Le Mot de Cambronne

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L'histoire d'une légende à la vie dure.

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LE MOT DE CAMBRONNE

Par Michel Damiens

Mars 2012

Un petit mot dintroductionLe joli petit village de Plancenoit a conserv quelques maisons historiques. Lune delles, situe sur lun des cts de lglise1, est une fermette qui existait en 1815. En 1993, elle appartenait M. Achille Castiaux, g de 72 ans cette poque et qui y habitait depuis sa naissance. Georges Jacqmain a rencontr M. Castiaux en 19932. Mais trop proccup par le sujet de sa recherche les boteresses ligeoises lminent juriste na pas song lui demander pourquoi et depuis quand sa maison portait entre les deux plus grandes fentres de sa faade linscription en fer forg Au mot de Cambronne . Nous navons pu non plus obtenir de rponse cette question, la maison tant inoccupe au moment o nous nous y sommes rendu. Sagit-il rellement du mot en cinq lettres que les dictionnaires donnent comme apparu dans le roman de Renart au XIIIe sicle ? Ou bien Cambronne a-t-il prononc des mots plus dignes de figurer dans le Panthon des paroles historiques ?... Quoique plutt folklorique, voil lune des controverses qui fit le plus rpandre dencre par tous les auteurs mais qui dmontre merveille comment ils peuvent tordre les documents dans tous les sens pour leur faire dire ce quils ne disent pas Qua dit Cambronne quand les Anglais le sommrent de se rendre au soir de la bataille de Waterloo ? A-t-il seulement dit quelque chose ? Et la-t-on seulement somm de se rendre ? Les avis des auteurs divergent, cest le moins quon puisse dire

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Au n1, rue de la Cule. G. Jacqmain Les Boteresses ligeoises la Butte du Lion de Waterloo (1826) ? Braine-lAlleud, J.M. Collet, s.d. (2000).

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Le gnral Cambronne aprs 1815

Le mot du grand VictorSans doute est-ce Victor Hugo qui a donn lpisode sa plus pique interprtation : Quelques carrs de la garde, immobiles dans le ruissellement de la droute comme des rochers dans de leau qui coule tinrent jusqu' la nuit. La nuit venant, la mort aussi, ils attendirent cette ombre double, et, inbranlables, sen 1aissrent envelopper. Chaque rgiment, isol des autres et nayant plus de lien avec larme rompue de toutes parts, mourait pour son compte. Ils avaient pris position, pour faire cette dernire action, les uns sur les hauteurs de Rossomme, les autres dans la plaine de MontSaint-Jean, L, abandonns, vaincus, terribles, ces carrs sombres agonisaient formidablement. Ulm, Wagram, Ina, Friedland, mouraient en eux. Au crpuscule, vers neuf heures du soir, au bas du plateau de Mont-Saint-Jean, il en restait un. Dans ce vallon funeste, au pied de cette pente gravie par les cuirassiers, inonde maintenant par les masses anglaises, sous les feux convergents de lartillerie en-

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nemie victorieuse, sous une effroyable densit de projectiles, ce carr luttait. Il tait command par un officier obscur nomm Cambronne. A chaque dcharge, le carr diminuait, et ripostait. Il rpliquait la mitraille par la fusillade, rtrcissant continuellement ses quatre murs. De loin les fuyards, sarrtant par moment essouffls, coutaient dans les tnbres ce sombre tonnerre dcroissant. Quand cette lgion ne fut plus quune poigne, quand leur drapeau ne fut plus qu'une loque, quand leurs fusils puiss de balles ne furent plus que des btons, quand le tas de cadavres fut plus grand que le groupe vivant, il y eut parmi les vainqueurs une sorte de terreur sacre autour de ces mourants sublimes, et lartillerie anglaise, reprenant haleine, fit silence. Ce fut une espce de rpit. Ces combattants avaient autour deux comme un fourmillement de spectres, des silhouettes dhommes cheval, le profil noir des canons, le ciel blanc aperu travers les roues et les affts ; la colossale tte de mort que les hros entrevoient toujours dans la fume au fond de la bataille, savanait sur eux et les regardait. Ils purent entendre dans lombre crpusculaire quon chargeait les pices, les mches allumes pareilles des yeux de tigre dans la nuit firent un cercle autour de leurs ttes, tous les boute-feu des batteries anglaises sapprochrent des canons, et alors, mu, tenant la minute suprme suspendue au-dessus de ces hommes, un gnral anglais, Colville selon les uns, Maitland selon les autres, leur cria : Braves Franais, rendez vous ! Cambronne rpondit : Merde !3 Le grand Victor accompagne ce chapitre dun commentaire qui vaut la peine dtre transcrit son tour : Le lecteur franais voulant tre respect, le plus beau mot peuttre quun Franais ait jamais dit ne peut lui tre rpt. Dfense de dposer du sublime dans lhistoire. A nos risques et prils, nous enfreignons cette dfense.3

Victor Hugo Les Misrables Verviers, Grard, coll. Marabout gant n 139, vol 1, s.d., p. 308-309. Commenc en 1843, soit un an aprs la mort de Cambronne mais publi en 1862. Est-il possible quHugo ait recueilli le mot de la bouche mme de Cambronne ? Les deux hommes ont certainement d se rencontrer.

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Donc, parmi tous ces gants, il y eut un titan. Cambronne Lhomme qui a gagn la bataille de Waterloo, ce nest pas Napolon en droute, ce nest pas Wellington pliant quatre heures, dsespr cinq, ce nest pas Blcher qui ne sest point battu ; lhomme qui a gagn la bataille de Waterloo, cest Cambronne. Foudroyer dun tel mot le tonnerre qui vous tue, cest vaincre4[5] Mme si, comme nous allons le dire, ce que nous raconte Hugo est totalement loign de la ralit, nous nous inclinons, comme chaque fois que nous le citons, devant le gnie du grand pote.

Dautres auteurs moins heureuxMarcel Dupont

Hlas ! il est impossible den faire autant devant les pauvres moyens dautres auteurs. Dabord, la lgende telle quelle est conte 5 par un auteur des annes 1950, Marcel Dupont, inspire sans doute par Hugo et amplifie linfini avec aussi peu de talent quHugo en avait infiniment : Chaque bataillon est form en triangle, la pointe tourne vers Rossomme6. Les voici gravissant la pente de la Belle-Alliance, leur Golgotha. A pas lents, ils ont l'air de suivre un convoi funbre. Les hommes faisant front lennemi marchent reculons7 en faisant feu et en rechargeant leurs armes8. Ils trbuchent sur les cadavres, ils se heurtent aux mourants. Les blesss, assembls au centre des triangles, avancent en se soutenant les uns les autres et augmentent les difficults de la retraite, mais nul ne songe les abandonner. Peu peu les fantassins anglais se sont glisss entre les bataillons, ils les entourent et les sparent. Les triangles ne sont plus que quatre pe4 5

Id., pp. 309-310. Conte est bien le mot. Nous ne rsistons pas au plaisir de reproduire ce texte dune haute envole lyrique et patriotique. Mais nous nous ferons la joie de le truffer de commentaires chaud . Comme nous le verrons, il ny a pas un mot dexact dans cet extrait 6 Cest exactement linverse : la pointe doit tre tourne vers lennemi si lon veut que cette formation dailleurs peu orthodoxe, ait une chance dtre efficace. 7 Curieuse manire de suivre un convoi funbre 8 Il est rigoureusement impossible de recharger un fusil mod. 1777 en marchant.

