Le Mouvement Syndical Haitien

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Copyright Organisation Internationale du Travail 2003 Premire dition 2003 Les publications du Bureau International du Travail jouissent de la protection du droit dauteur en vertu du protocole n2, annexe la Convention universelle pour la protection du droit dauteur. Toutefois, de courts passages pourront tre reproduits sans autorisation, la condition que leur source soit dment mentionne. Toute demande dautorisation de reproduction ou de traduction devra tre adresse au Bureau des publications (Droits et licences), Bureau International du Travail, CH-1211 Genve 22, Suisse. Ces demandes seront toujours les bienvenues. BIT Lafontant Joseph, Andr Le Mouvement Syndical Hatien: De ses origines aux dbuts du XXIme sicle. San Jos, Costa Rica. Bureau International du Travail, 2003 Syndicalisme, histoire, structure syndicale, droit du travail, Hati 13.06.3 ISBN: 92-2-215211-5 ISBN Web pdf: 92-2-215212-3 Donnes de catalogage du BIT

Les dsignations utilises dans les publications du BIT, qui sont conformes la pratique des Nations Unies, et la prsentation des donnes qui y figurent nimpliquent de la part du Bureau International du Travail aucune prise de position quant au statut juridique de tel ou tel pays, zone ou territoire, ou de ses autorits, ni quant au trac de ses frontires. Les articles, tudes et autres textes signs nengagent que leurs auteurs et leur publication ne signifie pas que le Bureau International du Travail souscrit aux opinions qui y sont exprimes. La mention ou la non mention de telle ou telle entreprise ou de tel ou tel produit ou procd commercial nimplique de la part du Bureau International du Travail aucune apprciation favorable ou dfavorable. Les publications du Bureau International du Travail peuvent tre obtenues auprs du Bureau International du Travail, Ofiplaza del Este, Btiment B, IIIme tage. On peut aussi se les procurer la Bote Postale 10170-1000 San Jos, Tlphone (506)207-8700, Fax: (506)224-2678. Visitez notre page web: http//www.oit.or.cr ou www.ilo.org/public/spanish/dialogue/actrav/index.htm

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PRESENTATION PRESENTA

A lheure o cette recherche tait mise sous presse, la crise annonce par son auteur clatait et lespoir naissait nouveau dans le coeur du peuple hatien. Hati est arrive un carrefour qui invite une rflexion sur le futur des travailleurs et des travailleuses. Cette rflexion peut se rvler trs fructueuse pour la nation car ce sont les travailleurs qui constituent le levier principal de cration de richesses. Il est urgent de rechercher des lments de solution: Hait souffre tant de la faiblesse structurelle de son conomie que des troubles politiques qui ont caractris son histoire rcente. Les indicateurs socio-conomiques sont inchangs par rapport aux annes prcdentes. Suite limportante et interminable crise politique et conomique, lexode des Hatiens continue, malgr les rapatriements continus depuis la Rpublique dominicaine et les Etats-Unis. Les migrations internes de la campagne vers les villes continuent galement acclrer le processus de favelisation des principales villes du pays, en particulier Port-au-Prince et Cap-Hatien. Sur une population apte au travail estime 4,1 millions de personnes, le secteur de lemploi formel ne compterait pas plus de 110.000 travailleurs, y compris ceux employs dans le secteur public (35.000 travailleurs). Le secteur informel est donc devenu une activit fondamentale pour des millions dHatiens (70 % de la population selon les estimations) qui tentent de survivre dans des conditions sociales dsastreuses. Les pertes demplois enregistres dans les diffrents secteurs dactivit, en particulier dans la sous-traitance et lagriculture, nont pas t compenses. Un bon nombre de travailleurs, privs de leur emploi pendant plusieurs annes, mnent aujourdhui une vie extrmement prcaire. Bien quHati soit passe de la 159me la 152me place sur un total de 174 pays dans le rapport sur le dveloppement humain du PNUD, ce progrs est d davantage la dtrioration de la situation dautres pays qu une amlioration des conditions de vie Hati. Les Hatiens continuent fuir le pays, de nombreux cadres qui taient rentrs depuis 1986 labandonnent nouveau, ce qui aggrave le problme du manque de ressources humaines. Lexode des paysans vers les autres rgions des Carabes, en particulier vers la Rpublique dominicaine, se poursuit galement. La drogue est un autre problme social grave dans le pays. Les habitants en peroivent chaque jour davantage lampleur, mais il na pas toujours t affront avec le srieux ncessaire dans tous ses aspects. Le trafic de la poudre blanche a pris une dimension telle quil modifie lconomie nationale et le comportement de la population, non seulement dans les villes mais galement la campagne, o elle tombe du ciel sous forme de paquets jets depuis des avions de tourisme. Personne ne connait limportance du trafic de drogues en termes montaires dans le pays, mais il pntre tant les hautes sphres de la socit que les couches dfavorises. La ville de Port-au-Prince continue de voir augmenter sans frein le nombre dhabitants et de vhicules, tel point quon ne peut presque plus y circuler : dun ct ce sont les trottoirs chargs de marchands

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ambulants, dordures, de pavs casss, de restes de matriel de construction, de ferrailles et de dchets, de lautre ce sont des chausses remplies de vhicules bloqus une bonne partie de la journe par le trafic de 180.000 voitures et camions. Le gouvernement prcdent a essay de construire des routes de dgagement pour viter ces bouchons, mais elles nont pas t termines jusqu prsent. Ce problme montre lincapacit du gouvernement prcdent contrler lexode rural, crer les infrastructures ncessaires et les entretenir. Port-au-Prince est une ville qui avait t prvue pour seulement 50.000 habitants en 1950, elle en compte actuellement plus de 2 millions. Autre problme social: les prisons remplies de prisonniers qui ne sont pas jugs et qui sont enferms de manire illgale pendant des mois, voire des annes. Plusieurs dentre-eux ont men des grves de la faim. Les trafiquants de drogues, eux, obtiennent souvent leur libration une vitesse proportionnelle leur pouvoir conomique. Cette situation sociale critique constitue un terrain fertile pour le dveloppement de tous types de bandes de jeunes et denfants abandonns leur sort et sans avenir. Depuis 1997, le ministre de la Sant publique et de la Population (MSPP) et lOrganisation mondiale de la sant ont incit tablir des certificats de dcs. En 1999, 7.997 certificats de dcs ont t enregistrs, soit 10% du nombre estim de dcs. Bien que lorigine du dcs soit mal dfinie dans presque la moiti de ces certificats, ce type dinformation est prcieux pour tablir un profil de la mortalit. Les maladies transmissibles occupent le premier rang des causes de dcs, avec 37,5% des morts dont la cause est dfinie. Les maladies du systme circulatoire viennent en deuxime place, suivies par les causes externes (4,3%) et les affections noplasiques (2,7%). En considrant les causes spcifiques de dcs, le SIDA se trouve en premire place (5,2% des dcs), suivi par les diarrhes, les gastro-entrites infectieuses (5%) et les accidents crbraux vasculaires (3,5%). Si lon observe les dix premires causes de dcs chez les femmes, les trois premires concident avec le modle gnral, mais en quatrime place se trouvent les causes lies la maternit, avec 157 dcs. Le VIH/SIDA affecte 4,5% de la population hatienne (selon des estimations qui ne reposent pas sur des donnes statistiques trs fiables). On a estim que chaque anne, il y a environ 13.000 femmes enceintes positives au VIH et que 30% de leurs enfants natront infects. Hati concentrait le plus grand nombre dONG par habitant ainsi que la plus grande quantit dargent injecte par habitant pour des motifs de coopration. Ce pays reoit actuellement lappui de la socit civile internationale par le biais de 36 ONG et de diffrents gouvernements. La coopration de gouvernement gouvernement ne fonctionne pas depuis ces dernires annes car beaucoup dargent ou de projets qui ont t mis en place directement avec le gouvernement hatien ne sont pas arrivs bon terme (perte dargent ou mauvais fonctionnement du projet implant). Les gouvernements qui ont des projets de coopration les orientent donc directement vers la population qui en bnficiera, sans passer par des intermdiaires. Pour comprendre ce qui se passe actuellement en Hati, il faut remonter au mois de mai 2000, lors des lections gnrales qui concernaient tous les postes ligibles, celui du Prsident except. Ces lections ont bloqu le pays suite aux accusations de fraudes tant des partis de lopposition que

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de lOEA elle-mme. A cel se sont ajoutes en novembre 2000 les lections prsidentielles. Elles ont amen Aristide au pouvoir pour la seconde fois, avec un pourcentage de participation de la population trs bas (aux environs de 5%), ce qui pourrait indiquer la chute de popularit dAristide et le dsintrt des lections comme forme dexpression de la volont populaire, en raison des fraudes commises. Suite ces lections et aux conditions dans lesquelles elles ont t menes, le parti au pouvoir sest empar de100% des postes ligibles tous les niveaux. Lopposition refusa ds lors de reconnatre la situation, la qualifiant de pouvoir de facto. LOrganisation des Etats amricains exigeait initialement, de son ct, la rorganisation dlections pour seulement neuf des snateurs. Le refus catgorique du parti de Lavalas* a provoqu le dbut de ngociations embrouilles et sans fin dans lesquelles lOEA a propos de jouer le rle de mdiateur. Ces ngociations nont dbouch sur aucun rsultat concret. Entre-temps, un autre lement de grande importance sest droul le 17 dcembre 2001: alors que le gouvernement tait sur le point de signer un accord avec lopposition, suite des ngociations qui ne lavantageaient pas comme il le voulait, des violences ont clat dans le pays et le gouvernement les a qualifies de tentative de coup dEtat. Le mme jour, dans diffrentes parties du pays, des groupes arms proches du gouvernement ont attaqu et tu des partisans de lopposition, brlant les locaux des partis et les habitations personnelles de militants. A partir de ce moment, lopposition politique Aristide, regroupe dans la Convergence dmocratique**, entamme une priode de forte opposition au rgime. Lex-dirigeant se lance lui aussi dans une priode dattaque frontale lencontre de lopposition avec des disours de plus en plus violents, avec des accents marqus de classe sociale et de race. Le 5 dcembre 2003, une attaque se produit lUniversit de lEtat, son recteur est agress par des chimeres***. Ceci provoque une raction de mcontentement chez les acteurs les plus instruits de ce pays. Cest le debut de la chute dfinitive du gouvernement Lavalas, avec des manifestations organises presque quotidiennement par lopposition jusquau 5 fvrier 2004, lorsquapparaissent les rebelles dans le nord du pays. Ils semparent rapidement de plus de la moiti du territoire et le 29 fvrier, Aristide quitte Hati pour la Rpublique centre-africaine, laissant le pouvoir au prsident de la Cour suprme, Alexandre Boniface.* Fanmi Lavala, mouvement cr par Jean Bertrand Aristide en 1988. En crole, Lavalas signifie Avalanche, Torrent. Cest un groupement politique et social o convergent des secteurs lis une gauche attache la thologie de la libration et des secteurs de la population plus marginalise de Hati, comme les habitants des favelas situes dans la Cit Soleil et les petits paysans. Ces deux secteurs sont la principale clientle politique de Lavalas. Aristide a jou un moment dtermin avec le facteur racial de ngritude (la fiert pour le noir, lafro) pour tenter de maintenir un soutien massif des classes plus dfavorises de ce pays. ** Il sagit dun groupement trs particulier qui regroupe non seulement les partis politiques de toutes les tendances, mais aussi les mouvements organiss et non organiss de la socit civile et dont fait partie le mouvement syndical. *** Dans les annes 90 apparaissent dans la Cit Soleil, la plus grande favela de la capitale hatienne, des groupes de marginaux avec un argot particulier, avec des vtements qui rappellent les jeunes marginaux des quartiers de New York et des attitudes variant entre modrment violentes et mprisantes. Ils sauto-dsignent comme tant des Quimeras. Dernirement, les groupes de Quimeras ont connu leur essor maximal en se convertissant en un des plus importants protagonistes de la vie politique agite de ces derniers mois, ce qui a popularis le terme dans tout le pays et est devenu une insulte dans la bouche des opposants lex-gouvernement dAristide et au parti Famille Lavalasse. Les jeunes en general, et les marginaux en particulier, constituent une fraction trs importante de la population et de llectorat. Par consquent, ils accordent une grande importance toute bataille lectorale et sont convoits par les partis et les groupements politiques.

