pelletier

    et Groblot

    (Matr

    ialisme historique et histoire des civilisations,

    Paris,

    1969) constituent dans ce domaine

    une

    pre

    mire

    ouverture stimulante. De mme voir, en ce qui concerne le monde arabe, Ahmad

    el

    Kodsy,

    Nationalism

    and

    class

    struggles

    in

    the

    arab

    world, Monthly

    Review,

    July-

    Aug. 1970.

    74

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    13/25

    SAMIR AMIN

    souhaiterait

    viter

    des

    dviations

    analogues

    par

    rapport un projet

    socialiste

    dfini

    autrement.

    Si, en effet, la construction

    d une

    socit

    nationale,

    non dpendante, comme

    l est

    la

    socit

    russe

    actuelle,

    tait

    possible dans le

    Tiers Monde d aujourd hui,

    des forces

    objectives puis

    santes

    agiraient dans ce

    sens

    pour en

    faire peut-tre

    une

    ncessit

    historique

    objective .

    Nous pensons qu il

    n en

    est rien

    parce

    qu un

    objectif

    de

    cette nature

    est

    objectivement impossible pour

    les pays sous-

    dvelopps

    du

    dernier tiers

    du

    xxe

    sicle.

    La Russie au

    dbut

    de

    ce

    sicle n tait pas un pays priphrique mais

    un pays de capitalisme

    central attard.

    Ses

    structures taient diffrentes

    de

    celles du sous-dveloppement, c est--dire

    de

    celles du

    capitalisme

    dpendant : la marginalisation par exemple y

    tait inconnue. Aussi

    la

    Rvolution de 1917

    a-t-elle permis

    simplement d acclrer le

    processus

    d accumulation

    sans

    modifier

    d une manire fondamentale

    le

    modle de

    l accumulation capitaliste. La suppression de

    la

    proprit prive des

    moyens de

    production au

    bnfice de celle de

    l Etat

    a t

    la condition

    de

    cette

    acclration. L histoire a

    dmontr

    qu il tait possible, dans les

    conditions de

    la

    Russie, de raliser

    la

    tche de l accumulation comme le

    capitalisme l et

    fait,

    mais dans des

    formes

    de proprit

    diffrentes.

    Cette

    possibilit trouve son

    reflet

    dans la

    thorie sovitique de

    la rvo

    lution socialiste rduite

    un

    bouleversement des formes

    de

    la proprit

    qui

    permet

    par

    la

    suppression

    de

    la

    proprit

    prive

    l ajustement

    de celles-ci au niveau de

    dveloppement

    des forces productives (potent

    ielles, c est--dire correspondant l objectif d industrialisation ralis).

    Cette thorie conduit une idologie

    conomiste

    de la transition, for

    mule en

    termes

    connus

    :

    la priorit

    de

    l industrie lourde

    sur

    l industrie

    lgre, celle de l industrie sur l agriculture, l imitation sans restriction

    des

    technologies

    de l Occident, la

    dfinition

    des

    modles

    de

    consom

    mationpar rfrence

    ceux

    de

    ce mme Occident, etc., bref

    l ensemble

    de

    dogmes rsums dans la formule ambigu

    rattraper dans tous les

    domaines

    de

    la

    production

    les pays

    avancs

    .

    L Angleterre

    ayant t

    l origine du

    capitalisme industriel, tous les

    autres pays aujourd hui dvelopps ont t d une certaine manire,

    quelque

    moment, attards

    par

    rapport elle. Mais aucun de ces pays

    n avait jamais t priphrique au

    sens

    o nous

    l avons

    dfini. Avec

    un

    dcalage dans le

    temps,

    l Europe

    continentale

    et

    l Amrique

    du

    Nord ont

    rattrap

    (puis

    dpass

    en ce

    qui concerne les

    Etats-Unis et

    l Allemagne)

    l Angleterre,

    dans

    des

    formes

    largement analogues celles

    du

    modle

    714

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    14/25

    LE

    MODLE

    THORIQUE D ACCUMULATION

    anglais.

    Le Japon

    est

    parvenu

    en

    dfinitive au

    mme modle

    d un

    capi

    talisme achev de premire grandeur, mais

    dj

    les

    formes

    de

    la

    priode

    de

    transition

    prsentaient-elles

    quelques

    particularits intressantes,

    notamment le rle central de l Etat. La Russie constitue

    la

    dernire

    exprience

    d un modle

    d accumulation semblable,

    original seulement

    dans ce

    sens que

    la

    proprit

    tatique n a pas

    t

    seulement une forme

    transitoire

    mais

    sa forme

    dfinitive,

    c est--dire probablement irrvers

    ible. est en cela

    que rsident

    l ambigut provenant des

    origines

    (la

    rvolution socialist)

    et la

    particularit

    de

    son systme achev

    de capita

    lisme

    national

    d Etat.

    Dans

    tous ces

    modles en

    tout cas

    la priode

    de

    transition

    a t

    caractrise

    par

    la

    soumission des

    masses

    rduites

    au

    rle

    passif

    de rserve

    de main-d uvre transfre progressivement vers le secteur moderne

    en

    constitution

    puis en

    extension

    jusqu au

    moment

    o il

    a

    absorb toute

    la

    socit. Le

    kolkhoze et

    l oppression administrative ont rempli cette

    fonction

    comme,

    dans le modle

    anglais,

    les enclosure acts

    et

    les poor laws

    l avaient fait.

