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LE MUSEE JUIF DE BERLIN L'Architecte : Daniel Libeskind : Né en 1946 à Łódź, Pologne. Naturalisé américain en 1965. Ses parents étaient des juifs polonais, survivants de l'Holocauste. ● Son œuvre est placée sous le signe du sens et de la mémoire. ● Élu membre de l'Académie des Arts de Berlin en 1994. ● Daniel Libeskind a été retenu pour la reconstruction du World Trade Center à New York. Mouvement architectural : Le Déconstructivisme : ● Mouvement artistique contemporain, particulier à l'architecture, qui a trouvé son nom dans celui du mouvement littéraire dont le philosophe Jacques Derrida fut le théoricien et la figure de proue. Son nom se réfère aussi au mouvement du Constructivisme russe des années 1920 dont il reprend certaines des inspirations formelles. ● Ce mouvement s'oppose à la rationalité ordonnée de l'architecture moderne, il assume pleinement la rupture avec l'histoire, la société, le site, les traditions techniques et figuratives. ● Ces architectes cherchent à pousser à l'extrême des thèmes de l'architecture moderne comme l'opposition entre structure et enveloppe, entre plancher et mur, et ainsi de suite... ● Les apparences visuelles des réalisations dans ce style sont caractérisées par une imprévisibilité stimulante et un chaos contrôlé. Cependant, les critiques de la déconstruction le voient comme un exercice purement formel qui se fait au détriment de la vie sociale. Contexte : ● Le précédent musée juif de Berlin avait été fermé par la Gestapo. ● Les travaux du musée se déroulent entre 1993 et 1998 pour une livraison en 1999. ● Entre 1999 et 2001, alors qu’il n' y a aucune collection, le musée est visité et obtient un vif succès. ● L’inauguration officielle du bâtiment aura lieu en 2001, l’édifice abritant désormais 3000 m² d’exposition retraçant 2000 ans de la culture juive en Allemagne à travers des objets d’art, de culte et de la vie courante.

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LE MUSEE JUIF DE BERLIN

L'Architecte :

Daniel Libeskind : Né en 1946 à Łódź, Pologne. Naturalisé américain en 1965. Ses parents étaient des juifs polonais, survivants de l'Holocauste.● Son œuvre est placée sous le signe du sens et de la mémoire. ● Élu membre de l'Académie des Arts de Berlin en 1994.● Daniel Libeskind a été retenu pour la reconstruction du World Trade Center à New York.

Mouvement architectural :

Le Déconstructivisme : ● Mouvement artistique contemporain, particulier à l'architecture, qui a trouvé son nom dans celui du mouvement littéraire dont le philosophe Jacques Derrida fut le théoricien et la figure de proue. Son nom se réfère aussi au mouvement du Constructivisme russe des années 1920 dont il reprend certaines des inspirations formelles.

● Ce mouvement s'oppose à la rationalité ordonnée de l'architecture moderne, il assume pleinement la rupture avec l'histoire, la société, le site, les traditions techniques et figuratives.

● Ces architectes cherchent à pousser à l'extrême des thèmes de l'architecture moderne comme l'opposition entre structure et enveloppe, entre plancher et mur, et ainsi de suite...

● Les apparences visuelles des réalisations dans ce style sont caractérisées par une imprévisibilité stimulante et un chaos contrôlé. Cependant, les critiques de la déconstruction le voient comme un exercice purement formel qui se fait au détriment de la vie sociale.

Contexte :

● Le précédent musée juif de Berlin avait été fermé par la Gestapo.● Les travaux du musée se déroulent entre 1993 et 1998 pour une livraison en 1999. ● Entre 1999 et 2001, alors qu’il n' y a aucune collection, le musée est visité et obtient un vif succès. ● L’inauguration officielle du bâtiment aura lieu en 2001, l’édifice abritant désormais 3000 m² d’exposition retraçant 2000 ans de la culture juive en Allemagne à travers des objets d’art, de culte et de la vie courante.

Thème :

Le projet de Daniel Libeskind affiche une grande force conceptuelle à différents niveaux de lecture. Non seulement le bâtiment aborde le thème de l’Histoire et de la Mémoire par son programme, mais Libeskind les incorpore dans son architecture. Lors de sa conception, le projet s’intitule Between the lines. Cela évoque les portées des partitions de musique, mais aussi la notion d’invisible : lire entre les lignes. Nous verrons que la ligne domine la construction du musée juif et que ce dernier est porteur de sens, que son architecture n'est pas seulement faite de béton mais aussi d'émotions et de réflexion qu'elle suscite chez l'homme.

