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MARDI 7 AVRIL 2020 76 E ANNÉE– N O 23403 2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR – FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA LE REGARD DE PLANTU Pour l’auteur de « Sapiens. Une brève histoire de l’hu- manité », le passé nous montre que l’on ne se protège pas en s’isolant et en fermant ses frontières PAGE 24 Tribune Harari : « La coopération est l’antidote » COVID-19 : LES DÉFIS DU TRAÇAGE PAR TÉLÉPHONE Un consortium de cher- cheurs européens est sur le point de lancer une in- frastructure pour aider les autorités sanitaires à ga- rantir un suivi des patients Une application sur smartphone peut permet- tre de savoir, non pas où s’est rendu un malade, mais qui il a côtoyé, en détectant les téléphones proches La Chine et la Corée du Sud ont déjà franchi le pas, sans s’inquiéter du respect de la vie privée. Le Royau- me-Uni et l’Allemagne s’y préparent à leur tour Le dispositif impose « une vigilance particu- lière », estime la prési- dente de la CNIL, qui n’y est cependant pas hostile PAGES 14-15 ET IDÉES – PAGE 25 CHINE : À WUHAN EN DEUIL, L’HOMMAGE AUX MORTS Le 4 avril, veille de Qingming, jour consacré à la mémoire des morts, Wuhan s’est arrêté trois minutes pour honorer les victimes. GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE » Retour dans la ville, épicentre initial de la pandémie, qui va sortir du confinement Les lenteurs et les dissimulations du système d’alerte chinois L’assaillant, un réfugié soudanais, s’était plaint dans des écrits religieux de vivre dans « un pays de mécréants ». Il a tué deux personnes et en a blessé cinq autres, dont trois grièvement, samedi 4 avril, dans la Drôme PAGE 13 Terrorisme L’attaque au couteau de Romans-sur-Isère Les comparutions immé- diates se poursuivent pendant l’épidémie, sans grandes précautions, dans des salles presque vides – et à Paris, sans avocats pour les plus pauvres. Reportages dans quatre tribunaux d’Ile-de-France PAGES 10-11 Procès Une justice qui tâtonne et tourne au ralenti 1 ÉDITORIAL D’INDISPENSABLES GARDE-FOUS PAGE 26 En cinq ans, Laurent Bayle a fait du complexe musical parisien qu’il dirige une marque qui s’exporte. En cette période difficile, il en- tend en conforter le succès PAGE 22 Entretien « Faire de la Philharmonie une référence » MASQUES Le port du masque pour- rait être étendu à toute la population : la volte- face du gouvernement PAGE 8 SOIGNANTS Les personnels médicaux font face à un deuxième front : protéger leurs familles… d’eux-mêmes PAGE 6 ÉQUATEUR A Guayaquil, la deuxième ville du pays, des dizaines de cadavres attendent des jours sur les trottoirs PAGE 5 ROUMANIE La colère des médecins, envoyés à la mort sans masques et sans aucun matériel de protection PAGE 4 ROYAUME-UNI Boris Johnson, malade de- puis dix jours, a été hospi- talisé ; la reine a appelé les Britanniques à l’unité PAGE 4 PAGES 2-3 Economie La crise du coronavirus et le grand retour de l’Etat PAGES 16-17 Social FedEx sommé de protéger ses équipes à Roissy PAGE 18 Entreprises La Coface prévoit une hausse de 25 % des faillites PAGE 18 Mayotte Les fragilités de l’île face à l’épidémie PAGE 12 ANALYSEZ 2018 // DÉCHIFFREZ 2019 220 PAGES 12 € UPLOADED BY "What's News" vk.com/wsnws TELEGRAM: t.me/whatsnws

Le Monde - 07 04 2020

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Page 1: Le Monde - 07 04 2020

MARDI 7 AVRIL 202076E ANNÉE– NO 23403

2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINEWWW.LEMONDE.FR –

FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRYDIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Algérie 220 DA, Allemagne 3,70 €, Andorre 3,50 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,10 €, Cameroun 2 400 F CFA, Canada 5,70 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 400 F CFA, Danemark 36 KRD, Espagne 3,50 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,10 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,50 €, Hongrie 1 330 HUF, Irlande 3,50 €, Italie 3,50 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,20 €, Malte 3,20 €, Maroc 22 DH, Pays-Bas 3,80 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,40 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,10 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA

LE REGARD DE PLANTU

Pour l’auteur de « Sapiens. Une brève histoire de l’hu­manité », le passé nous montre que l’on ne se protège pas en s’isolant et en fermant ses frontièresPAGE 24

TribuneHarari : « La coopération est l’antidote »

COVID­19 : LES DÉFIS DU TRAÇAGE PAR TÉLÉPHONE▶ Un consortium de cher­cheurs européens est surle point de lancer une in­frastructure pour aider lesautorités sanitaires à ga­rantir un suivi des patients

▶ Une application sursmartphone peut permet­tre de savoir, non pas oùs’est rendu un malade, maisqui il a côtoyé, en détectantles téléphones proches

▶ La Chine et la Corée duSud ont déjà franchi le pas,sans s’inquiéter du respectde la vie privée. Le Royau­me­Uni et l’Allemagnes’y préparent à leur tour

▶ Le dispositif impose« une vigilance particu­lière », estime la prési­dente de la CNIL, qui n’yest cependant pas hostilePAGES 14-15 ET IDÉES – PAGE 25

CHINE : À WUHAN EN DEUIL, L’HOMMAGE AUX MORTS

Le 4 avril, veille de Qingming, jourconsacré à la mémoire des morts,Wuhan s’est arrêté trois minutes

pour honorer les victimes.GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE »

▶ Retour dans la ville, épicentre initial de la pandémie, qui va sortir du confinement▶ Les lenteurs et les dissimulations du système d’alerte chinois

L’assaillant, un réfugié soudanais, s’était plaint dans des écrits religieux de vivre dans « un pays de mécréants ». Il a tué deux personnes et en a blessé cinq autres, dont trois grièvement, samedi 4 avril, dans la DrômePAGE 13

TerrorismeL’attaque au couteau de Romans­sur­Isère

Les comparutions immé­diates se poursuiventpendant l’épidémie, sans grandes précautions, dans des salles presque vides– et à Paris, sans avocatspour les plus pauvres.Reportages dans quatretribunaux d’Ile­de­FrancePAGES 10-11

ProcèsUne justicequi tâtonne et tourne au ralenti

1 ÉDITORIAL

D’INDISPENSABLES GARDE­FOUSPAGE 26

En cinq ans, Laurent Bayle a fait du complexe musical parisien qu’il dirige une marque qui s’exporte. En cette période difficile, il en­tend en conforter le succèsPAGE 22

Entretien« Faire de la Philharmonieune référence »

MASQUESLe port du masque pour­rait être étendu à toute la population : la volte­face du gouvernementPAGE 8

SOIGNANTSLes personnels médicaux font face à un deuxième front : protéger leurs familles… d’eux­mêmesPAGE 6

ÉQUATEURA Guayaquil, la deuxième ville du pays, des dizaines de cadavres attendent des jours sur les trottoirsPAGE 5

ROUMANIELa colère des médecins, envoyés à la mort sans masques et sans aucun matériel de protectionPAGE 4

ROYAUME-UNIBoris Johnson, malade de­puis dix jours, a été hospi­talisé ; la reine a appelé les Britanniques à l’unitéPAGE 4

PAGES 2-3

EconomieLa crise du coronavirus et le grand retour de l’EtatPAGES 16-17

SocialFedEx somméde protéger seséquipes à RoissyPAGE 18

EntreprisesLa Coface prévoit une hausse de 25 % des faillitesPAGE 18

MayotteLes fragilitésde l’île face à l’épidémiePAGE 12

ANALYSEZ 2018 // DÉCHIFFREZ 2019

220 PAGES

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2 | CORONAVIRUS MARDI 7 AVRIL 20200123

A Wuhan en deuil, un hommage aux morts sous contrôleEn passe d’être déconfiné le 8 avril,Wuhan, épicentre initial de la pandémie, revient à la vie, dans une atmosphère d’étroite surveillance. Officiellement,2 570 personnes sont décédées dans cette capitale provinciale de 11 millions d’habitants

REPORTAGEwuhan (chine) ­ envoyé spécial

C omme un long sanglot sonore,les sirènes et les klaxons de laville de Wuhan, dans le centrede la Chine, retentissent troisminutes en hommage aux3 338 morts officiellement du

Covid­19 dans le pays, dont 2 570 dans cette capitale provinciale de 11 millions d’habi­tants. La Chine a choisi le 4 avril, jour de Qingming, la fête des morts, pour saluer lesvictimes de la pandémie, en passe d’êtremaîtrisée dans le pays. A Pékin, et dans tou­tes les villes chinoises, les dirigeants se te­naient face aux drapeaux en berne. A Wuhan, les rues étaient fermées autour du lieu de la cérémonie, en bordure du Yangzi, là où se dresse une stèle gravée d’un poème de Mao Zedong, en mémoire aux victimesd’une grande inondation en 1954. Face à deux policiers, casquette à la main et tête baissée, quelques dizaines de passants se te­naient, certains en silence, d’autres en pleurs, d’autres encore, filmant la scène, smartphone à la main. Un trentenaire tombe dans les bras de sa compagne, sanglo­tant. Il est sorti de l’hôpital sain et sauf, maisses parents, contaminés, y sont toujours.

La ville de Wuhan reste largement confi­née. Dans certains districts, les habitantspeuvent sortir deux heures par jour au plusmais, dans d’autres, le confinement est en­core strict. Les autorités de la ville, qui avaient annoncé la fin du confinement pour le 8 avril, ont précisé que l’ouverture serait progressive, face au risque d’une deuxième vague d’infection. Plus de 1 300 patients du Covid­19 sont encore hospitali­sés, tandis qu’un millier de patients asymp­tomatiques ont été détectés ces derniers jours, risquant, eux aussi, de transmettre le virus. A Wuhan, toutes les résidences etlieux publics sont encore gardés par du per­sonnel en combinaison blanche, visage ca­ché par un masque et des lunettes, qui véri­fie la température, les autorisations de cir­culer, et le code QR des passants : une appli­cation sur smartphone traque lesmouvements de chacun et permet de savoirs’ils se sont trouvés dans une zone à risque,ou à proximité d’une personne infectée.

Dans ces conditions, les hommages sontdiscrets. L’hôpital central de Wuhan est en­touré de palissades en plastique jaune : fermé au public pour désinfection jusqu’au6 avril, indique une affiche. C’est l’un des principaux hôpitaux de la ville, et celui qui avu le plus de décès liés au Covid­19. Certains ont déposé des gerbes d’orchidées blanches et jaunes au pied des barrières, en hommageaux victimes. « Saluons les héros, pleurons leshéros », peut­on lire sur une carte attachée à un bouquet. « Docteur Li, le monde devrait être aussi sincère et honnête que le tien. Feifei,Shanghaï », lit­on sur une autre carte. Le doc­teur Li Wenliang, 34 ans, avait été l’un despremiers à donner l’alerte au sujet d’un mys­térieux virus ressemblant au SRAS, fin dé­cembre. Il avait été réprimandé, comme septautres médecins, tous accusés de « diffuser des rumeurs ». Les autorités chinoisesn’avaient finalement réagi que trois semai­

nes plus tard, quand l’épidémie était déjàhors de contrôle. Le 23 janvier, Wuhan, et bientôt toute la province du Hubei, était placé en quarantaine.

A cette date, le Dr Li Wenliang, ophtalmolo­giste à l’hôpital central, souffrait déjà de gra­ves symptômes du Covid­19. Sa mort, le 7 fé­vrier, avait suscité une explosion de colère : une unanimité sur les réseaux sociaux rare­ment vue en Chine. Depuis, les autorités l’ont réhabilité et élevé au rang de martyr de la nation, aux côtés de treize autres méde­cins morts en combattant l’épidémie. Lesoir, leurs visages sont projetés sur l’un desgigantesques ponts qui traversent le Yangzi.

Mais cette tentative de récupération passemal. « Le gouvernement a fait une erreur. Le re­connaître, c’est bien, mais si le système ne change pas, cela ne sert à rien. J’ai entendu par­ler de ce virus dès fin décembre. Pourquoi ont­ils attendu si longtemps pour avertir la popula­tion ? », accuse un jeune homme, qui préfèregarder l’anonymat. Il est venu avec un ami dé­poser un bouquet devant l’hôpital. Une jeunefemme a traversé toute la ville pour aller voir l’hôpital central. « Aujourd’hui, beaucoup d’habitants de Wuhan ne peuvent toujours passortir de chez eux. Je ne voulais pas que les mé­decins partent sans personne pour leur rendre hommage », explique­t­elle.

PHOTOS INTERDITESDepuis le 23 mars, la ville de Wuhan a relâ­ché un peu le confinement et les habitants peuvent récupérer les cendres de leurs pro­ches morts pendant la quarantaine. La plu­part s’y sont pressés les premiers jours, créant de longues files d’attente qui ont jetéle doute sur le bilan officiel de 2 570 morts à Wuhan. Deux semaines plus tard, quelquesrares familles se rendent encore dans lescrématoriums, accompagnées de volontai­res des comités de résidents qui les aident àgérer les démarches administratives, et s’as­surent qu’ils ne fassent pas d’esclandres… Leprocessus est strictement encadré. Interdic­tions formelles de prendre des photos pour les familles. Même à l’extérieur d’un des sept crématoriums de la ville, l’apparitiond’un appareil photo fait jaillir plusieursagents de police.

Même scène à Biandanshan, le plus grandcimetière de la ville. Des dizaines d’agentsen uniforme bleu marine et masque blanccontrôlent l’entrée. Pandémie oblige, seulsles proches de personnes mortes depuis le début de la quarantaine sont autorisés à ac­céder au cimetière pour l’enterrement. Ilssont déposés par des chauffeurs volontai­res, deux personnes par famille, plus un vo­lontaire des comités de résidents, ou un membre du « danwei », l’unité de travail dudéfunt, explique un panneau à côté du hautportail de pierres gardant l’entrée des lieux.Quand certaines familles font mine de ré­pondre à nos questions, les chaperons desorganisations officielles les poussent vers le couloir fait de palissades de plastique jaune, aménagé pour mieux contrôler les flux de visiteurs.

Les plus âgés portent souvent un brassardde tissu noir marqué de l’idéogramme « xiao », signifiant la piété filiale et le deuil. Une dizaine de familles défilent en trente

minutes. Beaucoup portent les portraits des défunts en noir et blanc : surtout des hom­mes âgés, crâne dégarni et sourcils brous­sailleux. Les urnes funéraires sont placées dans de petits coffres en bois, entourés de soie rouge et jaune. Des urnes de jade ont étéoffertes par le gouvernement et les places dans les cimetières ont vu leur prix abaisséde 30 %. Les crémations ont aussi été ren­dues gratuites pendant toute la période,pour faciliter la gestion de l’afflux de corps.

La famille de Wan Du a préféré attendre.Pas pressée de se mêler à la foule pour récu­pérer les cendres de cet oncle de 70 ans em­porté par le virus, fin janvier. « Nous avonsorganisé une cérémonie à la maison. Nousavons accroché sa photo, allumé des bougies,et lui avons rendu hommage avec toute la fa­mille », raconte Xie Hanlin, la belle­sœur du défunt, jointe par téléphone. « Il doit y avoirune file très longue pour récupérer les cen­dres… Wan Du était un cas suspect deCovid­19, mais il n’avait pas pu être testéavant sa mort. Il n’est donc pas compté dans les statistiques. Le nombre réel de morts doit être bien plus élevé que les chiffres officiels », souffle Mme Xie. La nuit tombée, dans unerue du centre, non loin du fleuve, des habi­tants, plutôt âgés, font brûler de faux billetsdans des cercles tracés à la craie pour sym­

boliser l’argent et les offrandes faites aux ancêtres. « Comme on ne peut retournerdans notre village d’origine pour aller ba­layer les tombes des ancêtres comme le veutla tradition de Qingming, on fait ça ici », ex­plique le patron d’un petit kiosque vendant cigarettes et boissons.

MORTS SANS LEURS PROCHESUn jeune couple ralentit le pas, pour obser­ver. Lui, 27 ans, épaisse tignasse noire et lu­nettes, un bouquet d’orchidées à la main.Elle, cheveux longs, décolorés, lentillesbleues sur les yeux. Tous les deux portent lemasque chirurgical de rigueur. Ils ont l’airun peu ému par ces rituels de la génération de leurs parents. La jeune femme, qui ne donne que son prénom anglais − Cathy −, 26 ans, vit seule chez elle. Sa mère est encoreà l’hôpital, elle récupère des suites du Co­vid­19. Et son père est mort il y a plus d’un mois, emporté par le virus.

Une chance dans son malheur : l’hôpital,débordé en début d’épidémie, l’a laissée s’oc­cuper de son père jusqu’à son décès, fin fé­vrier. Sa mère, également hospitalisée, se trouvait aussi à leurs côtés. Légère consola­tion quand la plupart des malades sont morts sans leurs proches, n’ayant pour com­pagnie que du personnel médical débordé,

DANS CERTAINS DISTRICTS, LES 

HABITANTS PEUVENT SORTIR DEUX HEURES 

PAR JOUR AU PLUS MAIS, 

DANS D’AUTRES, LE CONFINEMENT 

EST ENCORE STRICT

A Wuhan, dans le Hubei, le 5 avril, M. et Mme Feng, âgés de 70 ans et 68 ans, discutent par vidéo, au bord du Yangzi Jiang, avec leur fille, qui habite de l’autre côté du fleuve. C’est leur première sortie après plus de deux mois. GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE »

A Wuhan, le 4 avril, des habitants honorent leurs morts en brûlant du faux papier­monnaie.Les contrôles continuent dansla ville encore largement confinée, comme ici (à droite), à l’entrée d’un parc. GILLES SABRIÉ POUR « LE MONDE »

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Page 3: Le Monde - 07 04 2020

0123MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 3

AU PIED DE LA STÈLE OÙ A EU LIEU LA CÉRÉMONIE D’HOMMAGE AUX VICTIMES, UN HOMME SANGLOTE. IL A 

PERDU UN CAMARADE DE L’ARMÉE MORT DU COVID­19 

ET SON PÈRE, DÉCÉDÉ D’UNE AUTRE CAUSE 

Entre dissimulations et lenteurs, l’échec du système d’alerte chinoisLes autorités ont sommé les médecins de Wuhan de se taire et ont tout fait pour minimiser les risques de transmission entre humains

pékin ­ correspondant

E n ce 4 mars 2019, Gao Fuest un scientifique encoreplein de certitudes. « Il y

aura à l’avenir d’autres virus com­parables au SRAS [syndrome res­piratoire aigu sévère, en 2003], mais il n’y aura plus d’épidémie comparable », promet le directeurgénéral du centre chinois de con­trôle et de prévention des mala­dies, au cours d’une réunion or­ganisée à Pékin, la veille de l’ouverture des deux sessions du Parlement.

Depuis 2004, un système infor­matisé de reporting des maladies contagieuses permet à chaque hôpital d’informer Pékin en temps réel de l’apparition de casdouteux, et d’obtenir une exper­tise en quelques heures. « Nous avons construit un très bon réseau de détection des maladies conta­gieuses. Si des virus viennent, on lesbloquera. » D’ailleurs, le système adéjà fait ses preuves. « Regardez leMERS [un coronavirus apparu au Moyen Orient en 2012], un tou­riste coréen venu en Chine en était porteur. On l’a repéré et isolé. En Corée du Sud, il y a eu 186 maladeset 32 morts », explique­t­il.

« Trouver le responsable »Pourtant, le 30 décembre 2019, lorsque, comme tous les soirsavant d’aller se coucher, Gao Fusurfe sur quelques forums spécia­lisés pour vérifier que la situationest sous contrôle, ce médecin, à latête d’un organisme de 2 000 per­sonnes, a un choc. A Wuhan, des médecins commencent à discu­ter d’une pneumonie d’origine inconnue. Il appelle immédiate­ment la commission de la santé de Wuhan, qui lui confirme lesfaits. Plus de trois personnes sontconcernées. L’information auraitdû remonter à Pékin, mais c’est presque par inadvertance que Gao Fu l’a apprise. Le système na­tional d’alerte n’a pas fonctionné,ouvrant la voie à l’une des plus graves épidémies de l’histoirecontemporaine.

Ce même 30 décembre, à midi,Ai Fen, directrice du départementdes urgences de l’hôpital centralde Wuhan, regarde la vidéo des poumons d’un patient atteint d’un virus, lorsqu’un camarade d’études travaillant dans un autrehôpital lui transfère un message qui circule sur les réseaux so­ciaux : « N’allez pas au marché [d’animaux vivants] de Huanan, ily a plusieurs cas de fièvre ». « C’est vrai ? », lui demande­t­il.

Depuis près de deux semaines,le service de Ai Fen et celui des maladies respiratoires reçoiventquelques patients atteints de fiè­vre ou de toux, sur lesquels lesmédicaments traditionnels ne produisent aucun effet : un pa­tient a été reçu le 16 décembre, unle 27 décembre et sept le 28 dé­cembre. Mme Ai a demandé un examen approfondi du patient reçu le 27, transféré entre­temps au département des maladies res­piratoires. Ce 30 décembre, à 16 heures, un collègue lui apporteles résultats : « Coronavirus­SRAS », est­il écrit. Transmission : par postillons à courte distance ou par le toucher, est­il précisé. « J’ai eu des frissons en lisant cela. Je me suis dit que c’était terrible », racontera­t­elle par la suite.

Après en avoir parlé à son ho­mologue du département con­

cerné, elle envoie la vidéo et une photo du rapport à son camarade de promotion et aux médecins deson département en entourant de rouge l’expression : « Coronavi­rus­SRAS ». Le message circule. Unophtalmologue de l’hôpital, le docteur Li Wenliang, le transfèreà une centaine de collègues aveccette mention : « Sept cas de SRAS confirmés au marché de Hua­nan ». C’est sur ces messages que tombe Gao Fu. Dès le 31 décem­bre, il envoie neuf personnes àWuhan, par le vol de 6 h 45.

Dans la capitale du Hubei, lesennuis ont déjà commencé pour Ai Fen. Le 30 décembre, à 22 h 20, la commission de la santé de la ville lui envoie un message : « Il nefaut pas diffuser cette informationau public. Si panique il y a, il faudratrouver le responsable. » La me­nace est claire. Le 31 décembre, laChine prévient l’Organisation mondiale de la santé.

Sur ordre de Pékin, les autoritésde Wuhan publient alors un pre­mier communiqué, rassurant. El­les ont découvert 27 cas suspects de pneumonie virale liés au mar­ché, mais « jusqu’à présent, les in­vestigations n’ont pas pu permet­tre d’établir de manière évidenteune transmission d’humain à hu­main ni une infection du corpsmédical ».

Pourtant, quelques heures plustard, le 1er janvier, le propriétaired’une clinique privée située à proximité du marché et qui a soi­gné plusieurs patients atteints defièvre franchit à son tour la porte du service des urgences que di­rige Ai Fen. Pour elle, la transmis­sion entre humains ne fait plus de doutes. Elle ordonne à son équipe de porter un masque, unecharlotte et de se laver fréquem­ment les mains. A 23 h 46, le direc­teur du bureau de l’inspection de la discipline de l’hôpital lui en­voie un message : « Passez me voir demain matin ». Elle n’endort pas de la nuit.

Le 2 janvier, à 8 heures, alorsqu’elle n’a pas fini la tournée de ses patients, nouveau coup de té­léphone : « Venez maintenant ».« En tant que directrice, comment as­tu pu répandre des fausses ru­meurs ? Retourne dans ton dépar­tement et dis à chacun, individuel­lement, de ne pas parler de cettepneumonie. N’en parle à personne d’autre, y compris à ton mari », la sermonne­t­il. Ayant le senti­ment d’avoir « nui au développe­ment de Wuhan », confiera­t­elle,elle propose de démissionner etmême qu’on la mette en prison. « Non, c’est le moment pour toi de faire tes preuves », lui répond­on.

Le soir, en rentrant chez elle,cette mère de famille se contente de dire à son mari : « S’il m’arrive

quelque chose, tu dois bien élever les enfants. » Elle ne lui confiera lavérité que le 20 janvier, après que Zhong Nanshan, une sommité médicale, aura révélé à la Chineentière ce que Ai Fen et ses collè­gues savent depuis trois semai­nes : le nouveau coronavirus setransmet entre humains.

Un retard lourd de conséquen­ces. « Si les initiatives non pharma­ceutiques [distanciation sociale] avaient pu être menées une, deuxou trois semaines plus tôt en Chine, le nombre de cas aurait puêtre diminué de 66 %, 86 % et 95 %respectivement », affirment alors douze scientifiques dans une étude publiée le 13 mars.

Entendu par la police le 3 jan­vier, le docteur Li Wenliang devra rédiger son autocritique. Il tom­bera malade le 10 janvier. Sa mort,le 7 février, suscitera une im­mense émotion dans tout le pays.Pour se racheter, les autoritésl’ont élevé – ainsi que treize autresmédecins décédés – au rang de martyr.

Les compteurs s’emballentSi l’alerte a donc été donnée le30 décembre, nul ne sait avec cer­titude quand le virus est apparu. Officiellement, le premier cas estun certain M. Chen, tombé ma­lade le 8 décembre et qui, depuis, s’est rétabli. Il n’aurait pas de lien avec le marché de Huanan. Mais selon le South China Morning Post, qui a pu consulter un rap­port officiel, le premier cas identi­fié remonterait au 17 novembre,et concernerait un malade de 55 ans. Entre une et cinq person­nes auraient été contaminéeschacun des jours suivants.

Rapidement, les compteurss’emballent. A partir du 17 dé­cembre, plus de dix personnes sont infectées quotidiennement. Le 31 décembre, il y aurait eu266 cas confirmés. 381 le jour sui­vant. Mais, durant la première quinzaine de janvier, les méde­cins n’ont pas la parole. Seules les autorités régionales valident les cas suspects, et uniquement àpartir de critères extrêmementrestrictifs. « Elles semblent très re­lax », constate le 9 janvier un épi­démiologiste venu de Pékin.

Le 11 janvier, il n’y a officielle­ment que 41 cas confirmés, maisla Chine annonce le premier dé­cès dû au coronavirus. Les pre­miers travaux effectués par les la­boratoires sur le génome sont passés sous silence. Un premiercas à l’étranger est signalé en Thailande le 13 janvier. Le 15 jan­vier, Li Qun, chef des urgences à lacommission nationale de la santé, affirme à la télévision être « parvenu à la conclusion que lerisque de transmission d’humainà humain est faible ».

Dès lors, il n’y a aucune raisond’annuler le traditionnel ban­quet organisé à l’approche duNouvel An lunaire, le 18 janvier àWuhan, auquel participent40 000 familles. Le même jour,une nouvelle équipe médicaleenvoyée par Pékin prend cons­cience de la tragédie en cours etconseille le confinement de laville. Annoncé par les autorités le22 janvier à 20 heures, celui­cisera effectif le 23 janvier, à 10 heures du matin. Entre­temps,cinq millions de personnes auraient quitté la ville. Et le doc­teur Gao a perdu ses certitudes.

frédéric lemaître

LA DOCTEURE AI FEN EST CONVOQUÉE AU BUREAU DE L’INSPECTION DE LA 

DISCIPLINE DE L’HÔPITAL. « DIS À CHACUN DE NE PAS PARLER DE CETTE 

PNEUMONIE. N’EN PARLEÀ PERSONNE, Y COMPRIS 

À TON MARI »,LUI ORDONNE­T­ON

emmitouflé dans des combinaisons blan­ches. La jeune femme attend désormais que sa mère sorte de l’hôpital pour organiser les funérailles de son père. Elle raconte son his­toire d’une voix fragile, hésitant parfois sur les détails. Elle­même contaminée, avec dessymptômes plus légers, elle a passé vingtjours à l’hôpital, puis est restée confinée qua­torze jours chez elle avant de pouvoir sortir, il y a à peine quelques jours. Une proche de lafamille s’est occupée de récupérer les cen­dres de son père.

Un peu plus loin, au pied de la stèle autourde laquelle a eu lieu la cérémonie aux victi­mes, des fleurs et des bougies ont été poséesle matin même. Un jeune homme assis entailleur, sanglote à en perdre le souffle. Il a perdu son père, décédé d’une autre cause, et un camarade de l’armée, mort du Covid­19. Une forte odeur de baijiu, un alcool de grainsà plus de quarante degrés, suggère qu’il a tenté de noyer son chagrin, sans succès. Des amis, volontaires avec lui dans leur comitéde résidents, tentent de le consoler, puis s’impatientent. Ils essaient de jouer sur sa fi­bre patriotique : c’est un ancien militaire, ils l’enveloppent d’un grand drapeau chinois, rouge avec ses cinq étoiles jaunes, et jouent l’hymne national sur leur smartphone. Il fi­nit par se lever, aidé par ses compagnons. De­

vant l’hôpital central de Wuhan, en soirée, il ne reste que quelques pétales d’orchidées, lesbouquets ont déjà été jetés. L’hommage ne doit pas s’éterniser. Mais un livreur de fleurs surgit sur son scooter électrique. Un bou­quet de plus, une carte et un nouvel hom­mage à Li Wenliang. Le livreur prend une photo, l’envoie à sa cliente, puis l’appellepour confirmer. Elle habite dans le Sichuan,à plus d’un millier de kilomètres de Wuhan. « Ils ont sacrifié leur vie. Je voulais juste le re­mercier », déclare­t­elle au téléphone.

simon leplâtre

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Page 4: Le Monde - 07 04 2020

4 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 20200123

En Roumanie, la colère des médecins « envoyés à la mort »Les démissions se multiplient pour protester contre le manque de moyens, alors que la densité médicale du pays est la plus faible d’Europe

bucarest ­ correspondant

C’ est une petite ville si­tuée à la frontière avecl’Ukraine, dans le

nord­est de la Roumanie : Su­ceava, quelque 100 000 habi­tants et 33 morts depuis la con­firmation officielle de la pré­sence du coronavirus dans le pays, fin février. Dans cette paisi­ble commune devenue le princi­pal foyer d’infection au Covid­19 en Roumanie, 866 personnesont contracté la maladie (sur 3 894 cas au total, et 148 morts àce jour). Un quart d’entre euxsont des médecins et des infir­mières, qui ont démissionné en masse. Ils accusent les autoritéslocales de ne pas leur avoirfourni de masques et de maté­riels de protection.

« On nous a envoyés à la mort »,assure un médecin qui cache son identité en cette période d’état d’urgence et de couvre­feu, assu­rés par la police et l’armée. « Pasde gants, pas de masques, pénurie de désinfectants et de combinai­sons, rien, nada, que dalle, protes­te­t­il. Comment traiter les mala­des ? Nous sommes des médecins, pas des magiciens. »

La colère des praticiens monteen Roumanie. L’épidémie due au coronavirus met en difficulté unsystème médical sous­financéqui accuse un manque dramati­que d’équipements de protection,et de plus en plus de médecins préfèrent démissionner. « C’estfacile de nous blâmer, déclare ladocteure Camelia Roiu, qui exerce à l’hôpital pour les grands brûlés de Bucarest. Nous deman­der de lutter contre le virus sansnous assurer la moindre protec­tion est criminel. »

« Serment d’Hippocrate »Une opinion qui ne fait cepen­dant pas l’unanimité. « Tous les cadres médicaux ont l’obligationde sauver leurs patients, affirme l’anesthésiste Radu Tincu, aux ur­gences de l’hôpital Floreasca de Bucarest. Il n’est pas moral d’aban­donner les patients au moment oùils ont le plus besoin de nous. »

L’état d’urgence ayant été dé­crété, les autorités ne communi­quent plus les chiffres relatifs à ces démissions, mais les témoi­gnages des médecins révèlent l’ampleur du phénomène. « Nousavons deux options, a réagi le pre­mier ministre libéral, Ludovic Or­

ban. On peut interdire aux méde­cins qui démissionnent de prati­quer en Roumanie, ou leur donner un préavis avec un temps de ré­flexion. La première, extrême, est plus facile à mettre en place, mais nous avons besoin de chaque mé­decin et de chaque infirmière. Je leur demande de respecter le ser­ment d’Hippocrate. Le gouverne­ment continuera à fournir les hôpi­taux en matériels de protection. »

La Roumanie, 19 millions d’ha­bitants, connaît l’une des plusfaibles densités médicales en Eu­rope. Malgré une hausse des sa­laires de 50 % décidée en 2018,

des milliers de médecins ontquitté le pays depuis son entrée dans l’Union européenne,en 2007, pour des postes mieux rémunérés dans les pays del’Ouest, rejoignant 4 millions deleurs compatriotes partis cher­cher ailleurs une vie meilleure –soit un cinquième de la popula­tion. La France, l’Allemagne et le Royaume­Uni en ont été les prin­cipaux bénéficiaires. Selon le mi­nistère de la santé, 25 000 méde­cins et infirmières ont ainsi quitté la Roumanie ces dix der­nières années.

Sortant de sa réserve, le prési­dent, Klaus Iohannis, a appelé àdes mesures exceptionnelles.« Nos cadres médicaux sont la première ligne du front dans cetteguerre contre l’épidémie, je saisqu’ils travaillent dans une situa­tion de stress énorme et qu’ils ontbesoin de davantage que des mots d’encouragement, a­t­ilsouligné, le 2 avril. J’ai donc de­mandé au gouvernement de trou­ver une solution pour offrir une prime mensuelle de 500 euros àtous les médecins qui font face. »

Cette prime suffira­t­elle ? Lesspécialistes des maladies infec­tieuses ont prévenu les autorités

que la Roumanie n’a pas encore atteint le pic de l’épidémie. Et le pire est peut­être encore à venir, car un autre danger menace lepays à l’occasion de la fête ortho­doxe de Pâques, le 19 avril. Cha­que année, plus d’un million deRoumains partis travailler àl’Ouest reviennent au pays àcette occasion. Les autorités ten­tent d’empêcher qu’un tel afflux de personnes potentiellementinfectées devienne un désastrecomplet pour le système hospi­talier du pays.

Empêcher les retours« Je lance un appel à nos conci­toyens de la diaspora, a imploré le président Iohannis, vendredi3 avril. Ne revenez pas à la maisonpour les fêtes. Votre retour seraitextrêmement dangereux pourvous­mêmes et pour ceux qui vous sont chers. » Depuis la fin fé­vrier, plus de 200 000 Roumainssont déjà rentrés dans leur pays sans avoir pu être testés. Or, la majorité d’entre eux venaientd’Italie et d’Espagne, les princi­paux foyers d’infection enEurope de l’Ouest – c’est ce quiexplique le drame de la ville deSuceava.

« Beaucoup, revenus de l’étran­ger, ont pris d’assaut notre hôpi­tal sans prévenir les médecinsqu’ils venaient de pays contami­nés, affirme Dorin Stanescu, chefdu département d’anesthésie etde thérapie intensive à l’hôpital départemental. Ce sont eux quiont contaminé nos cadres médi­caux. Nous avons essayé de nousprocurer des dispositifs de protec­tion, mais il n’y en avait plus sur lemarché. C’était la catastrophe, etdes départements entiers de l’hô­pital ont été décimés. Les méde­cins ont démissionné pour se met­tre à l’abri. »

Le président Iohannis a or­donné, le 3 avril, la reprise enmain par des médecins militairesde l’hôpital de Suceava, épicentre de l’épidémie en Roumanie. « C’était une mesure nécessairepour stabiliser la situation sur place, a­t­il déclaré. Nous avonsdoté l’hôpital de 5 000 combinai­sons et de 20 000 masques. Cet hô­pital doit être désinfecté en ur­gence et la même mesure doit s’ap­pliquer à la ville entière. » Suceava est désormais en quarantaine, et seuls les militaires peuvent y en­trer et en sortir.

mirel bran

Malade depuis dix jours, Boris Johnson hospitalisé à LondresLors du cinquième discours de son règne, Elizabeth II a appelé les Britanniques à l’unité

londres ­ correspondante

D ans un très rare dis­cours télévisé, Eliza­beth II s’est adresséeaux Britanniques, di­

manche 5 avril au soir, pour lesappeler au courage, à l’unité et aurespect des mesures de confine­ment, de plus en plus difficiles àtenir avec l’arrivée du beautemps. L’heure est grave auRoyaume­Uni, où l’épidémie cau­sée par le coronavirus s’emballeet le nombre de décès a bondi cesderniers jours (619 morts comp­tabilisés dimanche, pour un totalapprochant les 5 000 morts àl’hôpital).

Le virus sévit désormais aucœur du pouvoir : peu après lediscours de la souveraine, Dow­ning Street a fait savoir que BorisJohnson, testé positif le 26 mars,venait d’être admis à l’hôpital :« Il s’agit d’une étape de précau­tion, le premier ministre conti­nuant à présenter des symptômespersistants dix jours après avoirété testé positif au coronavirus. »

Boris Johnson, 55 ans, a été ad­mis à Saint­Thomas, un hôpitallondonien, vers 20 heures, pour« de nouveaux tests ». Le premier ministre souffrait ces derniersjours d’une forte fièvre persis­tante et, à en croire le Times, les médecins lui ont administré un « traitement à base d’oxygène »,mais Downing Street précisaitdimanche soir qu’il ne « s’agitpas d’une admission d’urgence »,et que le premier ministre « con­tinue à diriger le gouvernement ».

Ces derniers jours, malgré sonétat, Boris Johnson a participépar vidéoconférence à toutes les « réunions Covid » quotidiennesde son cabinet. Pour autant, c’estDominic Raab, le ministre des af­faires étrangères, qui devait pré­sider la réunion de 9 h 15, lundi 6 avril. En tant que premier se­crétaire d’Etat, M. Raab est consi­

déré comme premier ministreadjoint et endosse le rôle provi­soire de « survivor ».

Carrie Symonds, la compagnede M. Johnson, a tweeté samedi4 avril qu’elle se remettait tout juste après avoir passé la semaineau lit. La jeune femme, 32 ans, en­ceinte de plus de six mois, attend son premier enfant.

Dans son discours, Elizabeth II,souveraine à l’exceptionnelle longévité (94 ans le 21 avril,soixante­huit ans de règne), acommencé dimanche par remer­cier les personnels du NHS, lesystème de santé britannique,« en première ligne », « ceux tra­vaillant dans les maisons de re­traite, ceux qui mènent à bien desmissions essentielles, qui, sanségoïsme, continuent à faire leurdevoir hors de chez eux pour nousaider tous ». La reine a égalementremercié « ceux d’entre vous qui restez à la maison, aidant de cettemanière les plus vulnérables ».

Référence au BlitzFaisant référence à la résilience nationale durant la secondeguerre mondiale, Elizabeth II, qui était adolescente pendant ce con­flit, a espéré que « dans les années qui viennent, tout le monde pourra être fier de la manière qu’il aura eue de relever le défi. Et ceux qui viendront après nous diront que cette génération était l’une desplus fortes. Que la discipline per­sonnelle, la détermination dans une relative bonne humeur et l’at­tention aux autres caractérisenttoujours ce pays ».

La reine a conclu un discours,largement rédigé par elle­même, selon le Sunday Times, par une note d’espoir, assurant que « des meilleurs jours reviendront, nousserons à nouveau avec nos amis, avec nos familles, nous nous re­trouverons de nouveau ».

C’est la cinquième adresse de lasorte au pays, pour une reine

ayant cultivé une parole très raretout au long de son règne. Elle en prononça un pour la guerre du Golfe, en 1991 (« Le pays est fier de ses forces armées »), un autre à l’occasion de la mort de la prin­cesse Diana en 1997 (« Je vous parle avec tout mon cœur, en tant que reine et en tant que grand­mère »), un pour les funérailles desa mère, Elizabeth, en 2002 (« Je vous remercie pour l’amour que vous lui avez donné, durant sa vie ») et un pour son jubilé(soixante ans de règne), en 2012.

Tous les détails avaient, ce di­manche, leur signification : l’airgrave, la robe vert émeraude trèssobre, le bureau dépouillé, sansphotos de famille, juste des fleursen pot.

La reine reste exceptionnelle­ment populaire, malgré lesmultiples scandales et aléas de lafamille Windsor (comme toutrécemment, le départ du prince Harry et de sa femme, Meghan Markle, ou pire, l’amitié au longcours du prince Andrew pour ledélinquant sexuel américainJeffrey Epstein). Elle a accompa­gné les Britanniques durant les grandes crises qu’ils ont eu àtraverser. Sa présence à Windsor,avec sa petite sœur Margaret,durant la seconde guerremondiale – sa mère ayant refuséque les filles quittent leur père, le

roi George VI, et le pays – abeaucoup compté aux yeux desBritanniques.

