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LE MÉTIER D’INTENDANT Marie-Eve Ouellet EN FRANCE ET EN NOUVELLE-FRANCE AU XVIII e SIÈCLE

Le Métier d’intendant en France et en Nouvelle-France au ... · À mon amoureux Benoit : merci pour ton soutien et ta présence aimante de tous les jours. Merci d’être le complice

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LE MÉTIER D’INTENDANT

Marie-Eve Ouellet

EN FRANCE ET EN NOUVELLE-FRANCEAU XVIIIe SIÈCLE

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le métier d ’ intendant en france et en nouvelle-france

au xvi i i e s iècle

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septentrion

Marie-Eve Ouellet

LE MÉTIER D’INTENDANT EN FRANCE ET EN NOUVELLE-FRANCE

AU XVIIIe SIÈCLE

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Pour effectuer une recherche libre par mot-clé à l’intérieur de cet ouvrage, rendez-vous sur notre site Internet au www.septentrion.qc.ca

Les éditions du Septentrion remercient le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC) pour le soutien accordé à leur programme d’édition, ainsi que le gouvernement du Québec pour son Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres.

Direction éditoriale : Catherine FerlandCoordination éditoriale : Marie-Michèle RheaultMise en pages et maquette de la couverture : Pierre-Louis CauchonIllustration de la couverture : William Hogarth (1697-1764), Industry And Idleness : The Industrious Prentice Alderman Of London, The Idle One Brough Before Him and Impeached By His Accomplice. Source : Alamy Banque d’images.

Si vous désirez être tenu au courant des publicationsdes éditions du Septentrionvous pouvez nous écrire par courrier,par courriel à [email protected],ou consulter notre catalogue sur Internet :www.septentrion.qc.ca

© Les éditions du Septentrion Diffusion au Canada :835, av. Turnbull Diffusion DimediaQuébec (Québec) 539, boul. LebeauG1R 2X4 Saint-Laurent (Québec) H4N 1S2Dépôt légal :Bibliothèque et Archivesnationales du Québec, 2018 Ventes en Europe :ISBN papier : 978-2-89448-943-7 Distribution du Nouveau MondeISBN PDF : 978-2-89448-944-4 30, rue Gay-LussacISBN EPUB : 978-2-89448-945-1 75005 Paris

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À ma mère

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liste des abréviations

ANFR Archives nationales de France ANOM Archives nationales d’outre-mer Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine Archives départementales

d’Ille-et-Vilaine Arch. dép. d’Indre-et-Loire Archives départementales

d’Indre-et-Loire BAC Bibliothèque et Archives Canada BANQ Bibliothèque et Archives

nationales du Québec CIEQ Centre interuniversitaire d’études

québécoises CERHIO Centre de recherches historiques

de l’Ouest CTHS Comité des travaux historiques et

scientifiques DBC Dictionnaire biographique du

Canada EHESS École des hautes études en

sciences sociales IHAF Institut d’histoire de l’Amérique

française PUF Presses universitaires de France PUL Presses de l’Université Laval

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remerciements

À l’origine de ce livre se trouve ma thèse de doctorat, réalisée en cotutelle à l’Université de Montréal et l’ Université Rennes 2. Qu’il me soit autorisé de réitérer

ici mes remerciements à ceux et celles qui ont permis à ce projet transatlantique de se rendre à bon port.

J’aimerais tout d’abord exprimer ma gratitude envers mes directeurs de thèse, les professeurs Philippe Hamon et Thomas Wien. Votre soutien et votre collaboration sans faille m’ont permis de profiter pleinement de cette cotutelle. Merci pour votre science, votre générosité et maintenant votre amitié. Je remercie également les membres du jury de ma soutenance de thèse, les professeurs Catherine Desbarats, Ollivier Hubert et Vincent Milliot, dont les commentaires m’ont été très utiles lors de la préparation de ce livre. Enfin, je profite de cette occasion pour témoigner ma reconnais-sance envers tous les historiens et les professeurs qui m’ont conseillée à divers moments de mon parcours. Un merci particulier à Arnaud Bessière, Christian Blais, Claire Dolan, Donald Fyson, Benoît Grenier, Sophie Imbeault, Alain Laberge, Martin Pâquet et Léon Robichaud.

Pour son soutien financier durant ce voyage au long cours, merci au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, de même qu’à l’Université de Montréal, au Groupe d’histoire de l’Atlantique français et à l’Université Rennes 2.