    Or cette voie

    est

    ferme aux

    pays de

    la

    priphrie

    actuelle du

    fait

    mme

    du

    dveloppement, dj

    avanc,

    des processus de marginalisation,

    de

    l cart considrable et grandissant entre la technologie moderne mise

    en uvre par le capital dominant

    et

    l exigence d une amlioration immd

    iate

    du

    sort

    des

    masses,

    etc.

    L alternative

    est

    ici

    :

    ou

    bien

    dveloppement

    dpendant selon

    le

    modle

    dcrit

    plus

    haut,

    ou

    bien

    dveloppement

    autocentr ncessairement original par rapport

    celui

    des

    pays

    actuel

    lement

    dvelopps.

    Et c est dans ce

    sens que l on retrouve

    la loi du

    dveloppement ingal

    des civilisations :

    la

    priphrie

    est

    contrainte de

    dpasser le

    modle

    capitaliste (ft-il d Etat), elle

    ne

    peut le rattraper .

    La priphrie

    est en effet contrainte, par suite

    des

    dsquilibres

    spcifiques

    que

    son

    intgration

    comme

    priphrie

    dans

    le

    systme mond

    ial a engendrs (lesquels se traduisent par

    la

    marginalisation), de

    rviser

    radicalement

    le

    modle

    capitaliste

    d allocation

    des ressources.

    Elle est

    contrainte

    de

    rejeter les rgles

    de

    la

    rentabilit. En

    effet,

    les choix

    fonds sur

    la base

    de

    la

    rentabilit

    dans

    la structure des

    prix relatifs

    qu impose

    l intgration dans

    le

    systme mondial entretiennent et

    repro

    duisent le modle

    de

    distribution ingale grandissante des revenus (donc

    la

    marginalisation), donc leur tour enferment dans le

    modle

    priph

    rique allocation

    des ressources. L opration

    de

    redressement

    du

    processus d allocation des ressources doit donc tre largement envisage

    715

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    15/25

    SAMIR

    AMIN

    en dehors des rgles

    du

    march, par une apprhension directe de l expres

    sion

    es

    besoins (besoins nutritionnels, logements, ducation et cul

    ture,

    etc.).

    Ce

    faisant,

    la

    priphrie est

    contrainte de

    dpasser

    le

    capi

    talisme, d ouvrir

    la

    brche en direction

    de

    l invention

    d une

    civilisation

    socialiste, de dsaliner l humanit

    (i).

    Tous

    les

    problmes

    techniques

    de

    la

    stratgie

    de

    la transition

    doivent tre examins

    nouveau

    sous cet

    angle

    fondamental.

    Notam

    ment

    es articulations agriculture -

    industrie,

    industries

    lgres -

    indust

    riesde

    base, mthodes labour intensive - mthodes capital

    intensive,

    doivent tre reprises dans ce cadre. Le problme

    est

    ici de combiner les

    installations les

    plus

    modernes avec des

    amliorations

    immdiates

    dans

    le

    secteur

    pauvre

    (le

    secteur

    2

    du modle)

    o

    se

    concentre

    la

    masse

    de

    la

    population,

    de

    mettre la technique moderne au service

    de

    l amlioration

    immdiate

    de

    la productivit et du sort des masses.

    C est

    en effet cette

    amlioration

    immdiate,

    et

    elle seule,

    qui

    permet de librer

    les forces

    productives, les initiatives inventives, de mobiliser les masses au sens

    vritable

    du terme.

    Cette

    mobilisation, dans ce

    sens,

    exige videmment

    l panouissement des formes spcifiques

    d une dmocratie vritable

    tous les

    niveaux

    :

    du

    village,

    de

    la rgion

    et

    de

    l Etat

    (2).

    La combinaison

    spcifique

    techniques modernes - amlioration

    immd

    iate u sort des masses exige

    sans aucun

    doute une

    rvision

    radicale des

    directions

    de

    la

    recherche scientifique

    et

    technologique. L imitation

    des

    technologies du

    monde dvelopp ne peut pas rpondre ce problme

    spcifique

    du monde

    sous-dvelopp d aujourd hui.

    C est

    ici

    la

    raison

    majeure

    du

    plaidoyer en faveur de l autonomie de

    la

    recherche

    scien

    tifique

    et

    technologique

    du

    Tiers

    Monde

    (3).

    Ainsi conues

    les stratgies

    concrtes

    de

    la transition apparaissent

    avant

    tout

    comme des

    stratgies de

    self-reliance. Self-reliance qui doit tre

    apprhende

    diffrents niveaux,

    en

    respectant dmocratiquement les

    groupes sociaux populaires

    rels

    dont

    est

    compose la nation : le village,

    (1)

    La

    porte universelle

    de

    la

    rvolution culturelle chinoise s inscrit ici trs videmment.

    Voir Pierre Amon, La

    rvolution

    culturelle et le marxisme, Que Faire, n

    5,

    1970.

    (2) Toute

    la

    problmatique du pseudo tribalisme en

    Afrique

    doit

    tre

    rvise

    de ce

    point

    de

    vue.

    La

    dmocratie authentique ncessaire

    exige

    le respect

    intgral de la ralit

    sociale.

    C est

    en

    la respectant seulement qu on peut l intgrer positivement

    dans

    un

    processus

    qui

    en

    permet

    le

    dpassement. La ngation bureaucratique de la ralit bloque l volution et permet

    une rapparition perfide

    et

    ngative

    de

    cette

    ralit

    que

    l on

    nie officiellement.