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Le mouvement syndical na pu chapper aux consquences des diffrentes crises qua traverses Hati depuis 1986. Au cours des trois dernires annes, il a d faire face une politique antisyndicale, consquence de lapplication du programme dajustage structurel et des tendances autoritaires de lex-prsident Aristide. Le mouvement syndical sest trouv la drive pendant une longue priode, caractris par un manque de conviction, de ligne syndicale mais surtout par la qute davantages personnels de nombreux dirigeants. En raction cette situation, diffrents meneurs et cadres syndicaux parmi les mieux forms quittent le pays, dautres se retirent. Aujourdhui, le mouvement syndical, conscient de la ncessit damliorer les conditions de vie et de travail du peuple hatien, a entam un processus de restructuration et de renforcement. La Coordination syndicale hatienne, CSH, sest engage sur ce nouveau chemin avec le soutien du Bureau international du Travail (BIT) en ce qui concerne son renforcement, son dveloppement et sa modernisation. Les syndicats sont des acteurs susceptibles dassurer le dveloppement dun systme harmonieux de relations de travail qui rponde aux impratifs de croissance conomique, dquit sociale, dgalit (principalement entre hommes et femmes) et de dmocratisation de la socit. Cest de cet apport de la part de ses travailleurs organiss dont Hati a besoin.

Juan Manuel Seplveda Malbrn

TABLE DES MATIRES MATIRESp. AVANT PROPOS LISTE DES TABLEAUX LISTE DES ABREVIATIONS PREFACE PREMIERE PARTIE HISTORIQUE DU MOUVEMENT SYNDICAL La priode pr-syndicale : 1804 - 1945 La naissance du mouvement syndical: 1946 - 1948 La premire priode de rgression: 1948 1958 La renaissance du mouvement syndical: 1958 1963 La priode dhibernation du mouvement syndical: 1963 1979 DEUXIEME PARTIE VOLUTION RECENTE DU MOUVEMENT Les orientations des organisations entre 1986 et 1991 Panorama des activits syndicales entre 1986 et 1991 La priode du coup dEtat de 1991-1994 TROISIEME PARTIE LE CONTEXTE ACTUEL DU MOUVEMENT SYNDICAL La situation socioconomique La syndicalisation dans les diffrents secteurs conomiques et sociaux -Le secteur industriel -Le secteur agricole -Ladministration publique -Les entreprises dEtat -Le secteur des services Le contexte politique Tendances actuelles du mouvement syndical 11 13 14 21

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Le contexte lgal -Le droit du travail et la Constitution de 1987 -La lgislation du travail -Les conditions de travail -Le systme de scurit sociale -Le contrat de travail -La main-duvre soumise un rgime spcial -Les conflits de travail -Les tribunaux du travail -La Commission tripartite de consultation et darbitrage Les rapports entre le pouvoir Lavalas et les syndicats Les rapports entre les organisations syndicales -La Coordination syndicale hatienne -Le Collectif syndical dHati -Le Secteur syndical Les rapports entre les syndicats et le reste de la socit civile -LInitiative de la socit civile (ISC) Les rapports actuels entre les syndicats et les partis politiques LES CARACTERISTIQUES DU SYNDICALISME EN HAITI Les types de syndicalisme en prsence -Le syndicalisme dentreprise -Le syndicalisme sectoriel -Le syndicalisme professionnel La vie dmocratique dans les syndicats La situation financire des syndicats La situation administrative des syndicats Corruption au sein de certaines directions syndicales Les syndicats et le programme dajustements structurels La formation des dirigeants et des cadres La division au sein et entre les syndicats Mobilisation et visibilit des femmes dans les syndicats Perceptions et visions des dirigeants syndicaux QUATRIEME PARTIE PRESENTATION DES ORGANISATIONS SYNDICALES La Centrale autonome des travailleurs hatiens

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A- Fiche signaltique B- Structure et fonctionnement C- Cotisation des membres et appui financier D- Principales revendications et actions E- Lien avec le reste de la socit Le Collectif syndical dHati A- Fiche signaltique B- Structure et fonctionnement C- Cotisation des membres et appui financier D- Principales revendications et actions Principales actions revendicatives menes durant ces 2 dernires annes E- Lien avec le reste de la socit La Confdration gnrale des travailleurs A- Fiche signaltique B- Structure et fonctionnement C- Cotisation des membres et appui financier D- Principales revendications et actions E- Lien avec le reste de la socit Confdration nationale des ducateurs dHati A- Fiche signaltique B- Structure et fonctionnement C- Cotisation des membres et appui financier D- Principales revendications et actions E- Lien avec le reste de la socit La Fdration des ouvriers syndiqus A- Fiche signaltique B- Structure et fonctionnement C- Cotisation des membres et appui financier D- Principales revendications et actions E- Lien avec le reste de la socit Organisation gnrale indpendante des travailleurs A- Fiche signaltique B- Structure et fonctionnement C- Cotisation des membres et appui financier D- Principales revendications et actions E- Lien avec le reste de la socit Confdration des travailleurs hatiens

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A- Fiche signaltique B- Structure et fonctionnement C- Cotisation des membres et appui financier D- Principales revendications et actions E- Lien avec le reste de la socit Corps national des enseignants dHati A- Fiche signaltique Groupe dinitiative des enseignants des lyces A- Fiche signaltique Confdration indpendante des travailleurs dHati A- Fiche signaltique Congrs des ouvriers dHati A- Fiche signaltique Konfdrasyon ouvriye travay ayisyen A- Fiche signaltique Mouvement intersyndical indpendant dHati A- Fiche signaltique CINQUIEME PARTIE BILAN ET PERSPECTIVES BIBLIOGRAPHIE

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A V ANT-PROPOS ANT-PROPOS

Depuis quelque temps dj, je rflchissais lide dune contribution lhistoire du mouvement syndical hatien. Je voulais surtout tmoigner de lexprience riche et exaltante que jai vcue durant douze ans au sein de la direction de la Confdration nationale des ducateurs dHati, et partager les leons que jen ai tires. Quand sest prsente lopportunit de raliser cette tude pour le BIT, sur la situation actuelle du syndicalisme en Hati, je nai pas hsit une seconde, bien que la commande ait t sensiblement diffrente de mon projet de dpart. La vie dmocratique en Hati fonctionne par coups. Les priodes dextinction ou de recul sont parfois tellement longues que les traditions et les expriences se perdent. Les nouvelles cohortes de militants ont alors limpression quelles doivent tout recommencer, sans pouvoir bnficier des leons apprises au prix de durs sacrifices par leurs devanciers. Je me rappelle quen 1986, nous organisions la CNEH des confrences o Michel Hector, Marcel Gilbert et Clbert Vielot1 venaient nous parler de leurs expriences. Toute tentative de conserver vivante cette mmoire collective des luttes piques et parfois tragiques des travailleuses et travailleurs hatiens est donc uvre utile pour les gnrations prsentes et futures. Les problmes dHati nintressent pas que les Hatiens. Je me souviens des efforts de nos amis de la CFDT, de la FEN, de la FCE, de la CEQ et de lORIT pour essayer dapprhender les mandres de la situation hatienne et du contexte dans lequel fonctionnent les syndicats. Il nous tait parfois difficile de leur fournir vif une bonne analyse dune conjoncture qui pesait de tout son poids sur nos paules. Il aurait fallu du recul pour assurer davantage dobjectivit. A dautres reprises, du fait de notre implication dans le contexte hatien, des descriptions et des examens pourtant assez lucides souffraient dun dficit de crdibilit aux yeux de nos interlocuteurs. Ils ne nous le disaient pas, mais nous le sentions. Nous disions alors: ils ne peuvent pas savoir ce que nous vivons. Jai donc la chance travers cette tude daider clairer le cheminement du mouvement syndical de sa naissance jusqu la priode difficile quil est en train de traverser. Une telle entreprise nest pas sans risque pour un acteur de la tranche rcente de cette histoire. Peut-il avoir assez dobjectivit pour mettre en question sa propre exprience ? Comment rendre la vrit historique de certains pisodes malheureux sans compromettre ses relations avec ses anciens camarades et partenaires ? Quel intrt a-t-on rouvrir certaines plaies apparemment cicatrises ? La franchise et le sens autocritique

1 Michel Hector, Marcel Gilbert et Clbert Vielot sont des dirigeants syndicaux de lpoque 19461963 qui avaient d prendre lexil sous la dictature des Duvalier et sont revenus au pays aprs la chute du rgime, en fvrier 1986.

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de beaucoup de personnes que jai rencontres mont convaincu de lopportunit dune telle dmarche. Nous ne devons pas avoir honte de nos erreurs et la seule faon de nous disculper est dabord de les reconnatre. Je dois en ce sens rendre un hommage particulier Jean Claude Lebrun, le secrtaire gnral de la CTH, pour son humilit et sa sincrit. Je naurais pu accomplir cette tche immense sans les contributions de plusieurs personnes. Le livre de Michel Hector, Syndicalisme et Socialisme en Hati, ma beaucoup aid dans la reconstitution des dbuts du mouvement syndical en Hati. Je remercie Matre Monique Brisson de mavoir permis dutiliser le manuscrit de sa confrence sur la lgislation du travail en Hati. Je dois aussi mentionner le soutien et lencadrement de mon ami Arnold Antonin et de mon camarade Gesner Jean Philippe. Je remercie tous les dirigeants des organisations syndicales qui mont accord une partie de leur temps prcieux et qui ont accept de mettre des lments de leurs archives ma disposition. Je remercie enfin le BIT davoir rendu possible cette tude.