Description :

VUE DU CIEL : L'édifice de Daniel Libeskind. s’organise en une forme d’éclair, ce qui lui vaut le surnom de Blitz de la part des Berlinois. Ce geste fort de l'architecte donne un caractère très sculptural au bâtiment et nous montre sa volonté de ne pas modifier le terrain sur lequel il est construit, mais de l'y adapter. En effet, cette forme spécifique préserve les arbres existants du site. L'un d'entre eux fait même plier la ligne du bâtiment. → Le fait de déraciner cet arbre aurait été contraire à l’intégrité du musée puisque auparavant les juifs furent eux-mêmes déracinés de leur terre. On peut donc imaginer qu’avec une autre disposition naturelle, le musée aurait pris une autre forme. Le bâtiment vu du ciel est une ligne brisée d'un bout à l'autre qui porte en elle une grande force expressive : ce zigzag torturé incarne toute la violence, toutes les cassures de l'histoire des juifs en Allemagne.

L'EXTERIEUR :

Le bâtiment de Libeskind est recouvert de zinc monoxydé, métal qui brille assez peu et dont la couleur change en même temps que le bâtiment vieilli (il deviendra gris bleuté). Cette couverture, cette peau, est striée de lignes qui sont les ouvertures (fenêtres) du bâtiment, et qui apparaissent comme des entailles, des plaies. Libeskind souhaite que le temps passant, le zinc changeant de couleur permettra à la silhouette du bâtiment de s'estomper pour accentuer encore la visibilité de ces fentes.Pour les réaliser, l’architecte a tracé sur une carte de Berlin des lignes reliant les adresses des figures emblématiques du judaïsme allemand. Il a ensuite reporté ces segments sur la façade du musée, créant ainsi volontairement ce dessin aléatoire. L'ouverture du musée juif sur l'extérieur et sur le monde se restreint à ces meurtrissures, il n'y a pas d'entrée, aucune porte extérieure, aucun signe distinctif permettant de savoir où l'on se trouve (par rapport aux bâtiments habituels).

Le musée juif est réparti dans 2 édifices. D’une part, il y a le Kollegienhaus, bâtiment Prusse de style baroque en partie détruit durant les bombardement de 1945 et reconstruit sur ses ruines par la suite. Vu de l'extérieur, il n’y a pas de lien apparent entre le Kollegienhaus et le musée juif. L'édifice de Libeskind respecte cependant la hauteur de l'ancien bâtiment, et ne cherche pas à s'imposer à côté de lui : au contraire, il paraît presque s'effacer derrière les arbres et la végétation environnantes.

L’entrée s’effectue toutefois par l’ancien bâtiment : elle constitue une tour de béton traversant tous les étages de l’édifice Prusse, invisible de l'extérieur et ne se révélant qu'à l'intérieur. Un geste fort et violent qui marque le lien entre l’histoire allemande et l’histoire juive, leur imbrication. Ce puits surplombe un escalier menant douze mètres sous le niveau du sol, qui mène au bâtiment de Libeskind proprement dit. Une entrée inhabituelle, mais la relation souterraine entre les deux édifices nous rappelle également que l'histoire commune des juifs et des allemands est à jamais gravée dans le sol.

L'INTERIEUR :

Une fois à l’intérieur le musée se divise en 3 couloirs entrecoupés, des « Axes » représentant trois expériences majeures de l'histoire des juifs allemands: la Continuité, l’Exil et l'Holocauste.

Ces Axes sont bas de plafond, éclairés artificiellement, en pente. La profondeur est ainsi accentuée. Des arêtes vives se présentent de tous côtés, tant avec les intersections des lignes lumineuses du plafond qu'avec celles des parois qui ne sont pas d'aplomb.

● L'Axe de l'Holocauste :

Au bout du couloir aux murs penchés et au sol en pente, une porte noire. Derrière elle se trouve la Tour de l'Holocauste. Extérieurement, cette dernière est à part : elle n'est reliée au musée juif que par ce couloir souterrain.La Tour de l'Holocauste est un puits de béton plongé dans le noir, que seul une fente située au sommet de la tour permet d'éclairer. Cette ouverture laisse parvenir les sons lointains de la rue très atténués. Le visiteur éprouve un enchaînement de sensations brutales. Il passe d'un espace chauffé, lumineux, à un espace froid et incommensurable. Il est alors plongé dans l'inconnu, il bascule dans l'obscurité, la froideur. Il s'agit ici d'une appréhension sans équivoque de la fin, d'une absence totale de retour.