Elle participe ainsi de la légen­daire résilience nationale mon­trée durant le Blitz, la campagne de bombardements du pays par l’Allemagne nazie, entre septem­bre 1940 et mai 1941 (plus de 40 000 civils périrent). Eliza­beth II a d’ailleurs évoqué cette période dimanche, faisant réfé­rence à son premier discours ra­diodiffusé, « avec ma sœur Mar­garet », depuis le château de Windsor, fin 1940. Elle avait 14 anset avait adressé un message auxautres enfants du pays.

L’« esprit du Blitz », cette capa­cité des Britanniques à continuer à vivre sous les bombes, est passé au rang de mythe national. Il a souvent été évoqué ces derniers jours par les médias conserva­teurs, tout comme celui de « Dun­

kerque », quand Matt Hancock, le ministre de la santé de Boris John­son, a appelé tous les laboratoiresdu royaume à contribuer à l’effortpour tester les Britanniques – fin mai 1940, une flotte composée decentaines de bateaux de toutesorte avait réussi à évacuer les troupes britanniques encerclées à Dunkerque, en France.

Manque de ventilateursSon fils, le prince Charles, futurroi, a contracté le virus et estsorti sans encombres de ses septjours de quarantaine. Elizabeth IIest en bonne santé, mais, étantdonné son grand âge, elle s’est isolée début mars à Windsor avecson mari, le prince Philip, 98 ans.Pour l’enregistrement télévisédiffusé dimanche, un seul came­raman de la BBC était présent, enéquipement de protection, et àbonne distance de la souveraine,dans le fameux salon blanc duchâteau, souvent utilisé pour lesévénements familiaux de la fa­mille royale.

L’allocution a été programméeen concertation avec le gouver­nement Johnson. Le moment estcrucial : ce dernier pensait pou­voir éviter un scénario à l’ita­lienne. Mais le nombre de décèsaugmente très vite et les criti­ques enflent, à mesure que les médias pointent son manque de

préparation. Tests, ventilateurs,équipements de protection : toutmanque dans les hôpitaux. Lesdécès de personnels soignants semultiplient : cinq médecins,deux infirmières de 36 et 39 ans,une sage­femme, deux aides­soi­gnants… Dimanche, Matt Han­cock a admis que le NHS pourraitdisposer à terme de 18 000 ven­tilateurs (aidant les malades lesplus graves à respirer), contre 10 000 environ actuellement,mais peut­être pas à temps pourle pic épidémique, attendu autour du 12 avril.

Les Britanniques achèvent leurdeuxième semaine de confine­ment. Et, dimanche, nombred’entre eux ont profité d’un ra­dieux soleil pour prendre l’air. Le ministre de la santé a aussitôt me­nacé : si les mesures de distancia­tion sociale n’étaient pas parfaite­ment respectées, la promenade de santé journalière ne serait bientôt plus autorisée. Tout le monde ne donne pas l’exemple,même au plus haut niveau : Ca­therine Calderwood, la con­seillère médicale du gouverne­ment écossais de Nicola Stur­geon, a dû démissionner diman­che soir, après avoir été prise en flagrant délit de week­end dans sarésidence secondaire, au nord d’Edimbourg.

cécile ducourtieux

Downing Street aprécisé dimanche

soir que le premier ministre

« continue à diriger le

gouvernement »

UKRAINE

MOLD.

HONGRIE

SERBIE

BULGARIE

Bucarest

Mer Noire

ROUMANIE

Danube

Suceava

100 km

Une famille rassembléepour regarder le discours d’Elizabeth II, à Manchester, dimanche 5 avril. PHIL NOBLE/REUTERS

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Page 5: Le Monde - 07 04 2020

0123MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 5

En Equateur, « la crise a tourné à l’horreur »A Guayaquil, ville la plus touchée, des cadavres attendent plusieurs jours dans la rue avant d’être emportés

bogota ­ correspondante

D ans la ville équato­rienne de Guayaquil,Gilber Arango lance,vendredi 3 avril, un

appel à l’aide sur le réseau Twit­ter. « Cela fait 80 heures que mamère est décédée. Personne nevient la chercher. Aidez­nous »,implore­t­il. Enveloppé dans undrap blanc, le corps de Maria delCarmen, décédée d’une insuffi­sance rénale, gît à ses pieds sur letrottoir. « Les hôpitaux sont dan­gereux et débordés à cause du co­ronavirus. Ils n’en ont pas voulu »,explique quelques heures plustard Yureinis, la sœur de Gilber.

La famille d’origine vénézué­lienne vivait dans une chambremisérable, la logeuse n’a pasvoulu garder la morte, qu’il a fallu veiller dans la rue. « La po­lice est finalement venue, pour­suit Yureinis. On nous a dit qu’elleserait incinérée, mais qu’on n’aurait pas les cendres. » Lesimages de cadavres gisant dansles rues de Guayaquil ont fait letour du monde. Elles contri­buent à semer la paniqueparmi les 2,4 millions d’habi­tants de la ville. « La crise, ici, atourné à l’horreur », soupire Mar­tha Roldos, directrice du médiadigital Milhojas.

Premier pays du continent sud­américain touché par le corona­virus, l’Equateur enregistrait,vendredi, 3 368 cas de Covid­19 et145 décès. Personne n’accorde decrédibilité à ces chiffres. Le prési­dent Lenin Moreno lui­même aadmis que « les statistiques offi­cielles ne reflètent pas la réalité »et a évoqué la possibilité que « des dizaines de milliers de per­sonnes » puissent être contami­

nées. Sur les cartes du ministèrede la santé, la province deGuayas, dont Guayaquil est le chef­lieu, est en rouge sombre, avec 2 388 cas et 102 décès, soitplus du 70 % du total national.

Veronica Castillo, cadre d’entre­prise, a elle aussi dû attendreplus de quarante­huit heurespour que les services funéraires viennent chercher son père, dé­cédé « très probablement » du Co­vid­19. Elle qui vit dans un grandappartement avec l’air condi­tionné a aussi « trouvé le tempslong ». Elle conclut : « Je com­prends que dans les quartiers pau­vres, les gens confinés ne veuillentpas cohabiter avec leurs cada­vres. » Guayaquil est un port dy­namique, animé mais marquépar les inégalités sociales. Latempérature y dépasse 30º C.

« Droit à la dignité humaine »Comme partout, les services hos­pitaliers qui manquent de mas­ques et de tests peinent à faireface à la pandémie ; plusqu’ailleurs, les services funérai­res ont été débordés. Jeudi, le pré­sident Lenin Moreno a mis enplace une « force d’interventionconjointe » afin que « les morts deGuayaquil aient l’enterrement di­gne qu’ils méritent ».

La Commission interaméri­caine des droits de l’homme a ex­primé, vendredi, « sa consterna­tion » face aux difficultés querencontrent les gens de Guaya­quil pour transporter et enterrerleurs proches, rappelant que « lesoin des restes mortels est uneforme de respect du droit à la di­gnité humaine ».

Pourquoi le Covid­19 s’est­il ré­pandu plus rapidement à Guaya­quil que partout ailleurs en Amé­rique latine ? Dans ce pays diviséqu’est l’Equateur, la question ra­vive les conflits politiques et le régionalisme. « La gestion trèscentralisée de l’administration sa­nitaire par le gouvernement deRafael Correa [l’ex­président quia gouverné de 2006 à 2016] et la corruption ont fragilisé le systèmede surveillance épidémiologiquede la ville de Guayaquil », affirmeMme Roldos. En attente de son ju­gement dans une affaire de cor­ruption, M. Correa, qui vit àBruxelles, se déchaîne, lui, contrele gouvernement en place.

Le manque de coordination en­tre les autorités centrales et la

municipalité de Guayaquil acompliqué la gestion de la crise,avant que la maire, Cynthia Vi­teri, testée positive au coronavi­rus, ne soit contrainte à unestricte quarantaine.

Les habitants de la capitale,Quito, logée dans la montagne,pointent du doigt la décontrac­tion et le manque de civisme desgens de la côte, qui auraientmoins bien respecté les consi­gnes de confinement. Le prési­dent Moreno et la directrice duService national de gestion des risques les ont publiquement ac­cusés d’être « indisciplinés ». Le qualificatif exaspère évidem­ment les habitants de la tropicaleGuayaquil.

Le calendrier scolaire de la villeportuaire est celui de l’hémis­phère Sud : beaucoup de tra­vailleurs migrants viennent en

vacances durant les mois de fé­vrier et mars, en provenance no­tamment d’Espagne (où viventplus de 400 000 Equatoriens) etd’Italie. Par ailleurs, quand l’épi­démie a atteint l’Europe, les étu­diants aisés ont parfois fait lechoix de rentrer.

Les échanges commerciauxavec la Chine sont dynamiques,mais cette potentielle source de contamination n’est pas évoquée.La « patiente zéro » de Guayaquil venait d’Espagne. Elle a été dia­gnostiquée le 29 février. La se­maine suivante, un match defootball réunissait plus de 20 000 personnes dans le stadede la ville et les féministes des­cendaient massivement dans la rue à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes.

Journée de prièresLe gouvernement central a réagivite : dès le 15 mars, il fermait sesfrontières. Mais les consignespour la mise en place de la qua­rantaine, doublée d’un couvre­feu à partir de 14 heures, ont étéconfuses. A Guayaquil, un cer­

tain nombre d’entreprises depompes funèbres ont cesséd’opérer l’après­midi. D’autres ont mis la clé sous la porte « par crainte de contagion », alors que les mesures administratives pri­ses pour faire face à une augmen­tation de la mortalité compli­quaient, en pratique, la procé­dure de levée des corps. La pani­que a aggravé la situation.

Jorge Wated, directeur de la« force d’intervention con­jointe » mise en place par le prési­dent, a prévenu que le nombre demorts du Covid­19 dans la pro­vince de Guayas pourrait se si­tuer entre 2 500 et 3 500 au coursdes prochains mois. A la de­mande des Eglises catholique et évangéliques, la municipalité deGuayaquil a décrété une journéede prière, dimanche 5 avril.

marie delcas

Un « germe d’espoir » dans les hôpitaux espagnolsAvec 674 morts dimanche, un nombre en baisse pour le deuxième jour d’affilée, le dernier bilan illustre une stabilisation de l’épidémie

madrid ­ correspondante

I l est 8 h 40 ce dimanche5 avril, lorsque le message ar­rive sur WhatsApp : « Les ur­

gences de l’hôpital Severo­Ochoareviennent à la normale après tant de jours de lutte contre le co­ronavirus. » Jorge Rivera, le res­ponsable de communication dece modeste centre hospitalier deLeganes, dans la banlieue sud­ouest de Madrid, n’a pas résisté àl’envie de partager la nouvelle. Non pas pour crier victoire. Il est encore trop tôt. Mais parce que lasensation, en Espagne, est que lepire de la crise sanitaire est peut­être passé. Le dernier bilan faitétat de plus de 130 000 person­nes positives et 12 418 mortesdu Covid­19, dont 674 dimanche. Un chiffre en baisse pour le deuxième jour consécutif.

L’hôpital Severo­Ochoa revientde loin. C’est ici qu’avaient été fil­mées, le 21 mars, les images de malades allongés sur le sol de la salle des urgences, dans l’attenteinterminable d’une chambre. Ici

que l’on voyait des personnes âgées assises au milieu des cou­loirs, accrochées à leur bonbonned’oxygène, lançant des regards désemparés autour d’elles. Ici qu’une infirmière s’est effondréeen larmes, devant les caméras de la télévision publique espagnoleTVE, en demandant l’impossible : « S’il vous plaît, les familles, soyeztranquilles, nous leur donnons beaucoup d’amour et de ten­dresse… Ayez confiance en nous… »

Ce dimanche, dans les couloirsapaisés, plus de cohue, de chaos etde corps en détresse. Mais sur les murs, des dessins réalisés par les enfants des écoles de la ville en honneur aux soignants, affublésd’habits de super­héros. Ils por­tent un message : « Todo ira bien »(« Tout ira bien »).

« Systèmes D »Les autorités veulent y croire. « Leschiffres de la semaine confirment une stabilisation et un ralentisse­ment de l’épidémie », a souligné leministre espagnol de la santé, Salvador Illa, mettant en avant

une augmentation des cas confir­més de seulement 5 % par jour. Le directeur de l’Organisation mon­diale de la santé (OMS) pour l’Eu­rope, Hans Kluge, a aussi exprimé,dimanche, un « optimisme pru­dent » quant à la situation en Espa­gne. Une prudence partagée par leprésident du gouvernement, le so­cialiste Pedro Sanchez, qui a dé­cidé de prolonger l’état d’alerte jusqu’au 25 avril. « Passé le pic de contagion, nous sommes en me­sure de faire plier la courbe, a­t­il déclaré, le 4 avril. L’objectif suivant est de réduire encore plus les conta­gions pour que les hôpitaux récu­pèrent leurs capacités. »

« Nous nous trouvons face à ungerme d’espoir, mais les unités de soins intensifs restent encoresous tension », avertit au télé­phone Angela Hernandez, porte­parole du syndicat de médecins Amyts. Dans les régions de Madrid, de Catalogne, mais aussi de Castille­Leon et de Castille­la­Manche, les capacités ont atteint leurs limites la semaine dernière. Si elles ne les ont pas dépassées,

c’est parce que ces régions ont tri­plé leur nombre de chambres en soins intensifs. Et que « les soi­gnants ont intensifié le triage des patients susceptibles d’être intu­bés », ajoute­t­elle.

Peu à peu, mêmes si tous souli­gnent leur douleur de voir « mou­rir seuls » tant de malades, les mé­decins aperçoivent le bout dutunnel. « Le nombre de guérisons commence à dépasser celui desnouvelles hospitalisations et lapression sur les soins intensifs s’estun peu relâchée, souligne DiegoGil Mayo, anesthésiste à l’hôpital Ramon­y­Cajal de Madrid. Nous sommes en train de désintuberpas mal de gens, ce qui nous ré­conforte. » Depuis le début del’épidémie, plus de 38 000 per­sonnes positives ont guéri en Es­pagne, soit près de 30 % du totaldes cas confirmés.

« Depuis cinq jours, on voitqu’enfin la courbe s’aplatit », con­firme Raquel Carrillo, interne au service des infections de l’hôpital Gregorio­Maranon de la capitale.Ici, même la bibliothèque a été

transformée en salle de soins in­tensifs. Et la docteure Carrillo atesté tous les « systèmes D » : ven­tiler des malades avec des mas­ques de plongée Decathlon, utili­ser des sacs­poubelle comme blouse médicale, fabriquer des lu­nettes de protection avec des in­tercalaires transparents…

« Le virus n’a pas disparu »Après avoir « beaucoup pleuré les premiers jours » et s’être réveillée la nuit « avec de la tachycardie », en pensant aux gens « qui comp­taient sur nous, médecins, alors que nous ne savions rien et que nous avions peur », elle est « opti­miste ». Cette mère de famille n’a pas vu ses filles de 7 et 10 ans de­puis cinq semaines. « Elles sontchez leur grand­mère paternelle :je ne pouvais pas risquer de les contaminer », explique­t­elle.

En Espagne, plus de 12 000 soi­gnants ont été testés positifs et 12sont morts du Covid­19. Aux ur­gences de l’hôpital La Paz de Madrid, où travaille Laura Lopez­Tappero, « 70 % de mes collègues

ont été infectés par le virus ».Ceux qui ne l’ont pas été, commeelle, sont épuisés. Et leur crainteest que le confinement ne soitlevé trop vite. « Le virus n’a pasdisparu et, quand les gens sorti­ront de chez eux, les épisodes decontagion reprendront, mais ilfaudra éviter d’avoir de nouveauxpics », estime la docteure Lopez­Tappero, qui espère que la levéedu confinement se fera « partranches d’âge ».

Le gouvernement travaille déjàà un plan pour généraliser lestests d’anticorps et de diagnostic, habiliter des hôtels pour isoler lesmalades avec des symptômes lé­gers, et rouvrir l’activité de ma­nière progressive… Les médecins, eux, ne veulent plus être des « hé­ros ». « Nous sommes des profes­sionnels. Nous avons des enfants, des parents, et nous aussi nous tombons malades, souligne la docteure Lopez­Tappero. Nous voulons juste pouvoir affrontercette épidémie dans les meilleures conditions possibles… »

sandrine morel

Un cadavre abandonné depuis trois jours, selon des témoins, devant une clinique de Guayaquil, en Equateur, le 3 avril. MARCOS PIN/AFP

Les consignes mettant en place

un couvre-feu à partir

de 14 heures ont été confuses,

désorganisant les entreprises depompes funèbres

OCÉANPACIFIQUE

Quito

Esmeraldas

Guayaquil

MachalaLoja

Manta

PÉROU

COLOMBIE

100 km

ÉQUATEUR

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Page 6: Le Monde - 07 04 2020

6 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 20200123

Les soignants face à la peur de contaminer leurs prochesEn première ligne face au Covid­19, ils sont nombreux à transposer chez eux les règles strictes d’hygiène qu’ils appliquent au travail

A près des heures passées àsoigner à l’hôpital, « j’ai l’im­pression d’être un foyer d’in­fection, un réservoir à virus »,confie Jean Letoquart, infir­mier anesthésiste au service

mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) de Lens. C’est avec la peur au ventre de « ra­mener le coronavirus à la maison » qu’il ren­tre chez lui. Parfaitement formés aux gestes barrières, les soignants sont nombreux à transposer dans leur propre logement les rè­gles d’hygiène strictes qu’ils appliquent dansles établissements de santé.

Se laver, briquer, désinfecter est le leitmotivdes soignants de retour près de leurs proches.« Dès que je rentre, je passe mes mains à la Be­tadine », témoigne Jean Letoquart. « Je me lavede tout ce qui a pu me toucher à l’hôpital », abonde un médecin psychiatre d’un hôpital parisien. Corps, vêtements, tout est récuré.

Huit heures, c’est le temps que Mathilde Pa­dilla a passé, jeudi 2 avril, avec le même mas­que chirurgical sur la bouche et le nez à soi­gner, laver, nourrir. Affectée à un centre de soin et de réadaptation accolé à un établisse­ment d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de l’agglomération de Rouen, l’étudiante infirmière, 21 ans, termine sa journée sous un pâle soleil et s’autorise à lâ­cher : « Je suis crevée. » Pourtant, pas questionde quitter le front de l’épidémie : « C’est le mé­tier que j’ai choisi », assume la jeune femme.

Solidarité, abnégation, résilience, l’étu­diante décline les qualités de milliers d’infirmiers, médecins, chirurgiens­dentis­tes, aides­soignants… mobilisés face au Covid­19. Toutefois, s’ils acceptent le dangerpour eux­mêmes, jour après jour l’inquié­tude d’être un vecteur de contamination pour les autres et pour leurs proches gagnedu terrain. Leur tour de garde terminé, les soignants partent sur un autre front : il leur revient de protéger leur famille.

Clémentine Fensch, infirmière libéraledans une maison de santé parisienne, a res­senti les premiers symptômes le 17 mars. « J’ai d’abord eu une phase de déni, dit­elle. C’est compliqué lorsqu’on est soignant d’ad­mettre de se retrouver dans la position du ma­lade. » Le temps d’incubation de la maladie est généralement de trois à cinq jours. Mais la période peut s’étendre jusqu’à quatorze jours, pendant lesquels le soignant peut être contagieux.

Etre positif au Covid 19, « c’est bon, c’est fait !,tente de dédramatiser un rhumatologuefrancilien qui en subit encore les symptômes.Je pense que j’ai contaminé mon épouse. » « Une semaine avant d’avoir été testé positif, j’avais assisté à une réunion de famille avec mes six enfants, j’ai averti tout le monde, dis­pensé des conseils sur WhatsApp, raconte l’homme de 62 ans. Mais mon angoisse a étéaussi d’avoir pu transmettre le Covid­19 à mes patients à risques, immunodéprimés. »

« JE N’AI JAMAIS EU DE TELLES CRAINTES »« L’idée est de préserver la maison, explique lepsychiatre hospitalier parisien, dont la com­pagne attend un enfant. Je sais qu’il n’y a pas de risque pour l’embryon, mais à l’hôpital, je ne dispose que d’un seul masque chirurgicalpar jour qui, au bout de quatre heures, est un nid à bactéries. » « Nous n’avons pas de maté­riel de protection en quantité nécessaire, nousdéambulons dans l’hôpital dans nos tenues civiles alors que nous avons accueilli dans no­tre service des cas qui se sont révélés positifs,poursuit le soignant. Comme je ne me senspas en sécurité à l’hôpital, à la moindre cour­bature, j’ai peur de l’avoir chopé. »

Branle­bas de combat chez Garance LeBian, pharmacienne à Cergy (Val­d’Oise). Dèsle 14 mars, au lendemain de la fermeture desécoles pour cause d’épidémie, elle met en place pour sa famille « un protocole qui vaut ce qu’il vaut ». « Lorsque je rentre de ma

journée de travail, je toque à la porte avec maclé. Mon mari m’ouvre, je retire mes chaussu­res, je file directement jusqu’à une petite dé­pendance, où je mets toutes mes affaires dansun sac­poubelle, je me lave entièrement des pieds à la tête et je fais tourner une machine àlaver le linge. Je procède également à une dé­sinfection régulière des interrupteurs et des poignées de porte », détaille la pharmacienneavant de confier : « Je n’ai jamais eu de tel­les craintes. »

Cette angoisse engendre aussi une « ten­sion permanente » pendant les heures de travail, dit­elle, « pour ne pas contaminer ni être contaminé ». « Mais à des moments, la vigilance retombe un peu », s’inquiète­elle,alors que certains clients de la pharma­cienne s’autorisent des comportements désinvoltes. « Je suis très choquée de voir des gens prendre la pharmacie comme une bonneexcuse pour sortir », résume Garance Le Bian,citant une vieille dame venue trois matins d’affilée, pour des raisons différentes, ou cette jeune femme qui a fait le déplacement pour n’acheter, finalement, qu’une crème anticellulite. « Cela nous rend nerveux, pourne pas dire autre chose. »

L’autre outil pour préserver sa famille estla « distanciation » avec ses membres, pas

toujours simple à mettre en œuvre. En sortant du centre de soin de Rouen où elle travaille, Mathilde Padilla aurait voulu, le 3 avril, prendre le tramway en direction de lagare pour rejoindre ses parents. Mais elles’est arrêtée à l’arrêt Hôtel de ville, pour s’iso­ler dans sa chambre d’étudiante, seule. « Je nevais plus voir mes parents depuis le début duconfinement, je pourrais être porteur sain, ex­plique la jeune femme. Il y a des individus quin’ont pas de comorbidité, et pourtant déve­loppent une forme grave de la maladie. Je ne veux pas prendre le risque de porter le virus chez mes parents. »

A 28 ans, une aide­soignante lyonnaise aentrepris une démarche plus radicale en­core : partir de chez elle, pour s’installer chezune collègue infirmière avec qui elle s’enten­dait bien. Et ce, dès le 15 mars. « Je vis chez mamère, elle a de très gros problèmes respiratoi­res, ma sœur aussi, et elle est diabétique insu­lino­dépendant, résume la jeune femme qui travaille dans un service de gériatrie où lescas de suspicion de Covid­19 se multiplient. Ramener la maladie à la maison est un risqueque je ne pouvais prendre. »

« On est nombreuses à avoir eu les symptô­mes, on n’a pas le choix d’aller bosser », rap­pelle la soignante, qui se sent ainsi soulagée

« J’AI D’ABORD EU UNE PHASE DE DÉNI. C’EST COMPLIQUÉ, 

LORSQU’ON EST SOIGNANT, D’ADMETTRE 

DE SE RETROUVER DANS LA POSITION 

DU MALADE »CLÉMENTINE FENSCH

infirmière libérale dans une maison de santé parisienne

Le Conseil d’Etat saisi devant l’« inégalité d’accès aux soins »L’association Coronavictimes estime que des critères transparents devraient être appliqués dans le choix d’hospitaliser ou non les malades

A lors que la liste des victi­mes du Covid­19 s’al­longe chaque jour, le Con­

seil d’Etat a été invité, jeudi 2 avril,en référé, à examiner la situation singulière des « personnes résiden­tes des Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] et personnes maintenues à domicile » actuelle­ment privées « de fait » d’accès aux soins hospitaliers.

Cette requête de 30 pages, queLe Monde a consultée, a été intro­duite par l’association Coronavic­times, récemment fondée à l’ini­tiative de membres du Comité anti­amiante Jussieu (du campusuniversitaire parisien éponyme), collectif engagé depuis les années1990 dans la défense des victimesde l’amiante et les questions desécurité sanitaire. « Pour nous, ilétait inimaginable de rester inactifs devant un crime sanitairequi se déroule sous nos yeux, et de

ne pas tenter de peser afin que le gouvernement prenne les mesuresnécessaires pour limiter l’héca­tombe », explique le mathémati­cien Michel Parigot, chercheur auCNRS, président de Coronavicti­mes et du Comité anti­amiante Jussieu.

Un « tri » des patients « opaque »Procédure d’urgence, le référé permet de contraindre l’exécutif à prendre dans un délai très bref « toutes les mesures nécessaires »quand l’administration porte « une atteinte grave et manifeste­ment illégale » à une liberté fon­damentale, et ce dans l’exercicede l’une de ses prérogatives. Accèsau 15 et à l’hôpital, fin de vie et soins palliatifs, décès et identifi­cation des causes de la mort… dans sa requête, Coronavictimes – qui évoque rien moins qu’un« massacre silencieux » – détaillela discrimination arbitraire à la­

quelle seraient confrontés les ré­sidents des Ehpad et les person­nes maintenues à domicile « à chacune des étapes de développe­ment potentiel de la maladie ». L’association réclame « de toute urgence » un traitement équitableet transparent des malades.

« Le tri des malades en fonctionde leur espérance de vie et de leurs chances de survie se pratique déjà,dans un cadre fixé et admis, pour­suit M. Parigot. Mais avec 7 650 morts du Covid­19 dont plus de 2 000 en Ehpad [au 4 avril] et unsystème hospitalier submergé, la situation est très différente. On prive des soins nécessaires des per­sonnes qui, en situation normale,auraient pu guérir. »

Quant au « tri » des patients,M. Parigot estime qu’il est « réalisédans une opacité qui peut faire douter de son équité ». « Or, le“choix” réalisé ne doit pas seule­ment être juste, mais aussi être

perçu comme tel par les malades etleurs familles, précise­t­il. Ils doi­vent être assurés qu’un handicapésoit traité comme une personne valide et que le niveau social n’en­trera pas en compte dans le choix ».

Les requérants demandentdonc au Conseil d’Etat, garant de

la légalité de l’action publique et la protection des droits et libertésdes citoyens, d’enjoindre d’ur­gence au premier ministre et auministre des solidarités et de la santé d’édicter des directives et un protocole explicites pour« encadrer la décision de faire bénéficier, ou non, les malades quien ont besoin de l’accès à la réani­mation, afin que ce choix soit effectué en vertu de décisions transparentes », dont la responsa­bilité n’incombe pas « aux seulsmédecins ».

« Dénuement moral et juridique »« Dans la loi d’urgence sanitaire du 23 mars, aucune disposition n’aété prise pour assurer aux person­nes qui vont mourir du Covid­19 hors du système hospitalier, dont l’accès leur est dénié, des soins pal­liatifs de qualité leur garantissant une fin de vie digne et sans souffrance, déplore Me Guillaume

Hannotin, conseil de Corona­victimes. La véritable cause deleur décès ne sera pas le virus, maisla pénurie de matériel et la désor­ganisation des soins face à cettemaladie. »

Pour l’avocat, « le silence du gou­vernement ajoute au dénuement matériel, auquel sont déjà confrontés les soignants, une forme de dénuement moral et juridique, en leur faisant porter laresponsabilité du tri des patientssans en fixer le cadre qui relèved’un choix de société ».

Selon nos informations, le jugedu Conseil d’Etat a admis la re­quête de Coronavictimes et l’acommuniquée au premier minis­tre et au ministre des solidaritéset de la santé, qui doiventapporter leur réponse d’ici à lundi6 avril, 10 heures. La décision devrait ensuite intervenir très rapidement.

stéphane foucart

« ON PRIVE DES SOINS 

NÉCESSAIRESDES PERSONNES 

QUI, EN SITUATION NORMALE, AURAIENT 

PU GUÉRIR »MICHEL PARIGOT

chercheur au CNRS et président de Coronavictimes

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Page 7: Le Monde - 07 04 2020

0123MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 7

HOSPITALISATIONS PAR DÉPARTEMENTpour 100 000 habitants

Martinique

Mayotte

La Réunion

Guadeloupe

Guyane

de 100 à 150

de 150 à 159,5

de 50 à 100

de 25 à 50

de 10 à 25

moins de 10

Petite couronne2 972

771816

28 747

6 859

16 182

18 mars 5 avril18 mars 5 avril

RETOUR À DOMICILE

Personneshospitalisées

En réanimationet en soins intensifs

DÉCÈS À L’HÔPITAL HOSPITALISATIONET RÉANIMATION

depuis le 1er mars

5 889

0

2 000

4 000

6 000

8 000

10 000

12 000

14 000

COMPARATIF EUROPÉENItalie FranceAllemagne Royaume-Uni

Espagne

Les donnéescommencent au 10e décès.

Jour 0 Jour 10 Jour 21 Jour 29 Jour 40

12 641 mortsen Espagne

15 887 mortsen Italie

8 078 morts*en France

4 943 mortsau Royaume-Uni

(jour 22)

1 584 mortsen Allemagne

Sources : Santé publique France, Johns Hopkins UniversityInfographie Le Monde * Chi�re comprenant 5 889 décès à l'hôpital et au moins 2 189 décès en Ehpad

Epidémie de Covid-19 : situation au 5 avril, 14 heures

d’un « poids énorme ». Une situation qui luipermet également de dépanner en retour­nant travailler sur ses temps de repos, quandcela se révèle nécessaire.

Si la nouvelle vie en colocation se passesans encombre, dans les 40 mètres carrés partagés, cela reste « du bricolage », « fait àl’arrache », pointe l’infirmière avec qui elle loge désormais. « L’hôpital aurait dû fairequelque chose pour aider dans ces situations. J’ai plein de collègues hyperstressées quand el­les rentrent chez elles. J’en ai souvent vu une en pleurs… »

« LE RISQUE ZÉRO N’EXISTE PAS »Tenir ses parents à distance pour les plus jeunes, ou, à l’inverse, éloigner ses enfants pour les soignants actifs. Telle est l’obses­sion des soignants engagés dans la lutte contre le coronavirus. Au lendemain de lafermeture des écoles, une infirmière et unaide­soignant en couple, travaillant auxHospices civils de Lyon, ont décidé, pour desraisons pratiques, de confier leur enfant de 4 ans à ses grands­parents. Initialement,c’était l’affaire de quelques jours, tout auplus. Plus de trois semaines plus tard, le gar­çon y est toujours. « C’est dur, mais nousavons préféré ne pas le récupérer. Si nous étions porteurs sains, quelles pourraient être les conséquences pour mes parents qui ont70 ans ? », s’interrogel’infirmière.

Autre crainte partagée concernant l’épidé­mie : « La vérité d’un jour n’est pas celle du len­demain », rapporte un médecin hospitalierparisien. « Nous connaissons peu la maladie et les terrains qu’elle peut occuper, admet

Yvan Tourjansky, kinésithérapeute au seinde la clinique de Meudon (Hauts­de­Seine).Malgré les mesures barrières que nous prati­quons, sans virer à la paranoïa, le risque zéron’existe pas. » Parmi les soignants interrogés, et chez ceux qui disposent à leur domicile desuffisamment d’espace, plusieurs ont re­connu ne plus partager le lit de leur compa­gne ou de leur compagnon.

Chez Garance Le Bian, à Cergy, les règles dedistanciation sont également valables pourla famille – elle est mère d’un garçon de 11 anset d’une fille de 14 ans : « C’est violent de dire àson fils de s’éloigner en permanence, et de par­fois devoir hurler quand il s’approche trop près. Cela fait dix jours sans bisou, sans câlin. On a juste craqué une fois la semaine dernière.Juste une minute. »

éric nunès, stéphane mandardet camille stromboni

Dans un laboratoire de biologie médicale, à Neuilly­sur­Seine (Hauts­de­Seine), le 23 mars.CHRISTOPHE ENA/AP

La réserve sanitaire, une « grosse structure qui patine » face à la criseLe dispositif, mis en place pour répondre à ce type de situation, est pris de vitesse par la plate­forme de l’ARS d’Ile­de­France, élaborée avec une start­up

L’ épidémie de grippe H5N1,en 2007, avait convaincu laFrance d’anticiper d’autres

crises en créant un corps de réservesanitaire, de plusieurs milliers depersonnes, capable de venir, en ur­gence, en soutien de professionnelsde santé submergés par l’afflux demalades. Treize ans plus tard, faceau Covid­19, la réserve sanitairepeine pourtant à remplir son office.A tel point que l’agence régionale desanté (ARS) d’Ile­de­France a dûcréer, le 21 mars, un dispositif de renfort alternatif, Renforts­Covid, monté avec la start­up de santéMedGo.

Ce dispositif a été adopté, par lasuite, par sept autres ARS. Depuis le17 mars, la réserve sanitaire a mêmeenvoyé sur le terrain près de huitfois moins de personnes que la plate­forme Renforts­Covid. Pourexpliquer ce naufrage, les volontai­res comme les ARS estiment que son fonctionnement et ses moyenssont inadaptés à une telle situationd’urgence.

Pourtant, les volontaires ne man­quent pas. Depuis le début de lacrise, fin janvier, près de 19 000 epr­sonnes ont fait acte de candidature pour rejoindre la réserve sanitaire, qui comptait déjà 21 000 membres.Mais selon le décompte fait le 3 avril,seuls 719 réservistes ont été mobili­sés jusqu’ici. Pour sa part, au 1er avril,la plate­forme Renforts­Covid lan­cée le 21 mars avait déjà pourvu plus de 5 500 demandes de renfort. De plus, sur les 16 363 volontaires ins­crits sur cette interface numérique, 13 319 volontaires avaient un métier recherché par les établissements de santé, en majorité des infirmières et des aides­soignantes, en réanima­tion et en gériatrie.

Pannes informatiquesMaud Picaud, 29 ans, infirmière, ré­side normalement au Qatar. Blo­quée en France par le confinement,elle s’est inscrite le 23 mars sur laplate­forme Renforts­Covid. « J’aihésité avec la réserve sanitaire, maisje savais que je serais “déclenchée” moins vite et que ce serait beaucoupplus bureaucratique. » Son profil estrecherché. Disponible, elle a tra­vaillé en réanimation et aux urgen­ces. « J’ai commencé à la cliniqueClaude­Galien, dans l’Essonne, puisj’ai été au centre de régulation del’hôpital de Villeneuve­Saint­Geor­ges. » Depuis, elle reçoit des centai­nes de propositions. « Le privé est plus réactif, l’hôpital public de la Sal­pêtrière, à Paris, ne me faisait venirqu’après avoir fini les tâches admi­nistratives, soit plusieurs jours. »

Jean­Luc, 46 ans, originaire de la ré­gion Grand­Est, également infir­mier, est membre de la réserve sani­taire depuis plusieurs années. « Ilsm’ont appelé, mais j’étais déjà sur le

pont contre le Covid. » Nathalie, elle, est médecin généraliste. Habitant enRhône­Alpes, elle s’est portée candi­date pour la réserve sanitaire. « Au bout de dix jours, je n’avais toujours pas de réponse, alors j’ai choisi la plate­forme Renforts­Covid, qui per­met de choisir la zone de mission. J’ai rejoint une clinique à 20 kilomètres de chez moi. »

Sous­dimensionné, le serveur in­formatique de la réserve sanitaireest tombé en panne face au nombrede connexions. Même sans cet aléa,c’est le fonctionnement même de laréserve qui pèche. Là où la plate­forme Renforts­Covid met en con­tact direct les établissements de santé et les volontaires, la réservesanitaire répond aux demandes desARS qui, elles­mêmes, font le relaisavec les hôpitaux, cliniques ou éta­blissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Eh­pad) qui ont besoin d’aide. Parailleurs, le système Renforts­Covid confie aux établissements de santéla vérification des compétences desvolontaires, alors que la réservesanitaire effectue elle­même lecontrôle des dossiers de milliers devolontaires avec… huit personnes.

Isabelle Mouginot n’avait pasexercé son métier d’infirmière de­puis trente ans. Elle s’est inscrite sur la plate­forme Renforts­Covid le 26 mars. « La réserve sanitaire n’ad­met pas les profils comme le mien, sescritères sont trop restrictifs, dit­elle. Dès le lendemain, on m’a appeléepour des gardes de nuit à la clinique Labrousse, à Paris. Quand j’avais desquestions, je demandais à un cadre. Depuis, trois autres établissements m’ont contactée. »

L’agence Santé publique France,dont dépend la réserve sanitaire, tente de se dédouaner. « La réserven’est en aucun cas décisionnaire sur les renforts à apporter, mais répondaux demandes des ARS », affirme­t­elle. Résultat, comme le répète à l’envi Catherine Lemorton, ex­dépu­tée (PS) à la tête de la réserve sani­taire depuis un an, « beaucoup nesont plus disponibles quand on les sollicite, parce qu’ils ont déjà été ap­pelés ». Les établissements peuventégalement solliciter directementdes volontaires.

Il n’existe, en effet, aucune coordi­nation. « Renforts­Covid, expliquel’ARS d’Ile­de­France, est une plate­forme indépendante de la réserve sa­nitaire. » De fait, ce dispositif, pensé comme un complément, est devenu la principale porte d’entrée pour l’envoi de renforts dans le pays. L’ARSde Bourgogne­Franche­Comté, qui l’utilise, le confirme tout en mettantles formes : « Renforts­Covid permet l’expression de solidarités locales,cela ne se fait pas au détriment de laréserve. » Autre abonnée à Renforts­Covid, l’ARS d’Occitanie constate qu’elle est « très opérante et qu’ellefait correspondre la demande etl’offre. Renforts­Covid va sans douterebattre les cartes ».

Claude Le Pen, professeur à l’uni­versité Paris­Dauphine, où il dirige lemaster économie et gestion de la santé, estime que « la réserve sani­taire paie le refus de l’Etat de lui accor­der davantage d’autonomie ». Or,ajoute­t­il, « dans les crises, on se re­trouve avec une grosse structure qui patine d’un côté, et de l’autre des pro­fessionnels qui n’ont pas d’interlocu­teur. La haute administration de lasanté en France, très centralisatrice, abeaucoup de mal avec des dispositifs ponctuels et très réactifs. »

« Noyée dans la bureaucratie »Née en mars 2007 de la loi sur la pré­paration du système de santé à des menaces sanitaires de grande am­pleur, la réserve sanitaire avait été confiée à l’Etablissement de prépara­tion et de réponse aux urgences sani­taires (Eprus). En 2015, elle compte 2 078 personnes et sa gestion mobi­lise six personnes, deux de moins qu’en 2020. La même année, le séna­teur (UMP) Francis Delattre écrit, dans son rapport sur l’Eprus, que seuls 120 réservistes sont réellement actifs, car, dit­il, cette réserve, surtout composée de retraités, est avant tout un outil de « diplomatie sanitaire ».

En 2016, dans un climat de pres­sion financière, la petite équipe del’Eprus et de la réserve sanitaire estabsorbée dans la grande agence Santé publique France. « Dans monrapport, en 2015, se souvient M. De­lattre, je militais, au contraire, pourleur accorder plus de liberté. C’était des missionnaires. Au nom de la sécu­rité sanitaire, la réserve a été noyéedans la bureaucratie et confiée à des gestionnaires à la petite semaine. »

En 2010, la Cour des comptes, dansson rapport sur l’Eprus, estimait déjàque « les difficultés de recrutement [de la réserve] conduisent à envisagerune réorientation profonde tendant àune décentralisation des recrute­ments (…) en situation de crise ». Jus­qu’au début des années 2010, ce sontles préfets qui signaient les contrats d’engagement des candidats à la ré­serve sanitaire.

jacques follorou

« C’EST VIOLENT DE DIRE À SON FILS 

DE S’ÉLOIGNER EN PERMANENCE, 

ET DE PARFOIS DEVOIR HURLER QUAND IL 

S’APPROCHE TROP PRÈS »GARANCE LE BIAN

pharmacienne à Cergy

RENFORTS­COVID CONFIE AUX ÉTABLISSEMENTS 

DE SANTÉ LA VÉRIFICATION DES COMPÉTENCES DES 

VOLONTAIRES. LA RÉSERVE SANITAIRE EFFECTUE ELLE­

MÊME LE CONTRÔLE, AVEC… HUIT PERSONNES

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Page 8: Le Monde - 07 04 2020

8 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 20200123

G ouverner, c’est pré­voir, mais peut­on pré­voir quoi que ce soitface à cette crise « iné­

dite » et à ce « risque inconnu » quereprésente l’épidémie de Co­vid­19, dont la gestion au quoti­dien « a sa marge d’incertitude », aux dires du ministre de la santé, Olivier Véran ? L’exécutif ne cesse de se confronter à cette questiondepuis trois semaines. Si bien quela perspective d’une sortie de crise devient difficile à dessiner, au risque de se prendre les piedsdans le tapis.