Ption Ville, le 28 septembre 2002

Andr-Lafontant Joseph2

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2 Secrtaire gnral de la Confdration nationale des ducateurs dHati (CNEH) de 1996 1999. Licence en gologie applique. Licence en gnie civil. Matrise en dveloppement urbain et rgional. Matre dans lenseignement public et priv.

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LISTE DES TABLEAUX TABLEA ABLEAUXp. Tableau 1. volution du salaire minimum lgal par journe de 8 heures de 1934 1974 Tableau 2. Rpartition de la population active en 1999 Tableau 3. Rpartition de la population active ge de 20 44 ans en 1999 Tableau 4. volution du salaire minimum lgal par journe de 8 heures de 1980 1995 Tableau 5. volution du salaire rel de 1981 1999, lanne de base tant 1981 Tableau 6. Taux de reprsentativit des membres aux plus hautes instances de dcision Tableau 7. Rcolte de cotisations pour lanne 2001 Tableau 8. Le fractionnement de la CATH de 1986 1996 Tableau 9. Les femmes au sein des principales organisations syndicales

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ABRVIATIONS LISTE DES ABRVIATIONS

AEBN AEP AFL-CIO AHP AIFLD AJH AMH ANC ANDAH ANEH ASTH BIT C AT H CEMEP CEP CEQ CGT CISL CISN C L AT CMOPE CMT CNE CNEH CNG COSYNA CSH CSTH CSTP C TA C TC CTH

Association des employs de la Banque nationale Association des enseignants de Port-au-Prince American Federation of Labor - Congress of Industrial Organizations Agence hatienne de Presse American Institute for Free Labor Development Association des journalistes hatiens Association mdicale hatienne Action nationale des chauffeurs Association nationale des agronomes hatiens Association nationale des enseignants hatiens Association syndicale des transporteurs hatiens Bureau international du Travail Centrale autonome des travailleurs hatiens Conseil de modernisation des entreprises dEtat Conseil lectoral provisoire Centrale de lenseignement du Qubec Confdration gnrale des travailleurs Confdration internationale des syndicats libres Confdration indpendante des syndicats nationaux Centrale latino-amricaine des travailleurs Confdration mondiale des organisations de la profession enseignante Confdration mondiale du travail Compagnie nationale dentretien Confdration nationale des enseignants (puis des ducateurs) hatiens Conseil national de gouvernement Collectif des syndicats nationaux Coordination syndicale hatienne Centrale syndicale des transporteurs hatienne Centrale syndicale des transporteurs publics Code du travail actualis Congrs canadien du travail Confdration des travailleurs hatiens

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EDH FCE

Electricit dHati Fdration canadienne des enseignants et des enseignantes

F E N A T E C Fdration des travailleurs de lducation et de la communication F E S T R E D H Fdration syndicale des travailleurs et employs de lEDH Fdration hatienne des travailleurs FHT FOP FOS FSCH FSM FTH IDASH IHSI JOC K O TA MOP M O PA H MPP NCHR OEA O FAT M A OGITH OIT ONA ONU OPL ORIT PA D F PAM PANPRA PIB PNUD R A S PA H RDNP Fdration ouvrire paysanne Fdration des ouvriers syndiqus Fdration des syndicats chrtiens dHati Fdration syndicale mondiale Fdration des travailleurs hatiens Institut dassurances sociales dHati Institut hatien de statistique et dinformatique Jeunesse ouvrire chrtienne Konfedrasyion ouvriye travay ayisyen (Confdration des ouvriers et des travailleurs hatiens) Mouvement ouvrier paysan Mouvman peyizan patriyt 3 Mouvement des paysans de papaye National Coalition for Haitian Rights (Coalition nationale pour les droits des Hatiens) Organisation des Etats amricains Office dassurance accidents du travail de maladie et de maternit Organisation gnrale indpendante des travailleurs Organisation internationale du Travail Office national dassurance (vieillesse) Organisation des Nations Unies Organisation du peuple en lutte (prcdemment Organisation politique Lavalas) Organisation rgionale interamricaine des travailleurs Pan American Development Foundation 4 Programme alimentaire mondial Pati nasyonalis pwogresis revolisyon ayisyen 5 Produit intrieur brut Programme des Nations Unies pour le dveloppement Rasanbleman plant latibonit 6 Rassemblement national des dmocrates progressistes

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En franais: Mouvement des paysans patriotes En franais: Fonds panamricain de dveloppement En franais: Parti nationaliste progressiste rvolutionnaire hatien En franais: Rassemblement des planteurs de lArtibonite

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RENAFANM RENAFANM Rezo nasyonal fanm7 SCCF SCTPM SNTPH SNU SOETEL SOMHA S OT SPH SPI STPH UDEH UIH Syndicat des chauffeurs de Carrefour-Feuilles Syndicats des chauffeurs de transport de la zone mtropolitaine Syndicat national des transporteurs publics hatienne Systme des Nations Unies Syndicat des ouvriers de la TELECO Syndicat des ouvriers de la minoterie dHati Syndicats des ouvriers et des travailleurs Syndicat des postiers dHati Syndicat du personnel infirmier Syndicat du transport public dHati Union dmocratique des migrs hatiens Union intersyndicale hatienne

Union des matres normaliens de lenseignement suprieur UMNES U N A D E S H Union nationale dmocratique des syndicats hatiens UNICEF United Nations Childrens Fund8 Union nationale des instituteurs hatiens UNIH UNNOH UNOH USAID Union nationale des normaliens hatiens Union nationale des ouvriers hatiens Agence internationale des Etats-Unis pour le dveloppement

7 En franais: Rseau national des femmes 8 En franais: Fonds des Nations Unies pour lenfance 16

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Prface

Depuis le dbut des annes quatre-vingt-dix, les syndicats de notre rgion traversent une priode de transition, la recherche dune nouvelle identit. Cette priode est la consquence des changements survenus dans les politiques conomiques, du nouveau rle de ltat et dautres facteurs dordre historico politique. Les organisations syndicales doivent aujourdhui faire face un changement dpoque qui implique lvolution des modles de conduite, des valeurs, des systmes et des formes de cohabitation issus de la rvolution industrielle. Ce processus en cours diversifie et transforme en profondeur les classes et secteurs sociaux sur la base desquels stait construit le syndicalisme, affectant ainsi la nature de leurs revendications. Ces vingt dernires annes, les innovations technologiques, qui ont touch tous les domaines conomiques, ont rvolutionn les concepts dorganisation du travail et de la production, ce qui a eu des consquences sur le niveau et le caractre de lemploi. A cela sest ajoute une grave crise conomique qui, au cours des annes quatre vingt, a gnr un taux de chmage lev, en particulier dans le secteur industriel, pilier fondamental du mouvement syndical jusqu cette poque. Toutefois, en parallle, la croissance dautres secteurs dans lesquels les syndicats navaient pas encore fait leur apparition ou enregistraient un dveloppement fragile (les services, le domaine financier, le commerce, le tourisme, etc.) a donn naissance des groupes de travailleurs aux caractristiques et aux revendications divergeantes du classique syndicat dindustrie et, en majeure partie, non couverts par la ngociation collective. Si nous souhaitons identifier les obstacles qui se dressent aujourdhui devant le syndicalisme en vue de redfinir sa mission, son rle au sein de la socit actuelle, nous devons dabord procder lanalyse pratiquement gnralise de la crise quil a d traverser, en particulier au cours de la dernire dcennie. Il suffit dobserver le syndicalisme des dernires annes du XXe sicle dans la rgion pour constater lexistence de multiples tensions auxquelles ce mouvement est confront et de menaces qui planent parfois sur son existence mme ainsi que sur son rle fondamental en tant que mouvement social. Dune part, lobservation et lanalyse devraient contribuer dans une plus grande mesure dterminer les potentiels considrables dun mouvement social la trajectoire riche, qui traverse lintgralit du dernier sicle et dont lexistence savre incontournable en termes de ncessit historique. Dautre part, il sagit dtablir dans un premier temps le chemin parcouru dans la transition par le mouvement syndical,les organisations sociales et lensemble de la socit, dans le cadre des grandes transformations conomiques, sociales, politiques et culturelles caractristiques de ce que daucuns dfinissent dj comme un changement dpoque. Lchec du modle dconomie de substitution et dinterventionnisme tatique, aussitt suivi de lapplication de programmes dajustement conomique et de limposition dun nouveau modle douverture, ainsi que les changements survenus en faveur dune plus grande diffrenciation et complexit au niveau de la structure et des diffrentes sphres de la vie sociale, ont eu un impact rellement destructif sur le syndicalisme de la rgion.

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Cet impact a eu pour rsultat immdiat daffaiblir progressivement le mouvement au cours des annes quatre-vingt-dix, affaiblissement mis en vidence par la rduction du nombre de syndicats et par la baisse de la couverture de la ngociation collective. Une diminution notable de sa marge daction dans le domaine de la vie publique a galement t constate. Les organisations et courants syndicaux qui, lors des dcennies prcdentes, avaient joui dune forte influence politique et dune capacit de pression importante auprs de lEtat, que ce soit en raison de leur situation dans lopposition politique ou de leur lien idologique avec la transformation radicale de la socit ou du systme politique, ont progressivement t dlogs de cette position centrale et perdu de leur lgitimit au niveau de leur propre base sociale et de la socit en gnral. Souvent, ils ont persist adopter une attitude conservatrice consistant dfendre outrance lancien schma tatique, caractris par le clientlisme, linefficacit et la corruption, et protger leurs intrts particuliers/corporatistes aisment assimilables des privilges ou des exigences exagres. Dans les cas o le syndicalisme tait intgr dans les institutions dEtat la manire dun rgime corporatiste, on a pu voir saccentuer la tendance dj prsente au cours des dcennies prcdentes allant dans le sens de la perte de reconnaissance de son importance comme alli stratgique et de son pouvoir. Cette situation est plus vidente dans les pays o les partis qui, traditionnellement, exeraient la plus grande influence au sein du mouvement ou occupaient la direction dune centrale dtermine, sont devenus, au niveau du gouvernement, les agents de la politique nolibrale. La baisse du nombre daffilis est sans aucun doute lie aux changements drastiques survenus dans la composition de lemploi et aux effets des rformes lgales visant entriner et encourager tous les modes de flexibilisation du travail. Toutefois, il convient de ne pas oublier les nombreux facteurs dordre historico politique. Dans le domaine des relations professionnelles, les pays de la rgion semblent prsenter un dnominateur commun : lexercice de la libert syndicale et de la ngociation collective a enregistr un net recul au cours des dernires annes. Ce recul sest traduit par une rduction du nombre de syndicats, de personnes syndiques, de conventions signes et de travailleurs couverts, par un appauvrissement du contenu de ces conventions et par une perte dimportance de la ngociation par branche face la ngociation dentreprise ou individuelle. Les causes de ce retour en arrire sont multiples, mais elles sont troitement lies un dclin du pouvoir ngociateur des syndicats et la diminution du taux daffiliation syndicale au sein des entreprises. Au sujet des affiliations, on note quun nombre croissant de centrales et de confdrations ont ouvert leurs portes des organisations de travailleurs indpendants, de salaris relevant du secteur informel ou impliqus dans des activits concernant les services communautaires, sociaux et les services aux personnes, ainsi qu dautres types dorganisations comme les organisations municipales, les associations villageoises ou paysannes et les coopratives. La base sociale principale, voire unique, de plusieurs centrales/confdrations se compose des secteurs susmentionns. Il est vident que ces centrales perdent de fait leur condition dorganisation syndicale et, souvent, elles se prsentent de manire explicite comme un front dorganisations