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Partir sur la trace de l’intendant, c’était aussi partir à la décou-verte de la France. Merci à celles qui m’ont accueillie et accompagnée dans cette aventure : Annick, Catherine et Flavie. Du fond du cœur, merci à Émilie et Benoit d’avoir tenu le fort de la compagnie durant mon absence et d’avoir été mes partenaires durant toutes ces années. Je n’y serais pas arrivée sans vous.

Merci à toute l’équipe des éditions du Septentrion pour son soutien lors du processus d’édition. Un merci spécial à Catherine Ferland pour son aide précieuse lors de la révision du manuscrit : merci pour ton enthousiasme et tes conseils avisés qui m’auront permis de pousser plus loin le « dé-thèsage » !

À Catherine, ma confidente de toujours, à vous chers amis et amies que je ne peux tous nommer ici, merci d’être dans ma vie.

À mon père, dont la passion pour l’histoire continue de m’ha-biter, à mon frère, mes sœurs, toute ma famille Ouellet et Lachance et ma belle-famille les Chaize-Bordage : votre soutien indéfectible m’est infiniment précieux.

Chère maman, je te dédie ce livre car il te doit beaucoup : merci de m’avoir accueillie chez toi pour écrire ma thèse et de m’encou-rager dans tous mes projets.

À mon amoureux Benoit : merci pour ton soutien et ta présence aimante de tous les jours. Merci d’être le complice de toutes mes aspirations.

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introduction

En septembre 2013, l’importance historique des intendants de la Nouvelle-France était reconnue par le gouvernement québécois par leur inscription au Registre du patrimoine

culturel du Québec, dans la foulée de la Loi sur le patrimoine culturel entrée en vigueur l’année précédente. La désignation de personnages historiques en tant que patrimoine culturel leur donne un statut légal et constitue un geste de valorisation qui favorise la transmission du patrimoine québécois. Aux côtés des premiers ministres du Québec décédés et des gouverneurs du Régime français, les inten-dants furent parmi les premiers personnages historiques désignés inscrits au Registre. C’est dire la place qu’ils occupent au Québec dans la mémoire collective !

Objet de mémoire, les intendants de la Nouvelle-France n’ont jamais cessé de l’être, mais il était important d’en faire à nouveau un objet d’histoire. Car si l’intendant figure dans nombre d’études sur le Régime français, la dernière recherche d’envergure sur ce personnage remonte à 1984 avec l’ouvrage de Jean-Claude Dubé, Les intendants de la Nouvelle-France1. Il faut dire qu’avec l’avènement de l’histoire socioculturelle, la question de l’État avait perdu de l’attrait. Le renouvellement actuel des recherches sur l’État en Nouvelle-France s’inscrit notamment dans la mouvance de l’histoire

1. Jean-Claude Dubé, Les intendants de la Nouvelle-France, Montréal, Fides, 1984.

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« atlantique », dont l’objectif est de sortir les sociétés coloniales d’une étude en vase clos pour les envisager à l’intérieur d’un espace d’interactions entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques. En voyant l’océan comme un trait d’union et non plus seulement comme une frontière, cette histoire a permis de penser la construction de l’État moderne comme un processus supra-atlantique et d’intégrer l’an-cienne et la nouvelle France en une même formation impériale2. Le renouveau provient également d’une relecture de l’absolutisme qui s’interroge sur ses limites pour mieux comprendre le fonction-nement concret des institutions. L’approche internaliste des sources officielles normatives est alors délaissée au profit d’une réflexion plus large sur le mode de construction de ces sources. Parallèlement, l’historiographie française s’interroge activement sur le degré de conscience et d’efficacité de la centralisation monarchique, une question qui découle des débats sur l’absolutisme et la transforma-tion de royaumes gouvernés par la justice en États dits administrés. Cette étude s’inscrit dans ce triple élan et consiste en une compa-raison du métier d’intendant au Canada et dans les généralités de Bretagne et de Tours dans la première moitié du xviiie siècle.

