22
Extrait de la publication

Le mur

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Extrait de Le mur.

Citation preview

  • Extrait de la publication

  • Extrait de la publication

  • Extrait de la publication

  • DU MME AUTEUR

    Aux ditions Gallimard

    Romans

    LA NAUSE (Folio., n805).LES CHEMINS DE LA LIBERT, I L'GE DE RAISON

    (. Folio n 870).

    LES CHEMINS DE LA LIBERT, II LE SURSIS (Folio,n866).

    LES CHEMINS DE LA LIBERT, III LA MORT DANSL'ME (Folio, n58).

    UVRES ROMANESQUES (Bibliothyue de la Pliade.).dition de Michel Contt et Michel Rybalka.

    Nouvelles

    LE MUR (Le Mur La Chambre rostrate Intimit L'Enfanced'un chef) ( Folio , n878).

    Thtre

    THTRE, I Les Mouches Huis clos Morts sans spultureLa Putain respectueuse.

    LES MAINS SALES (Folio, n 806).

    LE DIABLE ET LE BON DIEU (Folio, n'869).

    KEAN, d'aprs Alexandre Dumas.

    NEKRASSOV (Folio, n 431).

    LES SQUESTRS D'ALTONA (Folio, n938).LES TROYENNES, d'aprs Euripide.

    Suite de la bibliographie en fin de volume

    Extrait de la publication

  • LE MUR

    Extrait de la publication

  • Extrait de la publication

  • JEAN-PAUL SARTRE

    LE MUR

    nouvelles

    mf

    GALLIMARD

    Extrait de la publication

  • ditions Gallimard, 1939, renouvel en 1966.

  • A OLGA KOSAKIEWICZ

    Extrait de la publication

  • Extrait de la publication

  • LE MUR

  • Extrait de la publication

  • On nous poussa dans une grande salle blancheet mes yeux se mirent cligner parce que lalumire leur faisait mal. Ensuite je vis une table etquatre types derrire la table, des civils, qui regar-daient des papiers. On avait mass les autresprisonniers dans le fond et il nous fallut traversertoute la pice pour les rejoindre. Il y en avait plu-sieurs que je connaissais et d'autres qui devaienttre trangers. Les deux qui taient devant moitaient blonds avec des crnes ronds ils seressemblaient des Franais, j'imagine. Le pluspetit remontait tout le temps son pantalon c'taitnerveux.

    a dura prs de trois heures j'tais abruti etj'avais la tte vide mais la pice tait bien chauf-fe et je trouvais a plutt agrable depuis vingt-quatre heures, nous n'avions pas cess de grelotter.Les gardiens amenaient les prisonniers l'un aprsl'autre devant la table. Les quatre types leurdemandaient alors leur nom et leur profession. Laplupart du temps ils n'allaient pas plus loin oubien alors ils posaient une question par-ci, par-la As-tu pris part au sabotage des munitions ? Oubien Ou tais-tu le matin du 9 et que faisais-tu ?? Ils n'coutaient pas les rponses ou du moinsils n'en avaient pas l'air ils se taisaient un

    Extrait de la publication

  • LE MUR

    moment et regardaient droit devant eux puis ils semettaient crire. Ils demandrent Tom si c'tait

    vrai qu'il servait dans la Brigade internationaleTom ne pouvait pas dire le contraire cause despapiers qu'on avait trouvs dans sa veste. A Juanils ne demandrent rien, mais, aprs qu'il eut ditson nom, ils crivirent longtemps.

    C'est mon frre Jos qui est anarchiste, ditJuan. Vous savez bien qu'il n'est plus ici. Moije ne suis d'aucun parti, je n'ai jamais fait depolitique.

    Ils ne rpondirent pas. Juan dit encorec Je n'ai rien fait. Je ne veux pas payer pour les

    autres.

    Ses lvres tremblaient. Un gardien le fit taire etl'emmena. C'tait mon tour

    Vous vous appelez Pablo Ibbieta ?Je dis que oui.