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sociales ou populaires. Leur rle dpasse les limites des relations professionnelles proprement dites, il embrasse diffrents types de revendications sociales et dactions collectives davantage lies aux politiques publiques et la gestion des autorits locales et sectorielles. Sans ignorer limportance de cette alternative, mais en tenant compte du fait que le syndicalisme traditionnel continuera doccuper une certaine place et conservera des caractristiques spcifiques, il est certain qu lavenir et pour un long moment peut tre , sa force en tant que mouvement ne dcoulera pas tant du nombre de personnes et dorganisations affilies que de la capacit politique quil sera capable de dployer au sein de lentreprise, dans son environnement social et au niveau national. Dautre part, les centrales syndicales et/ou les confdrations affichent un dsquilibre par rapport aux syndicats locaux, en particulier dans le secteur industriel. Les syndicats forts nont pas systmatiquement recours leurs services en matire de soutien en vue dun processus de ngociation collective ; ils sont autosuffisants et, dans certains cas, possdent davantage de ressources que les centrales elles mmes. Ce sont les syndicats les plus faibles qui connaissent les plus grandes difficults et qui ont besoin des centrales et/ou confdrations syndicales. Nanmoins, quelle que soit leur force, la possibilit, pour les instances suprieures du mouvement syndical, de parvenir attirer les syndicats locaux dpendra de leur capacit darticulation et dinterprtation des revendications et de leur aptitude assurer ces syndicats lgitimit, efficacit et autonomie. A cet gard, trois aspects doivent retenir lattention :

(i)Structure (i) StructurePar consquent, lun des obstacles les plus urgents et les plus difficiles surmonter par le syndicalisme dans la rgion est ladaptation de ses propres structures la dynamique du monde actuel. Il est essentiel de disposer dorganisations adaptables, flexibles et dcentralises et de dpasser la rigidit traditionnelle des organisations syndicales. Si le monde du travail devient de plus en plus dynamique et instable, il nest pas possible de relever ses dfis avec des structures rigides. Le mouvement syndical a toujours revendiqu reprsenter lensemble des travailleurs et non uniquement celles et ceux qui sont membres. Il existe de larges franges de travailleurs qui intgrent de nouveaux secteurs dpourvus de tradition syndicale ou dsorganiss le secteur informel par exemple , et dautres qui entretiennent des relations salariales prcaires ou atypiques. Comment vraiment reprsenter les intrts et proccupations de ces travailleurs ? Quelles sont les formes dorganisation les plus appropries en vue de rendre compte de ces ralits ? Certes, le dfi excde de loin le rle du mouvement syndical, mais ce dernier a voix au chapitre en la matire. Le caractre de plus en plus htrogne de la base syndicale traditionnelle du lintgration massive de la femme dans la population active (qui a dsquilibr le concept traditionnel du march), la varit croissante des qualifications et aux nouvelles formes dengagement constitue une difficult pour les syndicats dans la mesure o ils doivent se montrer capables darticuler les diffrentes revendications de tous ces segments de la population active au sein dun projet syndical commun.

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(ii)Atomisation (ii) AtomisationLa question se complique encore davantage lorsque lon constate que la division syndicale rgne dans les pays dAmrique latine. A lexception de la Bolivie, de Cuba et de lUruguay, o il existe une seule centrale syndicale, cette rgion en compte en moyenne cinq par pays. Par exemple, listhme centre amricain (six nations) englobe 34 centrales syndicales ; la rgion andine (cinq pays), 24 ; le Cne Sud (cinq pays), 17 ; le Mexique, la Rpublique dominicaine, Cuba et Hati, 18 eux quatre. Sur un total de 93 centrales syndicales latino amricaines, 25 sont affilies la CISL/ORIT (dans 17 pays), 15 la CLAT (dans 14 Etats), 7 la FSM (dans 6 pays) et 46 dentre elles (situes dans 15 nations) ne sont pas affilies au niveau international. Cette situation entrave videmment les efforts dploys en vue duniformiser le mouvement syndical. En outre, il convient de mentionner galement lexistence de nombreux syndicats dits indpendants 30 % en moyenne , qui comptent souvent parmi les plus puissants du pays concern et nintgrent pas les centrales syndicales. Les luttes idologiques ont affect lunit du mouvement syndical et, dune manire fondamentale, les ngociations organises lchelon le plus lev, car la pluralit des partenaires, qui rivalisent frquemment entre eux, et les pressions quils sexercent parfois mutuellement rendent les ngociations extrmement difficiles, voire impossibles. Il en rsulte un enchevtrement dorganisations syndicales qui non seulement prsentent un champ daction limit, mais ne disposent en outre que dun faible pouvoir politique. Cest ce manque de pouvoir qui, en dernier ressort, a limit la capacit des travailleurs ngocier des politiques redistributives et, partant, empcher la concentration progressive des revenus ainsi que lextension et laggravation de la pauvret.

(iii) Formation (iii)FEn gnral, les responsables syndicaux ne parviennent pas offrir une rponse adquate aux changements introduits par les entreprises, que ce soit en raison de la rapidit laquelle ils sont intgrs, de leur caractre nouveau ou dun manque de prparation, cette dernire savrant ncessaire lorsquil sagit de faire face ces nouveaux types de revendications. Le manque dinformation et de formation des dirigeants et membres syndicaux lgard de lvolution technologique, des nouveaux systmes dorganisation du travail et des derniers modles dadministration des entreprises limite la porte des conventions collectives et, par consquent, les tentatives consistant pallier les effets des transformations enregistres. Les organisations syndicales qui disposent dun systme de formation sont gnralement minoritaires. Il est encore plus rare de voir des organisations dfinir une stratgie ducative pour la formation de leurs membres, qui pourraient ainsi prsenter de nouveaux atouts pour leurs demandes daugmentation de revenus. En outre, le manque de stabilit conomique des organisations syndicales sest accentu au cours des dernires annes en raison des fortes variations survenues dans le nombre daffilis cotisants (licenciements, dmissions, retraites, etc.) et les ressources financires ainsi rduites ont donc t affectes la subsistance mme des organisations.

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En qute dune nouvelle stratgie syndicaleComme nous lavons dj signal, nous nous trouvons dans un processus de transformation qui nous mne une nouvelle priode historique. Il sagit dune priode qui souvre et qui incite tous les acteurs sociaux et politiques redfinir leurs utopies, projets, objectifs, stratgies et actions. Les syndicats ne font certainement pas exception cet gard. Les projets syndicaux correspondent en effet des contextes historiques dtermins. Les mutations qui se sont produites dans le monde et qui ont affect lAmrique centrale dune manire particulire savrent trs profondes. Le cadre de cette nouvelle dcennie est considrablement diffrent de celui des annes quatre vingt dix ; il semble donc ncessaire, pour le mouvement syndical, de redfinir son projet. Les relations professionnelles ont chang. Lvolution survenue sur la scne internationale et la prdominance des politiques nolibrales ont acclr lapplication des programmes conomiques dajustement et de flexibilisation. De la mme faon, les effets de la mondialisation, qui ont tout autant men la diminution du rle de lEtat dans lconomie qu la drglementation juridique des relations de travail, ont modifi les microcosmes o avaient lieu les contacts et accords entre travailleurs et employeurs. Les organisations syndicales voient dans ce processus dacclration continue un environnement changeant o la philosophie de laffrontement ne se justifie pas. Les relations professionnelles ne peuvent se concevoir dans un esprit conflictuel si lon souhaite progresser dans un environnement particulirement difficile. Un systme de relations professionnelles marqu par le bilatralisme et le consensus sur le lieu de travail constitue un facteur de stabilit pour les relations sociales et favorise une situation o il est envisageable dlargir la libert civile, de respecter lautorit de la loi et de garantir le plus haut niveau possible dinvestissement, de croissance et de dveloppement. La collaboration reprsente par consquent lunique faon daborder avec sagesse la pratique de la ngociation. Cette collaboration ncessite de nombreux piliers solides qui permettent non seulement dobtenir des avantages plus importants, mais galement dentretenir un climat social de dveloppement productif appropri. En gnral, le maintien des revendications traditionnelles et la dfense de thmes centraux comme le pouvoir dachat des salaires requirent aujourdhui un grand professionnalisme, des tudes dtailles ainsi que des exposs de qualit et justifis. Ces aspects font partie des problmes que les syndicats vont devoir rsoudre lavenir de sorte que leur participation ne soit pas marginale, mais au contraire quelle soit pleinement implique dans le changement et la modernisation. Cest pourquoi il convient de revoir les concepts traditionnels qui sont actuellement dpasss dans les faits. En effet, le patronat national ne constitue plus un acteur homogne partageant les mmes valeurs. Lexistence de petites entreprises spares des grandes entits et la prsence de groupes de facto aux politiques et stratgies divergentes modifient lattitude des employeurs face aux syndicats et la ngociation collective. A ct du noyau traditionnel entretenant limage conflictuelle des relations professionnelles apparat une nouvelle gnration de cadres suprieurs qui adoptent une vision davantage fonde sur la coopration et la rorganisation et qui cherchent tablir des ponts de communication bass sur linformation et sur une relation fluide avec les reprsentants syndicaux.