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tits paquets informes encercls de toute part et o chaque balle touche son homme. Les artilleurs ennemis, poussant leurs pices bras, les suivent pas pas, ne sarrtant que pour tirer et recharger mitraille9. Une nouvelle rafale dferle soixante mtres et fait sauter larmature de trois des bataillons. Les faces des triangles ne sont plus marques que par des jonches de morts et de blesss parmi lesquelles se dressent encore quelques braves debout, continuant faire tte, la baonnette croise. Sur ces dbris lennemi se prcipite avec des hurlements de bte10. Un seul des bataillons a survcu, celui du 1er Chasseurs, aux ordres du brave Cambronne. Ils ne sont plus quune centaine. Pour boucher les trous causs par la dernire salve ils se sont aussitt resserrs autour de leur gnral, ne formant plus quun petit cercle de fantmes dresss au milieu dun vaste cimetire ayant rejet tous ses morts11. O hrosme! O grandeur! saintet de ltat militaire o le guerrier est prt donner sa vie plutt que de sacrifier lhonneur de ses armes. Tte haute, les chasseurs font face la mort. Cette mort, ils le savent, ne peut plus rien sauver de ce que fut larme impriale, elle sauvera du moins la rputation de la Vieille Garde. Devant tant de bravoure, lennemi lui-mme sarrte, haletant. Les dernires lueurs de cette effroyable journe clairent d'un reflet sinistre cette poigne de hros isols au milieu de trente mille vainqueurs. Un simple geste les disperserait dans le gigantesque charnier, mais ce geste ressemblerait un assassinat. Les canons, les fusils se taisent. Des voix crient : Rendez-vous, Franais !... Rendez-vous ! Les chasseurs haussent les paules et de l'un l'autre se passent le mot

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Poussent-ils aussi les caissons bras ? Tant qu faire, autant pousser, outre les canons, des hurlements de btes Il est vrai que ce ne sont que des Anglais 11 On verra plus loin ce quil en est. Pour le moment, nous nous contenterons de dire que loin de se resserrer autour de leur gnral, les chasseurs reculaient si vite quils laissrent derrire eux Cambronne et deux autres officiers.10

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Ne nous rendons pas... La Garde ne se rend pas ... Il faudra donc les tuer jusquau dernier. La fusillade reprend, le cercle ennemi se resserre autour des martyrs. On pousse deux pices cinquante pas12. Les canonniers soufflent sur la mche. Cambronne, fou de rage, seul cheval au milieu de ses derniers chasseurs, les encourage tenir jusquau bout. Les boutefeux se lvent, mais un gnral anglais empche la dernire dcharge. Il savance de trois pas et, la voix tremblante13, supplie : Braves grenadiers, rendez-vous !... Vous serez traits comme les premiers soldats du monde... Rendez-vous, grenadiers ! Alors Cambronne, excd, se penche et pleins poumons lui rpond : Merde ! Les deux canons crachent leur paquet de mitraille. Ils ne sont plus quune quarantaine, presque tous blesss. Cambronne s'est croul, un clat en plein visage. Deux de ses hommes se penchent, veulent le soulever, lemporter. Mais Cambronne les repousse. Malgr le sang qui ruisselle de sa blessure et lui fait un masque rouge, il a encore la force d'ordonner : Laissez-moi. Je veux mourir ici. Adieu !... Retournez votre place et tant que vous aurez une cartouche, protgez la retraite de larme, de lEmpereur ! Il retombe vanoui. Les Anglais se ruent sur les derniers survivants, les crasent14. Les quatre bataillons de la Garde ont disparu.15 Henry Houssaye

Henry Houssaye raconte un peu plus srieusement : Au milieu des coups de feu, des officiers anglais criaient de se rendre ces vieux soldats. Cambronne tait cheval dans le carr12 13

Nous demandons au lecteur de rflchir ce que cette distance a de bizarre Il est vrai que cest un Anglais et que, cest connu, les Anglais tremblent de peur devant le moindre chasseur de la Garde 14 me er En ralit, les restes du 2 bataillon du 1 chasseurs rejoignirent aussi vite quils purent le er er 1 bataillon du 1 grenadiers. 15 Marcel Dupont La Garde meurt 1815 Paris, Lavauzelle, 1981, p. 168.

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du 2me bataillon du 1erChasseurs. De dsespoir, touffant de colre, exaspr par les incessantes sommations de lennemi, il dit rageusement : M. ! Peu dinstants aprs, comme il allait atteindre avec son bataillon les sommets de la Belle-Alliance, une balle en plein visage le renversa sanglant et inanim.16 Houssaye accompagne ce paragraphe dune longue note trs argumente que nous recopions : Jai runi et confront tous les tmoignages relatifs la rponse de Cambronne. Je les publierai quelque jour sous le titre : La garde meurt et ne se rend pas, Histoire dun mot historique17. Jen donne sommairement ici les conclusions : 1 De lensemble de ces tmoignages, il parat certain que le gnral dit ou la phrase ou le mot, ou encore ceci : Des gens comme nous ne se rendent point. 2 Cambronne a toujours ni nergiquement avoir prononc la phrase, qui semble avoir t invente Paris, quelques jours aprs la bataille de Waterloo, par un rdacteur du Journal gnral.18 3 Cambronne a ni aussi, bien quavec plus dembarras, il est vrai, avoir dit le mot. Mais alors quon ne sexplique pas pourquoi il a ni la phrase, si vraiment il la prononce, on comprend facilement quil ait ni le mot, mme sil la dit. Cambronne, qui tait devenu le vicomte Cambronne par une faveur de Louis XVIII et qui avait pous une Anglaise, tenait passer pour un homme bien lev . 4 A Nantes, o est mort Cambronne en 1843, il tait de notorit publique que, malgr ses dngations, dailleurs pleines de rticences, il avait dit le mot. 5 En se reprsentant par la pense la scne du 18 juin, en songeant ltat desprit o se trouvait Cambronne, lexaspration que devaient produire sur lui les sommations des Anglais, on arrive juger que le mot tait absolument en situation. Il est psychologiquement vrai. Or, comme

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H. Houssaye 1815, t. II pp. 405-406. Promesse tenue en 1907 : Henry Houssaye La Garde meurt et ne se rend pas. Histoire dun mot historique Paris, Perrin et Cie, 1907. 18 Cest quand mme la phrase qui est grave sur la tombe de Cambronne Nantes. Il est vrai quil aurait t saugrenu dy mentionner le mot

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Cambronne a dit quelque chose19, ce quelque chose doit tre cela.20 Jacques Logie

Jacques Logie consacre quelques paragraphes cette affaire : Ils voquent des vnements tout--fait diffrents. Nous recopions : La tradition veut que le gnral Cambronne, lors de l'ultime attaque contre la ligne anglaise21, somm de mettre bas les armes, ait rpondu: La Garde meurt, mais ne se rend pas! Peu de temps aprs, il fut bless la tte et fait prisonnier. La phrase est due trs probablement la plume d'un journaliste, Rougemont, qui ds le 24 juin 1815, la publiait dans le Journal Gnral de la France . cette date, aucun officier ou soldat de la Garde n'tait encore revenu Paris, o seuls quelques gnraux de ltat-major imprial avaient rapport la nouvelle du dsastre. L'aphorisme est d'autant plus invraisemblable qu'au moment o il tait (sic) cens avoir t prononc, les troupes allies avaient fort faire pour tenir tte et ne songeaient gure inviter leurs assaillants la reddition22. De plus, Cambronne, qui commandait le 2e bataillon du 1er Chasseurs, ne prit aucune part cette attaque. Aprs sa mort, survenue en 1842, les fils du gnral Michel, colonel en second des chasseurs de la Garde, revendiqurent pour leur pre lhonneur de la phrase clbre. Le tmoignage prcis de l'aide de camp de Michel tu au cours de l'assaut permet dcarter cette attribution :

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Pourquoi ?... Houssaye, p.405, note 1. 21 Logie place cet pisode au moment o la Garde atteint la ligne anglaise, alors que tous les auteurs (sauf Frings) le situent au moment o les dbris de la Garde, remontant la pente de la Belle-Alliance, tentent de rsister la panique gnrale. Quelle est donc cette tradition dont Logie parle ? 22 Nous ne saurions mieux dire. Nous admettons que les Anglais soit parfois excentriques mais est-il vraisemblable quun officier britannique, voyant surgir un bataillon de la Garde impriale devant lui, au moment dordonner un feu de salve, ait song un seul instant demander ce bataillon de se rendre ? Mais nous revenons sur la question : pourquoi Logie situe-t-il cet pisode ce moment-l, alors que tous les autres auteurs, sauf Frings, le placent bien plus tard.