    Le type regarda ses papiers et me dit O est Ramon Gris ?

    Je ne sais pas.Vous l'avez cach dans votre maison du 6

    au 19.Non.

    Ils crivirent un moment et les gardiens me firentsortir. Dans le couloir Tom et Juan attendaiententre deux gardiens. Nous nous mmes en marche.Tom demanda un des gardiens

    Et alors ?

    Quoi ? dit le gardien.C'est un interrogatoire ou un jugement ?C'tait le jugement, dit le gardien.Eh bien ? Qu'est-ce qu'ils vont faire de

    nous ?

    Le gardien rpondit schement On vous communiquera la sentence dans vos

    cellules.

    Extrait de la publication

  • LE MUR

    En fait, ce qui nous servait de cellule c'taitune des caves de l'hpital. Il y faisait terriblementfroid cause des courants d'air. Toute la nuit nous

    avions grelott et pendant la journe a n'avaitgure mieux t. Les cinq jours prcdents je lesavais passs dans un cachot de l'archevch, uneespce d'oubliette qui devait dater du moyen gecomme il y avait beaucoup de prisonniers et peude place, on les casait n'importe o. Je ne regret-tais pas mon cachot je n'y avais pas souffert dufroid mais j'y tais seul la longue c'est irritant.Dans la cave j'avais de la compagnie. Juan neparlait gure il avait peur et puis il tait tropjeune pour avoir son mot dire. Mais Tom taitbeau parleur et il savait trs bien l'espagnol.

    Dans la cave il y avait un banc et quatre pail-lasses. Quand ils nous eurent ramens, nous nousassmes et nous attendmes en silence. Tom dit,au bout d'un moment

    Nous sommes foutus.

    Je le pense aussi, dis-je, mais je crois qu'ilsne feront rien au petit.

    Ils n'ont rien lui reprocher, dit Tom. C'estle frre d'un militant, voil tout.

    Je regardai Juan il n'avait pas l'air d'entendre.Tom reprit

    Tu sais ce qu'ils font Saragosse? Ils couchentles types sur la route et ils leur passent dessusavec des camions. C'est un Marocain dserteur

    qui nous l'a dit. Ils disent que c'est pour cono-miser les munitions.

    a n'conomise pas l'essence , dis-je.J'tais irrit contre Tom il n'aurait pas d

    dire a. Il y a des officiers qui se promnent sur la

    route, poursuivit-il, et qui surveillent a, les mainsdans les poches, en fumant des cigarettes. Tu croisqu'ils achveraient les types ? Je t'en fous. Ils les

  • LE MUR

    laissent gueuler. Des fois pendant une heure. LeMarocain disait que, la premire fois, il a manqudgueuler.

    Je ne crois pas qu'ils fassent a ici, dis-je. Amoins qu'ils ne manquent vraiment de munitions.

    Le jour entrait par quatre soupiraux et par uneouverture ronde qu'on avait pratique au plafond,sur la gauche, et qui donnait sur le ciel. C'est parce trou rond, ordinairement ferm par une trappe,qu'on dchargeait le charbon dans la cave. Justeau-dessous du trou il y avait un gros tas de pous-sier il avait t destin chauffer l'hpital mais,ds le dbut de la guerre, on avait vacu lesmalades et le charbon restait l, inutilis ilpleuvait mme dessus, l'occasion, parce qu'onavait oubli de baisser la trappe.

    Tom se mit grelotter Sacr nom de Dieu, je grelotte, dit-il, voil que

    a recommence.

    Il se leva et se mit faire de la gymnastique. Achaque mouvement sa chemise s'ouvrait sur sa poi-trine blanche et velue. Il s'tendit sur le dos, levales jambes en l'air et fit les ciseaux je voyaistrembler sa grosse croupe. Tom tait costaud maisil avait trop de graisse. Je pensais que des balles defusil ou des pointes de baonnettes allaient bientts'enfoncer dans cette masse de chair tendre commedans une motte de beurre. a ne me faisait pas-lemme effet que s'il avait t maigre.