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Les syndicats doivent ds lors restructurer leurs positions et affronter les dfis de manire cohrente. Il ne sagit pas uniquement dobtenir des avantages matriels, mais galement un changement dattitude qui permette lentreprise de fonctionner dans une perspective de progrs. Le syndicat doit se considrer comme un acteur actif, comme un lment central de la ngociation, et participer au dveloppement de relations professionnelles harmonieuses par lentremise de la ngociation collective. Cette dernire reprsente en effet linstrument fondamental susceptible de mener la mise en place de toute une nouvelle philosophie syndicale, car elle offre aux dirigeants syndicaux et la base (une ngociation cohrente passe galement par lamlioration des relations avec les personnes reprsentes) la possibilit de dvelopper leurs positions dans le cadre du travail. En vue de ngocier, les organisations syndicales devront : professionnaliser: Se professionnaliser dans le sens de mieux saisir et cerner tous les aspects de la ngociation. Elles devront donc acqurir les connaissances techniques ncessaires lapprhension des questions ngocier. Sinformer: Sinformer se procurer toutes les donnes indispensables afin de progresser au dpart dun tableau danalyse correct. Cette tche ncessite une attitude corrlative de la part des employeurs qui devront se montrer disposs fournir lesdites informations et elle ncessite galement la modification ventuelle des lois qui entraveraient le bon droulement de ce processus. positivement: Agir positivement viter toute position non constructive. Bien que les circonstances savrent dfavorables et que les diffrents acteurs fassent frquemment preuve de rticence face aux processus de concertation, la voie du dialogue peut modifier leur attitude et les rapprocher des revendications des travailleurs. constructives: Se montrer constructives le dcouragement au dbut du processus et le manque de courage ou dlan dans le cadre de la dfense des positions ou de la ngociation mnent souvent une impasse qui empche les syndicats davancer au niveau de la reconnaissance et de la ngociation des droits des travailleurs. Comme nous lavons dj signal, certaines directions syndicales craignent de modifier les conventions existantes, car elles souhaitent viter que de nouvelles positions davantage ractionnaires ou restrictives des droits leur soient imposes. Bien que la prudence soit de mise, le renforcement de lorganisation sur la base des conditions antrieures permettra non seulement louverture progressive du processus de ngociation, mais galement la reconnaissance, de la part de lemployeur, de la capacit et de la force du syndicat. En vue datteindre tous ces objectifs, il est indispensable de remplir une condition pralable : dfinir une culture syndicale qui rende possible la cration de nouveaux systmes de participation, de coopration et de solidarit pour les travailleurs face aux nouvelles normes de productivit qui commencent sinstaller sur les lieux de travail. Au cours de ce processus, de nombreux syndicats cesseront dexister, en particulier sils sont faibles et peu reprsentatifs. Les syndicats qui parviendront surmonter les difficults seront ceux qui dfiniront des stratgies de nature leur permettre de mettre en place des formules appropries afin que les changements, la modernisation et les ajustements procurent des avantages aux travailleurs. Il leur sera donc ncessaire de crer et de mettre en oeuvre des programmes de prestations de services lattention de leurs membres de manire pouvoir entretenir lintrt de

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ces derniers dans lorganisation par-del son rle purement revendicatif. Dautre part, linstar de linfluence actuelle des systmes en vigueur au sein de lactivit productive, les accords de libre change conditionnent fortement les activits des syndicats. Ils les obligent en effet, dans chaque pays impliqu, adapter propositions et revendications leur volution et ils contraignent les syndicats renforcer leurs intrts lchelle supranationale. Cest ce niveau que le rle des centrales syndicales et/ou confdrations se rvle dterminant. Toutefois, le fait dagir de faon isole les condamne lchec compte tenu de la scne mondiale actuelle. Aujourdhui, il est ncessaire de parvenir au plus haut degr de concertation possible entre les diffrentes optiques syndicales, et ce dans le cadre de chaque Etat, de chaque sous rgion et de lAmrique latine. Il est indniable que, dans certains pays de la rgion, lunification du mouvement syndical nest pas concevable sinon long terme et que, dans dautres, cet objectif nest pas envisag. Nanmoins, rien ne soppose ce que les diffrents courants du mouvement syndical conviennent dune politique commune destine tre dfendue au cours du dialogue social. Si les syndicats persistent rester diviss, pour des raisons peut tre tout fait lgitimes par ailleurs, ils ne doivent cependant pas oublier quaujourdhui, il existe un grand nombre de secteurs sociaux qui sont en droit dexiger deux quils laborent une position commune et quils la mettent sur la table des ngociations dans le cadre du dialogue social, l o seront peut tre discutes des questions qui intresseront la socit dans son ensemble. Les organisations syndicales devraient profiter de ce nouvel espace qui commence souvrir elles dans certains pays de la rgion pour accrotre leur force de ngociation et leur reprsentativit. Historiquement, le syndicalisme en Amrique latine sest caractris par une forte composante politique, que ce soit lgard des alliances conclues avec les gouvernements ou avec des partis institutionnels de tendances diffrentes, lgard de ladhsion un modle rvolutionnaire ou encore lgard dune prfrence marque pour la gestion et la pression politiques par rapport laction mener dans lespace lgal des conventions collectives au sein des entreprises. Pardel certaines constantes, il semblerait que le syndicalisme de la sous rgion se dirige vers une action politique sur le plan national qui prsente des caractristiques diffrentes de celles qui ont prvalu jusqu aujourdhui. Actuellement, le point de dpart est un niveau dautonomie syndicale plus lev. Les dcisions, les organismes directeurs et les sphres de lorganisation syndicale possdent leur profil propre, sont moins subordonns aux forces politiques et jouissent dune plus grande indpendance par rapport dautres pouvoirs sociaux. Une plus grande coordination de laction syndicale commence galement apparatre entre diverses centrales nationales et lon se dirige mme vers une coordination sur le plan mondial, rgional et centre amricain. A cet gard, dans listhme centre amricain et en Rpublique dominicaine, il convient de souligner le travail des centrales et/ou confdrations syndicales du Panama, de la Rpublique dominicaine et, plus rcemment, du Salvador et du Costa Rica, qui dploient des efforts particuliers en vue de convenir dune politique commune destine tre dfendue au cours du dialogue social.

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Le programme syndical dpasse les questions strictement relatives aux salaires et la lgislation du travail pour aborder galement la politique macroconomique, la politique sociale et la gestion du gouvernement en gnral. Cependant, trs peu de rsultats ont t enregistrs jusqu prsent en termes daccords concrets ; les progrs constats se limitent au dbat public et aux discussions menes dans certains cercles de dialogue et de concertation. Au milieu des contradictions et des tensions, des progrs et des rgressions, le monde syndical voit en outre se renforcer la tendance en faveur de la mise en valeur de la dmocratie politique, du plein exercice des droits humains ainsi que des liberts individuelles civiles et politiques et il la considre comme le contexte le plus appropri pour la pratique de la libert syndicale. Cette mise en valeur tend revtir une plus grande importance dans les pays o, au cours des dernires dcennies ou dautres moments de son histoire, le syndicalisme a expriment les effets de la dictature ou a, de diffrentes manires, t plus sensible ces questions en raison des expriences funestes vcues par dautres Etats de la rgion. Simultanment, lobligation du mouvement syndical de contribuer la mise en place de ce contexte dmocratique et pluraliste est reconnue, en particulier l o lon est parvenu un niveau lev de fragmentation et de conflit social, qui nexclut pas la confrontation arme ni lemploi de toutes sortes de moyens violents et illgaux. Face la crise sociale et politique, tout comme face aux srieuses menaces dimpasse conomique auxquelles certains pays de la sous rgion sont confronts, le syndicalisme a la possibilit de devenir un partenaire valable et un lment de compromis. Il est donc prsent indispensable de consentir un effort conjoint en vue de dpasser les limites les plus contraignantes pour le statut du syndicalisme et daccentuer les richesses et capacits existantes afin de le convertir en un acteur de dveloppement et daffermissement de la dmocratie. Lobjectif est vident : entreprendre un processus commun de repositionnement de lacteur syndical au sein de la socit civile et limposer comme interlocuteur face au gouvernement et aux employeurs, en mettant en valeur ses nouvelles potentialits afin de les faire partager par un plus grand nombre et de les intgrer en une nouvelle conscience dacteur national. Tel est le thme analys dans lessai suivant, rdig par Andr Lafontant Joseph, consultant de lOIT. Ce texte entend contribuer une meilleure comprhension de la situation actuelle du mouvement syndical hatien la lumire de sa mmoire historique et, par cette entremise, lOIT compte donner matire rflexion aux travailleurs, employeurs et gouvernements. Tout en tant sujet discussion, le contenu de cet essai concourt au dveloppement et au renforcement des organisations de travailleurs.

Juan Manuel Seplveda Malbrn

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PAR ARTIE PREMIERE PAR TIEHISTORIQUE HISTORIQUE DU MOUVEMENT SYNDICAL La caractristique principale du mouvement syndical hatien est une volution en dents de scie o de courtes priodes davance sont invitablement suivies par des phases de rgression voire de disparition presque totale des organisations syndicales. Cette trajectoire est lie aux pripties mme du dveloppement difficile de la dmocratie dans ce pays. Pour se dvelopper, le mouvement syndical a besoin dun espace de liberts publiques. Le processus de dgradation de lconomie hatienne, une conomie qui ne connat que de courtes priodes de croissance, a aussi un impact sur les possibilits organisationnelles des travailleurs. Quand la pression des chmeurs est trop forte, les personnes qui arrivent trouver un emploi font figure de privilgis. Cette double dynamique prsente tout au long de son histoire a en quelque sorte faonn lvolution du mouvement syndical. Dans une tentative de priodisation de ce mouvement, nous avons identifi six moments. Nous prsentons les cinq premiers dans cette partie. Le sixime est la priode contemporaine et, vu son importance pour ltude, elle est traite sparment.LA PRIODE PR-SYNDICALE: 1804-1945 Le mouvement syndical hatien est relativement jeune. De lindpendance du pays en 1804 loccupation amricaine, lconomie est essentiellement agricole et oriente vers la production de denres dexportation. A cot des petites exploitations agricoles de type familial, les rapports de production dominants sont de type fodal et sont nettement marqus par le mtayage. La classe ouvrire qui est, lpoque, le fer de lance du syndicalisme, est ltat embryonnaire, disperse dans quelques manufactures et quelques petites industries. La premire organisation cite par Michel Hector dans son ouvrage Syndicalisme et Socialisme en Hati est le Syndicat des ouvriers cordonniers hatiens, en 1903. On peut aujourdhui sinterroger sur le caractre vraiment syndical de ce groupement. Par contre, des organisations de travailleurs de types corporatistes ou mutualistes ont bien exist depuis cette poque.