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Arrivs sur le plateau, et demi-porte de fusil des Anglais qui nous attendaient immobiles, nous fmes accueillis par une effroyable dcharge. Le gnral Michel tomba de cheval en s'criant : (sic) mon Dieu, j'ai encore le bras cass ! Je me prcipitai terre et dboutonnai son frac pour dcouvrir sa blessure. Mon gnral tait mort ; une balle reue au-dessus du sein gauche lui avait travers le corps. Cambronne, qui a toujours contest avoir dit la phrase, a pourtant reconnu avoir dit autre chose. un compagnon d'armes, quelques annes plus tard, il dclara: Je n'ai pas dit cela (la phrase), j'ai dit seulement : des bougres comme nous ne se rendent jamais. De timides allusions une autre rponse de Cambronne, plus brutale, plus soldatesque se firent jour partir de 1830. Victor Hugo, le premier, dans ses Misrables, lui attribua une vigoureuse rponse en cinq lettres. Vers 1830, le gnral Bachelu l'interrogeait ce propos. Cambronne rpondit : Comment ? toi aussi! Ah non, en voil assez, cela devient emmerdant ! Et Bachelu dajouter: Le mot tait si naturel en pareil cas que, ce jour-l, Cambronne dut le dire cinq fois, six fois... comme moi d'ailleurs. On comprend aisment que le gnral, issu d'une bonne famille et homme bien lev, de plus devenu le mari dune prude Anglaise23 et fait vicomte par Louis XVIII, ait tenu viter aux mauvaises langues l'occasion de fustiger le langage de corps de garde que l'on prtait volontiers aux gnraux d'Empire.24 Jean-Claude Damamme

Comme on na pas tous les jours loccasion de rire, citons Jean-Claude Damamme :23

Cambronne, fait prisonnier, fut vacu vers lAngleterre. Son rgime ne devait pas tre trop svre puisquil fut autoris faire soigner sa blessure, superficielle, par une jeune Anglaise quil pousa De l traiter cette compatissante jeune femme de prude 24 Logie Napolon ; La Dernire bataille - Bruxelles, Racine, 1998, pp. 195-196. Il sagit du mme texte, faute de franais comprise, que lon retrouve dans J. Logie Evitable dfaite, pp. 144-145. Jacques Logie cite en rfrence louvrage dHenry Houssaye, La Garde meurt et ne se rend pas.

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Dans le bataillon du 1er chasseurs, le gnral Cambronne. Nantais de quarante-cinq ans, ancien de lexpdition dIrlande25 et compagnon d'exil de l'Empereur l'le d'Elbe, voit les grenadiers 26 chanceler sous les coups. Il se porte leur secours, mais cern luimme et attaqu de tous cts, il ne parvient pas se faire jour vers eux. Dans la pnombre, des officiers anglais somment les Franais de se rendre. Mais elle ne se rend pas, la Garde, elle meurt. Qui a lanc le mot ? On affirme que c'est Cambronne. Toujours est-il qu un moment, un Merde ! sonore surgit du carr. Un clat frappe linsolent en plein visage. Cambronne s'croule, laiss pour mort, et ses hommes poursuivent leur chemin.27 Luc Devos

Historien plus srieux, Devos ne manque pas de donner sa version : Wellington souleva son chapeau et l'agita trois fois. C'tait, pour les allis, le signal de l'attaque. Les tambours, les cornemuses, les fifres se mirent retentir, ajoutant au drame quelque chose d'irrel. Puis, les allis repoussrent les Franais. Les carrs de la Vieille Garde, qui comptaient des figures lgendaires comme le gnral Cambronne, taient dploys hauteur de la ferme Decoster, mais ils ne purent endiguer la vague des fuyards, ni celle de l'ennemi. La phrase clbre La Garde meurt, mais ne se rend pas ! n'a jamais t prononce par Cambronne. C'est une invention d'un journaliste nomm Rougemont qui crivit cela dans le Journal gnral de la France, du 24 juin 1815. Le romantisme qui suivit la priode napolonienne a colport le mot qui a survcu jusqu nos jours. Mais, comme cest souvent le cas, ce genre de propos traduit bien ltat desprit qui rgne dans un corps dlite un moment crucial. Diverses contre-attaques menes par quelques escadrons de la garde personnelle de Napolon napportrent aucun25

Nous nous demandons o Damamme a t pcher cela. Voir infra les tats de service de Cambronne. 26 me me Daprs le contexte, il sagirait du 2 bataillon du 3 Grenadiers. Damamme crit en effet me me quelques lignes plus haut : Le 2 bataillon du 3 Grenadiers, spar des autres, est seul, livr lui-mme, plant au milieu de la plaine Sous le dluge de boulets et la grle de mitraille qui le flagellent, le bataillon ne bouge pas (p. 261) avant de conter la manire hroque dont Cambronne tente de venir au secours de ces grenadiers. 27 Damamme - La bataille de Waterloo - Paris, Perrin, coll. Tempus, 2003, p. 261.

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soulagement. Partout rsonnaient les cris trahison et sauve qui peut . Les mensonges concernant l'arrive de Grouchy se retournaient prsent contre l'Empereur. Le faux espoir dgnra en dsespoir. Il ntait plus possible darrter dans leur fuite les dbris des corps darme de Drouet dErlon et de Reille. Seule une brigade de la division Durutte put se retirer en combattant en bon ordre sous la direction de Ney.28

Cambronne par J. De Bay (Muse Royal de lArme, Bruxelles)

Jean-H Frings

Frings, dans son prcieux petit Dictionnaire crit, quant lui : Cambronne, Pierre, comte de l'Empire (1770-1842)28

De Vos - Les 4 jours de Waterloo - Bruxelles, Didier Hatier, 1990, p. 131.

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Marchal de camp il avait refus le grade de lieutenant-gnral son retour Paris de lIle d'Elbe29. Cambronne commandait Waterloo le 1er rgiment de Chasseurs pied de la Garde Impriale. Bless la tte pendant la retraite de son carr vers la BelleAIliance, Cambronne fut fait prisonnier par le colonel Hew Halkett, commandant la 3e brigade hanovrienne, et ntait donc certainement pas la tte du Dernier Carr, comme len crdite certaine lgende. Quant au mot qui lui est attribu, il semble, d'aprs plusieurs tmoignages, que ce soit le gnral Michel tu peu aprs qui lait rpliqu aux Anglais qui le sommaient de se rendre.30 Frings ajoute, sous lentre Michel : Cest le gnral Michel, commandant de la division des chasseurs pied de la Garde qui, juste avant dtre tu lors de lchec de lattaque de la Garde, aurait eu le mot erronment attribu Cambronne.31 Et nous rendrons une dernire fois la parole Houssaye qui, dans une note encore crit : Je fus bless et laiss pour mort la bataille du 18 juin. Interrogatoire de Cambronne (Procs de Cambronne, 5.) Le gnral Cambronne est bless, renvers de son cheval, on le croit mort. (Relation du gnral Petit.) Petit prcise bien que Cambronne tomba dans la retraite, entre les fonds de la Haye-Sainte et la Belle-Alliance. Le colonel William Halkett (Waterloo Letters, 309) prtend quun gnral de la garde, spar dun carr, se rendit lui, et que ce gnral tait Cambronne. Je ne sais quel gnral Halkett fit prisonnier, mais il est vident que ce ntait pas Cambronne, puisque celui-ci tait alors tendu sans connaissance.32 29

Parfaitement exact. Cambronne aurait refus cette promotion pour pouvoir continuer commander son rgiment. 30 Frings - Dictionnaire de la bataille de Waterloo - Braine-l'Alleud, Les Guides 1815, 1995, p. 20. 31 Id., p. 61. Quoique ce ne soit pas trs clair, Frings sinspire manifestement de la version de Jacques Logie. Au moment o son petit Dictionnaire parut, Logie faisait peser sur le champ de bataille et ses environs son autorit de pape auto-proclam de la bataille, maltraitant ceux qui avaient laudace de le contredire 32 Houssaye, p. 406, note 1.