L’intendance : naissance d’une fonction

L’étendue des pouvoirs de l’intendant s’est accrue au rythme des ambitions de la monarchie. D’abord envoyés par Henri II (1547-1559) auprès des gouverneurs des provinces pour les assister sur les questions juridiques3, les intendants acquièrent des pouvoirs en

2. Catherine Desbarats, « La question de l’État en Nouvelle-France », dans Philippe Joutard et Thomas Wien, dir., Mémoires de Nouvelle-France ; de France en Nouvelle-France, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, p. 187-198 ; Silvia Marzagalli, « Sur les origines de “l’Atlantic History” : paradigme interprétatif de l’histoire des espaces atlan-tiques à l’époque moderne », Dix-huitième siècle, 33 (2001), p. 17-31 ; Cécile Vidal, « Pour une histoire globale du monde atlantique ou des histoires connectées dans et au-delà du monde atlantique ? », Annales HSS, 67, 2 (2012), p. 391-413 ; Catherine Desbarats et Thomas Wien, « Introduction : La Nouvelle-France et l’Atlantique », Revue d’histoire de l’Amérique française, 64, 3-4 (hiver-printemps 2011), p. 20-22.

3. Nous reprenons ici l’explication de Michel Antoine, qui réfute l’interprétation selon laquelle l’origine des intendants se situerait dans les tournées d’inspection dans les provinces (chevauchées) des maîtres des requêtes de l’Hôtel du roi. Michel Antoine, « Genèse de l’institution des intendants », Journal des savants, 1982, p. 297-298.

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matière de finances durant le règne de Charles IX (1560-1574), avant de cumuler les pouvoirs de justice, police et finances sous Louis XIII (1610-1643). À cet égard, la période 1634-1643 constitue, selon Michel Antoine, le tournant à partir duquel la fonction d’intendant s’autonomise par rapport à celle du gouver-neur. S’il était courant de voir ce dernier assisté par des intendants de justice ou de finances, l’appropriation de la répression des révoltes populaires et de l’administration fiscale provinciale par les nouveaux intendants de justice, police et finances génère un nouveau pouvoir distinct de celui du gouverneur. Ce dernier conservera toutefois jusqu’à la Révolution la supériorité protocolaire en tant que repré-sentant de la personne du roi. D’agent chargé de mandats ponctuels, l’intendant devient alors un administrateur permanent et l’insti-tution se généralise dans les provinces. Les modalités de son action varient cependant d’une province à l’autre et sa fonction est mal articulée à un appareil étatique encore rudimentaire4.

Durant la Fronde, les prérogatives fiscales des intendants suscitent la grogne des institutions provinciales et plusieurs inten-dants sont révoqués. À la fin des troubles en 1653, ils sont toutefois rétablis en qualité de commissaire départi pour l’exécution des ordres du roi. Ce nouveau titre témoigne de l’extension de leur mission. Les guerres menées par Louis XIV changent durablement le carac-tère de l’institution. Pour combler les besoins d’argent de la monarchie, les compétences des intendants s’accroissent et leur tâche s’alourdit, les obligeant peu à peu à se doter d’un personnel régulier et à s’entourer d’auxiliaires comme les subdélégués5. Malgré cela, il n’existe pas de structure de services commune aux diverses provinces et le terme intendance désigne avant tout une circons-cription administrative. À l’époque de Colbert, il faudrait parler

4. Michel Antoine, « Genèse de l’institution des intendants », p. 312-316 ; Denis Richet, La France moderne : l’esprit des institutions, Paris, Flammarion, 1973, p. 92-93 ; Bernard Barbiche, « Généralités » et Michel Antoine, « Intendants », dans Lucien Bély, dir., Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, PUF et Quadrige, 2002, p. 601 et 669.

5. Comme le résume Sébastien Didier, la subdélégation se définit comme la délé-gation d’un pouvoir déjà délégué : les intendants commis par le roi nomment à leur tour par commission des subdélégués pour les représenter, les servir et disposer de leur autorité. « Représenter l’intendant et servir la population locale. Étude politique de la subdélégation canadienne (1680-1760) », Bulletin d’histoire politique, 26, 1 (automne 2017), p. 119.

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d’intendants plutôt que d’intendances, tant l’institution est marquée par la personnalité de ses titulaires et son personnel, peu nombreux. Selon Michel Antoine, la scission entre intendant et intendance se serait produite vers 1690, moment où les subdélégués et les bureaux du commissaire départi, bien qu’ils soient encore modestes, forment désormais une entité capable d’assurer l’expédition des affaires sous les intendants successifs. Néanmoins, il faut attendre la fin du règne de Louis XIV et l’habilitation des subdélégués généraux à partir de 1702 pour que l’intendance devienne une structure adminis-trative à part entière et que son organisation intérieure se spécialise. À ce moment, les contours des subdélégations se fixent et les services assurés par les différents bureaux de l’intendance s’organisent sous l’autorité du subdélégué général6. Secrétaires d’État, intendant, subdélégués ordinaires et généraux, secrétaires et commis forment désormais une chaîne administrative liant les administrés au pouvoir exécutif. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, l’organisation des intendances se raffine, mais sa structure ne subit pas de grands changements. La création de nouveaux impôts royaux et l’augmen-tation des inspections et enquêtes réclamées par le pouvoir central rendent cependant la tâche de l’intendant de plus en plus lourde et complexe7.