    (3) Voir

    l article

    de

    Urs

    Muller-Plantenberg (Technologie et dpendance, Critiques

    de l'conomie

    politique,

    n

    3,

    1971), qui dfinit d une manire

    prcise

    la nature de la technologie

    qui peut

    rpondre aux problmes du monde sous-dvelopp actuel.

    716

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    16/25

    LE

    MODLE THORIQUE

    D ACCUMULATION

    la

    rgion (notamment

    en Afrique la rgion

    vritable

    qui correspond

    une

    homognit

    culturelle

    et

    ethnique), l Etat

    et

    ventuellement le

    groupement

    d Etats.

    Le

    niveau

    de maturation

    des conditions

    atteint

    peut

    contraindre

    tel

    pays

    n envisager pour

    un temps

    que

    les niveaux

    les plus

    lmentaires de ces stratgies

    concrtes

    de

    la transition, conues

    ds lors dans une

    trs

    longue perspective. C est dans ce cadre

    que

    nous

    replacerons la question des

    petits

    pays

    . L exemple du Vietnam

    dmontre

    en

    effet que, mme dans un petit pays

    et

    ici

    dans

    les

    conditions

    objectives

    les

    plus

    dures imposes

    par la

    guerre

    une

    stratgie

    de

    self-reliance peut tre

    un

    premier

    stade

    efficace

    de

    la

    transition.

    La

    perspective,

    trs

    longue,

    de

    la

    transition

    n est pas

    ici

    l expression

    de

    l chec

    d un

    dveloppement

    que

    l on

    souhaiterait

    videmment

    rapide. Elle tmoigne seulement

    qu en

    fait

    le problme

    du

    sous-dvelop

    pemente peut tre

    dfinitivement

    dpass

    que

    dans

    le cadre

    d un

    sys

    tme

    mondial

    rnov radicalement, d une socit socialiste plantaire.

    C est

    pourquoi

    d ailleurs l expression

    de transition

    est

    tout

    fait

    propos

    : transition

    du

    systme capitaliste mondial,

    fond

    sur une

    hirar

    chisation des nations, un

    systme

    socialiste

    mondial

    qui ds

    lors ne

    peut tre

    constitu

    par la juxtaposition

    de

    nations

    socialistes

    relat

    ivement

    isoles

    et

    autarciques. La solidarit relle des peuples

    dans

    le

    projet de

    refaonnement du monde

    manifeste ici ses

    effets

    : les limites

    aux

    perspectives immdiates

    du

    progrs dans

    les

    rgions

    du Tiers

    Monde o les conditions

    du

    dpassement

    du systme

    capitaliste

    mris

    sent

    e traduisent rien

    d autre que la faiblesse

    actuelle

    des forces

    du

    socialisme au

    centre du

    systme.

    La

    problmatique

    de la transition formule de

    cette

    manire aide

    comprendre le caractre

    born du

    cadre

    dans lequel

    le

    dbat

    a t enferm

    jusqu aux annes 60. La

    transition

    exige bien autre chose que l extension

    de la proprit publique au

    dtriment

    de

    la

    proprit prive ou celle de

    la part

    de

    l industrie

    lourde,

    etc. Cette

    extension

    du

    secteur public

    et

    de

    l industrie lourde,

    si

    elle n est

    pas

    accompagne

    d une

    rvision

    radicale

    des choix

    conomiques,

    ft-ce en sacrifiant

    partiellement

    l objectif d une

    croissance maximale

    rapide, risque, la priphrie, de perptuer

    le

    modle

    de

    dveloppement dpendant, bien que

    dans

    des formes nouvelles. C est,

    comme

    nous

    le verrons, la

    tendance spontane du systme

    actuel. La

    problmatique des rapports

    volutifs

    entre

    les

    formes marchandes et

    les formes non marchandes des catgories

    de

    la

    transition

    constitue

    un

    volet essentiel

    du dbat

    rel, comme

    la

    problmatique des rapports

    717

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    17/25

    SAMIR

    AMIN

    volutifs entre

    la

    centralisation

    et

    la dcentralisation, le pouvoir

    et la

    dmocratie, etc.

    La

    transition,

    dans

    les

    conditions actuelles

    d ingalit

    entre

    les

    nations,

    rappelle qu un dveloppement qui n est pas

    simplement

    dvelop

    pement du sous-dveloppement,

    sous sa

    forme

    classique

    ou

    sous

    des

    formes

    rnoves

    ,

    est

    simultanment national, populaire-dmocrat

    iqu

    t

    socialiste

    par

    le projet

    dans

    lequel

    il

    s inscrit. C est donc dans

    la

    mesure

    seulement o l objectif

    de maturation

    et

    de

    dveloppement

    de

    la conscience socialiste n est sacrifi

    aucun

    stade celui

    du

    progrs

    conomique

    rapide

    qu une stratgie peut tre qualifie de stratgie de la

    transition.

    les tendances spontanes du

    systme

    :

    l chec des

    politiques de dveloppement

    et les formes

    rnoves

    de

    la

    dpendance

    L analyse

    qui

    prcde des conditions de

    la transition, dfinies

    partir du

    modle

    actuel

    de gnration de

    l ingalit entre les

    nations,

    permet, par

    opposition,

    de

    situer

    les

    raisons de

    l chec des politiques

    de

    dveloppement

    pratiques dans

    le Tiers

    Monde

    ,

    et

    de dgager

    la

    direction des tendances spontanes

    du

    systme.