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Comme on voit, aucun auteur nest daccord avec un autre. Comment se dptrer de ce mystre ?

Une histoire de la lgendeTout dabord, avec Henry Houssaye33, tchons de faire lhistoire de la lgende. Selon la plupart des auteurs, la phrase La Garde meurt et ne se rend pas se trouve pour la premire fois dans un article du Journal gnral de France, dat du 24 juin 1815. Nous y lisons en effet : La garde impriale a mis larme au bras et sest avance sous le feu de lennemi. Une dcharge pouvantable dirige contre ces braves en a mitraill la moiti ; lautre a continu marcher. Les gnraux anglais, pntrs dadmiration pour la valeur de ces braves ont dput vers eux pour les engager se rendre, protestant quils les regardaient comme les premiers soldats de lEurope. Le gnral Cambronne a rpondu ce message par ces mots : La garde impriale meurt et ne se rend pas . La Garde impriale et le gnral Cambronne nexistent plus !34 On attribue, sans aucune certitude, cet article non sign Bolison de Rougemont, auteur dramatique, romancier, pote, chansonnier et collaborateur en 1815 au Journal Gnral et au Journal de Paris. En tout tat de cause, le soir mme, la phrase tait reprise telle quelle dans Le Patriote de 89, le 27 juin dans LIndpendant et le 28 juin, dans le Journal du Commerce. Ds le 26 juin, les Comits de la Fdration parisienne votaient une motion demandant quon lve un monument aux braves de Mont-Saint-Jean avec mention de la phrase La Garde meurt et ne se rend pas . Commenons par faire remarquer que le 24 juin, la Garde tait quelque part entre Laon et Soissons, quelle ne fut passe en revue que le 26 et que ses premiers lments organiss ne rentrrent Paris que dans la nuit du 28 au 2935. Cest donc, disent les auteurs, sans lombre dun t33 34

H. Houssaye, La Garde meurt, Cit par H. Houssaye, La Garde meurt, p. 9. Le texte est conforme loriginal. 35 H. Houssaye, 1815, t. III, p. 118.

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moignage que La Garde meurt senvole dans le ciel de Paris pour se rpandre dans le monde. Et cest arm du seul article du Journal gnral que, le 28 juin, le dput Garat monte la tribune de la Chambre des Reprsentants pour y prononcer un discours exaltant les braves de Waterloo, quoi M. Pnires, dput de la Corrze, rpond : Le nom de lofficier qui a prononc ces paroles ne doit pas tre ignor : cest le brave Cambronne. On lui dit de se rendre. La garde, rpond-il, meurt et ne se rend pas.36 Cest donc recouverte de ce vernis officiel et dote d'un pre putatif que la fameuse phrase se trouve forge dans le bronze Entre parenthse, il faut faire remarquer que linitiative de ces patriotiques dputs taient, en soi, assez maladroite : dans larme franaise quil sagissait ce moment de rorganiser et de consolider le plus vite possible, la garde tait unanimement dteste. Cela tait d au fait que Napolon favorisait au-del du raisonnable ce corps dlite quil nengageait qu la dernire extrmit. Mais il est clair que lattitude hroque de la garde Waterloo et ses terribles pertes en faisaient, pour les civils, le symbole mme du courage de larme franaise tout entire Aprs que le gnral Cambronne tait rentr dAngleterre, le ton de la presse changea quelque peu. Le 16 dcembre 1818, nous lisons dans le Journal des Dbats : Nous nous faisons un devoir de dclarer que tout Paris a pu savoir de la bouche du gnral Cambronne lui-mme quil avait appris cette exclamation monumentale sur les gazettes, et quil ne se souvenait nullement davoir rien dit qui en approcht. Il est donc juste den restituer la gloire qui elle appartient, cest--dire un rdacteur du Journal Gnral, qui la profre la tte des colonnes de ce journal.37 En 1834, le Dictionnaire des Contemporains de Rabbe pouvait crire : Cambronne, somm de se rendre, rpondit dune manire trs nergique mais ne pronona pas les mots quon lui attribue : La Garde

36 37

Moniteur, 29 juin 1815. Cit par H. Houssaye, La Garde meurt, p. 11.

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meurt et ne se rend pas 38. Personne ne protesta, Cambronne moins que les autres. Voil qui aurait pu mettre fin au dbat et qui la effectivement fait jusquau lendemain de la mort de Cambronne, quand il fut question driger un monument celui-ci dans sa ville de Nantes. Le monument devait porter la fameuse phrase. Les fils du gnral Michel protestrent, revendiquant pour leur pre la paternit du mot historique. Ils se basaient sur un souvenir de famille, savoir une pierre provenant du tombeau de Napolon Sainte-Hlne que le gnral Bertrand avait remis la veuve du gnral Michel, portant ces mots : A la comtesse Michel, veuve du gnral Michel, tu Waterloo, o il rpondit aux sommations de lennemi : la Garde meurt et ne se rend pas.39 Les fils Michel suggraient donc que lempereur lui-mme aurait dit Bertrand que leur pre tait lauteur de la phrase clbre. Or, Napolon dans sa dicte Gourgaud parue pour la premire fois en 1818, attribue la phrase Cambronne. Dans la seconde version, parue en 1820, il nest plus question de lpisode De toute faon, Napolon nest pas, dans cette occasion, un tmoin digne de foi : il ntait pas sur place et, dans la rumeur de la bataille, il ne pouvait rien entendre. Dautre part, comme nous lavons vu plus haut, le tmoignage de laide de camp du gnral Michel est formel : il a t abattu alors que son unit abordait la ligne anglo-allie lors de lassaut de la Moyenne Garde. Comme nous lavons dit, il nest pas possible que le gnral Michel ait prononc la phrase ce moment. Vingt ans plus tard, le dbat allait tre relanc par la parution, en 1862, du roman Les Misrables de Victor Hugo qui met un autre mot plus vigoureux dans la bouche de Cambronne. Peut-tre Victor Hugo a-t-il invent le mot Mais cela nous semble fort peu probable. Il est plus que vraisemblable quHugo sappuie sur une tradition orale. En tout cas, une premire allusion au mot pourrait avoir t faite lors dun banquet danciens soldats qui se tint le 19 septembre38 39

Id., p. 50. Au roi en son Conseil dtat, requte pour MM. le comte Michel et le baron Michel , Paris, s.d. (1843).

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1830. Dans son discours, Cambronne prononce ces mots : Jai rpondu quelques mots, moins brillants peut-tre, mais dune nergie plus soldatesque40 Comme jamais Cambronne ne dit lui-mme quels furent ces mots, on peut tout imaginer. Des bougres comme nous ne se rendent pas , comme le suggre par exemple Houssaye, suivi par Logie41, ou bien, plus vigoureux encore : Allez vous faire f ! Il nempche, Cambronne est formel : il a dit quelques mots et pas un seul Bref, Victor Hugo immortalise Cambronne en mme temps que lapostrophe en cinq lettres quil est cens avoir jet la figure des Anglais

Un tmoignage loignA lpoque o parat, en France, Les Misrables, un journaliste lillois, Charles Deulin, recueille le rcit dun grenadier de la Garde, Antoine Deleau, adjoint au maire de Vicq. Le 22 juin 1862, le journal local LEsprit public publie la teneur de cet entretien : Jtais au premier rang, avantage que je devais ma grande taille. Lartillerie anglaise nous foudroyait, et nous rpondions chaque dcharge par une fusillade de moins en moins nourrie. Entre deux dcharges, le gnral anglais nous cria : Grenadiers, rendez-vous ! Le gnral Cambronne rpondit (je lai parfaitement entendu) : La Garde meurt et ne se rend pas. Feu ! fit le gnral anglais. Nous reformmes le carr et nous ripostmes avec nos fusils. Grenadiers, rendez-vous ! Vous serez traits comme les premiers soldats du monde ! reprit dune voix triste le gnral anglais. La Garde meurt et ne se rend pas ! rpondit Cambronne et sur toute la ligne, officiers et soldats rptrent La Garde meurt et ne se rend pas Je fis comme les autres. Nous essuymes une nouvelle dcharge et nous y rpondmes de notre mieux. Rendez-vous, grenadiers, rendez-vous ! nous cri40 41