    Je n'avais pas exactement froid, mais je ne sen-tais plus mes paules ni mes bras. De temps entemps, j'avais l'impression qu'il me manquaitquelque chose et je commenais chercher maveste autour de moi et puis je me rappelaisbrusquement qu'ils ne m'avaient pas donn deveste. C'tait plutt pnible. Ils avaient pris nosvtements pour les donner leurs soldats et ils nenous avaient laiss que nos chemises et cea pan-

    Extrait de la publication

  • LE MUR

    talons de toile que les malades hospitaliss por-taient au gros de l't. Au bout d'un moment Tomoie releva et s'assit prs de moi en soufflant.

    Tu es rchauff ?Sacr nom de Dieu, non. Mais je suis

    essouffl. Vers huit heures du soir un commandant entra

    avec deux phalangistes. Il avait une feuille depapier la main. Il demanda au gardien

    Comment s'appellent-ils, ces trois-l ?Steinbock, Ibbieta et Mirbal , dit le gardien.

    Le commandant mit ses lorgnons et regarda saliste

    Steinbock. Steinbock. Voil. Vous tescondamn mort. Vous serez fusill demainmatin.

    II regarda encore Les deux autres aussi, dit-il.

    C'est pas possible, dit Juan. Pas moi. Le commandant le regarda d'un air tonn Comment vous appelez-vous ?

    Juan Mirbal, dit-il.Eh bien, votre nom est l, dit le commandant,

    vous tes condamn.J'ai rien fait , dit Juan.

    Le commandant haussa les paules et se tournavers Tom et vers moi.

    Vous tes basques ?Personne n'est basque.

    Il eut l'air agac. On m'a dit qu'il y avait trois Basques. Je ne

    vais pas perdre mon temps leur courir aprs.Alors naturellement vous ne voulez pas deprtre ?

    Nous ne rpondmes mme pas. Il dit Un mdecin belge viendra tout l'heure. Il

    a l'autorisation de passer la nuit avec vous. Il fit le salut militaire et sortit

    Extrait de la publication

  • LE MUR

    Qu'est-ce que je te disais, dit Tom. On estbons.

    Oui, dis-je, c'est vache pour le petit.Je disais a pour tre juste mais je n'aimais pas

    le petit. Il avait un visage trop fin et la peur, lasouffrance l'avaient dfigur, elles avaient tordutous ses traits. Trois jours auparavant c'tait unmme dans le genre mivre, a peut plaire maismaintenant il avait l'air d'une vieille tapette et jepensais qu'il ne redeviendrait plus jamais jeune,mme si on le relchait. a n'aurait pas t mau-vais d'avoir un peu de piti lui offrir mais lapiti me dgote, il me faisait plutt horreur. Iln'avait plus rien dit mais il tait devenu grisson visage et ses mains taient gris. Il se rassit etregarda le sol avec des yeux ronds. Tom tait unebonne me, il voulut lui prendre le bras, mais lepetit se dgagea violemment en faisant une gri-mace.

    Laisse-le, dis-je voix basse, tu vois bien qu'ilva se mettre chialer.

    Tom obit regret il aurait aim consoler lepetit a l'aurait occup et il n'aurait pas ttent de penser lui-mme. Mais a m'agaaitje n'avais jamais pens la mort parce que l'occa-sion ne s'en tait pas prsente, mais maintenantl'occasion tait l et il n'y avait pas autre chose faire que de penser a.

    Tom se mit parler Tu as bousill des types, toi ? me demanda-

    t.il.