    Y

    a-t-il

    une

    voie

    de

    dveloppement

    diffrente

    possible

    ?

    Un

    examen

    superficiel des

    rsultats

    des vingt-cinq dernires

    annes

    pourrait le

    suggrer.

    Quelques

    pays

    du Tiers Monde

    ont

    en effet vcu, pendant des

    priodes plus ou moins longues, des taux de croissance levs,

    dans

    le

    cadre

    du systme mondial

    actuel. Fonds sur un

    dveloppement extra

    verti, lui-mme conditionn par la demande

    extrieure de

    telle ou

    telle

    matire

    premire (secteur i)

    et

    l investissement

    de

    capitaux trangers

    (dans

    les secteurs

    i et

    3 de

    notre

    modle), ces miracles

    ont

    eu pour

    contrepartie

    la stagnation des autres

    pays

    dudit Tiers

    Monde,

    qui sont la

    trs

    grande majorit.

    Par

    ailleurs dans

    toutes ces

    expriences

    apparem

    ment heureuses les caractres

    spcifiques du sous-dveloppement

    (ingalits

    internes

    croissantes et

    distorsion

    consquente

    de

    l allocation

    des ressources, marginalisation

    et dpendance,

    etc.) non seulement

    n ont

    pas t rduits, mais sont de plus

    en

    plus marqus

    (1).

    (1) Comme vient de le

    reconnatre

    la Confrence

    des

    Nations Unies pour le Commerce

    et

    le

    Dveloppement

    (C.N.U.C.E.D.) runissant 77

    pays

    Lima

    (octobre

    1971). Cf.

    plus

    loin l article

    de

    J.-Ph. Colson, p. 813.

    718

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    18/25

    LE MODLE THORIQUE D ACCUMULATION

    La planification vide de

    son contenu

    apparat

    alors comme une

    coquille

    creuse :

    une technique qui

    se rvle

    alors inefficiente. On ne

    peut

    en

    effet

    planifier

    qu un

    dveloppement

    autocentr.

    La

    discussion

    du modle

    de l accumulation

    au centre nous

    a indiqu

    la

    base

    sur laquelle

    une politique conomique nationale peut tre fonde, qui constitue le

    contenu essentiel de

    la

    planification indicative , de l conomie

    concerte des

    pays capitalistes avancs.

    Cette

    base est,

    rappelons-le,

    un

    stade avanc

    de

    monopolisation

    d une

    part et une conscience sociale

    dmocrate

    d une

    classe

    ouvrire fortement organise

    d autre

    part.

    L

    conomie

    concerte

    trouve nanmoins

    sa

    limite dans la contra

    diction grandissante entre le

    caractre

    mondial

    de

    la production et le

    caractre

    national du

    contrat

    social

    (i).

    Le

    modle d accumulation

    acclre de

    la

    Russie sovitique a

    dvelopp, dans

    les conditions

    spci

    fiques

    que

    nous avons dcrites, les techniques

    de

    la

    planification.

    Nous

    avons dcrit le contenu essentiel des stratgies de la transition,

    nces

    sairement

    autocentres, qui peut constituer le fondement d un troisime

    type

    de planification.

    Par contre

    la

    tentative de

    planifier

    une stratgie de

    dveloppement

    dpendant et extraverti n a rigoureusement

    aucun

    sens.

    Car elle

    est

    inutile

    si les conditions sont

    favorables

    ,

    impuissante si elles

    ne

    le sont

    pas. Cette tentative

    est probablement

    un rsultat

    mineur

    certes

    de

    l alination

    technocratique

    et

    de

    l imitation

    servile

    des

    modes,

    transpo

    ses

    ans esprit

    critique du monde

    dvelopp

    au monde

    sous-dvelopp,

    dans une

    version d ailleurs le

    plus souvent

    pauvre

    et

    parfois caricaturale.

    L chec

    de ces planifications se situe tout

    entier dans cette constatation

    valable

    en Afrique, en Asie et en Amrique

    latine

    que les

    rsul

    tats

    (en

    terme

    de croissance) ont t presque

    absolument indpendants

    des prvisions

    et

    des plans

    .

    L insuffisance des mthodes

    et

    des

    techniques,

    celle

    des administrations

    charges de

    l excution,

    invoques

    le plus

    souvent

    pour expliquer l incapacit

    des

    services du

    plan d orienter

    vritablement

    la vie

    conomique

    du

    pays,

    ne

    constituent

    que

    les

    appa

    rences superficielles

    d une

    impuissance

    qui

    trouve

    son origine ailleurs.

    L action

    des

    firmes

    multinationales dominantes,

    dont

    les centres de

    dcision sont extrieurs

    aux pays

    sous-dvelopps o elles oprent,

    (i)

    C est pourquoi la crise

    du

    systme

    apparat dans le domaine des relations montaires

    internationales

    (la

    crise

    actuelle du

    dollar, etc.).

    Triffin (Le

    systme

    montaire

    international,

    Paris,

    1969)

    exprime cette conscience

    en plaidant

    la cause de

    l utopie : celle d une

    autorit

    montaire supranationale qui suppose la contradiction rsolue.

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    19/25

    SAMIR AMIN

    rduit la

    planification

    la prvision

    des comportements probables

    de ces

    firmes, et

    celle des rponses de

    l conomie

    traditionnelle

    et

    de

    la

    petite

    et

    moyenne

    entreprise

    ces

    comportements.