Houssaye, La Garde meurt, p. 46. ralit, Houssaye crit Des b , mais Logie traduit

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rent en masse les Anglais qui nous enveloppaient de toutes parts. Cest alors que, fou dimpatience et de colre, Cambronne lcha le mot que vous savez. Cest le dernier que jentendis, car je reus dans mon colback un boulet qui mtendit sans connaissance sur un tas de cadavres.42 Larticle de Deulin fit un bruit assez considrable pour que, sur ordre du ministre, le prfet du Nord, M. Wallon, juge utile de convoquer une commission compose, outre de lui-mme, du marchal de Mac-Mahon, commandant le 2me Corps dArme, du gnral Maissiat, commandant la 3me division militaire et du colonel dtat-major Borel. Deleau fut invit dposer le 30 juin43 devant cette commission. Nous ne savons pas combien de fois le brave Deleau avait relu linterview de Deulin qui le nimbait de gloire Mais il devait le connatre par cur, puisque, quelques mots prs, sa dposition est exactement conforme linterview.44 Malheureusement, Henry Houssaye, en 1906-1907, lors de la rdaction de son petit ouvrage, ne fut pas convaincu par cette version de lhistoire. Il se plongea donc dans les Archives de la Guerre et y retrouva le dossier de Deleau. Et catastrophe ! il savre que le brave grenadier, non seulement ntait pas chasseur de la Garde, mais appartenait au 1er bataillon du 2me Grenadiers, lequel se trouvait Plancenoit, 1 500 mtres de lendroit au moment et o aurait t prononce la fameuse phrase Houssaye carte donc son tmoignage comme il en carte plusieurs autres, recueillis chez plusieurs personnes qui, en 1815, ntaient jamais prsentes au bon endroit ni au bon moment. Et de ce qui subsiste de ces tmoignages bien peu de choses sinon des radotages danciens combattants autour dun verre de genivre on ne peut conclure quune seule chose : il est impossible de savoir ce qua dit Cambronne. Phrase ou mot ? Cest, en tout cas, ce que conclut Houssaye. Mais lacadmicien

42 43

LEsprit public, 22 juin 1862, cit par Houssaye, La Garde meurt, p. 22-23. Conforme. On ne manquera pas dadmirer lextraordinaire ractivit de ladministration militaire franaise cette poque 44 Ces rares modifications avaient pour but de rendre le rcit encore plus raliste : cest ainsi, par exemple, que les mots sur toute la ligne taient remplacs par dans tout le carr et que le colback devient un bonnet doursin.

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nenvisage pas une troisime possibilit : aprs tout, Cambronne a-t-il dit quelque chose ? tait-il en situation de dire quelque chose ?

Des faitsO tait Cambronne ?

Commenons par fixer les rles de chacun de ces gnraux de la Garde dont nous avons parl. Cambronne commandait le 1er rgiment des Chasseurs pied de la Garde. Le gnral Michel commandait en second la division des Chasseurs de la Garde sous les ordres du gnral Morant. Le gnral Petit commandait le 1errgiment de Grenadiers de la Garde. Gardant ces donnes en mmoire, tournons-nous vers les tmoins anglais de lpisode. Puisque Houssaye nous indique que le colonel William Halkett prtend avoir fait Cambronne prisonnier, reportons-nous la lettre que le commandant de la 3me brigade hanovrienne, le colonel Hew Halkett, crivit Siborne. A cette heure de la journe, Hew Halkett tait de sa personne la tte du bataillon dOsnabrck qui, avec le 52me dinfanterie lgre de lOxfordshire, marchait alors sur les talons des Franais. Halkett crit : Durant notre avance, nous fmes constamment au contact avec la Garde franaise. A un certain moment, mon regard fut attir par un officier gnral que je supposais commander la Garde (il tait en grand uniforme), et qui essayait dinciter ses hommes rsister. Aprs avoir essuy notre feu trs meurtrier, la colonne laissa en arrire son gnral et deux autres officiers ; alors que jordonnais nos tireurs dlite de supprimer ceux-ci, je piquai un galop vers le gnral. Au moment de labattre dun coup de sabre, il cria quil voulait se rendre, aprs quoi il marcha devant moi vers larrire. Je navais pas fait un trs long trajet que mon cheval sabattit, atteint par un tir. En quelques secondes, je le remis sur pied et je trouvai mon ami, Cambronne, qui avait fil langlaise45 dans la direction do il venait. Je le rattrapai aussitt, le saisissant par ses aiguil-

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Halkett crit : my friend, Cambronne, had taken French leave in the direction from where he came. Lexpression to take a French leave ne peut mieux se traduire que par filer langlaise

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lettes et le ramenai en sret en le confiant un sergent des Osnabrckers qui jordonnai de le conduire au Duc.46 Commenons par tirer au clair la confusion qui rgne propos de ces Halkett. Dans larme britannique proprement dite, nous navons quun seul officier gnral qui porte ce nom : le major gnral Sir Colin Halkett, dorigine cossaise, qui commandait la 5me brigade. Le colonel Hew ou Hugh ou William Halkett, son frre cadet, tait, lui la tte de la 3mebrigade hanovrienne uniquement compose de bataillons de la Landwehr. Le tmoignage auquel Houssaye se rfre est donc bien celui que nous avons trouv dans H.T. Siborne47 et dont lauteur est Hew Halkett. Compte tenu des mouvements effectus au soir du 18 juin, cest bien le bataillon dOsnabrck qui poursuit la Garde franaise, en compagnie de la brigade Adam, et tout particulirement du 52me anglais dinfanterie. Le bataillon dOsnabrck trouve devant lui le 2me bataillon du 1er Chasseurs pied, tandis quAdam poursuit le 2me bataillon du 2me Chasseurs et le 2me bataillon du 2me Grenadiers. Nul doute donc que le gnral en grande tenue quaperoit Hew Halkett dans le carr du 2me bataillon du 1er Chasseurs soit bien Cambronne48. En effet, il ne pouvait pas tre ailleurs : le 1er bataillon de son 1er Chasseurs (Duuring) se trouvait au Caillou o il protgeait les bagages de Napolon. Il est invraisemblable que, comme le conte Damamme, Cambronne ait tent de venir la rescousse du 2me bataillon du 3me Grenadiers, qui se trouvait 400 mtres environ sa gauche et en arrire, qui avait effectivement t fort mis mal et qui, tenant compte de ses lourdes pertes, avait adopt une formation en triangle pour reculer lentement de biais vers Rossomme o se trouvaient les deux bataillons du 1er Grenadiers. Cambronne avait en effet fort faire de son ct pour maintenir la formation de son carr et pour rester la hauteur des deux autres bataillons de la Garde qui reculaient en mme temps que lui. Cest ce qua vu Hew Halkett et cest ce quil rapporte.46

Cette lettre est reprise par Houssaye, La Garde meurt La traduction en est trs mauvaise et mme errone certains endroits. Cest ainsi que la phrase o Halkett dit quil a ordonn ses tireurs dlite dabattre les deux officiers franais abandonns par leur carr, est traduite par Houssaye comme si le colonel avait ordonn son bataillon davancer Cela nempche pas Houssaye dtre premptoire et de qualifier le tmoignage de William Halkett de mensonger et calomniatoire sans dire pourquoi. 47 H.T. Siborne Waterloo Letters n130, p. 308 et sq 48 Le commandant de ce bataillon tait le major Lamouret.

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O tait Michel ?