Le 13 mars, le premier ministre,Edouard Philippe, n’assurait­il pas qu’« à partir du mois d’avril, ilva falloir penser au rebond et à la façon dont on va préparer la suite » ? Un tel discours n’a plus droit de cité aujourd’hui. « La criseva durer, il va falloir tenir », répète dorénavant le chef du gouverne­ment. « La commande de Mati­gnon et de l’Elysée, c’est d’être à 100 % dans la crise. La crise, lacrise, la crise », souffle un con­seiller. Car le temps vers « l’après »risque bien de s’étirer telle une montre molle.

Si la France est confinée officiel­lement jusqu’au 15 avril, la date defin réelle de cette mesure excep­tionnelle reste en suspens. « Onpeut avoir des indices qui laissent àpenser que, probablement, ça de­vra durer, mais je n’en ai pas la cer­titude », a prévenu Olivier Véran,samedi 4 avril, dans un entretienau média en ligne Brut. Le conseil scientifique chargé d’appuyer Emmanuel Macron dans sa prisede décision préconisait pour sa part un confinement « au moins »jusqu’au 22 avril.

« Impossible de répondre »La France a enregistré, dimanche5 avril, un bilan de 357 morts sup­plémentaires sur une journée.Son chiffre le plus bas en la ma­tière sur une semaine. Mais il estimpossible, pour l’heure, de fairedes prédictions sur l’état sani­taire à venir du pays et la duréede l’épidémie. « Nous ne som­mes pas capables aujourd’huid’avoir une chronologie précise »,convient­on dans l’entouraged’Edouard Philippe. « On ne sait pas si on va être sur le pic de lacrise, s’il y aura une deuxième va­gue… Personne n’a de regard surla durée de ce qu’il se passe, on nesait pas grand­chose de ce satanévirus », ajoute un ténor de l’oppo­sition au fait de ces questions.

Quand les enfants, par exem­ple, pourront­ils retourner à

l’école ? « C’est impossible de ré­pondre », a reconnu, samedi, le ministre de l’éducation natio­nale, Jean­Michel Blanquer, aprèsavoir brandi dans un premiertemps la date du 4 mai.

Le premier ministre s’est mal­gré tout risqué à dessiner un coinde ciel bleu dans ce paysage mo­rose, en évoquant la perspective du déconfinement. Edouard Phi­lippe a expliqué, mercredi 1er avril, lors de son audition de­vant la mission d’information del’Assemblée nationale sur le Co­vid­19, que la démarche était àl’étude et qu’elle pourrait être« progressive ».

Ce qui lui a valu, depuis, unefoule de critiques, alors que desimages de flâneurs profitant dubeau temps se sont répandues aucours du week­end. « Le mot “dé­confinement” a été prononcé troptôt », entraînant un « relâche­ment » de la part des Français, aestimé Damien Abad, président du groupe Les Républicains (LR) au Palais­Bourbon.

« Se projeter dans le déconfine­ment, c’est prématuré. Passons le

cap du pic épidémique déjà, cha­que chose en son temps », soufflede son côté une tête d’affiche dela majorité. Un conseiller de l’exécutif reconnaît qu’aborder lasuite peut avoir un aspect « dé­sincitatif » pour le « rester chez soi ». « Le déconfinement, c’est unsujet, mais on sait qu’on a letemps d’en parler, souffle une mi­nistre. C’est compliqué d’y penserquand on a 400 morts par jour. »

Selon un cadre de La Républi­que en marche (LRM), « c’est l’opi­nion qui a poussé le premier mi­nistre » à sortir du bois. Une pres­sion assumée à demi­mot. « Ce

thème du déconfinement allait arriver. Jean­Luc Mélenchon étaitdessus, les médias aussi, justifie­t­on à Matignon. Cela fait partie de la stratégie de ne pas subir letempo des questions, à commen­cer par celles de l’opposition, et dele faire dans une transparence complète. » Dès le lendemain deson audition à l’Assemblée natio­nale, Edouard Philippe a néan­moins cru bon de préciser sur TF1que « le déconfinement, ça n’estpas pour demain ».

« On rêve tous du grand soir »Est­ce pour ne pas être accusé denourrir le « relâchement », ou, plus prosaïquement, pour ne pas se dédire ? L’exécutif se refuse àassumer un changement de doc­trine sur la question du port dumasque, qui pourrait être généra­lisé dans le cadre du futur décon­finement. Depuis le 31 mars, desmasques textiles sont produitspour les professionnels situés en « deuxième ligne » (caissiers, li­vreurs, etc.), en plus de ceux (chi­rurgicaux et FFP2) réservés enpriorité aux personnels de santé.

« Nous encourageons le grandpublic, s’il le souhaite, à porter desmasques, en particulier ces mas­ques alternatifs qui sont en coursde production », a déclaré le direc­teur général de la santé, JérômeSalomon, vendredi, ouvrant unebrèche dans la doctrine gouver­nementale. Le lendemain, M. Sa­lomon a précisé que « cela ne remplace en aucun cas les mesu­res de distanciation sociale, de ré­duction des contacts, de distancephysique d’un mètre, les mesuresde confinement et le respect des gestes barrières ».

Car il est trop tôt pour imaginerles Français retrouvant leur vie d’avant d’un claquement de doigts. « On rêve tous du grand soir de la crise, où chacun reprendrait lamême vie du jour au lendemain, comme si cela n’avait été qu’une pa­renthèse. Mais, en réalité, la sortie de crise sera progressive, en bi­seau », dit Stanislas Guerini, délé­gué général de LRM. D’autant que la crise économique – dont l’am­pleur pourrait se révéler compara­ble à celle de 1929, selon l’exécutif –guette derrière la crise sanitaire.

« Les habitudes resteront pertur­bées, la menace réelle, note ChloéMorin, experte associée à la Fon­dation Jean­Jaurès. Ceux qui auront été au front seront épuisés,ils risquent de vivre une formed’abandon ou de manque de com­préhension, comme les poilus quine pouvaient pas raconter les tranchées et mouraient de cha­grin face à la légèreté d’une so­ciété qui faisait la fête dans les an­nées 1920. Qu’est­ce qui va se pas­ser quand les gens, qui espéraientun retour brutal à la vie d’avant, vont réaliser que, sur le plan éco­nomique et sanitaire, ce ne serapas le cas ? »

Selon son entourage, Emma­nuel Macron devrait recevoir audébut de cette semaine des « élé­ments tangibles » pour mesurerl’efficacité du confinement. De quoi l’aider, dit­on, à « fixer uncap et un horizon » qu’il pourraitexposer dans une nouvelle allo­cution télévisée. Et essayer deprévoir, un peu.

olivier faye,alexandre lemarié,

et solenn de royer

Port du masque : le virage à 180 degrés du gouvernementDans l’optique du déconfinement, et si la production le permet, le port du masque pourrait être étendu à l’ensemble de la population

C eci « n’est pas un change­ment de doctrine », assu­re­t­on au sein de l’exécu­

tif. Le port du masque, pourtant,pourrait bien être généralisé, en particulier dans l’optique du fu­tur déconfinement de la popula­tion française, dont la date estencore loin d’être connue. Le mi­nistre de la santé, Olivier Véran, areconnu lui­même que cette me­sure pourrait compléter utile­ment le recours aux gestes bar­rières face au coronavirus. « Etre capables d’avoir d’autres moyensde protection de la populationlorsqu’on aura levé le confine­ment, avec une sensibilisationcomplète de la population, ça faitsens », a­t­il souligné, samedi,dans un entretien au média en li­gne Brut. « Nous sommes en traind’évoluer vers ça, reconnaît de son côté un interlocuteur régu­lier d’Emmanuel Macron. Il n’estpas impossible qu’on étende etqu’on généralise l’usage du mas­

que, mais en fonction des capaci­tés disponibles. »

La brèche a été ouverte, ven­dredi 3 avril, par le directeur géné­ral de la santé, Jérôme Salomon. « Nous encourageons le grand pu­blic, s’il le souhaite, à porter des masques, en particulier ces mas­ques alternatifs qui sont en coursde production », a­t­il déclaré lors de son point presse quotidien. Depuis le 31 mars, des masques en textile sont en effet produits pour les professionnels situés en « deuxième ligne », comme lescaissiers ou les livreurs. Vendredi,l’Académie de médecine a sug­géré que le port d’un masque« grand public » ou « alternatif »aux masques médicaux soitrendu obligatoire pour les sortiespendant la période de confine­ment et lors de sa levée. Un avisconforme à celui rendu dans unnombre croissant de pays du monde. Le président américain, Donald Trump, a notamment

rapporté à ses concitoyens qu’il était désormais conseillé de se couvrir le visage lorsqu’ils sor­tent de chez eux.

Eviter une ruéeDepuis le début de la crise du co­ronavirus, le gouvernement fran­çais oriente en priorité les mas­ques – qu’ils soient chirurgicaux ou FFP2 – vers les personnels soi­gnants. Des hôpitaux, d’abord, mais aussi des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Afin que les citoyens ne se ruent pas vers les masques, l’exécutif a par ailleurs communiqué quant à leur supposée inutilité pour le grand public. « Il n’y a pas besoinde masque quand on respecte la distance de protection vis­à­vis desautres », assurait ainsi la porte­pa­role du gouvernement, Sibeth Ndiaye, le 25 mars. Quelques joursplus tôt, elle affirmait déjà que« les masques ne sont pas nécessai­

res pour tout le monde » et que leur usage généralisé pourrait même s’avérer « contre­produc­tif » s’ils étaient mal portés.

N’y a­t­il pas, dès lors, un para­doxe à opérer un virage à 180 de­grés en la matière ? « Ce n’est pas paradoxal par rapport au stock dont nous étions en possession. La politique de masques a été ajus­tée à nos capacités, reconnaît un conseiller de l’exécutif. Nous allonsmaintenant être en capacité de pro­duire et d’importer massivement pour répondre à l’ensemble des be­soins. » « Nous avons commencé

cette crise avec un stock donné, et on a bâti notre stratégie pour réser­ver les masques chirurgicaux aux soignants, souligne un proche du premier ministre, Edouard Phi­lippe. C’était du reste cohérent avec le discours de l’OMS [Organisation mondiale de la santé], qui disait que ça ne servait à rien à la popula­tion générale. Maintenant, grâce aux efforts de l’Etat, les soignants ont accès à un stock de masques. »

« Ne baissons pas la garde »Emmanuel Macron a incarné ce changement de pied en se rendantdans une usine de production de masques, le 31 mars, dans le Mai­ne­et­Loire. « Les masques, c’est une bataille essentielle », a alors dé­claré le chef de l’Etat. « Nous avons une demande sociale et des avis fa­vorables à l’utilisation de masques en dehors des populations de soi­gnants, donc on y travaille avec desmasques alternatifs », souligne­t­on à Matignon. « Nous sommes

en train de regarder cela en lien avec les experts en virologie et le conseil scientifique », rapporte­t­on au ministère de la santé, tout en précisant qu’il est « trop tôt » pour parler de déconfinement.

« Ne baissons pas la garde, alerteun proche d’Edouard Philippe.L’essentiel du combat n’est pas ga­gné, à savoir donner des masques aux soignants. » Car il n’est pasquestion de laisser penser que desmasques seront distribués à tousdès demain. « Nous avons une priorité absolue pour protéger nos soignants, qu’ils soient en ville ou à l’hôpital, a souligné Jérôme Sa­lomon, samedi, comme pour pré­ciser ses propos de la veille. Peut­être qu’un jour nous proposerons à tout le monde de porter une pro­tection, mais on n’en est pas là. » « Depuis le début de cette épidé­mie, nous apprenons chaque jour, a­t­il ensuite reconnu. On adapte notre position, on évalue. »

o. f.

Le premier ministre, Edouard Philippe, et le ministre de la santé, Olivier Véran, lors de leur audition devant la mission d’information de l’Assemblée sur le Covid­19, le 1er avril. THOMAS SANSON/AFP

« La commandede Matignon et

de l’Elysée, c’estd’être à 100 % dans la crise.

La crise, la crise,la crise », souffle

un conseiller

L’interminable sortie de crise de l’exécutifAprès avoir évoqué le déconfinement, le gouvernement doit gérer la longueur de la crise sanitaire

« La politiquede masques a été ajustée

à nos capacités »,note un conseiller

de l’exécutif

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Page 9: Le Monde - 07 04 2020

0123MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 9

Paris repense sa stratégieface aux crisesLes responsables de la ville tentent de tirer de premières leçons de la catastrophe liée au Covid­19

C omment mieux tenir lechoc ? Comment rebon­dir après un désastrecomme le coronavirus ?

A la Mairie de Paris, tout en parant au plus pressé et en anticipant le déconfinement, l’élue sortante, Anne Hidalgo, et son équipe com­mencent à tirer les leçons de cette épreuve. « Qu’est­ce que le monde d’après : juste un retour à l’ancien, ou autre chose ? La maire nous a de­mandé d’y réfléchir très librement,et on y passe pas mal de temps », ditun membre de son cabinet.

Certaines pistes pourraient dé­boucher rapidement. Pour éviter de nouvelles contaminations, cer­tains imaginent par exemple d’installer des distributeurs de gel hydroalcoolique un peu partout, notamment dans les abribus, « comme on l’a fait pour les défi­brillateurs ». De même, dans les ca­fés, une distance d’un mètre doit­elle être imposée entre les tables ? Mais au prix du mètre carré, les ca­fetiers y survivraient­ils ? D’autres interrogations, beaucoup plus vas­tes, concernent l’urbanisme, le lo­gement, les sans­abri…

« C’est toute notre stratégie de ré­sistance aux crises que nous actua­lisons, pour tenir compte de ce quenous apprend celle­ci et mieux nous armer face aux prochaines », note Sébastien Maire, le « M. Rési­lience » de la Mairie.

En 2017, à la faveur d’une propo­sition de soutien financier de la Fondation Rockefeller, Paris avait été la première ville française à se doter officiellement d’une « straté­gie de résilience », votée par le con­seil municipal, et à nommer au sein de l’administration un « haut responsable de la résilience ». A l’époque, il s’agissait de se préparerà des attentats, des crues, des inon­dations, des canicules ou des grè­ves massives, plutôt qu’à des pro­blèmes sanitaires. Le mot « pandé­mie » figurait tout de même dans le discours d’Anne Hidalgo.

Le plan de 2017 ne prévoyait pasmoins de 35 actions plus ou moinsconcrètes. Quelques­unes ont été lancées, en particulier l’aménage­ment des cours d’école en îlots de fraîcheur en retirant le bitume, ou la formation de volontaires aux « gestes qui sauvent ». Beaucoup d’autres sont restées à l’état de pro­jet, comme celle visant à « assurer un soutien psychologique à l’en­semble de la population face à des chocs ». Elle aurait pourtant été utile en cette période anxiogène.

« Le travail mené nous sertaujourd’hui », affirme Célia Blauel, l’adjointe chargée de l’environne­ment. La Mairie a mobilisé son ré­seau de citoyens solidaires, les « volontaires de Paris », pour pren­dre quotidiennement des nouvel­les des personnes âgées ou placar­

der des messages de prévention dans les halls d’immeubles.

« Du fait des épisodes précédentsque nous avons dû gérer, notre cel­lule de crise fonctionne efficace­ment, ajoute Célia Blauel. Chacun connaît son rôle, et la maire tran­che en cas de besoin. » Alors que seuls 20 % des agents municipaux travaillent encore, les services de la ville se sont repliés en bon ordresur leurs missions essentielles : lesrues restent globalement net­toyées, les ordures collectées, l’eau potable continue à couler, les morts sont enterrés ou incinérés.

De nombreuses faillesL’épidémie a néanmoins montré plusieurs failles. La plus criante estla faiblesse du système hospitalier,en Ile­de­France comme ailleurs. Proche de la saturation en temps normal, il se révèle à présent tota­lement débordé. La responsabilité principale en ce domaine revient àl’Etat, mais les élus locaux n’en étudient pas moins la façon dont ils peuvent agir, d’autant qu’Anne Hidalgo préside l’Assistance publi­que­Hôpitaux de Paris (AP­HP).

Faut­il construire de nouveauxhôpitaux ? Rouvrir l’hôpital des ar­mées du Val­de­Grâce ou les ur­gences de l’Hôtel­Dieu ? « La ville dispose aussi d’Ephad dont nous al­lons devoir repenser la configura­tion, afin de mieux séparer les ma­lades et les bien portants », avance Jean­Louis Missika, l’un des princi­paux adjoints d’Anne Hidalgo. La constitution de solides stocks de masques, gels, respirateurs et autres biens stratégiques est envi­

sagée, compte tenu de l’énorme échec actuel en la matière.

C’est le deuxième sujet mis enévidence par la crise actuelle : les menaces de pénurie. De médica­ments et de produits de santé, mais aussi de nourriture ou d’énergie. « Aujourd’hui, un ali­ment effectue en moyenne 660 ki­lomètres avant d’arriver dans l’as­siette d’un Parisien, relève Célia Blauel. C’est une aberration envi­ronnementale, et un danger en cas de blocage des transports. Nous de­vons relocaliser une partie de la production alimentaire, et la ques­tion est voisine pour l’électricité. » L’Ile­de­France dépend en effet à 90 % du courant produit dans d’autres régions.

Autre préoccupation majeure, lelogement. En particulier celui du personnel clé des collectivités pu­bliques et des entreprises : des ca­dres, des informaticiens, mais aussi des soignants, des éboueurs, des caissières… « Comment faire ensorte que ceux qui assurent la conti­nuité de la vie de la nation puissent le faire en toutes circonstances et defaçon sûre ?, s’interroge Fouad Awada, le directeur de l’Institut Pa­ris Région, un organisme public derecherche sur l’aménagement et l’urbanisme. La crise montre que cen’est pas si facile. Nous sommes un peu défaillants. » Le télétravail ré­sout une partie des difficultés, pas toutes. A Paris, la mairie doit ainsi trouver en urgence des héberge­ments provisoires pour quelque 200 personnes, des agents muni­cipaux qui habitent en banlieue, des infirmières, etc.

« En termes de résilience, rappro­cher les logements des emplois, et pas seulement le temps des crises, doit devenir une priorité », estime Sébastien Maire. En 2017, la ville s’était fixé l’objectif de diminuer de 30 % le nombre de déplace­ments domicile­travail à l’échelle de l’agglomération d’ici à 2030, notamment grâce au télétravail et à la création d’espaces de cowor­king placés près des logements. Mais le dossier n’a guère avancé.

Au passage, la crise met en reliefle problème de ceux qui n’ont pas de logement. « L’épidémie fait ap­paraître toutes les fragilités d’une ville hyperdense et ultra­inégali­taire comme Paris, analyse David Belliard, élu de Paris et candidat écologiste à la Mairie. Il y a ceux quiont des résidences secondaires et peuvent partir, ceux qui vivent dansde grands appartements, et tous lesautres – y compris les SDF, les Roms,les migrants… » Des mesures ont été prises en urgence : une partie de ceux qui vivent à la rue ont été placés à l’abri, notamment dans des gymnases. Mais cela n’a rien d’une réponse structurelle. Quant à la densité de la ville, la question

va nécessairement être posée. A Paris, elle était déjà évoquée par de nombreux candidats aux mu­nicipales, en général pour dénon­cer la « bétonisation ». L’épidémie ne peut que donner de nouveaux arguments en ce sens. « Les métro­poles hyperdenses sont des bom­bes virales », estime David Bel­liard. « Pour l’humanité, les bien­faits de la densité l’emportent lar­gement », juge néanmoins Fouad Awada, de l’Institut Paris région.

Les responsables ont aussi entête l’autre grande menace pour Paris, celle d’une crue aussi im­portante qu’en 1910. La ville, la ré­gion paraissent mal préparées. « Nous sommes considérablement plus vulnérables qu’en 1910, car très dépendants désormais des ré­seaux d’électricité, de chaleur, de transport, de gestion des déchets,qui ont été construits le long de la Seine », constate Ludovic Faytre, spécialiste des inondations à l’In­titut Paris Région.

En cas de crue, la capitale pour­rait être coupée en deux, sans mé­tro, de nombreux immeubles pri­vés d’électricité, d’eau potable, les hôpitaux pourraient être inutili­sables. « De vous à moi, quand la crue arrivera, mieux vaudra quitter Paris », confie une experte de la ré­gion. Mais, que faire si la crue né­cessitant des évacuations massi­ves survient en pleine pandémie, imposant un confinement ? « Ce serait totalement contradictoire », reconnaît M. Faytre. Deux crises qui se conjuguent, et c’est la catas­trophe. Sans solution à ce stade.

denis cosnard

Sur le parvis de l’Hôtel de ville de Paris, le 31 mars. ANTOINE WDOWCZYNSKI/HANS LUCAS VIA AFP

La parole politique mise à mal dans la lutte contre le Covid­19La défiance d’une partie de l’opinion et la prolifération de « fake news » mettent en difficulté le pouvoir dans sa gestion de la crise

L e phénomène n’est pas nou­veau. Mais il s’amplifie avecl’épidémie du Covid­19.

Alors que l’exécutif doit faire face àune crise sanitaire sans précédent,la défiance envers la parole offi­cielle atteint des sommets. Selon un sondage Elabe publié le 1er avril,41 % des Français font confiance aupouvoir pour « lutter efficacement contre l’épidémie », soit 18 points de moins en deux semaines.

Plus grave, près de deux Françaissur trois pensent que le gouverne­ment leur ment sur la gestion de l’épidémie : 63 % estiment qu’on leur « cache des choses », selon un sondage OpinionWay, publié le 30 mars ; 70 % que l’Etat « ne dit pasla vérité aux Français », dans une étude Odoxa publiée cinq jours plus tôt. « La confiance dans la pa­role politique était déjà basse au dé­but du quinquennat. Elle a baissé au moment des “gilets jaunes”, et continue de s’effriter. Le discrédit est aujourd’hui majeur », se désole l’ex­député La République en mar­che (LRM) Matthieu Orphelin. Un souci de taille pour l’exécutif, au

moment où il doit convaincre la population de respecter ses consi­gnes de confinement sur le long terme. Sans se relâcher, alors que des dizaines de Français ont pris des libertés avec l’attestation de déplacement, ce week­end. « On constate un délitement de la parolepolitique, réduite au même niveau que le pékin moyen sur Facebook », regrette le délégué général adjoint de LRM, Pierre Person.

Les critiques de l’opposition etdes personnels soignants contre lapénurie de matériel ont contribué à nourrir la défiance actuelle. « Dans l’opinion, on constate une très forte grogne contre le manque de masques et des tests, avec l’idée que les premiers à en pâtir sont les salariés, qui continuent à travailler sur le terrain », observe Jérôme Fourquet, directeur du pôle opi­nion de l’IFOP. Avant de pointer lerisque d’une recrudescence du cli­vage entre « les élites » et « le peu­ple » : « Cela réactive un ressenti­ment de la France d’en bas contre les technos, accusés de ne pas avoir suffisamment préparé le pays à

affronter une telle crise. On re­trouve un syndrome du mouve­ment des “gilets jaunes”, avec l’idée que la classe politique aurait collec­tivement failli. »

Percée des théories complotistesSi la volte­face de l’exécutif sur la question des masques suscite letrouble en interne – « Dire qu’il n’yavait pas besoin de masques est une erreur, qui a entaché la crédi­bilité du propos du gouvernement dans son ensemble », enrage undéputé LRM –, elle donne surtout des arguments à l’opposition.

La présidente du Rassemble­ment national, Marine Le Pen, adénoncé un gouvernement qui ment sur « absolument tout, sansaucune exception ». Des propos « démagogiques », selon les ma­cronistes. « Marine Le Pen affai­blit la démocratie en se faisant porte­drapeau des complotistes en tout genre, assène le députéLRM Pieyre­Alexandre Anglade.Elle mélange faits et avis pour créer de la confusion. » Au­delàdu rôle joué par l’opposition, les

responsables de la majorité s’in­quiètent de la prolifération des fausses informations qui re­jaillissent sur Internet, et de laperméabilité de la société fran­çaise aux théories du complot.

Dans un sondage IFOP diffusé le28 mars, 26 % des Français esti­ment que le coronavirus a étécréé intentionnellement en labo­ratoire. « Sur les réseaux sociaux,toutes les paroles se valent. Notre société verse dans l’idée qu’on ca­cherait la vérité sur nombre de su­jets », se désole Pierre Person. « Les théories complotistes per­cent dans notre pays, avec une re­mise en cause de toute parole offi­cielle, qu’elle soit politique, scienti­fique ou médiatique, s’alarme Aurore Bergé, porte­parole de LRM. Il y a un vrai risque que lacrise sanitaire et économique ac­tuelle rejaillisse sur une crise dé­mocratique et d’information. »

Déterminé à traquer « les faussesinformations », le mouvement présidentiel a mis en place une ru­brique « désintox » sur le site Inter­net de LRM pour mener la bataille

sur les réseaux sociaux. Une initia­tive essentielle aux yeux du délé­gué général, Stanislas Guerini, qui y voit un affrontement idéologi­que entre deux modèles : « C’est uncombat à la vie, à la mort entre ceux qui ont la conviction que c’est dans les démocraties qu’on trou­vera la solution à cette crise multi­forme, et ceux qui ont une tentationpopuliste, voire autoritaire. »

« La crise du coronavirus est untest pour la démocratie, qui doit af­fronter les mensonges des nationa­listes qui se prétendent mieux à même de protéger les peuples que les autres, observe M. Anglade, en dénonçant des ingérences étran­gères. Derrière la guerre sanitaire, se joue une guerre d’influence me­née par la Chine et la Russie, qui présentent leurs systèmes politi­ques comme des modèles pour vaincre la pandémie. »

Un combat qui tient à cœur àEmmanuel Macron. Le 16 mars, lors de sa deuxième allocution té­lévisée, il a mis en garde les Fran­çais contre les « fausses informa­tions », qui « circulent à tout­va ».

« Evitez de croire dans toutes les fausses rumeurs, les demi­experts ou les faux­sachants », a­t­il de­mandé, en vantant « la parole claire » et « l’information transpa­rente » de l’exécutif.

« Clarté » et « transparence ». Cesont justement les mots d’ordre d’Edouard Philippe dans sa com­munication de crise. Après quel­ques faux pas, le premier ministre a multiplié les prises de parole, ces derniers jours, pour rassurer sur lagestion du gouvernement. Sa mé­thode ? Tout dire, sans nier les pro­blèmes ou les hésitations.

Le 2 avril, sur TF1, le locataire deMatignon a ainsi reconnu les « vraies difficultés » auxquelles se heurte la France pour s’approvi­sionner en masques, et admis des « tensions très fortes » sur certains médicaments. « Nous ne savons pas tout », a­t­il encore affirmé, le 1er avril, devant la mission d’infor­mation de l’Assemblée. Comme s’ils’agissait de tout mettre sur la ta­ble, afin de se prémunir contre toute accusation de mensonge.

alexandre lemarié

Un conseil municipal exceptionnel en vueLe 3 février au soir, beaucoup d’élus parisiens avaient quitté l’Hôtel de ville, après un ultime conseil municipal – du moins est-ce ce que tous pensaient. En réalité, les membres du Conseil de Paris vont probablement être appelés à se réunir à nouveau, au moins de façon virtuelle. Le second tour étant repoussé à une date en-core inconnue, peut-être en octobre, la maire sortante, Anne Hi-dalgo, envisage de convoquer un Conseil en mai, notamment pour valider le versement de certaines subventions à des associations qui se retrouveraient, sinon, en difficulté. La question doit être dis-cutée, lundi 6 avril, avec les présidents des groupes politiques. « Juridiquement, il n’est peut-être pas indispensable de réunir un conseil, mais politiquement, cela va devenir délicat de gérer la ville sans débat démocratique », commente un proche de la maire.

La constitution de solides stocksde masques, gels,

respirateurs et autres biens

stratégiques est envisagée

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Page 10: Le Monde - 07 04 2020

10 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 20200123

Malgré l’épidémie, la justice continue de fonctionnercahin­caha, parfois sans avocats, et avec des prétoiresqui se sont largement vidés. Non­respect du confinement, trafic de masques… de nouveaux délits émergent, ainsi que de nouvelles règles d’audience

RÉCIT

M oins d’un mètre séparela juge et ses deux asses­seures dans la tropétroite salle n° 7 du pa­lais de justice de Bobi­gny. Alors l’audience se

déplace, prend ses aises dans la vaste salle desassises, où les magistrates peuvent laisser un fauteuil d’écart entre elles. A Nanterre aussi, on migre vers la salle d’ordinaire réservée auxassises : le dispositif de visioconférence per­met d’y faire comparaître certains prévenus confinés sans les extraire de prison. Toute lajournée, dans le hall du tribunal de Paris, gi­gantesque fourmilière en temps normal, on n’entend rien d’autre que le ronron des esca­lators et les voix des vigiles postés à l’unique porte d’accès ouverte. A Créteil, l’audience s’achève à 20 heures quand, certains soirs avant le confinement, les débats peuvents’étirer jusqu’à une heure du matin.

Malgré l’épidémie de Covid­19, la justicecontinue. Au ralenti, tant bien que mal, mais elle continue. Mercredi 1er avril, Le Monde s’estrendu dans quatre tribunaux d’Ile­de­France pour assister aux comparutions immédiates – l’un des rares « contentieux essentiels » que le ministère de la justice n’ait pas mis sur pause. Partout, le même constat : le coronavi­rus a vidé les prétoires et bouleversé lesaudiences. Cambrioleurs, pickpockets et pe­tits trafiquants, habitués de ces procès expé­ditifs, représentent encore la majorité des dossiers. Mais les comparutions immédiates sanctionnent ces jours­ci de nouveaux com­portements délictueux estampillés Covid­19 :non­respect du confinement, crachat sur lesforces de l’ordre, trafic de masques, ou violen­ces conjugales sur fond de forte promiscuité.

Pour limiter celle qui règne dans les mai­sons d’arrêt, redoutables foyers infectieux, lagarde des sceaux, Nicole Belloubet, a de­mandé aux procureurs de recourir le moins possible à l’incarcération. Résultat : des ma­gistrats du parquet tiraillés entre la volonté desanctionner et la crainte d’engorger les pri­sons. Tendance paradoxale chez les juges éga­lement : au nom de la lutte contre la propaga­tion du virus, ils libèrent certains prévenus qui attendent leur procès en détention provi­soire avant d’être jugé en comparution « im­médiate ». Mais pour y maintenir certains autres dont les dossiers sont épineux, ils pro­fitent de l’ordonnance prise le 25 mars, dans lecadre de l’état d’urgence sanitaire, qui fait pas­ser de deux à quatre mois la durée maximale d’une détention provisoire. Le coronavirus vide les cellules d’un côté et entretient la surpopulation carcérale de l’autre.

Curieuse atmosphère dans ces salles où lesflacons de gel hydroalcoolique fleurissent sur les pupitres, et où la vigilance vis­à­vis des gestes barrières décline au fil de l’audience. Bien vite, les prévenus – rarement masqués – comparaissent épaule contre épaule dans le box, les dossiers passent sans précaution de main en main, et personne ne tient huit heu­res sans se gratter le nez. Le concept de distan­ciation sociale varie d’un palais de justice à l’autre. A Créteil, le public – les familles des prévenus – était autorisé dans la salle ; pas à Nanterre, où le huis clos sanitaire avait été dé­crété. A Paris, aucun policier chargé d’escorterles prévenus dans le box ne portait de mas­que chirurgical ; à Bobigny, tous en avaient un, l’audience a d’ailleurs failli s’achever car leur stock arrivait à épuisement – de nou­veaux masques sont arrivés à temps.

On a vu des avocats contraints de chuchotertrès fort, à un ou deux mètres de distance, les conseils qu’ils glissent habituellement à l’oreille de leurs clients ; un président de tri­bunal rassurer l’assemblée après de multiplesquintes de toux ; des policiers suggérer aux prévenus de ne pas s’approcher de la vitre du box, parce que « sur les vitres, ça reste très, trèslongtemps » ; une audience renvoyée (et une détention provisoire prolongée) parce que le prévenu n’avait pu être soumis à une exper­tise psychiatrique, l’expert qui devait la prati­quer n’ayant pu se rendre à la maison d’arrêt en raison du confinement. Et tout un tas de scènes inédites que l’on ne reverra plus ja­mais une fois l’épidémie achevée.

« Laisser des gens sans défense, ce n’est pas bien »Tribunal de Paris. Pas une seule affaire liée auCovid­19 mercredi 1er avril devant la chambre 23­1, qui ne se penchait que sur des dossiers prépandémie renvoyés à ce jour. Cela n’a pas empêché le virus de perturber les débats, et de faire des victimes : les justiciables privés d’avocats. Le bâtonnier de Paris a en effet dé­cidé de ne plus désigner de commis d’office – les avocats payés par l’Etat, mis à dispositionde ceux qui n’en ont pas les moyens –, esti­mant que les conditions ne sont pas réuniespour assurer la sécurité sanitaire des avocats et des justiciables.

Seuls sont présents à cette audience les avo­cats choisis, et payés, par leurs clients. Unani­mes dans leur désarroi, ils sont divisés. « Per­sonne ne devrait se trouver dans cette salle aujourd’hui, s’offusque l’une. Ni magistrats, ni avocats, ni prévenus, ni policiers… ni la presse. C’est scandaleux, ce virus est dange­reux, cela ne rime à rien de poursuivre ces audiences. » « Je ne comprends pas l’attitude du bâtonnier, estime un autre. Il y a des solu­tions pour s’entretenir avec les prévenus dans les geôles en faisant attention aux gestes bar­rières, même si ce n’est pas idéal. Laisser ces gens sans défense, surtout dans une période aussi anxiogène, ce n’est pas bien. »

Premier dommage collatéral : Yassine (tousles prénoms ont été modifiés). Un mois et demi plus tôt, en pleine grève des avocats, sixd’entre eux s’étaient relayés auprès de lui lorsd’une action de défense massive destinée à entraver les procédures. Ils avaient déposé six conclusions pour des nullités de procé­dure et cinq questions prioritaires de consti­tutionnalité (QPC). Interpellé en flagrant délitdans le métro en train de voler le téléphone portable dans la poche d’une voyageuse, Yas­sine avait refusé de se soumettre au prélève­ment d’empreintes digitales. Pour cette rai­son, le tribunal avait décidé de le juger plustard et de le placer en détention provisoire enattendant. Six semaines à Fleury­Mérogis (Essonne) plus tard, empreintes digitales en­registrées, Yassine est de retour au tribunal, mais les avocats ne sont plus là. Les QPC et nullités que personne n’est venu soutenir sont évacuées. Seul face au juge, les yeux rou­gis par les larmes, Yassine est condamné à huit mois ferme. Bonne nouvelle pour lui : il sort de prison le soir même, avec une convo­cation chez le juge de l’application des peineschargé d’aménager la sienne.

« J’ai une infection à la jambe, je descends plus en promenade »Tribunal de Bobigny. Walid, 30 ans, se dé­place péniblement dans le box avec ses

béquilles. En détention provisoire à Fresnes(Val­de­Marne) pour avoir conduit sans per­mis et sans assurance, mais avec stupé­fiants et en récidive, il demande sa mise en liberté dans l’attente de son procès, prévuquelques jours plus tard. Son avocat évoquela promiscuité en prison, et les risques liés aux diverses pathologies de son client, re­connu handicapé.

« J’ai peur d’être enfermé là­bas compte tenude tout ce qui se passe avec le coronavirus, plaide Walid. J’ai une infection à la jambe, je descends même plus en promenade. Je suis vraiment désolé, je sais que tout est de ma faute, mais j’ai trop peur d’être enfermé là­bas, y a trop de cas de coronavirus. » Demande de mise en liberté acceptée, sous contrôle judi­ciaire, en attendant le procès.

Arrive Mehdi, lui aussi pour une demandede liberté avant son procès pour « escroque­rie en bande organisée ». Debout derrière lavitre en Plexiglas, le prévenu pose allègre­ment ses mains sur le rebord du box, saisit àpleine paume la tige du micro pour expli­quer à la présidente qu’il doit absolument sortir parce qu’il a des problèmes de vue et des problèmes de dents avant, joignant le geste à la parole pour qu’elle comprenne bien, de se frotter les yeux et les gencives avec les doigts. Pendant ce temps, son avocatapporte un certificat médical à la présidente,qui le saisit à l’aide d’un mouchoir pour ne pas le toucher directement.

« Un crachat, en période de contamination, c’est odieux » Tribunal de Créteil. Ahmed en avait plus qu’assez d’être confiné, ce que le tribunal deCréteil, qui ne l’est pas, pouvait compren­dre, sinon approuver. Lorsqu’il est tombésur un contrôle de police, le 31 mars, à la gare de Villeneuve­Saint­Georges (Val­de­Marne), cet Algérien de 53 ans est passé de­vant tout le monde, s’est collé à cinquante centimètres des policiers et leur a tenduune attestation de sortie toute raturée enleur disant qu’ils « n’avaient rien à faire là ». On lui a demandé ses papiers, il a sorti un ti­tre de séjour et a craché dessus en disantqu’il avait le Covid­19.

Garde à vue, comparution immédiate. Lemonsieur est passablement embarrassé. « J’ai craché dessus pour pas qu’il me le prenne, je ne sais pas ce qui m’a pris », expli­que Ahmed, il était un peu énervé, il venaitdéjà d’écoper d’une amende de 135 euros. D’ailleurs, il n’a pas le Covid­19, il a une cir­rhose. Trois mois de prison avec sursis.

Il a de nouveau été question de crachatquelques minutes plus tard avec Demba, grand gaillard de 25 ans qui a frappé son an­cienne petite amie à coups de poing et de casque de moto le 30 mars à Saint­Mandé (Val­de­Marne) – elle en porte les stigmatesun peu partout sur le visage. Trois agents de la police municipale, appelés par les voisins, sont intervenus et se sont fait insulter, eux et leur mère, de tous les noms. Le jeunehomme a été maîtrisé non sans mal, et nonsans cracher au visage d’une policière.

« C’est un peu abject ? », demande douce­ment le président. La policière en tremble encore, et explique qu’elle est maman,qu’elle a deux enfants. « Un crachat, c’est déjàextrêmement humiliant en période normale,insiste la procureure, mais en période de con­tamination, c’est odieux. » Le prévenu recon­naît quelques coups, s’excuse à peine. Engarde à vue, il avait dit : « Si je l’avais tapée,

elle serait à l’hôpital. » Dix­huit mois de pri­son, dont six avec sursis.

« Une promiscuité difficile avec le confinement »Tribunal de Bobigny. Le 28 mars, Marvin,110 kg, a donné un coup de poing à sa con­jointe qui lui criait dessus parce qu’il n’avaitpas nourri les quatre premiers enfants nichangé la couche du petit dernier pendantqu’elle était sortie faire les courses. La pro­cureure, constatant « une promiscuité diffi­cile avec le confinement à 7 dans 71 m2 », re­quiert du sursis et l’interdiction de retourner au domicile familial pour le prévenu, qui re­connaît les faits.

Le tribunal a fini de délibérer, l’audience re­prend, Marvin est censé revenir dans le box pour le jugement, mais se fait attendre. A sa place apparaît un policier masqué qui, par la fente du box vitré, explique à la présidente que Marvin ne peut pas revenir tout de suite àcause d’un sérieux problème digestif, pour le dire poliment. « Je crois qu’on ne va pas le re­monter, parce que franchement, il est mal. »

Moment de flottement à l’audience, la pré­sidente ne sait pas trop quoi faire. La jeunegreffière n’a pas tout saisi, et voudrait com­prendre ce qui se passe pour noter l’incident sur son procès­verbal d’audience. Derrière lePlexiglas et son masque chirurgical, le poli­cier hésite, semble chercher ses mots, puis dit, un peu embarrassé : « On ne peut pasfaire remonter le prévenu, il a été pris d’une chiasse soudaine.