    Au

    mieux

    le plan

    sera

    rduit

    une

    prvision

    des incohrences des comportements

    et

    des

    blocages

    possibles qui en

    rsultent sans

    pouvoir agir efficacement, ou

    l laboration des programmes publics

    traditionnels

    d accompagnement

    d une croissance que l on

    ne matrise pas.

    La

    critique

    de

    l inefficacit

    de

    la

    planification

    dans

    ces conditions

    est

    aujourd hui banale. A tel enseigne que l on recommande

    mme

    ouverte

    menton abandon au profit de

    la

    rhabilitation simple

    du

    calcul de la

    rentabilit par projet . Cette

    politique, prconise

    systmatiquement,

    notamment par

    la B.I.R.D.,

    ne rsout pas le problme : elle constate

    seulement

    l chec des prtentions.

    Un

    dveloppement

    spontan

    de

    ce type

    peut-il

    au

    moins

    crer

    les conditions

    de

    son propre dpassement dans le cadre du systme,

    auquel cas

    il

    apparatrait en dfinitive comme une tape premire,

    ncessaire

    historiquement ? On peut en douter trs

    srieusement

    puisque le modle sur lequel il

    est

    fond

    est

    un

    modle

    de reproduction

    de ses propres

    conditions. Cet approfondissement du dveloppement

    priphrique dpendant

    s engage

    dans des

    directions

    dj visibles aujour

    d hui, qui constitueront

    demain

    sans

    doute les formes principales

    du

    sous-dveloppement

    avanc

    .

    La

    domination technologique

    rsulte

    ncessairement de

    la

    priorit

    du dveloppement

    des

    secteurs

    i

    et

    3

    ,

    parce que

    ces

    secteurs doivent tre comptitifs au niveau inter

    national, soit

    qu il

    s agisse d exportations, soit

    qu il

    s agisse de produits

    de

    luxe

    dont la promotion traduit l adoption

    de

    modles

    de

    consom

    mation occidentaux. Cette

    domination

    indirecte pourra se substituer

    au

    contrle

    direct de l entreprise

    par

    le

    capital

    tranger.

    En effet,

    aux

    stades

    premiers de

    la

    formation

    des

    conomies pri

    phriques l cart technologique tant encore rduit, le capital central

    dominant

    doit,

    pour

    garantir

    le fonctionnement

    efficace

    du

    systme

    son

    profit, contrler directement les

    secteurs

    modernes dont il

    assure

    la

    promotion. Des moyens de contrle politique direct sont galement

    ncessaires

    ce

    stade,

    d o la colonisation

    ou l intervention directe dans

    les

    semi-colonies

    que

    sont alors

    les pays

    d Amrique

    latine

    et certains

    pays

    orientaux. A

    un

    stade avanc

    du

    dveloppement priphrique

    la

    domination

    technologique,

    fonde

    sur un

    cart

    grandissant dans

    ce

    domaine,

    articule sur l existence

    de couches

    et classes

    sociales

    locales

    720

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    20/25

    LE MODLE THORIQUE

    D ACCUMULATION

    intgres, par leur mode de

    consommation

    (donc leur

    intrt

    rel),

    et

    le plus souvent

    l idologie

    qui l accompagne

    (renonciation

    au patrio

    tisme

    national, rduction

    de

    l idologie au consumismo,

    etc.),

    garantit

    les

    conditions

    de

    reproduction du systme

    sans

    investissement direct

    de

    contrle

    et

    sans intervention

    politique directe. Telle est

    la

    signification

    du

    no-colonialisme ou

    du no-imprialisme

    qui se dessinent

    (i).

    Dans

    ces

    conditions la charge

    de

    l investissement peut tre assure par

    par

    gne locale, prive ou

    surtout

    publique. Le dveloppement d un secteur

    public, qui peut devenir trs important, voire mme dominant l chelle

    locale,

    n exclut donc

    pas la

    dpendance de V

    nsemble

    du

    systme,

    secteur

    public inclus,

    l gard du

    monde dvelopp. Cette dpendance

    est

    garantie

    par

    le

    jeu

    de

    forces

    sociales locales,

    fussent-elles

    organises

    dans

    un capi

    talisme d Etat qui

    se prtend

    socialiste . A

    un stade

    trs avanc mme

    on

    peut imaginer le

    dveloppement

    d un secteur 4

    c est--dire d une

    industrie

    lourde qui serve

    de

    support local au dveloppement dpen

    dant

    ensemble.

    Dans ce

    cas,

    ce secteur

    revt

    largement la forme d un

    secteur

    public,

    comme au

    Brsil.

    La

    thorie

    politique du subimprialisme (2) rpond

    un problme

    rel qui se

    pose ici :

    celui

    de

    l ingalit dans

    le

    dveloppement priph

    rique.