La question est maintenant de savoir o tait le gnral Michel ce moment-l. Jacques Logie nous a donn la rponse : il avait t tu au moment o la Garde abordait la ligne anglaise, soit vers 20.00 hrs. Comme le fait trs justement remarquer Jacques Logie, il est impossible que le gnral Michel ait pu profrer quelque phrase historique ce moment. Si nous lisons bien le tmoignage quil rapporte49, qui est celui de laide de camp du gnral Michel, celui-ci fut abattu au moment o la ligne anglaise livra sa premire salve de mousqueterie. Il ntait pas question ce moment de reddition et encore moins de rponse cinglante une quelconque sommation. Bref, au moment qui nous occupe, le gnral Michel est couch, mort, une balle en pleine poitrine, sur le versant qui monte vers le chemin des Vertes Bornes50. Autre question se poser : est-il possible que Halkett ait confondu Cambronne avec un autre gnral de la Garde en grand uniforme qui aurait pu avoir trouv refuge dans le carr du 2me bataillon du 1erChasseurs ? Dans ce cas, cest cet autre gnral que le colonel aurait fait prisonnier et quil aurait envoy auprs de Wellington. Or, si un autre gnral de la Garde avait t fait prisonnier, nous le saurions. La denre tait assez rare pour que tous les comptes-rendus anglais en eussent fait mention En tout cas, Wellington, quand il crit lord Bathurst le 19 juin, lui rapporte que Cambronne a t captur et ne parle daucun autre gnral de la Garde 51.

La garde meurt Cambronne se rendEn conclusion de quoi, cest bien Cambronne qui se constitua prisonnier, qui tenta de fuir et qui fut repris par Hew Halkett. Halkett ne mentionne pas le fait que Cambronne tait bless. Mais la plupart des sources disent quil fut atteint au-dessus du sourcil gauche par une balle de fusil. Il devait trs certainement sagir dune balle perdue puisque Cambronne

49 50

Et quil a pris dans H. Houssaye La Garde meurt, p. 21. On na jamais retrouv son corps. 51 H. Houssaye La garde meurt, p. 39

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avait encore assez de vigueur pour essayer de schapper52 et quil ne fut jamais hospitalis. Or cest sur cette blessure que se base Houssaye pour rejeter la version donne par Halkett de la capture de Cambronne : mais il est vident que ce ntait pas Cambronne, puisque celui-ci tait alors tendu sans connaissance.53 Et Houssaye taye cette affirmation sur une phrase du gnral Petit : Le gnral Cambronne est bless, renvers de son cheval, on le croit mort.54 Nous lavons dit : le gnral Petit tait la tte du 1er bataillon du 1er Grenadiers, form ce moment en carr sur le ct de la route, peu prs hauteur du cabaret De Coster. A aucun moment, nous ne suspectons lhonntet du gnral Petit. De l o il tait, sil pouvait trs bien voir, une centaine de mtres, Cambronne sur son cheval, il lui tait impossible de le voir une fois dmont. Halkett dit quil remarqua Cambronne cheval mais pas sil ltait encore lors de sa capture. Cela semble pourtant vident : il est abandonn par son carr, sans doute un moment tourdi, en tout cas tomb de cheval. Peut-tre aussi, le cheval sest-il abattu, atteint par une balle ou un clat de shrapnel et le gnral eut-il besoin de quelque temps pour se dgager, le temps justement dtre abandonn par son bataillon. Quoi quil en soit, Cambronne est pied quand il est captur puisque Halkett veut le sabrer et finit par le saisir par ses aiguillettes, ce qui aurait t rigoureusement impossible sil avait t cheval. La seule chose que dit Petit, cest quil perdit de vue Cambronne, jusque-l bien visible cheval. Cela ne signifie absolument pas que Cambronne gt inanim ou sans connaissance comme le dit Houssaye. Tout au plus est-il dmont, quelle quen soit la cause. Il reste nanmoins dautres possibilits envisager. Halkett, disions-nous, ne parle pas de la blessure de Cambronne. Cela ne jette pourtant pas le moindre doute sur son tmoignage. Soit, Cambronne tant lgrement bless, Halkett nestime pas utile de le signaler : somme toute, une blessure lgre au cours dune bataille dune telle violence que celle de Waterloo nest pas un vnement considrable. Soit encore, il nest pas obligatoire que Cambronne ait t bles52 53

Voir Mark Adkin The Waterloo Companion London, Aureum Press, 2000, p. 399. H. Houssaye, 1815, t. II, p.406 note 1. 54 Id., ibid.

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s avant dtre captur mme si cest possible et que cela puisse expliquer quil soit tomb de cheval. Nous savons quHalkett le ramne un peu en arrire55 pour le confier un sergent des Osnabrckers avec ordre de le conduire Wellington. Rien ne nous permet dexclure que ce soit peu aprs ce moment que le gnral Cambronne ait t atteint par une balle perdue ? Il est possible aussi que le gnral ait t bless au moment o la monture dHalkett sabattait, atteinte par un tir sans gravit puisque le colonel remet son cheval debout sans grand problme. Car Cambronne a rellement t bless et il en gard une impressionnante cicatrice56. Halkett, fort occup par ailleurs, a trs bien pu ne pas apercevoir cet incident et il est donc tout fait normal quil nen parle pas.Une polmique en anglais

Nous disposons dun autre tmoignage, trs tardif, paru dans un journal australien, le Western Star, du 12 novembre 188957 et rendant compte dun livre de souvenirs du Baron Karl von Malortie intitul Twixt Old Times and New, paru Londres, chez Ward & Downey Ltd (pp. 101 113). Larticle du journal australien ne nous semble pas fort digne de foi mais nous le reproduisons nanmoins, afin dtre complet : Le seul prisonnier fait par la rserve anglaise la bataille de Waterloo fut un gnral franais, dont la capture est le fait du sangfroid et du cur rsolu dun jeune major de brigade, avide daventures. () Durant la bataille, plusieurs rgiments de cavalerie et dinfanterie furent tenus en rserve sous le feu nourri des canons franais. Les pertes taient svres et aucun homme ni aucun cheval napprciait lattitude passive laquelle ils taient condamns. Alors quun groupe de jeunes officiers, devant laile gauche de la rserve, taient occups discuter de la situation, leur attention fut attire par un gnral franais et son tat-major, tous cheval, qui observaient les Anglais travers leurs lunettes. Un des membres de ce groupe tait le capitaine Halkett, un jeune55 56

Certainement pas trs loin, puisque Halkett a toujours un bataillon commander. Ses portraits daprs 1815 le montrent en effet, le sourcil gauche nettement dform. Cependant si la blessure avait t provoque par un tir direct, Cambronne nen et pas rchapp. 57 The Western Star, 12 novembre 1889, p. 4.

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major de brigade mont sur un pur-sang. Soudain, il sexclama : Je parie cinq livres que je ramne le gnral franais ici, mort ou vif. Qui relve le pari ? Tenu, tenu, tenu crirent plusieurs officiers. Le capitaine vrifia les sangles de sa selle et ses pistolets, puis criant Au revoir ! et peronnant son cheval, il livra un galop endiabl travers lespace qui sparait les lignes anglaises et franaises. Ses camarades le suivaient du regard, avec leur lunette, sans souffler mot. Les Franais en face semblaient perplexes. Croyant que le cheval de lAnglais stait emball et que le cavalier en avait perdu le contrle, ils ouvrirent leurs rangs pour le laisser passer. Halkett guida sa monture de faon aborder le gnral du ct droit. A ce moment, il ceintura le Franais la taille, larracha sa selle et le jetant en travers du cou de son propre cheval, fit volte-face et galopa en direction des lignes anglaises. Quand ltatmajor du gnral ralisa ce que laudacieux cavalier faisait, ils se mirent sa poursuite. Mais il avait pris de lavance et aucun Franais nosa tirer de peur datteindre leur gnral. Un demi-escadron de dragons anglais, voyant Halkett pourchass par une douzaine dofficiers franais, les chargea. Les dragons ouvrirent leurs rangs pour laisser passer Halkett, les refermrent derrire lui et forcrent les Franais tourner bride et chercher refuge sous leurs propres canons. Au milieu des cris les plus fous, Halkett sarrta en face de la ligne britannique, le gnral moiti mort, fermement tenu dans ses bras solides. Il sauta de son cheval, prsenta ses excuses son prisonnier pour la manire peu protocolaire dont il lavait trait et, en rponse aux compliments de ses camarades, rpondit Complimentez plutt mon cheval, pas moi ! . Le gnral prisonnier fut trait avec une extrme courtoisie. Des chevaux et une escorte furent mis sa disposition et il fut envoy Bruxelles. On voit ici lextraordinaire dveloppement que peut prendre un pisode dans un rcit. Inutile de montrer les divergences entre cette histoire et la relation de Halkett lui-mme. Or il ne fait pas de doute que cest bien du mme pisode dont il est question. A moins dtre exagrment modeste, si les choses staient passes comme le raconte le journal austra25