Pour ce qui concerne la rglementation du travail, elle est de type patriarcal, ce qui correspond ltat de la structure conomique. Dans le Code rural du Roy Henry Christophe promulgu le 10 fvrier 1812, larticle 1er demande aux fermiers et aux propritaires des terres dagir envers les agriculteurs attachs leurs plantations en bons pres de famille, reprenant ainsi une formule utilise par Dessalines dans son Ordonnance du 22 dcembre 1804. Pour la premire fois, ce code dicte quelques dispositions au bnfice des travailleurs. Ainsi oblige-t-il les propritaires et les fermiers apporter des soins aux cultivateurs malades ou rendus infirmes, il exempte les femmes enceintes des travaux durs et fixe la part de revenus devant tre verse aux cultivateurs. Le Code rural de Geffrard adopt en 1864 limine ces dispositions et, pendant plus de 50 ans, le travailleur na pratiquement aucun droit (Latortue, 1961). Loccupation amricaine stend de 1915 1934. Elle transforme considrablement le paysage conomique. Plusieurs grandes compagnies agricoles et agro-industrielles stablissent dans le pays. Dans le milieu urbain, on assiste la cration de nombreuses fabriques et de manufactures. Le capitalisme se renforce dans le pays. Cette priode marque une transition. Elle voit la formation de quelques syndicats de travailleurs dont certains ont particip, au sein de lUnion patriotique, au mouvement de rsistance pacifique contre la prsence amricaine en Hati. Parmi ces organisations, on peut citer lAssociation nationale des ouvriers et salaris hatiens, lUnion des

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syndicats du corps de sant et lAssociation du corps de lenseignement. Cest durant cette mme priode que se constitue le premier syndicat de transporteur, le Syndicat des chauffeurs. Lanne 1930 voit la cration de la Confdration nationalistes des ouvriers et des paysans, avec sa tte un politicien influent de lpoque, Joseph Jolibois fils9. Cette poque voit aussi llaboration des premiers lments dune lgislation du travail, notamment la loi du 30 mai 1924 crant le Dpartement du Travail; la loi du 10 aot 1934 modifie par celle du 5 septembre 1934 sur les contrats de travail; la loi du 13 juillet 1926 modifie par celle du 17 juillet 1930 sur les jours fris. Ces diffrents textes limitent la dure de la journe de travail 8 heures, fixent des normes concernant les salaires, le cong annuel pay, lassistance mdicale, le travail des femmes et des enfants. En 1942, le salaire minimum est fix 0,40 US$. Le 15 mai 1943, cest un dcret-loi instituant une Caisse dassurance sociale qui est adopt. On peut galement noter le fait que lEtat hatien ratifie trois conventions internationales: celle de 1919 sur la dure du travail dans les industries, celle de 1921 sur le repos hebdomadaire et celle de 1930 sur la dure du travail dans le commerce et les bureaux. Cependant, selon Hector, presque toutes les dispositions lgales prcites ne sont nullement respectes et laction revendicative des syndicats est pratiquement inexistante. Par exemple, la journe de travail continue tre de 11 heures dans la pratique. Aucun travailleur ne bnficie de la Caisse dassurance sociale alors que des prlvements sont effectus sur leurs salaires. Tableau 1.volution du salaire minimum lgal par journe de 8 heures de 1934 1974 Dcrets ou lois Loi du 10 aot 1934 Loi du 19 dcembre 1947 Loi du 10 mai 1971 Dcret du 18 janvier 1974 Montant en gourdes hatiennes 2 gourdes 3 gourdes 50 5 gourdes 6 gourdes 50

Source: Considration sur le droit du travail en Hati et son application

LA NAISSANCE DU MOUVEMENT SYNDICAL: 1946-1948

Lanne 1946 est marque par un puissant mouvement dagitation contre le gouvernement dElie Lescot. Ce mouvement, qui prend naissance dans le milieu estudiantin, ne tarde pas stendre dans les autres couches de la population, notamment le secteur ouvrier. La junte militaire qui prend le pouvoir de janvier aot 1946 reconnat pour la premire fois le droit des travailleurs sorganiser en syndicats en vue de dfendre leurs droits et leurs intrts. Ce droit sera consacr par la Constitution de 1946, en son article 19. Cette Constitution prvoit galement laccs obligatoire des travailleurs aux prestations sociales et aux congs pays. Mme quand il sera constamment viol, ce principe de la libert syndicale est repris dans les constitutions de 1964 (article 23), de 1971 (article 24) et de 1983 (article 38).

9 Hector, M. 1989; Syndicalisme et socialisme en Hati (1932 - 1970); dition Henry Deschamps,Portau-Prince 26

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De 1946 1948, on assiste une syndicalisation poustouflante. Les organisations se forment dans ladministration publique, dans le secteur industriel, dans le commerce et dans un secteur agricole fortement investi par lindustrie agroalimentaire. Le premier journal syndical, lAction proltarienne, est publi par le Syndicat des ouvriers, travailleurs et employs de la Hasco, fond le 25 janvier 1946. Fait indit: lengagement dun certain nombre de dirigeants et dactivistes politiques dans le mouvement syndical. Ils se retrouvent la tte des syndicats ouvriers. Le cas le plus clbre est celui de Daniel Fignol, dirigeant du Parti populaire national 10, qui sera prsident dune vingtaine de syndicats et de la fdration qui les regroupe. Hector cite galement les cas de Jacques Stephen Alexis11, dirigeant du Syndicat des travailleurs du cuir, dEdris St Amand et de Kesler Clermont, dirigeants du Syndicat des travailleurs du wharf. Ceux-ci sont parfois qualifis dagitateurs par les autorits. A partir de 1947, les syndicats se regroupent. En plus de la fdration Syndicats douvriers et de travailleurs de tendance sociale-dmocrate, on retrouve la Fdration des travailleurs hatiens (FTH) de tendance communiste. Le groupe des Syndicats indpendants et lUnion nationale des ouvriers hatiens semblent tre lis au gouvernement dEstim. Il faut galement noter la formation en 1946 de lUnion des instituteurs dHati (UNIH) et la prsence de Jeunesse ouvrire chrtienne (JOC), manation de lEglise catholique dans le monde ouvrier. Hector souligne que durant la priode 1946-1948, tous ces courants syndicaux sont indistinctement impliqus dans les nombreuses batailles livres pour la dfense des intrts des travailleurs. Cette priode se caractrise galement par un renforcement de la lgislation du travail. Comme nous lavons prcdemment mentionn, le 17 juillet 1947 est adopte une loi sur lOrganisation syndicale. En son article 1er, elle stipule que: Le droit des travailleurs de sassocier pour la dfense de leurs lgitimes intrts est garanti et protg par lEtat dans le cadre de la loi. Larticle 2 prcise que: Linstitution lgale des Organisations syndicales, tant lun des moyens les plus efficaces de contribuer au dveloppement de la dmocratie hatienne, est dordre public. La loi du 28 juillet 1947 sur les conflits de travail oblige les patrons accepter lintermdiation dun comit de conciliation et dun comit darbitrage. Le droit de grve est reconnu. Cependant elle est interdite aux membres des services publics et aux employs des institutions reconnues dutilit publique. Le 19 septembre 1951 est promulgue la loi organisant lInstitut dassurances sociales dHati (IDASH). Elle garantit aux travailleurs une assurance contre les accidents du travail et aux travailleuses, en particulier, une assurance maternit. On peut encore noter: 1. La loi du 12 septembre 1947 sur linspection du travail; 2. La loi du 5 septembre 1947 sur les enfants en service; 3. La loi du 28 juillet 1947 sur les permis demploi aux mineurs; 4. La loi du 1er septembre 1947 sur lapprentissage.LA PREMIERE PERIODE DE REGRESSION: 1948 A 1958 Le recul du mouvement syndical commence durant lanne 1948, marque par une rpression systmatique lencontre des syndicats qui ntaient pas proches du pouvoir. En plusieurs occasions,

10 Ce parti deviendra plus tard le Mouvement Ouvrier Paysans (MOP) 11 Jacques Stephen Alexis deviendra un romancier et un homme politique clbre en Hati. 27

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larme intervient pour mater des grves tout fait lgales. Plusieurs dirigeants syndicaux sont assassins. Aprs une tentative de grve gnrale par la fdration Syndicats des ouvriers et travailleurs, le 30 octobre 1947, contre lobligation faite par le gouvernement Fignol de dmissionner de la direction de lorganisation, celle-ci est dissoute. Une campagne anticommuniste est lance et les dirigeants de la FTH sont viss. En mars 1948, sous linstigation probable du gouvernement, une partie des syndicats membres de la FTH font scission et crent une Fdration hatienne des travailleurs (FHT) totalement infode au pouvoir dalors. Peu aprs, on assiste la dissolution de la Fdration des travailleurs hatiens qui pourtant navait pas soutenu laction de SOT. Seules les organisations allies au gouvernement dEstim, en loccurrence les Syndicats indpendants et la nouvelle FHT, ont pu continuer fonctionner. Le coup dEtat militaire du gnral Paul Eugne Magloire contre le gouvernement dEstim, en 1950, constitue selon les historiens le coup de grce assen au mouvement dmocratique en gnral, et au syndicalisme militant en particulier. Durant cette dictature militaire, les deux organisations prsentes sur le terrain la chute dEstim passent sous le contrle total du nouveau gouvernement. Dautres organisations prsentant les mmes caractristiques se forment, notamment en 1950 la Confdration gnrale du travail, issue dune scission de la nouvelle FHT et, en 1951, lUnion nationale des ouvriers dHati (UNOH). Doubout et Jolly signalent quau nom du mouvement syndical, les dirigeants de ces organisations reoivent de largent, effectuent des voyages ltranger, se construisent parfois de grandes maisons individuelles et signent en toutes circonstances des communiqus dappui au gouvernement. Toute vellit daction est sauvagement rprime. Andr Lammare, qui tente de donner une certaine vie syndicale lUNOH, est assassin (Doubout et Jolly, 1974). Aprs une grve du Syndicat des chauffeurs en 1954, la tte de son prsident est mise prix, le chauffeur Lavoix Lammare est assassin, plusieurs autres sont arrts et torturs. Ces incidents marquent larrt de toute activit syndicale durant deux ans. Du point de vue conomique, les annes 1946-1954 se caractrisent par une importante croissance conomique soutenue notamment par les secteurs industriel et touristique. Deux grandes compagnies minires sinstallent dans le pays ainsi que plusieurs autres industries de transformation et des manufactures. Ceci provoque un effet dentranement sur la petite industrie, le secteur htelier et le commerce. A partir de 1954 commence une priode de rgression aggrave par le passage du cyclone Hazel, qui ravage lagriculture. La dtrioration des conditions de vie et le mcontentement populaire quelle provoque contribuent au renversement du gnral Paul Eugne Magloire. A partir de ce moment, on assiste des tentatives de relance du mouvement syndical. Les rsultats sont cependant trs limits en raison de la polarisation excessive lie la campagne lectorale de 1957. Les prises de positions partisanes empchent aux vellits dorganisation de faire long feu. Il faut cependant noter la reconstitution de lUnion nationale des instituteurs dHati (UNIH), la Formation de lUnion des matres de lenseignement secondaire (UMNES) ainsi que celle de lAssociation des employs de la Banque nationale (AEBN).LA RENAISSANCE DU MOUVEMENT SYNDICAL: 1958 1963 Aprs la priode turbulente de llection de Franois Duvalier la prsidence dHati, les annes qui suivent connaissent un nouvel essor du mouvement syndical. Daprs le Guide conomique de la Rpublique dHati de 1977, publi par lInstitut hatien de statistique et cit par Hector, entre