6. Roland Mousnier, Les institutions de la France sous la monarchie absolue, 1598-1789. Tome 2 : Les institutions de la France sous la monarchie absolue, 1598-1789, Paris, PUF, 1992 (1974), p. 489 ; Henri Fréville, L’intendance de Bretagne (1689-1790) ; essai sur l’histoire d’une intendance en pays d’États au xviii e siècle, vol. 1, Rennes, Plihon, 1953, p. 215 et 348 ; Michel Antoine, « Intendants », p. 668-669 ; Colette Brossault, Les inten-dants de Franche-Comté, 1674-1790, Paris, La Boutique de l’histoire éditions, 1999, p. 404.

7. René Grevet, « D’actifs relais administratifs du pouvoir exécutif : les 32 bureaux d’intendance à la fin du xviiie siècle », Annales historiques de la Révolution française, 332 (2003), p. 13 et 23 ; David Bien, « Les offices, les corps et le crédit de l’État : l’utilisation des privilèges sous l’Ancien Régime », Annales ESC, 43, 2 (1988), p. 389 ; Colette Brossault, Les intendants de Franche-Comté, p. 305.

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la généralité

En France, l’intendant est à la tête d’une généralité, une appellation qui n’est pas en usage en Nouvelle-France. Circonscription territoriale administrative, la généralité se distingue du gouvernement, qui est une circonscription territoriale militaire dotée d’un gouverneur chargé de la défense. Les généralités furent d’abord les circonscriptions où s’exerçaient les bureaux des finances menés par les tréso-riers de France, avant de devenir au xviie siècle le siège des intendants puis de leurs services. D’origine fiscale, le rôle de la généralité s’est renforcé jusqu’à devenir un cadre essentiel de l’administration royale au xviiie siècle. Les contours de l’intendance et de la généralité ne se recoupent pas forcément, de sorte qu’un intendant peut être à la tête de plusieurs généralités à la fois. Cependant, durant la première moitié du xviiie siècle, ce n’est le cas ni de l’inten-dant de Tours ni de celui de Bretagne, qui gèrent chacun une unique généralité8.

L’essor de l’institution dans toute l’étendue du royaume est progressif, jusqu’à compter, sous Louis XV, 32 intendances en métropole (vingt pays d’élections, cinq pays d’états et sept provinces récemment réunies au royaume), auxquelles s’ajoutent l’intendance de la Nouvelle-France et celle des îles d’Amérique (subdivisée en 1717 en intendances de Saint-Domingue et de la Martinique)9. Précisons qu’au début du xviiie siècle et jusqu’à l’arrivée du dernier intendant de la colonie François Bigot, en 1748, le ressort des

8. Robert Descimon et Alain Guéry, « Un État des temps modernes ? », dans André Burguière et Jacques Revel, dir., Histoire de France, tome 4 : La longue durée de l’État, Paris, Le Seuil (Points histoire), 2000 (1989), p. 261.

9. Michel Antoine, « Intendants » et Daniel Dessert, « Intendants de la marine », dans Lucien Bély, dir., Dictionnaire de l’Ancien Régime, p. 669 et 672.

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intendants tel qu’il est défini par leurs commissions10 n’est pas la Nouvelle-France, mais bien le « Canada, Acadie, Isle de Terreneuve, et autres pays de la France septentrionale ». Reflet de l’évolution géopolitique, la commission de Bigot de 1748 lui donne juridiction

10. Edits, ordonnances royaux, déclarations et arrêts du Conseil d’État du roi concernant le Canada, volume 2 : Ordonnances des intendants et arrêts portant règlement du Conseil supérieur de Québec, avec les commissions des gouverneurs et intendants, Québec, P.E. Desbarats, 1806 ; Édits, ordonnances royaux, déclarations et arrêts du Conseil d’État du roi concernant le Canada, volume 3 : Complément des ordonnances et jugements des gouverneurs et intendants du Canada, précédé des commissions des dits gouverneurs et intendants et des différents officiers civils et de justice, Québec, E. R. Fréchette, 1856.