– Quoi ?, demande la greffière, qui n’a pasbien entendu, à cause du masque et du Plexi­glas qui les séparent.

– Le monsieur a été pris d’une chiasse sou­daine, répète le policier, sans se démonter, niôter son masque.

– Il a été pris de quoi ?, insiste la greffière, ense levant pour faire le tour du box et se placer devant l’ouverture du plexiglas.

– Euh… Bah d’une chiasse soudaine. »

« PERSONNE NE DEVRAIT SE TROUVER

DANS CETTE SALLE AUJOURD’HUI, S’OFFUSQUE 

UNE AVOCATE. C’EST SCANDALEUX, CE VIRUS 

EST DANGEREUX, CELA NE RIME À RIEN

DE POURSUIVRECES AUDIENCES »

« J’ai peur d’être enfermé là­bas, y a trop de cas » : scènes de la justice sous Covid­19

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Page 11: Le Monde - 07 04 2020

0123MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 11

La greffière rougit et s’excuse d’avoir fait ré­péter trois fois l’élégante expression au poli­cier, pendant que les magistrats peinent à ré­primer un gloussement.

En réalité, ce n’est pas drôle : on craint quele prévenu soit atteint du Covid­19. « C’est undes symptômes », affirme à juste titre le poli­cier masqué. « C’est peut­être juste lestress ? », tente l’avocate. Le policier répondqu’un second prévenu, au dépôt, se sent mallui aussi, toux et mal au crâne. Il faut appelerun médecin, mais l’huissier n’est pas là :confiné chez lui. C’est donc la procureure el­le­même qui descend de son perchoir pour s’en charger. Marvin ne revient pas dans le box. Douze mois de sursis et interdiction d’entrer en contact avec sa conjointe et deretourner au domicile conjugal.

« Maintenant, restez chez vous, sinon, au gnouf ! »Tribunal de Bobigny. Depuis le 23 mars, lestrois premiers défauts d’attestation lorsd’un contrôle dans la rue entraînent une contravention. Au bout de quatre fois enmoins de trente jours, cela devient un délitjugé au tribunal. Lassana, 18 ans, a été arrêtéà Pantin (Seine­Saint­Denis) le 31 mars,c’était la septième fois en une semaine qu’il était contrôlé sans attestation.

« Vous êtes bien conscient que, depuis quinzejours, nous sommes tous confinés ?, demande une assesseure.

– Franchement, j’ai zéro excuse.– Vous faisiez quoi, vous alliez voir les co­

pains ?– Oui.– On vous a retrouvé à chaque fois à un point

de deal. Vous en pensez quoi ?– J’en sais rien.– Vous dites fumer cinq joints par jour. Vous

n’étiez pas en train d’aller récupérer votre consommation de cannabis ?

– Non.– Maintenant vous allez rester chez vous ?

– Oui.– Ou sortir dans le cadre prévu par la loi ?– Oui.– Vous faites quoi actuellement ? – Rien du tout.– Vous avez arrêté l’école depuis deux ans, que

faites­vous de vos journées ?– Je traîne avec des potes. »Il se trouve que le père de Lassana a la santé

fragile. « En sortant, ce sont des gens commevotre père que vous mettez en danger », expli­que la présidente. L’assesseure enchérit : « Si le gouvernement a mis en place des règles strictes, c’est que ce n’est pas un virus anodin. »« J’ose espérer que ces discours permettront defaire comprendre à monsieur qu’il est grand temps de rentrer dans le rang », ajoute la pro­cureure, qui requiert 240 heures de travaux d’intérêt général (TIG).

L’avocate plaide « l’immaturité » de son toutjeune client, qui brave le confinement parce qu’il se croit « immortel ». Lassana est con­damné à 150 heures de TIG. L’avocate reste à deux mètres du garçon pour le sermonner enchuchotant : « Bon, maintenant, vous avez compris, vous arrêtez vos bêtises et vous restez chez vous ! Sinon, au gnouf ! »

« Les policiers partent à la chasse »Tribunal de Bobigny. Jackson, 21 ans, d’Aul­nay­sous­Bois (Seine­Saint­Denis), a été con­trôlé cinq fois sans attestation entre le 27 et le 31 mars, il se dirige tout droit vers les travaux d’intérêt général – et risquerait la prison ferme en cas de récidive. Mais son avocate souligne une bizarrerie sur le procès­verbald’interpellation : le policier qui l’a rédigé pré­cise qu’avant de patrouiller, lui et ses deux col­lègues ont consulté, au commissariat, une liste d’individus déjà verbalisés plusieurs fois pour non­respect du confinement. Puis ils sont montés dans leur voiture, ont reconnu Jackson au détour d’une rue, savaient qu’il fai­sait partie de cette liste, et l’ont arrêté. Son

« ILS CONNAISSENTUN FOURNISSEUR EN 

CHINE, ILS PENSAIENTSE FAIRE 

UN PETIT PÉCULE EN ACHETANT DES MASQUES

20 CENTIMES ET ENLES REVENDANT 40 »,

PLAIDE UNE AVOCATE AU SUJET DE SES CLIENTS

attestation, qu’il n’avait pas, ne lui a été de­mandée qu’une fois en garde à vue.

En clair, affirme l’avocate : au lieu d’effec­tuer des contrôles aléatoires, des policierstiennent une liste de personnes suscepti­bles d’être arrêtées car déjà contrôlées troisfois sans attestation. En encore plus clair, se­lon elle : des policiers détournent l’infrac­tion de non­respect du confinement pourarrêter ceux qu’ils soupçonnent d’être im­pliqués dans le trafic de stupéfiants. « Ilspartent à la chasse sur les points de deal », ex­plique l’avocate, qui demande que l’inter­pellation, et donc la procédure, soient consi­dérées comme nulles.

Après délibération, la présidente fait droità sa demande : « Le motif du contrôle est irré­gulier, je n’ai jamais vu un PV d’interpellationaussi mal fait. » Elle précise tout de même àl’attention du jeune homme : « Nous vous re­mettons en liberté parce qu’il y a un vrai soucid’irrégularité procédurale. Mais vous mettezen danger la vie de votre famille, celle des gens que vous croisez, et la vôtre. Pardon d’avoir à dire ça, mais des gens de votre âge meurent du coronavirus. »

« Les handicapés, j’en ai rien à foutre, ils sont confinés »Tribunal de Nanterre. Tommy Junior, 24 ans, doit plier son double mètre dans le box pour arriver à la hauteur du micro. Le 30 mars, aux trois policiers qui lui signifiaient qu’il venait de garer sa Mercedes sur une place pour han­dicapés, ce gérant d’une société de nettoyage, également étudiant en école de manage­ment, a répondu : « De toute façon, les handi­capés, j’en ai rien à foutre, ils sont confinés. »

L’interpellation est houleuse, Tommy Ju­nior se débat, les insultes fusent. « Bande defils de pute », « Me cassez pas les couilles »,« Vous êtes des trous de balle », « Sales rats »,« Enfants de la DDASS », indique le procès­ver­bal des policiers, sur lequel on lit encore :« Vous êtes des smicards, vous me contrôlez

parce que j’ai une doudoune à 1 000 euros et une Rolex. » « C’est vrai que lorsque je me suis fait contrôler, je n’ai pas été des plus courtois »,convient Tommy Junior, qui nie toutefois les propos grossiers qu’on lui prête. Oui, il a parléde la doudoune et la Rolex. « Je leur ai dit : “Bande de jaloux.” Par contre, “sales rats” ou “fils de pute”, c’est pas des mots que j’ai dits. »

Un coup de Taser, et Tommy Junior s’est re­trouvé au sol. Lorsque les policiers ont tenté de lui mettre un masque, il a craché dans leur direction avant de se frotter la bouche contre l’appui­tête, quelques instants plus tard, dans la voiture qui l’embarquait au commissariat.

« Moi je travaille, et je me fais contrôler cinqfois par jour », se défend le jeune homme, qui explique sa nervosité par le fait qu’il était pressé et qu’une journée compliquée l’atten­dait au boulot. Et s’il a bien craché après avoir été mis au sol, c’est parce qu’il avait mangé dubitume, et ce n’était pas en direction des poli­ciers. Déjà condamné récemment à du sursis pour outrage et rébellion, il voit ce sursis ré­voqué. Total : dix mois de prison, 500 euros au titre du préjudice moral pour chacun des trois agents – absents de l’audience, sur con­seil de leur avocate, en raison de la situation sanitaire. Pas d’incarcération immédiate, le juge de l’application des peines enverra une convocation. « Vous pourrez essayer de plaiderle bracelet », suggère le président.

« J’ai une phobie des masques maintenant ! »Tribunal de Bobigny. Le dernier dossier dujour sera renvoyé vu son épaisseur et l’heure tardive, mais il faut tout de même se pronon­cer sur le sort, d’ici là, des deux prévenus, que la présidente invite à s’asseoir, mais « pas juste à côté l’un de l’autre ».

Marwan, masque baissé sur le mentonpour pouvoir parler, explique qu’il est un en­trepreneur à succès en Algérie, qu’il dirigehuit sociétés avec un gros chiffre d’affaires,notamment dans l’import­export, donne une adresse sur les Champs­Elysées, et es­time ses revenus à 30 000 euros par mois. Laprésidente fronce le sourcil : « Dans ce cas, onpeut s’interroger sur l’opportunité d’acheterdes masques en Chine pour les revendre en pé­riode de crise sanitaire. »

En l’occurrence, 50 000 masques, queMarwan et son acolyte auraient dû retirer s’ilsn’avaient pas été dénoncés et interpellés avant. Or, depuis un décret du 23 mars, les stocks de masques sont réquisitionnés en France. « Ils connaissent un fournisseur en Chine, ils pensaient se faire un petit pécule en les achetant 20 centimes et en les revendant 40, ils le reconnaissent, commence à plaider l’avocate. A l’époque où ils ont commandé ces masques dont ils n’ont jamais vu la couleur, le décret n’était pas passé, c’était légal, ce n’était pas encore l’état d’urgence sanitaire. »

« C’est très important que je reste à l’extérieur,parce que je gère plusieurs sociétés à la fois, ex­plique Marwan. Et c’est trop risqué de rester enprison avec le coronavirus, comme a dit l’avo­cate. » Lui et son compère sont relâchés, leur procès aura lieu le 2 juin. En attendant, les masques sont saisis. « Je m’en fiche des mas­ques !, répond Marwan, tout sourire, et dési­gnant celui qu’il a au menton. Celui­là, je le porte parce qu’on m’a forcé, mais j’ai une pho­bie des masques maintenant ! »

yann bouchez,jean­baptiste jacquin,

franck johannèset henri seckel

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Page 12: Le Monde - 07 04 2020

12 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 20200123

Grand récif du Nord-Est

Grand récif du Nord-Est

Grand récif du Nord-Est

Récif du Sud

Récif du Sud

Récif du Sud

Grand récif du Nord-Est

Récif du Sud

1 435 km de La Réunion(2 h 15 de vol)

Océan Indien

Canal de Mozambique

Mtsahara

Mtsamboro

Bandraboua

Dzoumonié

Longoni

Bouyouni

Vahibé

Majicavo-Koropa

Mréréni

Combani

Mréréni-Kali

Choungui

Nyambadao

Ouangani

Poroani

Tsingoni

Mtsangamouji

Acoua Koungou

Chiconi Coconi Tsararano

M A Y O T T E

Kahani

BarakaniSada

Mamoudzou

Dzaoudzi

Dembéni

Moutsamoudou

Bouéni Bandrélé

Kani-Kéli

Chirongui

0 5 km

H

H

H

H

Premier cas déclaré, un patient en provenance

de l’Oise, détecté le 14 mars

Mayotte est dotée de 16 lits de réanimation en temps normal

et devrait pouvoir disposer de 50 lits en prévision du pic de l’épidémie, tous dotés de

respirateurs. La Réunion devrait quant à elle passer de 74 lits

à 111 lits rapidement et dispose de 184 respirateurs.

Mercredi 25 mars, l’Etat a annoncé l’envoi du porte- hélicoptères Mistral, doté d’un hôpital militaire, afin d’épauler

Mayotte et La Réunion dans leur lutte contre l’épidémie de Covid-19.

Il pourra transporter du fret ou servir d’hôpital de délestage

s’il bénéficie de renforts sanitaires.

Mayotte

La Réunion

Part des logements avec l’eau courante en 2017 au sein des 72 villages de l’île

Moins de 50 %

Villages cumulant les di�cultés sociales et économiques

De 50 % à 80 % Plus de 80 % Zoneinhabitée

4 résidences sur 10 sont en tôle et 3 sur 10 sont sans accès à l’eau courante

16 villages sur 72 cumulentles di�cultésCela représente 23 % de la population

Un con�nement et des conditions de vie di�cilesLes gestes barrières, qui visent à freiner la propagation de l’épidémie, sont di�ciles à respecter en raison de la précarité des conditions de vie. Un couvre-feu a été décrété à Mayotte de 20 heures à 5 heures du matin.

3

1

2

H

9 médecins généralistes libéraux pour 100 000 habitants, contre 92 en France métropolitaine en 2016

Un système de santé déjà en di�culté

Centre hospitalier de Mayotte

Autres hôpitaux de référence (4 sites)

Réanimation adulte (1 site)

Surveillance adulte (1 site)

Nombre de lits d’hôpital pour 100 000 habitants en 2018

Prévalence du diabète, en %

Prévalence de l’obésité chez les femmes, en %

H

H

Mayotte

Guyane

La Réunion

Guadeloupe

Martinique

France entière

14

35

39

48

55

60

La Réunion

Mayotte

France entière

14

10,5

5

23,2

47

17,4*

* France métropolitaine

Le système de santé est sous-dimensionné pour faire face à la pandémie. Les transferts de Mayotte vers La Réunion seront plus di�ciles que d’ordinaire, La Réunion devant elle aussi faire face à la double crise de la dengue et du coronavirus. Par ailleurs, une part importante de la population sou�re de pathologies qui rendent les malades plus vulnérables en cas de contamination.

Foyer épidémique de dengueau 25 mars 2020

2 495 cas

175 hospitalisations dont 10 patients en réanimation

6 décès

01020304050607080

61 décès en 2020

47 en 2019

39 en 2018

1er mars 23 mars

Décès cumulés à Mayotteentre le 1er mars et le 23 mars

050100150200250300350

147 cas

344 cas

Mayotte

La Réunion

Cas déclarés de Covid-19

11 mars 5 avril

Taux pour 100 000 habitants au 23e jour* de l’épidémie

Mayotte

La Réunion

France

52,6

35,8* soit au 2 avril

*soit au 5 avril

*soit au 21 mars21,6

2 décès au 5 avril

Mayotte est frappée par une épidémie de dengue d'une ampleur exceptionnelle au moment où l'île doit faire face à la pandémie de Covid-19. La di�usion est plus rapide qu'en métropole ou qu'à La Réunion.

Une situation sanitaire préoccupante

Sources :Agences régionales de santé de Mayotte et de La Réunion, Insee ; Drees 2019, « Alimentation et nutrition dans les départements et régions d’outre-mer », IRD Infographie : Mathilde Costil, Sylvie Gittus-Pourrias, Delphine Papin

L’épidémie révèle les fragilités de MayotteLa propagation du Covid­19 est redoutée sur cette île de l’océan Indien, dont les infrastructures médicales sont insuffisantes et où l’habitat est précaire pour une grande partie de la population

L e premier cas de Covid­19 àMayotte a été identifié le 14 mars.Il s’agissait d’un voyageur de re­

tour de l’Oise. Trois jours après, le17 mars, l’île était placée en confine­ment, tout comme le reste du territoire français. Cette mise en confinement intervenue très tôt dans la chronologiede l’épidémie a probablement permis d’éviter, à ce stade, le « tsunami sani­taire » tant redouté dans ce départe­ment de 279 000 habitants sous­équipé médicalement au regard de la moyennenationale, où 84 % de la population vitsous le seuil de pauvreté, où quatre loge­ments sur dix sont des constructionsprécaires et trois sur dix n’ont pas accès à l’eau courante.

Trois semaines après l’apparition dupremier malade, 147 cas ont été confir­més à Mayotte, dont 31 chez des profes­sionnels de santé et une vingtaine chez les policiers ; 17 patients sont hospitali­sés au centre hospitalier de Mamou­dzou, et on compte deux décès, chez despersonnes qui présentaient d’impor­tantes fragilités. « On se prépare active­ment pour faire face à la vague qui pour­rait venir mais, pour l’instant, elle n’estpas là », veut rassurer le préfet, Jean­François Colombet. Le nombre de lits deréanimation a été porté de 16 à 25 et « onpeut rapidement, en quarante­huit heu­res, passer à 50 », affirme­t­il. Toutefois, si le nombre de cas continue à augmen­ter régulièrement, il y a peu de malades en réanimation : seulement trois. Peut­être du fait de la jeunesse de la popula­tion, dont la moitié a moins de 18 ans,seulement 4 % ayant plus de 70 ans.

Pour l’heure, l’épidémie ne s’est pasdisséminée sur le territoire. Tous les cas contacts sont identifiés, avec des foyers de contamination circonscrits, soit enmilieu professionnel (santé et policeaux frontières), soit géographiquement.« L’écrasante majorité des cas est liée auxvoyages, a expliqué, jeudi 2 avril la direc­trice de l’agence régionale de santé (ARS) de Mayotte, Dominique Voynet,lors d’une audioconférence de presse.Certains se sont développés au sein d’unemême famille. Mais, pour deux autresfoyers, nous avons deux fréquentationspossibles : ils sont tous allés dans lemême cabinet médical et sont tous allés aux mêmes obsèques [à Bandrélé, dans le sud de l’île]. Dans ce cas, le risque est grand, puisqu’on a tendance à vouloir montrer de la compassion envers la fa­mille et à oublier de ne pas serrer desmains ou de ne pas s’embrasser. »

Confinement efficaceSurtout, il n’y a pour l’instant pas de dif­fusion dans les bidonvilles, où les appels au confinement ont été passés en shimaoré (la principale langue parlée) avec des mégaphones. Le grand cadi (le chef religieux), Mahamoudou Hamada Saanda, a également fait passer le mes­sage. Les 325 mosquées du département et toutes les écoles coraniques sont fer­mées. Dans toutes les communes, les bonnes pratiques ont été diffusées par les haut­parleurs des mosquées.

Alors que beaucoup craignaient que lesappels au confinement ne soient guère respectés, les Mahorais font preuve dediscipline. La circulation reste très ré­

duite, même si environ 200 procès­ver­baux sont dressés quotidiennement. Le confinement est tellement efficace qu’il a désorganisé l’économie informelle, quireprésente les deux tiers des entreprises marchandes à Mayotte. De ce fait, l’Etatet les mairies unissent leurs efforts pour distribuer des colis alimentaires aux fa­milles en grande difficulté.

« Tout le secteur sanitaire et social estsous tension », confie Mme Voynet, quiattend des renforts, notamment chez les professionnels de santé, maintenant quele département a été désigné prioritaire pour la réserve sanitaire. Le principal souci porte sur la logistique et l’approvi­sionnement en matériel médical depuis que les vols réguliers ont été suspendus. « Cela a totalement désorganisé notre tra­vail, constate la directrice de l’ARS. On a des besoins massifs en médicaments, réassorts, pièces détachées, vaccins, pro­duits sanguins… Organiser tout ça est unevraie galère alors qu’en plus on est en compétition avec La Réunion pour la répartition du fret puisqu’il n’y a plus de vols directs vers Mayotte. »

L’inquiétude se renforce à l’approchedu ramadan, qui devrait débuter autour du 23 ou du 24 avril et qui constitue par essence un moment « antidistanciation sociale ». Les autorités administratives tentent, en lien avec les autorités reli­gieuses, d’établir des recommandations pour concilier ce mois saint pour les fidè­les musulmans avec les impératifs de protection des populations. A Mayotte, lemot d’ordre reste de rigueur : « Ra ha­chiri » (« Soyons vigilants »).

patrick roger

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Page 13: Le Monde - 07 04 2020

0123MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 13

A Romans, un effroyable « parcours terroriste »L’assaillant, réfugié soudanais, s’était plaint dans des écrits religieux de vivre dans « un pays de mécréants »

lyon ­ correspondant

E ndeuillée, Romans­sur­Isère (Drôme) est encoresous le choc. Samedi4 avril, vers 10 h 45, un

homme de 33 ans, originaire du Soudan et inconnu des services de police, a tué deux personnes etblessé cinq autres, dont trois griè­vement, à l’arme blanche.

Arrivé en France en 2016 etdomicilié depuis fin 2019 danscette commune de 33 000 habi­tants, où il vivait dans un petitstudio de 12 m2 et travaillait dansune entreprise de maroquinerie,Abdallah Ahmed­Osman s’est d’abord rendu dans un bureau detabac où il avait l’habitude d’allerpour acheter des cigarettes ets’en est pris au patron et à sa femme, qu’il est parvenu à bles­ser. Après avoir cassé son Opinelau cours de l’affrontement, ils’est rendu dans une boucherie où il s’est saisi d’un autre couteauen passant au­dessus du comp­toir, et a tué un client. « Il a pris uncouteau (…) a planté un client,puis est reparti en courant, a re­laté Ludovic Breyton, le dirigeantde l’établissement, à l’Agence France­Presse (AFP). Ma femme aessayé de porter assistance à lavictime, en vain. »

Le trentenaire a ensuite reprissa déambulation macabre dans larue. A un passant qu’il croise, il demande s’il est maghrébin. L’homme répond qu’il est fran­çais et continue sa route. Aprèsl’avoir dépassé, Abdallah Ahmed­Osman se retourne et le poi­gnarde dans le dos avant de pour­suivre son errance dans les rues de Romans­sur­Isère. Il aperçoit un homme sorti ouvrir ses volets et fond sur lui en lui assénant plusieurs coups de couteau.L’homme meurt sous les yeux de son fils de 12 ans.

Dans le même temps, le 17 re­çoit plusieurs appels pour signa­ler une attaque au couteau placeErnest­Gailly, à Romans­sur­Isère. Ahmed­Osman a encore letemps de s’en prendre de nou­veau à deux passants, mais l’arri­vée, à 11 heures, d’une patrouillede six policiers met fin à la tue­rie. L’assaillant jette son cou­

teau, s’agenouille, se met à prieren arabe et se laisse interpellersans résistance.

En une quinzaine de minutes, ila tué deux personnes et blessé cinq autres, dont trois sontaujourd’hui dans un état stable àl’hôpital après avoir vu leur pro­nostic vital engagé. « Ceux quiavaient la malchance de se trou­ver sur son passage ont été agres­sés », a déploré Marie­HélèneThoraval, la maire de la com­mune, auprès de l’AFP.

Après quelques heures d’échan­ges samedi avec le parquet de Valence et dans l’attente des ré­sultats de la perquisition menée àson domicile, le Parquet nationalantiterroriste (PNAT) a finale­ment décidé, autour de 19 h 30, de se saisir de l’affaire et a ouvert uneenquête pour assassinats et tentatives d’assassinat en rela­tion avec une entreprise terro­riste et association de malfaiteursà but terroriste.

Dans son communiqué, le PNATprécise que « les premières investi­gations ont mis en évidence un parcours meurtrier déterminé de nature à troubler gravement l’or­dre public par l’intimidation ou laterreur ». Il précise que « des docu­ments manuscrits à connotation religieuse, dans lesquels l’auteurdes lignes se plaint notamment de vivre dans un pays de mécréants »,ont été retrouvés. Selon les infor­mations du Monde, il s’y décrirait en combattant.

Dans l’après­midi, le ministre del’intérieur, Christophe Castaner, qui s’est rendu sur les lieux, avait évoqué déjà « le parcours terro­riste » de l’assaillant présumé. « Mes pensées accompagnent les victimes de l’attaque de Romans­sur­Isère, les blessés, leurs familles.

Toute la lumière sera faite sur cet acte odieux qui vient endeuiller no­tre pays déjà durement éprouvé cesdernières semaines », a, pour sa part, réagi, samedi sur Twitter, le président de la République, Em­manuel Macron. Qualifiant l’atta­que d’« attentat islamiste », MarineLe Pen a, quant à elle, également dans un Tweet, demandé au gou­vernement de « cesser absolument de vider les prisons et les centresd’accueil de demandeurs d’asile ».

Aucune explication à ce gestePlacé en garde à vue, l’assaillant, blessé aux deux mains, n’a jus­qu’ici apporté aucune explication à son geste. Il a affirmé ne pas sesouvenir de ce qui s’était passé. Il devait être conduit, dimanche dans la soirée, dans les locaux de ladirection générale de la sécurité in­térieure à Levallois­Perret (Hauts­de­Seine), cosaisie sur ce dossier avec la sous­direction antiterro­riste (SDAT) et la direction interré­

gionale de la police judiciaire de Lyon. Sa garde à vue peut durer jus­qu’à mardi en milieu de journée.

Interrogé par les enquêteurs,l’un de ses amis a indiqué qu’Ah­med­Osman ne se sentait pasbien depuis quelques jours. Il vivait mal le confinement et aurait même consulté un méde­cin quelques jours auparavant, se pensant contaminé par le Co­vid­19. Une information que la police n’est pas parvenue à confir­mer à ce stade.

Arrivé en France en 2016, passépar la Seine­Saint­Denis, puis parGrenoble et enfin Romans­sur­Isère, Abdallah Ahmed­Osman avait obtenu le statut de réfugié en juin 2017 et un titre de séjour de dix ans le mois suivant. Il travaillait jusqu’ici comme« piqueur » dans le cuir et était considéré comme un employé sérieux et ponctuel, mais ne serendait plus sur son lieu de travaildepuis la mise en place des mesu­

res restrictives de déplacementliée à la lutte contre la propaga­tion du Covid­19.

Les premiers éléments de l’en­quête n’ont pas permis de mettre à jour de quelconques antécédents psychiatriques, ni de signes particuliers relatifs à unepratique radicale de l’islam. Ab­dallah Ahmed­Osman a simple­ment été décrit par son voisinage comme quelqu’un de discret, peu disert, mais présentant depuis quelque temps des signes de ner­vosité.

Samedi, deux autres Soudanaisont été placés en garde à vue. L’una 28 ans, inconnu de tous les ser­vices, il est également réfugié et aété rapidement interpellé audomicile d’Abdallah Ahmed­Os­man. Lors de la perquisition au domicile de ce second homme,les policiers ont arrêté le troi­sième homme, demandeurd’asile depuis le 2 mars.

Les enquêteurs n’ont pour l’ins­

tant retrouvé aucune trace de liens éventuels entre Abdallah Ahmed­Osman et l’organisationEtat islamique, ni de marque d’al­légeance au groupe terroriste. Le contenu de plusieurs téléphonessaisis à son domicile et un ordina­teur étaient toutefois toujours en cours d’analyse.

Plusieurs observateurs notaientcependant que, il y a à peine plus d’une semaine, l’organisation Etat islamique avait appelé sa communauté à agir, en profitant de la crise sanitaire et alors que « la sécurité et les institutions mé­dicales ont atteint les limites de leurs capacités dans certains do­maines ». Dans un éditorial datédu 19 mars, Al­Naba, la lettre nu­mérique hebdomadaire de l’orga­nisation, encourageait ainsi ses fi­dèles à s’en prendre aux « apos­tats » dans les moments de crise afin de les affaiblir.

simon piel (à paris)et richard schittly

Une affaire hors norme de fraude sociale bientôt devant la justiceEntreprise de travail temporaire espagnole, Terra Fecundis doit être jugée en mai dans un dossier de fraude au travail détaché en France

I l s’agit probablement de laplus grosse affaire de dum­ping social jugée en France.

Elle concerne une entreprise de travail temporaire espagnole : Terra Fecundis, dont le siège setrouve en Murcie, dans le sud­est du pays. Selon nos informations, cette société ainsi que ses diri­geants vont devoir rendre des comptes devant la sixième cham­bre correctionnelle du tribunal deMarseille, à l’occasion d’un procèsprogrammé du 11 au 14 mai, quirisque, toutefois, d’être décalé à cause de la crise sanitaire.

Les prévenus se voient reprocherd’avoir mis à disposition, pendant plusieurs années, des milliers d’ouvriers – principalement origi­naires d’Amérique latine –, sans lesavoir déclarés dans les règles et en méconnaissant diverses obliga­tions relatives au salaire mini­mum, aux heures supplémentai­res, aux congés payés, etc.

Le préjudice serait lourd pourles femmes et les hommes ainsi employés, mais aussi pour la Sé­curité sociale française, privée descotisations qui, selon l’accusa­tion, auraient dû lui être versées : un peu plus de 112 millions d’euros entre début 2012 et fin 2015 – la période retenue par la

procédure pénale, sachant que l’entreprise espagnole poursuit toujours son activité dans l’Hexa­gone, aujourd’hui.

Depuis au moins une dizained’années, la société Terra Fecun­dis fournit à des exploitants agri­coles tricolores de la main­d’œuvre pour la cueillette desfruits et des légumes. Ses servicessont manifestement très appré­ciés : en 2019, elle avait un peu deplus de 500 clients, disséminéssur 35 départements, d’après un document mis en ligne sur le siteInternet de la direction régionaledes entreprises, de la concur­rence, de la consommation, dutravail et de l’emploi (Direccte) d’Occitanie. « Estimé » à 57 mil­lions d’euros, son chiffre d’affai­res en France provient, en grandepartie, de contrats signés avec des maraîchers des Bouches­du­Rhône et du Gard.

Terra Fecundis a commencé àcapter l’attention de la justice il y a presque neuf ans, à la suite d’un épisode tragique. En juillet 2011, un de ses salariés, de nationalitééquatorienne, avait trouvé la mort à l’hôpital d’Avignon, peu detemps après avoir fait un malaise à l’issue d’une journée de travailéreintante. Agé de 33 ans,

l’homme avait été victime d’une déshydratation sévère dans des circonstances troublantes, qui avaient conduit à l’ouvertured’une enquête.

Parallèlement, plusieurs Di­reccte se sont penchées sur les méthodes et le modèle économi­que de la société espagnole, dontles tarifs sont moins élevés que bon nombre de ses concurrents :de « 13 à 15 euros de l’heure contre 20 à 21 euros pour une entreprised’intérim française », comme l’in­diquait, en 2014, un rapport dudéputé socialiste Gilles Savary surle « dumping social ».

Organisation quasi militaireTrès vite, les services du ministère du travail ont compris que Terra Fecundis se prévalait de la procé­dure dite du détachement. Celle­ci permet à un patron implanté dansun Etat donné d’envoyer du per­sonnel à l’étranger, à condition que la mission à effectuer soit li­mitée dans le temps ; dans cette configuration, le travailleur déta­ché et son employeur continuent de cotiser au système de protec­tion sociale du pays d’envoi.

Dans le cas de Terra Fecundis,un tel procédé revient à contour­ner la législation, aux yeux des

Direccte impliquées dans le dos­sier, car, selon elles, le prestataire espagnol exerce une activité « permanente, stable et continue » sur notre territoire. Autrement dit, ces intérimaires auraient dû être déclarés en France, avec – à laclé – le versement de contribu­tions dues aux Urssaf.

Finalement, une enquête préli­minaire a été ouverte en 2014, no­tamment pour « travail dissimulé en bande organisée ». Coordon­nées par la juridiction interrégio­nale spécialisée (JIRS) de Marseille,les investigations ont mobilisé plusieurs services : l’inspection du travail, la police aux frontières, l’Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI)… La presse s’y est intéressée à maintes repri­

ses, décrivant une organisation très stricte, quasi militaire, ap­puyée sur une équipe de responsa­bles locaux et sur les véhicules de « Terra Bus », qui achemine la main­d’œuvre d’une exploitation à une autre. Plusieurs ouvriers se sont plaints des horaires à ral­longe, des rémunérations infé­rieures au temps consacré à leurs tâches et de conditions d’exis­tence parfois indignes.

En 2017, le préfet du Gard amême ordonné la fermeture de logements à Saint­Gilles, qui étaient sous­loués par Terra Fe­cundis pour pouvoir héberger plusieurs dizaines de ses salariés. Le rapport de l’inspectrice du tra­vail avait relevé « l’état répugnant des chambres, toilettes, sanitaires et cuisines ». L’agence régionale de santé, de son côté, avait cons­taté l’existence d’un « risque sani­taire et de non­conformités en ma­tière de fourniture d’eau ».

« Avec mon équipe, nous avonseu l’occasion d’intervenir dans laplupart des principaux dossiers de fraude sociale de ces dix dernières années, confie Me Jean­Victor Bo­rel, l’avocat qui défend l’Urssaf en Provence­Alpes­Côte d’Azur dans la procédure. Or, à notre connais­sance, cette affaire hors norme est

celle qui présente les enjeux finan­ciers les plus importants de l’his­toire judiciaire en matière de fraude sociale. Elle est donc parti­culièrement attendue, et suivie. »D’autres protagonistes se sont constitués partie civile, notam­ment la CFDT et Prism’emploi,l’organisation patronale dumonde de l’intérim – en raison du« préjudice d’image » causé au sec­teur par cette affaire.

Contactés par Le Monde, la di­rection de Terra Fecundis et son avocat en France, Me Guy André, n’ont pas donné suite. En 2015,son PDG avait assuré dans nos co­lonnes être dans les règles et n’avoir jamais été inquiété, aprèsdes « centaines d’inspection ».

L’enquête ouverte à la suite de lamort d’un ouvrier équatorien, en 2011, a mis hors de cause le prestataire espagnol. En revan­che, la société française, qui avait fait travailler cet homme, a étérenvoyée, en tant que personne morale, devant le tribunal correc­tionnel de Tarascon (Bouches­du­Rhône). Rendu en janvier, le juge­ment s’est soldé par une relaxe,selon Me Yann Prevost, l’avocat dela famille. Il a interjeté appel.

bertrand bissuel(avec sandrine morel, à madrid)

Le préjudice serait lourd

pour la Sécurité sociale, privée

des cotisations qui,selon l’accusation,

auraient dû lui être versées

La police judiciaire, à Romans­sur­Isère (Drôme), le 4 avril. AP

Des observateursnotent que

l’Etat islamique a appelé sa

communautéà profiter de lacrise sanitaire

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Page 14: Le Monde - 07 04 2020

14 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 20200123

Applis, smartphones, les défis du pistage massifCertains prônent un suivi des malades du Covid­19 par le biais d’applications, au risque d’une surveillance de masse

A près les masques et les tests,les téléphones mobiles pourlutter contre la pandémie deCovid­19 ? Le 26 mars, unevingtaine de chercheurs dumonde entier ont mis en li­

gne un « manifeste » insistant sur l’utilité des données téléphoniques en temps d’épi­démie pour « alerter », « lutter », « contrôler » ou « modéliser ».

Chaque abonné mobile, en sollicitant desantennes relais, donne en effet à son opéra­teur un aperçu de ses déplacements. Les « simples » listings d’appels, après anonymi­sation, peuvent ainsi permettre de savoircomment se déplacent des populations, où se trouvent les zones à forte densité, donc à risque, de vérifier si des mesures de restric­tion de mobilité sont bien appliquées…

Ces techniques ont déjà fait leurs preuvesdans des situations de crise, notammentcontre Ebola. Et le 3 avril, l’ONG Flowmindera publié un rapport préliminaire d’analyse des mobilités au Ghana, grâce à un accord avec l’opérateur britannique Vodafone, per­mettant d’estimer le respect des restric­

tions imposées dans deux régions. Les don­nées des opérateurs peuvent aussi amélio­rer les modèles épidémiologiques. Ceux­ciconsidèrent classiquement que les popula­tions sont homogènes, avec des individus ayant les mêmes chances de se contaminerles uns et les autres.

La réalité est évidemment différente : lescontacts sont plus nombreux à l’école que dans une entreprise, les adolescents sontplus « tactiles »… Les téléphones peuvent quantifier ces interactions dans différentslieux, voire diverses tranches d’âge. Ils peu­vent aussi donner des indications sur leurs évolutions entre période normale et confi­née. Un sujet sur lequel va travailler uneéquipe de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en collabora­tion avec Orange.

Mais les téléphones peuvent parler plusprécisément. Chercheurs et responsablespolitiques envisagent sérieusement l’utilisa­tion des mobiles pour révolutionner le con­tact tracing, ou « suivi de contacts ». C’est­à­dire le pistage, grâce à des applications ins­tallées sur les smartphones, des malades et

des personnes qu’ils sont susceptiblesd’avoir infectées. La Chine, Singapour et la Corée du Sud ont déjà franchi le pas. Et denombreux autres pays s’apprêtent à les imi­ter, comme le Royaume­Uni ou l’Allemagne. En Europe, le dispositif qui semble tenir lacorde n’est pas exactement le même qu’en Chine. Plutôt que de savoir où s’est rendu unmalade, l’idée est d’identifier qui cette per­sonne a côtoyé. Et cela, sans nécessairement accéder à ses déplacements, mais en détec­tant les téléphones à proximité, grâce no­tamment à la technologie sans fil Bluetooth.

Le 1er avril, PEPP­PT, un consortium dechercheurs européens, a annoncé être sur le point de lancer une infrastructure informa­tique permettant aux autorités sanitaires de construire une telle application de suivi despatients. Tout le code informatique sera ouvert, et le modèle est censé garantir la pro­tection des données personnelles. Il doit per­mettre, espèrent­ils, de faire fonctionner en­semble des applications de différents pays,afin de s’adapter aux déplacements des po­pulations. Les premières applications fon­dées sur ce protocole, dont les derniers tests

sont en cours, pourraient arriver à la « mi­avril ». Plusieurs gouvernements suivraient de près leurs travaux.

Aux Etats­Unis, des chercheurs du Massa­chusetts Institute of Technology (MIT) dé­veloppent une application similaire. Cel­le­ci fonctionnerait en deux phases.D’abord, il sera possible pour chaque utili­sateur d’enregistrer, avec le GPS et le Blue­tooth, ses déplacements et de les partager, ou non, avec une autorité de santé. Cettedernière pourrait, en agrégeant les infor­mations reçues, diffuser les zones à risque auprès des utilisateurs. Les chercheurs as­surent travailler sur des mécanismes cryp­tographiques rendant impossible pour l’autorité d’accéder aux données indivi­duelles. Dans un second temps, les utilisa­teurs pourraient être avertis s’ils ont été encontact rapproché avec une personne ma­lade. Cette équipe se targue, elle aussi, decollaborer avec de « nombreux gouverne­ments de par le monde » et d’avoir approchél’Organisation mondiale de la santé (OMS).

NOMBREUSES LIMITESLa confiance dans cette méthode de suivides contacts s’appuie sur une étude parue dans Science, le 31 mars, et réalisée par l’uni­versité d’Oxford. Les auteurs du rapport onttravaillé sur deux types d’actions censées calmer le moteur de l’épidémie (autrementappelé taux de reproduction, soit le nombre de personnes qu’une personne infectée peutcontaminer) : l’efficacité à isoler les cas et la mise en quarantaine des personnes ayantété en contact avec un malade.

« La transmission, dans le cas du Covid­19,étant rapide et intervenant avant que des symptômes n’apparaissent, cela implique que l’épidémie ne peut être contenue par le seul isolement des malades symptomatiques »,préviennent les chercheurs. D’où l’idée d’iso­ler aussi les contacts d’une personne conta­minée. Cette parade est ancienne et souvent utilisée en début d’épidémie pour la juguler et pour déterminer les paramètres­clés de la maladie. Mais la technique a ses limites, car elle demande de remplir des questionnaires et des enquêtes de terrain pour retracer lesparcours et les interactions sociales.

Les chercheurs britanniques d’Oxford esti­ment qu’il faudrait le faire avec au moins50 % d’efficacité, voire 80 %, pour faire décli­ner rapidement l’épidémie. Or cela est im­possible avec les méthodes de suivi de con­tacts habituelles. Seule une application sur smartphone remplirait les critères de quan­tité et de rapidité. « Le choix réside entre le confinement et ce suivi de contact par télé­

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Covid-19

Chaque utilisateur obtientun identi�ant unique.

1 Contact entre les individusLe sujet A, sans le savoir, est porteur du virus et présenteun risque de contamination. Il entre en contact avec d’autres sujetsB et C, qui possèdent aussi l’application.