    Je ne rpondis pas. Il commena m'expliquerqu'il en avait bousill six depuis le dbut du moisd'aot il ne se rendait pas compte de la situationet je voyais bien qu'il ne voulait pas s'en rendrecompte. Moi-mme je ne ralisais pas encore tout fait, je me demandais si on souffrait beaucoup,je pensais aux balles, j'imaginais leur grle br-

  • LE MDI

    lante travers mon corps. Tout a c'tait en dehorsde la vritable question mais j'tais tranquillenous avions toute la nuit pour comprendre. Aubout d'un moment Tom cessa de parler et je leregardai du coin de l'il je vis qu'il tait devenugris, lui aussi, et qu'il avait l'air misrable, je medis a a commence. Il faisait presque nuit,une lueur terne filtrait travers les soupiraux et letas de charbon et faisait une grosse tache sous leciel par le trou du plafond je voyais dj unetoile la nuit serait pure et glace.

    La porte s'ouvrit et deux gardiens entrrent. Ilstaient suivis d'un homme blond qui portait ununiforme beige. Il nous salua

    a Je suis mdecin, dit-il. J'ai l'autorisation devous assister en ces pnibles circonstances. JI

    Il avait une voix agrable et distingue. Je luidis

    a Qu'est-ce que vous venez faire ici ?Je me mets votre disposition. Je ferai tout

    mon possible pour que ces quelques heures voussoient moins lourdes.

    Pourquoi tes-vous venu chez nous ? Il y ad'autres types, l'hpital en est plein.

    On m'a envoy ici , rpondit-il d'un air vague. Ah vous aimeriez fumer, hein ? ajouta-t-il

    prcipitamment. J'ai des cigarettes et mme descigares.

    Il nous offrit des cigarettes anglaises et des puros,mais nous refusmes. Je le regardai dans les yeuxet il parut gn. Je lui dis

    Vous ne venez pas ici par compassion. D'ail.leurs je vous connais. Je vous ai vu avec desfascistes dans la cour de la caserne, le jour o onm'a arrt.

    J'allais continuer, mais tout d'un coup ilm'arriva quelque chose qui me surprit la pr-sence de ce mdecin cessa brusquement de m'int.

    Extrait de la publication

  • LE MUR

    resser. D'ordinaire quand je suis sur un hommeje ne le lche pas. Et pourtant l'envie de parlerme quitta je haussai les paules et je dtournailes yeux. Un peu plus tard, je levai la tte ilm'observait d'un air curieux. Les gardiens s'taientassis sur une paillasse. Pedro, le grand maigre, setournait les pouces, l'autre agitait de temps entemps la tte pour s'empcher de dormir.

    Voulez-vous de la lumire , dit soudain Pedroau mdecin. L'autre fit oui de la tte je pensequ'il avait peu prs autant d'intelligence qu'unebche, mais sans doute n'tait-il pas mchant. Aregarder ses gros yeux bleus et froids, il me semblaqu'il pchait surtout par dfaut d'imagination.Pedro sortit et revint avec une lampe ptrolequ'il posa sur le coin du banc. Elle clairait mal,mais c'tait mieux que rien la veille on nous avaitlaisss dans le noir. Je regardai un bon moment lerond de lumire que la lampe faisait au plafond.J'tais fascin. Et puis, brusquement, je me rveil-lai, le rond de lumire s'effaa et je me sentiscras sous un poids norme. Ce n'tait pas lapense de la mort, ni la crainte c'tait anonyme.Les pommettes me brlaient et j'avais mal aucrne.

    Je me secouai et regardai mes deux compagnons.Tom avait enfoui sa tte dans ses mains, je nevoyais que sa nuque grasse et blanche. Le petitJuan tait de beaucoup le plus mal en point, ilavait la bouche ouverte et ses narines tremblaient.

    Le mdecin s'approcha de lui et lui posa la mainsur l'paule comme pour le rconforter mais sesyeux restaient froids. Puis je vis la main du Belgedescendre sournoisement le long du bras de Juanjusqu'au poignet. Juan se laissait faire avec indif-frence. Le Belge lui prit le poignet entre troisdoigts, avec un air distrait, en mme temps ilrecula un peu et s'arrangea pour me tourner le

  • Extrait de la publication

    LE MUR