La France analysée par Gouvernemens, Parlemens, Généralités et Archevechés, 1762.

Gravé par S. Drouët. Bibliothèque nationale de France, Cartes et plans, GE D-17954. On aperçoit à la pointe nord-ouest la généralité

de Bretagne et sa voisine à l’est, la généralité de Tours.

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sur le « Canada, la Louisianne, et dans toutes les terres et isles dépendantes de la Nouvelle-France ». En théorie, la juridiction de l’intendant basé à Québec s’étend donc sur tous les « pays de la France septentrionale », mais en pratique l’éloignement et les direc-tives royales l’empêchent de s’ingérer dans l’administration de l’Acadie (île Royale après 1713) et de la Louisiane, dotées de commissaires ordonnateurs qui reçoivent leurs instructions direc-tement de Versailles11. Celui que l’on appelle l’intendant de la Nouvelle-France a donc juridiction avant tout sur le Canada et c’est pourquoi cette étude se concentrera sur cette entité territoriale,

11. Gilles Havard et Cécile Vidal, Histoire de l’Amérique française, Paris, Flammarion, 2008 (2003), p. 149.

Partie Orientale de la Nouvelle France ou du Canada, 1745.Jacques-Nicolas Bellin (1703-1772). Bibliothèque nationale de France,

Cartes et plans, GE D-15586.

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qui désigne à notre période l’ensemble formé par la vallée du fleuve Saint-Laurent et les Pays d’en haut et qui englobe les villes de Québec, Trois-Rivières et Montréal.

Bien que l’on considère souvent l’année 1665 comme le début de l’intendance canadienne avec l’arrivée de Jean Talon, l’origine de l’institution remonte à 1663 avec la nomination de Louis Robert de la Fortelle, qui ne fera jamais le voyage vers Québec. Avec la création d’un Conseil souverain la même année, la nomination d’un intendant fait donc partie des premiers gestes posés par le jeune Louis XIV pour assurer le contrôle direct de la monarchie après l’annexion de la colonie au domaine du roi, à la suite de la démission forcée de la Compagnie des Cent-Associés. Pour sa part, la généralité de Tours est témoin des balbutiements et des tâtonnements de l’institution, les intendants s’y succédant dès les années 1630 avec des périodes d’interruption et des modifications dans l’étendue du ressort, qui est parfois partagé entre deux intendants ou encore jumelé à la généralité voisine de Poitiers. L’intendance se stabilise vers 1665, ce qui correspond au mandat de Charles Colbert de Croissy, nommé sur proposition de son illustre frère en 166412. Au xviiie siècle, la généralité de Tours englobe trois provinces/gouver-nements, soit la Touraine, le Maine et l’Anjou, et son chef-lieu est la ville du même nom. Avec la nomination en 1689 d’Auguste-Robert de Pomereu, la Bretagne est quant à elle la dernière province métro-politaine à recevoir un intendant. Les contours de la nouvelle inten-dance, dont la ville de Rennes est le centre administratif, se confondent avec les limites de la province/gouvernement de Bretagne13, situation analogue à celle de la colonie où les ressorts du gouverneur général et de l’intendant suivent les mêmes frontières.

L’intendant du Canada travaille sous l’autorité du secrétaire d’État à la marine, qui est responsable de sa nomination. Le choix et la supervision des intendants des généralités métropolitaines relèvent du contrôleur général des finances : un des plus importants

12. François Lebrun, « Les intendants de Tours et d’Orléans aux xviie et xviiie siècles », Annales de Bretagne, tome 78, no 2 (1971), p. 290-291 ; Michel Antoine, « Genèse de l’institution des intendants », p. 313.

13. Jean Quéniart, La Bretagne au xviii e siècle (1675-1789), Rennes, Ouest-France, 2004, p. 20-21.

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personnages de la monarchie, le contrôleur général met en œuvre la politique financière, telle qu’elle est définie par le roi et son Conseil, mais son rayon d’action dépasse les seules finances et il exerce son autorité sur de nombreuses directions (fermes, domaines, ponts et chaussées)14.

Portrait de Philibert Orry, contrôleur général des finances, vers 1738.

D’après un original de Hyacinthe Rigaud (1735). Source : Wikimedia Commons.

14. Michel Antoine, Le Conseil du roi sous le règne de Louis XV, Genève, Droz, 1970, p. 214-217 ; Daniel Roche, La France des Lumières, Paris, Fayard, 1993, p. 195-196.