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1957 et 1958, le Bureau du Travail enregistre 57 nouveaux syndicats comprenant 14.000 membres, dont plus de 11.000 viendraient de la province. En juin 1958 se forme une fdration, lIntersyndicale. En 1960, elle est rebaptise Union intersyndicale dHati (UIH). Plusieurs autres organisations se trouvent sur le terrain, parmi lesquelles lUNOH, lUMNES, lUNIH, la nouvelle Fdration hatienne de syndicats chrtiens (FHSC), forme en 1959 par Heyne Desmangles, un dissident de lIntersyndicale, et la Fdration ouvrire paysanne (FOP), dinspiration duvaliriste. Cest la priode de louverture des organisations hatiennes sur le mouvement syndical international. LUIH sallie la Fdration syndicale mondiale (FSM), dobdience communiste, lUNOH est affilie la Confdration internationale des syndicats libres (CISL), de tendance social dmocrate, la FHSC est membre de la Centrale latino-amricaine des syndicats chrtiens (CLASC), lUNIH est membre fondatrice de la Confdration mondiale des organisations de la profession enseignante (CMOPE) et lUMNES entretient de bonnes relations avec la Fdration internationale des syndicats denseignants (FISE). Lorganisation la plus reprsentative est lUIH, qui simplante dans presque toutes les grandes entreprises et dans la province. A la veille de sa fermeture en 1963, il regrouperait 33 syndicats pour un total de 60.000 membres Pour leur part, lUNOH, la FOP et la CHSC seraient plutt prsentes dans les petites et moyennes entreprises, Port-au-Prince. Les effectifs de lUNOH et de la FOP seraient respectivement de 3.500 et de 10.000 adhrents. Les organisations les plus combatives sont celles des enseignants ainsi que lUnion nationale des tudiants hatiens (UNEH) (Hector, 1988). La machine rpressive duvaliriste ne tarde pas entrer en marche contre le mouvement syndical. Le prsident de lUNOH, Nathanal Michel est arrt. Pierre Dumont, le prsident du syndicat de la Hasco, est oblig de partir en exil. LAssociation des employs de la Banque nationale est interdite. LUNIH et lUMNES sont dissoutes en aot 1959. Malgr la curieuse passivit de lUIH face aux mfaits du rgime, la pression du pouvoir duvaliriste se fait de plus en plus sentir. Les premires escarmouches commencent loccasion de la clbration de la fte du travail, le 1er mai 1958. Ce jour-l, une manifestation de lUIH est interdite. Quelque temps aprs, celle-ci refuse de signer un manifeste dappui au gouvernement. Le 17 dcembre 1963, la suite dune tentative de grve dune heure contre la rvocation dun groupe de syndicalistes de lusine de fabrication de cigarette Comme il Faut, 13 dirigeants de lUIH son arrts. Le mme jour, un communiqu dissout lUIH. A la mme occasion, la FHSC refuse de signer une dclaration prsente par le gouvernement et dnonant les dirigeants de lIUH comme des agitateurs. Recherch par la police, le prsident de la FHSC, Heyne Desmangle, se rfugie dans une ambassade. Lorganisation est alors dissoute.DHIBERNA HIBERNATION SYNDICAL: LA PERIODE DHIBERNATION DU MOUVEMENT SYNDICAL : 1963 A 1979 La double dissolution de lIUH et de la FHSC sonne le glas du mouvement syndical. Contrairement aux gouvernements prcdents, celui de Franois Duvalier ne peut mme pas tolrer le fonctionnement de syndicats officiels. Il ny a tout simplement pas de place pour aucune action revendicative. Les dirigeants de la FOP sont contraints limmobilisme le plus total. La politique du rgime consiste imposer des tontons macoutes12 la tte des syndicats des entreprises. Les

12 Les tontons macoutes sont des membres de la milice des Duvalier 29

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travailleurs se dsintressent progressivement des syndicats et le mouvement entre dans un profond sommeil jusquen 1979. Pendant que la rpression antisyndicale fait rage en Hati, un groupe dexil hatien en Rpublique dominicaine cre lUnion dmocratique des migrs hatiens (UDEH). Elle se donne pour mission la dfense des droits politiques conomiques et sociaux des migrs hatiens. Elle travaille en troite collaboration avec la Centrale unitaire des travailleurs (CUT) affilie la Fdration syndicale mondiale (FSM), de tendance communiste. Elle essaie dorganiser clandestinement les travailleurs agricoles dans quelques communauts paysannes. Nous navons cependant aucune information sur les actions concrtes de lUDEH en Hati. Aprs 1986, elle donnera naissance la KOTA.

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PAR ARTIE DEUXIEME PARTIEEVOLUTION RECENTE DU MOUVEMENT Aprs la longue priode dhibernation des luttes revendicatives qui commence en 1963, on constate une reprise timide partir de 1977. Elle concide avec la priode de libration prne par Jean Claude Duvalier, qui a remplac son pre la prsidence mais en ralit, cest sous linfluence de la politique des droits de lhomme engage par le prsident amricain Jimmy Carter que le gouvernement se voit contraint de lcher du lest. Le 22 octobre 1977, fait indit, les ouvriers de Ciment dHati protestent contre leurs conditions de travail. Puis, durant lanne 1978, plusieurs grves sont lances, notamment chez Reynolds, une entreprise amricaine exploitant cette poque de la bauxite en Hati ainsi que chez Sangamo-Barter, une entreprise de construction, lHpital Franais de Port-au-Prince et chez Hasco13. Face ce dferlement, le gouvernement ne reste pas les bras croiss. Gasner Raymond, un journaliste militant qui a ralis un reportage sur les conditions de travail chez Ciment dHati, est assassin. Le 15 septembre 1978, le gouvernement sort un communiqu menaant ceux qui incitent publiquement la grve 14.Des dirigeants de lancienne FHSC, exils au Venezuela et en contact avec des lments de la JOC, essaient de relancer laction syndicale travers la Confdration dmocratique des travailleurs hatiens (CDTH) qui deviendra la Centrale autonome des travailleurs hatiens (CATH) vers la fin de 1979. En cette mme anne, le gouvernement de Jean-Claude Duvalier ratifie par un dcret pris le 26 fvrier, la Convention (n87) sur la libert syndicale et la protection du droit syndical (1948). Cela nempchera pas ltouffement du mouvement syndical renaissant lanne suivante, qui concide avec llection du prsident rpublicain Ronald Reagan. Le 28 novembre 1980, un groupe douvriers affilis la CATH est brutalis dans lenceinte mme du Tribunal du travail. Le secrtaire gnral de la CATH, Yves-Antoine Richard, est arrt et part en exil. Les autres dirigeants dont Jean-Auguste Mezieux, Pierre Manicy, Gabriel Miracles et Armand Pierre vivent dans la semi clandestinit. Une Association nationale des enseignants hatiens (ANEH), forme en cette mme anne 1979, na pu survivre. La seule organisation syndicale qui est autorise fonctionner par le gouvernement est la Fdration des ouvriers syndiqus (FOS), cre en 1982. Cependant, malgr le climat, certains noyaux syndicaux proches de la CATH fonctionnent dans la clandestinit. Tel est le cas chez Hasco et lAcirie dHati. Le renversement de Jean-Claude Duvalier, le 7 fvrier 1986, constitue un tournant important. On assiste une renaissance instantane du mouvement syndical. Elle est caractrise notamment par la rapparition sur la scne de la Centrale autonome des travailleurs hatiens, par la formation de la Confdration nationale des enseignants dHati (CNEH), de la Konfederasyon ouvriye travay ayisyen15 (KOTA), de la Fdration syndicale des travailleurs de llectricit dHati (FESTREDH)16, du Syndicat du personnel infirmier (SPI) et du Comit des ouvriers hatiens (COH) dIdly Cameau. Se

13 Hasco: Haitian American Sugar Company 14 Dmocratie Nouvelle No 30, dcembre 1978, cite par Monique Brisson 15 Konfederasyon Travay Ayisyen est la traduction en crole hatien de Confdration des Travailleurs Hatiens qui est par contre le nom adopt par une autre organisation mentionne dans le mme paragraphe. 16 La FESTRED a t dabord dnomme Syndicat de llectricit dHati.

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constitue la mme poque la branche dissidente de la CATH, la CATH-CLAT17 qui deviendra plus tard la Confdration des travailleurs hatiens (CTH). Aprs les lections avortes de novembre 1987, un groupe de jeunes syndicalistes de la FOS sen dtachera pour constituer lOrganisation gnrale indpendante des travailleurs hatiens (OGITH). En 1990, certains cadres de la CATH forment la Confdration gnrale du travail (CGT).ORIENTA ORGANISATIONS LES ORIENTATIONS DES ORGANISATIONS ENTRE 1986 ET 1991 Les organisations du moment peuvent se classer en quatre tendances:

1. Les organisations rvolutionnaires qui mettent en question lorientation capitaliste du systme conomique. Ces organisations comprennent lpoque la CATH, le COH, la KOTA et la CGT. La CATH est le fruit dune ranimation de lancienne FHSC par certains de ces cadres, dont Georges Fortun, en exil au Venezuela. Aprs le 7 fvrier 1987, une partie de lquipe de la CATH originelle a refus de suivre la ligne de la CLAT/CMT et a choisi une orientation radicale et rvolutionnaire. La nouvelle organisation est cependant contrle par des lments lis la gauche hatienne, tels que Yves-Antoine Richard et Jean-Auguste Mezieux. La CATH est encadre par danciens cadres communistes dont Michel Hector. Elle est notamment soutenue par la Confdration gnrale du travail (CGT) de France et par la Centrale des syndicats nationaux (CSN) et la Fdration des travailleurs du Qubec (FTQ) du Canada. A un certain moment, la CATH contrlait presque tous les syndicats du parc industriel de Portau-Prince. Son influence syndicale diminuera rapidement. En 1991, elle ne compte quune demidouzaine de syndicats manufacturiers et des groupuscules de paysans (Oreste N. et Ulysse M, 1993). La CATH se retrouvera lavant-garde de la lutte contre le gouvernement militaire noduvaliriste dHenry Namphy . Aprs avoir applaudi la prise du pouvoir par le Gnral Prosper Avril, la CATH sen dsolidarisera. Jean-Auguste Mzieux fait partie des prisonniers de la Toussaint battus sauvagement et prsents au public par le Gnral Avril. La CATH soutiendra la candidature du reprsentant de la gauche, Me Grard Gourgue, aux lections avortes de 1987. La CGT est forme en 1990, partir dun schisme entre Yves-Antoine Richard et le reste de lquipe de la CATH. Elle sera durement frappe lors du coup dEtat de 1991. La COH est une petite organisation de tendance gauchiste trs lie la CATH. On ne lui connat lpoque que ses trois dirigeants: Idly Cameau, Blain Kennedy et un certain Patrick. Elle reoit le soutien de la CGT de France et de la Confdration dmocratique martiniquaise du travail (CDMT). KO La KOTA est cre en janvier 1987 par un groupe danciens militants de lUnion dmocratique des migrs hatiens (UDEH). Elle se considre comme engage dans une lutte pour la transformation rvolutionnaire de lEtat hatien et se donne pour mission dorganiser les travailleurs sur des bases de classe. Elle est lpoque pratiquement une manation du Parti

17 La particule CLAT est ajout pour signifier laffiliation de cette organisation la Centrale Latino Amricaine des Travailleurs (CLAT),. Branche rgionale de la CMT. 32

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unifi des communistes hatiens (PUCH). Aux lections de 1991, elle fait campagne pour le candidat du Mouvement pour la reconstruction nationale (MRN), M. Ren Thodore, qui est aussi le secrtaire gnral du PUCH. Elle est peu active dans le monde syndical. 2. Les organisations rformistes qui prconisent la ngociation et le changement rformistes, progressif en respectant certaines rgles du jeu. Ce groupe comprendrait lOGITH, la CNEH, le SPI ainsi que la FESTRED, issue du Syndicat des employs de llectricit dHati (SEEH). LOGITH est fonde le 20 fvrier 1988 suite une division de laile centriste de la FOS davec les lments les plus lis aux duvaliristes et aux no-duvaliristes. La scission se ralise aprs les lections avortes de novembre 1987 durant lesquelles le local de la FOS o tait entrepos du matriel lectoral avait t incendi. Selon les dissidents, les dirigeants de la FOS de lpoque taient complices de cet acte. LOGITH entretient, durant cette priode, de bons rapports avec le PANPRA, une organisation sociale dmocrate hatienne proche du Parti socialiste franais. Elle essaiera de dvelopper ses rapports avec la Confdration franaise dmocratique du travail (CFDT), lORIT et la CISL. Peu avant le coup dEtat de 1991, lOGITH dclarait compter 18.000 membres rpartis dans 123 organisations affilies. La CNEH maintient de bons contacts avec les milieux politiques jugs progressistes en gardant une certaine indpendance. Elle participe au congrs constitutif du Congrs national des organisations dmocratiques, plus tard dsign sous le nom de KONACOM. Cependant, elle prend ses distances quand cette initiative citoyenne est transforme en parti politique. A la faveur des lections de 1990-1991, sans le dclarer ouvertement, la direction de la CNEH prendra parti pour le candidat Jean-Bertrand Aristide. Des entrevues ralises par cette organisation avec ce candidat sont diffuses travers tout le pays au dtriment de ses concurrents. De toute faon, bien avant la priode des lections, la CNEH avait des relations privilgies avec Aristide qui tait rgulirement invit prendre la parole aux crmonies organises par cette organisation. Cependant, aprs les lections de 1990-1991, le refus de la CNEH de sassocier directement au pouvoir est trs mal reu par Aristide et son Premier ministre dalors Ren Prval. Les relations ne tardent pas senvenimer au point que ntait-ce le coup dEtat, la CNEH serait la premire organisation entrer en grve contre le nouveau gouvernement, loccasion de la rentre scolaire de 1991. La CNEH se veut une organisation de proposition et de ngociation, sans carter les autres modes dintervention quand ces deux options chouent. A ce moment, la CNEH saffilie la Confdration mondiale des organisation de la profession enseignante (CMOPE) et entretien dtroites collaborations avec lAsociacin dominicana de los profesores (ADP), la Centrale de lenseignement du Qubec (CEQ), la Fdration canadienne des enseignants (FCE), la Fdration de lducation nationale (FEN), la CFDT et lAmerican Federation of Teachers (AFT) affilie lAFL-CIO. A la veille du coup dEtat de 1991, la CNEH dclare compter 11.000 membres rpartis dans tous les secteurs et dans tous les niveaux de lenseignement. Le SPI est une organisation politiquement indpendante dorientation dmocratique trs combative dans le secteur de la sant. FESTREDH, La FESTREDH, ses dbuts, est trs proche de la CATH qui dailleurs la prsentait comme un de ses syndicats affilis. Elle prend peu peu du recul par rapport cette centrale tout en gardant une forte sensibilit de gauche. Elle est soutenue par la Fdration des travailleurs du

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Qubec, la CGT franaise et le Syndicat national des travailleurs de la compagnie dominicaine de llectricit18 (SINTRACODE). 3. Le courant dmocrate chrtien essaie de changer les conditions des travailleurs en misant dabord sur ltablissement de bonnes relations avec les employeurs. On fait appel Dieu pour changer le cur des patrons. Le syndicat mise sur les services offerts et joue le rle de tampon et de rgulation des tensions entre les employeurs et les salaris. La CTH est la seule organisation classe dans ce groupe. Elle est perue ses dbuts comme un syndicat de parti. Il y a en effet un lien historique entre certaines figures du mouvement syndicaliste dinspiration chrtienne et le RDNP Ce parti est cr en 1979 Lesly Manigat, Franois . Benoit et Georges Fortun. Ce dernier est ce moment prsident symbolique de lancienne FSCH et sera le prsident de la CATH-CLAT, aprs le schisme provoqu par lquipe de YvesAntoine Richard. Par ailleurs, Franois Benot a t responsable financier au sein du bureau excutif de la CLAT. Cette collusion entre la CTH et le RDNP est au dpart totalement trangre aux militants voluant en Hati mais elle va apparatre au grand jour aprs le 7 fvrier 1987. Selon Jean-Claude Lebrun, le secrtaire gnral actuel de la CTH, Fortun va alimenter cette ambigut ce qui ne tarde pas provoquer les premiers incidents. En effet, le RDNP va contester une prise de position de la CATH-CLAT contre la politique du CNG sur la tenue des lections de 1987. Cette ingrence va provoquer une raction au sein de la direction du syndicat qui mettra Fortun en minorit. Ce changement sera vcu comme une trahison par le RDNP Le congrs de . 1989 va sceller le divorce avec le dpart de Fortun de la direction de la CTH. La CTH a t pendant cette priode qualifie de collaboration avec le patronat. Cependant, selon Lebrun, les membres de la CTH ont cru quil fallait tenir compte de labsence dune culture syndicale en Hati. Il fallait prendre le temps de prparer les travailleurs cette nouvelle forme daction, leur faire comprendre sa porte et ses limites. Il fallait aussi essayer dobliger les patrons accepter le caractre incontournable de la cohabitation avec les syndicats, aprs le 7 fvrier 1986. La CTH a galement choisi de ne pas confondre action syndicale et politique. Une telle orientation a parfois mis lorganisation en difficult avec ses membres qui ne la trouvent pas assez combative par rapport la CATH. Lexprience montrera les torts causs au mouvement par le fait de ne pas prendre en compte ces considrations. Lhistoire de la CTH est marque par sa participation prsume au massacre dun groupe de paysans du mouvement rural dnomm Tt Kole Ti Peyizan Jan Rabl19, dans le Nord-Ouest. Son image sort ternie de cet pisode. Lebrun reconnat quune branche locale, implante La Montagne, a t effectivement implique dans les vnements, mais aucun moment la CTH na pris position pour un camp ou pour un autre. Au contraire, sur linitiative de lAssociation nationale des agronomes hatiens (ANDAH), elle a particip une mission de mdiation peu avant le massacre. Cette mission conduite par M. Paul Durette20 aurait chou cause du refus de dialoguer des membres de Tt Kole Ti Peyizan. En ralit, la CTH a perdu des membres dans les deux camps. Selon Lebrun, un moment donn, la branche locale de la CTH et Tt Kole ont travaill ensemble contre laction des grands donateurs. Cette collaboration na pas dur cause de lattitude hgmonique des secteurs lis la thologie de libration qui ont vu

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18 Sindicato Nacional de Trabajadores De la Compaa de Electricidad. 19 Solidarit des paysans de Jean Rabel 20 Paul Durette est Ministre de la planification du gouvernement de M. Yvon Neptune, install en mars 2002.

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en la CTH une manation du RDNP Quand le conflit a clat entre les paysans de La Montagne . et de Lacoma, les grands dons et les macoutes ont profit de loccasion pour rgler le compte de leurs adversaires de Tt Kole. Cest la raison pour laquelle on a compt des victimes jusqu Jean Rabel, cest--dire trs loin du lieu de laffrontement. Aucune enqute srieuse nayant t faite pour rtablir la vrit des faits, la CTH a t injustement accuse par des secteurs qui lui taient hostiles. Il faut se rappeler que la gauche hatienne privilgiait la CATH qui tait perue comme tant lorganisation rvolutionnaire alors que la CTH tait classe de ractionnaire. Ce courant a travers une bonne partie de la presse de telle sorte que les mises au point de la CTH auront peu dchos. officiel, 4 . La FOS a t ds sa naissance, comme on la vu, un syndicat officiel celui du secteur politique duvaliriste. Elle a conserv pendant longtemps cette tendance sallier au pouvoir, en dpit, pourrait-on dire, des changements qui se sont oprs sur la scne politique. Elle a t pendant un moment donn la seule organisation soutenue par lAFL-CIO par le truchement de lAIFLD. Elle soutient la candidature de Thomas Dsulm, un industriel prsident du Parti national du travail (PNT), aux lections de 1990. Durant le coup dEtat, cest la seule organisation qui arrive organiser un congrs, compte tenu de ses bonnes relations avec les militaires.PANORAMA DES ACTIVITES SYNDICALES ENTRE 1986 ET 1991 Cette priode est marque par le caractre agressif de laction revendicative de la CATH. Suivant la ligne du syndicalisme rvolutionnaire, cette organisation part en guerre contre le patronat et contre le rgime no-duvaliriste des militaires. Les affrontements incessants provoquent de nombreuses grves. Certains patrons font appel larme et rpriment sauvagement ces mouvements. Cette situation provoque galement la fermeture de plusieurs usines et la perte dun certain nombre demplois. De manir