Test positif au Covid-19Le sujet A est testé positif. Il fournit à l’autorité(gouvernement, autorité de santé...) l’accèsà l’historique de son application.Le sujet A est isolé.

Mise en con�nementSelon les règles en vigueur, les sujets B et Cpeuvent avoir à respecter des mesuresde distanciation sociale, être con�nésou mis en quarantaine ou être testés.

Envoi d’une noti�cationL’autorité après traitement des données envoieune noti�cation à tous les contacts qui ontcroisé le sujet A dans la période.

Installation de l’applicationLes utilisateurs A, B et C installent sur leur smartphoneune application de traçage numérique. Elle détectepar Bluetooth les autres utilisateurs de l’application à proximité.

Comment fonctionne une application de traçage numérique du Covid-19

L’application enregistre,par Bluetooth, qu'il a été à proximité de B et C en stockant leur identi�ant.

Source : Le Monde Infographie Le Monde - Audrey Lagadec,

Véronique Malécot

2

5 4 3

L’historique est conservésur le smartphone, et nonsur un serveur central.Selon les applications,la durée de conservation de l’historique peut varier.

Le Bluetooth porte jusqu’à plusieurs mètres selon l’environnement.En mesurant l’instensité du signal, cela permet de mesurer la distance entre deux personnes. La question du tempsde « contact » doit être aussi prise en compte.

alertes sonores sur smartphone, tableaux sur les sites Internet des col­lectivités locales, l’information issuedu traçage des personnes contami­nées au Covid­19 est accessible à tous en Corée du Sud.

Ainsi, n’importe qui peut lire sur lesite de l’arrondissement de Seocho, àSéoul, que le contaminé numéro 23, hospitalisé le 30 mars, habite le quar­tier de Banpo 2­dong. Il se trouvait dans un magasin Paris Baguette, le28 mars, entre 13 heures et 13 h 02, « avec un masque et sans avoir eu de contacts », ou dans des bureaux d’agences immobilières du bâtiment, Banpozai Plaza, entre 13 h 14 et 14 h 02.

Cette précision et cette diffusion gé­néralisée peuvent inquiéter, tant cesinformations relèvent de la vie pri­vée. Ce traçage a ainsi pu révéler des moments embarrassants, comme cecas passé dans un « love hôtel », qui aété mentionné par les autorités dans son bilan public.

L’obligation pour toute personnearrivant de l’étranger de télécharger une application permettant de con­trôler le respect des quatorze jours de

quarantaine peut aussi incommoder. D’après une étude réalisée, début mars, par la faculté de santé publique de l’université de Séoul, la crainte d’être la cible de stigmatisation en casd’infection préoccuperait davantage les Sud­Coréens que celle d’attraper lecoronavirus.

Pour autant, le traçage reste bien ac­cepté et fait partie des mesures adop­tées par la Corée du Sud qui intéres­sent plusieurs pays dont la France. Le président Emmanuel Macron l’a abordé lors d’un entretien téléphoni­que, le 13 mars, avec son homologue, Moon Jae­in. Ce traçage est un desfacteurs – avec le civisme, les tests massifs et une ingénieuse politiquede vente rationnée des masques – permettant au pays, qui comptait 10 156 contaminés le 4 avril – unecentaine de cas quotidiens supplé­mentaires depuis vingt­trois jours – de ne pas recourir au confinement etde maintenir les élections législativesprévues le 15 avril.

Il a aussi permis la mise au pointd’applications comme Corona Baek­sin, de l’éditeur Handasoft, qui alerte

un utilisateur se trouvant à moins de 100 mètres d’un endroit visité par unepersonne contaminée.

Son acceptation tient également àce qu’il est strictement encadré dans un pays très attaché à ses valeurs dé­mocratiques et où les données per­sonnelles sont gérées selon un cadre proche du Règlement général sur la protection des données (RGPD) en vi­gueur en Europe.

Données détruitesUn cadre toutefois sous le coup d’uneprocédure d’exception : le traçage est appliqué conformément à la loi de2015, adoptée pour corriger les erre­ments de la gestion de l’épidémie du coronavirus MERS, caractérisée par la dissimulation d’informations par les autorités.

Le texte autorise le Centre coréen decontrôle des maladies (KCDC), chargé de la crise, de demander aux autres administrations des informations debase, comme le nom ou le numéro d’identité d’un contaminé, son histo­rique médical et celui de ses déplace­ments à l’étranger, voire sa localisa­

tion. Depuis le 26 mars, un système automatisé permet un traitement ra­pide de ces données collectées auprèsde la police, des opérateurs de télé­phonie ou des banques.

La procédure passe outre le consen­tement individuel, inscrit dans la lé­gislation sud­coréenne. Mais les don­nées restent hébergées par les opéra­teurs et les structures indépendantes du KCDC. Pour ce qui est de la géolo­calisation, le système n’a pas recours au GPS des téléphones, mais à latriangulation par les opérateurs.

Les autorités ont par ailleurs clarifiéles informations pouvant être ren­dues publiques. Certaines régions, comme la province de Gyeonggi (autour de Séoul) en donnaient trop,ce qui facilitait l’identification des contaminés. Le nouveau cadre limitela divulgation au sexe et l’âge de la personne, aux lieux visités et aux heures de passage. Comme il s’agitd’un régime spécial, les données sont détruites une fois leur utilité passée.Les particuliers peuvent le vérifier.

philippe mesmer (tokyo, correspondance)

En Corée du Sud, le respect de la vie privée en question

SI CES APPLIS PRÉSENTENT SUR LE 

PAPIER UN GRAND INTÉRÊT, PERSONNE N’A JAMAIS TENTÉ D’EN DÉVELOPPER 

UNE POUR UN PAYS ENTIER EN 

SEULEMENT QUELQUES JOURS 

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Page 15: Le Monde - 07 04 2020

0123MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 15

phone », résume Christophe Fraser, le res­ponsable de l’équipe.

Certains chercheurs estiment aussi que cesapplications pourraient être utiles lors du déconfinement des populations pour éviter une flambée épidémique. « Plutôt que de mettre en quarantaine des populations entiè­res, nous pourrions le faire seulement avecceux pour qui c’est nécessaire. La seule façon de faire tout ça, c’est de manière numérique »,a affirmé, lors de la présentation du projet PEPP­PT, Marcel Salathé, directeur du dépar­tement d’épidémiologie numérique de l’Ecole fédérale polytechnique de Lausanne.

Si ces applis présentent sur le papier ungrand intérêt épidémiologique, personne n’a jamais tenté d’en développer une pour un pays entier en seulement quelques jours. Jus­qu’ici, seules des initiatives localisées, aux ré­sultats certes prometteurs, ont été expéri­mentées. « Nous pensons qu’une solution élec­tronique de suivi de contacts à grande échelle peut fonctionner si des efforts considérables sont entrepris pour adapter son fonctionne­ment aux processus sanitaires existants, et si elle est adaptée à ses utilisateurs », explique le docteur Lisa O. Danquah, de l’école de santé publique de l’Imperial College, à Londres.

Les limites à ce type d’applications sontnombreuses. D’abord, on ne sait pas tout surle SARS­CoV­2 : pendant combien de tempsun patient est­il asymptomatique et conta­gieux ? Sur les surfaces, à partir de quelle « quantité » de virus le risque de contamina­tion apparaît­il ? Jusqu’à quelle distance etpendant combien de temps considère­t­on qu’il y a eu un contact à risque ?

Du paramétrage du système dépendront lenombre de fausses alertes et le degré d’en­gorgement des lieux de dépistage. « Ces ap­plications sont utiles, mais ce n’est pas une ba­guette magique. Cela peut faire partie d’un éventail de mesures. Il semble bien que les masques aient aussi un effet, par exemple, surla propagation », rappelle Alain Barrat, physi­cien au Centre de physique théorique deMarseille, qui a travaillé avec des capteurs decourte portée dans des écoles et des hôpi­taux pour recenser les interactions précises.

Il n’est pas non plus acquis que le Bluetoothsoit capable d’évaluer finement la distanceentre les individus. Les développeurs de l’ap­plication de Singapour expliquent que, pour un usage optimal, l’application doit êtreouverte en permanence.

DONNÉES TRÈS SENSIBLESPar définition, ces applis ne fonctionnerontque si elles sont installées par un nombre si­gnificatif d’individus. Le corollaire, comme lefait remarquer Michael Parker, professeur de bioéthique à l’université d’Oxford et coau­teur de l’article de Science, est que les utilisa­teurs aient confiance dans le système.

Pour cela, il recommande la transparencedu code informatique et son évaluation in­dépendante, la mise en place d’un conseil desurveillance avec participation de citoyens,le partage des connaissances avec d’autres pays… « Le fait que les gens restent libres de choisir et de ne pas installer l’application estaussi un garde­fou », ajoute­t­il. Un sondage réalisé les 26 et 27 mars par son équipe mon­tre que 80 % des Français interrogés seraientprêts à installer une telle application. Une enquête qui a ses limites, les sondés s’étant prononcés uniquement sur l’applicationimaginée par les chercheurs, a priori peu gourmande en données personnelles.

Ce type de dispositif de suivi, à l’échelled’une population entière, pose justement laquestion des informations personnelles et de leur utilisation par les Etats. Même si le dispositif ne repose pas sur la géolocalisa­tion et que ces données restent sur le télé­phone, d’autres informations pourraient, eneffet, être collectées. Et la question de la sécu­rité du code de l’application – une faille per­mettrait à des pirates de s’emparer des don­nées – est entièrement ouverte.

Quelle que soit la solution technique, cesdispositifs vont brasser des données très sen­sibles. Or, les scientifiques ont largement prouvé que le concept de données anonymesest trompeur. Certes, plusieurs experts esti­ment que ces applications ne sont pas con­damnées à installer une surveillance demasse. Mais encore faut­il qu’elles fassent l’objet d’un développement informatiqueminutieux et vérifié, et qu’elles utilisent desalgorithmes éprouvés. Le tout avec la mise enplace de robustes garde­fous techniques et lé­gaux. « Il est possible de développer une appli­cation entièrement fonctionnelle qui protège la vie privée. Il n’y a pas à faire un choix entre le“contact tracing” et la vie privée. Il peut y avoirun très bon équilibre entre les deux », assureYves­Alexandre De Montjoye, expert re­connu, qui dirige le Computational PrivacyGroup à l’Imperial College de Londres. A con­dition de s’en donner les moyens.

david larousserieet martin untersinger

Le risque d’« une nouvelle èrede surveillance numérique invasive »Les gouvernements vont devoir faire des choix délicats, et ce, alors que les crises sont propices aux décisions hâtives. Le danger est de faire sauter les digues en matière de libertés publiques

ANALYSE

A vec les bonnes applications,tous les bogues de l’huma­nité deviennent mineurs »,

écrivait, en 2013, l’essayiste EvgenyMorozov, moquant la propensiondes geeks à voir la technologie comme solution à tous les problè­mes du monde. Face au Covid­19,cette tendance au « solutionnisme technologique » est de nouveau à l’œuvre. Comment ne la serait­ellepas, alors que la pandémie fait rage,tuant par milliers et plongeant des millions de confinés dans l’angoisse et l’incertitude ?

Une idée a prospéré dans le mondeentier sur ce terreau favorable : l’uti­lisation des données numériques, enparticulier des téléphones mobiles,pour combattre la pandémie. L’idée coule de source : alors que dans cer­tains pays, notamment la France,80 % de la population se promèneavec son smartphone en poche, lesdonnées mobiles sont une mine d’orpour les épidémiologistes et les pou­voirs publics, en particulier en ma­tière de géolocalisation.

Elles offrent aux scientifiques unaperçu fidèle des flux de popula­tions, et donc une précieuse fenêtre sur la pandémie. Pour les pouvoirspublics, ces données peuvent per­mettre d’anticiper la charge des in­frastructures de santé, de savoir si lesrestrictions de déplacement sont ef­ficaces, voire de suivre à la trace les malades et les confinés.

Le travail sur des données agré­gées, qui ne permettent en théorie d’identifier personne et qui ont fait leurs preuves par le passé, a déjà commencé, partout dans le monde.

En France, Orange fournit à l’Institut national de la santé et de la recherchemédicale (Inserm), à l’Assistance Pu­blique ­ Hôpitaux de Paris (AP­HP)ou à certaines préfectures des don­nées issues de ses abonnés télépho­niques. Google a, à son tour, a publié l’évolution de la fréquentation decertains types de lieux (restaurants, transports…), en se fondant sur les données en sa possession.

La tentation d’aller plus loinMais, avec la propagation rapide de lapandémie, la tentation d’aller plus loin est forte. En Israël, les moyens del’antiterrorisme sont mis à profit pour identifier les malades poten­tiels en se fondant sur leur proximité,déduite de leurs données téléphoni­ques, avec des personnes infectées. A Taïwan, le respect du confinementpar les personnes malades est vérifié directement par le biais des données mobiles. Dès février, la Chine a dé­ployé dans certaines provinces une application pour filtrer les déplace­ments. Si le particulier reçoit un codeorange ou rouge, il est soupçonné de porter le virus et doit s’isoler.

L’idée de telles applications sem­blait alors lointaine et dystopique.Quelques semaines et plusieurs di­zaines de milliers de morts plustard, les initiatives se multiplientpour rendre le « traçage des con­tacts », un des outils de base de luttecontre les épidémies, plus rapide, plus fiable, automatique et réalisa­ble à l’échelle de dizaines de millionsd’individus.

L’Allemagne et le Royaume­Uni,entre autres, travaillent sur des ap­plications en ce sens, sur la base du volontariat. Le nouveau comité

scientifique établi par l’Elysée doit aussi y réfléchir. Non seulement destinées à sauver des vies, ces ap­plications sont même censées ren­dre possible le retour à la vie « nor­male » – et donc à l’activité économi­que – sans déclencher une nouvelleflambée épidémique.

Sur le papier, c’est l’exemple parfaitde la « bonne application » raillée par Morozov. Les données personnellesseules ne mettront pas un terme à ceque les Nations unies qualifient de pire crise depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Mais ces données, sous certaines conditions, peuventêtre utiles contre la pandémie. Ellessont déjà là : le secteur privé et cer­tains Etats ont construit, ces vingt dernières années, de gigantesques infrastructures pour les collecter.Pour la plupart, ces données sont uti­lisées pour vendre de la publicité. Ilest tentant d’y puiser des armes con­tre la pandémie.

Les grandes démocraties vont doncdevoir faire des choix délicats, et ce,alors que les périodes de crise sont propices aux décisions hâtives, aux textes de loi mal ficelés et aux effetsde cliquet. La grande inconnue de­meure à ce jour dans l’acceptabilité sociale de ces dispositifs. L’ampleur de la crise sanitaire, et son lourd bi­

lan, est­elle de nature à faire sauter lesdigues en matière de libertés publi­ques ? La société civile s’inquiète déjà.

« Les initiatives des Etats visant àcontenir le virus ne doivent pas servirde prétexte à entrer dans une nou­velle ère de systèmes généralisés desurveillance numérique invasive.Plus que jamais, les gouvernementsdoivent veiller rigoureusement à ce que les restrictions imposées aux droits humains ne piétinent pas lesgaranties en la matière, établies delongue date », écrivent plusieurs di­zaines d’ONG, dont Amnesty Inter­national ou Human Rights Watchdans une déclaration commune, pu­bliée le 2 avril.

Car toutes les solutions ne se va­lent pas du point de vue de la protec­tion des données. Certaines applica­tions, utilisant un minimum d’in­formations personnelles, peuvent être respectueuses de la vie privée, à condition que les conditions de sé­curité informatique et d’organisa­tion soient réunies. L’Europe, avec son règlement sur les données per­sonnelles, passe pour avoir la législa­tion la plus stricte sur la question. Cedernier n’interdit pourtant pas de développer des outils numériquescontre la pandémie.

Comme le rappelle la présidente dela Commission nationale de l’infor­matique et des libertés, Marie­Laure Denis, si ce système de géolocalisa­tion est contraint dans le temps, transparent, assorti de mesures desécurité, le moins intrusif possible, et comporte un intérêt scientifiqueavéré, alors le droit ne devrait pas s’y opposer. Et il y a fort à parier que les citoyens non plus.

m. u.

« Les applications de “contact tracing” appellent une vigilance particulière »Pour Marie­Laure Denis, la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, « il faut respecter le principe du consentement »

ENTRETIEN

D ans de nombreux pays, lesinitiatives destinées à utili­ser les données personnel­

les pour lutter contre la pandémie de Covid­19 se multiplient. En France, l’un des comités scientifi­ques établis par l’Elysée doit réflé­chir à « l’opportunité de la mise en place d’une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infec­tées ». Marie­Laure Denis, la prési­dente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’autorité française de protec­tion des données, explique quels sont les principaux points de vigi­lance pour limiter le potentiel intru­sif de tels dispositifs.

La CNIL a­t­elle été saisie par le gouvernement d’un projet en lien avec la pandémie ?

Non. La CNIL se tieFnt à la disposi­tion des pouvoirs publics. Nous vou­lons faire preuve de pragmatisme tout en favorisant les éventuelles so­lutions les plus protectrices de la vie privée. Une de nos priorités, c’estd’être en phase avec la réalité du con­texte sanitaire, afin de pouvoir ap­précier si les mesures mises en œuvre sont proportionnées. Le col­lège de la CNIL a ainsi été auditionné cette semaine par le président du co­mité scientifique, le professeur Jean­François Delfraissy.

Que signifie le pragmatisme que vous évoquez ? Une lecture moins stricte des textes ?

Aujourd’hui, le cadre réglemen­taire de l’Union européenne en ma­tière de protection des données est à la fois souple et protecteur, et per­met de tenir compte de situations d’urgence comme celle que nous tra­versons. Il exige néanmoins des ga­ranties fortes. Si nous parlons desuivi individualisé des personnes, il y a deux solutions. La première, c’est que ce suivi repose sur le volontariat,c’est­à­dire le consentement libre et éclairé. Il ne faut pas qu’il y ait desconséquences pour celui qui refuse­rait de télécharger une application,par exemple.

Il faut aussi qu’il respecte les princi­pes de la protection des données : proportionnalité [que les dommages à la vie privée soient à la hauteur de l’efficacité du dispositif], durée de con­servation, caractère provisoire, sécu­rité… Dans ce cas, il n’y a pas besoin dedisposition législative. Pour le suivi individualisé des personnes qui ne reposerait pas sur le consentement, ilfaudrait, d’une part, une disposition législative et, d’autre part, que le dis­positif soit conforme aux principes de la protection des données.

Avez­vous des inquiétudes sur ce type de projets ?

Il nous faut être particulièrementvigilants pour limiter leur potentiel intrusif. D’abord, ne doivent être col­

lectées que les données nécessaires àdes finalités explicites ; s’agit­il d’in­former du contact avec une per­sonne porteuse du virus ou de véri­fier le respect du confinement ? Il faut aussi respecter le principe du consentement.

Les modalités techniques des dis­positifs doivent, par ailleurs, être minutieusement analysées, parcequ’elles ont une incidence sur la pro­tection de la vie privée. Il faut enfinque ce soit temporaire, c’est un pointessentiel. Tout dispositif visant à li­miter de manière importante et du­rablement la protection des don­nées des individus pourrait, selon lasituation, constituer une lignerouge à ne pas dépasser.

Que pensez­vous des projets d’ap­plications de suivi des contacts qui enregistrent la liste des autres applications à proximité, afin qu’en cas de diagnostic positif, on puisse avertir tous les contacts d’un malade donné ?

Il faut se garder de penser qu’uneapplication va tout résoudre, même si les nouvelles technologies peu­vent contribuer à une sortie sécuri­sée du confinement, dans le cadred’une réponse sanitaire plus globale.

Les dispositifs doivent intégrer ledroit des personnes à leur vie privée,pas seulement pour respecter l’Etatde droit, mais aussi parce que c’est un gage de confiance, sans lequel les utilisateurs potentiels de ces techno­

logies seront peu disposés à lesadopter. S’agissant des applications de contact tracing, elles appellent une vigilance particulière, car leur incidence sur le respect de la vie pri­vée est très variable.

Une application utilisant la tech­nologie Bluetooth, pour détecter si un autre téléphone équipé de cettemême application se trouve à proxi­mité immédiate, apporte davantagede garanties qu’une applicationgéolocalisant précisément et en continu.

D’une façon générale, il faut privi­légier les solutions qui minimisent la collecte des informations, par exemple en utilisant un identifiantplutôt que des données nominati­ves. Les solutions doivent aussi pri­vilégier le chiffrement de l’histori­que des connexions et le stockage des données sur un téléphone, plu­tôt que de les envoyer systématique­ment dans une base centralisée.

Un élément déterminant pourl’appréciation que le collège de laCNIL pourrait porter sur un tel dis­positif, outre l’assurance de son ca­ractère provisoire, serait le recueil d’un consentement libre et éclairéde l’utilisateur.

A ce jour, en France, les pouvoirspublics, lorsqu’ils ont évoqué une ré­flexion sur des dispositifs de suivi numériques, ont exclu que leur éven­tuelle mise en œuvre se fasse sur uneautre base que le volontariat.

propos recueillis par m. u.

LA GRANDE INCONNUE DEMEURE À CE JOUR 

DANS L’ACCEPTABILITÉ SOCIALE DE CES 

DISPOSITIFS

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Page 16: Le Monde - 07 04 2020

16 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 20200123

Blocage de l’économie, paiement des salaires, aide aux entreprises, plans d’aide aux hôpitaux… La crise redonne à la puissance publique un rôle de premier plan, au prix d’une dette colossale. Il devrait chercher à conserver son pouvoir une fois l’orage passé

DOSSIER

A oût 1914, la France entredans la guerre en pantalonrouge garance et la fleur aufusil. Pour soutenir ses va­leureux soldats, l’Etat, quianticipe une guerre de quel­

ques mois, annonce qu’il prend en charge le paiement de leur loyer, dont il décide le gel intégral. Il ne faudrait pas que des épou­ses et des enfants se retrouvent à la rue tan­dis que l’homme se bat au front. Quatre ans plus tard, quand les poilus retournent chez eux, la puissance publique, au lieu de revenirà la situation d’avant­guerre, maintient le blocage des loyers, puis érige le logement en priorité nationale avec, en 1919, ses premiè­res lois d’urbanisme et sa politique du loge­ment. Cette dernière sera ambitieuse, maisprovoquera une pénurie considérable de lo­gements et modifiera fondamentalementtout un segment de l’économie. Ce n’est qu’en 1948 que les loyers seront débloqués.

Les tranchées ne sont aujourd’hui plus lesmêmes, ce sont nos appartements et nosmaisons qui nous maintiennent confinés, en attendant que la « guerre » contre le virustouche à sa fin. Mais, comme en 1914, l’Etat redevenu tout­puissant impose le blocagede l’économie, pour sauver des vies mena­cées, et assure en contrepartie les salaires deceux qui ne peuvent plus travailler et les fins de mois des entreprises et des commer­ces au bord de la faillite. Qu’en sera­t­ilune fois la paix revenue ? La puissance pu­blique en sortira, comme après chaqueépreuve de grande ampleur, à la fois renfor­cée dans son identité et fragilisée par lepoids d’une dette considérable.

« UNITÉ DE SURVIE »Pour l’instant, l’Etat est chef de guerre et mé­decin réanimateur. Il retrouve la fonction que lui attribue le sociologue Norbert Elias d’« unité de survie ». « L’essence de l’Etat est la survie des individus, décrypte l’économiste Xavier Ragot, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il se montre capable d’interrompre l’économie pour lutter contre la mort. » Le pré­sident et ses ministres battent la campagne confinée, se frottent à la logistique des mas­ques, des blouses, des réactifs, font fabriquer des respirateurs par des constructeurs auto­mobiles. Tout en promettant, comme leurs ancêtres en 1918 ou en 1945, voire en 2008, après la crise financière, que le monde ne sera plus comme avant.

« Le jour d’après ne ressemblera pas au jourd’avant », a assuré le président Macron au sor­tir de la visite d’une usine de masques, le 31 mars. Avant d’ajouter : « Il nous faut retrou­ver la force morale et la volonté pour produire

davantage en France et retrouver cette indé­pendance. » Plus tôt, il avait annoncé un plan massif d’aide aux hôpitaux. Soudain, le libéralet jupitérien Macron se glisse dans la peau du général de Gaulle. Vite raillé par l’opposition de droite et de gauche, qui pointe la responsa­bilité du président dans la vente de fleurons industriels à l’étranger (le pôle énergie d’Als­tom quand il était ministre de l’économie).

Pourtant, il ne s’agit pas d’un revirementcomplet tant, ces dernières années, le dis­cours sur la souveraineté est remonté enFrance, comme partout dans le monde, en même temps que la critique du libéralisme.

La résurgence des populismes sur la planète s’est ainsi tout entière retrouvée dans la fi­gure symbolique du président américain,Donald Trump. C’est lui qui, en déclenchant la guerre commerciale avec la Chine, a ap­puyé sur le détonateur.

« La fin du capitalisme néolibéral », an­nonce, provocatrice, une note du 30 mars dela banque Natixis. Celle­ci met en avant troisforces déjà visibles dans les chiffres : labaisse du commerce mondial, avec le fort re­cul des investissements des pays étrangers en Chine, la volonté nouvelle des Etats de dé­velopper et de protéger leur industrie straté­

gique, et la demande forte d’une protection sociale étendue. On peut en ajouter une qua­trième, la montée en puissance de la contes­tation écologique sur le thème du climat.

Premier point, la chute des échanges mon­diaux devrait être encore accélérée par la crise tant que le virus persistera dans un coindu globe, conduisant à maintenir longtemps des frontières fermées et des avions au sol. La vague de Covid­19 a aussi montré que les chaînes de valeur (production et approvi­sionnement) des entreprises sont à la foistrop étendues, avec des usines et des fournis­seurs dans le monde entier, et trop fragiles. « On découvre à la faveur de cette crise que 80 % des principes actifs des médicaments ou des tests proviennent de Chine et d’Inde, cons­tate l’économiste Elie Cohen. Il va forcément y avoir une pression pour réduire ce niveau dedépendance. » C’est le sens du propos macro­nien. « Quand la production s’arrête dans un pays, toute la chaîne est arrêtée. Nous pen­sons donc qu’il y aura retour à des chaînes de valeur régionales, avec l’avantage d’une fragi­lité moindre et d’une diversification des ris­ques », assure la note de Natixis.

LA SOUVERAINETÉ EN QUESTIONC’est à ce niveau qu’intervient le sujet de lasouveraineté. L’affaire Huawei, cet équipe­mentier télécoms chinois accusé par lesAméricains d’être le porte­avions de la domi­nation politique et technologique chinoise, arendu les Européens méfiants. Ils s’inquiè­tent aussi de la mainmise de l’empire du Mi­lieu sur les batteries, composant stratégique de l’automobile électrique. D’où le projet de développement d’une filière européenne, soutenue financièrement par les gouverne­ments français et allemand et par la Com­mission européenne. A présent, la relocalisa­tion de la chaîne de valeur des industries de la santé est tout en haut des priorités desEtats. « La puissance publique, avec son pou­voir d’achat dans ce domaine, exigera unepart de contenu local, estime Elie Cohen. Et comme dans l’énergie, on dimensionnera nos besoins de santé en fonction des pointes avec des surcapacités assumées ». A l’inverse des politiques d’économies permanentes, qui rythment la vie quotidienne du systèmehospitalier français.

C’est le troisième moteur, celui de la pro­tection sanitaire et sociale. La mobilisation autour du sujet des retraites, en décem­bre 2019, avait montré la préoccupation des Français à ce sujet. Le placement de l’hôpital et de ses héros quotidiens sous les projec­teurs permanents de l’actualité va renforcer cette demande. Avec la possibilité d’une na­tionalisation de secours d’Air France, l’exten­sion du domaine des services publics fran­çais sera une tentation forte.

Orienter son appareil économique, raffer­mir ses services publics, on est loin de la va­gue libérale qui, ces trente dernières années, abalayé les vieilles idées nées dans l’après­guerre en France, avec les nationalisations massives et la création de la Sécurité sociale. Une idée de la Grande­Bretagne, d’ailleurs, grâce à l’économiste William Beveridge, qui,

LA RELOCALISATION DE LA CHAÎNE DE VALEUR DES INDUSTRIES DE 

LA SANTÉ EST UNE PRIORITÉ DES ÉTATS

depuis le début de la crise, l’Alle­magne est méconnaissable. Avec une rapidité déconcertante, la Républiquefédérale a mis de côté tous les prin­cipes qui font la spécificité de son modèle : faible intervention de l’Etat dans l’économie, équilibre des comp­tes publics, fort contrôle du Parle­ment sur les décisions de l’exécutif,notamment en matière d’endette­ment et de libertés publiques.

Le 25 mars, le Bundestag a voté, aprèsun débat très succinct, la levée de l’obligation constitutionnelle de limi­tation de la dette publique. Il a avalisé sans broncher un plan de relance sans équivalent dans l’histoire allemande : un budget complémentaire déficitairede 156 milliards d’euros, plus de 500 milliards d’euros de garanties sur les emprunts privés et la création d’unfonds public de participation. Doté de 600 milliards d’euros, ce dernier sera capable de nationaliser tout ou partie d’un grand groupe en difficulté, pour éviter son rachat par des étrangers.50 milliards d’euros ont commencé à être distribués, quasiment sans conditions, aux travailleurs indépen­dants, au travers des banques publi­ques régionales. Tout cela dans un large consensus politique et économi­que. Même l’Institut de recherche éco­

nomique de Munich (IFO), habituel pourfendeur de la dette publique, re­commande que les Etats européens in­vestissent dans leur système de santé.

L’urgence : le manque de liquiditésL’Allemagne est­elle en train de revoir son rapport à l’Etat ? De devenir, forcéepar la crise, keynésienne ? On en est loin pour le moment. Il s’agit pour l’instant de gérer l’urgence : le manquede liquidités dans l’économie réelle. Avec l’adoption du plan de relance, les responsables de la CDU (Union chré­tienne­démocrate, le premier parti du pays) n’ont laissé aucun doute : un plan de remboursement a été dé­posé afin de retrouver l’équilibre bud­gétaire pour l’« après corona ». Et cer­tains économistes libéraux voient dans la levée du « frein à la dette » lapreuve de la pertinence de l’outil. C’estbien parce que l’Allemagne a été si ver­tueuse ces dernières années au plan budgétaire qu’elle peut déployer sa puissance en pleine crise.

« On voit maintenant combien ilétait important de refuser tous les ap­pels à augmenter les dettes qui ont été formulés ces dernières années », tran­che Niklas Potrafke, directeur du Cen­tre pour les finances publiques et l’économie politique de l’institut IFO.

Le ministre social­démocrate des fi­nances Olaf Scholz n’a pas dit autre chose : « L’Allemagne a le souffle » pourfaire face à cette crise, elle peut, en quelque sorte « se le permettre ».

Mais pour combien de temps ? Etsuffit­il de sauver l’Allemagne ? La criseest mondiale et n’en est qu’à ses dé­buts. L’Italie et l’Espagne chancellent.La date du retour à la normale sembleincertaine et, avec elle, le chiffrage de la récession. Le gouvernement tabledésormais sur une contraction du PIB de 8 %. « Beaucoup de chaînes de sous­traitance internationales sont inter­rompues. D’importants produits dont nous avons besoin pour en fabriquer d’autres n’arrivent plus en Allemagne. Beaucoup de produits d’exportation ne peuvent plus être achetés. (…) La consommation qui nous soutenait ces dernières années est limitée ou totale­ment interrompue », a déclaré, jeudi 2 avril, le ministre de l’économie Peter Altmaier. Face au choc qui s’annonce, le plan allemand de soutien à l’écono­mie pourrait être insuffisant.

Les problèmes chroniques de l’Alle­magne pourraient alors resurgir : l’in­suffisance de certaines infrastructu­res, notamment numériques, la vul­nérabilité de régions victimes de sous­investissement, la spécialisation dans

des industries en déclin, la forte dé­pendance de l’industrie aux marchés extérieurs, en particulier chinois, ou lerefus de prendre au sérieux les désé­quilibres de la zone euro.

Certains économistes, à gauchecomme à droite, suggèrent depuis quelque temps que l’Etat utilise les bonnes conditions d’emprunt du pays pour réinvestir dans l’outil de produc­tion et financer l’innovation. C’est le cas de Michael Hüther, directeur de l’Institut économique de Cologne, pro­che du patronat, qui critique depuis deux ans l’obsession de l’équilibre budgétaire. Aujourd’hui, il va plus loin,plaidant en faveur de l’émission de ti­tres de dette garantis par l’ensemble des pays européens pour aider les plusen difficulté face à la crise, les « corona­bonds ». Avec six autres économistes allemands de renom, il a signé, le 21 mars, dans le Frankfurter Allge­meine Zeitung, une tribune en faveur d’une solidarité financière euro­péenne par le biais de titres de dettes communs. Une première. Pour l’instant, l’idée est taboue pour les conservateurs. Mais elle est soutenue explicitement par les Verts, aujour­d’hui second parti du pays.

cécile boutelet(berlin, correspondance)

En Allemagne, la levée inédite du frein à la dette publique

Le grand retour de l’Etat

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Page 17: Le Monde - 07 04 2020

0123MARDI 7 AVRIL 2020 coronavirus | 17

dans un rapport de 1942, avait jeté les bases de ce que l’on appellera plus tard l’Etat­provi­dence. C’est un autre sujet de Sa Majesté, la première ministre Margaret Thatcher, qui, auseuil des années 1980, lancera la grande va­gue libérale du « small state ». L’Etat minimal au service d’une économie entièrement sou­mise aux lois du marché. Son lointain succes­seur Boris Johnson est en train d’enterrer la philosophie de la Dame de fer.

Louis Gallois, aujourd’hui président de PSA,a été directeur général de l’industrie au mi­nistère du même nom, entre 1982 et 1986. Il se souvient avec un brin de nostalgie des grands patrons qui défilaient dans son bu­reau quand il les convoquait. « Finalement, cela n’a pas été très efficace, se souvient­il. Nous avons eu quelques succès, comme les na­tionalisations de 1991, et de gros échecs, comme le plan d’aide à la filière machines­outils, se souvient­il. Aujourd’hui, l’Etat n’a ni les compétences ni les moyens de mener des politiques sectorielles. » De plus, pour l’Europe, dont une grande partie de la ri­chesse provient des exportations, il serait suicidaire de se refermer comme une huître. Ses membres ne le veulent pas. « Une fois la crise terminée, est­ce que l’on ne risque pas de contrevenir aux règles du commerce interna­tional que l’on a nous­mêmes défendues ? », sedemande Sébastien Jean, directeur du Centred’études prospectives et d’informations in­ternationales (CEPII). Il ajoute : « Il sera plus difficile de qualifier la politique chinoise de subventions industrielles d’entorse au libre­échange si on se met à l’adopter. »

PRENDRE LE VIRAGE NUMÉRIQUEC’est bien le problème. Retourner en 1980, voire en 1945, n’est pas possible. « Mais il y a d’autres modèles d’Etat social ouvert qui fonc­tionnent mieux que le nôtre, comme en Scan­dinavie ou en Allemagne », assure PhilippeAghion, professeur au Collège de France. D’où l’impératif d’imaginer une autre straté­gie pour l’Etat. « Avec tous les leviers dont il vadisposer, il faut que l’Etat relance la crois­sance en faisant prendre à la France le virage numérique, estime Nicolas Colin, essayiste etcofondateur de la firme d’investissement TheFamily. Investir massivement dans la télé­médecine et réfléchir à la réorganisation del’hôpital, en adaptant la réglementation pourrendre cela compatible avec le numérique. Et faire la même chose dans l’éducation, les médias, le commerce, les paiements. »

Même raisonnement en ce qui concernel’énergie. « Dans ce domaine, la difficulté estque ces investissements, dans le solaire oul’éolien par exemple, ne sont pas assez renta­bles pour que les entreprises y investissement massivement, assure l’économiste en chef deNatixis, Patrick Artus. On pourrait imaginer qu’une banque d’Etat comme Bpifrance cou­vre la différence de compétitivité, le tempsque la technologie arrive à maturité. C’est ceque fait le gouvernement avec les batteries. »

Mais qu’il se positionne plus en stratège eten soutien financier qu’en directeur des opé­rations, l’Etat se heurte à un écueil : celui de sa dette. « Tous les pays sortent des guerres avec une dette colossale, rappelle l’historien de l’économie Jean­Marc Daniel. Dès lors, leur principal souci est de la réduire. Et la seule so­lution, c’est l’inflation et la croissance. » Pessi­miste, il imagine inévitable un plan massif d’économies et d’augmentation des impôts. « Je ne pense pas que l’évolution de la dette jouera un rôle majeur dans la redéfinition po­tentielle du rôle de l’Etat », rétorque Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI. Il est vrai que les pressions déflationnistes res­tent fortes, notamment du fait des surcapaci­tés en Chine. Le pari de Blanchard est que les taux d’intérêt ne remonteront pas de sitôt et que les banques centrales resteront accom­modantes. Mais les Allemands et les Néerlan­dais, déjà réticents à tout chèque en blanc pour sauver l’Italie du désastre, se contente­ront­ils indéfiniment de cette situation ? Si la zone euro est menacée par cette divergence,la donne peut alors changer radicalement. Et puis si la crise s’éternise et que le gouverne­ment ne parvient pas à démontrer son effica­cité, Yann Algan, professeur d’économie à Sciences Po, craint que l’Etat, au contraire, ne s’affaiblisse, et le consensus démocratique avec lui, au profit des rhétoriques populistes. Cela aussi s’est vu dans l’histoire.

philippe escande

Des plans d'aide massifs pour soutenir entreprises et particuliers

Prise en charge d’une partie des salaires(chômage partiel)

Elargissement de l’assurance-chômage(ou assouplissement des règles)

Aide à la garde d’enfants

Arrêts maladie facilités

Moyens �nanciers supplémentaires

Aide à la recherche sur le Covid-19/coronavirus

Aide spéci�que pour le personnelsoignant

Les Etats à la manœuvre pour secourirtous les acteurs de la crisePrincipaux outils d’aide utilisés par les grands pays occidentaux

AIDE AUXENTREPRISES

Prêts directs

Garantie par l’Etat des prêts accordés

par les banques

Report du paiement de charges

Aides spéci�ques pour les indépendants

AIDE AUX SALARIÉSET AUX MÉNAGES

AIDE AU SYSTÈMEDE SANTÉ

Sources : Gouvernements, Eurostat, FMI, Fondation Robert Schuman, IFS, Le Monde, Washington Post Infographie : Maxime Mainguet, Audrey Lagadec

milliards de dollars

345 1 100 475 2 200Sommes mobiliséesen milliards d’euros

14 %

dont 12 %

32 %

dont 22 %

20 %

dont 16 % dont 2 %

10 % Estimation du plan, en % du PIB

dont % de garanties de prêts

Plan d’aide misen place

Le plan d’aide français suit un schéma classique : la garantie de prêts octroyés aux entreprises, des reports de charges et des aides directes, aux entreprises comme aux ménages.

Le plan allemand élargit le recours au chômage partiel, porte une attention particulière aux grandes entreprises et prévoit que l’Etat allemand va contracter de nouvelles dettes, une 1re depuis 2013.

Outre les garanties et les reports de taxes pour les entreprises, le plan britannique prévoit notamment le paiement par l’Etat de 80 % du salaire des personnes menacées de licenciement.

En plus de l’aide aux entreprises, petites ou grandes, le plan américain inclut l’octroi d’un chèque à chaque Américain (1 200 dollars/adulte), ainsi que le gel du remboursement des dettes étudiantes.

FRANCE ALLEMAGNE ROYAUME-UNI ÉTATS-UNIS

Des premiers plans d’aide massifs, quel que soit le rapport du pays à la dépense publique

98,1

56,861,2

44

84

42,3

105,4

37,9

Dépenses publiques, en % du PIB (2015)

Dette publique, en % du PIB (2019)

« IL SERA PLUS DIFFICILE 

DE QUALIFIER LA POLITIQUE CHINOISE 

D’ENTORSE AU LIBRE­ÉCHANGE 

SI ON SE MET À L’ADOPTER »SÉBASTIEN JEAN

économiste

la crise économique s’annonce dévastatrice pour les pays émer­gents. La baisse de la demande mon­diale va faire plonger les exporta­tions manufacturières du Vietnam, du Laos ou du Bangladesh. La chute du tourisme va frapper la Thaïlande,la Tunisie ou l’Egypte. Pour ceux quidépendent des exportations des matières premières, la chute des cours va assécher leurs revenus. Ces économies émergentes « doivent maintenant faire face à l’éventualité d’un choc financier et d’une réces­sion mondiale », a alerté récemmentla Banque mondiale. Les pays qui ont le plus bénéficié de l’intégrationà l’économie mondiale sont désor­mais les plus exposés à la récession provoquée par le Covid­19.