lien, Halkett les auraient racontes de la mme manire. Les divergences de dtails sont trop nombreuses pour accepter la version australienne telle quelle. Elle situe lpisode pendant que la rserve anglaise est inactive, alors que nous savons quil a lieu aprs que loffensive anglo-nerlandaise a t dclenche par Wellington. Lacte hroque est le produit dun pari entre officiers dsuvrs alors quen ralit, il se situe au moment o Halkett mne ses troupes la charge ; Cambronne aurait t suivi par un tat-major dune douzaine dofficiers, ce qui est tout fait invraisemblable pour le commandant dun rgiment de la Garde ; Halkett ntait pas capitaine ni major de brigade commandant en second mais colonel et commandant de la 3me brigade hanovrienne. Ensuite, lexploit athltique qui consiste arracher un gnral franais de sa selle et le jeter en travers du cou de son cheval, comme une frle jeune fille, est trop invraisemblable pour ne pas tre pris avec beaucoup de prcaution. Halkett prcise bien, dans sa lettre Siborne, que le gnral franais lui remit son pe. Enfin nulle mention dun fait prcis rapport par Halkett : son cheval sabat atteint par un tir et le gnral franais profite de loccasion pour essayer de senfuir. Le tmoignage repris par le journal australien, sil est inspir de la ralit, semble bien tre le produit de ce que nous appelons le tlphone arabe . Untel a racont Untel quUntel lui avait dit quUntel avait entendu dire quUntel, etc. La seule chose positive que nous puissions trouver dans cette aventure, cest que Halkett a effectivement fait un gnral franais prisonnier et quon en parlait encore dans les mess dofficiers soixante-dix ans aprs, non sans avoir embelli lpisode au point de le dformer compltement On pourrait parfaitement lintgrer dans un de ces rcits victoriens la gloire de ces jeunes officiers britanniques de larme des Indes, la fois athltiques, nonchalants et inconscients, capable de jouer leur vie sur un pari En conclusion, nous estimons que le tmoignage de William Halkett est vridique et probant.Qui a somm Cambronne de se rendre ?

Mais tout ceci ne nous dit pas si Cambronne a, oui ou non, prononc un mot ou une phrase historique. Le fait que Cambronne se soit finalement constitu prisonnier nexclut pas que, auparavant, il ait rpondu de 26

manire plus ou moins brutale un officier anglais qui laurait somm de se rendre avec son bataillon. Cependant il faut remarquer deux choses. Tout dabord, Cambronne avait en face de lui non pas un bataillon anglais, mais un bataillon hanovrien. Mme si William Halkett est dorigine cossaise, il nen commande pas moins une unit hanovrienne, et celle dont il a pris personnellement la tte est le 2me bataillon Duc dYork de la Landwehr hanovrienne dit bataillon dOsnabrck. Halkett a toujours servi sous les drapeaux hanovriens et la lettre quil crit Siborne, le 20 dcembre 1837, est date de Nienburg au Hanovre. Il terminera dailleurs sa carrire dans la peau dun commandant en chef de larme hanovrienne, fait baron par le roi Georg V de Hanovre58. Toutefois, luniforme rouge de la Landwehr hanovrienne ne permettait pas un Franais de faire la diffrence avec un rgiment pied de larme britannique. Deuxime chose : les tmoignages franais qui parlent peu ou prou de Cambronne disent tous, sans exception, que cest un gnral anglais qui proposa la reddition. Or nous savons que cest le bataillon dOsnabrck qui refoulait le 2me bataillon du 1er Chasseurs. Un bataillon allemand, donc, et non anglais. Et Halkett ntait pas gnral mais colonel. Donc, quel gnral anglais pouvait se trouver dans les parages ce moment ? Nous pouvons tourner nos regards de tous les cts, nous nen apercevons quun et un seul : le major gnral Frederick Adam, commandant de la 3me division britannique. Effectivement, une des brigades dAdam, se trouve gauche de William Halkett, et plus particulirement son 52me dinfanterie. Si Adam avait propos leur reddition aux Chasseurs de la Garde, nous devrions en trouver mention quelque part dans les comptes-rendus britanniques. Or, nous avons lu et relu la longue lettre quAdam adresse Siborne59. Si le gnral parle effectivement de la chasse quil donna ce moment la Garde impriale en mme temps que Halkett, il ne dit pas un mot dune proposition de reddition et encore moins dune rponse, grossire ou pas, dun officier franais quelconque. Daccord, me dira-t-on, mais ce ntait peut-tre pas un gnral qui pro58

Le neveu du roi dAngleterre George IV qui succda son pre, Ernst August Ier, ancien duc de Cumberland, sur le trne de Hanovre. 59 H.T. Siborne Waterloo Letters, n 120, p. 277.

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posa la reddition au bataillon de Cambronne. Ce pouvait tre un autre officier. En prvision de cette objection, nous avons consult les tmoignages des officiers des units places sous les ordres dAdam. Et l, encore une fois, nous ne trouvons rien. Remarquons toutefois que le lieutenant gnral Lord Rowland Hill, commandant le 2me corps britannique, prit un instant la tte de la brigade dAdam au moment o Wellington ordonna lavance gnrale. Est-ce lui qui proposa la reddition aux chasseurs de la garde ? Cest videmment possible mais peu probable : au bout de quelques minutes de marche, le cheval de Lord Hill sabattit, causant quelques beaux bleus son cavalier.

Une phrase rellement prononceAu point o nous en tions, nous fmes alors brusquement une constatation qui aurait d nous sauter aux yeux ds labord : tous les tmoignages qui parlent du ou des mots de Cambronne sont franais ! A propos de Cambronne lui-mme, pas une ligne dans les comptes-rendus allis. Seules exceptions : le rcit de sa capture par Halkett et la mention quen fait Wellington dans sa dpche Lord Bathurst du 19 juin. Et dans ces rcits, rien propos dun mot hroque quelconque Nous en tions l dans notre rflexion quand, inopinment, nous tomba sous les yeux le numro du Times du 18 juin 1932 qui vint renverser toutes nos convictions.Une preuve dfinitive

Au bas de la colonne du courrier des lecteurs, une lettre fort courte de Mr John D. Crawford rappelait la rdaction du quotidien que, en discutant de la capture du gnral Cambronne, elle avait un peu oubli le numro spcial que le Times avait consacr au centenaire de Waterloo, le 18 juin 1915. Or dans ce numro, tait publie une lettre du capitaine Digby Mackworth, du 7th Fusiliers, aide de camp du gnral Hill, crite le 18 juin 1815 11.00 du soir. Le capitaine Digby Mackworth (en 1838 Sir Digby) connut son baptme du feu avec le 7th Foot la bataille de Talavera o il portait les couleurs du rgiment. A Albuera, il fut lun des 150 rescaps des 1500 hommes de 28