● L'Axe de l'Exil :

Ce couloir débouche sur le Jardin de l’Exil, situé à l’extérieur du musée. 49 piliers au sommet desquels sont plantés 49 oliviers, figures du déracinement, de l’arrachement à sa terre natale que connaît chaque exilé. Le sol du jardin est penché de telle manière que le visiteur est désorienté et déstabilisé à chaque pas, il est en perte de repères comme l’est toute personne exilée contrainte de vivre dans un univers qui n’est pas le sien. Le Jardin de l’Exil est un espace

à ciel ouvert mais il est clôturé par des murs très hauts et il est donc impossible d'en sortir. Cette sortie à l’air libre n’est alors qu’un semblant d’accès à la liberté, le spectateur ne peut que pénétrer de nouveau dans le musée après avoir visité le jardin, ainsi Daniel Libeskind signifie que l’exil puisqu’il n’est pas choisi mais forcé est une sorte de prison.

● L'Axe de la Continuité :

C'est le plus long du bâtiment, il représente la présence des juifs en Allemagne. Au fond du couloir bas de l'entrée, on découvre l'escalier principal dans une perspective impressionnante. On passe alors de l'espace comprimé des axes à un espace se dilatant à travers toute la hauteur du bâtiment. Cette dilatation verticale de l'espace donne une impression d’infini. Cette sensation est appuyée par la lumière naturelle que l’on retrouve après la descente dans le sous-sol et qui inonde cet espace. Cette expérience de remontée vers la lumière incarne l’avancée perpétuelle de la culture juive. L'escalier étroit et très long dont l'ascension est éprouvante pour le spectateur permet d'accéder aux salles du musée proprement dites. Enfin, la visite est organisée de telle sorte qu'on repasse à plusieurs reprises devant l’escalier. Il devient une sorte de repère que l’on retrouve au cours du parcours et que l’on apprend à apprécier pour sa lumière.

● Les Vides :

Le musée contient 6 puits de béton qui traversent toute la hauteur de l’édifice. Ce sont « les Vides ». Ils sont constituent l'Axe du Vide, la ligne fantôme du bâtiment, sa colonne vertébrale, et incarnent la dernière figue du judaïsme allemand : l'absence. Ils ponctuent la visite : on les retrouve sous forme de blocs noirs et nus qui interrompent les espaces d'exposition. Ils ne constituent cependant jamais des points de repère, car leur répétition et leur ressemblance nous confondent et nous troublent, provoquant une perte de repères très sensible. On peut observer l’intérieur de ces vides à plusieurs instants de la visite, sans pouvoir y pénétrer. Leurs murs de béton nus sont uniquement éclairés par des verrières au plafond.On remarque la présence de "tribunes" dans les vides. Ces "balcons" sont également inaccessibles et montrent l'absence de ceux qui devraient occuper cet espace. Ces lieux de contemplation désertés incarnent l'absence d'une partie du peuple juif, ceux qui ont disparu.Pour Daniel Libeskind, le vide « renvoie fondamentalement à ce que l’on ne pourra jamais montrer de l’histoire des juifs de Berlin, à tout ce qui a été réduit en cendres. »

● Le Vide de la Mémoire :

Le sixième de ces Vides est appelé "Le Vide de la Mémoire". Il est le seul qui soit ouvert et pénétrable. L'artiste Menasche Kadischman a disposé au sol de celui-ci une installation : des milliers de cercles d'acier percés de façon à représenter des visages humains, bouche ouverte sur un inaudible cri de souffrance. Le spectateur est invité à marcher sur ce tapis de visages. Sous les pas les pavés s'entrechoquent et émettent des sons métalliques, qui s'enflent au fur et à mesure que le marcheur s'enhardit, restituant aux visages piétinés leur cri insupportable. Le hurlement rauque du métal résonnant au fond de ce puits ne peut qu'évoquer d'autres cris, d'autres images trop connues, celles des cohortes d'hommes yeux vides, bouches sans voix, poussées vers les chambres à gaz.