Cette crise met à nu la fragilité deleurs services publics et, en premier lieu, celui de la santé. L’Inde est le pays où les dépenses publiques dans ce domaine (1,28 % du PIB) sont parmi les moins élevées du monde. « J’ai toujours considéré la santé publique comme un facteur de développement du capital humain, témoigne Shamika Ravi, directrice

de la recherche du think tank Broo­kings en Inde, mais je dois bien ad­mettre que, avec cette crise, c’est bien plus que cela : un droit humain. » Dans les pays pauvres et émergents,le secteur privé, à l’arrêt, ne peut plus jouer le rôle qui lui était dévolu par les agences et banques de déve­loppement dans la lutte contre la pauvreté. La Banque mondiale ap­pelle désormais les gouvernements à offrir une protection sociale aux plus démunis. Un besoin de la puis­sance publique renforcé par le taris­sement des transferts d’argent de la diaspora de l’étranger, elle aussi frappée par la baisse de ses revenus.

« Les Etats ne peuvent pas tout àcause des capacités administratives limitées et des problèmes de corrup­tion, reconnaît W. Gyude Moore, ancien ministre des travaux publics au Liberia et chercheur au Center forGlobal Development, think tank basé à Washington, mais ils peuvent agir en mobilisant les communau­tés locales et les ONG. » L’autre contrainte est financière. Le FMI évaluait, le 27 mars, les besoins de ces pays à 2 500 milliards de dollars.

Or tous les pays ne sont pas égaux devant l’endettement. S’il est la so­lution pour financer la hausse des dépenses publiques dans les pays ri­ches, il constitue un problème pour les émergents, étranglés par le su­renchérissement du coût de la dette.

Renforcement de l’autoritarismeLa fuite de capitaux des pays émer­gents depuis le début de la crise a considérablement affaibli les devi­ses locales. Ce qui augmente méca­niquement le remboursement de ladette souvent contractée en dollars ou en euros, d’autant plus que cel­le­ci a fortement augmenté. Entre2010 et 2018, la dette publique est passée de 40 % à 59 % du PIB dans les pays d’Afrique subsaharienne.

Les pays du G20, qui ont déjà dé­bloqué 5 000 milliards de dollars pour secourir leurs économies, ont promis d’aider les pays pauvres. Despromesses qui tardent à être concré­tisées malgré l’urgence de la situa­tion. Dans le meilleur des cas, l’effa­cement des dettes publiques par les Etats créditeurs n’est qu’une ré­ponse partielle car une part crois­

sante de celle­ci est détenue par des investisseurs privés. Les entreprises des pays émergents sont elles aussi lourdement endettées. Entre 2007 et 2019, la valeur de leurs obliga­tions émises sur les marchés inter­nationaux est passée de 500 mil­liards à 2 300 milliards de dollars.

« En ces temps de crise, tout lemonde se tourne vers l’Etat, expliqueShiv Shankar Menon, qui fut le con­seiller à la sécurité de l’ancien pre­mier ministre (2004­2014) indien Manmohan Singh, or il faut bien constater que, ces dernières années, cela s’est surtout traduit par une hausse de l’autoritarisme. » Au nom de la lutte contre l’épidémie, celui­cis’est même renforcé dans plusieurs pays. En Hongrie, le premier minis­tre Viktor Orban a obtenu le 30 marsle feu vert du Parlement pour légifé­rer par décret en vertu de l’état d’ur­gence. Après des années de dévelop­pement centré sur l’essor du secteurprivé et l’augmentation de la dette, la fragilité des Etats dans les pays émergents ouvre la voie à toutes les aventures politiques.

julien bouissou

Les pays émergents, les plus exposés à la récession

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Page 18: Le Monde - 07 04 2020

18 | coronavirus MARDI 7 AVRIL 20200123

Les faillites d’entreprises devraient bondir de 25 %L’assureur­crédit Coface anticipe une explosion des défaillances dans le monde en 2020

S uite logique de la violenterécession que devrait con­naître l’économie mondiale

en 2020, avec une production en recul de 1,3 %, les défaillances d’entreprises vont bondir de 25 %, selon les chiffres publiés lundi6 avril par Coface. « Ce serait, de très loin, la plus forte hausse depuis2009 [+ 29 %], quand bien même l’activité économique redémarre­rait graduellement dès le troisièmetrimestre et qu’il n’y aurait pas de deuxième vague épidémique ausecond semestre », précise la so­ciété d’assurance­crédit. La filiale du groupe Natixis prévoit aussi un net recul en volume des échan­ges internationaux de 4,3 %, après– 0,4 % en 2019, année marquée par la guerre commerciale entre les Etats­Unis et la Chine.

Cette explosion des défaillancesd’entreprises s’annonce, d’après les économistes de Coface, deuxfois plus forte aux Etats­Unis (+ 39 %) que dans les principales économies d’Europe de l’Ouest (+ 18 %). Sur le Vieux Continent, toutefois, le Royaume­Uni se dé­tache, avec une prévision prochede celle des Etats­Unis. En France, où le président de la Républiques’était engagé, dès la mi­mars, àinstaurer les mesures nécessaires pour éviter les faillites, « quoi qu’ilen coûte », les défaillances pour­raient augmenter de 15 %, contre11 % en Allemagne, 18 % en Italie et22 % en Espagne, anticipe Coface.

Dans un entretien accordé auJournal du dimanche, le 5 avril, leministre de l’économie, BrunoLe Maire, a notamment indiqué que la garantie des prêts bancai­res promise par l’Etat (à hauteurde 300 milliards d’euros) avait déjà été sollicitée par « plus de 100 000 entreprises », soit, « sur huit jours, 20 milliards d’euros » deprêts garantis. Autre mesure­clé : la prise en charge du chômage

partiel, qui concernait, le 3 avril,une entreprise du secteur privé sur quatre (soit 473 000 sociétés)et 5 millions de salariés.

De plus, « en trois jours, 450 000petites entreprises ont sollicité le fonds de solidarité », a précisé M. Le Maire. Ce dispositif prévoit une aide de 1 500 euros en cas de forte baisse du chiffre d’affaires.Les sociétés menacées de faillitepeuvent obtenir un soutien sup­plémentaire de 2 000 euros. Enfin,l’ensemble des entreprises bénéfi­cient d’un report du paiement descharges sociales et fiscales.

Plans de sauvegarde prolongésAutres dispositions pour prévenirles défaillances, l’assouplisse­ment des procédures judiciaires. En France, le délai de quarante­cinq jours pour se déclarer en dé­pôt de bilan auprès du tribunal decommerce est allongé à trois mois après la fin de l’état d’ur­gence sanitaire, afin de permettreéventuellement à la société deprofiter du redémarrage de l’éco­nomie. De même, les plans de sauvegarde et de redressementpourront être prolongés.

Toutefois, au dire de l’écono­miste Denis Ferrand, de Rexe­code, le pic des défaillances pour­rait survenir, paradoxalement,lors du redémarrage de l’activité. « Les dispositifs de soutien de l’Etatau moment du choc sont transitoi­res, souligne­t­il. Or, c’est au mo­ment où la demande se redressera que les besoins en fonds de roule­ment des entreprises rebondi­ront. » Le report des charges socia­les et fiscales, ainsi que d’autrespostes comme les loyers, pourraitaussi être une bombe à retarde­ment, décalant certaines difficul­tés à l’été, voire à l’automne, en fonction du calendrier du confi­nement et de la fin des mesures.

béatrice madeline

Epargnés par la crise, des opérateurs télécoms mettent leurs salariés au chômage partielSFR a utilisé le dispositif pour plus de la moitié de ses effectifs. Bouygues Telecom, pour une partie. Free y renonce et maintient ses dividendes. Orange privilégie les vacances imposées

E n cette période de confine­ment, on n’a jamais autanttéléphoné ni navigué sur

Internet. Dans le marasme écono­mique actuel, une industrie s’en sort bien : les télécommunica­tions. Même si les boutiques sontfermées, et que l’activité pour lesprofessionnels tourne au ralenti, Orange, SFR, Free (dont le fonda­teur, Xavier Niel, est actionnaire du Monde à titre individuel) et Bouygues Telecom conservent lesrevenus récurrents de leurs clients. Ces derniers sont, en cettepériode d’incertitude, peu nom­breux à changer d’opérateur. Pa­rallèlement, la difficulté à dé­ployer les réseaux permet aux opérateurs de moins dépenser.

« A court terme, le confinementpeut avoir un impact sur le chiffre d’affaires, mais peu sur l’Ebitda [équivalent du résultat brut d’ex­ploitation] », confirme StéphaneBeyazian, analyste chez RaymondJames. Dans ce contexte, est­il « ci­vique », selon le terme employé par le premier ministre, Edouard Philippe, de faire appel à la solida­rité nationale, en recourant à des mesures de chômage partiel ? A cette question, les quatre opéra­teurs français ont apporté des ré­ponses diverses.

SFR a décidé de sauter sur l’oc­casion. Le groupe de PatrickDrahi a mis 5 000 de ses 9 000 sa­lariés au chômage partiel et n’a pas pris d’engagement pour compenser la perte financière dupersonnel concerné, qui tou­chera 84 % de son salaire net. « On a calculé que c’était pluséquitable pour les commerciauxde percevoir le chômage partielque de perdre leur part variable, qui constitue une grande partie deleur rémunération », justifieArthur Dreyfuss, secrétaire géné­ral d’Altice France­SFR.

Cette mesure a été néanmoinsaccueillie avec « violence et effa­rement » par les représentants dupersonnel du groupe. « On est surde la prise en charge massive d’unchômage partiel par la collecti­vité », s’émeut la CFDT de SFR, quiredoute ensuite des licencie­ments secs.

Dans un mail adressé aux sala­riés, le directeur général, Grégory Rabuel, avait justifié cette déci­sion par « une baisse significative de [son] activité en raison des me­sures de confinement et d’un ra­lentissement global de l’économie en France ». Des déclarations quicontrastent avec celles faites, le 24 mars, par Patrick Drahi, pro­priétaire d’Altice, la maison mèrede SFR. « Toutes nos activités sonttrès résilientes », a­t­il affirmé, prévoyant même des indicateursfinanciers en hausse cette année.

« Les salaires pèsent 20 % de leurscoûts, en mettant la moitié des sa­lariés au chômage partiel, je ne vois pas comment ils ne pourraientpas aller jusqu’à améliorer leurs chiffres », confirme M. Beyazian.

Au sein du gouvernement, onétudie la légitimité de ces mesu­res. L’opérateur a bien annoncé tambour battant qu’il ne distri­buerait pas de dividendes, une fa­çon de répondre à la requête du ministre de l’économie, Bruno Le

Maire. Celui­ci jugeait qu’il n’était pas possible de réclamer de l’ar­gent à l’Etat tout en récompen­sant les actionnaires. Un sacrifice tout relatif pour SFR : l’entreprise n’a pas pour habitude d’en verser régulièrement.

« Incidence limitée »Depuis le 30 mars, Bouygues Tele­com, qui a pourtant reconnu, le 1er avril, que « l’incidence de la pan­démie restait limitée sur l’acti­vité », recourt également au chô­mage partiel pour 20 % environde ses 7 800 collaborateurs, prin­cipalement des conseillers de boutiques et les commerciaux de la branche entreprises.

Contrairement à SFR, Bouyguesva compenser la perte de rému­nération. L’opérateur a aussi re­noncé à mettre au chômage par­tiel les employés des centres d’ap­pels, en les équipant, afin qu’ilspoursuivent leur mission à domi­cile. Ce dispositif global est pourl’instant prévu pour quinze jours.Des mesures plus draconiennes pourraient être mises en place, « si le confinement devait se pro­longer », prévient Didier Casas, directeur général adjoint deBouygues Telecom.

Pour le moment, Orange et Freeont décidé d’adopter des politi­ques opposées, assumant eux­mêmes les rémunérations descollaborateurs désœuvrés. Free a calculé que 1 000 salariés, dont650 vendeurs, de ses 11 000 em­ployés étaient inactifs. En atten­dant, l’opérateur tente de les oc­cuper en leur faisant suivre des formations en ligne.

Si la crise persiste, ce sont2 000 à 3 000 salariés qui pour­raient se retrouver sans occupa­tion, le déploiement du réseaumobile et fixe tournant déjà auralenti. Pour éviter la défaillance

de ses sous­traitants, Free a aussimis en place un fonds de solida­rité, dont une première tranche de 10 millions d’euros vient d’êtredébloquée.

Comme pour ses concurrents,l’impact de la crise est à ce stade « limité », a précisé le groupe, le 17 mars. Prendre des mesures de chômage partiel aurait étécompliqué, dans la mesure où Free a prévu cette année un géné­reux dividende, qui bénéficiera d’abord à son premier action­naire, Xavier Niel, détenteur de71 % du capital.

Chez l’opérateur Orange, dontle premier actionnaire est l’Etat, c’est la solution des « vacancesimposées » qui est privilégiée, avec la volonté que les salariés neposent pas de congés à la sortiedu confinement, afin de permet­tre une reprise rapide de l’acti­vité. Près d’un tiers des effectifs (environ 90 000 personnes) se­rait en incapacité de travailler.Les syndicats s’inquiètent, eux, de la perte de la part variable desrémunérations.

En revanche, la kyrielle depetites et moyennes entreprisesqui déploient les réseaux fibresur le territoire est touchée deplein fouet par la pandémie. Le27 mars, InfraNum, leur syndicat,qui représente 40 000 emploisdirects, a prévenu que seuls 30 %d’entre eux étaient encore sur le terrain, avec une activité très ré­duite. Etienne Dugas, leur prési­dent, redoute que nombre d’en­tre elles ne mettent la clé sous laporte. « Si, aujourd’hui, on ne re­lance pas un minimum l’activité,il faudra au moins un an pour re­venir à la même cadence que nous connaissions avant lacrise », s’inquiète­t­il.

sandrine cassiniet vincent fagot

FedEx dans la mire de l’inspection du travailLa société de transport est accusée de ne pas assez protéger les salariés de son centre de tri de Roissy

L e ton monte entre l’Etat etl’entreprise américainede transport et de fretFedEx. Vendredi 3 avril,

les services du ministère du tra­vail l’ont mise en demeure de « faire cesser [la] situation dange­reuse » pour la santé des tra­vailleurs au sein de son centre de tri de l’aéroport de Roissy ­ Char­les­de­Gaulle (CDG), dans le Val­d’Oise, le plus gros site de la so­ciété en dehors des Etats­Unis. FedEx devait prendre les mesures nécessaires avant le lundi avril, enparticulier la fourniture, à chaque travailleur, de deux combinaisonsjetables, quatre paires de gants et quatre masques par vacation pourse prémunir du Covid­19.

Cette sommation intervientalors qu’un intérimaire est mort de cette maladie, le 24 mars, et qu’à plusieurs reprises des cassuspects ont contraint l’entre­prise à évacuer des zones et à ren­voyer des employés à leur domi­cile. La CGT évoque un « cluster ». Quelque 2 500 salariés et environ 400 intérimaires ou sous­trai­tants travaillent chez FedExRoissy­CDG.

Chaque jour, 1 200 tonnes defret y sont chargées, déchargées,scannées, triées, de l’enveloppe dequelques grammes au moteur d’avion Boeing. Une vraie fourmi­lière dans laquelle les colis pas­sent de main en main avant d’êtredistribués dans le monde, par camions ou avions. Comme ailleurs, l’inquiétude vis­à­vis du

Covid­19 a mis du temps à émer­ger. « Tout a commencé au comité social et économique de fin jan­vier, se souvient Sukru Kurak, dé­légué CGT de l’entreprise. On de­mandait si le virus pouvait se trou­ver sur des colis en provenance de Chine. » A l’époque, le Covid­19 n’est pas encore considéré comme la nouvelle peste noire.

« Les collègues ont peur »Lorsqu’en mars l’épidémie continue de se répandre, la direc­tion de FedEx commence à pren­dre des mesures. « A partir du 10 mars, explique Julien Ducoup, directeur général des opérationsdu site de Roissy­CDG, dès lorsqu’une personne est suspectée d’avoir le Covid­19, nous la ren­voyons à son domicile ainsi que lessalariés qui ont été en contact pro­che avec elle. Nous leur deman­dons de consulter leur médecin, qui décide de la mise en quator­zaine ou du retour au travail. »

L’entreprise refuse de commu­niquer un quelconque chiffre mais, d’après la CGT, hors intéri­maires, il y avait au moins 137 sa­

lariés de FedEx en quarantaine àleur domicile en début de se­maine dernière et 19 cas connus de Covid­19. « Il y en a tous les jours de nouveaux », assure M. Ku­rak. Entre le 16 et le 20 mars, à la suite de signalements des salariéset syndicats de l’entreprise qui dé­noncent l’absence de mesures de protection, une série de courriers vont être envoyés par l’inspectiondu travail à FedEx.

Tous les risques y sont listés : lesplus de 300 personnes qui se mas­sent lors de leur prise de service aupoint d’inspection et de filtrage, laprise d’empreinte biométrique à laquelle ils doivent procéder, la palpation de sécurité effectuée sans gants, le gel hydroalcooliqueen rupture de stock, l’absence de masques et de gants, la perma­nence de lieux de promiscuité confinés comme les réfectoires, les salles de briefing, les fumoirs ou les vestiaires, l’absence de dé­sinfection d’appareils comme les scans, les talkies­walkies…

L’entreprise semble se confor­mer partiellement aux demandesde l’inspection du travail, tandis que les événements se précipi­tent. Le 24 mars, David H., un inté­rimaire de 63 ans, meurt du Covid­19. « Il avait effectué sa der­nière mission dans la nuit du 16 au17 mars au tri des petits colis et desenveloppes, souligne M. Ducoup. Il avait indiqué à des collèguesqu’il ne se sentait pas bien. » « Il n’avait pas eu de visite médicale, on ne sait pas s’il avait des problè­

mes de santé », ajoute Marie­OdileBonnet, de la CGT Manpower, pour laquelle travaillait David H. D’après le syndicat, 80 intérimai­res et une dizaine de salariés sont alors placés en quarantaine.

Dans la nuit du 26 au 27 mars,un salarié est évacué par les pom­piers. Il avait été pris de vomisse­ments et de toux, d’après la CGT.La direction assure pour sa part qu’il n’est pas soupçonné d’être porteur du Covid­19. Mais, au seindes équipes, « les collègues ont peur », confie Halim Faid, agent detri et élu CGT du CSE. Le manageurdu même service, absent depuisle 20 mars, a notamment informésa direction, le 26 mars, qu’il était porteur du Covid­19. Les salariésqui ont travaillé avec lui sont invi­tés à rester chez eux et le service est désinfecté.

« Rôle crucial »Dans l’après­midi du 28 mars,deux zones opérationnelles sontencore évacuées et désinfectées en raison de « cas de suspicion », indique Julien Ducoup. Plusieurs syndicats d’intérimaires déclen­chent, le 28 mars, un droit d’alertepour danger grave et imminent. Une à une, les agences Manpower,Start People, Randstad, Adecco et CRIT suspendent les délégations d’intérimaires chez FedEx. Dès le 31 mars, toutefois, certaines re­prennent, à l’exception de Man­power et de Randstad. FedEx se défend : depuis le 27 mars, des gants en latex et du gel sont four­

Le 28 mars, plusieurs syndicats

d’intérimaires ont déclenché

un droit d’alerte

DÉFENSEPhotonis : « avis négatif » de Bruno Le Maire pour un rachat par TeledyneLe groupe américain d’ingé­nierie et d’électronique Tele­dyne a dit avoir reçu un « avis négatif » du ministre français de l’économie et des finan­ces, Bruno Le Maire, au ra­chat de l’entreprise Photonis, spécialisée dans la photodé­tection, selon un document déposé auprès du gendarme boursier américain, vendredi 3 avril. – (AFP.)

AÉRONAUTIQUEBoeing prolonge la suspension de sa production dans l’Etat de WashingtonBoeing a annoncé, dimanche 5 avril, qu’il prolongeait pour une durée indéterminée la suspension de l’activité dans ses deux usines de l’Etat de Washington, mise en œuvre depuis le 25 mars. Cela concerne, entre autres, le site d’Everett, qui assemble le 777, le 747, le 767 et une partie du 787, et dont une salariée est morte des suites du Covid­19. – (AFP.)

SANTÉApple conçoit des masques pour soignantsApple a conçu des masques destinés au personnel hospitalier, couvrant l’inté­gralité du visage, et sera en mesure d’en produire quelque 1 million en rythme hebdomadaire, à partir de la fin de semaine, a an­noncé le PDG du groupe, Tim Cook, dimanche 5 avril, sur le réseau social Twitter. – (AFP.)

nis ; ainsi que des masques, depuis le 30 mars ; l’accès au site et les opérations ont été réorgani­sés pour le respect des règles de distanciation.

Le 2 avril, l’inspection du travailse rend sur place et constate que les salariés ont des masques chirurgicaux, mais que leur re­nouvellement n’est pas prévu, alors que leur efficacité n’est plus probante au bout de quatre heu­res. Idem pour les gants. Les servi­ces de l’Etat considèrent en outre que les salariés doivent être mu­nis de combinaisons jetables pour ne pas transporter le viruschez eux. Le 3 avril, la mise en de­meure tombe. « Je ne me l’expliquepas », a réagi, le 5 avril, M. Ducoup,qui tient à rappeler le « rôle cru­cial » que joue sa société dans l’acheminement en Europe defournitures médicales.

« Il ne s’agit pas de dire qu’il ne sepasse rien, mais ils ne sont pasencore au niveau d’exigence nonnégociable », fait valoir l’entou­rage de la ministre du travail, Mu­riel Pénicaud. FedEx a engagé unrecours suspensif contre la mise en demeure. « Il y a des mesuresqu’il est tout simplement impossi­ble de mettre en œuvre dans les dé­lais impartis », observe M. Du­coup, notamment la fourniture de combinaisons et de gants en nombre suffisant. Au ministère du travail, on veut croire que le dialogue et les heures qui vien­nent permettront d’y remédier.

julia pascual

« On est sur de la prise en

charge massived’un chômage

partiel par la collectivité »,

s’émeut la CFDT de SFR

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Page 19: Le Monde - 07 04 2020

0123MARDI 7 AVRIL 2020 horizons | 19

En « réa », la course à la viePAROLES DE SOIGNANTS 4|5 Dans une série en cinq épisodes, des professionnels de santé évoquent leur quotidien au temps de la pandémie. Juliette Chommeloux, 31 ans, réanimatrice à Paris, raconte au « Monde » les coulisses de ce combat incessant

E n sortant de ma demi­garde àl’hôpital, le samedi 14 mars, surle coup de 1 heure du matin,j’avais mauvaise conscience.Mes vacances commençaient cematin­là, les premières depuis

mon arrivée au service de réanimation de l’Institut de cardiologie à la Pitié­Salpêtrière en novembre dernier, et j’avais prévu de par­tir à la montagne avec mon copain, réanima­teur­anesthésiste dans un autre hôpital. Maiscomment dire ? J’avais le sentiment de quit­ter le navire à la veille d’une déferlante. « Pars !, a insisté un collègue. Et reviens­nous en forme. On en aura besoin ! »

Je suis donc partie, le ventre noué. Le soirmême, le premier ministre annonçait lafermeture de tous les lieux publics. Et le lendemain, je me réveillais dans une stationde ski fermée, les trains pour Paris déjà prisd’assaut. L’idée d’être coincés loin de l’hôpi­tal était insupportable. Vite, on a loué une voiture à Chambéry pour rejoindre Paris. J’ai textoté à mon service : « J’arrive ! » C’étaitle 17 mars. J’ai l’impression que c’était il y atrois mois.

Lundi 23 mars Quelle journée ! Tout est réor­ganisé en fonction du Covid­19. Lits, gardes,réunions, précautions sanitaires, traite­ments, débriefings. Et à une vitesse prodi­gieuse. On a d’abord converti une unité de six lits, en évacuant ailleurs nos patients noninfectés. Puis on nous en a demandé sixautres. Puis six autres. Cela fait dix­huit lits,soit l’intégralité de notre service de réanima­tion consacré à l’épidémie. Et voilà qu’on nous en demande six autres, que nous n’avons pas, mais que nous allons trouver enconvertissant l’unité de soins continus en unité de « réa ». Un casse­tête. A l’impossiblenous sommes tenus.

La « transmission médicale », qui permetchaque matin à 8 h 30 de s’informer de ce quis’est passé la nuit, ne peut plus se faire « au litdu malade », comme d’habitude. Nous som­mes donc réunis dans une salle dont on ouvre grand les fenêtres, en gardant chacun nos distances et en se limitant à cinq person­nes. Des webcams nous relient à deux autres pièces. C’est perturbant. La discussion enéquipe est un truc vital pour notre fonction­nement. Mais il faut éviter que les soignants tombent malades. Notre chef de service estobsédé par ce point et traque un masque detravers ou la moindre faille sanitaire. En ren­trant le soir, je tremble à l’idée de ramener duvirus sur mes baskets. On ne peut pas, on ne doit pas, se laisser contaminer.

Question équipement, ça va. En réa, noussommes toujours plutôt privilégiés. Mais on a conscience que les masques sont comptés ; on s’interroge sur la nécessité dechanger de blouse au moment de passer d’une unité à l’autre ; je note que les flaconsde solution hydroalcoolique sont désormaissiglés « LVMH ».

Nous accueillons les cas graves. Je devraisdire les cas gravissimes. La réa, c’est quandmême l’ultime étape. Nos patients sont intu­bés, plongés dans le coma, entièrement dé­pendants d’une machine. C’est notre quoti­dien. Mais là… Nous découvrons un virus bien plus féroce, destructeur, invasif, que nous le pensions en lisant les rapports prove­nant de Chine. La jeunesse des patients me surprend. Le plus jeune a 25 ans et n’était pas spécialement fragile. Le plus âgé 67. La moyenne tourne autour de 50.

Bien sûr, il faut tenir compte du biais lié auxcritères pour accéder à notre service. Noussommes un centre de référence ECMO, c’est un sigle qui signifie « membrane d’oxygéna­tion extracorporelle » et désigne une techni­que d’assistance circulatoire utilisée pour sauver des malades pour lesquels la ventila­tion artificielle n’est pas suffisante. En gros,on les fait respirer par un poumon artificiel.C’est une technique utilisée dans nos cham­bres de réa, mais qu’il est possible d’apporteren urgence aux patients en détresse dans d’autres hôpitaux grâce à une unité mobile. Ilfaut bien sûr un personnel très bien formé…et des patients capables de tenir le choc. Doncpas trop âgés, pas affectés par une maladiechronique, alertes, et capables, une fois passée la déflagration causée par la maladie,de remonter la pente.

On fait un pari sur l’avenir, sans pouvoir sepermettre d’entreprendre un traitement aussi lourd sur des personnes à l’espérancede vie minime. C’est terrible, je sais. Celanous hante. Mais c’est le quotidien d’un ser­vice de réa. L’afflux actuel de malades ne fait qu’accentuer la pression et exacerber notre angoisse. Qui choisir ? Qui élire pour ce trai­tement de la dernière chance ? Nos lits de­viennent rares. Des amis ont été horrifiésen entendant à la télé que les hôpitaux ita­liens opéraient une « sélection » des malades.

Le mot est affreux. Il recoupe pourtant une réalité hyperstressante.

Un des collègues avait la tâche redoutable,aujourd’hui, de gérer tous les appels arrivant dans le service. Nous sommes tellement af­fublés de gants, de blouses, de surblouses, de charlottes, de masques pour entrer dans leschambres qu’on ne peut répondre nous­mê­mes. Et c’était fou. Les demandes arrivaient de partout. La vague tant annoncée est là.

Mardi 24 mars L’hôpital m’épate. Il m’arrivede râler, de regretter qu’on ne soit pas tou­jours assez prévenants ou efficaces. Mais franchement, là, alors que la situation est tendue à l’extrême, tout le personnel est soli­daire et se plie en quatre, quitte à pousser les murs, à tout réorganiser, à s’adapter. La charge de travail est massive. Médecins, infir­mières, aides­soignantes, brancardiers, ma­nipulateurs radio, cadres, secrétaires… Nous sommes tous débordés, mais l’ambiance estsuper. D’autant qu’on se sent soutenus. Amis, parents (« Courage ! On pense à toi », m’écrivent­ils sans attendre de réponse), pu­blic (vingt pizzas sont arrivées par magie à midi). Je n’ai jamais vu un tel élan. Ça booste !

Un sujet me turlupine : les familles des ma­lades. Normalement, elles sont accueilliesdans le service, 24 heures sur 24. Cela fait par­tie de notre métier. Parler avec elles, expliquer,trouver les mots pour annoncer les mauvaisesnouvelles. Mais les visites, désormais, sont ex­clues. Et j’imagine leur désarroi. L’envie de vi­sualiser au moins le visage chéri, même in­tubé, même abîmé. Comment faire ? Il faut y réfléchir. Peut­être organiser un temps de Skype, par famille, avec des plannings qu’un étudiant pourrait gérer. Mais comment, dansune telle effervescence, garantir horaires et disponibilité ? Il le faudrait pourtant. Les fa­milles sont demandeuses. Elles téléphonentune à deux fois par jour. On répond. Trop suc­cinctement. Elles sont compréhensives, s’ex­cusent de déranger. J’en suis malade.

Nos cerveaux bouillonnent d’idées. Noussommes sur le qui­vive, gorgés d’adrénaline. Dès que j’ai un instant, je parcours la multi­tude de mails et de messages WhatsAppconsacrés au Covid­19. Hypothèses, recher­ches, traitements, protocoles, tests. Nos chefspartagent les articles et informations qu’ils reçoivent. Cela nous implique. On aimerait tant trouver le médicament parfait, basé sur

des données scientifiques avérées ! C’est compliqué. Avant, le temps d’un petit café, onparlait d’autre chose. Aujourd’hui, c’est « Co­vid, Covid, Covid ». Et nous passons un tempsfou à documenter nos patients. Cœur, reins, sang… Tout est noté, presque minute par mi­nute. Il faut nourrir une banque de données. Tout aidera à comprendre comment agit cevirus. On avance à l’aveugle.

Il y aura sans doute un décès, cette nuit,dans mon service. Oui, il va y avoir de la casse. Je me blinde. Mais j’appréhende.Quand des jeunes disparaissent, je pense quecela aurait pu être un ami proche ou moi­même. Quand ce sont des gens plus âgés, je pense à mes parents. Garder sa sensibilité n’est pas une tare dans notre métier. Cela pousse à être toujours à fond.

Mercredi 25 mars C’est de pire en pire. On vamanquer de tout : lits, ventilateurs, person­nel. Et ce n’est pas encore le pic de l’épidémie,plutôt prévu pour mi­avril. Ce soir, il ne res­tait à la Pitié qu’un seul lit de réanimationpour deux cents patients atteints par le Covid­19 dont l’état pouvait se dégrader. Le téléphone du service reçoit un double appel en permanence. C’est crispant d’entendre le« bip » alors qu’on se concentre sur la de­mande. Un autre hôpital, le Samu… Tout le monde réclame un lit. Et notre fameuse ECMO. On réfléchit : ce patient est­il éligible ?

J’essaie d’avoir le maximum de renseigne­ments : âge, antécédents médicaux, mode devie. Parmi les six actuellement dans mon unité figurent un couturier, un policier, uningénieur, un chauffeur de VTC, un ancien militaire, un caissier polyvalent, lequel a remplacé une bibliothécaire à qui on vientde retirer l’ECMO. Une petite preuve qu’on avance, si ce n’est qu’elle a fait une complica­tion et que son état reste très grave. Un homme de 62 ans est mort avant que safemme, hospitalisée ailleurs, n’ait eu le temps d’arriver en ambulance. On lui a ex­pliqué les choses comme on a pu, puis on l’aéquipée de pied en cap pour entrer dans lachambre. C’était terrible. Elle voulait biensûr lui prendre la main. Un autre patientd’une cinquantaine d’années décédera sans doute cette nuit. Le professeur Combes,notre chef, nous galvanise mais nous rap­pelle sans cesse à l’ordre : « Préservez­vous. Ne donnez pas tout. C’est un marathon quenous devons courir. » Le soir, je continue deparler de la maladie avec mon copain. Celanous obsède. Je ne peux pas bouquiner. De­vant un film, je m’endors.

Samedi 28 mars Quelle garde ! Quelle folie !Je l’ai commencée vendredi à 8 h 30 et termi­née aujourd’hui vers 15 h 30. Je n’ai pas dormi.Je n’avais jamais eu autant de lits sous ma responsabilité. Et les demandes d’ECMO n’ont cessé de pleuvoir. Le chirurgien degarde est parti en poser dix dans d’autres hô­pitaux. Du jamais­vu. Les cas se multiplient. Ça tombe, ça tombe. Jusqu’où ? Il nous fau­drait trouver encore de la place. Mais où la prendre ? Des amis, ce soir, voulaient faire unvisio­apéro. J’ai décliné. Je rebosse demain.

Lundi 30 mars Ce matin, on a poussé la mé­taphore de la guerre en rebaptisant nos uni­tés du nom d’une plage du Débarquement :Omaha, Utah, Juno, Sword. La mienne, c’estJuno Beach, et nous sommes en phase de stagnation. Ni avancée ni recul. Les patients sont dans le même état grave et il est encore trop tôt pour enlever les machines. On traquel’infection, on multiplie les analyses, on re­tourne régulièrement les malades sur le ven­tre pour alléger la pression du cœur et facili­ter l’oxygénation. Je garde espoir. Je veux lestirer d’affaire. Je pense avec tristesse à ceuxauxquels j’ai refusé le secours d’ECMO.Certains sont peut­être morts…

Une copine psychiatre m’a dit tout à l’heure :« N’hésite pas à m’appeler si tu as besoin de vi­der ton sac. » Un jour, peut­être. Mais pas maintenant. On avance. On résiste. On s’en­durcit. On s’améliore. On fait au mieux avec les moyens du bord et je trouve que c’est fou comme nous sommes mieux organisés qu’il ya une semaine. Pas question de craquer. La dé­ferlante est là, mais nous ne sommes pas sousl’eau. Notre système de santé est solide.

Les soirs où je sors assez tôt, il m’arrive depédaler le long du canal Saint­Martin sous une haie d’honneur. Les applaudissements crépitent à 20 heures précises. Et je souris. J’ai31 ans. J’ai fait douze ans d’études, et je me sens parfaitement à ma place. Je ne sais pas cequi nous tombera dessus demain matin. Je sais juste qu’on fera face. Ce moment est fou. Mais ce qui se passe chaque jour à l’hôpital a quelque chose de grandiose.

annick cojean

Prochain article Une psychiatre à l’écoute des soignants

Juliette Chommeloux, devant la Pitié­Salpêtrière, à Paris, le 30 mars. JULIEN DANIEL/MYOP POUR « LE MONDE »

« IL Y AURA SANS DOUTE UN DÉCÈS, CETTE NUIT, DANS 

MON SERVICE. OUI, IL VA Y AVOIR DE LA 

CASSE. JE ME BLINDE. MAIS 

J’APPRÉHENDE »JULIETTE CHOMMELOUX

réanimatrice à la Pitié-Salpêtrière

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Page 20: Le Monde - 07 04 2020

20 |carnet MARDI 7 AVRIL 20200123

Rafael Gomez NietoSoldat espagnol de la division Leclerc

I l n’est pas courant que les ser­vices de l’Elysée publient uncommuniqué saluant la dis­parition d’un simple soldat

de la seconde guerre mondiale en des termes aussi élogieux. « Le Président de la République salue ce héros de la liberté », membre de « la fine pointe des glorieuses trou­pes de Leclerc ». Ce soldat était le dernier homme vivant de la Nueve, la 9e compagnie de la 2e di­vision blindée (2e DB), composée en majorité de républicains espa­gnols qui furent les premiers à li­bérer Paris en entrant dans la capi­tale dans la soirée du 24 août 1944.

Rafael Gomez Nieto est mort,lundi 30 mars, emporté par le Co­vid­19, dans une clinique près de son domicile de Lingolsheim,commune limitrophe de Stras­bourg où il résidait et qu’il avait contribué à libérer, le 23 novem­bre 1944. La 2e DB accomplissait ainsi le serment de Koufra : « Nedéposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flot­teront sur la cathédrale de Stras­bourg. » Rafael Gomez était dans sa centième année et habitaitseul. Il y a encore quelques semai­nes, il conduisait toujours sa voi­ture. Il avait quatre enfants, trois filles et un garçon.

Rafael Gomez Nieto est né le17 janvier 1921 à Roquetas de Mar,près d’Almeria (Andalousie). Filsd’un militaire professionnel, il apassé son enfance dans les diffé­rentes garnisons où son père ser­vait, à Cadix, Madrid ou Barce­lone. A 17 ans – son père est restéfidèle à la République après lecoup d’Etat mené par le généralFranco en 1936 –, Rafael Gomezest lui­même mobilisé. Nous sommes en 1938, la bataille de l’Ebre est un échec pour la Répu­blique et la famille va prendre lechemin de l’exil en janvier 1939,fuyant avec presque 500 000Espagnols devant les troupesfranquistes pour trouver refugeen France.

Il est interné à Argelès­sur­Mer,son père à Saint­Cyprien, dans les camps indignes que la France aimprovisés sur les plages des Py­rénées­Orientales. Pour avoir une chance de les quitter, il faut avoirde la famille capable de vous ac­cueillir. Par chance, un oncle ha­bite Oran. Il écrit une lettre aux autorités qui leur permet de re­joindre l’Algérie française. Rafael Gomez suit alors un apprentis­sage de cordonnier.

Après le débarquement améri­cain en Afrique du Nord, en no­vembre 1942, avec ses copains d’Oran, il s’engage, d’abord dans les Corps francs d’Afrique, puis dans la 2e DB, qui est en forma­tion au Maroc en vue du débar­

quement en Europe. C’était une évidence. « Mon père, explique lefils de Rafael Gomez, avait lahaine des nazis, qui avaient dé­truit sa jeunesse en aidant Franco. » Il y a des Espagnols dansd’autres unités de la 2e DB, mais ils sont largement majoritairesparmi les 160 soldats de la 9e compagnie, dirigée par le capi­taine Raymond Dronne.

« Foncez sur Paris »L’unité fait partie du Régiment de marche du Tchad, qui est dirigé par le commandant Joseph Putz, un ancien des Brigades internatio­nales. La plupart de leurs véhicu­les blindés portent des noms es­pagnols : Rafael Gomez est le con­ducteur du Guernica, puis du Don Quichotte. En avril 1944, la divi­sion rejoint l’Angleterre et, le 1er août, débarque à Utah Beach pour être engagée dans la bataille de Normandie, où les armées al­liées piétinent. Leclerc et de Gaullen’ont qu’une obsession, arriver lespremiers à Paris. C’est à Dronne que Leclerc confie cette mission le24 août en fin d’après­midi aveccet ordre : « Foncez sur Paris. »Deux sections de la Nueve, une section du génie et trois chars sefaufilent jusqu’à l’Hôtel de ville, occupé par la Résistance. Mission accomplie. Rafael Gomez, sans une égratignure sauf ses pieds ge­lés lors de la libération de Colmar, sera de toutes les batailles jusqu’à la prise du nid d’aigle d’Hitler à Berchtesgaden en mai 1945.

Démobilisé, et déçu que les Al­liés ne poursuivent pas le travailen renversant Franco, Rafael Go­mez retourne à Oran, où il vafaire sa vie. En 1958, il quitte l’Al­gérie, où la guerre à nouveau faitrage, pour aller s’installer à Stras­bourg. Il y deviendra mécanicienchez Citroën. Jeudi 2 avril, la télé­vision régionale d’Andalousie,Canal Sur, lui a rendu hommageen diffusant un documentaireinédit qui lui est consacré intitulé« El Andaluz que libero Paris » (« L’Andalou qui a libéré Paris ») et le roi et la reine d’Espagne ontenvoyé un télégramme de con­doléances à sa famille de ce vieuxsoldat de la liberté.

michel lefebvre

17 JANVIER 1921 Naissance à Roquetas de Mar (Espagne)1ER AOÛT 1944 Débarque-ment en Normandie 24 AOÛT 1944 Les soldats de la « Nueve » entrent les premiers dans Paris2012 Décoré de la Légion d’honneur30 MARS 2020 Mort à Strasbourg

En 2017. GERARD JULIEN/ AFP

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Le Carnet

AU CARNET DU «MONDE»

Naissance

Clémentine PERRINet Benoît CHALHOUB

ont la joie d’annoncer la naissance de leur fille,

Iris, le 22 mars 2020.