    ar

    on peut concevoir que,

    dans

    le cadre

    de

    la

    hirarchisation

    du

    monde, certaines rgions de

    la

    priphrie bnficient de

    la

    concent

    ration

    gographique,

    sur

    leurs territoires,

    des

    industries

    de

    type

    3

    et

    4 non

    seulement

    pour leur

    propre

    march national , mais

    encore

    pour celui

    de

    voisins

    maintenus principalement

    dans la

    fonction de

    rserves de main-d uvre bon march. De telles

    perspectives ne

    sont

    pas seulement

    visibles dans

    quelques grands

    Etats du Tiers Monde

    (le

    Brsil en est l exemple le plus achev, mais on

    devrait

    examiner dans

    cette perspective le rle que l Inde pourrait tre appele

    jouer);

    elles

    le

    sont mme

    l chelle de

    zones plus

    modestes, dans le

    monde arabe

    ou en Afrique noire. En Afrique, plus qu ailleurs peut-tre, la coloni

    sation,

    directe

    et

    brutale,

    a

    bris

    l ensemble

    des

    structures

    prcoloniales

    et notamment des rseaux du commerce

    africain intracontinental

    et

    des rapports

    de

    complmentarit entre les diverses rgions

    de

    ce conti

    nent massif. On aura l occasion de voir comment ce refaonnement de

    (1) Ce stade n est pas atteint dans l Afrique contemporaine o

    l investissement

    tranger

    direct demeure moteur. C est pourquoi l expression de

    nocolonialisme

    ne nous a

    jamais

    paru scientifique.

    Nous

    prfrons

    celle de noimprialisme (faute

    de mieux),

    qui ne s applique

    qu aux pays sous-dvelopps

    trs

    avancs (comme

    le Brsil).

    (2) Due

    Ruy

    Mauro Marini (Subdesarrollo y revolution,

    Siglo

    XI, Mexico, 1969).

    721

    .

    m.

    52 46

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    21/25

    SAMIR AMIN

    l Afrique

    dans le sens

    d une

    conomie

    extravertie dpendante

    s est

    inscrit dans la

    gographie

    du

    continent

    par la polarisation

    cotire

    du

    dveloppement

    et

    concomitament

    l appauvrissement

    de

    l intrieur.

    Les

    migrations massives qui en

    ont

    rsult

    ont

    accentu

    leur

    tour les

    ingalits rgionales. La balkanisation politique, qui trouve l une

    de

    ses bases essentielles dans ce processus de dveloppement priphrique

    dpendant

    ingal, cre les

    conditions

    de micro subimprialismes dans

    le

    cadre d un systme

    d ensemble

    dpendant.

    Plus ou moins rgul ou non par une pseudo-planification, le dvelop

    pement priphrique dpendant,

    mme

    dans ses formes

    d avenir

    encore

    embryonnaires se traduit ncessairement par

    l accentuation

    de

    la

    marginalisation.

    C est

    cette

    marginalisation

    grandissante

    qui

    est

    l or

    igine du

    problme

    dmographique

    du Tiers Monde contemporain.

    L explosion dmographique, qui

    est

    un

    fait

    incontestable, n est

    en aucune

    manire

    la

    cause de

    la

    misre grandissante des masses de ce Tiers Monde,

    comme

    le prtendent les

    raisonnements

    simplistes de

    la campagne

    mondiale

    no-malthusienne

    de

    notre

    poque.

    Le dveloppement auto-

    centr

    des pays

    actuellement

    dvelopps

    s est galement

    accompagn

    d une extraordinaire explosion dmographique

    sculaire. Il s est nan

    moins sold,

    malgr les

    cots

    rels

    d une

    croissance

    dmo

    graphique forte, sur lesquels l accent

    est

    toujours mis, par une augment

    ation

    on

    moins

    prodigieuse

    de

    la

    richesse.

    Les

    bnfices

    en

    termes

    strictement

    conomiques

    de densits plus fortes (conomies externes

    d infrastructure, etc.), comme,

    et

    surtout sans

    doute, les effets psycho

    sociaux

    du dynamisme

    de

    la

    confrontation

    des gnrations,

    ont t

    dcisifs. Il n existe d ailleurs pas dans l histoire

    de

    l humanit

    de

    priodes

    de transformation radicale des

    structures

    d une

    socit

    qui n aient t

    marques par

    un

    fort dynamisme

    dmographique.

    L explosion dmo

    graphique

    du Tiers Monde est l expression

    de

    la maturit

    de

    celui-ci,

    c est--dire de son

    exigence

    de dveloppement, comme elle rvle

    la

    contradiction

    entre

    cette

    exigence

    et

    les

    effets

    du

    carcan

    du

    systme

    mondial. La marginalisation

    est la

    manifestation de

    cette contradiction;

    elle

    doit tre

    rapporte au modle

    du dveloppement

    extraverti dpend

    ant,

    non

    l explosion

    dmographique.

    On

    retrouve ici

    encore

    sans

    doute l un des aspects du problme

    de

    l ingalit du dveloppement

    l chelle des civilisations, c est--dire l une des formes par lesquelles se

    rvle la ncessit

    de

    dpassement du capitalisme,

    ressentie

    plus fortement

    la

    priphrie

    qu au

    centre.

    722

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    22/25

    LE MODLE THORIQUE

    D ACCUMULATION

    Ce besoin objectif

    de

    dpassement du systme ne peut videmment

    devenir ralit

    que

    s il se traduit

    dans la

    conscience sociale. Et c est

    pourquoi

    la problmatique de la

    transition

    conduit

    ncessairement

    celle

    de

    la conscience

    sociale.

    LA

    PROBLMATIQUE

    DE

    LA

    CONSCIENCE SOCIALE AU CENTRE

    ET

    A

    LA

    PRIPHRIE

    DU

    SYSTME

    Les

    problmes relatifs

    la conscience

    politique

    et sociale ne peuvent

    tre abords

    correctement

    en dehors du

    cadre de

    rfrence du

    modle

    gnral

    du dveloppement propos,

    qui

    distingue

    le

    modle

    central

    du

    modle

    priphrique,

    et

    permet

    une dfinition correcte

    de

    la probl

    matique des phnomnes sociaux en question.