la brigade commande par Sir L. Cole et forme par les 7th et 23rd rgiments pied. La brigade qui comptait le matin trois colonels termina la journe commande par un capitaine et chacun de ses rgiments par un lieutenant. Ce fut, dit-on, la plus sanglante bataille de la campagne de la Pninsule. Aprs cette terrible quipe et du fait que le 7th avait pour ainsi dire t ananti, lord Hill offrit Mackworth dintgrer son tatmajor comme aide-de-camp. Cest dans cette position quil termina la campagne, participant notamment aux batailles de Vittoria, dOrthez et de Toulouse. Mackworth reut la mdaille commmorative de la campagne, y attachant sept pinglettes A Waterloo, toujours attach ltat-major de lord Hill, cest lui qui fut charg de la liaison entre son chef et le duc de Wellington. Son cheval sabattit sous lui, trs peu de temps aprs la chute de lord Hill lui-mme60. Dans sa lettre, le capitaine Mackworth racontait lhroque rsistance de la Vieille Garde et lon y trouve, en franais et en toutes lettres la fameuse phrase La Garde meurt et ne se rend pas . Le capitaine ne dit pas qui a prononc cette phrase mais il est incontestable quelle a t prononce puisquelle nous est rapporte le soir mme de la bataille par un tmoin direct dans une lettre prive61. On peut conclure de ce tmoignage capital que Rougemont, sil est bien lauteur de larticle du Journal gnral, en crivant sa phrase le 24 juin, na rien invent du tout mais que, en bon journaliste, il rapporte un mot quun tmoin lui a rapport. Vouloir nier cette vidence, comme Logie et Houssaye, sous le prtexte quaucun officier ou soldat de la Garde ntait encore revenu Paris est parfaitement inepte. Ce nest pas parce quaucune unit organise de la Garde nest encore arrive Paris, quun tmoin isol na pas pu y parvenir Nous affirmons donc que la phrase a bien t prononce Waterloo mme si nous sommes convaincu que Cambronne nen est pas lauteur.

60 61

Daprs son avis ncrologique paru dans dans le Lyttelton Times du 2 avril 1853. Venir nous dire, comme certains lont voulu, que la lettre de laide de camp de Hill na pas pu tomber sous les yeux de Rougemont est parfaitement exact mais ne prouve strictement rien. Bien au contraire. Nous ne disons pas que Rougemont sest inspir de Mackworth mais dun tmoin inconnu. Il va de soi que si Mackworth a entendu la phrase, il na pas t le seul

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Mieux encore : le gnral Cambronne na rien dit du tout Waterloo, du moins aucune phrase historique, et son embarras, lorsquon lui posait la question, vient du fait que, loin dtre toujours hroque, son attitude Waterloo et la manire dont il fut fait prisonnier lui causaient quelque remords Dailleurs, cette attitude na pas t ignore et a t brocarde en France mme si aucun de nos auteurs nen fait mention. En veuton la preuve ? En juin 1932, la B.B.C. consacra une mission la bataille de Waterloo. Lors de la prsentation de cette mission, le Radio Times consacra un article qui faisait allusion l affaire Cambronne . Suite cette mission et cet article, un certain Richard Edgcumbe crivit au Times qui publia sa lettre le 16 juin 193262. Le correspondant du grand journal britannique crivait que son pre lavait emmen en 1850, alors quil avait 7 ans, chez le gnral Hugh Halkett qui commandait alors larme royale du Hanovre. Pour une raison quelconque, le gnral se prit de sympathie pour le jeune garon et lui raconta moult histoires propos de sa carrire militaire dont M. Edgcumbe avouait quil en avait oublies beaucoup. Mais, dit-il, je me rappelle fort bien quil ma racont avoir fait Cambronne prisonnier tout seul. Il expliquait que le courageux officier franais qui tait trs reconnaissable, pied quelque distance en avant de ses troupes, fut compltement surpris quand Halkett, qui montait un jeune cheval irlandais trs vif, galopa tout prs des lignes franaises, le saisit par ses aiguillettes et le ramena bout de souffle dans les lignes britanniques. Si vous tes officier, dit linfortun commandant quand il eut un peu repris sa respiration, si vous tes officier, voici mon pe63 La lettre de M. Edgcumbe appela plusieurs rponses qui furent publies dans le Times du 18 juin suivant. Lune de celles-ci manait de M. W.M. Leeke qui expliquait que son grand-pre, le rvrend William Leeke, avait port les couleurs du 52me rgiment lger de lOxfordshire Waterloo et quil crivit ses souvenirs dans lesquels il confirme le rcit de M. Edgcumbe. Le mme jour, le Times publiait aussi une lettre de M. Stuart62 63

The Times, 16 juin 1932, p. 15 col. c. Cette lettre confirme point par point la lettre de Halkett Siborne, prcisant mme un dtail qui nous manquait : Cambronne tait bien pied lors de sa capture.

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Bradshaw, arrire-arrire-petit-fils de Hew Halkett, dans laquelle il disait avoir en sa possession une caricature franaise o lon montre Cambronne en uniforme avec la seule mention de sa capture Waterloo. Sous limage est reprsente une pe entoure dune couronne de laurier et crite une phrase : La Garde meurt, elle ne se rend pas. Cambronne se rend, il ne meurt pas.64 La conclusion est donc bien simple : Cambronne, fait prisonnier Waterloo par le colonel Hew Halkett, na profr aucune parole historique ; la phrase clbre La Garde meurt et ne se rend pas a rellement t prononce sur le champ de bataille, mais nul ne sait et nul ne saura jamais par qui. Quant au mot , comme le suggrait le gnral Bachelu, sans doute a-til rsonn un bon millier de fois le 18 juin 1815 entre 11.30 hrs et 22.00 hrs sur le champ de bataille de Waterloo...

MD

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Cest Mark Adkin qui nous a mis sur la piste de cette correspondance avec le Times. Cest en feuilletant la collection du Times la recherche de la lettre du descendant de Halkett, publie le 18 juin 1932, que, par le plus grand des hasards, nous sommes tomb sur la lettre de Mr John Crawford, qui mentionne le tmoignage de Mackworth. Or ce tmoignage est de la plus grande importance et nous ne nous expliquons pas quil ait chapp Mark Adkin.

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CAMBRONNE PierreN Nantes, le 26 dcembre 1770 Grenadier 1 Bn Mayenne et Loire 27 juillet 1792 Sergent Lgion Nantaise 17 juin 1793 Sergent-major Id 1 juillet 1793 Lieutenant Id. 10 septembre 1793 Capitaine des carabiniers Id. 15 Vendmiaire III Lgion des Francs (46 1 Brumaire V Chef de bataillon 83me er me er er

de Ligne)

de Ligne

12 Fructidor XIII 1 Voltigeurs de la Garde 11 avril 1809 Colonel Major 3me er

Voltigeurs de la Garde

6 aot 1811 Gnral de Brigade Major 1 Chasseurs de la Garde 20 novembre 1813 Marchal de camp Major 1 Chasseurs de la Garde 1 avril 1815er er er

32

Prisonnier de guerre 18 juin 1815 Ray des contrles 11 octobre 1815 Rentr dAngleterre 17 dcembre 1815 Radmis au contrle 14 aot 1818 Commandant de la 1 25 avril 1820 Remplac sur sa demande 2 octobre 1822 Mis la retraite 15 juin 1823 Dcd 29 janvier 1842re

subdivision de la 16

me

division militaire

Cit deux fois lordre du jour de larme Quatre blessures Fait Grand Officier de la Lgion dHonneur le 1 avril 1815er

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Sommaire

Le mot du grand Victor....................................................................................... 4 Dautres auteurs moins heureux ..................................................................... 6 Marcel Dupont ............................................................................................... 6 Henry Houssaye ............................................................................................. 8 Jacques Logie ............................................................................................... 10 Jean-Claude Damamme................................................................................ 11 Luc Devos ..................................................................................................... 12 Jean-H Frings ................................................................................................ 13 Une histoire de la lgende................................................................................ 15 Un tmoignage loign.................................................................................. 18 Des faits ........................................................................................................... 20 O tait Cambronne ? .................................................................................. 20 O tait Michel ? .......................................................................................... 22 La garde meurt Cambronne se rend .............................................................. 22 Une polmique en anglais ......................................................................... 24 Qui a somm Cambronne de se rendre ? ..................................................... 26 Une phrase rellement prononce................................................................... 28 Une preuve dfinitive ................................................................................... 28 CAMBRONNE Pierre ............................................................................ 32 Sommaire ......................................................................................................... 34

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