51, rue Froidevaux,75014 Paris.

Décès

Murielle Lemoine,sa fille,

Marion, Mathurin, Raphaël et Gaétan Lemoine,ses petits-enfants,

Frédéric Lemoine,son gendre, sont profondément tristes de faire part de la disparition de

Annie APPÉRÉ,née DESSAGNE,

survenue le 3 avril 2020,à l’âge de quatre-vingt-un ans.

Son rire continuera de les accompagner.

Ils remercient les équipes soignantes du Groupe hospitalier Diaconesses-Croix-Saint-Simon ainsi que tous les soignants engagés dans la lutte contre le Covid-19.

3, rue de Médicis,75006 Paris.15, rue de l’Université,75007 Paris.9, rue Faber,35800 Dinard.

Yves,son époux,

Tom, Léa et Christine,ses enfants et sa belle-fille,

Eliott, Mila, Dahlia, Jaho,ses petits-enfants,

Sa famille de France et du Venezuela,

Ses amis,

ont la grande douleur de faire part du décès de

Hilciad’AUBETERRE LICHTENBERGER,

artiste,comédienne et peintre,

elle a animé pendant vingt ans le club des Peupliers, lieu d’ouverture

pour des malades mentaux,cofondatrice d’Empreintes & Arts,

survenu le 26 mars 2020.

Elle a été inhumée dans l’intimité au cimetière parisien de Bagneux.

17, rue Buot,75013 [email protected]

Pierre,son époux,

Emily, sa fille,

Samuel, son petit-fils,

Paule, sa sœur,

Daniel, son frère,

Toute sa famille,Ses amis,

ont l’immense tristesse de faire part du décès de

Mme Anne BEUCHOT, survenu à Paris, le 27 mars 2020,à l’âge de soixante-dix-sept ans.

Compte tenu des circonstances, l’inhumation aura lieu le 7 avril, au cimetière de la Pommeraye, à Saint-Désir (Calvados), dans la plus stricte intimité.

Une cérémonie y sera organisée

ultérieurement.

« Qu’est-ce que cela fait ?Tout est grâce. »

Journal d’un curé de campagne.Georges Bernanos.

Nous avons appris avec une grande tristesse la disparition, survenue le mardi 31 mars 2020, de

Michel CHODKIEWICZ,président des Editions du Seuil

de 1979 à 1989.

Cette grande figure intellectuelle, spécialiste de la mystique islamique à laquelle il a consacré plusieurs livres, était entrée au comité de lecture du Seuil en 1955. Il est nommé directeur général en 1977, après avoir fondé deux revues qui ont durablement marqué l’histoire du Seuil, La Recherche et L’Histoire.

Au terme d’un mandat de dix

années à la présidence du Seuil, il est élu directeur d’études à l’EHESS où il poursuit ses recherches. En 1992, il publie notamment un Océan sans rivage. Ibn Arabi, le Livre et la loi, dans la collection « Librairie du XXe siècle ».

Son immense culture et son sens

de la rigueur, son austérité même, non dénuée d’humour, ont marqué toutes celles et ceux qui ont travaillé à ses côtés.

Nos pensées vont à sa famille

et à ses proches.

Sa familleEt les Missionnaires d’Afrique

(Pères blancs), font part du retour au Seigneur du

père François DE GAULLE,officier de la Légion d’honneur,

officier de l’ordre nationaldu Burkina Faso.

Originaire du diocèse d’Autun,

il est décédé le 2 avril 2020, à Bry-sur-Marne (Val-de-Marne), à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans dont soixante-dix ans de vie missionnaire au Burkina Faso et en France.

L’inhumation aura lieu au cimetière de Bry, dans la plus stricte intimité le lundi 6 avril, dans l’après-midi.

Nous le recommandons à vos prières.

Roger et Catherine Durkheim,Martine et Daniel Novic,

ses enfants,Michaël et Andreea Novic, Elisa

Novic, Aurore Durkheim, Laura Durkheim et Clément Heuzé,ses petits-enfants,

Eliott et Sacha,ses arrière-petits-enfants,

Anne Marie Weil-Leven,sa sœur,

Mado Leven,sa belle-sœur,

Ses neveux et niècesAinsi que toute la famille,

ont la grande tristesse de faire part du décès de

Maud DURKHEIM,née LEVEN,

survenu le 31 mars 2020, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans.

Les obsèques ont eu lieu dans la plus stricte intimité le samedi 4 avril.

Caroline,sa fille,

Pascale, Claire et Michel,ses sœurs et son beau-frère,

Yves et Danielle, Patrick et Claire Niaudet,

ses beaux-frères et belles-sœurs,Ses collègues Et ses amis,

ont la tristesse d’annoncer la mort de

Laurent GRUSON,mathématicien.

Ils rappellent le souvenir de son

épouse,

Brigitte NIAUDET. 3, avenue des Chalets,75016 Paris.

Sa famille,Ses amis,

sont au regret de vous informer du décès de

Mme Huguette LEBOT,née BRIAND.

Thierry Huguet,son fils,

Lucette Bastard,sa sœur,

Mauricette Malnou,sa belle-sœur,

Fatima et Yasmina Hacheche,Evelyne Cornuau,Monique Martin,

ses amies, ont la douleur de faire part du décès de

Janinne MALNOU, survenu le 30 mars 2020, dans sa quatre-vingt-septième année.

Marina Margherita,son épouse,

Fabio, Michelangelo et Céline,ses fils et sa belle-fille,Telio, Laélien, Nora, César et Emma,ses petits-enfants,

Sa famille d’Italie et de Belgique,Ses chers amis de France et

d’ailleurs, ont la profonde tristesse de faire part du décès de

Lucio V. MARGHERITA,géophysicien de l’Imperial College,

Royal School of Mines, survenu à Paris, le 2 avril 2020,dans sa quatre-vingt-unième année.

La lumière de son esprit humaniste et la chaleur de son infinie tendresse ne nous quitteront jamais.

Compte tenu des restrictions sanitaires, les obsèques seront organisées dans l’intimité familiale.

195, boulevard Malesherbes,75017 Paris.

L’association Natures Sciences Sociétés-Dialogues

Et la revue Natures Sciences Sociétés, ont la très profonde tristesse d’annoncer le décès de

Agnès PIVOT,

survenu le 27 mars 2020.

Agnès Pivot a joué un rôle décisif dans la création de la revue NSS. Rédactrice en chef adjointe de 1993 à 2003, elle a ensuite eu en charge les relations internationales pour l’association et la revue en raison de sa connaissance des réseaux anglo-saxons proches de notre communauté interdisciplinaire. Elle animait l’équipe de son dynamisme, de son enthousiasme et de son caractère enjoué.

Marc et Catherine Porneuf,Claire et Frédéric Landrieu,

ses enfants et leurs conjoints,Loic et Alix, Blandine, Hugues,

Eléonore,ses petits-enfants et conjoint, ont la tristesse de faire part du décès de

Mme Madeleine PORNEUF,ingénieur documentaliste

au CEA, survenu à Paris, le 1er avril 202,à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

L’inhumation aura lieu le lundi 6 avril, au cimetière de Gif-sur-Yvette, dans la plus stricte intimité familiale, dans le contexte Covid-19 actuel.

Un hommage lui sera rendu

lors d’une réunion organisée ultérieurement.

Cet avis tient lieu de faire-part et de remerciements.

[email protected] [email protected]

La famille Françoiset leurs proches, ont la tristesse d’annoncer le décès de

Anne-MarieROUSSE FRANÇOIS,

pianiste concertiste et enseignante, survenu le 3 avril 2020,à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

Un hommage sera organisé ultérieurement.

[email protected]

Jean-Paul, Catherine, Marc, Elisabeth et Christophe,ses enfants,

Cécile, Michèle, Florence,ses belles-filles,

Jérôme, Judith, Stéphanie, Aurélien, Aurélie, Mélina, Chloé, Paul, Thomas, Antoine, Clémence, Juliette, Mathilde, Simon et Céleste,ses petits-enfantset leurs conjoints,

Ses dix-sept arrière-petits-enfants,La famille Vernant de Provins,La famille Vernant-Neisson

de Martinique,La famille Caubarrère,Monique Hepner,

son amie de toujours, ont la tristesse de faire part du décès de

Mme Janine VERNANT,née GRAMAIN,

survenu à Gentilly, le 3 avril 2020,à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans.

Anniversaires de décès

Le 7 avril 2009, à 3 h 30 du matin,

Vedran BURIC, décédait d’un infarctus, chez lui, 236, rue de Vaugirard, à Paris 15e.

« Ne pensez pas que les êtres qui mordent la vie avec autant de feu

dans le cœur, s’en vont sans laisser d’empreinte. »

Nicolas de Staël.

Le 5 avril 1987,

Philippe AYDALOT, nous quittait.

Une pensée est demandée à ceux qui l’ont connu et aimé.

Laïli,sa femme,Marion,sa fille.

Formation

Communications diverses

La Fédération des Aveuglesde France

rend hommageà ses généreux bienfaiteurs.

En désignant notre association

comme bénéficiairede leur patrimoine,

ils contribuent à améliorerla vie quotidienne

des personnes aveugleset malvoyantes.

Leur mémoire restera à jamaisancrée dans nos souvenirs.

Nous ne les oublierons jamais.

Fédération des Aveuglesde France,

6, rue Gager Gabillot,75015 Paris.

Tél. : 01 44 42 91 91.

Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !

Les bénévoles de SOS Amitié écoutent

par téléphone et/ou par internetceux qui souffrent de solitude,

de mal-être et peuvent avoir des pensées suicidaires.

Nous recherchons des écoutants bénévoles

sur toute la France.L’écoute peut sauver des vies

et enrichir la vôtre !Choix des heures d’écoute,

formation assurée.

En IdF RDV sur www.sosamitieidf.asso.fr

En région RDV sur www.sos-amitie.com

L’Inalco lanceses écoles d’été en 2020.

L’Inalco organiseun programme de formation

en dialectes arabeset kurdes,

du 2 juin au 10 juillet 2020,et un programme de formation

en Français langue étrangère (FLE),du 26 juin au 10 juillet 2020.

Ces écoles d’étésont ouvertes à tous publics.

Inalco,65, rue des Grands Moulins, Paris 13e.

Renseignements :www.inalco.fr/formations/ecoles

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Page 21: Le Monde - 07 04 2020

0123MARDI 7 AVRIL 2020 disparitions | 21

13 MAI 1929 Naissance à Paris1978 Crée la revue « L’Histoire »1979-1989 Préside les éditions du Seuil1986 Publie « Le Sceau des saints. Prophétie et sainteté dans la doctrine d’Ibn Arabi »31 MARS 2020 Mort à Candé (Maine-et-Loire)

OCTOBRE 1938 Naissance à Bandol (Var)1959 Ecole normale supérieure1967 Parution du « Métier de sociologue » (Mouton/Bordas), avec Jean-Claude Passeron et Pierre Bourdieu1968 Il enseigne à l’Ecole normale puis, à partir de 1988, à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, à Marseille2015 « Jeunesse et classes sociales » (Rue d’Ulm)2019 « Territoires, culture et classes sociales » (Rue d’Ulm)30 MARS 2020 Mort

Jean­Claude ChamboredonSociologue

A vec la disparition deJean­Claude Chambo­redon, le 30 mars, àl’âge de 81 ans, les

sciences sociales françaises per­dent une figure marquante et cer­tainement une des plus attachan­tes. Connu de tous les chercheurs de ces disciplines pour avoir coé­crit en 1967, avec Pierre Bourdieu et Jean­Claude Passeron, Le Mé­tier de sociologue (Mouton/Bor­das), il est l’auteur d’une œuvre impressionnante composée de textes devenus des fondamen­taux de la sociologie, et aussi un de ses enseignants les plus res­pectés. Si les aléas de la viel’avaient éloigné du monde aca­démique depuis plusieurs an­nées, il n’y était pas oublié.

Né en octobre 1938 à Bandol(Var), il fut reçu en 1959 à l’Ecolenormale supérieure (ENS), où il fitpartie des quelques normaliens littéraires (il est lauréat de l’agré­gation de lettres classiques en 1962) qui, dans les années 1960, se tournèrent vers la socio­logie, dans un milieu intellectuel dominé par la philosophie (dont Louis Althusser était, rue d’Ulm, la figure éminente). Il rejoignit alors, au sein du laboratoire fondépar Raymond Aron, un groupe de sociologues qui, autour de Pierre Bourdieu et de Jean­Claude Passe­ron, jeta les bases d’une entre­prise collective visant à édifierune sociologie scientifique dont la revue Actes de la recherche en sciences sociales, fondée en 1975, devait constituer l’étendard.

A partir de 1968 et vingt ans du­rant, il enseigna la sociologie à l’Ecole normale supérieure avant de rejoindre l’Ecole des hautes étu­des en sciences sociales (EHESS) à Marseille, où son ami Passeron avait développé un laboratoire ori­ginal associant sociologues, an­thropologues et historiens. Son sé­minaire de formation à la recher­che et, à partir de 1977, ses ensei­gnements de préparation à

l’agrégation de sciences sociales marquèrent des générations de chercheurs et favorisèrent l’éclo­sion de personnalités intellectuel­les parmi lesquelles on peut compter, entre autres, Michel Bo­zon, Pierre­Michel Menger, Fran­çois Héran, Florence Weber, Jean­Louis Fabiani, Christophe Charle, Anne­Marie Thiesse ou encore Stéphane Beaud.

S’il fut un défenseur ardent de lasociologie, il le fit en considérant, à la suite d’Emile Durkheim (sur lequel il publia un texte retentis­sant, en 1984, dans la revue Criti­que), que celle­ci ne pouvait s’en­tendre qu’au cœur d’un ensembleplus vaste de disciplines, de mé­thodologies et d’héritages qu’il fallait faire travailler ensemble. C’est dans cet esprit qu’il concou­rut à la mise en place d’une for­mation commune à l’ENS et àl’EHESS, le DEA de sciences socia­les, creuset de formation impor­tant pour plusieurs générationsde chercheurs aux profils très va­riés et lieu de promotion d’une in­terdisciplinarité cohérente et as­sumée (position encouragée par le géographe Marcel Roncayolo, alors directeur adjoint de l’ENS).

Processus de socialisationLe tempérament de Jean­Claude Chamboredon l’a éloigné de Pierre Bourdieu à partir des an­nées 1980 quand ce dernier, incar­nant une théorie toujours plusunifiée, sembla résumer sous sonseul nom ce qui était né comme une entreprise collective. Ses tra­vaux, qui traitent de sujets variés (l’enfance, les grands ensembles urbains, les rapports villes­cam­pagnes), ont la double caractéris­tique d’avoir, à chaque fois, consi­dérablement bousculé l’état des connaissances et de constituer,quand on les considère ensemble,une recherche majeure sur les processus de socialisation des in­dividus et la construction des groupes sociaux.

Ainsi, deux ans avant mai 1968, àrebours de toutes les études qui parlent alors d’uniformisation par la culture de masse, il montre, dansl’article « La Société française et sa jeunesse », en croisant les effets de la scolarisation, de la prolongation des études et de leur féminisation, comment l’amélioration relative des conditions de vie, dans le con­texte de mobilité sociale des « trente glorieuses », engendre une image nouvelle de la jeunesse.

Cette réflexion sur la redéfini­tion sociale des âges de la vie l’amènera à interroger les fonde­ments sociaux des modèles édu­catifs, notamment dans un article écrit en 1973 avec Jean Prévot, « Le “métier d’enfant”. Définition so­ciale de la prime enfance et fonc­tions différentielles de l’école ma­ternelle », ou à montrer dans un autre article­culte, « La délin­quance juvénile, essai de construc­tion d’objet » (1971), comment l’institutionnalisation du contrôle social, dans un contexte de trans­formation des modes de vie, struc­ture les conceptions d’une jeu­nesse populaire dangereuse.

Son article publié en 1970 avecMadeleine Lemaire, « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuple­ment », est parmi les plus cités des études urbaines. Il y démontre quela proximité, dans les nouveaux quartiers urbains, de populations ayant des trajectoires résidentiel­les et sociales différentes produit moins des rapprochements (selon le modèle de la mixité ou de l’émergence d’une nouvelle so­ciété urbaine) que des tensions liées à leur cohabitation.

Ses travaux sur les rapports àl’espace rural l’amèneront à s’in­téresser à la chasse, autant qu’auxreprésentations et perceptions sensibles des paysages (par des travaux sur Jean­François Millet ou sur la littérature régionale etnotamment sur la Provence). Al’opposé d’une facilité qui lierait

localisme et enracinement identi­taire, Chamboredon pose les ba­ses d’une étude des cadrages terri­toriaux à l’articulation des trajec­toires individuelles, de l’histoire politique et de la construction desgroupes sociaux. Chemin faisant, il traduit ou introduit des sociolo­gues de langue anglaise alors peu connus du lectorat français, no­tamment Basil Bernstein, Ho­ward Becker, Edward Thompson ou Raymond Williams.

Son étude des processus de so­cialisation, ligne de force de son œuvre, est toujours liée chez lui à celle des données démogra­phiques sous­jacentes. Cette at­tention aux caractéristiques mor­phologiques du social en fait un brillant représentant d’une socio­logie de tradition durkhei­mienne. Mais les textes­cultes de

Jean­Claude Chamboredon sont surtout un outil précieux pour analyser les enjeux les plus contemporains de nos sociétés. On doit à Florence Weber d’avoir œuvré à republier, avec Paul Pasquali et Gilles Laferté, les plusimportants d’entre eux dansdeux ouvrages récents aux édi­tions Rue d’Ulm : Jeunesse et clas­ses sociales (2015) et Territoires, culture et classes sociales (2019).

Parcourir Marseille ou le Varavec cet homme discret mais d’une érudition ébouriffante, mo­deste mais volontiers polémiste (ilétait aussi rugbyman…), c’était ap­prendre que rendre raison du monde social doit rester un exer­cice de plein air et de liberté.

pierre­paul zalio (sociologue,école normale supérieure

paris­saclay)

En 2015. ARCHIVES PRIVÉES

Michel ChodkiewiczAncien président du Seuil

S i on travaille simplementsur les textes avec un espritouvert, on arrive à saisir lesconcepts mais pas le

“dawq” (saveur). Selon une imagequ’emploient les soufis : lorsque vous décrivez le miel à quelqu’un qui n’en a jamais goûté, vous avezbeau user de tous les instrumentsnécessaires pour vous exprimer,vous n’arriverez jamais à lui fairesentir ce qu’est le goût du miel. »Cet extrait d’une conférence sur l’influence du soufisme dans la pensée occidentale donnée à l’Ins­titut du monde arabe en 1990 il­lustre bien les préoccupations duphilosophe Michel Chodkiewicz, mort mardi 31 mars. Il était âgé de 90 ans.

Grande figure intellectuelle,spécialiste incontesté du sou­fisme, Michel Chodkiewicz, né le 13 mai 1929, à Paris, a fondé les re­vues La Recherche et L’Histoire etprésidé les éditions du Seuil de1979 à 1989, avant d’être directeurd’études à l’Ecole des hautes étu­des en sciences sociales (EHESS),où il a poursuivi ses recherches sur la pensée d’Ibn Arabi, théolo­gien et philosophe musulman duXIIIe siècle.

La famille de Michel Chod­kiewicz, issue de l’aristocratie po­lonaise catholique, est établie en France depuis 1832. Lors d’un voyage dans les pays arabes, il dé­couvre très jeune le soufisme et seconvertit à l’âge de 17 ans à l’islam,dont il étudie les grands textes àson retour.

En vendant des livres dans ungrand magasin parisien, il ren­contre Paul Flamand, le cofonda­teur du Seuil avec Jean Bardet. Michel Chodkiewicz rédige d’abord des notes pour le comité de lecture avant d’intégrer la maison comme lecteur au début des années 1950. Il dirige la collec­tion de poche « Le Temps qui court » en 1957, puis, en 1959, « Sources orientales ». Paul Fla­mand lui confie la direction géné­rale en 1977, avant de le choisir comme successeur.

« Michel Chodkiewicz était unexcellent lecteur, passionné de lit­térature étrangère », souligneJean­Marie Borzeix, alors direc­teur littéraire du Seuil. Le nou­veau PDG crée plusieurs collec­tions dont « Faire l’Europe ». Ilpermet surtout à Maurice Olen­der de démarrer l’aventure de « La

Librairie du XXe siècle ». Et, se sou­vient ce dernier, il sauve aussi LeGenre humain dont le numéro de février 1988 était cosigné par Raymond Aron, Jean Pouillon ou Michel Pastoureau.

Le Seuil décroche deux Gon­court. Tahar Ben Jelloun l’obtienten 1987 pour La Nuit sacrée, une suite à L’Enfant de sable. A ses yeux, Michel Chodkiewicz reste« un excellent gérant de la maison d’édition et un très grand spécia­liste du soufisme ». Un patron « très sec, direct, qui ne faisait ja­mais un compliment, mais tou­jours fiable ». Ses déjeuners d’af­faires ne duraient jamais plus de quarante­cinq minutes.

« L’incroyable clivage »« Il ne perdait pas son temps en mondanités », se souvient Tahar Ben Jelloun. A cette époque, la pu­blication de ce prix était retrans­mise en direct à la télévision. C’estainsi que l’auteur, l’éditeur Jean­Marc Roberts et Michel Chod­kiewicz se retrouvent devant lepetit écran. Lorsque le verdicttombe, Jean­Marc Roberts pousseun immense cri de joie, l’écrivain aussi, mais le PDG, sans un mot

de félicitations, prend le télé­phone pour joindre l’imprimerie et se contente d’un « Allez­y ! », si­gnal pour démarrer le très gros ti­rage qu’il avait anticipé…

Erik Orsenna, Prix Goncourten 1988 pour L’Exposition colo­niale, souligne, de son côté, « le mystère » Michel Chodkiewicz, ense demandant pourquoi les fon­dateurs du Seuil, si profondémentcatholiques de gauche, ont donné les clés de leur entreprise à un con­verti à l’islam. Selon l’écrivain, Mi­chel Chodkiewicz « a préservé un magnifique héritage, en gardant Le Seuil comme un laboratoire des sciences sociales et en conservant l’indépendance de la maison ».

Parallèlement, le PDG publie denombreux ouvrages dont Le Sceau des saints. Prophétie et sain­teté dans la doctrine d’Ibn Arabi (Gallimard, 1986), et dirige une anthologie de textes sur IbnArabi, Les Illuminations de La Mecque (Sindbad, 1988).

Olivier Bétourné, qui, à 33 ans,fut le bras droit de Michel Chod­kiewicz, note comme tous ceux qui l’ont bien connu « l’incroyable clivage » de sa personnalité, entre le gestionnaire hors pair et l’éru­

dit du soufisme. Ce dernier avaitquitté la maison d’édition quandMaurice Olender, directeur de collection au Seuil, lui avait pro­posé, en 1992, d’y publier Un océan sans rivage. Michel Chod­kiewicz le prévient : « Ce livre neferait nul plaisir à [mon] ancienne maison, simplement parce qu’il ne se vendra pas… »

nicole vulser

En 1987. DOMINIQUE SOUSE/CC BY-SA4.0

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Page 22: Le Monde - 07 04 2020

22 |culture MARDI 7 AVRIL 20200123

« Faire de la Philharmonie une référence »En cinq ans, Laurent Bayle, son directeur, a fait du complexe musical parisien une marque qui s’exporte

ENTRETIEN

N ulle discordance dansle concert de louangesqui a accueilli le cin­quième anniversaire

de la Philharmonie de Paris, inau­gurée en janvier 2015. Même les opposants au projet reconnais­sent la réussite du modèle et l’exemplarité de sa mise en œuvresous la houlette de son directeurgénéral, Laurent Bayle, lequel, en un quinquennat, a fait du com­plexe musical de La Villette une marque mondiale. En accueillantà Paris artistes et orchestres inter­nationaux, mais aussi en déve­loppant sur le territoire les or­chestres d’enfants Démos (dispo­sitif d’éducation musicale et or­chestrale à vocation sociale) et en intégrant à la structure l’Orches­tre de Paris, qui n’y était jus­qu’alors que le premier des rési­dents. Entretien avec un hommeplus que jamais en quête du futur.

Comme toutes les institutions culturelles, la Philharmonie a dûfermer ses portes à cause de la pandémie liée au coronavirus. Quelles en seront, selon vous, les conséquences ?

Il y aura un avant et un aprèscoronavirus. Pour nous, comme pour l’ensemble du secteur cultu­rel, l’épreuve est violente, car, par nature, nos activités dépendent d’interactions humaines, qu’il s’agisse des artistes qui circulent d’un pays à l’autre ou des publicspour lesquels l’échange est une valeur centrale. Nous sommesdonc particulièrement exposés etne serons certainement pas lespremiers à ouvrir nos espaces lorsque le confinement prendra fin. Cette crise risque donc de s’inscrire dans la durée. Le risquede perte de chiffres d’affaires dé­passe d’ores et déjà les 15 millions d’euros pour la Philharmonie.

Quelles solutions mettez­vous en place face à cette situation ?

L’heure appelle des approchessolidaires. Pour les personnels,permanents ou à durée détermi­née, mais aussi pour les artistes ettechniciens intermittents, très fragilisés, il est de notre devoir de tout mettre en œuvre pour assu­rer le maintien de leurs revenus. Ilfaut également envisager des mo­des d’indemnisation partielle pour les solistes ou chefs qui ontvu du jour au lendemain des moisd’activité disparaître. Dans unmême temps, la Philharmonie doit explorer des voies rationnel­les de sortie de crise budgétaire.

Depuis cinq ans, vous avez maintenu le cap de la Philharmonie et l’avenir vous a donné raison. N’avez­vous jamais douté ?

Malgré les nombreuses et vio­lentes polémiques, je n’ai jamaiseu d’interrogations profondes surla question du modèle, lequel a pourtant été très attaqué, que cesoit au sujet des dérives suppo­sées des coûts liés à la construc­tion ou de l’hérésie que consti­tuait le fait d’installer un grand auditorium dans un environne­

ment populaire et périphérique, en rupture avec les usages du XIXe siècle, qui a vu opéras et sal­les de concerts fleurir au cœur desvilles et dans les quartiers aisés.

Ce modèle, pensé par Pierre Boulez dans les années 1980, est­il toujours d’actualité ?

Bien sûr, le contexte a changé,mais le principe demeure. Il ne s’agit plus de bâtir une simple sallede concerts, mais de déployer des espaces afin de démultiplier d’autres modes d’appropriation dela musique. Avant l’arrivée du Cen­tre Georges­Pompidou, les muséesétaient principalement concen­trés sur leurs collections. En intro­duisant une multipolarité, fût­elle sans lien de fonctionnalité, on a modifié le rapport psychologique du public non seulement à l’œuvred’art, mais aussi au bâtiment.

Qu’est­ce qui a changé au XXIe siècle ?

L’évolution principale concernece qu’on appelle sommairement la mondialisation. Une forme d’exacerbation des inégalités, unespécialisation à outrance qui frag­mente plus qu’elle ne féconde, la

rupture entre les pôles urbains surconsommateurs et les zonespériurbaines et rurales qui se sen­tent déconnectées. Cette préémi­nence de la quête du profit finan­cier n’existait pas, on parlait sur­tout de croissance industrielle. Aupoint qu’on observe aujourd’hui une confrontation brutale entre des pensées héritées du contrat social, voire du communisme, et un capitalisme dérégulé qui sti­mule l’émergence de groupes so­ciaux attachés au seul confortpersonnel. Cela a fait éclater l’unité de la société, avec le déve­loppement de l’individualisme et des communautarismes.

Quelles ont été les conséquen­ces pour la politique cultu­relle ?

Les années 1980, qui appartien­nent à la queue de comète de la pensée progressiste et humaniste, avaient pour priorité la mise en contact du public avec les grands chefs­d’œuvre, ce qui implique une hiérarchie entre art savant et art populaire, la création contem­poraine restant peu ou prou mar­ginale, même si elle inspirait du respect. Ce carcan a été remis en cause, avec des aspects positifs. Aujourd’hui, les musiques popu­laires sont mises en valeur en tant que telles. C’est pourquoi la Phil­harmonie peut monter des expo­sitions sur David Bowie ou Bar­bara, Renaud, l’année prochaine, programmer le courant électro. Mais la fin des références induit la question de la perte de sens.

Comment danser concrète­ment au­dessus du volcan ?

La culture a longtemps été per­çue en termes d’épanouissement, de transcendance, de recherche de l’émotion suprême, d’où la hiérar­chisation. Aujourd’hui, on a créé un malaise en érigeant en dogmesl’indispensable élargissement du public et la nécessité de répondre àses besoins et ses attentes. Pour moi, le défi est de parvenir à articu­ler les deux. Inviter les plus grands orchestres du monde et vouloir que l’Orchestre de Paris, qui a inté­gré sans heurts la Philharmonie, participe de cette émulation peut certes paraître résulter de l’ordre ancien. Mais si cela se conjugue structurellement, notamment avec les orchestres d’enfants Dé­mos, cela change le regard sur l’or­chestre, le collectif, ainsi que sa place dans les sociétés futures.

La Philharmonie a doublé le nombre de ses visiteurs, pour atteindre 1,6 million en 2019. Quid de ce nouveau public, dont 45 % ne fréquentent pas la grande salle de concerts ?

Plus ou moins 50 % du public vaau concert, plus ou moins 50 % se focalise autour d’autres modes d’appropriation : la Philharmonie fait, de ce point de vue, ses preuveset recueille un taux de satisfactiontrès élevé. Si les musiques popu­laires favorisent un rajeunisse­ment très fort, le transfert de ce public vers l’orchestre symphoni­que reste trop faible. Mais il fautlaisser les choses s’opérer.

Est­ce le succès des orchestres Démos depuis dix ans qui vous a amené à imaginer une Phil­harmonie des enfants ?

L’idée est née du constat quel’offre pédagogique, même si on lamultipliait, resterait en perpé­tuelle saturation. Des gens cam­pent devant le bâtiment pendant

quarante­huit heures pour avoir des places dans les ateliers. Le fait de n’avoir pas construit de restau­rant d’entreprise nous a laissé unezone de 1 000 m2 non utilisée sur laquelle nous allons concevoir un espace d’hyperexpo permanente, interactif de A à Z, avec un contenusans cesse renouvelé. L’ouvertureest prévue en février 2021.

Quels seront les enjeux futurs pour la Philharmonie ?

L’une des priorités des cinq an­nées à venir va être de conforter le succès de la Philharmonie, faire ensorte que la marque devienne plei­nement une référence. Les mu­sées nous ont montré le chemin en développant des collaborationsinternationales. Or, notre proto­type est très bien perçu à l’étran­ger, qui est en demande d’adapta­tions. Il y a eu des discussions en Iran, momentanément interrom­pues à cause des jeux géopoliti­ques. Mais aussi en Asie, en Chine, par exemple, où l’enfant est roi. Undeuxième enjeu est de nature sociétale et environnementale, que la crise du coronavirus illustreà sa manière. Le dernier, enfin, concerne les modes de gestion.

Vous prévoyez que les financements publics vont continuer à s’étioler ?

Le combat à venir sera d’arriver àmaintenir ce qui existe déjà. Mais il faut d’ores et déjà établir un mo­dèle autogéré, où l’artistique soit équilibré à 100 %. D’où l’idée de la

Laurent Bayle, devant le bâtiment de la la Philharmonie, à Paris, en septembre 2018. WILLIAM BEAUCARDET

« La Philharmoniedoit explorer desvoies rationnellesde sortie de crise

budgétaire »

Des concerts en ligne chaque soirLa Philharmonie de Paris, qui réalise la captation annuelle de cin-quante à cent concerts, n’a pas attendu la pandémie causée par le coronavirus pour proposer un accès libre et gratuit à la musi-que sur son site Live.philharmoniedeparis.fr – soit un flux perma-nent d’une centaine d’heures mêlant musique classique, contem-poraine, jazz et musique du monde. Confinement oblige, c’est à un véritable rendez-vous qu’elle convie désormais son public chaque soir à 20 h 30. Ainsi, jusqu’au 15 avril, des grands concerts seront remis en ligne pour une durée de vingt-quatre heures. De la mélodie française chantée par Sabine Devieilhe, le concert d’ouverture des Arts florissants en 2015, Ligeti avec l’Ensemble Intercontemporain, le Christian Sands Trio dans un hommage à Erroll Gardner (Jazz à La Villette), 200 Motels - The Suites d’après le film de Frank Zappa, sans oublier le War Requiem de Britten. Des activités pédagogiques sont également proposées aux fa-milles, ainsi que des visites virtuelles au Musée de la musique.

« marque », élément de rayonne­ment économique. Une partie desdéveloppements va donc conju­guer à la fois l’international – trou­ver des fonds – et le local, dans les régions, où nous renforçons notremission publique. Par exemple, le coût de la Philharmonie des enfants, de 10 millions d’euros, englobe pour 70 % nos apports eningénierie, les 30 % restants pro­venant de la Caisse des dépôts et de trois actionnaires privés, aux­quels il faut un retour sur investis­sement. On aurait pu tabler sur des bénéfices en augmentant le prix des places. Mais ce serait con­traire à notre philosophie. Nous devons trouver d’autres sources pour continuer à faire venir en se­maine à la Philharmonie des clas­ses de quartiers défavorisés.

C’est en septembre qu’aura lieu le premier concours jamais organisé en France pour les femmes chefs d’orchestre, re­porté pour cause de pandémie. Défendre les femmes vous semble­t­il une nécessité ?

En France, le pourcentage defemmes chefs d’orchestre ou de compositrices programmées estde loin inférieur à 10 %. On nepeut se satisfaire de cette situa­tion quand on voit l’évolution po­sitive aux Etats­Unis, dans lespays scandinaves ou en Asie.Même si la Philharmonie doit res­ter indépendante de groupes de pression tel #metoo, je ne m’in­terdis pas, de façon transitoire, de créer des outils qui favorisent les femmes. Avec la chef d’orchestreClaire Gibault, cofondatrice avec nous du concours La Maestra, nous avons d’ailleurs reçu en très peu de temps plus de 200 candi­datures. Il est grand temps que lesorchestres et les mentalités fas­sent leur mutation.

propos recueillis parmarie­aude roux

« Je ne m’interdispas, de façon

transitoire, de créer des outilsqui favorisent les femmes »

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Page 23: Le Monde - 07 04 2020

0123MARDI 7 AVRIL 2020 télévision | 23

HORIZONTALEMENT

I. Dans les jours qui suivent. II. Plein les corps gras. Flotta dans ses vête-ments. III. Sur la portée. Entraîne ré-sistance et désobéissance. IV. Les brunes et les blondes sortent de chez elle. Grand ruban italien. V. Bonne raison pour noyer son chien. A beau-coup reproduit. VI. Grande antilope. Dans les décors au théâtre et à l’opéra. VII. Glisse au fond du sillon. Beau morceau pour la diva. Dans le filet. VIII. Intermédiaire en affaires. D’un auxiliaire. IX. En duel. Opposé aux ac-cords de paix. Crié comme un pachy-derme. X. Communication et transports.

VERTICALEMENT

1. Grand frisson et haut-le-corps. 2. Risque de s’envoler. 3. Dieu porteur de disque. Repas des premiers chré-tiens. 4. Son effet se fait entendre. Manifestation de désaccord. 5. D’un auxiliaire. Inscrivis dans le temps. 6. Masses blanches et gelées. En os-mose. 7. Le gros fait pouce. 8. Dispo-sera comme des briques. Dans les bras. 9. N’en perdent pas une miette. Entre deux portes. 10. Pièce de la charrue. Ses côtes et sa racine passent à table. 11. Fin de partie. Une lettre et des chiffres. Peintre islandais. 12. Gourmandise chocolatée au café.

SOLUTION DE LA GRILLE N° 20 - 082

HORIZONTALEMENT I. Equarrissage. II. Cultuel. Etoc. III. Remettent. Ut. IV. Eu. Boito. V. Termine. No (nô). VI. Edmonton. Sol. VII. Me. INA. As. Ba. VIII. Epte. Sévères. IX. Nient. Aérait. X. Tentaculaire.

VERTICALEMENT 1. Ecrêtement. 2. Queue-de-pie. 3. ULM. Rm. Ten. 4. Atermoient. 5. Rut. Inn. Ta. 6. Retentas. 7. Ile. EO. Eau. 8. NB. Navel. 9. Séton. Sera. 10. At. Ios. Rai. 11. Goût. Obéir. 12. Ectoblaste.

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12

I

II

III

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X

GRILLE N° 20 - 083PAR PHILIPPE DUPUIS

SUDOKUN°20­083

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1 5 2 8 9 4 7 6 3

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Canal+21.00 Le Roi lionFilm d’animation de Jon Favreau (EU, 2019, 115 min).22.55 Toy Story 4Film d’animation de Josh Cooley (EU, 2019, 100 min).

France 520.50 Metoo secoue (aussi)la FranceDocumentaire d’Anne Richardet Annette Lévy-Willard(Fr., 2019, 80 min).22.10 C dans l’airMagazine présentépar Caroline Roux.

Arte20.50 Afghanistan, pays meurtri par la guerreSérie documentaire de Mayte Carrasco et Marcel Mettelsiefen(All., 2020).0.40 Le Dessous des cartesMagazine présenté par Emilie Aubry.

M621.05 RatatouilleFilm d’animation de Brad Bird(EU, 2007, 115 min).23.00 Le Morning NightDivertissement présentépar Michaël Youn.

« The Mandalorian » explore des planètes familièresPour son lancement en France, le 7 avril, Disney+ propose une fiction tirée de l’univers de « La Guerre des étoiles »

DISNEY+À LA DEMANDE

SÉRIE

P arcs fermés, Mulan etBlack Widow confinéesdans le gynécée des hé­roïnes, privées de sortie

en salle, on comprend que la mai­son Disney ne soit pas d’humeur àfaire de cadeaux. Il faudra s’abon­ner à la plate­forme aux grandes oreilles pour découvrir ce qui a as­sis sa réputation lors de son lance­ment outre­Atlantique, en no­vembre 2019 : The Mandalorian.

Au moment où les derniers sou­bresauts de la triple trilogie de La Guerre des étoiles peinaient à sus­citer l’enthousiasme, la série a raf­fermi la foi vacillante des specta­teurs de l’univers créé par George Lucas. Peut­être parce qu’elle re­vient à l’une des inspirations pre­mières du cinéaste, le western, ver­sion John Ford. Il suffit d’un épi­sode pour que le personnage cen­tral, chasseur de primes, assume laresponsabilité d’un enfançon qu’ildoit préserver des périls d’un monde hostile, comme dans Le Fils du désert (1948), de Ford.

Animaux numériquesL’argument des deux premiers épisodes de The Mandalorian aurait pu servir aux scénaristes d’Au nom de la loi, il y a soixante ans, à l’époque où Steve McQueen

pourchassait les criminels moyen­nant rémunération. Un chasseur de primes qui ne quitte jamais sonarmure sauve un homme d’affai­res d’une bande armée, mais c’est pour mieux le remettre aux mainsdes forces de l’ordre. Le Mandalo­rian (c’est le nom de sa commu­nauté) est obligé d’accepter une mission privée. Un commandi­taire anonyme (Werner Herzog) le

charge de ramener vivant un pri­sonnier sur une planète semi­dé­sertique. Après un affrontement qui doit plus à Leone qu’à Ford, le chasseur de primes découvre que sa cible est un enfant. Il faudra un épisode peuplé de naufrageurs de l’espace et d’animaux numériquespour que le duo échappe aux pé­rils les plus immédiats. Dans un autre système que celui d’une

franchise, ces éléments auraient pu trouver une nouvelle jeunesse à force d’invention plastique ou dramatique. C’est le contraire qui se passe. Personne n’avait jamais vu le Mandalorian avant la diffu­sion du premier épisode, mais c’est une silhouette familière, ins­pirée de Boba Fett, le mercenaire qui joue avec la vie de Luke Skywalker et de ses compagnons

dans la première trilogie de La Guerre des étoiles. Les charognardsqui dépècent son vaisseau ont les beaux yeux rouges des Jawas. La complexion verdâtre, les oreilles triangulaires de l’enfant ne lais­sent aucun doute sur sa parenté avec Yoda. A la familiarité des re­bondissements s’ajoute celle des décors et des personnages.