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ministre ou secrétaire d ’état ?

Tout au long de cet ouvrage, le terme secrétaire d’État sera privilégié plutôt que celui de ministre. La distinction entre ministre et secrétaire d’État pose problème dans l’historio-graphie coloniale, le premier terme étant souvent employé à tort comme un synonyme du second. Le secrétaire d’État est à la tête d’un département spécialisé dans un champ de compétence (guerre, marine, affaires étrangères, etc.). Nommés par le roi et révocables, les secrétaires d’État conseillent le roi et contresignent et expédient les décisions royales concernant leur département. Apparu sous Louis XIII, le titre de ministre d’État était accordé aux membres du Conseil des affaires, dénommé Conseil d’en haut sous Louis XIV puis Conseil d’État au xviiie siècle. En 1661, année qui marque le début de son règne personnel, Louis XIV modifie le statut des ministres d’État, qui seront dorénavant tous nommés par lui, alors qu’auparavant certains étaient membres de droit (chancelier, surintendant des finances). Dès lors et jusqu’en 1789, leur nombre varie entre 3 et 7. Relevant du seul choix du roi, la qualité de ministre d’État n’est ni un office ni une commission, mais une dignité et elle est totalement indépendante des autres fonctions gouvernementales. Toutefois, un secrétaire d’État peut également être nommé ministre d’État, ce qui surve-nait fréquemment chez les secrétaires d’État aux affaires étrangères, à la guerre et à la marine, de même que chez les contrôleurs généraux des finances15.

15. Bernard Barbiche, « Ministres d’État », dans Lucien Bély, dir., Dictionnaire de l’Ancien Régime, p. 838 ; Jean-Yves Grenier, dir., Dictionnaire de la France moderne, Paris, Hachette livre, 2003, p. 76 et 264.

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Liste des abréviations 8

Remerciements 9

Introduction 11L’intendance : naissance d’une fonction 12L’intendant en bref 21Comparer le comparable 23Liste des intendants de la Bretagne, de Tours et du Canada

(1700-1750) 28État des lieux 33

chapitre 1Une élite transatlantique 41Étrangers en leur province 42Des réseaux familiaux tissés serré 43Magistrats et administrateurs 46Une pépinière d’intendants : le corps des maîtres des requêtes 48Magistrature et marine : des frontières poreuses 51En considération des services rendus 54Une élite du pouvoir 57

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chapitre 2Informer, instruire et conseiller 60Un roi de justice et de conseil 62Supports de la communication 67

« J’ay receu la lettre que vous m’avés fait l’honneur de m’écrire » 68« Ce seroit mon avis » 85Mémoire 111

Faire le suivi : l’extrait 121Archives et transmission de l’information 129Un bagage de pratiques communes 144

chapitre 3« Et ferez justice. » La requête entre représentation et réparation 146Requête vs placet 146Sujets et objets 150Forme et formalisme 157Procédure 170Faveurs et défaveur 178La requête : acte de justice ou d’administration ? 185Justice et réparation 189Retour vers le futur 193

chapitre 4« A quoy estant nécessaire de pourvoir. » L’ordonnance au cœur du métier d’intendant 195L’ordonnance en Nouvelle-France : un acte incompris ? 198Typologie des ordonnances 202Le préambule de l’ordonnance 210

« De par le Roy »… ou le secrétaire d’État 212« Sous le bon plaisir du roi » ? 215« Veue la requeste à nous présentée » 222

« À quoy ayant égard » 229Jurisprudence 230Du passé (ne) faisons (pas) table rase 237« Attendu qu’il s’agit d’assurer le service du roy et du public » 247

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L’exécution de l’ordonnance : « Avec douceur et fermeté » 255Pour en finir avec la répétition des ordonnances 262Limites et potentialités 277

chapitre 5« Pour finir cette affaire. » L’arrêt du Conseil d’État 279Forme et types d’arrêts 280Le projet d’arrêt 287Enregistrer ou ne pas enregistrer, telle est la question 297Motifs de l’arrêt 311L’exécution de l’arrêt 336Une pratique à deux vitesses 349Un instrument de gouvernement essentiel ? 360

Conclusion 363

Bibliographie 370

Index 383

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cet ouvrage est composé en adobe garamond pro corps 12selon une maquette de pierre-louis cauchon

et achevé d’imprimer en mai 2018sur les presses de l’imprimerie marquis

à montmagnypour le compte de gilles herman

éditeur à l’enseigne du septentrion