    Ce cadre nous rappelle

    en

    effet

    que

    le chmage

    et

    le sous-emploi

    dans

    le

    systme priphrique n ont pas

    les mmes

    formes et ne remplissent

    pas les mmes

    fonctions

    qu au centre. Si au

    centre

    le chmage

    revt

    une forme clairement dfinissable par ses contours nets, qui

    en

    permet

    une mesure statistique facile, il

    n en

    est

    pas

    de mme

    la priphrie.

    Ici,

    la

    marginalisation

    ne

    se manifeste pas seulement par

    le

    chmage

    urbain ouvert, reprable.

    Elle

    se manifeste

    aussi

    par

    :

    i)

    Le

    sous-emploi;

    2) La rotation dans l emploi; 3)

    L auto-emploi

    dans des activits

    trs

    faible productivit, seul moyen

    de survie

    pour des catgories nombreuses

    de

    la population.

    Les

    frontires entre ces

    diffrents

    modes d emploi

    et

    de

    sous-emploi

    sont floues

    et

    changeantes. Le reprage quantitatif

    implique donc des dfinitions propres,

    diffrentes

    de celles

    en

    cours

    dans

    les pays

    dvelopps.

    Des

    phnomnes

    sociaux varis

    et

    importants,

    comme l organisation

    de

    la solidarit redistributive, ne peuvent tre

    analyss en termes de

    survivances

    de

    la

    socit traditionnelle (soli

    darits

    ethniques

    et villageoises,

    etc.), mais doivent au contraire

    tre

    rinterprts

    comme les

    moyens

    de

    rsistance

    et

    de survie

    dans

    les

    condi

    tions du

    capitalisme

    priphrique, mme s ils

    se

    moulent dans

    des

    formes

    traditionnelles

    . Il en

    est

    de mme de

    nombreuses

    activits

    conomiques

    pauvres , notamment dans l artisanat, les

    services

    et

    le

    petit

    commerce.

    La conscience sociale

    et

    politique, notamment la conscience

    de

    classe, ne peut pas tre comprise

    et

    situe dans l abstrait, en dehors de

    toute rfrence

    au

    systme

    social rel

    dans lequel sont

    situs les

    groupes

    723

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    23/25

    SAMIR AMIN

    sociaux tudis. La conscience ne peut tre

    que

    prise de conscience de la

    ralit.

    Cette prise de

    conscience

    permet

    aux

    groupes

    sociaux d envisager

    ds

    lors

    une

    action

    efficiente,

    soit

    dans

    le

    cadre

    du

    systme, en

    acceptant

    les rles qui leur y sont affects, soit pour en modifier radicalement

    l organisation.

    Dans

    le

    systme central, on constatera

    que

    la conscience

    de l appar

    tenance

    un

    groupe social (le proltariat, par exemple) ne dfinit pas

    elle seule

    la

    conscience de classe.

    Celle-ci

    peut tre une conscience

    rformiste une conscience

    de

    classe social-dmocrate qui

    constitue,

    comme nous l avons

    vu,

    une condition

    objective

    du

    fonctionnement

    du

    systme central

    notre poque.

    A

    la

    priphrie,

    par contre, une

    cons

    cience

    sociale

    de

    ce

    type

    n est pas possible,

    puisque

    le fonctionnement

    objectif du systme n intgre pas les masses, mais au contraire les rejette

    en

    dehors de lui-mme, les marginalise. Ds lors,

    la

    prise de conscience

    de

    la

    marginalisation

    doit conduire

    au rejet

    du

    systme. La

    question qui

    se pose ici

    est

    donc de savoir concrtement

    si dans tel

    pays

    tel

    moment

    les

    groupes

    ou

    les

    sous-groupes

    marginaliss

    attribuent leur

    sort

    au

    fonctionnement

    objectif du systme ou y voient au contraire l effet des

    forces sociales

    tranges,

    voire

    surnaturelles,

    ce qui videmment rduit

    leur capacit d agir pour modifier le

    systme et

    contraint leur

    action

    politique

    ne pas dpasser

    le stade de

    rvoltes

    sans

    stratgie. La rponse

    cette

    question,

    la

    seule

    question

    qui

    se

    pose

    effectivement

    notre

    avis,

    sera videmment diffrente selon les groupes, les lieux

    et

    les moments.

    C est

    dans

    ce

    cadre thorique qu H faudrait replacer tous les

    problmes

    sociaux, idologiques, culturels et

    politiques

    du

    Tiers

    Monde

    contemporain.

    Le

    dbat

    tradition-modernit

    oppose

    gnralement d une manire

    absolue les deux termes qu il dfinit, le second

    en

    le

    rduisant

    sa forme

    historique (capitaliste

    et occidentale)

    en

    fermant par

    l

    mme

    la

    porte

    un dpassement

    du

    capitalisme

    qui

    soit

    plantaire

    vritablement

    universel

    (mais

    non

    homognisant)

    le

    premier

    sans

    rfrence

    aux

    socits

    priphriques actuelles, en situant

    le traditionnel

    dans

    un

    prcapitaliste

    (et

    non

    occidental) qui n existe plus.

    Car

    o sont les

    socits

    tradition

    nelles aujourd hui ?