L’exotisme est là, servi par des ef­fets spéciaux comme George Lucas n’aurait pas osé en rêver en 1976. Un rhinocéros laineux, des montures qui ressemblent au croisement entre un kangourou etun têtard complètent le bestiaire de la saga. Et les réalisateurs despremiers épisodes, Dave Filoni et Rick Famuyiwa, s’en tiennent à l’économie rigoureuse du cinéma d’action. Mais ce n’est pas vrai­ment de cinéma qu’il s’agit. L’adré­naline coule, mais son flux est contrôlé comme par une pompe, rien n’est laissé au hasard ou à la passion. Les émotions sont aussi prévisibles et passagères que l’an­xiété qui prend lorsque le wagon­net des montagnes russes gravit une pente. Mais n’est­ce pas le mo­ment rêvé pour faire entrer Space Mountain dans votre salon ?

thomas sotinel

The Mandalorian créée parJon Favreau. Avec Pedro Pascal, Carl Weathers, Werner Herzog (EU, 2020, 8 × 40 min).

Emily Swallow dans le rôle de The Armorer (« l’Armurière »). FRANÇOIS DUHAMEL/LUCASFILM LTD.

L’Afghanistan, quarante années d’espoirs en désillusionsUne série documentaire remarquable, en quatre volets, retrace l’engrenage qui a conduit le pays à la guerre

ARTEMARDI 7 – 20 H 50

DOCUMENTAIRE

D es jeunes femmes en mi­nijupe se déhanchantdans des boîtes de nuit.

Des filles et des garçons mélangés sur les terrains de sport. Des tou­ristes débarqués en masse, hippiesen tête, pour admirer les splen­deurs d’un pays fascinant.

Où sommes­nous ? A Kaboul, àla fin des années 1960. Au cœur d’une capitale où les élites écono­miques et intellectuelles mènent

une vie à l’occidentale, comme leprouvent les étonnantes archives filmées du premier volet (sur qua­tre) de ce remarquable documen­taire consacré à l’Afghanistan, des années 1960 à nos jours.

Il fallait bien quatre épisodes decinquante minutes chacun pour retracer l’histoire récente et tour­mentée de ce pays complexe. Le résultat de ce travail vaut le dé­tour, tant sont riches les témoi­gnages des intervenants et variéesles images d’archives en prove­nance du monde entier : de la Gau­mont aux extraits de reportages

de la BBC, en passant par des ima­ges de violents combats en pre­mière ligne, filmées par un reporter soviétique.

Long tunnel de violencesLe plus étonnant de ces quatre vo­lets est sans doute le premier, con­sacré à la période 1964­1973. Une période dite « de démocratie » du­rant laquelle le pays, qui est alors une monarchie dirigée par le roi Mohammad Zaher Chah, se dote d’une Constitution. A Kaboul, on adopte un style de vie à l’occiden­tale, mais, dans le reste du pays, la

misère est toujours là. Sur le plan diplomatique, le roi accepte à la fois l’aide du voisin soviétique et celui des Américains.

En juillet 1973, un coup d’Etatmilitaire transforme le pays en Ré­publique, avec à sa tête Moham­mad Daoud Khan, qui n’était autreque le cousin du roi. Promesses deréformes, rapprochement avec l’URSS avant qu’un nouveau coup d’Etat militaire n’assassine Daoud,en avril 1978. Le nouveau pouvoir remplit les prisons d’opposants et tente d’installer un régime de typesoviétique.

Le pays bascule dans un longtunnel de violences sans fin, entrerévoltes islamiques, guerres meurtrières, réfugiés par millions et occupations étrangères. Le deuxième volet du documentaire,consacré à l’occupation soviétique(1979­1989), propose des archives inédites, qui témoignent de la du­reté des combats.

alain constant

Afghanistan, un pays meurtri par la guerre, réalisé par Mayte Carrasco et Marcel Mettelsiefen (All., 2020, 4 × 52 min).

V O T R ES O I R É E

T É L É

0123 est édité par la Société éditricedu « Monde » SA. Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 124.610.348,70 ¤.Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).

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Page 24: Le Monde - 07 04 2020

24 | IDÉES MARDI 7 AVRIL 20200123

L’historien montre la nécessité de s’appuyer sur la solidarité internationale pour vaincre le Covid­19. C’est ainsi que l’humanité est parvenue, au cours du dernier siècle, à faire reculer l’impact des crises épidémiques

Face à l’épidémie due au coronavi­rus, beaucoup accusent la mon­dialisation et prétendent que leseul moyen d’éviter que ce scéna­rio se reproduise est de démon­dialiser le monde. Construire des

murs, restreindre les voyages, limiter les échanges. Et pourtant, si le confinement, à court terme, est essentiel pour freiner l’épidémie, l’isolationnisme, à long terme, provoquerait un effondrement de l’écono­mie sans offrir aucune protection contre les maladies infectieuses. Au contraire. Le véritable antidote à l’épidémie n’est pas la ségrégation, mais la coopération.

Les épidémies ont tué des millions degens bien avant l’ère de la mondialisa­tion. Au XIVe siècle, il n’y avait ni avion ni bateaux de croisière, ce qui n’a pas empê­ché la peste noire de se répandre de l’Ex­trême­Orient à l’Europe occidentale en guère plus de dix ans, tuant au moins un quart de la population. En 1520, au Mexi­que, il n’y avait pas de trains, pas de bus etpas même d’ânes, et pourtant une épidé­mie de variole a décimé en six mois à peine un tiers de ses habitants. En 1918,une souche particulièrement virulente de grippe parvint à se répandre en quel­ques mois jusque dans les coins les plus reculés de la planète. Elle contamina plus d’un quart de l’espèce humaine et causa la mort de dizaines de millions de per­sonnes en moins d’une année.

Au cours du siècle qui a suivi, l’huma­nité est devenue encore plus vulnérableaux épidémies par l’effet combiné d’une amélioration des transports et d’une croissance des populations. Aujourd’hui, un virus peut voyager en classe affaires à travers le monde en 24 heures et infecter des mégapoles. Nous aurions donc dûnous attendre à vivre dans un enfer infec­tieux où des fléaux mortels se seraient répandus les uns après les autres.

Dieux en colère, magie noire ou air viciéOr l’ampleur et l’impact des épidémies ont, en réalité, considérablement dimi­nué. Malgré des virus abominables comme le VIH ou Ebola, jamais depuis l’âge de pierre les épidémies n’ont causé aussi peu de morts, en proportion, qu’au XXe siècle. C’est parce que la meilleure dé­fense dont les hommes disposent contre les pathogènes, ce n’est pas l’isolement, c’est l’information. L’humanité a rem­porté la guerre contre les pathogènesparce que, dans la course aux armements à laquelle se livrent les pathogènes et les médecins, les pathogènes comptent sur des mutations aveugles et les médecinssur des analyses de données scientifiques.

Quand la peste noire a frappé auXIVe siècle, les gens n’avaient aucune idéede ce qui l’avait causée ni de ce qu’ils pou­vaient faire pour l’enrayer. Jusqu’à l’épo­que moderne, les hommes imputaient généralement les fléaux à des dieux encolère, à la magie noire ou à un air vicié,et ils ne suspectaient pas l’existence desbactéries et des virus. Ainsi, quand la peste noire ou la variole sont apparues, laseule chose envisagée par les autoritésétait d’organiser des messes aux diffé­rents dieux et saints. Sans effet.

Au siècle dernier, des scientifiques, desmédecins et des soignants du monde en­tier ont mis en commun des informa­tions et sont parvenus, ensemble, à comprendre à la fois les mécanismes des épidémies et les moyens de les combat­tre. La théorie de l’évolution a expliquépourquoi et comment de nouvelles mala­

Yuval Noah Harari La coopération est le véritable antidote à l’épidémie

dies font irruption et quand d’anciennes deviennent plus virulentes. La génétique a permis aux scientifiques de lire le moded’emploi des pathogènes. Tandis que les hommes du Moyen Age n’ont jamais dé­couvert ce qui avait causé la peste noire, ila fallu à peine deux semaines aux scienti­fiques pour identifier le nouveau corona­virus, séquencer son génome et dévelop­per un test fiable permettant d’identifier les individus contaminés.

Une fois que les scientifiques ont com­pris la cause des épidémies, il est devenu bien plus facile de les combattre. Les vac­cins, les antibiotiques, une meilleure hy­giène et une infrastructure médicale bien plus élaborée ont permis à l’humanité de prendre le dessus sur ses prédateurs invi­sibles. En 1967, 15 millions de personnes étaient encore atteintes de variole et 2 millions en mourraient. Mais, dix ans plus tard, après une campagne de vacci­nation, l’Organisation mondiale de lasanté (OMS) déclarait en 1980 que l’huma­nité avait gagné et que la variole était éra­diquée. En 2019, pas une seule personnen’a été infectée ou tuée par la variole.

Que nous apprend l’histoire face à l’épi­démie actuelle de Covid­19 ? D’abord, que l’on ne se protégera pas en fermant défi­nitivement nos frontières. Rappelons­nous que les épidémies se sont répan­dues rapidement même au Moyen Age, bien avant la mondialisation. Si, donc, on réduisait nos connexions mondiales àl’échelle d’un royaume médiéval, ce seraitencore insuffisant. Pour que l’isolement nous protège efficacement, il faudrait re­tourner à l’âge de pierre. Pouvez­vousfaire une telle chose ?

L’histoire indique ensuite que la vérita­ble protection vient du partage d’infor­mations scientifiques fiables et de la soli­darité internationale. Lorsqu’un pays estfrappé par une épidémie, il devrait parta­ger en toute transparence les données re­cueillies sur l’infection sans craindre une catastrophe économique, tandis que d’autres pays devraient pouvoir se fier à ces informations et tendre la main auxvictimes plutôt que les ostraciser.

La coopération internationale est égale­ment nécessaire pour que les mesures de confinement soient efficaces. Quarantai­nes et confinements sont décisifs pourarrêter la propagation d’une épidémie.Mais, lorsque les pays se méfient les uns des autres et que chacun a l’impressiond’être livré à lui­même, les gouverne­ments hésitent à adopter des mesures sidrastiques. Si vous découvrez 100 cas de Covid­19 dans votre pays, déciderez­vous de fermer des villes et des régions entiè­res ? Dans une large mesure, cela dépend de ce que vous pouvez espérer des autres pays. Confiner vos villes pourrait provo­quer un effondrement économique. Si vous pensez que d’autres pays vous vien­

dront en aide, vous serez plus susceptibled’adopter une mesure aussi radicale. Mais si vous pensez qu’ils vous abandon­neront, vous hésiterez à le faire jusqu’à cequ’il soit trop tard.

Face à de telles épidémies, le plus impor­tant est peut­être de comprendre que la propagation de l’épidémie dans n’im­porte quel pays met en péril l’humanité tout entière. Parce que les virus évoluent. Des virus comme le SARS­CoV­2 provien­nent d’animaux, comme la chauve­sou­ris. Lorsqu’ils se transmettent aux hu­mains, les virus ne sont d’abord pas bien adaptés à leurs hôtes. Lorsqu’ils se répli­quent au sein des organismes humains, ils peuvent subir des mutations.

La plupart de ces mutations sont inof­fensives. Mais il arrive qu’une mutation rende le virus encore plus contagieux ouplus résistant au système immunitairehumain, et cette souche mutante se ré­pandra alors très rapidement parmi la po­pulation. Sachant qu’un seul individu peut héberger un milliard de milliards de particules virales soumises à des muta­tions constantes, chaque personne conta­minée donne au virus un milliard de mil­liards de plus de chances de mieux s’adap­ter à l’homme.

Cela ne relève pas de la spéculation.En 2014, une seule mutation dans un seul virus Ebola qui avait infecté un seul être humain a rendu Ebola quatre fois plus contagieux pour les hommes ; de relativement rare, la maladie à virusEbola est ainsi devenue une épidémie dé­vastatrice. Tandis que vous lisez ces li­gnes, une mutation semblable a peut­être lieu dans un seul gène du SARS­CoV­2 ayant contaminé quelqu’un àTéhéran, à Milan ou à Wuhan. Si tel est bien le cas, cela ne menace pas simple­ment les Iraniens, les Italiens ou les Chi­nois, mais votre vie aussi, directement. Le monde entier a intérêt à ne pas laissercela se produire. Ce qui signifie protégerchaque personne dans chaque pays.

Dans les années 1970, l’humanité aréussi à vaincre le virus de la variole parceque partout dans le monde les gens ont été vaccinés contre la variole. Si un seul pays avait échoué à vacciner sa popula­tion, il aurait mis en danger toute l’huma­nité, car tant que le virus de la variolecontinuait d’exister et pouvait évoluer quelque part, il pouvait se répandre ànouveau partout.

L’accès aux soins, élément majeurDans la bataille contre les virus, l’huma­nité a besoin de protéger étroitement ses frontières. Mais pas les frontières qui exis­tent entre les pays, plutôt celle qui sépare le monde des hommes de celui des virus. La planète Terre fait équipe avec d’innom­brables virus, et de nouveaux virus évo­luent constamment à cause de mutationsgénétiques. La ligne de démarcation entrele monde des virus et le monde des hom­mes passe à travers le corps de chaque être humain. Si un dangereux virus par­vient à franchir cette frontière à n’im­porte quel point du globe, c’est toute l’es­pèce humaine qu’il met en danger.

Au cours du siècle passé, l’humanité afortifié cette frontière comme jamais elle ne l’avait fait auparavant. Les systèmes desanté modernes ont été conçus pour ser­vir de mur le long de cette frontière, et lessoignants, les médecins et les chercheurs sont les gardes qui patrouillent et repous­sent les intrus. Or de longues portions de cette frontière sont restées exposées. Des

millions de personnes à travers le monden’ont pas accès aux soins. Cela met en danger chacun d’entre nous. Nous som­mes habitués à penser la santé en termes nationaux, mais fournir un meilleur sys­tème de santé aux Iraniens et aux Chi­nois aide à protéger aussi les Israéliens et les Français des épidémies. Pour le virus, il n’y a aucune différence entre des Ira­niens, des Chinois, des Français et des Is­raéliens. Pour le virus nous sommes tous des proies. Cette vérité toute simple de­vrait être une évidence pour tous, mais malheureusement elle échappe même à certains personnages parmi les plus im­portants de la planète.

L’humanité fait face aujourd’hui à unegrave crise, pas seulement à cause ducoronavirus mais aussi à cause de la dé­fiance que les hommes ont les uns en­vers les autres. Pour vaincre une épidé­mie, il faut que les gens aient confiancedans les experts scientifiques, les ci­toyens dans les autorités publiques, et que les pays se fassent mutuellement confiance. Ces dernières années, des po­liticiens irresponsables ont délibéré­ment sapé la confiance que l’on pouvaitavoir en la science, envers les autorités publiques et dans la coopération inter­nationale. En conséquence, nous faisonsaujourd’hui face à cette crise sans leadersmondiaux susceptibles d’inspirer, d’or­ganiser et de financer une réponse glo­bale coordonnée.

Les Etats-Unis sont restés sur la toucheDurant l’épidémie d’Ebola en 2014, les Etats­Unis avaient assuré ce rôle de lea­der. Tout comme en 2008, lors de la crise financière, quand ils ont rassemblé der­rière eux suffisamment de pays pour em­pêcher une crise économique mondiale. Mais ces dernières années, les Etats­Unis ont renoncé à leur rôle de leader mondial.Le gouvernement actuel l’a clairement fait savoir : les Etats­Unis n’ont doréna­vant plus de véritables amis, ils n’ont que des intérêts. Lorsque la crise du coronavi­rus a éclaté, les Etats­Unis sont restés sur la touche et s’abstiennent depuis de jouerun rôle de premier plan. Même s’ils de­vaient finalement l’assumer, la confiancequ’inspire le gouvernement américain est à ce point dégradée que peu de pays seront prêts à les suivre. Accepteriez­vousde suivre un leader dont la devise est « Moi d’abord » ?

Le vide laissé par les Etats­Unis n’a étécomblé par aucun autre Etat. Au contraire.La xénophobie, l’isolationnisme et la mé­fiance caractérisent pratiquement désor­mais l’ensemble du système internatio­nal. Sans confiance et solidarité mondia­les, nous ne pourrons pas enrayer l’épidémie de Covid­19 et nous aurons probablement dans le futur à affronter d’autres épidémies de ce genre. Chaque crise est néanmoins aussi une opportu­nité. Espérons que l’épidémie actuelle aidel’humanité à comprendre le danger aigu que représente la désunion mondiale.

Dans ce moment de crise, le combat dé­cisif se joue au sein même de l’humanité.Si cette épidémie conduit à une désu­nion et à une méfiance accrues entre leshommes, ce sera la plus grande victoiredu virus. A l’inverse, si l’épidémie en­traîne une coopération mondiale plus étroite, alors nous n’aurons pas seule­ment vaincu le coronavirus, mais tous les pathogènes à venir.

Traduit de l’anglais parPauline Colonna d’Istria

Yuval Noah Harari est spécialiste de l’histoire militaire et médiévale, et l’auteur d’un ouvrage devenu un best-seller mondial, « Sapiens. Une brève histoire de l’humanité » (Albin Michel, 2015), et de « 21 leçons pour le XXIe siècle » (Albin Michel, 2018). Maître de conférences au département d’histoire de l’Uni-versité hébraïque de Jérusalem, il s’intéresse tout particulièrement aux connaissances et aux aptitudes qui ont permis à l’homme d’accélérer son dévelop-pement à différents moments de l’histoire, et aux risques dont sont porteuses ces évolutions.

Cet article a d’abord été publié en anglais dans l’hebdomadaire américain « Time »

L’HUMANITÉ FAIT FACE AUJOURD’HUI À UNE GRAVE CRISE, PAS SEULEMENT À CAUSE DU CORONAVIRUS, MAIS AUSSI À CAUSE DE LA DÉFIANCE QUE LES HOMMES ONT LES UNS ENVERS LES AUTRES

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0123MARDI 7 AVRIL 2020 idées | 25

Adrien Abecassis, Dipayan Ghosh et Jack Loveridge L’état d’exception numérique n’est pas censé survivre au coronavirusL’usage de dispositifs de traçage des citoyens doit être réversible, temporaire et proportionné, préviennent les trois chercheurs à Harvard

L’épidémie due au coronavi­rus met sous pression nossociétés. Elle ébranle aussil’idée de démocratie et de li­

berté : qui aurait pensé que se pro­mener dans la rue puisse devenir, du jour au lendemain, interdit, passible d’amende ? En quelques heures, des habitudes et croyan­ces que l’on pensait profondé­ment ancrées ont été renversées.

Comme les impératifs de santépublique ont percuté des princi­pes aussi fondamentaux que laliberté d’aller et venir, tout porteà croire qu’ils entreront enconflit avec la protection de la vie privée. L’Allemagne, l’Italie, leRoyaume­Uni étudient le déploiement d’outils de localisa­tion puissants, intrusifs, utili­sant les données des téléphonesportables pour suivre les mouve­ments des porteurs de virus.Emmanuel Macron vient d’enga­ger cette discussion en France.

L’idée de déployer un dispositifde surveillance de masse réveille évidemment des craintes d’utili­sation abusive, d’excès de pouvoir de ceux qui détiendront ces don­nées, de conséquences potentiel­lement désastreuses pour les li­bertés publiques. Cela irait contre les principes que nous avons éri­

gés pour nous prémunir du spec­tre d’une surveillance totalitaire. Les lois sur la privauté des don­nées personnelles, pour lesquellesl’Europe fait figure d’exception dans le monde, sont le reflet de cette culture.

Et pourtant, le virus sera présentplus longtemps que le confine­ment ne sera supportable. Il fau­dra bien imaginer des dispositifs permettant de regagner de la li­berté de mouvement alors même que le virus circulera encore. Le plus probable est que cela passera par une combinaison de tests mé­dicaux généralisés et de technolo­gie de suivi personnalisé. Ce mo­dèle a fait ses preuves : la Corée du Sud, Singapour, Hongkong ont tous réussi à résorber la pandémiesans confinement prolongé (par­fois sans confinement du tout).

En terrain inconnuSi nous devons choisir, dansquelques semaines, entre l’effon­drement dû à un arrêt prolongédu pays et l’acceptation de dispo­sitifs de suivi que nous aurionsrefusés en temps normal, que fe­rons­nous ?

Il n’y a pas de réponse univoqueà cette question : nous allons vers des terrains inconnus. Le pire se­

rait, sous la pression de l’urgence, de s’engager dans une voie sans en maîtriser les conséquences. Quelques principes pourraient guider la réflexion.

D’abord, ces dispositifs de­vraient être temporaires et réver­sibles. Il ne s’agit pas de « norma­liser » des outils de surveillance de masse : l’état d’exception nu­mérique n’est pas censé survivre à la crise. Dès leur conception, les conditions de leur extinction doi­vent être programmées. Il y aura des pressions pour utiliser les données collectées, qui auront une valeur immense, pour d’autres objets – y compris pour le bien commun, par exemple pour améliorer les transports, les infrastructures de soins… Par principe, sauf à démontrer un intérêt public considérable, la ré­ponse devrait être négative. C’estune question de confiance.

Ensuite, ces dispositifs devraientêtre strictement proportionnés. Pour suivre la pandémie, la Corée du Sud collecte non seulement les données personnelles de loca­tions cellulaires et GPS, mais aussiles données de transports publics, de cartes de crédit, les dossiers d’immigration… L’utilité de cha­que donnée devrait être stricte­

ment démontrée, ainsi que le champ recherché. Il ne saurait ainsi être question de collecter desdonnées GPS des trois derniers mois pour lutter contre un virus ayant une période d’incubation dedeux semaines.

Angle mort des dataDe même, tout n’est pas accepta­ble sous prétexte d’une meilleure efficacité. En Chine, par exemple, les citoyens doivent télécharger une application agglomérant les données de leur téléphone avec leurs données de santé et attri­buant à chaque personne un code de couleur reflétant cet état (vert, jaune ou rouge). Pour entrer dans un centre commercial, prendre untrain, il faut scanner un QR code généré par le téléphone. Un algo­rithme détermine si la personne peut entrer dans les espaces publics ou si elle doit être mise en quarantaine – le logiciel envoie alors les informations à la police locale. Si l’utilisation de l’intelli­gence artificielle ne peut, par prin­cipe, être exclue pour juguler la pandémie, il ne saurait être ques­tion d’entrer dans un tel niveau decontrôle, ni de déléguer à des algo­rithmes des décisions de confine­ment individuel.

Enfin, et ce n’est pas la moindredes leçons, il faudra se demander pourquoi nous devons improvi­ser des principes d’exception enmatière de données personnelles et de surveillance en pleine crise. Il s’agit, en fait, d’un problème structurel : les grands textes sur les droits fondamentaux, régis­sant les équilibres démocratiquesentre libertés individuelles et né­cessités collectives, s’appliquent très mal dans le monde numéri­que. Les Européens ont entreprisde combler cette lacune en sup­posant que chacun serait capable de contrôler ses propres données (et d’en autoriser ou non l’accès).

Les questions qui se posent au­jourd’hui montrent que cette ap­proche est incomplète. L’argu­ment pour des dispositifs de sur­veillance est précisément de devoir balancer le nécessaire res­pect de la vie privée avec les obli­gations mutuelles que nousavons, en société, les uns enversles autres – en l’occurrence, ne pas contaminer son prochain. Pour cela, le consentement indi­viduel ne suffit pas : il s’agit biend’une question politique, d’unchoix collectif déterminant le fonctionnement d’une commu­nauté humaine.

Cet angle mort du cadre de laprotection des données devrait nous interpeller. Ces dernières années, plusieurs voix se sont éle­vées à travers le monde – dont celle du président de la Républi­que – pour un effort international visant à définir les droits et de­voirs fondamentaux dans le monde numérique. Appeler dès maintenant à reprendre sérieuse­ment cet effort montrerait que nous ne nous engageons pas à l’aveugle dans ces dispositifs, sans nous soucier de leurs conséquen­ces à long terme sur l’équilibre de nos sociétés.

Adrien Abecassis est chercheur associé à l’Univer-sité d’Harvard (Kennedy School of Government)Dipayan Ghosh est codirec-teur du projet Technology and Democracy à l’Université d’Harvard (Kennedy School of Government) ; Jack Loveridge est chercheur associé à l’Université d’Har-vard (Weatherhead Center for International Affairs)

Stéphane Richard Les data seront indispensables à l’action sanitaire

Pour sortir du confinement, le PDG d’Orange préconise de suivre l’exemple de Singapour et de recourir au traitement de données individualisées de géolocalisation, avec le consentement de l’usagerC

omment sortir du confinement ?Une fois le pic épidémique passé,comme nombre de pays asiatiquesavant nous, l’Europe sera confron­

tée à ce défi redoutable : comment permet­tre à chacun de retrouver une vie normale,et à nos économies, profondément boule­versées, de redémarrer rapidement, tout en évitant une reprise de l’épidémie ?

La première réponse sera évidemmentsanitaire. Plus que jamais, nous aurons be­soin de nos personnels soignants dont l’en­gagement et la mobilisation, depuis le dé­but de cette crise, forcent le respect. Nousdevrons aussi maintenir dans la durée les gestes barrières, auxquels nous sommes désormais habitués, et poursuivre à grandeéchelle les tests de dépistage pour qu’aucune braise ne rallume l’incendie.

Mais la deuxième réponse, c’est de plusen plus évident, sera technologique. Je suis convaincu en effet que la technologie et une utilisation intelligente et raisonnée des data seront le complément indispensa­ble à l’action sanitaire. Le sujet est sensible, épidermique même. Il est aussi complexe,tant sur le plan juridique que technique. Le but ici est d’apporter un éclairage aussi fac­tuel que possible dans un débat trop sou­vent passionnel et sans nuances.

Prévention personnaliséeDisons­le tout de suite : il ne s’agit en rien d’imposer, comme à Taïwan, un contrôle numérique intensif des déplacements oude donner, comme en Israël, aux forces de l’ordre la possibilité de géolocaliser, vialeur téléphone, les personnes contami­nées pour garantir le respect de la quaran­taine. Ma position est simple. Nous avons la chance dans l’Union européenne d’avoirun cadre réglementaire protecteur : le rè­glement général sur la protection des don­nées (RGPD). Sachons l’utiliser dans toutesses dispositions !

Le RGPD permet, en premier lieu, de trai­ter des données anonymisées de géolocali­sation, c’est­à­dire suffisamment agrégées

pour ne pas permettre d’identifier un indi­vidu particulier. Orange a ainsi développé un outil de modélisation des flux de popu­lation à partir de données de géolocalisa­tion anonymisées que nous mettons à dis­position de l’Institut national de la santé etde la recherche médicale (Inserm). Cela permet, par exemple, de mesurer les dé­placements de la population à la suite des mesures de confinement, ou encore d’affi­ner les modèles épidémiologiques qui,sans cela, ne reposent que sur les données du transport aérien, forcément inexistan­tes en cette période… Autant d’informa­tions essentielles pour que les autorités sa­nitaires aient un temps d’avance sur la ma­ladie et dimensionnent en conséquence l’offre de soins dans les territoires.

Si elles sont utiles, ces données agrégéesne permettent pas, par définition, de faire de la prévention personnalisée, c’est­à­direde prévenir quelqu’un qu’il a été en con­tact avec une personne porteuse du virus,

et qu’il est donc à risque. Entrer dans cette logique suppose d’organiser un traitementde données de localisation individualisées.

Alors, que nous dit le RGPD ? Comme lerappelait encore récemment la Commis­sion nationale de l’informatique et des li­bertés (CNIL), le traitement de données in­dividualisées de géolocalisation est possi­ble, sous certaines conditions, dès lors que l’utilisateur y consent. Il faut donc imagi­ner ce que pourrait être une solution de prévention efficace, reposant sur le con­sentement individuel.

Recours au BluetoothA l’évidence, en matière de traitement des données personnelles, comparaison n’est pas raison. Attardons­nous toutefois uninstant sur l’exemple de Singapour, qui a développé une solution technologique­ment très performante, mais respectueusedes libertés publiques. Le principe est sim­ple. Les citoyens sont incités à télécharger sur leur téléphone une application bapti­sée TraceTogether. L’application utilise laconnexion Bluetooth de l’appareil pour identifier les autres téléphones situés àproximité. Si un contact rapproché et suffi­samment long est constaté, la donnée estenregistrée par l’application et stockée, de manière chiffrée, directement sur le télé­phone. Si l’utilisateur apprend par la suite qu’il est porteur du virus, il transmet auxautorités sanitaires le fichier contenant lesidentifiants des téléphones des personnes qu’il a croisées pendant la période d’incu­bation. Celles­ci sont ensuite contactées pour être averties du risque de contamina­tion et être dépistées de manière préven­tive. Sur le plan technique, recourir au

Bluetooth est bien plus efficace qu’une so­lution reposant sur les données GPS ou les données cellulaires pour détecter les télé­phones à proximité, y compris à l’intérieurdes immeubles.

Cette solution, qui repose sur le consente­ment, serait compatible avec le RGPD. De nombreuses garanties complémentaires pourraient être apportées dans une logique de protection des données individuelles. Sous le contrôle de la CNIL, les conditions d’expression du consentement devraient être parfaitement claires et explicites . Dès lafin de la crise, le système serait complète­ment désactivé et l’ensemble des données supprimées. Enfin, la mise en open source du code de l’application pourrait permettre à la communauté de développeurs d’en ga­rantir la sécurité et l’intégrité.

Evidemment, cette application n’aurad’utilité que si un nombre suffisant d’utili­sateurs accepte de la télécharger. Gageons que le civisme, la volonté collective d’en fi­nir avec ce virus, et surtout les garanties deprotection des données personnelles, se­ront autant de facteurs qui permettrontune adoption massive de cette démarche.

En complément d’une vaste campagne dedépistage, une application de ce type, con­forme au RGPD, construite et paramétrée avec les autorités sanitaires et reposant sur le consentement éclairé et l’esprit de res­ponsabilité individuelle, pourrait être par­ticulièrement utile en France pour assurer la sortie du confinement dans les meilleu­res conditions, et garantir l’avenir.

Stéphane Richard est président-directeur général d’Orange. Entre 2007 et 2009, il a été directeur de cabinet des ministres de l’économie Jean-Louis Borloo et Christine Lagarde

NOUS AVONS LA CHANCE, DANS L’UNION EUROPÉENNE, D’AVOIR UN CADRE RÉGLEMENTAIRE PROTECTEUR : LE RGPD. SACHONS L’UTILISER !

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Page 26: Le Monde - 07 04 2020

26 |0123 MARDI 7 AVRIL 20200123

P armi les innombrables défis posés ànos sociétés par la crise du Covid­19,les restrictions imposées aux liber­

tés individuelles figurent en bonne place. Tout porte à croire que les interrogationslégitimes que nous devons avoir à ce sujet se poursuivront au­delà de la période du confinement, lorsque la phase la plus aiguëde la pandémie sera passée.

S’il est encore trop tôt pour envisager ledéconfinement en France, il est du devoirdes pouvoirs publics de le préparer, afin que le pays puisse se remettre en ordre demarche et que l’activité économique puissereprendre dans les meilleures conditions, en limitant au maximum les effets de pos­sibles vagues successives de contamina­tion. L’un des instruments indispensables

à cet effet sera la pratique généralisée du dépistage. Un autre instrument à l’étude est celui du traçage numérique de la popu­lation, afin de vérifier la circulation du vi­rus, à l’aide de données fournies par les té­léphones personnels.

En Asie, ce procédé a été largement em­ployé dans la lutte contre le Covid­19, demanière coercitive en Chine, plus consen­suelle en Corée du Sud et à Singapour, où les informations issues du traçage des per­sonnes contaminées sont accessibles à tous. Les Européens, eux, ont une attitudedifférente à l’égard de cette surveillance : ilssont aujourd’hui plus protecteurs des don­nées personnelles cédées à des entreprises privées comme Google et Facebook et tra­ditionnellement réticents à ce type d’utili­sation massive par l’Etat.

Les applications mises au point pour uti­liser les données des smartphones dans lecadre de la lutte contre le coronavirus pré­sentent différents degrés d’intrusion. Le modèle à l’étude dans plusieurs pays euro­péens privilégie le suivi des contacts : plu­tôt que de tracer les déplacements d’unepersonne infectée, il s’agit d’identifier quicette personne a côtoyé, en détectant lestéléphones à proximité, grâce notammentà la technologie sans fil Bluetooth.

Ce procédé permettrait aux autorités sa­nitaires de prévenir les personnes cô­toyées afin que celles­ci se fassent dépister

et, le cas échéant, traiter, ou qu’elles seconfinent.

Les premiers sondages d’opinion révèlentun taux d’acceptation élevé pour ces dispo­sitifs, confirmant une tendance désormais familière : dès lors que notre sécurité est menacée, nous sommes plus tolérants à l’égard des restrictions aux libertés publi­ques. Que les autorités sanitaires puissent mettre à profit la technologie numériquepour limiter la progression du virus est uneexcellente chose, mais il est impératif que le recours éventuel à des applications de traçage de contacts soit encadré par un en­semble de strictes garanties.

Celles­ci pourront être recommandéespar la Commission nationale de l’informa­tique et des libertés. Mais un certain nom­bre de conditions paraissent, à ce stade, s’imposer : ce type de dispositif doit être strictement limité dans le temps ; il doit se faire sur la base du consentement des per­sonnes concernées ; il doit être soumis au contrôle du Parlement et du pouvoir judi­ciaire. De manière générale, il devra respec­ter les principes de protection des données personnelles déjà en vigueur.

Un consensus semble se former sur le faitque le monde post­coronavirus sera diffé­rent de celui d’avant. Il serait dommage de renier pour autant les acquis du « monded’avant » : la protection des données pri­vées en est un, à l’échelle européenne.

Tirage du Monde daté dimanche 5 ­ lundi 6 avril : 153 740 exemplaires

TRAÇAGE DU CORONAVIRUS : OUI, AVEC DES GARDE­FOUS

K eep America great ».Après s’être convaincud’avoir rendu sa gran­deur à l’Amérique, Do­

nald Trump avait adopté ce sloganpour briguer sa réélection à la pré­sidence des Etats­Unis en novem­bre. Mais en quelques semaines, lapandémie de Covid­19 a rendu ca­duque cette ambitieuse promesse.Désormais, maintenir la préten­due « grandeur » du pays passe ausecond plan, il est surtout ques­tion de remédier aux défaillances que cette crise révèle.

Aucun pays, à commencer par laFrance, n’échappera à un travail d’introspection sur la façon dontil a anticipé, traversé et surmonté cette épreuve. Mais, au moment où les Etats­Unis entrent dans la période la plus difficile en matièrede saturation des hôpitaux, d’ex­plosion du nombre de morts liéesau virus, doublée d’une augmen­tation stratosphérique des licen­ciements, le modèle américain n’a jamais semblé aussi fragile.

Les peurs d’une société en di­sent parfois plus sur sa vulnérabi­lité que bien des discours. En mars, il s’est vendu 2 millions d’ar­mes aux Etats­Unis, le double du mois précédent. Cette frénésie est alimentée par la crainte que la pandémie aboutisse à des pénu­ries et des débordements. Depuis que Donald Trump a décrété que les marchands d’armes sont des commerces « essentiels » pouvant bénéficier d’une dérogation au confinement, les faits divers liés au Covid­19 alimentent les infos locales. Aux Etats­Unis, les armes à feu sont considérées comme une réponse à beaucoup problè­mes, même si elles sont à l’originede 38 000 décès chaque année.

Plus que d’armes, les Améri­cains auraient surtout besoind’un système de couverture mé­dicale digne de ce nom. Le débatsur l’amélioration de celui­ci n’apas attendu le Covid­19 pour s’ouvrir. Il était déjà au cœur de la primaire démocrate, avant que lacrise sanitaire ne l’éclipse. Il ris­que de revenir en force au mo­ment de l’élection présidentielle.

Les Etats­Unis sont le pays quiconsacre le plus d’argent à lasanté (17 % du PIB, contre 11 % en France) tout en ayant un système peu efficace et très inégalitaire. Avec moins de 3 lits d’hôpital pour 1 000 habitants (6 en France et 13 au Japon), une espérance devie inférieure à la moyenne despays de l’OCDE, des taux de co­morbidité au Covid­19 (40 % desAméricains sont obèses, un sur trois souffre de diabète, un surdeux de maladie cardio­vascu­laire) parmi les plus élevés au monde, les Etats­Unis comptent 30 millions de personnes quin’ont aucune couverture santé, tandis qu’un Américain sur deuxdéclare être sous­assuré.

Depuis son élection, DonaldTrump a taillé dans les budgetsdes agences de santé et détricotél’Obamacare, le système d’assu­rance mis en place par son prédé­cesseur. La situation déjà précairerisque de s’aggraver avec l’explo­sion du chômage, dans la mesure où la moitié des Américains bé­néficient d’une assurance santé grâce à leur travail.

La flexibilité du marché de l’em­ploi propre aux Etats­Unis mon­tre, elle aussi, ses limites aveccette crise. Quand l’Europe tente

de maintenir les salariés dans les entreprises grâce à des mesures de chômage partiel financées par les Etats, l’Amérique licencie àtour de bras. Dix millions de per­sonnes sont déjà au chômage. Le chiffre pourrait grimper jusqu’à 47 millions, selon la Fed de Saint­Louis, tandis que le taux de chô­mage tendrait vers les 30 %.

Comme le souligne le Centrepour une croissance équitable,un think tank basé à Washing­ton, « c’est une cascade qui, unefois lancée, est très difficile à arrê­ter ». Même si les embauches re­prennent vite avec la reprise, tout le monde ne rebondira pas.« C’est une grave erreur de la poli­tique menée par l’administration Trump », a estimé Patrick Artus,chef économiste de la banqueNatixis, le 4 avril sur Europe 1.« Groceries or therapy ? » (« ache­ter à manger ou se soigner ? ») :cette question sera sur de nom­breuses lèvres ces prochaines se­maines, et ce ne sont pas les1 200 dollars (1 108 euros) que les Américains les moins riches tou­cheront dans le cadre du plan de2 000 milliards voté par le Con­grès qui vont changer la donne.

L’illusion d’un pays au sommetCe gâchis humain pourrait se dou­bler de conséquences macroéco­nomiques. Etant donné que, selonla Réserve fédérale (Fed), 40 % des Américains ne peuvent pas faire face à une dépense imprévue de plus de 400 dollars, on peut facile­ment imaginer que, ’avec l’explo­sion du chômage, les défauts sur les crédits à la consommation vont se multiplier, ce qui peut dé­boucher sur une crise bancaire.

Dernière vulnérabilité sur la­quelle les Etats­Unis devront bien se pencher un jour : la dérive de la première chaîne d’information, Fox News, qui a joué un jeu très dangereux dans sa couverture du coronavirus. Approximations, fausses informations, minorationsystématique de la gravité de la si­tuation, la chaîne de Rupert Mur­doch n’a reculé devant rien pour protéger Donald Trump, alors que son bilan économique partait en fumée avec la crise sanitaire. Cela acontribué à entretenir jusqu’à très récemment un scepticisme assez fort dans l’électorat républicain, le cœur de l’audience de Fox News.

Le directeur du Harvard GlobalPublic Health Institute, Ashish Jha, a été jusqu’à affirmer au New York Times que Fox News pouvait avoir une part de responsabilité dans la propagation du virus. Ces accusations ont été relayées parune pétition signée par des uni­versitaires et des journalistes de renom pour dénoncer le traite­ment biaisé de la chaîne.

La colère des oubliés de la mon­dialisation avait été le moteur de lavictoire de Donald Trump en 2016.Depuis, il a entretenu l’illusiond’un pays au sommet de sa puis­sance grâce à une croissance do­pée par le déficit budgétaire et des marchés financiers stimulés par lelaxisme de la politique monétaire.Le Covid­19 vient de faire éclater cette bulle, laissant le pays encore plus vulnérable à ses inégalités et dysfonctionnements. Avant de parler de « grandeur » de la nation,peut­être faudrait­il commencer par la réparer.

PLUS QUE D’ARMES, LES AMÉRICAINS 

AURAIENT BESOIN D’UN SYSTÈME DE 

COUVERTURE MÉDICALE DIGNE DE CE NOM

ÉCONOMIE | CHRONIQUEpar stéphane lauer

Le Covid-19 et lesfaiblesses de l’Amérique

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