On peut dire que l'architecture du musée fait résonner l'histoire juive en ses propres murs ainsi qu'en nous. Les sensations ressenties par le visiteur sont violentes, elles viennent le perturber et l'obligent à méditer sur la condition du peuple juif et la condition de l'homme en général.

Analyse :

Le parcours sinueux à travers les salles d'exposition est troublant, voire éreintant pour le visiteur. En effet, chaque salle d'exposition se ressemble et emploie le même langage. Il n'y pas de distinctions fortes entre chaque pièce. De la même manière, les vides que l'on rencontre successivement se ressemblent. Cela donne une impression de distorsion du temps et de l'espace, engendrée par la confusion des espaces que l'on parcourt.

Le passage dans les souterrains du musée met le visiteur mal à l'aise. L'architecture conditionne son corps pour lui faire ressentir les expériences du peuple juif et l'inviter à les méditer. Le visiteur est en effet confronté à une expérience corporelle, exposé à un choc "violent". Cette violence se trouve tant dans les formes employées (l'omniprésence de lignes brisées et d'intersections de droites), que les conditions dans lesquelles il est plongé (des plafonds bas, des sols de travers, des parois non verticales, la lumière artificielle). Le visiteur subit les lois dictées par cette architecture non conventionnelle, qui impose un parcours difficile pour suggérer les douleurs endurées par le peuple juif, avant même d'avoir découvert la collection du musée.

On retrouve ce choc "violent" qui génère une prise de conscience tout au long de la visite. Les sensations produites par l'architecture sur le corps du visiteur l'atteignent bien plus que les mots ou photographies qui peuvent être exposés. Ici, l'architecture fait elle-même sens, elle bouscule le visiteur dans son quotidien et impose physiquement un choc, qui lui fait prendre conscience de la tragédie des expériences vécues par le peuple juif. Cet aspect de l'architecture de Libeskind est développé à travers plusieurs expériences fortes, telles que le jardin de l'Exil, la tour de l'Holocauste, le vide de la Mémoire.

CONCLUSION :

Beaucoup plus qu'une visite de musée, le passage par le Musée Juif est quelque chose comme une épreuve. L'interpellation physique voulue par l'architecte suscite inévitablement émotion et réflexion. Tout ici est voulu, pensé, mesuré, en fonction du but souhaité. Le gris, le métal brut, le béton, les lignes brisées, la lumière froide, les angles aigus, ne sont pas agréables à l'œil, ils ne flattent pas la corde sensible du spectateur, ils ne sont pas complaisants. Le bâtiment n'est pas beau au sens classique du terme, il est agressif, déroutant. On a là une démarche qui ne cherche pas à séduire, à faire plaisir, mais bien plutôt à agresser, bousculer, surprendre, pour mieux forcer le spectateur à se projeter dans un autre univers. Le Musée Juif apparaît ainsi comme un voyage initiatique au sein de l'histoire du peuple juif dont on ne sort pas indemne.

POUR PROLONGER LA REFLEXION :

Daniel Libeskind: Musée Félix Nussbaum, Osnabrück

Daniel Libeskind: Danish Jewish Museum, Copenhague.

L'esthétique architecturale de Daniel Libeskind, dont la dramatisation est mise en scène par des lignes brisées, des angles obtus, des jeux d'ombres et de lumière, de clairs-obscurs intenses, s'inspire beaucoup du cinéma expressionniste allemand, et notamment des décors du film de Robert Weine : Le Cabinet du Docteur Caligari (1920).

Cette esthétique a également inspiré un autre architecte déconstructiviste, Frank Gehry, pour la construction de la Cinémathèque française à Paris (bien que ce dernier ait un goût plus prononcé pour les courbes).

Enfin, on peut également citer l'architecte déconstructiviste Peter Eisenman, qui a conçu le Mémorial de l'Holocauste en plein cœur de Berlin, perpétuant le souvenir des victimes juives exterminées par les nazis au cours de la Shoah.

Le Mémorial se trouve sur un emplacement chargé d'histoire, ex-couloir de la mort derrière le Mur de Berlin à l'époque de la République démocratique allemande (RDA). Il est situé à quelques mètres de l'ancienne chancellerie de Hitler et du bunker où le dictateur s'est donné la mort le 30 avril 1945.Larges de 95 centimètres et longues de 2,38 mètres, les stèles ont une hauteur variable pouvant atteindre jusqu'à 4,70 mètres. Les visiteurs sont invités à s'enfoncer parmi ces allées au sol irrégulier.