    Soumises

    la

    fonction de

    fournir

    de

    la

    main-

    d uvre

    bon march au secteur

    moderne

    (aux secteurs

    i et

    3 articuls

    comme ils

    le sont),

    la socit

    majoritaire

    du

    point de vue

    du nombre

    des hommes qu elle englobe, dite

    traditionnelle ,

    ne

    l est plus : elle

    est

    pseudo-traditionnelle, c est--dire d une traditionnalit

    transforme,

    724

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    24/25

    LE

    MODLE THORIQUE D ACCUMULATION

    dforme, soumise. On

    verra

    d ailleurs

    que,

    sur l exprience

    de

    l Afrique,

    des mouvements

    de

    transformation sociale

    d allure

    traditionnelle (les

    mouvements

    religieux

    de

    protestation

    qui

    prennent

    des

    formes

    propht

    iques,

    les mouvements

    thocratiques de rorganisation

    du

    pouvoir

    local comme ceux des confrries

    musulmanes

    d Afrique

    de

    l Ouest

    Mourides

    du Sngal,

    sultanats

    du

    Nigeria

    ou le

    mahdisme

    soudanais,

    l volution de certaines

    monarchies centralises

    de

    l Afrique

    animiste comme les Etats Wolof ou dahomens, etc.) sont des rponses

    aux

    problmes

    de l intgration dans le

    systme mondial

    naissant, c est--

    dire

    en

    dfinitive des

    mouvements d adaptation,

    d ajustement

    la

    condi

    tion

    e

    priphrie. Des phnomnes

    que les

    sociologues

    analysent

    trop

    souvent en

    termes

    de

    survivances

    comme

    le

    tribalisme

    ou

    les

    solidarits villageoises, familiales, claniques ou ethniques chez les immig

    rants

    urbains

    sont trop tenaces pour ne pas appeler une critique

    de

    cette approche

    dualiste

    mcaniste. Leur tnacit s explique quand on

    comprend que ces

    formes

    pseudo-traditionnelles

    cachent

    un

    contenu

    moderne

    ,

    bien

    que

    pauvre

    ; qu elles

    constituent

    un

    moyen

    de

    survie

    dans les conditions dramatiques

    de

    la

    marginalit

    (i).

    La

    marginalisation

    pose un

    problme

    rel

    trs

    srieux : celui de ses

    formes (et des

    consquences de ces

    formes sur la conscience sociale) et

    de

    ses

    frontires

    (qui sont toujours trs floues). L observation empiriste des

    phnomnes

    sociaux a conduit

    dans

    ces domaines des conclusions qui

    sont le plus souvent trop rapides notre avis. Le

    thme

    des cultures

    de

    la

    pauvret (2)

    et

    les analogies entre ce thme

    et

    celui de la lumpen-

    proltarisation constituent un

    exemple

    de simplification dont la

    critique

    reste faire. A

    l autre

    ple

    le thme de l aristocratie

    ouvrire

    des

    pays

    sous-dvelopps en constitue

    un

    exemple

    tout

    autant

    discutable.

    Certes des stades trs lmentaires de l industrialisation, comme on

    les connat

    encore trs largement en Afrique, la

    classe

    ouvrire

    au

    sens strict peut

    apparatre

    privilgie , proche des couches petites

    bourgeoises

    dans

    son

    statut

    social

    et

    sa

    conscience.

    La

    politique

    des

    firmes internationales

    accentue ce

    caractre

    (3).

    Dans les conditions sp-

    (1) Le grand film sngalais d Ousmane Sembne (Le mandat) constitue

    une dmonstrat

    ioncientifique vivante de

    cette

    thorie, meilleure

    que

    bien

    des

    analyses sociologiques pr

    tentieuses

    (2) Oscar Lewis (Les enfants de Sanchez)

    a inaugur cette

    cole.

    (3)

    G. Arrighi {International

    Corporations,

    labour aristocracies and economic development in

    Tropical

    Africa,

    doc. ronot, Dar es-Salaam, 1969) a dvelopp

    ce

    thme

    de

    la

    manire

    la

    plus

    cohrente

    notre connaissance,

    sur le

    cas de la Tanzanie.

    725

  • 5/19/2018 Le modle thorique d'accumulation et de dveloppement dans.pdf

    25/25

    SAMIR

    AMIN

    cifiques de certaines rgions d Afrique tropicale notamment le

    retard

    de

    la mise en valeur

    coloniale

    (le retard du dveloppement du

    secteur

    i

    ),

    la

    solidit

    des

    structures

    prcapitalistes

    non

    entames

    par

    la

    pri-

    phrisation de

    la socit

    (ces structures demeurant ds lors dominantes

    dans

    le secteur

    2 ),

    limitent

    la ponction

    que le secteur

    moderne

    (1

    et

    3)

    naissant

    peut exercer sur la socit en voie

    de priphrisation.

    En

    termes

    conomistes l offre

    de main-d uvre bon march

    pour

    le secteur

    moderne

    naissant

    est

    limite; d o

    les

    rmunrations

    moins

    mauvaises

    de

    celle-ci.

    Mais

    l acclration

    du

    processus

    de

    priphrisation dmontre

    qu des stades plus avancs

    la condition

    de

    ce

    noyau proltarien se

    dtriore

    en

    termes

    relatifs, et

    souvent

    absolus. Des relations

    d alliance

    nouvelle apparaissent

    alors

    possibles

    entre

    ce

    noyau

    et

    la masse

    margin

    alise, dsormais semi-proltarise au sens plein

    du terme,

    fondes sur

    une solidarit objective (le poids que

    le

    chmage

    dclar

    exerce dsormais

    direc